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Numéro 34 - Le libraire

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Ici comme ailleursLittérature québécoiseLa chronique de Stanley PéanVoix de femmesDeux romans signés Sylvie Nicolas et Andrée Laberge ; le retour de la grande Marie JoséThériault : décidément, le printemps s’annonce fort agréable pour les lecteurs et lectrices, quiapprécient les voix de femmes fortes et qui savent en imposer.Des femmes disparaissentOn connaît Sylvie Nicolas comme auteure d’une vingtaine d’ouvrages depoésie ou de prose narrative, dont une dizaine destinée aux jeunes. Aprèsle savoureux et inclassable récit-essai <strong>Le</strong> Sourire de Little Beaver, ellenous revient avec Disparues sous le signe de l’infini, manière de fauxpolararticulé sur la mystérieuse disparition de deux femmes : Léa, unechanteuse de cabaret devenue professeure de flamenco, et sa nièceactrice.Il y a près d’un demi-siècle, l’une et l’autre ont été locataires du numérohuit dans un modeste immeuble d’habitation — un appartement dont lechiffre sur la porte a comme par hasard basculé, passant donc de huit ausigne de l’infini annoncé par le titre… Pour quelle raison et de quellemanière se sont-elles volatilisées? Et pourquoi s’en soucier? Plutôt que deconfier l’enquête à un Holmes ou un Poirot du cru, la romancière encharge les autres locataires de l’immeuble, tous plus pittoresques les unsque les autres, et ce sont leurs spéculations et hypothèses qui constituentl’essentiel de ce récit insolite. Au grognon de service, le Braque, qui doutede l’existence de Léa et de sa nièce, s’opposent tous les voisins et voisinesqui se rappellent bien des détails concernant les deux disparues, sanspour autant pouvoir certifier la véracité de ces souvenirs. Ces personnagesont pour noms Mademoiselle Blanche, l’Homme du corridor, lesFlambeurs de steaks et l’Anglais, qui est en fait irlandais et qui, notons-leen passant, aurait compté parmi ses fréquentations de jadis les écrivainsSamuel Beckett et George Bernard Shaw.Faux-polar, donc, parce que c’est moins la résolution de l’énigmeque le processus qui importe, moins une révélation finale à vouscouper les jambes que l’accumulation des anecdotes, souvenances,théories convergentes ou divergentes. À ce titre, lesréférences à Beckett et à Shaw apparaissent comme des indicessur la nature de cette enquête quasi métaphysique sur ce quisurvit aux individus après leur fugace passage en ce monde. Dansune écriture d’un lyrisme parfois (trop) appuyé, qui flirte volontiersavec l’oralité, Sylvie Nicolas nous livre ce récit étrange etenvoûtant, chargé de symbolisme, qui témoigne à la fois de sestalents de conteuse, de son amour du théâtre et de sa pratiquede la poésie.Loup, y es-tu?La Rivière du loup d’Andrée Laberge évoqueégalement la disparition d’une femme, maisles circonstances et les répercussions sontfort différentes de celles de l’escamotagedes locataires de l’appartement huit deSylvie Nicolas. Dans un village innommé,un homme et son fils adolescenthabitent une maison ravagée par lacolère du premier, inconsolable dudépart de la danseuse qui lui a broyé lecœur. Plutôt que mépriser ou mêmedétester l’enragé qu’est son père, le filslui voue un amour et uneDisparues sous lesigne de l’infiniSylvie Nicolas,Québec Amérique,coll. Littératured’Amérique,228 p., 19,95 $La Rivière du loupAndrée Laberge,XYZ éditeur,coll. Romanichels,248 p., 25 $ObscènestendressesMarie JoséThériault,<strong>Le</strong> dernier havre,189 p., 24,95 $admiration sans bornes ni conditions. Un amour que voient d’un mauvaisœil les bonnes âmes qui voudraient tirer le garçon des griffes decet homme, qui pourrait être vraiment le loup qu’il prétend être…<strong>Le</strong>s Oiseaux de verre, premier roman de Laberge, nous avait révélé uneécrivaine à l’écriture dense, au goût pour les ambiances troubles et lesconstructions romanesques complexes, polyphoniques — des qualitésqui nous l’avaient fait inscrire dans la lignée d’Anne Hébert. Ce troisièmeopus, à l’atmosphère empreinte de sensualité animale, confirme cettefiliation. À la lecture de La Rivière du loup, on songe au Torrent, auxEnfants du sabbat, mais il s’agit plus d’une réminiscence que d’un pastiche.Ici, défilent des femmes attirées malgré elles tant par la sauvageriedu père que par la douceur du fils, qui incarnent un rapport harmonieuxet fantasmatique avec la nature.<strong>Le</strong> tout nous est narré dans un style sans artifice, d’une élégance rare, quimultiplie les points de vue narratifs pour mieux transcrire ces sensibilitésà fleur de peau. En somme, Andrée Laberge ne déçoit pas et confirmed’une œuvre à l’autre l’importance de la place qu’elle occupe dans nos lettrescontemporaines.Et ce désir, toujoursTiens, en parlant d’écrivaines essentielles pour nos lettres contemporaines: il y a maintenant près de seize ans que nous étions sans nouvellesde Marie José Thériault. Oh, bien sûr, la Marie José Thériault traductriceavait continué d’œuvrer dans le milieu avec le même aplomb,ainsi qu’en témoignent ses deux Prix du Gouverneur général (pourL’Oeuvre du Gallois de Robert Walshe en 1993 et pour Arracher les montagnesde Neil Bissoondath en 1997). Et, bien sûr aussi, l’éditrice n’a paschômé depuis la fondation des éditions <strong>Le</strong> dernier havre, qui se consacrenotamment à la réédition de l’intégrale des œuvres de son illustre père,Yves Thériault. Mais la romancière, nouvelliste, conteuse et poète, cellequi nous avait si souvent ensorcelés, cette Marie José Thériault-là nousmanquait cruellement depuis la parution de Portaits d’Elsa, publié initialementen 1990 et réédité il y a deux ans.La voici de retour avec Obscènes tendresses, récit sous forme épistolaired’une passion dévorante. Regroupées selon cinq saisons qui necorrespondent pas forcément à celles du temps réel, ces lettres d’uneamante à son homme, ces lettres au « tu » et au « vous » constituent lachronique sans fard de leur amour, expérience totale, sans compromis,empreinte de désir, de désarroi, d’ivresse, de tendresse et de détresse.Comme on s’y attendait de la part de l’auteure des Demoiselles deNumidie, l’écriture est maîtrisée, portée au paroxysme par moments etpourtant dénuée de tout excès, de tout maniérisme. Chez Thériault fille,tout est affaire de pureté et de crudité, mais qu’on ne se laisse pasberner par l’obscénité annoncée par le titre : il n’y a ici rien d’obscène,sinon l’absolue vérité de ces lettres et du désir qu’elles expriment. Encette époque trop souvent livrée à l’exhibitionnisme, littéraire ou autre,grâce soit rendue à l’auteure de réaffirmer ici la primauté du style sur lesujet, de la manière sur la matière. Et si ce n’est pas le meilleur livre deMarie José Thériault (elle n’a pas ici, selon moi, surpassé l’envoûtementde L’Envoleur de chevaux), réjouissons-nous tout de même de la retrouveren très grande forme.© Magalie <strong>Le</strong>françois, 2005Rédacteur en chef du journal le <strong>libraire</strong>, président del’Union des écrivaines et écrivains québécois, animateurà la radio de Radio-Canada, Stanley Péan apublié de nombreux romans et recueils de nouvelles.Lorsqu’il n’écrit pas, il casse les oreilles de sesproches en faisant ses gammes à la trompette.M A I - J U I N 2 0 0 611

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