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Numéro 34 - Le libraire

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J ACQUESP OULINTrouver le traducteur en nousMercredi, 11 h 35. La sonnette résonne encore dans l’appartement, tandis que des pas feutrés sefont entendre. Avant de gravir la « Tour du Faubourg », je suis passé par l’épicerie Moisan pouracheter quelques denrées. L’interview sera précédé d’un léger repas. J’aime la formule. Elle permettrade nous placer dans de bonnes dispositions. La porte s’ouvre. Un homme âgé m’accueille, calme,souriant et disponible. C’est lui. Mais à qui ai-je vraiment affaire? À Jacques Poulin ou à JackWaterman, son double en littérature? On se cache toujours un peu derrière un personnage. En cela,l’écrivain n’est pas si différent de « l’ours moyen », malgré ce qu’on pourrait croire.Littérature québécoisePar Benny Vigneault<strong>Le</strong> 22 mars dernier, <strong>Le</strong>méac/Actes Sud a publié LaTraduction est une histoire d’amour, le onzièmeroman de Jacques Poulin. Trois ans et demie se sontécoulés depuis la publication du superbe <strong>Le</strong>s Yeuxbleus de Mistassini. Trois longues années pendantlesquelles l’écrivain a composé son histoire, ciseléson écriture, cherché le ton juste. <strong>Le</strong>s livres dePoulin, c’est connu, sont à « maturation lente ».--- Ce nouveau roman, d’aprèsce que j’ai pu comprendre,vous a donné beaucoup de fil àretordre?--- Oui. J’ai eu plus de difficultéque d’habitude,souligne l’écrivain. Quandj’ai eu l’impression que letexte était à point, les premièresréactions m’ont montréque j’avais encore beaucoupde chemin à faire. Je l’airepris, je l’ai corrigé, etquand je pensais que les correctionsétaient finies, ce n’étaitpas encore tout à fait lecas. Je l’ai travaillé jusqu’audernier moment.© Louis Desjardins--- Mais j’imagine qu’il n’y a pasdeux romans qui se conçoiventde la même façon.--- L’idéal, ce serait de laisser dormir le texte pendantplusieurs mois. Mais on n’a pas toujours l’occasionde faire ça.--- Ce roman, comme les précédents, raconte l’histoired’une rencontre.--- La narration est assurée par une jeune femme,Marine, qui traduit en anglais le dernier roman deJack Waterman. La mère de Marine, d’origineirlandaise, repose dans le cimetière Saint-Matthews. C’est là qu’elle rencontre l’écrivain pourla première fois. Jack habite une tour à logementsdu centre-ville. Marine, elle, loue un chalet à l’Îled’Orléans, que ce dernier lui a trouvé. Petit à petit,au fil de leurs diverses rencontres, Jack et Marinese rapprochent, s’apprivoisent.--- La traduction, comme l’indique le titre de votrelivre, est au cœur de cette histoire?--- Oui. C’est ce qui permet à Jack et à Marine de serejoindre. À la base, ils partagent une même passionpour le langage. Quand elle fait ses traductions,elle essaie de se rouler, de se couler dansl’écriture de l’autre... Un peu comme des chats...*Tout au long de notre discussion, Jacques Poulin sepromène dans la grande pièce qui lui sert à la foisde bureau, de salon et de salle à manger. Attentif à mescaprices d’interviewer, il a enfilé une chemise à carreauxpourvue d’une poche dans laquelle il a déposéma micro-enregistreuse. Je ne devrais donc pas avoirde mal à le citer. Je l’écoute alors qu’il renchérit.*--- Je ne voulais pas écrire simplement l’histoire d’unpersonnage vieillissant quitombe amoureux d’une fillebeaucoup plus jeune. Jevoulais passer par les motspour exprimer la manièredont ils pouvaient tisser desliens entre eux. Marine esthabitée par le souci de rendrejustice à l’écriture de Jack.Elle s’applique à traduire la« musique des mots » de sonroman pour mieux être fidèleà ce qu’il a voulu exprimer.--- N’est-ce pas là l’essentiel dece qu’il faudrait retenir à lalecture de votre roman? Jeveux dire : prendre soin desaisir la petite musiqueintérieure de ceux qui noussont chers? Tenter de mieuxcomprendre ce que l’autreJacques Poulincherche à communiquer?--- J’aimerais beaucoup que les gens parviennent àpenser à une telle chose à la lecture de mon livre, maisje ne suis pas sûr d’y être parvenu. La communication,dans plusieurs de mes romans, arrive à se faire, parfois,mais je ne crois pas que ce soit comme dans lavie. C’est un monde un peu idéal, celui des romans.C’est un petit univers privilégié qu’on construit pourse consoler de ce qui ne marche pas bien dans la vie.Étant convaincu de ça, j’essaie d’inventer une histoireoù ça devient possible pour deux personnages. Àcause de la frustration que ça m’apporte, j’invente unehistoire où les personnages peuvent communiquer…Du moins, dans une certaine mesure…© Antoine Tanguay--- L’histoire entre Jack et Marine est nourrie par unecertaine intrigue…--- Oui. Voilà quelque chose qui n’était pas aussidéveloppé dans mes romans précédents. La différence,c’est que j’ai essayé d’y inclure des péripéties,des retournements de situations, une espèce d’aventurecomme on en voit dans des romans policiers.J’espérais que ça permettrait de soutenir l’intérêt etaussi de rassembler chacun des chapitres.*J’examine mes notes afin de lui poser ma prochainequestion. Je pense reprendre avec l’intrigue en question(le chat noir, le message caché dans son collier, lajeune fille qui demeure dans un appartement du quartierSaint-Jean-Baptiste avec sa grand-mère, etc.). Il y a tant depoints que j’aimerais aborder avec lui, à propos de ceroman mais aussi de ses autres. C’est plutôt lui qui merelance...*--- Dites-moi, avec de telles questions, comment allez-vousfaire pour écrire votre article?--- (...)*La réponse que j’aurais voulu lui donner n’est pas venue.La surprise, j’imagine. Il est vrai que je m’intéresse parfoisà des éléments formels qui ne passionnent pas tout lemonde. J’aurais voulu lui dire qu’il suffit de se livrer à unelecture attentive du livre, de se faire confiance et detâcher de traduire dans l’article l’effet que l’ouvrage a eusur moi. Avec La Traduction est une histoire d’amour,l’écrivain propose un roman maîtrisé, tout en finesse, quiva droit au coeur et qui appelle à entrer à l’intérieur de soi.L’histoire de Jack et de Marine illustre que notre besoin deconsolation n’est pas impossible à rassasier, pour reprendreà mon compte le titre d’un puissant petit ouvrage del’écrivain suédois Stig Dagerman. Il faut pouvoir s’intéresservraiment à la vie des autres, tâcher de saisir ce qui leshabite, et se laisser apprivoiser… Au cours de l’interview,ai-je eu affaire à Jack Waterman ou à Jacques Poulin? Jen’aurai jamais vraiment la réponse, et c’est très biencomme ça. Si ses histoires se ressemblent d’un livre àl’autre (n’en déplaise à ses détracteurs!), c’est qu’il travailleinlassablement la même matière : notre tentation debriser notre irrémédiable solitude.La traduction est une histoire d’amour? Certainement,tout comme celle des lecteurs avec les romans de JacquesPoulin. Celui-ci ne les décevra pas.La Traduction est unehistoire d’amour<strong>Le</strong>méac/Actes Sud,112 p., 15,95 $<strong>Le</strong>s Yeux bleus deMistassini<strong>Le</strong>méac/Actes Sud,coll. Babel, 187 p.,22,95 $M A I - J U I N 2 0 0 610

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