La vie dans nos résidencesL’entrée en institution…sentiment de culpabilité, d’impuissance !Face à ces pertes (<strong>retraite</strong>, modificationsphysiologiques, perte d’un être cher,l’entrée en résidence…) <strong>le</strong>s personnesâgées ont un travail de deuil à accomplir.Ce travail ne se fait pas en un jour. Il estfait de passages diffici<strong>le</strong>s, voire douloureux,mais nécessaires, pour devenircapab<strong>le</strong>s de vivre à nouveau <strong>le</strong> plus p<strong>le</strong>inementpossib<strong>le</strong>.Le ressentiment des famil<strong>le</strong>s, amis,aidants.Le désarroi et la souffrance de la famil<strong>le</strong>:Face aux premiers signes de l’âge et dela dépendance chez notre parent, nouséprouvons souvent tout d’abord un refusinconscient de la situation ; c’est <strong>le</strong> déni.Nous savons que la vieil<strong>le</strong>sse existe etqu’el<strong>le</strong> entraîne bien des dysfonctionnements,mais nous ne voulons pas imaginerque cet état puisse toucher <strong>le</strong>s nôtres.Et lorsque la réalité s’impose et quenous sommes obligés de constater ladépendance de nos proches, nos sentimentsaffluent, vio<strong>le</strong>nts et bien souventcontradictoires.Mettez un nom sur vos sentiments« Mais qu’est-ce qui arrive ? Qu’allonsnous faire ? Pourquoi nous ? » C’est <strong>le</strong>désarroi qui nous envahit d’abord à l’annonceou au constat de la dépendance denotre parent. L’urgence de prendre desdécisions auxquel<strong>le</strong>s la vie ne nous a paspréparés, la nécessité de mettre en placedes structures nouvel<strong>le</strong>s représentent uneréel<strong>le</strong> charge tant matériel<strong>le</strong> que mora<strong>le</strong>et psychologique. Puis avec <strong>le</strong> temps,d’autres sentiments apparaissent, souventmêlés et contradictoires. Cet amalgamenous plonge dans un mal-être où <strong>le</strong> stresset la culpabilité ont une bonne part. Carderrière <strong>le</strong>s sentiments positifs que sont latendresse, <strong>le</strong> souci de bien faire, la peinedevant la maladie ou <strong>le</strong> handicap secachent presque toujours des sentimentsnégatifs qu’on hésite à nommer parcequ’on a honte de <strong>le</strong>s ressentir. Ils s’appel<strong>le</strong>ntexaspération, colère, dégoût, désespoir,rejet.« Tu me pousses à bout » reprocheDidier à son père qui se plaint sans cessealors que ses enfants s’occupent de luiavec beaucoup de dévouement : exaspérationdevant l’ingratitude involontaire.« Tu pourrais tout de même faire unFamil<strong>le</strong>s, amis, aidants, comment faire face à la situation ?- Deuxième partie -effort pour te souvenir de ce que je te dis» crie Sylvie à sa mère qui lui demandepour la 5ième fois où el<strong>le</strong> a rangé son eaude toi<strong>le</strong>tte : colère devant <strong>le</strong>s questionslancinantes.« C’est horrib<strong>le</strong>, je <strong>le</strong> vois baisser dejour en jour, je ne vais plus pouvoir supportercela » déplore Françoise devantl’aggravation de la maladie d’Alzheimerde son mari : désespoir devant cet aspectinéluctab<strong>le</strong> de la maladie et de la dépendancequi gagnent du terrain.« Ma mère ne me reconnaît plus, je nepeux pas <strong>le</strong> supporter » déplore Yann :rejet devant la négation de ce lien filial.« Je suis un monstre » pense Fabienqui vient de se mettre en colère contre samère qui refuse de manger trois fois desuite alors qu’il se déplace pour lui faireprendre son repas.Sont-ils un conjoint, des fil<strong>le</strong>s et desfils indignes ? NON.TOUS CES SENTIMENTSSONT HUMAINS.Vous avez <strong>le</strong> droit d’être exaspéré, encolère, découragé. Vous avez des raisonsobjectives, car derrière tous ces sentimentsse cache une grande souffrance.Pour ne pas en faire subir <strong>le</strong>s conséquencesà votre parent, ni aggraver votreculpabilité, il vous faudra gérer au mieuxvotre implication dans sa prise en charge.Comprendre la raison de vossentimentsComprendre l’origine de vos sentimentsvous permettra de relativiser.Pourquoi souffrons-nous tant devant<strong>le</strong>s méfaits de l’âge et de la maladie, enparticulier lorsqu’ils touchent notreparent ?18Bien sûr, notre amour filial justifienotre tristesse devant <strong>le</strong>ur sort. Mais cetteexplication n’est pas suffisante pour comprendrela vio<strong>le</strong>nce de certains de nos sentiments.L’effet miroirL’image de la dépendance éveil<strong>le</strong> ennous une terrib<strong>le</strong> crainte. C’est « l’effetmiroir » : notre parent nous envoie l’imagede ce que nous craignons de devenirplus tard. Nous voyons en filigrane notrepropre déchéance. Ils nous confrontent ànotre impuissance. Devant nos parentsâgés dépendants, nous sommes confrontésà la peur de notre avenir, de notrepropre vieil<strong>le</strong>sse, et, inéluctab<strong>le</strong>ment, à laperspective de notre propre mort.La perte de vos repèresNotre père et notre mère portent,depuis notre naissance, une doub<strong>le</strong> symbolique; ils sont à la fois refuges et références.Le parent refuge donne la tendresseet la protection. Le parent référencereprésente l’autorité, la responsabilitéet l’appui des conseils avisés.Avec l’apparition de la dépendance,<strong>le</strong>s rô<strong>le</strong>s s’inversent : <strong>le</strong> parent protecteurdevient <strong>le</strong> protégé, <strong>le</strong> parent détenteur del’autorité est dominé, <strong>le</strong> puissant estmaintenant fragi<strong>le</strong>. L’état de dépendancede nos parents nous prive de nos repèresaffectifs et nous contraint à assumer denouvel<strong>le</strong>s responsabilités mora<strong>le</strong>s. A peinenos enfants sont-ils é<strong>le</strong>vés et autonomesque nous devons assumer à nouveau cerô<strong>le</strong> protecteur.La crainte de l’avenirIl est normal d’avoir des craintes.Crainte de ne pas en faire assez, crainteque votre parent souffre physiquement etmora<strong>le</strong>ment, crainte de l’avenir, crainted’assumer une charge trop lourde pourvous, crainte des réactions de votreconjoint ou de vos enfants…Le jeunismePendant des sièc<strong>le</strong>s, l’âge a été respectéet loué pour la sagesse et l’expérience ;on consultait <strong>le</strong>s « anciens » avant deprendre des décisions importantes.Aujourd’hui, il faut savoir surfer sur <strong>le</strong> Netsi on ne veut pas être dépassé, et <strong>le</strong>maniement d’un four programmab<strong>le</strong>demande (presque) une formation scienti-
fique bac +4. La <strong>le</strong>nteur qui préside à lavie d’une personne âgée dépendante estbien incompatib<strong>le</strong> avec cet univers hyperactif.Face à tout cela, il vous faut assumerau mieux la situation.Le besoin d’assistance de votre parentpeut durer des mois, des années.Pour tenir <strong>le</strong> coup, ne pas mettre enpéril votre santé ni votre propre vie defamil<strong>le</strong>, il est essentiel de prendre un peude recul par rapport à la situation.Entrez dans son universSelon son état de santé et son type dedépendance, votre parent vit dans unmonde à lui. Son rythme de vie se ra<strong>le</strong>ntitconsidérab<strong>le</strong>ment, à l’image de ses fonctionsvita<strong>le</strong>s. Il devient <strong>le</strong>nt alors que noussommes toujours pressés, il ressasse <strong>le</strong>passé alors que nous sommes orientésvers l’avenir : c’est à nous de l’accepter etde nous adapter. La patience est <strong>le</strong> motclé de la prise en charge d’une personneâgée dépendante.Forgez-vous une carapaceL’indifférence, <strong>le</strong>s insultes, <strong>le</strong>s gestesagressifs font parfois partie du tab<strong>le</strong>au cliniqued’une personne âgée qui souffre dedémence. Intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>ment, nous <strong>le</strong>comprenons bien, nous savons que c’estla maladie qui en est responsab<strong>le</strong> et quenotre parent n’est en rien coupab<strong>le</strong> enversnous. Mais lorsque nous sommes directementconcernés, c’est notre affectivité quiest touchée, et c’est une épreuve diffici<strong>le</strong>.On ne peut pas demander à notreparent qui a perdu une partie de sesfacultés menta<strong>le</strong>s d’agir comme s’ilétait en p<strong>le</strong>ine possession de sesmoyens.Nous devons faire notre deuil de larelation perdue et de l’espoir de guérison.L’agressivité est un moyen de défensepsychologique contre la souffrance et lapeur. Peur de souffrir, peur d’être abandonné,peur de mourir… Commentréagir ? Chacun peut trouver sa formu<strong>le</strong>pour dédramatiser : faire semblant de nepas entendre <strong>le</strong>s propos b<strong>le</strong>ssants, ne pasre<strong>le</strong>ver <strong>le</strong>s gestes vio<strong>le</strong>nts, rebondir enplaisantant… La vio<strong>le</strong>nce verba<strong>le</strong> ou physiqueest évidemment la pire des réactions.Cherchez <strong>le</strong>s aspects positifsLorsqu’on s’occupe d’une personneâgée dépendante, on peut avoir <strong>le</strong> sentimentd’un don à sens unique. Cela entraîneévidemment des frustrations. Alors,autant optimiser et chercher à définir <strong>le</strong>sagréments de cette situation.Véronique qui vient déjeuner chaquemidi avec son père paralysé confie :« Avec lui, je retrouve des plaisirs simp<strong>le</strong>set immédiats : apprécier un bon plat,admirer un ciel d’été… Je relativise beaucoup,je m’énerve moins pour des chosesqui n’en va<strong>le</strong>nt pas la peine. »Tentons de nous focaliser non pas sur<strong>le</strong>s facultés perdues, mais sur <strong>le</strong>s facultésconservées. Vivez avec intensité <strong>le</strong>s bonsmoments du présent.Ménagez-vousVos journées n’ont que 24 heures et sivous cumu<strong>le</strong>z <strong>le</strong>s fonctions, vous ne pourrezpas tout assumer. Fixez-vous des priorités.Faites des « impasses » sur <strong>le</strong>saspects matériels pour privilégier <strong>le</strong> relationnel.Par exemp<strong>le</strong> : si vous al<strong>le</strong>z passerune heure avec votre parent , restez prèsde lui pour lui par<strong>le</strong>r, l’écouter, lui tenir lamain, et tant pis si sa chambre est malrangée, et <strong>le</strong> ménage oublié.A vouloir tout faire, être irréprochab<strong>le</strong>,vous risquez votre santé. Que deviendravotre parent si vous flanchez ?Reconnaissez vos limitesLa famil<strong>le</strong> souhaite par dessus tout <strong>le</strong>bien-être de celui ou cel<strong>le</strong> qu‘el<strong>le</strong> doit protéger.Mais comment savoir si l’on faitassez, si on a choisi la bonne solution ?Il n’existe pas de barème universel.Chaque cas est particulier.Vous ne pouvez pas lui rendre la jeunesseet la santé. Mais vous pouvez, etc’est essentiel, lui apporter la sécurité et latendresse. Vous pensez que vous n’enfaites pas assez et vous vous culpabilisez ?N’oubliez pas quefatigue = énervement = impatience.Et si vous bouscu<strong>le</strong>z votre parent, sivous <strong>le</strong> placez en face de sa dépendanceen mettant l’accent sur ses faib<strong>le</strong>sses, il ensouffrira et vous vous en voudrez encoredavantage. La qualité de la présencecompte plus que la quantité. Il est bienpréférab<strong>le</strong> pour votre parent de vous voirune demi-heure souriant et disponib<strong>le</strong>que deux heures tendu et nerveux.Déchargez votre souffranceSi votre souffrance mora<strong>le</strong> vousaccab<strong>le</strong>, si vous vous sentez seul et démuniface à votre fardeau, confiez-vous,extériorisez vos sentiments négatifs. Unpsychothérapeute peut vous aider à surmontervos difficultés et à ne pas céder àl’angoisse de l’effet miroir.Rapprochez-vous d’associations ; el<strong>le</strong>svous réconforteront et vous donnerontdes informations uti<strong>le</strong>s : adresses,conseils, renseignements sur <strong>le</strong>s progrèsde la science pour la pathologie de votreparent, conférences, organisation de rencontres,échanges d’expériences, écoute,informations sur <strong>le</strong>s aides et <strong>le</strong>sdémarches à entreprendre…ConclusionGrandir, Vieillir, c’est donc à la foisgérer <strong>le</strong>s pertes auxquel<strong>le</strong>s on est confrontéet continuer de faire des projets, denourrir des espoirs… avec vous, <strong>le</strong>sfamil<strong>le</strong>s.Artic<strong>le</strong> rédigé par Linda Chéron – Formatrice <strong>AFP</strong> Formation19