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SOMMAIREÉDITORIALÉDITORIAL3 La laïcité comme utopie et nécessité — Pierre Galand,Jacqueline Herremans, Ariane Hassid, Georges LiénardLa laïcité comme utopie84 Quelles valeurs humaines et spirituelles voulons-noustransmettre à nos enfants ? — Philippe GrolletDOSSIERle bonheur est-iltoujours pour demain ?6 Le bonheur : enjeu individuel ou défi collectif ? — Éliane Deproost7 « Le bonheur n'est pas un droit mais une conquête incertaine » —Un entretien d'Isabelle Philippon avec Joëlle Hullebroeck10 Maeterlinck et le bonheur des fourmis — Michel Grodent12 Télévision, la mélodie du bonheur — Fernand Letist15 Travail ou souffrance ? La folie de l'évaluation — Isabelle Philippon16 Au bonheur des Belges — Olivier Swingedau18 « Les philosophes grecs faisaient l'éloge du loisir » — Un entretiend'Alexandra Moleskine avec Eugénie Vegleris20 Simplicité, plénitude, constance — Jean Cornilet nécessitéPIERRE GALAND, JACQUELINE HERREMANS, ARIANE HASSID, GEORGES LIÉNARDTelle était la perception que Philippe Grollet avait de la laïcité,de sa laïcité, du mouvement qui en porte le nom et se bat depuislongtemps pour sa reconnaissance, son existence et sonépanouissement, pour le bien-être de tous les citoyens.Comment résumer en une page une si longue complicité ?Au-delà du choc que représente sa brutale disparition, nousvoulons rappeler son parcours exemplaire mais non conventionnel,non conformiste, marqué par le caractère d’une personnalitéde volonté, d’idéal, de militantisme dont la précocité,la force, la vigueur de l’engagement ont permis de cristalliserles énergies, de dessiner les perspectives pour l’avenir.28est édité par le <strong>Centre</strong> d’Action <strong>Laïque</strong>,asbl et ses Régionales du Brabantwallon, de Bruxelles, Charleroi, Liège,Luxembourg, Namur et Picardie.23éditrice responsable : Éliane Deproostrédaction, administration et publicité21 BRÈVESMONDErédactrice en chef : Michèle Michiels - Secrétariat de rédaction : Amélie DogotProduction, administration et publicité : Fabienne Sergoynnedirecteur de la communication cAL : Yves Kengendocumentation : Anne Cugnon. Maquette : Grab it - impression : KliemoFondateur : Jean Schouters253122 Back to Tottenham — Pascal Martin24 Marché transatlantique : où sont les citoyens ? — Julie PernetENTRETIENS26 Djibouti, cet « immense gâchis »... — L'entretien de Jean Slooveravec Dimitri VerdonckRÉFLEXIONS28 Comité de bioéthique - Quinze ans de défis assumés —Jeanine Anne StiennonCULTURE31 Rik Wouters - Le retour de l'enfant prodige — Christian Jade32 Stoner - La détresse de l'humanité pour marque-page —Sophie Creuz33 AGENDAISSN 0775-2768Membre de l’Association des Revues Scientifiques et Culturelles (ARSC)Avec l’appui de l’Administration générale de la Recherche scientifique - Service général du pilotage du système éducatif -Ministère de la Communauté française.Conformément à la loi du 8 décembre 1992 en matière de protection de la vie privée, le <strong>Centre</strong> d’Action <strong>Laïque</strong> est maîtredu fichier d’adresses qu’il utilise. Vous pouvez obtenir auprès du CAL vos données personnelles et les faire rectifier.en couverture : © Fotolia.comabonnement :11 numérosBelgique : 20€, Étranger : 32€par virement au compte du CAL :IBAN : BE16 2100 6247 9974BIC : GEBABEBBTVA : BE (0) 409 110 069<strong>Centre</strong> d’Action <strong>Laïque</strong> :Campus de la Plaine ULB, CP 236,avenue Arnaud Fraiteur, 1050 Bruxelles.Tél : 02 627 68 68 - Fax : 02 627 68 01E-mail : espace@cal.ulb.ac.beLe magazine Espace de Libertés estdisponible dans quelques unes desbonnes librairies de la Communautéfrançaise. Cette liste est disponible surnotre site www.laicite.beIl était à la fois au cœur de l’action, comme moteur, commeinnovateur, mais également capable de s’astreindre aux tâchesingrates de la construction pratique et réglementaire de cetédifice démocratique, complexe et fragile, fait d’individualité,de susceptibilités et de passions.Nous connaissons Philippe depuis ses 18 ans et nous l’avonstoujours perçu comme un homme très engagé et passionné,portant haut et fort le flambeau de la laïcité partout où il passait.Philippe, dont l’emploi du temps n’avait rien à envier àcelui d’un ministre, n’hésitait pas à consacrer quelques minutespour se rendre disponible à ceux qui le sollicitaient.Tous ne savent pas, par ailleurs, à quel point il a joué un rôledéterminant dans le rapprochement des associations laïquesen Amérique latine. Son livre 1 , traduit en espagnol et italien,a connu un grand succès et sa notoriété a largement traversénos frontières. Nous perdons quelqu’un qui nous était trèscher.À la fois homme de l’ombre et du soleil, il n’avait pas spécialementenvie de devenir président du CAL. Il aurait sans doute préférérester à une place qui lui permettait d’agir sans être au premierrang. Homme de plusieurs vies, il adorait son métier d’avocat. Cequi faisait sa force à lui, c’était sa perception aiguë des solutionsjuridiques pratiques. Le nombre de textes, statuts et autres documentsfondamentaux qu’il a enfantés est incalculable.Quant à ses propres enfants, comment oublier le regard qu’il portaitsur eux ? Comment oublier les repas à la cité universitaireavec ce couffin sur la table ? Véritable hédoniste s’il en est, il luiarrivait d’oublier qu’il n’avait plus mangé depuis quarante-huitheures. Il a su vivre la séparation vie publique/vie privée commeil prônait la séparation des Églises et de l’État. Philippe, c’est aussiAnne-Françoise qu’il nous a fait découvrir, tout aussi active quelui et toujours si généreuse et disponible pour ses amis, la femmeaux cent mille solutions.Philippe Grollet aimait la confrontation d’idées (souvenons-nousde ses débats enflammés avec Godfried Danneels, de sa correspondancepiquante avec Éric De Beukelaer, ses diatribes surla —mauvaise— foi de Charles Delhez). « Sans liberté de blâmer,il n’est point d’éloge flatteur », écrivit Beaumarchais. Nous, sesamis, sommes émus de nous rappeler combien l’homme étaitcomme nous tous, imparfait. Nous, laïques, ne sombrerons pasdans l’apologie béate de notre cher disparu. Il ne nous l’aurait paspardonné ! Faut-il pour autant lister les divergences, si caractéristiquesdes libres penseurs, les éclats de voix, les incompréhensions,les laisser-faire ?Devant la difficulté de parler avec lui de ce qui nous aurait divisés,nous avons souvent préféré reprendre le chemin de l’amitié. EtPhilippe savait qu’il pouvait à nouveau tout nous demander. Aujourd’hui,il est allé trop loin : il ne peut exiger que nous n’ayonspas de chagrin, que nous ne regrettions pas son absence. Mais dèsdemain, nous pourrons à nouveau évoquer sa chaleur, son amitié,son engagement. Ne fut-ce que pour en perpétuer l’exemple…Il laissera beaucoup plus que des souvenirs : une construction, unoutil de défense des droits de l’homme, de la liberté. Il a dessinépour nous, pour beaucoup, un superbe espace de libertés.« Philippe a quitté la piste après m’avoir passé le témoin; il étaitresté attentif à mes premières foulées et s’est montré disponibleau fil du temps. Je garderai le souvenir d’un remarquable coachà la fois anarcho-libéral et radical libre-exaministe. » (P. G.) 1 Laïcité: utopie et nécessité,Bruxelles, Labor/Espace de Libertés,2004, coll. «Liberté j’écris ton nom».Espace de Libertésreviendra bien sûrplus longuement surl’évocation de PhilippeGrollet dans sonprochain numéro.| Espace de Libertés 401 | octobre 2011 3


Quelles valeurs humaineset spirituelles voulons-noustransmettre à nos enfants ?le bonheurest-il toujoursdossierD’où venons-nous ?Où allons-nous ?Quel sens a l’existence ?Quelles valeurs ?Comment vivre ensemble ?Peur de la mort… Peur du lendemain…Réponse: les dieux… dieux barbares… dieuxhumanistes.Mais toi Gaëlle, toi Bruno, vous ne croyez niaux fées, ni à Saint-Nicolas.Il n’y a aucune raison de croire aux dieux. Lesdieux sont comme les fées. Des réponsesimaginaires et fantaisistes à de vraies questionsfondamentales.D’où venons-nous ? L’hypothèse de dieu n’apporteaucune réponse satisfaisante et surtoutaucune réponse crédible!Vaincre la mort ? Soyons sérieux: les légendesde la résurrection et de la réincarnation sontde belles réponses poétiques.Le symbole est fort et beau. Mais confondrepoésie et réalité ne nous mènera pas loin. […]Tu es poussière et tu retourneras poussière.Dans la Bible, il n’y a pas que des vérités, loins’en faut, mais cette formule-là est très vraie!Votre grand-mère, Mamoune, était une bonnecatholique. Quand le médecin est venu l’aiderà mourir, vous étiez là. […]Elle est morte, Mamoune, et votre vieux pèremourra aussi, comme maman, comme toi…La bonne vieille terre, le système solaire et toutce qu’il contient sont eux-mêmes mortels.C’est tragique ?Pas du tout, mon fils, pas du tout!La mort n’a rien de tragique. Ce qui est tragique,c’est la dégradation, la souffrance, laperte d’autonomie, pire, la perte de dignité…En réalité, la mort donne sens à la vie, monfils!Le meilleur ? Une vie de jouissance ? Et bien oui,ma fille, prenons-la vie par ce bout-là. Parceque, pour vous comme pour moi, la douleur n’arien de rédempteur. Au contraire, la quête dubonheur et du plaisir est parfaitement légitime!Une vie pour jouir.Mais on aperçoit tout de suite que l’excès dejouissance tue la jouissance. Le plaisir tue leplaisir quand il devient psychotique.Et le plaisir égoïste présente un goût de troppeu, à moins qu’il n’écœure.Mon fils, tu sais bien…. l’amour…, je parle del’amour que tu fais, je parle du sexe, n’est jamaisaussi bon, jamais aussi beau qu’au momentoù ce plaisir est partagé… […]Mon fils, ma fille, il en est de la vie comme dusexe. C’est en partageant le plus précieux qu’onconnait les plus intenses jouissances.Évidemment, pas question de réduire la vieau sexe… J’aborde la question par ce bout-là,parce que notre civilisation judéo-chrétiennea fait un sort très injuste au plaisir et au sexe.Tu constateras, d’ailleurs, que dans la Bible, onne parle jamais que de deux types de femmes:les vierges et les putes. Et de préférence lesvierges et martyres.Si je te parle du sexe, c’est que justement il y aune place entre la morale d’eunuque que proposentcertains et la marchandisation du sexe,l’instrumentalisation du partenaire-objet.Il y a une conception libertine dans le respectde l’autre, de son identité, de ses droits, de sapersonne et de son plaisir.Après le sexe… le fric évidemment!Imagine un instant, ma fille, que tu gagnes les75 millions du tirage Euro Millions. Tu fais quoiavec cela ?Ton bonheur ? […]Comment vivre ensemble ?Tu te rappelles Mamoune ? Ce n’était pas uneconne, Mamoune ? Pourtant elle croyait en dieu,elle faisait même des prières. Elle avait unesagesse, une ouverture au monde. C’était mamère. C’est une part de vos racines.Dans le monde, il y en a plein comme ellequi croient en des tas de choses. À dieu. Larésurrection. La réincarnation. Certains sontcons, d’accord. Mais si vous ne connaissez pasd’athées cons et stupides, je vous en présenterai…Alors la question. La vraie question. N’est évidemmentpas de savoir ce qu’ils croient. On s’enfout de ce qu’ils croient. La seule question estce qu’ils sont.Ce qu’ils sont: des hommes, des femmes, desmecs, des filles, comme toi et moi. Et tout bienpesé, des hommes et des femmes qui nous ressemblent,qui sont fait du même sang, qui ontles mêmes besoins fondamentaux, les mêmesdésirs. Et ces hommes et femmes partagentavec nous, la même ville, le même pays, lamême terre.Alors du moment qu’ils croient en Jésus, enMohammed, en Bouddha ou même au diable.Rien à cirer. Essayons de faire ensemble unmonde plus humain, et ça commence ici etmaintenant. Dans ton école, dans ta boîte, danston village. Et si tu ne le fais pas par générosité,fais-le pour toi.La liberté se nourrit de la liberté des autres.Le plaisir se nourrit du plaisir des autres.Le bonheur se nourrit du bonheur des autres.Si tu ne te bouges pas pour les autres, bouge-toipour toi!Pour ta propre liberté. Ton propre plaisir. Tonpropre bonheur.pour demain ?Le bonheur : enjeu individuel ou défi collectif ? « Le bonheur n'est pas un droit mais une conquête incertaine » Maeterlinck et le bonheur des fourmis Télévision, la mélodie du bonheurTravail ou souffrance ? La folie de l'évaluationBonheur : demandezle programme !Les crises qui succèdent aux crises,un État-membre de l’UE à la limitede la faillite, notre pays jusqu’il y apeu au bord de la crise de nerfs…Que vient donc faire le bonheur dansce numéro ?C’est plutôt à son étrange absencequ’il est ici fait allusion. D’ailleurs,existe-t-il ? Certain(e)s parmi nousl’ont certainement rencontré, unefois ou l’autre, ici ou là, et tantmieux. Mais il n’y a pas de droitnaturel à en jouir, il est conquête,toute dans la ressource personnelle,la capacité de rebondir et de conquérirl’essentiel. Dans la durée, etnon pas dans le tout, tout de suite,si souvent pratiqué. Ni dans l’après,comme le font croire les religions.Pour Françoise Giroud, le bonheur,c’est « faire ce que l’on veutet vouloir ce que l’on fait ». Tout unprogramme !Michèle MichielsLa vie est brève. Tu n’en as qu’une. Il n’y arien après. Au diable les chimères.Alors cette vie, qu’en fais-tu ?Le meilleur… ou le pire ?La vie est brève. Tu n’en as qu’une. Il n’y a rienaprès. Au diable les chimères.Alors cette vie, qu’en fais-tu ?Le meilleur… ou le pire ?Philippe Grollet24 avril 2009 Au bonheur des Belges « Les philosophes grecs faisaient l'éloge du loisir » Simplicité, plénitude, constance4 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 5


dossierdossierle bonheur se vitpar moments, le plussouvent fuGaces, et n’estcertainement pas unétat permanent.autrement si la société assimile le bienêtreà la satisfaction matérielle, à la possessionde biens : il faut donc les produire,ces biens ! Dans les sociétés moins matérialistes,le rapport au temps est différent,les impératifs de productivité sont autres.Chez nous, ce qui pourrait être une bellesource de réalisation personnelle, ce quipourrait aider à trouver du sens est souventdevenu aliénant.Le bonheur est, par nature, plus compositeLe bonheur ne peut se vivre que par « instants »,dites-vous. il serait très proche, alors, du plaisir ?Pas exactement. Le plaisir est « plus simple » que le bonheur.Il renvoie à l’état du nourrisson qui crie de faim et quitrouve l’apaisement lorsqu’il est mis au sein ou au biberon.La tension monte et puis retombe. Les expériencesde plaisir sont multiples et enracinées dans l’expériencecorporelle. Le bonheur est lui de nature plus composite,davantage lié à la culture, au langage, aux sentiments, à lamémoire et aux articulations entre diverses composantes.Il s’agit plutôt d’une expérience propre à l’adulte, tandisque le plaisir, lui, est accessible à tout âge.y a-t-il moyen de vivre des moments de bonheur,malgré toutes les sources de souffrance que vousévoquiez ci-dessus ?Oui. La capacité d’éprouver du bonheur n’est pas directementliée à ce qui se passe ici et maintenant mais plutôt àune capacité de retrouvailles, un peu sur le modèle de lamadeleine de Proust. Elle est liée à l’accumulation d’expériencespositives et plus encore, à la manière dont onles a « incorporées » et à la capacité de rester en contactavec ces bonnes expériences, avec ce « bon objet interne »,comme le disait la psychanalyste britannique MélanieKlein. Nos expériences de tendresse, d’amour, de sécurité,sont des sources internes d’équilibre et de bonheur.On peut y avoir accès, y compris dans des situations de maladie,de pauvreté, de tristesse. Mais cela n’est pas donné àtout le monde ni à tout moment. Certains, cependant, sontmieux « outillés » que d’autres pour user de leur capacitéde gratitude et remercier pour les bonnes choses vécues.ceux qui sont moins bien « équipés » peuvent-ils fairel’apprentissage du bonheur ? Peut-on progresserdans cette recherche ?Il faut d’abord pouvoir prendre conscience de ses douleurs: ce n’est pas toujours simple. Ensuite, il s’agitde les identifier, les démonter, les accepter. C’est untravail généralement de longue haleine. Je dis bien un« travail », ce qui est toute autre chose qu’un « droit ». Cetravail peut être une cure psychanalytique mais aussiun autre travail thérapeutique, la méditation, le yoga,un cheminement spirituel, que sais-je. Mais ce doitêtre une évolution, un processus qui prend du temps,qui se vit à la fois dans le moment présent mais aussiavec des retours vers le passé et projections vers le futur,dans un jeu permanent de temporalités multiples.Cela n’a pas grand-chose à voir avec la satisfactionmatérielle ni avec des solutions toutes faites ou « offertescollectivement ». La société de consommationvéhicule un modèle de « bonheur » qui sert de fondationà son modèle économique. Ce message contribueaussi à la cohésion sociale. Avec tant de facteurs potentielsde désintégration, on peut aussi se demandercomment « ça tient » sans que la société sombre dansle chaos ! La religion n’intervient presque plus pourcalmer les angoisses ni apaiser la violence : il a falluinventer d’autres messages.n’était-il pas plus simple d’être heureux avant, alorsque la religion calmait les angoisses existentielles et© Diego Cervo/Fotolia.comdonnait du sens, et que les liens sociaux et familiauxétaient beaucoup plus serrés qu’aujourd’hui ?La religion apportait des réponses toutes faites, que l’onétait tenu d’accepter telles quelles. En se contentant depromesses de bonheur et de récompenses ultérieures, onéchappait au monde réel, au sens critique. Les liens sociauxétaient peut-être plus « soutenants » qu’aujourd’hui.Mais, en contrepartie, la liberté et les potentialités individuellesétaient davantage bridées. Prenons l’exemplede la création —littéraire, artistique, scientifique— desfemmes : jusqu’au XIX e , voire jusqu’au début du XX e siècle,elle n’a été le fait que de femmes exceptionnelles, fort peunombreuses. Toutes les contraintes, socioéconomiques etpsychiques, qui pesaient sur les femmes ne leur laissaientpas l’accès à la création. Ce potentiel de bonheur qu’offrela créativité leur était barré et l’est beaucoup moins aujourd’hui.Les potentialités de développement individuelsont multipliées, d’où aussi davantage de choix, d’incertitudes,de défis à surmonter. La société permet la créativité: c’est relativement nouveau et c’est magnifique. Oui,il est possible qu’on se suicidait sans doute moins avant.Mais le suicide ne me semble pas le meilleur paramètrepour mesurer le taux de malheur. Le suicide peut parfoisêtre une forme de réappropriation de soi, une forme deresponsabilisation. Je dirais aussi qu’il ne faut pas idéaliserle passé : avant, il y avait aussi beaucoup de souffranceset de malheur, mais cela restait peut-être davantage nonditau niveau collectif. La vie psychique était « réprimée »;aujourd’hui, les souffrances sont plus conscientes, et verbalisées: nous avons davantage la capacité de les dire,donc aussi de nous rebeller contre elles.conquérir et accepterLa « psychologisation » de nos maux n’a-t-elle pas,finalement, remplacé la religion ?Contrairement à la religion, le travail thérapeutique biencompris n’apporte pas de réponses : « La psychanalysen’est pas une vision du monde », a dit Freud. On est dansle questionnement permanent, dans un processus individuel,qui prend des formes très différentes d’une personneà l’autre. Cela dit, certaines formes de thérapieBonheur, j’écris ton nomactuelles qui prétendent apporter une réponse globale,de l’extérieur peuvent constituer une nouvelle formed’embrigadement. Elles tendent à simplifier la complexitéde l’être, à le réduire à ses symptômes. La pratiquepsychanalytique ou psychothérapeutique respectueuseest opposée à cela : elle vise à permettre à chacun de seréapproprier sa complexité et à trouver son propre cheminvers un mieux-être.on peut donc passer sa vie à chercher le bonheur...… et à ne pas le trouver. Car nous n’avons, je le répète,aucun « droit » en cette matière. Nous pouvons conquérirbeaucoup de choses, nous devons aussi en accepterd’autres. Nulle part n’est inscrit un « droit » à être comblématériellement, à avoir un boulot épanouissant, à avoirtout le loisir de prendre du bon temps età disposer de tout le bonheur possible.La vie reste une lutte, attrapée dans lesfilets de l’incertitude. Or on nous fait la reliGionsouvent croire qu’on peut « tout » avoir, le n’intervient presquebeurre et l’argent du beurre. On peut être plus pour calmer lestenté de vouloir toujours plus, de protestersans cesse, de revendiquer inlassa-anGoisses ni apaiserla violence : il a fallublement, de se mettre en position de victime.L’existence tient plutôt à apprendreinventer d’autresmessaGes.à appréhender la réalité telle qu’elle est,la calibrer le mieux possible, et partir àla conquête de ce qui nous paraît essentiel.Il faut à la fois conquérir et accepter.Accepter est un acte «actif», positif. On l’oublie trop souvent.Mais tout cela prend du temps, est le fruit d’unelente maturation, alors que la société actuelle pousse àla vitesse. La longue durée est inhérente à l’expériencehumaine : on n’en fera pas l’économie. De la naissance àla vieillesse, la vie n’est pas seulement brève, comme ona coutume de le dire, elle est aussi très longue : par quelmiracle des solutions brusques, rapides, préformatées,extérieures à soi pourraient-elles marcher ? On a beau yaspirer, on n’y arrivera pas de la sorte. Accepter la douleurcomme inhérente à l’existence et ne pas croire queles autres en sont exempts : tel est, je crois, un premierpas vers la recherche du bonheur. Et ce n’est pas le plusfacile... T out le monde veut être heureux. À partir de cette affirmation qui, en apparence, tombe sous le sens, Freddy De Greef a voulu menerune large enquête philosophique. Son sujet: ce bonheur dont tout le monde parle, de tout temps, dans toutes les cultures.Freddy De Greef, Méditations sur le bonheur, Bruxelles, Espace de Libertés, 2008, 124 pages, coll. «Liberté j’écris ton nom».En vente au prix promotionnel de 8 euros(au lieu de 10 euros) jusqu’au 31/10/2011En vente au Point Info Laïcité ou par virement au compte du CAL (IBAN BE16 2100 6247 9974, BIC GEBABBEB) en indiquant«bonheur» dans la communication (frais de port offerts).Point Info Laïcité: Rue de la Croix de fer, 60-62 à 1000 Bruxelles – tél. 02 201 63 70 point.info@laicite.netÉditions Espace de Libertés: tél. 02 627 68 60 – editions@laicite.net8 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 9


dossierdossierIl y a cent ans, il recevait le prix nobel de littÉrature© Blue eye/ Fotolia.comMaeterlinck etle bonheur des fourmisMichel GrodentD’une pierre deux coups. Pourquoi pas une réflexion sur lebonheur à partir d’un symbole multipolaire ? Maeterlinck,l’unique Nobel de littérature dont la Belgique ait pu seglorifier au cours de son histoire. Justement, c’est le 9 novembreque l’on célébrera le centenaire du couronnementinternational de l’écrivain. Occasion d’aborder autrement—philosophiquement— une œuvre qui, sans doute, n’estplus très populaire, même si elle compte, dans les milieuxuniversitaires, pas mal de fervents défenseurs.Maeterlinck et le bonheur : ce qui donne le ton, c’estd’abord l’épilogue de La Vie des fourmis, troisième volet dela célèbre trilogie consacrée aux insectes. Nous sommesen 1930. Maeterlinck a 68 ans. « Voilà donc, à peu près,l’essentiel de la vie des fourmis, écrit-il, incontestablementsupérieure à celle des abeilles, qui est extrêmement précaire,asservie, surmenée, de petite santé et somme toutetrès brève, comme à celle des termites,féroce, incarcérée, furtive, barbare,impitoyable. » La suite embraiesur la comparaison entre la vie de lafourmi et celle de l’être humain : « Àmoins que des découvertes ou des révélations[…] n’améliorent et ne transformentsingulièrement nos âmes etnos corps; et sans tenir compte d’unesurvie de plus en plus incertaine et depromesses d’outre-tombe qui depuis des milliers d’annéesn’ont pas été tenues, je crois que la fourmi est bien moinsmalheureuse que le plus heureux d’entre nous. »Éloge de la fourmilièreLa phrase que je souligne est parfaitement explicitée.Une fois dépassée l’épreuve terrible de sa fondation, lasociété des fourmis, observe Maeterlinck, persévèredans son être, elle est conforme à son destin, elle obéità son programme génétique. Ah ! La santé, la vitalité,l’énergie, la puissance de la fourmi, s’extasie le poèteentomologiste : « Une fourmi décapitée continue de vivredurant une vingtaine de jours et jusqu’au dernier momentse tient sur ses pattes. Son corps, renfermé dans unecoque plus résistante que nos plus épaisses cuirasses,possède des entrailles et des viscères fibreux et les fonc-Je crois que lafourmi est bien moinsmalheureuse quele plus heureuxd’entre nous.tions digestives —notre abominable tare—, y sont à telpoint réduites et si parfaites qu’elles ne laissent presquepas de déchets. »Que de nostalgies derrière de tels propos, la nostalgiede la pureté s’associant à la nostalgie de l’unité perdue !Maeterlinck creuse son sillon, il tient à son utopie. Sanscraindre le moins du monde de projeter sur les fourmisses propres états d’âme, il développe jusqu’au boutson éloge de la fourmilière. Pensez donc, il n’y a pas deguerre civile à redouter dans une société aussi fraternelle: « Normalement, on n’a jamais vu deux fourmis d’unemême république se battre entre elles, se quereller, oublierleur patience, leur aménité. » C’est que Dame Fourmiest parfaitement appropriée à l’ordre qu’elle a bâti.« Chez nous, le bonheur est surtout négatif et passif et nese fait guère sentir que par l’absence de maux; chez elle, ilest avant tout positif et actif et sembleappartenir à une planète privilégiée.Physiquement, organiquement, ellene peut être heureuse qu’en faisantautour d’elle des heureux. »Grand lecteur et grand traducteurde Ruysbroeck et de Novalis, Maeterlinckfranchira un nouveau paslorsqu’il soulignera la nature « profondémentmystique » de la fourmi « qui n’existe que pourson Dieu et n’imagine pas qu’il puisse y avoir d’autre bonheur,d’autre raison de vivre que de le servir, de s’oublier,de se perdre en lui ». Comprenons bien que si la fourmimérite tant de louanges, c’est à son « totémisme » qu’ellele doit, à sa soumission à « l’âme collective de la tribu ». Lafourmi dans cette perspective, c’est un avatar inconscientde l’homme primitif : « L’homme primitif avait l’espritde son clan. À la place de celui-ci, nous n’avons plus quequelques fantômes évanescents qui bientôt disparaîtrontà leur tour. Il ne nous restera que notre existence d’uneheure et nous nous sentirons de plus en plus isolés, demoins en moins défendus contre la mort. »Le tribalisme comme solution au mal-être de l’individuabsurde, clos sur lui-même et sur son sentiment d’inutilité? Comme d’autres intellectuels de l’époque, Maeterlinckserait à deux doigts de se laisser séduire, si le scep-Maurice Maeterlinck (1862-1949) - Portrait par Gianni Dagli Orti (1931).ticisme qui le ronge ne gagnait finalement la partie contreles tentations du totalitarisme : « À l’immortalité collective,nous avons préféré l’immortalité individuelle. Mais nouscommençons à douter qu’elle soit possible et, en attendant,nous avons perdu le sentiment de la première. Le retrouverons-nous? Le socialisme et le communisme vers lesquelsnous allons marquent une étape dans ce sens. Mais dépourvusde l’organe nécessaire, pourrons-nous nous y arrêter ety prospérer ? » En l’homme, autrement dit, il y a un vice deforme : nous ne sommes pas, comme les fourmis, « physiquementet irrésistiblement altruistes ». Sachant l’impossibilitépour l’homme de se perdre corps et âme dansl’esprit de la fourmilière, Maeterlinck rêve de pouvoir serésoudre à une autre forme d’immortalité, « cosmique »celle-là, mais il n’y croit pas trop.En dehors et au-dedans des chosesLe centre de gravité du texte demeure d’un bout à l’autrele mystère de la pensée. Cette pensée qui nous distingue,d’où vient-elle ? Son mode de fonctionnement estsans nul doute ce qui la rend… impensable ! « L’idée quijuge et condamne peut-elle être formée de ce qu’elle jugeet condamne ? », se demande l’écrivain qui aurait pu poserla question en d’autres termes : « Comment se fait-il quenous soyons en dehors des choses tout en étant dedans ? »Question insoluble et tellement irritante ! Au moins peutontenter de l’adoucir en s’abandonnant à cette droguementale que constitue la pensée analogique : Maeterlincks’y était employé, quelque trente ans auparavant, dansle premier volet de sa trilogie, La Vie des abeilles. AnneNeuschäfer a montré qu’il y empruntait la même voie que© Gianni Dagli Orti/The Picture Desk/AFPl’Allemand Dilthey, philosophe interdisciplinaire de la viequi intégrait l’imaginaire poétique dans sa réflexion 1 .Il s’agissait déjà de ne pas se laisser enfermer entre lesmurs de la raison, de parier sur le vitalisme ou sur l’animismeet de s’identifier en finale à l’Âme du monde : « Lemoi créateur, explique Anne Neuschäfer, rentre lui-même,grâce à l’observation aimante, dans le mouvement de la vie,il consent à sa propre transformation et se libère vers unacte idéalement infini de création dans l’écriture qui, elle,entre en harmonie avec le Cosmos. » Cet unanimisme ena captivé plus d’un, symboliste ou surréaliste, et ce seraitfaire un méchant procès à Maeterlinck que de l’accuserde plagiat. Sur le site web de l’encyclopédie libre Wikipedia,le ou les rédacteurs anonymes n’hésitent pas à souleverle problème que pose encore et toujours le deuxièmevolet de la trilogie, La Vie des termites, paru en 1926 : « LaVie des termites est un plagiat éclatant du livre Die Siel vandie Mier (L’Âme du fourmis [sic],1925), écrit par EugèneMarais. Marais entreprit de poursuivre Maeterlinck devantles tribunaux mais renonça en cours de procédures, incapabled’assumer le coût financier et physiquement ravagépar la morphine. »Outre le fait que Marais, poète et naturaliste, visait belet bien les termites dans son ouvrage (soit les fourmisblanches d’Afrique du Sud), il n’est pas si facile, si rassurant,de conclure à un plagiat pur et simple de cet ouvragepar Maeterlinck. Archéologue et primatologue, David VanReybrouck en sait quelque chose. Avec la patience et laminutie d’un Sherlock Holmes, il a mené l’enquête. ÀGand, il a fouillé les archives du prix Nobel. Il s’est retrouvéau Cap et à Pretoria sur les traces de Marais. Le livrequ’il a tiré de ses tribulations diverses est passionnantd’un bout à l’autre, et d’une grande lucidité : l’enquêteurne cesse de s’interroger sur ses propres motivations etcherche ainsi, me semble-t-il, à tempérer par l’auto-ironieles jugements parfois peu flatteurs qu’il se sent obligéde porter sur Maeterlinck 2 . Le jeu consistait à passer d’unécrivain à l’autre, non sans faire état de leurs drames personnels,perte d’inspiration chez l’un, addiction à la droguechez l’autre.L’heureux auteur, en 1889, de La Princesse Maleine,saluée comme un chef d’œuvre par Octave Mirbeau,avait, semble-t-il, au fil des années, perdu beaucoupde la confiance qu’il plaçait en son génie. Qu’est-ce quil’amena, après 1920, à se passionner pour les termites ?,s’interroge Van Reybrouck 3 . « Cri du cœur d’un homme enplein doute existentiel » ou « besoin d’argent » ? Je ne puisme résoudre à terminer mon article sur Maeterlinck et lebonheur sans citer ce fragment de lettre adressée à uneconsœur : « Tu ne feras jamais rien, parce que tu prétendsêtre vraie, être exactement toi-même. Il faut te créer undouble, c’est plus urgent qu’un style. Tu es sérieuse commeun âne et tu as l’obsession de l’authenticité. Crée ton doubleinsouciant et menteur, alors il t’aidera. » 1 Voir à ce sujet Anne Neuschäfer,« Quelques remarques à propos deMaurice Maeterlinck : La Vie desabeilles », dans Marc Quaghebeur(éd.), Présence/Absence de MauriceMaeterlinck, colloque de Cerisy, 2-9septembre 2000, Bruxelles, A.M.L./Labor, 2002, pp. 240 à 249.2 David Van Reybrouck, Le Fléau, récittraduit du néerlandais (Belgique)par Pierre-Marie Finkelstein, Arles,Actes Sud, 2008.3 À en juger d’après les œuvres quiparaissent entre 1919 et 1925, jene suis pas sûr que l’on puisse direcomme lui : « Depuis 1920, il semblaits’être réfugié pour toujoursdans un silence mystique. »10 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 11


dossierdossierTravail ou souffrance ?La folie de l’évaluationIsabelle philipponRendez-vous en terre inconnue : des rencontres souvent heureuses, y compris avec le public.lèbre que celle de... passer à la télé !) comme Secret Story,Carré VIIIP et autres niaiseries abyssales. La clé du succès :la manipulation des émotions et la mise en scène de leursbonheurs et leurs malheurs. Malgré ce que la télévisionessaie de nous faire croire, le bonheur n’est évidemmentpas dans ce pré-là.La vraie question est finalement : la télévision est-elle unlieu propice à l’épanouissement et la prospérité de tout unchacun ? La réponse est naturellement : non. Au contraire,les plus alarmistes vous diront même qu’une récente enquêteaustralienne affirme que consommer la télévisiondes heures durant diminue fortement l’espérance de vie...Autant le savoir. En revanche, une autre étude, britanniquecelle-là, prétend que c’est la radio qui rendrait vraimentheureux ses auditeurs. Ce média stimulerait l’humeur deses auditeurs de 100% et doperait leur niveau d’énergie de300% par rapport aux moments où ils ne consommeraientpas de médias. Conclusion : écouter la radio doublerait le« niveau de bonheur » par rapport à regarder la télévisionet donnerait quatre fois plus d’énergie. L’étude démontreaussi que, ainsi disposé, le public radio serait aussi plusréceptif à la publicité...Restons zenPour en revenir à la télévision, il se trouve encore heureusement(c’est le cas de le dire), quelques programmes quiont une âme, capables de créer de vraies émotions artistiques,intellectuelles et humaines. Pour cela, le champtélévisuel est vaste, de la fiction au documentaire en passantpar les magazines et même certains divertissements.Mais l’offre est si mal agencée dans ses horaires et sa visibilitéqu’on a plus souvent la zappette qui nous tombe desmains. Un prime time débile, suivi par des millions de téléspectateursofferts en pâture à la publicité sera toujoursprivilégié contre un documentaire passionnant de hautevolée. En télé, pour trouver son bonheur, il faut le chercherà travers un tri sélectif. Parfois sur des chaînes thématiquesplutôt ghetto. Et si vous perdez patience, n’hésitezpas à aller vous calmer et vous ressourcer sur ZenTV etses programmes relaxants !Il se trouve enfin aussi quelques rares professionnels dela télé vraiment soucieux du bonheur de leurs contemporains.Artisans de programmes de qualité mais aussià l’écoute de ce que certains hommes ont à apprendre àd’autres hommes. Une transmission d’expériences pournous montrer certaines voies vers un mieux-être.Déjà animateur-producteur du magazine Alors, heureux ?au début des années 2000, Frédéric Lopez se propose dèsnovembre de, ni plus ni moins, nous révéler Les secretsdu bonheur sur France 2. Le créateur des Rendez-vous enterre inconnue donnera dans ce nouveau magazine mensuella parole à des anonymes. Ceux-ci viendront partagerleurs expériences de vie et expliquer quels choix ils ont unjour posés pour devenir des gens plus heureux. L’émissiondévoilera aussi les dernières découvertes scientifiquessur les processus qui mènent chaque être humain à êtreheureux ou malheureux. Lopez recevra comme premierinvité principal le professeur Tal Ben Shahar qui enseignela science du bonheur à Harvard. Il y a fort à parier que niles anonymes ni le gourou du bien-être ne mentionnerontla télévision au palmarès de ces Secrets du bonheur. © Reporters« Du col blanc au bleu de travail, c’est toujours la même bataille.Travailler pour qui, pour quoi, pour quel résultat, pourquelle vie tu crois ? Je n’en peux plus de cette vie-là. Je craqueraiavant la fin du mois. » Chiens de paille, une chanson deMiossec, évoque la souffrance des salariés. Une souffrancede plus en plus répandue, de mieux en mieux identifiée parles psychologues, les psychothérapeutes, les médecins dutravail, les ergonomes. En cause ? Les « petits chefs » pervers,adeptes du harcèlement moral. Mais pas seulement.Pour la philosophe Avital Ronell, la « folie de l’évaluation » yest également pour beaucoup. Dans son livre, Test Drive 1 ,cette militante féministe, professeur à l’Université de NewYork, fustige la conception comptable de l’activité professionnelle,qui n’est certainement pas, à ses yeux, la façonjuste et appropriée de vérifier la compétence et l’ardeur autravail des salariés. Et qui, mettant tout et tous à l’épreuve,Ne pas réduire l'être à du calculable...engendre des souffrances parfois immenses. La passionde l’épreuve, de l’évaluation, de la vérification et du contrôlequantitatif, dit-elle en substance, réduit l’ensemble del’être à du calculable. Les subtilités, les nuances, les singularités,l’intuition, la valeur humaine, le savoir-vivre ensemble,n’y trouvent aucune place. Aucune opacité n’esttolérée, tout est soumis à l’impératif du décompte chiffré.La folie de l’évaluation traduit un rapport fondamental aumonde : elle implique que tout est connaissable, calculable,programmable. Nous risquons de devenir tous desbêtes de concours, sans espoir et sans joie.Des bêtes de concours alignées dans des open spaces, oùtout le monde travaille avec tout le monde, sans cloisons,sans bureau, voire —c’est le must— sans place attribuée.Plus question d’accrocher des photos des siens près deson poste de travail, ceux-ci étant devenus interchangeables: le premier arrivé s’installe où bon lui semble,les suivants branchent leur ordinateur là où ils le peuvent.Tous sont visibles, plus question de s’isoler. Question de« compétitivité », paraît-il. De « résultats ». Ou plutôt, estimele psychiatre français Christophe Dejours, spécialiste de lasouffrance au travail, un outil de management qui entraînela négation de la subjectivité menant à une concurrencegénéralisée entre les travailleurs, entraînant la destructiondes solidarités, de l’identité au travail et partant, de« l’armature de la santé mentale » 2 . Le bilan ? Dramatiquesur le plan humain, comme nous le prouve l’augmentationdes suicides sur le lieude travail, des dépressions,des burn-out, de l’usage desmédicaments et des toxicomanies.Le corollaire de cesopen spaces est, bien sûr,nous y revoilà, le contrôle etl’évaluation. Pour Dejours,les grandes causes de lasouffrance au travail sontle manque d’autonomie, lemanque de reconnaissance,la peur et la dominationsymbolique (pression psychiquequi pèse sur les capacitésde discernement).La philosophe italienne MichelaMarzano, quant à elle,dénonce les pièges de l’autoasservissementpesant surles salariés en quête d’autonomie,de responsabilité etd’épanouissement 3 . L’envie de se réaliser au travail seraitun appât dangereux, par lequel les managers s’assureraientla docilité de leurs employés, vus comme une masse de fidèlespartageant la même foi dans le credo de l’entreprise.La meilleure façon d’exercer une pression sur les « résultats» qui, on s’en doute, peut facilement se retourner contrele travailleur : dans pareille configuration, le droit à l’échecn’existe plus, parce qu’il signifie l’échec de la personne toutentière. Le salarié sera jugé sur son savoir, son savoir-faireet son savoir-être, autrement dit sur son âme. Bonjour lestress et la névrose... 1 Avital Ronell, Test Drive. La passionde l’épreuve, Paris, Stock, 2009,350 p., coll. « L’autre pensée ».2 Christophe Dejours (dir.), Conjurerla violence. Travail, violence et santé,Paris, Payot, 2007, 320 p., coll. « EssaisPayot ».3 Michela Marzano, Extension dudomaine de la manipulation. De l’entrepriseà la vie privée, Paris, Grasset,2008, 288 p., coll. « Documentsfrançais ».14 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 15


dossierdossier« Je suis ici pour faire le bonheur des Belges. » (Yves Leterme, Premier ministre, janvier 2008)Au bonheur des BelgesOlivier SwingedauLe bonheur, c’est combien ? Dans la société consumériste,tout s’achète et tout se vend, y compris les sentimentssubjectifs. Les Belges sont de bons acheteurs.Le bonheur... Il a inspiré de magnifiques pages, poèmes,essais… et des dissertations, médiocres pour la plupart,par millions. Le sujet typique du bac. Le bonheur faitbâiller !Le bonheur à la belge est empreint de simplicité et d’espritbon vivant. Pour le Belge moyen, le bonheur est beau,bon et simple, et toutes les voies de l’honnête homme sontbonnes à exploiter pour, sans arrêt, s’en approcher. Car lebonheur est affaire d’instant...Un nom vient à l’esprit, celui de Charles Fourier. Un desrares utopistes, avec Joseph Déjacque et Ernest Cœurderoy,au XIX e siècle, à proposer une réinvention totale de lasociété et de la morale à la lumière des désirs individuelset collectifs déchaînés garantissant à chacun le ré-enchantementde sa propre vie, « tel que cela me plaira ». Fourier aédité un ouvrage qui a marqué l’histoire : Le nouveau mondeamoureux. Il nous indique la voie vers un bonheur parfait.Celui de vivre dans une société révolutionnaire et féeriqueoù chacun participe de façon ludique à la réalisation© Andrzej Tokarski/Fotolia.comcréative de ses désirs et fantasmes. Un bonheur libre, carCharles Fourier ne veut pas imposer le bonheur, mais enproposer un mode d’emploi, méthodique, de constructionau sein d’une société de la jouissance immodérée, où chacunpeut s’accomplir dans les moindres nuances, et sansla moindre limite d’aucune sorte. Ses classifications, souventabsconses, le firent traiter de misérable anarchiste.Alors, reste-t-il beaucoup de fouriéristes en Belgique ? Onpeut en douter...Du thème philosophique au produit de marchéPlus de cent ans après, on est loin de ces sourires sympathiquesmais un peu niais à l’avenir, et le bonheur desBelges est devenu denrée périssable. Il est davantageconsidéré par le pôle négatif, l’absence de bonheur, ou lebonheur médiocre. En tout cas, il est quantifié. Le 23 maidernier à Bruxelles —leur capitale mondiale—, les technocratesont passé la vitesse supérieure et ont sans vergogneinitié un congrès : « The Happiness Budget ». Ou commentl’économie et la politique peuvent contribuer à évaluer etcommenter le bonheur. L’éminent (?) économiste anglaisRichard Layard était à l’origine de cet event qui rendit extatiquestous les chargés de com’. Il tenta d’y quantifier ceconcept de bonheur brut si à la mode actuellement.Layard est l’auteur d’un essai très intéressant, mais effroyablementidéologique, typiquement anglo-saxon, paru l’anpassé et intitulé Happiness. Lessons from a New Science.Layard y fustige, à juste titre, l’envie comme principal obstacleau bonheur. Pour étayer sa conviction, il est parti d’unconstat simple : alors que le pouvoir économique du citoyendes pays développés n’a pas cessé d’augmenter depuis lesannées 50, les indices de satisfaction indiquent une légèrerégression. Layard pointe des actions, politiques et économiques,qui seraient capables de faire grimper la coted’indice de bonheur. Et nous voilà à nouveau plongés dansles remugles de la Bourse !S’il est intéressant qu’un économiste s’intéresse auconcept de bonheur, Layard ne remet jamais en questionla croyance, qui tient de la pensée magique, selonlaquelle les économistes et les politiciens n’auraientrien d’autre à faire que rechercher le bonheur des gens.À la lumière des incessantes turpitudes boursières, ilnous paraît à tous assez douteux que le bonheur soitl’objectif principal et unique des amis dévoués de notreargent. L’éconoclaste Alexandre Delaigue écrit d’ailleursque « faire du bonheur le principe déterminant de nos sociétés,c’est devoir renoncer à certaines valeurs (la liberté,le mérite, l’égalité…) auxquelles nous tenons ». Il évoque,chez Layard, des pulsions réactionnaires : « Si l’on suitLayard à la lettre, c’est toute forme de promotion socialequi est condamnable. Ce que Layard appelle la course desrats, nous l’appelons ordinairement l’ascenseur social, lapromotion au mérite : l’idée, qui n’est pas transcendantemais pas non plus haïssable, selon laquelle les gens peuvents’élever dans la société par le travail et le mérite. »L’argent ne fait pas le bonheur, il l’achète !On connaît l’antienne, qu’on n’aura pas la vulgarité decommenter. Il est évident que notre croissance économique,l’inflation, le taux d’emploi et de chômage sont desvariables macroéconomiques majeures en ce qu’elles représententnotre prospérité, notre pouvoir d’achat et surtout,la possibilité pour les gens « de pouvoir » ou non, des’adonner à des activités qui contribuent à leur bonheur.Toutes sont donc directement liées à cette notion si flouede « bonheur ».De là à affirmer que l’économiste est en mesure de détermineren quoi nous, Belges, serions « plus heureux » qued’autres et pourquoi, en général, certaines personnes seraientplus heureuses que d’autres, frise le délire de supérioritéet la prétention la plus absurde !Le bonheur des Belges est étroitement lié à l’équilibre, autravail, à la famille, à la santé physique et mentale... Pasbesoin d’économiste pour égrener les lieux communs,fussent-ils vrais. Et il est certain que le manque, surtoutchronique, d’argent ne rend en général pas heureux, n’endéplaise à nos compatriotes moines, sœurs et croisés dela « dé-consommation ». Le chômage constitue une sourceimportante de mal-être.La notion d’envie est, également, en pivot ici. Mais on lalaissera plus volontiers à un bon essayiste, voire un philosopheun peu généraliste et habile à éviter les lieux communs,qu’à un économiste, aussi bien habillé soit-il. Onrelira par exemple le très politiquement incorrect Gilles Lipovetskypour cette relation décomplexée au bonheur paraccumulation de biens matériels, quoi qu’il fut à l’époqueviolemment pourfendu par la critique pour cette trahisondu concept obligatoire de bonheur éthéré basé sur la joieinfinie de ne rien posséder du tout.Alors, et tout naturellement, on peut se demander si nous,Belges, sommes : davantage ? moins ? également ? douésen bonheur ( !). Une World Database of Happiness qui ferasourire les statisticiens a ainsi établi que « nos » chiffressont bons. Nous, les Belges, nous sommes bons en bonheur.Enfin, pour ceux qui aiment le déclaratif, tant appréciédans le marketing (« Vous êtes heureux ? - Euh, oui, biensûr, totalement ! »).La database avait construit sa dialectique sur la base (vaguementatterrante) de quatre questions/réponses banales...et considérées comme possibles : nous, Belges,nous sentons-nous « très heureux », « plutôt heureux »,« pas heureux » ou... « pas du tout heureux ». Quatre itemsmis en relation avec la santé, le travail, l’argent et le sentimentde liberté en déterminants. Les scientifiques apprécieront!La croissance du PIB permet-elle, seule, de mesurer notrebien-être ? Existe-t-il d’autres indicateurs moins « bateau »et plus pointus ? Au gré des médias, les indicateurs qualifiésd’« alternatifs » voguent, du plus vague au plus loufoque.On a encore vu récemment le documentaire belgeLe bonheur brut consacré à des indicateurs alternatifs decroissance économique. L’étonnante campagne de marketingdu Bhoutan et son « bonheur national brut » y était présentée,à côté d’interventions d’un secrétaire d’État belgeau budget, un économiste etc. Un outil communicationneltrès bien fait, utilisé en classe à des fins pédagogiques,même si un peu « court » intellectuellement parlant. Uneflopée de Bekende Belgen y livrent leur petite recette perso: José Van Dam, Albert Frère, Eddy Merckx, ChristineOckrent, Justine Henin, feu Sœur Emmanuelle, Dirk Frimout...Ils sont tous là.On sourit ou on s’agace des clichés tour à tour filosofen,humoristiques, sensuels ou poétiques, de ces personnesqui, effectivement, cumulent un haut potentielde bonheur, restant éloigné de celui d’un mineur du Borinageou d’un travailleur en usine de La Louvière (s’ilen subsiste encore). Ceux-là pourront toujours attendre,telle l’artiste Miss Tic, qui exposait l’an dernier à la FondationCartier : Soyons heureux en attendant le bonheur.C’est toujours ça !La Belgique dans le top 20Depuis les débuts du baromètre du bonheur, en 1973, lesentiment de bonheur a progressé dans la plupart despays occidentaux. Avec une moyenne de 7,3 sur 10, la Belgiquefait certes moins bien que le Danemark (8,3) maisdemeure dans le top 20. Les chiffres 2011 semblent cependanten forte régression, comme partout en Europe.Injustices flagrantes et toujours plus accentuées, pouvoird’achat en berne et bénéfices monstrueux de la spéculationobligent...Méfions-nous, bien évidemment, du caractère un peu tropaffirmatif de ce genre de sondage bon marché, réalisé pardes aventuriers de la com’ et destiné à la presse populaire.L’être humain a cette tendance, assez naturelle au fond,à magnifier chez lui cette denrée rare qu’est le bonheur,ne serait-ce que pour donner l’impression au voisin, à labelle-mère ou à son collègue direct qu’il est « clairement »plus heureux qu’eux. Quitte, un peu plus tard, à absorberquelques pilules bleues, vertes, ou surtout... roses. Sourcesl Les passionnants articles del’économiste Alexandre Delaiguesont sur http ://owni.fr/author/alexandredelaigueeconoclastesl Le bonheur brut, webdocumentaired’Arnaud Grégoire, MatthieuSafatly et Kenneth Rawlinson, surhttp ://blog.lesoir.be, 2010.l Gilles Lipovetsky, Le bonheurparadoxal. Essai sur la sociétéd’hyperconsommation, Paris, Gallimard,2006.16 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 17


dossierdossierUn entretien D'Alexandra Moleskine avec Eugénie Vegleris« Les philosophes grecsfaisaient l’éloge du loisir »Eugénie Vegleris fait partie de ceux qui ont introduit la philosophie en entreprise en France. Elleanime des formations sous la forme d’atelier et propose des consultations individuelles. Eugénieaime son métier. Mais le travail, nous dit-elle, n’est pas la source du bonheur.Les jeunes ne s'attachent pas trop à une entreprise et n'hésitent pas à changer d'emploi.© Sindy/Fotolia.comhttp ://www.eugenie-vegleris.comEspace de Libertés : Il y a dix-sept ans, vous avez démissionnéde l’éducation française pour lancer votre cabinetde philosophie. Que s’est-il passé ?Eugénie Vegleris : Je suis d’origine grecque. Mes parentsétaient réfugiés politiques et il fallait que j’assurel’avenir de la famille. Après l’agrégation, je me suis lancéedans l’enseignement. Par nécessité plus que parvocation. D’abord en classe terminale. Ce que j’ai énormémentaimé. Puis j’ai fait mes vacations à l’université.À 40 ans, j’ai été prise d’une sorte de vertige en pensantque j’allais passer la deuxième partie de ma vie à faire lamême chose. D’autant plus que la bureaucratie devenaitde plus en plus lourde. J’ai tout plaqué sans savoir ce quej’allais faire. En 1992, j’ai découvert la consultation philosophiqueen Allemagne et j’ai décidéd’ouvrir un cabinet.À l’époque, vous avez essuyé denombreuses critiques de la partde vos pairs. On vous reprochaitd’exercer la philosophie comme uneprofession libérale…Presque tous m’ont rejetée. On mereprochait de gagner de l’argent.J’avais beau rétorquer que je ne gagnais pas mal ma vieavant comme agrégée pour donner 14 heures de cours parsemaine, c’est comme si l’argent des fonctionnaires del’éducation n’était pas pris sur les impôts des personneset des entreprises !Quelle est la différence entre votre travail et celui d’uncoach ?Le coach poursuit une démarche de développement personneldans un but de performance. Il s’inscrit dans uncontrat tripartite avec l’entreprise et ses employés. Entant que philosophe, je n’ai pas d’obligation de résultat. Etje ne vise pas le mieux-être, mais la liberté. Que l’individuprenne conscience de sa capacité de penser et choisir librement.Dans notre sociétéoccidentale, le travailest soudain devenu lelieu où on est censés’épanouir.N’est-ce pas un peu risqué pour l’entreprise ?La liberté ne s’accompagne pas forcément de la rébellion.L’expérience m’a montré que gens sont plus raisonnablesqu’on le croit (rire) !Existe-t-il une déontologie du consultant-philosophe ?Oui, il faut éviter de considérer un client comme un marché.Il ne faut pas hésiter à rompre quand on est en désaccordavec les valeurs d’un client ou si celui-ci veut nous instrumentaliser.Certains patrons peuvent vouloir faire venir unphilosophe pour prononcer un beau discours et légitimerleurs décisions.Concrètement, comment se dérouleune consultation ?En général, les gens viennent avecune demande de type entreprise. Parexemple : quelle est ma valeur ajoutée? La réponse du philosophe à cettequestion, tout d’abord, c’est que celane l’intéresse pas. Parce qu’un individun’est pas une entreprise. Bizarrement,ça choque souvent ! On réfléchira ensemblesur les mots. C’est quoi une valeur ? C’est quoi unepersonne de valeur ? Que signifie reconnaître quelqu’un ?C’est un dialogue socratique dans lequel j’oblige mon interlocuteurà réfléchir aux concepts qu’il emploie.Un ancien client m’a un jour confié que la philosophe avaitchangé sa vie parce que depuis, il cherchait toujours à comprendrece que les gens mettent derrière les mots qu’ilsemploient.Quels sont les philosophes qui s’invitent le plus souventdans la conversation ?Aristote vient souvent sur la question du risque, Kant sur ladistinction entre expertise et compréhension, Hanna Arendtsur la modernité, Bergson parce qu’il donne confiance dansl’individu… Et Descartes avec « je pense donc je suis ». Car dansune entreprise tout le monde a une mauvaise opinion de lui !Depuis dix-sept ans que vous côtoyez des entreprises,quel regard portez-vous sur le monde du travail actuel ?Un regard sombre. Au début de mon parcours, j’ai vu desgens qui construisaient des choses qui duraient. Mais depuisquelques années, je vois surtout des usines qui ferment,des équipes éclatées, des pressions des directionsqui rendent le travail quasi absurde. Quand une entrepriseavec laquelle j’ai travaillé se fait racheter ou licencie, toutce que j’ai fait me semble vain. Je suis contente d’être âgée,car je ne sais pas si j’aurais supporté cela au début de macarrière.Qu’est-ce qui rend donc les gens si malheureux auboulot ?Il y a plusieurs causes. La vitesse du changement technologique,la vitesse à laquelle un groupe change de direction, sefait racheter ou en rachète un autre, la rapidité du progrès etdes moyens de communication... Je pense que les gens ontune overdose de rapidité. Ils n’ont pas le temps d’assimilerces changements et cela provoque un malaise. Les entreprisesne s’arrêtent jamais pour penser, offrir la possibilitéaux employés de se poser et prendre du recul.Des personnes vous consultent-elles parce qu’elles netrouvent pas leur bonheur au travail ?Je suis conseillère, pas psychologue; les gens ne viennentpas me consulter pour un mal-être. Mais on peut aller bienet vouloir aller mieux. Vouloir voir plus clair pour mieux agir.Mieux se comprendre pour mieux se situer. L’approche duphilosophe ne part pas de la souffrance, mais de la société. Ilveut nous aider à comprendre comme l’humain se situe parrapport aux mutations de son environnement.L’origine latine du mot « travail » évoque un instrumentde torture. De quand date l’idée que le travail doit nousapporter l’épanouissement ?C’est une idée assez neuve qui date du libéralisme. Les philosophesgrecs faisaient l’éloge du loisir. Pour eux, le travailétait « crétin ». Dans notre société occidentale, le travail estsoudain devenu le lieu où on est censé s’épanouir. Dans sacritique du libéralisme extrême, Foucault montre commentaujourd’hui il ne suffit plus que le salarié soit efficace, il doitaussi être motivé. Il ne doit pas seulement être contraintd’aller au travail, mais le désirer. Les coachs et les consultantsen entreprise voguent sur cette vague. Il y a une emprisetrès forte de la société sur nos vies privées.Mais cette conception n’est-elle pas en train dechanger ?La perception est différente chez les jeunes. Ils connaissentla crise, la pénurie de travail. Ils se sentent mal accueillisdans cette société et prennent leur distance. On rencontrechez eux un détachement serein par rapport au travail, ilstrouvent le travail ennuyeux et préfèrent les loisirs, ils nes’attachent pas trop à une entreprise et n’hésitent pas àchanger d’emploi. Ce sont des nomades. Et je trouve celatrès sain. Ce qui me frappe, c’est la méfiance des personnesplus âgées à l’égard de la jeunesse. Parfois, on m’engageparce que je suis vieille !Le fameux conflit génération X contre génération Y…*Avec un bémol. En philosophie, généraliser est toujours uneerreur.Et vous, avez-vous trouvé votre bonheur au travail ?Le bonheur est un idéal qui concerne la vie affective etspirituelle. On peut trouver le bonheur avec ses amis, safamille, dans la foi… Dans le travail, on peut trouver de lasatisfaction, de la joie, parce que l’on se sent utile, parceque l’on rencontre de nouvelles personnes au-delà de soncercle de proches. Mais ce n’est pas cela, le bonheur. * Le terme « génération Y » désignela génération sociologiquedes personnes nées entre 1980et 1999. Il tire son origine dela génération précédente, la« génération X », Ndlr.18 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 19


Simplicité, plénitude,constance© ED Jones / AFPJean CornilBhoudan : le bonheur comme concept politique.l Jean-François Duvernoy, Épicure,la construction de la félicité,Bruxelles, Ousia, 2005, coll. « Figuresillustres ».l Jean Salem, Le bonheur ou l’artd’être heureux par gros temps, Paris,Bordas, 2006, coll. « Philosophieprésente ».l Philippe Danino et Éric Oudin, Lebonheur : d’Aristote à Comte-Sponville,Paris, Eyrolles, 2010, coll.« Petite philosophie des grandesidées ».l Isabelle Casiers et alii, Redéfinirla prospérité. Jalons pour un débatpublic, La Tour-d’Aigues Éditionsde l’Aube, 2011, coll. « Monde encours ».l Le bonheur brut, webdocumentaire(voir références complètesen page 17).Épicure donne une magnifique définition de la philosophie :« La philosophie est une activité qui, par des discours etdes raisonnements, nous procure la vie heureuse. » Noussommes directement au cœur de notre sujet. Le bonheurne se recherche ni par les illusions du divertissement, ni pardes espérances supraterrestres, ni par une fuite en avantdes espoirs étriqués de notre quotidien. Les chemins versune vie plus heureuse, l’eudémonisme, se construisent pasaprès pas vers une sagesse, vers une ataraxie, une absencede troubles de l’âme.L’objectif précisé et en considérant qu’une approche dubonheur est humainement possible, contrairement à Schopenhauerpour qui la vie oscille entre souffrance et ennui,chaque philosophe, au cours de la longue histoire de lapensée, établira ses critères et sa méthode pour tendrevers la maxime de Pascal : « Tous les hommes recherchentd’être heureux; cela est sans exception […] C’est le motif detoutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vontse pendre. »De l’hédonisme, au sens épicurien duterme, à la maîtrise des passions prônéepar les stoïciens, des vertus de laconnaissance chez Aristote ou Spinozaà la contemplation du pur présent chezRousseau, chacun s’emploie à dresserl’itinéraire vers la « vie bonne », par le plaisir, par le savoir,par la droiture, par la raison ou par la rêverie.Le bonheur, c’estde continuerà désirer ce que l’onpossède déjà.À chacun de dégager un passage dans la jungle du présentpour s’aventurer vers la quiétude. Pour ma part, je me composeun menu depuis quelques années en bricolant avecmoult matériaux intellectuels et sensibles. Conscient d’êtreun privilégié, qu’aurais-je pensé si j’étais né femme en Somalieou mineur en Bolivie ? Ayant évité jusqu’à ce jour le vraimalheur, revenu des chimères des hommes et du pouvoir,un peu perturbé par mon corps qui se rebelle, je fais miensles trois ingrédients principaux du bonheur illustrés par JeanSalem : la simplicité, la plénitude, la constance.La simplicité par mon refus, un peu tardif, de l’accumulationdes biens, de la spirale des désirs consuméristes, du luxedont Lucrèce fustige déjà les ravages au temps de la Républiqueromaine finissante. La plénitude par la joie infinie àprogresser dans le savoir, sans autre volonté que celle desculpter mon propre esprit, à dialoguer sans fin dans l’amitiépartagée ou à écouter le chant du vent comme celui deJean-Sébastien Bach. La constance grâce au compagnonnageamoureux de celle qui vit à mes côtés et qui, au-delàdes servitudes du quotidien, apaise mes craintes et illuminenos destins croisés.L’équilibre reste instable et fragile. Mais, l’âge venant, je medéfais peu à peu des fantasmes de « la carrière » commedes fictions de marquer, même fort modestement, mon entourageà défaut de mon époque. Bref, j’évolue sans cesse,fuyant la normalité et les convenances, pour m’enchanterplus d’un regard ou d’une civilisation, d’un roman ou d’unevallée, d’un philosophe méconnu ou d’un pianiste japonais,plutôt que de la reconnaissance sociétale ou du derniersoubresaut politique. « Si je ne suis pas moi, qui le sera à maplace ? », écrivait Thoreau. Sans doute, lentement, je deviensce que je suis, selon la formule de Nietzsche.Mais il ne s’agit toujours que de son maigre bonheur personnel,individuel. Quel espace pour le bonheur collectif etl’action commune ?Saint AugustinJe ne prends parti ni pour Épicure (se changer soi et renoncerà changer le monde), ni pour Marx (transformonsle monde et celui-ci nous transformeraà son tour). Mais pour les deux,ensemble. En ces temps troubles, lecombat collectif de l’indignation faceau sacre de la marchandise, de lacroissance et du quantitatif exige plusque jamais une destinée de coopérationet de solidarité. Face à nos démesuresmodernes, le bonheur, de Saint-Just au Bhoutan,redevient même un concept politique. Comme ultime butd’un nouveau paradigme, qui balbutie, mais qui, brisantnotre projet infini, vise à préserver et « à désirer ce que l’onpossède déjà ». brÈvesEurope et vieillissement actif: seulementl’employabilité?2012 sera l’année du vieillissement actif (active aging). Les stratèges européensproclament une fois encore la nécessité d’une plus grande participationdes travailleurs âgés au marché du travail avec un objectif: 75% de lapopulation âgée de 20 à 64 ans en emploi! Aujourd’hui, comme l’indique Eurostat,près de quatre personnes sont en âge de travailler pour une personnede 65 ans; dans40 ans, il n’y enaurait plus quedeux. En outre,la populationdes plus de 65ans atteindra en2050 la moitiédes 20 à 64 ans.Un récent Courrierhebdomadairedu Crisp(Thibauld Moulaertet Dimitri© Yuri Arcurs/Fotolia.comLéonard) pointel’émergence d’un nouveau «référentiel sectoriel» en matière de politiques defins de carrière.Ce sont les organisations internationales (OCDE et UE) qui, dans un rôled’innovation conceptuelle et de diffusion, vont encourager ce «changement deculture», et donc de mentalités, appelant à inverser les politiques dites passivesen politiques actives à l’égard des travailleurs plus âgés pour développer leuremployabilité.Les auteurs constatent ainsi que certaines approches –comme celle de l’OMS,plus globale–, ne sont plus abordées, ni même questionnées et qu’on évoque davantagela prolongation de carrières qu’une approche élargie du vieillissementactif, comme l’encouragement à la participation citoyenne, le bénévolat etc. Unprochain Courrier sera consacré à l’évolution, en Belgique, du vieillissement actifen emploi. (MM)Prions pour l’Europe (ter)Une « messe de rentrée européenne » s’est tenue le 20 septembre dernier àBruxelles en la cathédrale Saints-Michel et Gudule. La messe avait été organiséepar la présidence polonaise de l’Union européenne, Varsovie chapeautantjusqu’au 31 décembre le Conseil des ministres européens.L’office a été dirigé par M gr André-Joseph Léonard flanqué du nonce apostoliqueauprès de l’UE André Dupuy, de l’archevêque de Poznan StanislawGadecki et des représentants de la Comece, la Commission des épiscopats dela Communauté européenne.La messe de rentrée européenne a pour objectif de relancer une vieille tradition,longtemps passée aux oubliettes. C’est sous présidence belge, en 2010, qu’on l’avue réapparaître. La présidence hongroise de l’UE, officiellement poussée dansle dos par les Hongrois de Belgique, y avait à son tour souscrit.S’agissant de la sainte Pologne, on ne peut s’empêcher de penser que cettemesse fait partie d’un contexte où, de plus en plus, le champ législatif temporelest mis sous pression par le spirituel. L’Église catholique de Rome entend eneffet avoir son mot à dire dans nombre de domaines de la vie des Européens,à commencer par les dossiers éthiques (avortement, euthanasie, recherche surles cellules-souches etc.). Elle n’est pas seule, puisque les nombreuses églises etsectes qui arpentent les couloirs du Parlement européen affichent des objectifsplus ou moins semblables. (Map)Sacré FNSous Jean-Marie Le Pen, le Front national mêlait joyeusement le paganismeet le sacré. La main sur le cœur, on y affirmait son amour de la terre tout envénérant sainte Jeanne d’Arc. À un moment donné, le parti avait même étédivisé entre le « canal catholique intégriste » de Bruno Gollnisch et le courant« paganiste » de Bruno Mégret.Mégret est allé faire un tour ailleurs, Le Pen a remis les clés de la maison frontisteentre les mains de sa fille, mais les contradictions n’ont pas disparu pourautant. C’est ainsi que Marine Le Pen, subitement attachée au devenir de laRépublique autrefois honnie, s’inquiète régulièrement du bon état de sa laïcité.À Nice, en septembre dernier, elle en a profité pour déclarer à nouveau la guerreà l’islam tout en condamnant « les prières de rues qui ont repris de plus belle dans lacapitale, au nez et à la barbe, si j’ose dire, des autorités ».Avant de conclure son discours, la présidente du FN a voulu attirer l’attentionde ses jeunes militants « sur la sacralité (de leur) mission », car « cette élection présidentiellen’est pas une campagne comme les autres ». Et d’y aller d’un morceau debravoure : « J’en appelle solennellement à l’esprit de corps, au sens inné du devoir et dusacrifice de ceux qui comme vous, ont l’amour de la patrie chevillé au corps ». Tout çasent la croisade…Le hic, c’est que seulement une soixantaine de jeunes étaient présents pourécouter Marine Le Pen. Interrogée sur cet effectif réduit, elle a répondu qu’ils’agissait des « cadres » du mouvement, et non des militants dans leur ensemble.Mais qui a assisté un jour à un congrès du FN sait en réalité que les cheveuxgris et bancs y sont largement majoritaires. (Map)La mort au bout du sommeilMalgré la loi qui fixe les conditions de l’euthanasie en Belgique, des zonesd’ombre subsistent. En septembre dernier, l’hebdomadaire néerlandophoneHumo écrivait ainsi que nombre de patients sont « sédatés » jusqu’au décès, sansqu’eux-mêmes et leurfamille en soient avertis.Dans cet article, il étaitprécisément questiondu père d’un médecin,Lieve Vande Putte.Le patient a souffertde démence avant dedécéder d’un cocktailde morphine, Haldolet Domricum. Aucunmembre du service où setrouvait le père de LieveVande Putte n’a averti la© Mybaitshop/Fotolia.comfamille que ce traitementconduirait à la mort.L’agence Belga s’est fait expliquer cette pratique par le professeur Wim Distelmansde la VUB. Selon lui, l’expression « sédation palliative » est souvent utiliséede manière impropre dans le secteur des soins de santé. « On laisse le maladedormir car sa douleur est insupportable. On commence par administrer des sédatifs,sans que le patient ou la famille le sache ou le choisisse. Si cela dure trop longtemps,les doses sont augmentées dans l’espoir secret que le patient décédera. Ce n’est plus dela sédation mais un acte qui met fin à la vie. Ce n’est pas non plus de l’euthanasie carcelle-ci intervient à la demande du patient ». Tout est dans la nuance.Pour le professeur Distelmans, ce genre de choses se produit régulièrement.« On choisit souvent la sédation par-dessus la tête du patient et de la famille. Les médecinsréfléchissent encore trop de manière paternaliste au lieu de respecter le patientet la famille ». (Map).20 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 21


MONDEMONDEBack to TottenhamPascal MartinEn août dernier, les émeutes ont embrasé Londreset plusieurs villes anglaises. Les raisons de cetteviolence restent mal connues. Et son approchepolitique sans équivoque.Ghettoïsationet paupérisationsont les deuxmamelles desémeutes urbaines.On retrouve lescaractéristiques desviolences qui onttouché l’Hexagone àl’automne 2005.1 Revue de la presse française, août2011.2 Dora Nganya, « Les émeutes enAngleterre », sur www.terredecompassion.com,25 août 2011.Les violences qui ont secoué l’Angleterreen août dernier ont fait l’objetd’interprétations souvent différentes.La presse française sert parfaitementce constat. « Le schéma de ces émeutesest classique » pour le criminologueAlain Bauer qui s’exprimait alors dansLe Figaro. « Une émeute est toujoursimprévisible », jugeait au contraire lesociologue Didier Lapeyronnie dansLe Parisien. Concernant lanature du mal, le chercheurfrançais Fabien Jobard déclaraitdans Libération queces émeutes sont « desmouvements sociaux autantqu’ethniques ». Sur FranceInfo, John Henley, un excorrespondantà Paris duGuardian, estimait pour sapart qu’il existe « de vrais parallèles» entre les émeutesfrançaises de 2005 et la révolteurbaine qui a embraséTottenham avant de gagner d’autresvilles anglaises. Émeutiers françaiset anglais « ont une revendication commune», concluait le journaliste.Ce dernier avis fut largement partagé.Le criminologue Alain Bauer commentaitainsi : « À Tottenham, présentée àl’origine comme un modèle d’aménagementurbain avant de s’enfoncer dans unprocessus de ghettoïsation, la marmiteest sur le point d’exploser. Ghettoïsationet paupérisation sont les deux mamellesdes émeutes urbaines. On retrouve lescaractéristiques des violences qui onttouché l’Hexagone à l’automne 2005 » 1 .A posteriori, ce raisonnement apparaîtun peu court. Car on a appris depuisque le caractère ethnique des émeutesa rapidement été appuyé —ou concurrencé?— par le besoin de toute unepopulation d’en découdre avec l’ordreétabli et de se servir au passage àcoups de pillages. C’est ainsi que l’ona croisé dans le sillage des émeutiersde Tottenham des adolescents issus dela bourgeoise, masqués et armés euxaussi de battes de base-ball.Un effet d’aubaine ? Dans une sociétéqui prône la réussite économique et laconsommation à tout va, les émeutesont pu en effet représenter l’occasionfacile de s’approprier ce que seule unemise en compétition de tous les instantspermet à une minorité d’acquérir.« L’enseignement a pour but principalde former les gens à être des agents desuccès sur la place du marché, plutôtque des individus parfaitement réalistesqui auront le souci de contribuer au biendes communautés, peuples et nationsautour d’eux. Il semble que les perdantsn’estiment rien avoir [sic] à perdre dansla destruction de ce que les gagnants ontgagné », pouvait-on lire l’été dernierdans une analyse parue sur un siterépondant au nom de « Terre de compassion» 2Compassion ?La compassion. Le mot est lâché.Les commentateurs y ont largementrecouru lorsqu’ils ont établi l’équivalencemisère = violence au début desémeutes. Mais une fois les troublesétendus à d’autres catégories de population,ces mêmes commentateursont eu fort à faire pour cadrer un phénomènequi, à l’exception d’un rapidedétour par le Pays de Galles, s’est cantonnéà la seule Angleterre. Car il n’apas servi d’alibi à un regain des tensionsen Irlande du Nord ou gangrenél’Écosse tel un cancer qui aurait révéléque, peu importe le lieu, le Royaume-Uni tout entier est pourri par ses problèmessociaux et multiethniques. Etc’est ainsi que, faute d’explicationsclaires, on a vu la presse jeter pêlemêleune foule d’éléments censés expliquerles raisons de la colère. Parmieux, le rôle de la police et de sa brutalitéprésumée dans les quartiers populaireset/ou multiethniques, l’échec dela société multiculturelle, le sentimentde « no future » qui étreint une partie dela jeunesse anglaise, les coupes socialesqui tendent à durcir une sociétédéjà duale, le caractère foireux de laBig Society de David Cameron —quientend redistribuer le pouvoir aux citoyens—etc.Le gouvernement conservateur, lui,a tranché. Sans s’embarrasser denuances. À l’entendre, tout est la fautedes émeutiers. Selon David Cameron,les émeutes n’ont rien à voir avec desproblèmes de « race ou de pauvreté ».Elles ne sont pas davantage le résultatdes coupes budgétaires qui ont pourtantréduit les services aux populationsles plus démunies. Pour le Premierministre britannique, les troublesont résulté d’une « dégradation moralede la société » dans laquelle les jeunes« ne connaissent plus la différence entrele bien et le mal ». Plus d’un millier desuspects sont ainsi passés devant lestribunaux : 66% étaient âgés de moinsde 25 ans, 18% avaient entre 11 et 17ans… Des peines sévères et de lourdesamendes ont été distribuées à lagrosse louche. Des institutions policièresspécialisées seront appelées àl’avenir à lutter contre le vandalisme.Quant au New Labour d’Ed Milliband,conscient du caractère impopulairedes émeutes, il s’est abstenu de tropcritiquer les mesures prises.Mais on y revient toujours : qu’en estildes véritables germes de la violencenée à Tottenham ? Et quel remède yapporter ? Cameron ne l’a pas dit. Pasplus qu’il ne s’est engagé à porter secoursà la société multiculturelle qu’ilestime pourtant en état d’échec, à lamanière de ses homologues Leterme,Sarkozy et Merkel.Il reste les hypothèses. Et si, au-delàdes circonstances particulières quiont mené aux émeutes d’août, la sociétéanglaise était porteuse d’uneviolence bien à elle, tolérée commeun mal nécessaire ? Si l’on s’en tientà l’époque récente, par exemple depuisque le Welfare State a été torpillépar Margaret Thatcher, il n’estpas interdit de se demander si unetelle société n’accepte pas tacitementune violence jugée inévitable dans lamesure où elle assume le fait d’êtreinégalitaire ? Et dans ce cas, laditeviolence n’est-elle pas annonciatricede ce qui attend nombre de pays européensincapables d’intégrer leursmigrants et d’offrir un avenir aux plusdémunis ? Ces mêmes États qui s’enremettent aujourd’hui à l’austéritépour faire face à la nouvelle crise économiqueannoncée, avec ce que celasignifie en termes de coupes sociales,d’élargissement du fossé entre richeset pauvres, en termes également deralliement de la classe moyenne àune vision moins égalitaire et plus répressivede la société au motif qu’ellene peut en permanence subventionnerla misère du monde. C’est là unelecture quasiment sorélienne de laviolence, où la bourgeoisie confie ladéfense de ses intérêts à l’autoritéétablie face au « peuple » prêt à toutpour briser ses chaînes…Après les révoltes françaises de 2005,l’Angleterre des émeutes d’août 2011s’est muée à son tour en un laboratoireoù l’on a pu observer unenouvelle forme de violence urbaine.Jusque-là ignorée : « Quelle que soitla position qu’on prend pour expliquerles causes des émeutes, une chose estclaire : il y a des fissures, des problèmesgraves au sein de la société anglaise,qui doivent être abordés », écrivait enaoût le Guardian 3 .En finir avec le laxismeLa violence est bien sûr partout et detoutes les époques. L’Allemagne et lenazisme, les goulags de l’ex-URSS, lesbavures américaines en Afghanistanet en Irak, le terrorisme islamiste, lacolonisation… ne sont que quelquesunesde ses manifestations les plusspectaculaires. Elle existe à l’état naturelet l’homme en est fatalementpartie prenante. Certains penseurs jugentmême qu’opposer l’état de droità l’état de nature ne revient jamaisqu’à ruser, à pervertir les rapports deforces, le droit ne protégeant le faibleque là où le faible et le fort ont le mêmeintérêt. Il n’y a pas d’échappatoire.« On en est réduit à penser que la violenceest inhérente à la nature et qu’ils’agit de la contrôler, de la contenir, dela limiter au plus juste (qui sera encoreinjuste). Finalement, la société la plusacceptable serait celle qui veilleraitmoins à se reproduire dans la sécuritéqu’à se produire comme contestable,révisable », peut-on lire dans une noticeparue dans la première édition de l’EncyclopædiaUniversalis, celle de 1968 4 .Pour David Cameron, les troubles ont résulté d'une «dégradation morale de la société».Une notice où souffle le vent du changementqui a caractérisé cette époque.Mais ce vent est en train de tomber.La réponse politique aux événementsd’août dernier le confirme. La répressiondes émeutiers a tourné radicalementle dos à l’approcheobservée depuis une quarantained’années par lemonde occidental à l’égardde ses enfants terribles. Uneapproche jugée « laxiste ».Les conservateurs britanniquesont voulu montrerqu’ils contrôlent la situation,mais aussi que le temps dela compassion a vécu.Cela suffira-t-il à éteindrele brasier de la violence urbainequi couve un peu partout en Europeoccidentale ? Dans une Histoire dela violence 5 , l’historien français RobertMuchembled a démontré la capacité« civilisatrice » de la ville à l’époque moderne.Le vivre ensemble a, selon lui,poussé l’autorité à édicter une foule derègles et à réprimer la violence pourmieux contrôler les hommes massésdans les grandes cités. Les villes enseraient devenues des lieux d’apaisement,de civilisation. Ce modèle n’apeut-être pas vécu. Mais une nouvelledonne sociétale lui impose de se remettreen question. Finalement,la société laplus acceptableserait celle quiveillerait moinsà se reproduiredans la sécuritéqu’à se produirecomme contestable,révisable.© ED Jones / AFP3 The Guardian, 18 août 2011.4 Encyclopaedia Universalis, éditionde 1968, volume XX, Paris, 1978,p. 2021.5 Robert Muchembled, Une histoirede la violence, Paris, Éditions duSeuil, 2008, 512 p.22 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 23


MONDEMONDEMarché transatlantique :où sont les citoyens ?Julie PernetCellule Europe et InternationalOvni institutionnel, le marché transatlantiqueentre l’Union européenne (UE)et les États-Unis fait peu parler de lui.Et pour cause : négocié à l’ombre desommets internationaux, perdu dansles arcanes de la procédure de codécisioneuropéenne et peu relayé parles médias, il ne parvient pas à dépasserle cercle institutionnel européen.Pourtant, l’impact du marché transatlantiquesur la vie des citoyens de l’UEest bien réel.L’idée d’un partenariat renforcé entreles États-Unis et l’Union européennen’est pas nouvelle. Dès la chute duMur de Berlin, la déclaration transatlantiquede 1990 et le « nouvel agendatransatlantique » de 1995 ont ouvert lavoie à un renforcement des relationsentre les deux continents. Néanmoins,depuis les années 2000, et notammentdepuis le 11 septembre 2001, les négociationsse sont accélérées et ontprogressivement mis en place deuxprincipaux champs de partenariat :une zone de libre-échange économiqueet une coopération renforcée enmatière de lutte contre le terrorisme.Si le principe peut sembler louable, lesconditions de réalisation d’un tel projetle sont nettement moins.Un accès privilégié pourles multinationalesSuppression des entraves auxéchanges dans le secteur de l’industrie,libéralisation des capitaux,flexibilisation du droit du travail etdéfense de la propriété intellectuelle: de manière prévisible, lesefforts européens et américains sesont massivement engagés pour lacréation d’une vaste zone de libreéchangedont les mots d’ordre relèventdu registre bien connu dulibéralisme décomplexé. Face à larapidité de l’échéance prévue (2015),il était probable que le mode de négociations’affranchirait du souci defaire participer voire d’informer lescitoyens européens d’un tel projet.Depuis 2007, les accords sont en effetnégociés au sein d’un « Conseiléconomique transatlantique » quiregroupe les membres de la Commissioneuropéenne et les ministresaméricains concernés par les sujetstraités. Ce Conseil est assisté d’ungroupe de conseillers qui constitueen quelque sorte la caution démocratiquedu processus de négociation.Mais le droit de cité au sein dece groupe varie fortement en fonctionde l’intérêt représenté. Aprèsplusieurs prises de position critiquesà l’égard des entreprises américaines,les organisations environnementalesont ainsi été remerciéesdès novembre 2000. Les syndicatsde travailleurs de part et d’autre del’Atlantique ont également été largementécartés par l’administration deGeorge W. Bush. Le gouvernementde Barak Obama les a intégrés pourla première fois au dialogue en 2009,mais sans en faire pour autant lespartenaires officiels de ce Conseiléconomique. Sans surprise, ce sontles représentants des multinationalesaméricaines et européennesqui bénéficient d’un accès privilégiéaux négociateurs politiques. L’inégalitédes forces représentées, la participation,certes croissante mais bientardive, des législateurs du Congrèset du Parlement européen et laconfidentialité de la prise de décisionexpliquent certainement le silenceassourdissant réservé à ce projet auxniveaux belge et européen.Protection des droitsfondamentaux vs impératifde sécurité publiqueL’autre volet important du partenariattransatlantique, lui aussi réservé auxinitiés, concerne la justice et la luttecontre le terrorisme. Concrètement,cette coopération s’est récemmentmatérialisée par la négociation desaccords « Terrorist Finance TrackingProgram » dit « TFTP » et « PassengersName Record » dit « PNR » quiprévoient le transfert de certainesdonnées personnelles des citoyenseuropéens aux autorités publiquesaméricaines. Le premier, adoptéen juin 2010, vise ainsi à légaliserune pratique clandestine du Trésoraméricain consistant à collecter lesdonnées bancaires des Européensauprès du réseau de la coopérative© Sattahipbeach/Fotolia.combancaire SWIFT. L’accord PNR USA-UE impose quant à lui aux transporteursaériens assurant un service àdestination ou au départ des États-Unis de communiquer les données« passagers » stockées dans leursystème de réservation au gouvernementaméricain. Pour le moment,l’accord est bloqué par le Parlementeuropéen qui exige une réciprocitédans ces transferts de données et demeilleures garanties en matière deprotection. Néanmoins, le systèmefonctionne sur la base de l’applicationprovisoire de l’accord signé en2007.Loin de faire l’unanimité, ces dispositifsposent de sérieux problèmestant dans leur principe que dansleur application. Premièrement,pour justifier l’envoi de ces donnéespersonnelles, les deux parties neparlent plus aujourd’hui de coopérationjudiciaire classique mais biende lutte contre le terrorisme. Celaconduit l’Union européenne à envoyerdes « paquets » de données demanière préventive aux États-Unis,sans réelle sélection préalable. Lescompagnies aériennes européennestransmettent aussi bien la date deréservation du billet et l’itinérairede voyage que l’origine raciale etethnique du passager, ainsi que sonorientation sexuelle et ses convictionsreligieuses ou philosophiques(même s’il est spécifié dans l’accordde 2007 que ces données dites « sensibles» ne seront pas utilisées par legouvernement américain). Au niveaudes données bancaires, le premierrapport d’évaluation du systèmeSwift réalisé en mars 2011 par l’autoritéde contrôle d’Europol critiqueégalement la propension des États-Unis à formuler des demandes généraleset abstraites. Même s’il esthabilité à contrôler la nécessité et laproportionnalité de tels transferts,Europol reconnaît lui-même ne paspouvoir faire ce travail préalable faceaux pressions américaines.Ensuite, la législation américainesous laquelle tombent ces donnéespersonnelles une fois transféréesn’offre pas un régime de protectionsatisfaisant. À titre d’exemple, iln’existe aucune autorité indépendantechargée du contrôle de l’uti-lisation de ces données ni aucun recourspour les citoyens européensdevant une juridiction américaine encas d’utilisation abusive. La situationest d’autant plus préoccupanteque les États-Unis ont reconduit enmai 2011 la loi antiterroriste PatriotAct jusqu’en 2015, prolongeant ainsiune législation particulièrementflexible en matière de protection desdroits fondamentaux.Malgré un débat animé au Parlementeuropéen, l’implication activede certains députés (essentiellementsocialistes et libéraux) etl’action de quelques organisations(plateforme no-transat.be parexemple), le débat sur la protectiondes données personnelles a relativementpeu touché le grand public.Cette confidentialité est d’autantplus dommageable que les pressionsconstantes des États-Unissur la marche actuelle des négociationsPNR font craindre de nouveauxcompromis sur la protectiondes données dans le cadre de cestransferts. Afin d’éviter les lenteursdu processus décisionnel communautaire,les États-Unis ont en effetdécidé de passer en force pouraccéder aux données des citoyenseuropéens. Depuis le 11 septembre2001, la loi américaine oblige ainsiles compagnies aériennes étrangèresà communiquer les donnéesrelatives à leurs passagers, souspeine de sanctions financières etd’interdiction d’atterrissage sur leterritoire américain. Depuis 2008,les États-Unis contournent égalementl’UE en négociant directementun accès aux bases de données decertains États membres (Estonie,Lettonie, Hongrie, Lituanie, Slovaquie,Malte) en échange de facilitationsde visas pour leurs ressortissants.Les risques de ce jeubilatéral sont énormes : non seulementils mettent l’UE en porteà-fauxdans le processus de négociationentamé avec les États-Unismais surtout, ils prévoient un accèsplus libre et plus large aux basesde données que celui mis en placedans l’accord négocié au niveau européen.Face à de telles pressionset en l’absence d’une influence médiatiqueet citoyenne réelle, il est àcraindre que le Parlement européen© Sindy/Fotolia.comrevoie ses exigences à la baisse etque les garanties en matière deprotection des données ne soient,comme pour Swift, encore sacrifiéesdans l’urgence.Que ce soit en termes économiquesou en matière de lutte contre le terrorisme,le marché transatlantiquequi se construit entre l’Union européenneet les États-Unis ne semblepas conduire à une harmonisationproportionnée des législations américaineset européennes. Il illustreplutôt la propension des décideurseuropéens à jouer le jeu unilatéraldes États-Unis dans lequel l’UE testepeut-être sa crédibilité, mais dont lavaleur ajoutée pour les citoyens européensreste à prouver. Contre le terrorisme, des scanners mais aussi des échanges de données surles passagers.24 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 25


ENTRETIENSENTRETIENSL’entretien de Jean Sloover avec Dimitri VerdonckDjibouti,cet « immense gâchis »…Le caractère universel des droits de lhomme est unconcept central en Occident. Certains de ses dirigeantsles oublient pourtant volontiers lorsque des intérêtssont en jeuDimitri Verdonck.1 Dimitri Verdonck (dir.), La situationdes droits de l’homme à Djibouti à laveille des élections présidentielles de2011, Bruxelles, ACP, 2011, 108 p.2 Plus de 12 millions de personnessont actuellement touchées par lafamine dans les pays de la Cornede l’Afrique; la solidarité internationales’organise. De son côté, ACPrécolte des fonds via une action européenned’envergure : www.hornafrica.eu.Les dons récoltés serventau financement de l’aide apportéeaux populations touchées par lafamine, par des associations de terrainpartenaires d’ACP en Éthiopie,à Djibouti et en Somalie.Djibouti : moins d’un million d’habitantsà la charnière de la mer Rougeet de l’océan Indien. En avril dernier, cepetit pays de la Corne de l’Afrique réélitson président, Ismaël Omar Guelleh,pour la troisième fois consécutive : aupouvoir depuis 1999, l’homme fort apu briguer ce nouveau mandat grâceà une révision constitutionnelle votéerécemment par un parlement entièrementacquis à sa cause… Attentiondanger ! ACP, l’association Cultures &Progrès, une ASBL belge au servicedes populations des pays d’Afrique, desCaraïbes et du Pacifique, s’est, à cetteoccasion, penchée sur la situation desdroits de l’homme dans l’ancien Territoiredes Afars et des Issas 1 . Le pointavec le président d’ACP…Espace de Libertés : Dimitri Verdonck,pourquoi cet intérêt singulier pourla situation des droits de l’hommedans la République de Djibouti ? N’ya-t-il pas, en Afrique, des régionsgéographiquement plus vastes etdémographiquement plus importantesoù le respect des droits de l’hommedevrait en priorité faire l’objet d’uneévaluation ?Dimitri Verdonck : Il y a plusieursraisons à cette attention qu’ACP ad’emblée portée à Djibouti. Un, nousassistons à une arrivée massive, enEurope, de ressortissants de ce payset, plus généralement, de la Cornede l’Afrique 2 . Depuis vingt ans, dansles États de l’Union européenne, lesdemandes d’asile d’exilés djiboutiensaugmentent; à Djibouti, chaque famillecompte au moins un de ses membresdans ce cas. La diaspora djiboutienneest donc importante chez nous, ce quiaugmente les possibilités de contactset donc d’information sur leur paysd’origine. Deuxième raison : Djiboutiest un pays petit, certes, mais les atteintesaux droits de l’homme y sontdures. Or, Djibouti est un État à la foissymbolique et stratégique. Parce qu’ilrévèle le fossé entre le discours desEuropéens et la réalité de leurs pratiquesen Afrique, il est emblématiquedes relations entre ces deux régionsdu monde. La France, par exemple,n’a, de facto, jamais quitté le Territoiredes Afars et des Issas. C’est aussiune région stratégique en raison de laproximité d’un grand nombre de paysarabes et des impératifs de la luttecontre la terreur. En outre, située audébouché méridional de la mer Rougequi commande l’accès au canal deSuez, la République de Djibouti est unpays crucial pour les flux commerciauxinternationaux des pays industrialisés.Et comme les États-Unis, le Japon,l’Allemagne, l’Espagne, la France y assurentdès lors une présence forte, onpeut y porter un regard critique précissur la manière dont ces États respectentles droits de l’homme.Vision sécuritaire et doublelangageQu’avez-vous constaté ?À l’occasion des élections présidentiellesd’avril, plusieurs centainesd’opposants politiques ont été arrêtés.Non seulement des militantsde partis d’opposition, mais aussi desimples citoyens. Les défenseurs desdroits de l’homme sur place ont étéincarcérés pour la énième fois. Il y aeu des tortures. Par ailleurs, la libertéde la presse est nulle : il n’existe, àDjibouti, qu’un seul journal, le journalofficiel, et qu’une seule chaîne detélévision, bien entendu contrôlée parle pouvoir. Les droits civils, les libertésfondamentales sont bafoués. Ledroit au logement, le droit à la santésont inexistants. L’Unicef a constatéque, dans les campagnes, les enfantssans-abri sont majoritaires. Le sida,aussi, fait des ravages et les fondsd’aide aux victimes de la maladiesont détournés par les membres dugouvernement. Lorsqu’ils sont diplômés,les Djiboutiens, en particulier lesuniversitaires, ne trouvent pas d’emploiéquivalent à leur formation : lespostes sont occupés par des partisansdu président etc. Comme dit l’écrivaindjiboutien Abdourahman Waberi : « Lasituation de mon pays ressemble à unimmense gâchis »…À quoi cette situation est-elle due ?Le régime est autocratique. En 1977,lors de la décolonisation, les Françaisse sont appuyés sur les plus forts, surquelques grandes familles et certainsresponsables ethniques pour conserverleur pouvoir au mieux. Les chosesn’ont guère changé depuis : l’actuelprésident, Ismaël Omar Guelleh, est leneveu du précédent arrivé au pouvoiraprès le « départ » de la France… Issudes services secrets, Guelleh a unevision ultrasécuritaire de l’exercice dupouvoir : dans chaque famille, chaquerue et chaque quartier, des collaborateursdu régime surveillent les gens,consignent et rapportent ce qu’ils font,ce qu’ils disent etc. C’est très comparableau régime de Ben Ali, l’ancienprésident tunisien récemment destitué.Mais à Djibouti, petit pays, l’oppressions’exerce facilement. Le travailde l’opposition est donc rendu très difficile.À cela s’ajoute la responsabilitédes partenaires internationaux de laRépublique djiboutienne, en particulierdes Européens. À propos de l’Europe etde Catherine Ashton, haute représentantede l’Union pour les affaires étrangèreset la politique de sécurité, AlainHutchinson, l’ancien président de lamission d’enquête du Parlement européendans la Corne de l’Afrique, parlecarrément de « double langage »…Opération AtalantaVous avez évoqué les considérationsgéopolitiques et stratégiques qui motiventcette attitude passive des grandespuissances. La piraterie dans le détroitde Bab el-Mandeb joue-t-elle également?Oui, tout à fait. Depuis décembre 2008,l’Union européenne a lancé une vasteopération antipiraterie dénommée Atalantaet à laquelle participe la Belgiqueavec un ou deux bâtiments. Son objectifest de sécuriser les voies maritimes etd’apporter assistance et secours auxnavires marchands en danger dansla région. C’est la première fois quel’Union mène une opération navalede cette ampleur. Cette situation joueévidemment en faveur du présidentGuelleh : Atalanta a besoin de Djiboutiet sert de monnaie d’échange au régime…Le président de la Ligue djiboutiennedes droits de l’homme, Jean-PaulNoël Abdi, dit dans l’ouvrage que vousavez dirigé que « le seul langage quela dictature comprenne est celui desarmes à feu ». Mais un peu plus loin,il déclare : « Les jeunes commencent àse demander s’ils ne vont pas prendreles armes. » Et il ajoute : « Cela est trèstrès inquiétant. » N’est-ce pas paradoxal? La révolution libyenne n’a-tellepas montré qu’il n’y a parfois pasd’autre option que celle de substituer« la critique des armes aux armes de lacritique » comme disait Marx ?La branche armée du Front pour larestauration de l’unité et de la démocratie,le « FRUD armé » —MohamedKadamy, son président, est lui aussien exil à Paris—, mène une guérilladans le nord du pays. Mais, sansmoyens, en dépit d’un indéniable soutienpopulaire, le FRUD armé, situé àl’extrême gauche, n’est actuellementpas en mesure de menacer le régimeen place. De son côté, même si sonscore n’a cette fois-ci pas été stalinien—on passe de 99% en 2005 à 80% en2011—, le président de Djibouti estsorti renforcé des élections; l’oppositionest réfugiée à l’étranger et n’apas de leader sur place; la pression,l’oppression sont gigantesques etcela sans la moindre réprimande deCommunauté internationale, etc. Depuisles élections, la chape de plomb© Abdourazak Ali/AFPDroits civils et libertés bafoués, misère, fonds d'aide détournés... Djibouti est un État à la fois symbolique et stratégique.est donc retombée sur la société djiboutienne: chacun, même les jeunesdiplômés, affirme désormais que toutva bien alors que la situation personnelledu plus grand nombre est proprementcatastrophique. Non, Libyeou pas, la peur est immense et générale.Les jeunes, pour l’heure, n’ontaucun espoir.Vers des sanctions ?Daher Ahmed Farah, le présidentdu Mouvement pour le renouveaudémocratique et le développement(MRD) et membre fondateur de l’Unionpour l’alternance démocratique (UAD)considère que les démocraties doiventencourager d’urgence la dynamiquepopulaire à l’œuvre à Djibouti. Voyezvous,percevez-vous des signes positifsallant dans ce sens ?En off, les représentants européensdisent partager nos constats, nosanalyses, notre vision, nos propositions.À l’heure actuelle, l’Unionrenforce sa présence sur place parl’envoi d’une délégation qui a rangd’ambassade : il faut absolument,selon eux, faire évoluer la situation,changer d’attitude. Néanmoins, surle terrain, les envoyés européensn’ont pratiquement aucun contactavec les vrais opposants. Ils ne lesconsultent pas et, de surcroît, continuentde soutenir des ONG « gouvernementales» proches de la familled’Ismaël Omar Guelleh…Louis Michel estime malgré tout quesi le dialogue politique n’aboutit pas,l’Europe pourrait prendre des sanctionset suspendre l’aide aux autoritésdjiboutiennes ?Louis Michel n’est plus Commissaireeuropéen au développement et à l’aidehumanitaire…Un des buts du livre est de confronter lespoints de vue afin d’envisager concrètementdes solutions possibles pour que lasituation s’améliore. Quelles pourraientêtre certaines de ces solutions ?Elles sont multiples : faire enfin émergeret renforcer un dialogue politiqueentre l’Union européenne et Djibouti,poser de réelles exigences en matièrede respect des droits de l’homme dansle cadre d’opérations donnant-donnant,soutenir la société civile, nouerdes relations avec la jeunesse et tousceux qui en ont besoin, soutenir lapresse indépendante, notamment enformant ses journalistes, etc.ACP va-t-elle évaluer prochainementle respect des droits de l’homme dansd’autres pays ?Notre ambition est de le faire pourchacun des pays de l’Afrique, des Caraïbeset du Pacifique et ce, en publiantchaque fois un rapport à l’occasion d’unrendez-vous électoral important. Àce titre, nos deux prochains ouvragesconcerneront successivement la Républiquedémocratique du Congo oùauront lieu des présidentielles en novembreprochain et le Sénégal qui élirason président en février 2012. 26| Espace de Libertés 401 | octobre 2011 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 27


RÉFLEXIONSRÉFLEXIONS1. Gilbert Hottois, Dignité et diversitédes hommes, Paris, Vrin, 2009,198 p.2. www.health.fgov.be/bioeth.Le Comité consultatif de bioéthique de BelgiqueQuinze ans de défis assumésJeanine Anne StiennonProfesseur émérite – Académie universitaire Wallonie-BruxellesMembre et ancienne présidente du Comité consultatif de bioéthiqueLe 12 octobre prochain, le Comité consultatif de bioéthique deBelqique fêtera le quinzième anniversaire de son existence.1 er défi : sa constitutionLe Comité fut fondé formellement le 15janvier 1993, par un accord de coopérationentre le Gouvernement fédéral,la Communauté française, la Communautéflamande, la Communauté germanophoneet la Commission conjointepour les affaires communautaires. Toutefois,il n’est entré effectivement enfonction qu’en janvier 1996 !Un point important à mettre en exergueest qu’il s’agit d’un organe consultatifet indépendant des autorités qui l’ontinstallé, en lui confiant deux missionsprécises :l Élaborer des avis sur des questionsde recherche et de leurs applicationsdans les domaines de la biologie, de lamédecine et des soins de santé. Lessujets se doivent d’être analysés dupoint de vue éthique, social, légal etce, particulièrement sous l’angle durespect des droits de l’homme.© FikMik/Fotolia.coml Informer le public et les autorités àpropos des questions précitées.2 e défi : sa structureDès le départ, le Comité fut constituéde façon pluridisciplinaire et pluraliste.Sa composition reflète unereprésentation équilibrée des mouvementsidéologiques et philosophiques,des genres, des spécialitésprofessionnelles et sur le plan linguistique,d’un nombre égal de néerlandophoneset francophones, ces derniersincluant deux membres germanophones.Les mandats ont une duréede quatre ans et le choix des membrespar les autorités tient compte d’unéquilibre global à réaliser entre toutesles catégories. Il est à souligner queles membres agissent à titre individuelet n’ont nul compte à rendre aux institutionsou groupements qui les ontprésentés.3 e défi : son fonctionnementRègle du non-consensus, une originalitédu Comité belgeLe très réel pluralisme du Comité etla liberté dont jouissent ses membressont garantis dans son règlementd’ordre intérieur, qui précise que lesavis reprennent les différents points devue exprimés et les arguments qui lesfondent. Le fonctionnement du Comitéa fait l’objet d’une analyse pertinentepar le philosophe G. Hottois, membredudit comité 1 .Dès le début de ses activités, en 1996,le Comité a considéré qu’il n’avait pasmandat pour élaborer des compromisentre les différents points de vueexprimés par ses membres, reflétantainsi la grande diversité de la sociétébelge. Sa fonction consultative leplace à côté des instances politiquesqui, elles, sont démocratiquementmandatées par la légitimité électiveet peuvent dès lors élaborer des compromiset des réglementations en matièrede bioéthique.L’avis pluriel ainsi élaboré reprendles diverses positions émises parles membres avec leurs réserves,nuances et objections, et exprimedonc les dissensus qui peuvent existerau sein de la société belge. Le texte finalne fait jamais l’objet d’un vote majorité/oppositionmais d’un consensussur la diversité des opinions. De telsavis pluriels avec des dissensus argumentéssont destinés à éclairer lesautorités en rappelant la distinctionentre positions éthiques, décisionspolitiques et expressions juridiques.4 e défi : la multiplicité des avisCinquante avis ont été émis entre 1997et 2011. La liste de ces avis et leurstextes détaillés peuvent être consultéssur le site du Comité 2 .Les demandes d’avis, ou « saisines »,émanent du monde politique et decomités d’éthique hospitaliers, de rechercheet d’universités. Certains avissont des « auto-saisines » du Comité.Les sujets sont très variés, du plusmédical et technique jusqu’au plusspéculatif en passant par des textes àportée juridique. Certaines demandesont aussi été reformulées par extension,limitation ou requalification de laquestion posée. Le délai de réponseest parfois long et le Comité a refuséde travailler dans l’urgence.De manière non exhaustive, les avistraitent des problématiques de fin devie, d’euthanasie, de début de vie, derecherche sur l’embryon et de procréationmédicalement assistée, d’expérimentationsur la personne humaine,d’accès aux soins de santé, de prélèvementsd’organes, de tests génétiques,des modifications géniques germinaleset somatiques, de l’eugénisme, de latranssexualité, de l’exception thérapeutique,de l’évolution des recherches ensciences humaines, du consentementéclairé, des codes de DNR ou NTR (nepas réanimer), de biobanques….Dans la mesure où le Comité rend sesavis suivant la méthode plurielle du dissensus-consensus,il est intéressantd’observer qu’un quart des avis furentrendus de façon unanime ou quasi unanime;ils portaient essentiellement surles aspects scientifiques et techniquessur base de quelques grands principesde bioéthique et de droits humains fondamentaux,largement partagés en Europeoccidentale.Les avis relatifs à la fin de vie ou à larecherche sur l’embryon furent largementdissensuels, même si des élémentsde convergences se sont manifestéssur certains points.Ceci étant, la majorité des avis comportentdes accords sur certains points etdes divergences sur d’autres.Un impact sur la législation biomédicalefédéraleLe Comité a indéniablement eu uneinfluence sur toutes les lois biomédicalesmajeures qui ont été élaborées etadoptées depuis sa création. Ses avisont été pris en considération dans l’élaborationde la loi du 3 mai 2002 relativeà l’euthanasie, de la loi du 2 août 2002sur les droits du patient, de la loi du 11mai 2003 relative à la recherche surl’embryon in vitro, de la loi du 6 juillet2007 relative à la procréation médicalementassistée, de la loi du 19 décembre2008 relative au matériel corporel humainet aux biobanques. Relevons qu’iln’est pas facile d’évaluer avec précisionl’impact des avis sur d’autres législations,mais précisons que certaines ontconfié des missions nouvelles au Comité.Il existe cependant des cas où le législateurs’est distancié d’un avis tandisqu’une série de suggestions concrètesn’ont pas été prises en compte jusqu’àprésent.Une réflexion concernant l’impact desavis du Comité sur les législations feral’objet d’une présentation détaillée duPr H. Nys lors de la célébration du 15 eanniversaire, à la mi-octobre.5 e défi : sa missiond’informationLa seconde mission du Comité, et nonla moindre, est d’informer le public etles autorités politiques. Au cours desquinze années écoulées, plusieursaxes de communication ont été créés etdéveloppés à l’intention du public, à savoirl’édition d’un périodique BioethicaActa, un site internet qui offre toutes lesinformations concernant le Comité, sesavis, ses rapports annuels… ainsi qu’uncentre de documentation.Enfin, et ceci est à nos yeux d’une importancecapitale, le Comité a organisédes conférences bisannuelles destinéesau grand public et aux écoles. Cesconférences, notamment par la participationactive des jeunes générations,ont été riches en échanges et informationsindispensables pour la poursuited’une réflexion éthique proche du citoyenet tournée vers l’avenir.Les conférences, toutes publiées, onttraité des sujets suivants : « L’embryonin vitro » (1997), « Hérédité : tests génétiqueset société » (1999), « Testamentsde vie et autres directives anticipées »(2001), « Enjeux éthiques de l’accèsaux soins de santé » (2003), « Comitésd’éthique locaux et pratique médicale »(2005), « Tous dopés ? Éthique de lamédecine d’amélioration » (2007), « Masanté dans un monde informatisé »(2009).À l’occasion du 15 e anniversaire, lethème « Bilan et perspectives » en matièrede bioéthique, sera abordé parles membres du Comité, auxquels sejoindront deux experts étrangers. Lepublic sera un acteur majeur de cetévénement : il fournira en direct saperception au cours d’une discussioninteractive et livrera ses réflexionsspontanées au travers d’une suite d’interviewsfilmées. Italie : la sainteévasion (fiscale)Petite devinette digne d’un jeu télévisé berlusconien: « Qui est le plus gros propriétaire immobilier aumonde ? » Ne cherchez pas parmi les plus grandesentreprises multinationales ou les fortunes les plusconnues. La réponse est surprenante : c’est tout simplementl’Église catholique et romaine. Il n’y a certespas de cadastre officiel et le Vatican est d’une discrétionabsolue à ce sujet. Mais plusieurs enquêtes dejournalistes et de parlementaires italiens —la dernièreen date est celle de l’hebdomadaire L’Espresso—l’ont bien confirmé : le patrimoine immobilier italiende l’Église est le plus grand du monde. Il est estiméau chiffre astronomique d’un milliard de m 2 pour unevaleur qui serait de l’ordre d’un milliard 200 millionsd’euro. En dehors des églises et des lieux de culte,cela représente des milliers de bâtiments répartisentre des centaines d’ordres religieux, de confraternités,de chapitres et autres sociétés pieuses. Toutcela rien qu’en Italie. Mais il y a plus. Sous le titre « LaSanta Evasione » —la sainte évasion—, l’hebdomadairemet en cause les innombrables avantages financierset fiscaux dont l’Église bénéficie de la part de l’État italien.Et en particulier l’exemption fiscale sur son patrimoineimmobilier : les immeubles de l’Église à usagenon commercial ne sont pas soumis à la taxe communale,l’équivalent de la taxe foncière. Ce qui, selon lessources, représentent entre 500 millions et plusieursmilliards d’euros de manque à gagner pour les entitéslocales. Au moment où la politique d’austérité du gouvernementBerlusconi veut imposer de gros sacrificesà la population et précisément aux communes, celafait plutôt mauvaise impression. La presse vaticanedénonce une offensive anticléricale et affirme que l’onveut taxer la charité. Un député radical propose, lui,un amendement à la loi de finances qui supprimeraitles privilèges fiscaux de l’Église. Mais ce n’est pas lapremière fois et, quelle que soit la majorité en place,ils ont toujours été repoussés. Le lobby politique duVatican est puissant et transversal. Ses soutiens ontessaimé de la droite à la gauche en passant par toutesles variantes du centre. La démocratie chrétiennea disparu il y a près de vingt ans mais elle n’a sansdoute jamais aussi influente : aujourd’hui, ses héritierset elle sont présents dans quasi tous les partis !« Le Vatican, combien de divisions ? », demandait en sontemps Staline. Bien plus que ne le pensait le Petit Pèredes Peuples. Hugues Le PaigeAvec l'aimable autorisation de l’auteur, chronique parue sur sonblog–notes le 1 er septembre : http ://blogs.politiques.eu.org/-Le-blog-notes-d-Hugues-Le-Paige-28| Espace de Libertés 401 | octobre 2011 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 29


Coup dephiloon en reSterA lAcAn mÊmeMICHEL GRODENTMaeterlinck cent ans après, Lacan trente ans après : notre vieculturelle n’est plus qu’un interminable anniversaire. Oh ! veinardsque nous sommes : nous vivons dans une société où, surnos gâteaux débordant de crème, jamais les bougies ne s’éteignent.Nous ne pensons plus, nous commémorons. Une célébration,il est vrai, tient en quelques formules faciles à retenir quipeuvent servir d’amuses-bouche au cours d’un repas mondain.De ce point de vue, Lacan offre plus de ressources que Maeterlinck.Imaginez-vous débitant un morceau des serres chaudes àl’heure du dessert : vous risquez d’être mal accueilli, d’être prispour un snob ringard. En revanche, décrétez, entre la poire et lefromage, que « la femme n’existe pas ». Pour peu qu’elle sacrifie untantinet à cette très vieille chose qu’on nomme « le féminisme »,vous ne manquerez pas d’allumer dans l’œil de votre jolie voisinedes éclairs de colère susceptibles de mettre un peu d’ambiance. Etsi, méchant comme vous êtes, vous voulez la mener au comblede l’indignation, susurrez-lui à l’oreille que de toute façon, « il n’ya pas de rapport sexuel » : alors là, vous la verrez bondir, prête àvous écorcher vif.Lacan, je le concède, a d’autres utilités que l’égaiement d’une petitebouffe entre copains comme cochons. Je suis heureux que lesÉditions de la Différence —voyez leur site— mobilisent l’un de sesbons mots pour marquer précisément toute leur différence : « c’està son anti-intellectualisme que, assurément, on reconnaît unecrapule. » Voilà bien une de ces phrases pétantes de santé dontnous avons besoin à l’heure où nos médias, baissant leur culottedevant la connerie, se laissent complaisamment diriger par uneaffreuse prêtraille populiste.Vous allez me dire : c’était qui, c’était quoi, politiquement, ceLacan dont vous nous abreuvez ? Pas simple de répondre enquelques lignes. Je préfère me réfugier derrière une spécialiste,Élisabeth Roudinesco 1 qui parle de lui comme d’un conservateuréclairé. Le champion d’un freudisme voué à servir de « rempartautant aux tentatives d’abolir la famille qu’à la volonté derestaurer la figure autoritaire d’une chefferie de mascarade ». Nicommuniste, ni fasciste : pas si évident que ça ! 1 Élisabeth Roudinesco, lacan envers et contre tout, Paris, Éditions du Seuil,2011, 181 p.12 SEPTEMBRE, L’AMÉRIQUE D’APRÈSPlus comme avantUn peu saturé par les images du11 septembre, une décennie plustard, mais toujours totalementébranlé, chacun à pu, à juste titre,se demander ce qu’il adviendraitde l’après… le plus que fameux 12septembre, une nouvelle ère enquelque sorte, celle des incertitudes,des angoisses, des peurs etdes combats, des crises mais aussipeut-être des espoirs. Comme onne peut espérer que ce sur quoi onpeut agir, quelques-uns ont prisle taureau par les cornes, commecette vingtaine d’auteurs, illustrateurs,artistes, architectes pourrépondre aux interrogations surl’Amérique d’après. Publié par Castermanet Radio France, l’ouvrage12 septembre, l’Amérique d’aprèsrassemble de beaux talents:Plantu, CharlÉlie, Enki Bilal, ArtSpiegelman, Jul, Jean-Luc Hees,Russel Banks et tant d’autres,français, américains, qui dialoguentpar-delà l’océan.Commençons par la couverture deBilal justement: des hommes etdes femmes qui tombent —ou quis’élèvent?— le long des tours trans-percées (telles des «virgules»,racontait un témoin…), dans uneespèce de sidération. Ensuite unemagnifique mais sombre lettre àmon petit-fils du romancier RusselBanks: «Petit-fils adoré, tu représentesune Amérique idéalisée,pluriraciale, pluriethnique, pluriculturelle,qui n’existe pas encoretout fait.» Et pourtant, «les chosesvont mal et je ne les vois pass’améliorer durant les vingtannées à venir, mais justeempirer.»Car le ton général est passablementpessimiste.L’Amé rique est-elle toujoursl’Amérique, continent despossibles? New York estelletoujours New York? Unautre temps s’est ouvert etles plaies ne sont pas refermées.L’effondrement desTwin Towers, symboliques etarrogantes, a laissé un troubéant, même si un impressionnantmémorial s’y érigeaujourd’hui.Les dialogues se nouententre auteurs et artistes, lestextes, les lettres succèdentaux dessins, aux BD, aux photos.Pour réinventer une autre Amériqueaprès les lâchetés de Bush etson invasion irakienne, pour réinventerd’autres perspectives avecl’élection d’Obama, pour réinventerune ville touchée au cœur maisdont la fabuleuse skyline reste uneréférence, ces dix-neuf regardspassionnés aident aussi à ne pascéder au rejet, au repli, aux crispations.M. M.RIK WOUTERS À MALINESLe retour de l’enfant prodigechriSTiAn JAdeEN FLANDRE, ON CROIT À LA FORCE POLITIQUEDE LA CULTURE. VOILÀ POURQUOI ON INVESTIT,À ANVERS, DES DIZAINES DE MILLIONS POUR UNNOUVEAU MUSÉE SPECTACULAIRE, LE MAS*. VOILÀPOURQUOI LE BOURGMESTRE DE MALINES, BARTSOMERS, UTILISE LE PEINTRE RIK WOUTERS COMMEARGUMENT ÉLECTORAL.Le message est clair : « Rik Woutersis voor Mechelen wat Ensor voor Oostendeis » (Rik Wouters est à Malines cequ’Ensor est à Ostende). Peu importequ’Ensor soit une gloire mondiale etRik Wouters, un artiste attachant, unegloire nationale, dont la renommée internationaleest (relativement) faible.Bart Somers a suscité deux expos successives.Cet été, au centre Lamot, lesdébuts, méconnus, de Rik à Malines.Cet automne, dans un lieu historiquesuperbe, la Schepenhuis, ancien hôtelde ville, le musée des Beaux-Artsd’Anvers (KMSKA) —fermé jusqu’en2017— expose sa riche collection deRik Wouters. Attention : rien à voir avecl’exposition « historique » et panoramiquede 2002, à Bozar. Mais un plaisirà voir une collection privée, donnéeau KMSKA, et à nous imprégner de cepersonnage de roman, Rik Wouters.Ce fils de fabricant de meubles a eudeux chances dans sa vie : sa vocationde peintre, entretenue par un grandamour, son modèle, Nel. Et après lamisère, un début de gloire et de richessegrâce au galeriste bruxelloisGeorges Giroux. Et puis deux terriblesmalheurs : voir sa carrière prometteuseinterrompue par la guerre 14-18,où le soldat est broyé par la machinemilitaire et la défaite. Et à peine rescapé,subir, en exil à Amsterdam, lesattaques d’un cancer de la mâchoire,qui le rend borgne avant de l’emporterà 34 ans. Rik Wouters, né en 1882,mort en 1916, comment le situer ? Leshistoriens l’ont rangé dans plusieurstiroirs : « fauviste brabançon », expressionniste,impressionniste.Pour Herwig Todts, commissaire del’exposition, conservateur du KMSKA,spécialiste de la période et auteur dedeux livres sur James Ensor, pas dedoute : « Pour moi, c’est un “postimpressionniste”.Une combinaison entrel’épure de Cézanne et le “colorisme”belge d’Ensor. Il a commencé à peindrede manière réaliste, à la Émile Clausavec un fort héritage impressionnistemais revu par deux maîtres majeurs. Ilconnaissait personnellement James Ensor,qui l’appréciait fort et dont il a retenula leçon. Pas le Ensor ultime, celui desmasques, mais le coloriste des salonsbourgeois des années 1880. Et surtoutil a subi la fascination de Cézanne, viaune étude allemande, avec des photosen noir et blanc : il en a retenu l’aspectformel, la simplification des formes, lacomposition géométrique. Il a trouvé enentretien avec herwig todtsRik Wouters, Autoportrait au bandeau noir, 1915, KMSKA.Cézanne “l’unité des impressions”. RikWouters a fait de Cézanne une version“à la belge”, corrigée par Ensor, avecson goût des couleurs brillantes et spectaculaires.Mais il n’a oublié pas Renoir,comme le prouve La femme qui lit :l’influence de Renoir, oui, mais c’est ungrand Wouters. »CULTUREEspace de Libertés : Vous parlez de Cézanne, c’est frappant dans son Autoportrait au bandeau noir : aucun pathétiquealors qu’il a perdu un œil dans une opération du cancer.Même à cet instant, alors qu’il est condamné à mort, il ne travaille pas le « sujet », son drame intime, mais laforme et les couleurs. Une approche qui lui permet un portrait très sobre, presque « réservé ». Cet autoportraitest à placer dans une série d’autoportraits qui est un des clous de cette exposition et qui permet de voir l’évolutionde son art.Le musée des Beaux-Arts d’Anvers est fermé pour cause d’une grande restauration jusqu’en 2017-2018. Or on voitvos collections partout. Une tactique de visibilité bien organisée ?De fait, notre musée sera fermé pendant six ou sept ans. Alors essaimer, c’est survivre. D’abord à Anversmême. On a profité de l’ouverture, en mai, du MAS, pour y exposer nos chefs-d’œuvre anciens. Nos maîtresmodernes sont exposés à la salle Reine Fabiola, près du Meir. À Lierre, on expose notre « Bruegel Land »jusqu’à la fin de 2017 ! L’an dernier, à Bruxelles, on a prêté nos Ensor à l’Espace ING pour l’expo « Ensor démasqué» (NB : Herwig Todts est l’auteur du brillant catalogue de cette expo publié au Fonds Mercator). EtEnsor nous entraîne au Japon et bientôt aux États-Unis au musée Paul Getty. Mais revenons à Rik Wouters, leMalinois : même s’il a fait sa carrière à Bruxelles, grâce au galeriste Georges Giroux, puis à Amsterdam, exilépar la guerre 14-18, il est normal que sa ville natale, Malines, le revendique et l’expose ! © Lukas-Art in Flanders.* Voir Espace de Libertés n°400/septembre 2011RIK WOUTERS: CHEFS-D’ŒUVREExposition jusqu’au 31 décembre2011Schepenhuis, Malines30 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011| Espace de Libertés 401 | octobre 201131


AGENDAAGENDADu 22/10 au 23/10 – 10h « L’art du lâcherprise», formation par Marianne Obozinski. Organiséepar la LEEP. Lieu : place Rouppe 29, 1000 Bruxelles.Réservations : 02 511 25 87 – www.ligue-enseignement.be.Samedi 22/10 – 10h15 « Brasil », visite guidéede l'exposition par Sylvie Estève. Organisée par laLEEP. Lieu : rendez-vous dans le hall principal du Bozar,rue Ravenstein 23, 1000 Bruxelles. Réservations :02 511 25 87 – www.ligue-enseignement.be.Lundi 24/10 – 9h30 « La méthode Gordon, communiquer,respecter l’autre et s’affirmer », formationpar Nele Lavachery (+07/11, + 21/11, +05/12, +19/12).Organisée par la LEEP. Lieu : place Rouppe 29, 1000Bruxelles. Réservations : 02 511 25 87 – www.ligueenseignement.be.Jeudi 27/10 – 9h30 « Mieux gérer le stress dans lavie professionnelle et les associations », formation parMarianne Obozinski (+28/10); Organisée par la LEEP.Lieu : Espace Coghen, av. Coghen 219, 1180 Bruxelles.Réservations : 02 511 25 87 – www.ligue-enseignement.be.Lundi 7/11 – 9h30 « Mieux négocier et prévenirles conflits », formation par Bruno Barbier (+08/11).Organisée par la LEEP. Lieu : place Rouppe 29, 1000Bruxelles. Réservations : 02 511 25 87 – www.ligueenseignement.be.Mardi 8/11 – 9h30 « La prise de parole enpublic », formation par Geneviève Ryelandt (+09/11,+10/11). Organisée par la LEEP. Lieu : Espace Coghen,avenue Coghen 219, 1180 Bruxelles. Réservations :02 511 25 87 – www.ligue-enseignement.be.À LA RADIOla pensée et les hommesTous les samedis sur la Première vers 19h05 (ou 22h30)À LA TÉLÉVISIONMardi 11/10 sur La Une en fin de soirée« L'école moderne : un manifeste ». Marie-Jo Sanchez Benito et Jacques Lemaire.Dimanche 16/10 sur La Une à 9h20« Entretiens avec Michel Onfray ». CAL/CLAV. Rediffusion le 22/10 à 10h sur La Une.Mardi 25/10 sur La Une en fin de soirée« Souvenirs d'un maître ». Stéphane Louryan et Jacques Lemaire.Dimanche 30/10 sur La Une à 9h20« Brassens, 30 ans après ». Martine Bracops, Marc Wilmet et Jacques Lemaire. Rediffusion le 5/11 à 10hsur La Une.Mardi 8/11 sur La Une en fin de soirée« Réflexions sur le destin de Sainte Thérèse ». René Pommier et Jacques Lemaire.Dimanche 13/11 sur La Une à 9h20« Histoires de la science ». Jean C. Baudet et Paul Danblon. Rediffusion le 19/11 à 10h sur La Une.Mardi 22/11 sur La Une en fin de soirée« Les droits de la femme en Europe ». CAL/CLAV.Dimanche 20/11 – 10h « L’abc des émotions del’enfant », formation par Caroline Rivière (+26/11,+27/11). Organisée par la LEEP. Lieu : place Rouppe 29,1000 Bruxelles. Réservations : 02 511 25 87 – www.ligue-enseignement.be.Jeudi 13/10 – 19h30 « Ciel ! Nous écrivons », atelierd’écriture créatrice. Organisé par la LEEP de Mons. Lieu :librairie des chiconniers, chaussée Roi Baudouin 111,Saint-Symphorien. Réservations : 065 31 90 14.Mardi 18/10 – 19h30 « Chansons françaises etpiano à bretelles », retrouvailles en musique animéespar Jean-Pierre Schotte. Organisé par la LEEP de Mons.Lieu : Deli sud, rue des Juifs 21, Mons. Réservations :065 31 90 14.Mardi 25/10 – 19h30 Conférence par l’ancienProcureur du Roi Michel Bourlet. Organisée par la LEEPde Mons. Lieu : salon des Lumières, (resto-déco), rue duMiroir 23, Mons. Réservations : 065 31 90 14.Mercredi 26/10 – 19h30 « Quel avenir pour lescours de religions et de morale ? », conférence-débat parRichard Miller, André Fossion... Organisée par la Maisonde la Laïcité de La Louvière. Lieu : rue Warocqué 124, LaLouvière. Réservations : 064 84 99 74.Mardi 1/11 – 18h30 Balade contée nocturne. Organiséepar la LEEP de Mons. Lieu : départ devant le 24 dela rue Basse, Aulnois. Réservations : 065 31 90 14.Samedi 5/11 – 19h30 « Chansons françaises àtextes », par Michel Maestro à la guitare et au chant.Organisé par la LEEP de Mons. Lieu : chez Leonardo DiFrancesco, rue de l’Égalité 41, Quaregnon. Réservations :065 31 90 14.Dimanche 6/11 – 15h « Chansons françaises àtextes », par Michel Maestro à la guitare et au chant.Organisé par la LEEP de Mons. Lieu : chez Leonardo DiFrancesco, rue de l’Égalité 41, Quaregnon. Réservations :065 31 90 14.Mardi 8/11 – 19h30 « Pas de panique au village ! »,atelier scientifique. Organisé par la Maison de la Laïcitéde La Louvière. Lieu : rue Warocqué 124, La Louvière.Réservations : 064 84 99 74.Mercredi 9/11 – 18h « Pas de panique au village enmusique », soirée tout public en musique avec la participationdu groupe T Badour. Organisée par la Maisonde la Laïcité de La Louvière. Lieu : rue Warocqué 124,La Louvière. Réservations : 064 84 99 74.Jeudi 10/11 – 20h « Le zoroastrisme », conférence parM.-A. Azad. Organisée par la Maison de la Laïcité du Paysd’Ath. Lieu : rue de la Poterne 1, Ath. Renseignements :068 45 64 92.Mardi 15/11 – 19h30 « Chansons françaises et pianoà bretelles », retrouvailles en musique animées par Jean-Pierre Schotte. Organisé par la LEEP de Mons. Lieu : Delisud, rue des Juifs 21, Mons. Réservations : 065 31 90 14.Mercredi 16/11 – 19h30 « Vous n’êtes pas des élèvesde merde ! », témoignage et lecture-débat par Pierre Pirardet Christine Mordant. Organisés par la Maison de la Laïcitéde La Louvière. Lieu : salle Alexandre André, APPL-ImplantationArts et Métiers, rue Paul Pastur 1, La Louvière.Réservations : 064 84 99 74.Jeudi 17/11 – 19h30 « Jean Meslier, curé athée »,conférence par Serge Deruette. Organisée par la Maisonde la Laïcité de Frameries. Lieu : rue de la Libération152, La Bouverie. Renseignements : 064 31 22 23.Jeudi 17/11 – 19h30 « Ils ont peint et moi j’écris »,atelier d’écriture créatrice. Organisé par la LEEP de Mons.Lieu : librairie des chiconniers, chaussée Roi Baudouin111, Saint-Symphorien. Réservations : 065 31 90 14.Du 19/11 au 20/11 « Initiation à la CommediaDell’Arte », formation. Organisée par la LEEP de Mons.Lieu : ancienne maison communale, place de Nimy.Réservations : 065 31 90 14.Mardi 22/11 – 19h30 « Le rapport de Brodeck »,extraits choisis du livre de Philippe Claudel, animéspar Jean-Claude Trefois dans le cadre des « Lectureséchanges» gourmandes. Organisés par la LEEP de Mons.Lieu : salon des Lumières, (resto-déco), rue du Miroir 23,Mons. Réservations : 065 31 90 14.Du 11/11 au 13/11 « Formation de formateurs et deformatrices », par Bruno Barbier et Patrick Hullebroeck(+3-4/12, +21-22/01/2012, +11-12/02, +10-11/03,+21-22/04). Organisée par la LEEP. Lieu : place Rouppe29, 1000 Bruxelles. Réservations : 02 511 25 87 – www.ligue-enseignement.be.Vendredi 11/11 – 10h « Voix et chansons », formationpar Marcelle De Cooman et Julie Legeait (+12/11, +13/11). Organisée par la LEEP. Lieu : place Rouppe 29,1000 Bruxelles. Réservations : 02 511 25 87 – www.ligue-enseignement.be.Jeudi 17/11 – 9h30 « Quelles ressourc es, quellessubventions pour mon projet ? », formation par PatrickHullebroeck. Organisée par la LEEP. Lieu : place Rouppe29, 1000 Bruxelles. Réservations : 02 511 25 87 – www.ligue-enseignement.be.Vendredi 18/11 – 9h30 « Formation à la relaxationen groupe », par Marianne Obozinski (+16/12,+13/01/2012, +03/02, +02/03, +30/03, +4/05, +25/05,+8/06). Organisée par la LEEP. Lieu : Espace Coghen,avenue Coghen 219, 1180 Bruxelles. Réservations :02 511 25 87 – www.ligue-enseignement.be.Du 19/11 au 20/11 – 10h « Le massage de détente »,formation par Marianne Obozinski (+27/11). Organiséepar la LEEP. Lieu : place Rouppe 29, 1000 Bruxelles. Réservations: 02 511 25 87 – www.ligue-enseignement.be.Samedi 19/11 – 14h30 « Victor Horta, un mondedisparu », visite guidée. Organisée par la LEEP. Lieu :rendez-vous à la Maison Autrique, chaussée d’Haecht266, 1030 Bruxelles. Réservations : 02 511 25 87 – www.ligue-enseignement.be.Lundi 21/11 – 9h30 « Techniques de mémorisation »,formation par Bernard Deloge (+22/11). Organisée par laLEEP. Lieu : place Rouppe 29, 1000 Bruxelles. Réservations: 02 511 25 87 – www.ligue-enseignement.be.Mardi 22/11 – 9h30 « Pédagogie de l’animation »,formation par Geneviève Ryelandt (+24/11, +25/11).Organisée par la LEEP. Lieu : Palais du Midi, rue Rogervan der Weyden 3, 1000 Bruxelles. Réservations :02 511 25 87 – www.ligue-enseignement.be.Jeudi 24/11 - 9h30 « Mieux s’organiser pour gérerses projets », formation par Patrick Hullebroeck (+25/11,+29/11). Organisée par la LEEP. Lieu : place Rouppe 29,1000 Bruxelles. Réservations : 02 511 25 87 – www.ligue-enseignement.be.Jeudi 24/11 – 9h30 « La communication assertive »,formation par Sophie Devuyst (+25/11, +05/12).Organisée par la LEEP. Lieu : place Rouppe 29, 1000Bruxelles. Réservations : 02 511 25 87 – www.ligueenseignement.be.HAINAUTMercredi 12/10 – 19h30 « Changer l’école : versun réseau unique ? », conférence-débat par Michel Host,Roland Perceval, Nico Hirtt... Organisée par la Maisonde la Laïcité de La Louvière. Lieu : rue Warocqué 124, LaLouvière. Réservations : 064 84 99 74.Jeudi 13/10 – 19h « Quelle actualité pour les valeursmaçonniques ? », conférence par Bertrand Fondu. Organiséepar Laïcité fontainoise et l’Extension ULB Fontaine-Anderlues-Binche. Lieu : place Degauque 1, Leernes.Renseignements : 071 54 25 56.FunérAilleSWYnSRue aux Laines 891000 Bruxelles(près de St Pierre & Bordet)24 H / 24 HTransferts,Funérailles, Crémations,Assurances décès,Contrats personnaliséstél : 02 538 15 60GSm : 047 28 76 26Contact : Dominique Peeren34| Espace de Libertés 401 | octobre 2011 | Espace de Libertés 401 | octobre 2011 35

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