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Les chemins historiques du canton de Neuchâtel - IVS Inventar ...

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Un patrimoine ignoréChaque voie <strong>de</strong> communication, <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> routecommerciale au plus mo<strong>de</strong>ste sentier, est inscritedans le paysage qu’elle a contribué dans une trèslarge mesure à façonner. A l’instar <strong>de</strong>s monumentsélevés à la gloire <strong>de</strong>s puissants, <strong>de</strong>s villages classésou <strong>de</strong>s sites naturels protégés, les <strong>chemins</strong> <strong>historiques</strong>appartiennent à notre patrimoine culturel. Ilssont les témoins <strong>de</strong> notre passé, parmi les plus fragileset les plus menacés par les mutations sansprécé<strong>de</strong>nts intervenues au cours <strong>du</strong> XX e siècle.Ce bulletin cherche à éclairer les aspects les plussignificatifs <strong>du</strong> riche paysage routier neuchâtelois.Il s’appuie sur les travaux <strong>de</strong> la documentation <strong>IVS</strong>pour le <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel, achevé en 2001.


Du Littoral aux Montagnes, <strong>de</strong>s Côtes<strong>du</strong> Doubs au vallon <strong>du</strong> Seyon, les voies<strong>historiques</strong> <strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel présententune gran<strong>de</strong> diversité: <strong>de</strong> bellesdimensions paysagères, une inscriptionaffirmée dans le terrain, <strong>de</strong>s revêtementsvariés, <strong>de</strong>s formes qui changent selonles époques.Page <strong>de</strong> gauche: Passage taillé dans lecalcaire à la Côte <strong>de</strong>s Moulins Calame(en haut, à gauche). Voie à rainures <strong>du</strong>chemin <strong>du</strong> Diable à Saint-Blaise (à droite).Sentier à vaches bordé <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong>pierre sèche à la Montagne <strong>de</strong> Cernier(en bas).Page <strong>de</strong> droite: Galeries <strong>de</strong> la route <strong>de</strong>Biaufond (en haut, à gauche). Chausséearborée en amont <strong>du</strong> Locle (au milieu).Escaliers dans la combe <strong>de</strong> La Sombaille(à droite). Pont sur le Seyon à Vauseyon(en bas).


<strong>Les</strong> routes et leur histoireDe la « Vy d’Etraz » au tunnelsous la Vue-<strong>de</strong>s-AlpesL’armature <strong>du</strong> réseau <strong>de</strong>s voies principales <strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel, telleque nous la connaissons aujourd’hui, s’est mise en place progressivement.Certains <strong>de</strong> ses éléments ont une origine extrêmement ancienne, d’autresont vu leur rôle s’accroître plus récemment, d’autres enfin, qui ont eu leurheure <strong>de</strong> gloire, se sont vu relégués aux seconds rôles. De multiples facteurs,économiques, politiques, techniques, expliquent cette évolution.<strong>du</strong> réseau routier neuchâtelois est avanttout celle <strong>de</strong>s voies ouvertes au roulage, c’est-àdirecarrossables. En effet, si la plupart <strong>de</strong>s dé­L’histoireplacements s’effectuaient à pied ou à cheval, sur <strong>de</strong>s<strong>chemins</strong> peu exigeants, où circulaient aussi aisémentles bêtes <strong>de</strong> somme, ce sont les routes carrossables quiconcentrent les moyens. La bonne santé d’un royaume sereconnaissant aussi au bon état <strong>de</strong> ses routes, leur constructionet leur entretien font partie <strong>de</strong>s tâches <strong>du</strong> pouvoir,qui s’en acquitte avec plus ou moins <strong>de</strong> diligence etd’efficacité. L’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s autorités vis-à-vis <strong>du</strong> réseauroutier évolue.On peut considérer qu’à Neuchâtel, une rupture dansla manière <strong>de</strong> considérer le réseau intervient <strong>du</strong>rant lesquelques années <strong>de</strong> l’ère Berthier (1806–1814). En 1805,un état <strong>de</strong>s lieux est dressé à l’attention <strong>du</strong> nouveausouverain. Il indique parmi les routes seigneuriales, c’està-direpropriété <strong>du</strong> prince et placées sous sa responsabilité,les cinq routes principales servant aux communicationsà longue portée, au départ <strong>de</strong> Neuchâtel. Cesont « la route <strong>de</strong> France par Pontarlier », soit la route <strong>du</strong>Val-<strong>de</strong>-Travers, par Peseux et Corcelles, « la route <strong>de</strong>France par Morteau », qui se détache <strong>de</strong> la précé<strong>de</strong>ntepour poursuivre par La Tourne et Le Cachot, « la route<strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Berne », par Saint-Blaise, Marin, Thielle,« la route <strong>de</strong> Bâle par le ci-<strong>de</strong>vant Ergué », par le Val-<strong>de</strong>-Ruz, Le Pâquier et les Bugnenets et, enfin, « la route <strong>du</strong><strong>canton</strong> <strong>de</strong> Vaud » reliant Yverdon par Auvernier et Vaumarcus.Sont absentes <strong>de</strong> cette énumération les liaisonsavec Le Locle et La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds, <strong>de</strong>s villes qui, malgréleur importance croissante, sont toujours très mal<strong>de</strong>sservies.Sur les pas <strong>de</strong> l’archéologieL’usage <strong>de</strong>s cinq routes principales énumérées ci-<strong>de</strong>ssusest attesté <strong>de</strong>puis le Moyen Age, mais il ne fait guère <strong>de</strong>doute que l’on circule <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s temps immémoriaux surle territoire neuchâtelois. La région <strong>de</strong>s trois lacs <strong>de</strong>Neuchâtel, Morat et Bienne se distingue par une occupationprécoce, d’une exceptionnelle <strong>de</strong>nsité, qui en fait unhaut-lieu <strong>de</strong> l’archéologie. A Hauterive-Champréveyres,on a trouvé le premier village complet <strong>de</strong> la civilisation<strong>de</strong> Cortaillod. Des ensembles <strong>du</strong> 1 er âge <strong>du</strong> fer ont été misau jour à Neuchâtel, Hauterive et Saint-Blaise. La stationceltique <strong>de</strong> La Tène a donné son nom à une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>l’âge <strong>du</strong> fer. Des fouilles près <strong>de</strong> Pont-<strong>de</strong>-Thielle, où laplaine marécageuse se resserre entre la forêt <strong>de</strong> Gals et leplateau <strong>de</strong> Wavre, ont révélé <strong>de</strong>s vestiges <strong>du</strong> néolithiqueet <strong>de</strong> l’âge <strong>du</strong> bronze. Pour ce qui concerne l’histoire routière,citons pour l’âge <strong>du</strong> bronze un fascinant tronçon<strong>de</strong> route large <strong>de</strong> 2,5 m, mis au jour en 1995 à Cortaillod.A Auvernier et à Saint-Blaise, on a retrouvé <strong>de</strong>s roues <strong>de</strong>char en bois ; or, on sait que le char est une inventionconnue dans nos régions <strong>de</strong>puis le 28 e siècle avant J.-C.au moins. La roue en bronze <strong>de</strong> Cortaillod, qui appartenaitprobablement à un char <strong>de</strong> cérémonie, représentepour sa part un chef-d’œuvre <strong>de</strong> la métallurgie <strong>de</strong> l’âge<strong>du</strong> bronze.Voies romaines, entre mythe et réalitéA l’époque romaine, les villas <strong>du</strong> Littoral et <strong>du</strong> Val-<strong>de</strong>-Ruz étaient certainement reliées entre elles par <strong>de</strong>s voies<strong>de</strong> communication locales, dont le chemin <strong>du</strong> Diable àSaint-Blaise constitue un très bel exemple. La plupart <strong>de</strong>schercheurs admettent l’existence d’une liaison romaineCanton <strong>de</strong> Neuchâtel


entre le pont <strong>de</strong> Thielle et le pont <strong>du</strong> Ron<strong>de</strong>t sur la Broye,en direction <strong>du</strong> sud et d’Avenches, dont le tracé <strong>de</strong>meuretrès incertain, malgré l’abondance <strong>de</strong>s trouvailles. Il estpar contre beaucoup plus difficile d’affirmer que le pays<strong>de</strong> Neuchâtel était traversé par une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s voies <strong>de</strong>l’Empire. En l’état actuel <strong>de</strong>s connaissances, on admetqu’à l’époque gallo-romaine les gran<strong>de</strong>s voies transhelvétiques,<strong>de</strong> même que les gran<strong>de</strong>s voies transversalescon<strong>du</strong>isant en Gaule ou aux territoires <strong>du</strong> Haut-Rhin, netouchaient pas Neuchâtel. Dès le XIX e siècle, cependant,<strong>de</strong> nombreux auteurs ont considéré que la « Vy d’Etraz »,dont le parcours se déroule en hauteur, environ 100 m au<strong>de</strong>ssus<strong>du</strong> lac, était un tronçon d’une gran<strong>de</strong> voie romaineentre Yverdon et Soleure, qui aurait été abandonnée versle XIV e siècle (ill. 2). Cette croyance Ill. 1 : Entre 1801 et 1806, Jean Frédéricrepose uniquement sur <strong>de</strong>s indicationstoponymiques : longtemps, le <strong>de</strong> la Principauté <strong>de</strong> Neuchâtel », quiOstervald a levé cette admirable « Carteterme d’Etraz, <strong>du</strong> latin « via strata » donne une idée saisissante <strong>du</strong> relief etdonc <strong>de</strong>s obstacles que les routesqui désigne un chemin empierré,neuchâteloises ont à vaincre. L’illustrationmontre une version <strong>de</strong> 1835, quiconstituait une preuve d’antiquité,mais on sait aujourd’hui que ce termeapporte quelques légères modificationsqualifie <strong>du</strong>rant <strong>de</strong>s siècles <strong>de</strong>s <strong>chemins</strong><strong>de</strong> quelque importance, pasà la première édition.forcément romains.La glorieuse voie lacustreIl est en revanche certain qu’à l’époque gallo-romaine etmême avant, le lac <strong>de</strong> Neuchâtel constitue la principaleCanton <strong>de</strong> Neuchâtel


Ill. 2 : Ce détail <strong>de</strong> la Carte <strong>de</strong> la châtellenie<strong>de</strong> Boudry <strong>de</strong> 1630, par Josué et le restera jusqu’à l’avènement <strong>du</strong>voie <strong>de</strong> communication <strong>de</strong> la région,Perret-Gentil-dit-Maillard, indique chemin <strong>de</strong> fer. Avec ses voisins le lac« Le Chemin <strong>de</strong>s Trax » en provenance <strong>de</strong> Morat et le lac <strong>de</strong> Bienne, auxquelsil est relié par la Broye et la<strong>de</strong> Bevaix et se dirigeant sur « Pont aReuse ». C’est une <strong>de</strong>s nombreusesThielle, il forme un vaste ensembleoccurrences <strong>de</strong> cet « étraz ». Archivesnavigable <strong>de</strong>puis les temps pré<strong>historiques</strong>.Des pirogues monoxyles ap­d’Etat <strong>de</strong> Neuchâtel, dans : Muséeneuchâtelois 1933.partenant aux premiers lacustres etdatant <strong>du</strong> 39 e siècle avant notre èreont été retrouvées. Pour l’époque <strong>du</strong> bronze final européen,la moitié <strong>de</strong>s pirogues recensées proviennent <strong>de</strong> larégion <strong>de</strong>s Trois-Lacs, témoignant <strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong> lavoie lacustre. Comme le transport par eau était considérablementmeilleur marché que par voie <strong>de</strong> terre, les lacset les fleuves ont continué <strong>du</strong>rant l’antiquité à jouer unrôle essentiel dans les communications. Des inscriptionsromaines à Genève, Lausanne-Vidy et Avenches attestentl’existence <strong>de</strong> corporations <strong>de</strong> bateliers sur le Rhône, lelac Léman et l’Aar. Il existait une liaison par bateauxentre le lac <strong>de</strong> Neuchâtel et le lac <strong>de</strong> Morat par la Broye,qui con<strong>du</strong>isait à Avenches ; vers le nord, la Thielle permettait<strong>de</strong> rejoindre le lac <strong>de</strong> Bienne et <strong>de</strong> continuer parl’Aar jusqu’au Rhin. Des restes <strong>de</strong> barques gallo-romaines,découvertes à Yverdon et près <strong>de</strong> Bevaix, confirmentl’utilisation commerciale <strong>du</strong> lac <strong>du</strong>rant les <strong>de</strong>ux premierssiècles <strong>de</strong> notre ère. On a pu établir par <strong>de</strong>ndrochronologieque la barque <strong>de</strong> Bevaix, repérée en 1970, fut construiteen 182 après J.-C. Au Moyen Age, la voie lacustreconstitue un atout incontestable pour la région, par sesliaisons fluviales avec les autres lacs subjurassiens. Laville <strong>de</strong> Neuchâtel, le « Novum castellum » cité en 1011, avisiblement été fondée pour surveiller le trafic sur ce précieuxitinéraire.La route <strong>du</strong> sel neuchâteloiseLa voie lacustre était doublée par une voie terrestre suivantles rives, malcommo<strong>de</strong> et souvent en piteux état àcause d’un terrain particulièrement difficile. En raison <strong>de</strong>la situation excentrée <strong>de</strong> Neuchâtel, cet axe souffre aussi<strong>de</strong> la concurrence <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s routes <strong>du</strong> plateau ten<strong>du</strong>esentre Genève et Berne.Dans la hiérarchie <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> la principauté, la toutepremière place revient sans nul doute à la route <strong>de</strong> Francepar le Val-<strong>de</strong>-Travers. Depuis le Moyen Age au moins,elle est un maillon important d’une gran<strong>de</strong> liaison entrele plateau suisse et les plaines <strong>de</strong> la Saône. <strong>Les</strong> seigneurs<strong>de</strong> Neuchâtel y assoient leur domination et, dès la fin <strong>du</strong>XIII e siècle, concluent <strong>de</strong>s traités d’alliance et <strong>de</strong> combourgeoisieavec Fribourg, Soleure et Berne. Le puissant<strong>canton</strong> <strong>de</strong> Berne accor<strong>de</strong> une importance particulière àcet itinéraire, au fur et à mesure que se développent sesrelations commerciales et diplomatiques avec le royaume<strong>de</strong> France. La diagonale Val-<strong>de</strong>-Travers – pont <strong>de</strong> Thiellepar Neuchâtel est en effet la route la plus courte pour lesmarchands <strong>de</strong> draps et autres négociants se rendant àBerne <strong>de</strong>puis la Franche-Comté. On y transporte aussi leblé et surtout le sel <strong>de</strong>s mines <strong>de</strong> Salins, à <strong>de</strong>stination <strong>de</strong>Berne et <strong>de</strong> Fribourg, un trafic fort lucratif pour les seigneurs<strong>de</strong> Neuchâtel qui possè<strong>de</strong>nt le péage <strong>du</strong> Val-<strong>de</strong>-Travers. La route <strong>de</strong> France doit cependant faire face à laconcurrence d’autres itinéraires, tels la route <strong>du</strong> col <strong>de</strong>Jougne, dont Jean <strong>de</strong> Chalon a su faire une entreprisecommerciale rentable.Longtemps, les comtes <strong>de</strong> Neuchâtel n’ont pas su réaliserle potentiel <strong>de</strong> leur gran<strong>de</strong> route. Son entretien estdit exécrable, et la sécurité <strong>du</strong> trafic n’y est nullement assurée.Au XV e siècle, la situation change. Berne, qui comprendl’intérêt <strong>de</strong> la voie <strong>du</strong> Val-<strong>de</strong>-Travers pour se relieraux pays bourguignons, fait pression pour que Neuchâtelmodère ses appétits douaniers et assure la sécurité <strong>de</strong>smarchands. Brusquement, cette route somnolente s’ouvreau grand trafic. Celui-ci se maintient aux siècles suivants,faisant <strong>de</strong> la route <strong>de</strong> France la principale voie commerciale<strong>de</strong> la principauté.De nombreux obstacles à surmonterCet axe transversal privilégié, désigné parfois sous lenom <strong>de</strong> « Trouée <strong>de</strong> Bourgogne », possè<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux passagesparticulièrement ar<strong>du</strong>s, à la Clusette et à la Tour Bayard,dont les vicissitu<strong>de</strong>s illustrent parfaitement les problèmesqu’avait à affronter le pouvoir pour gar<strong>de</strong>r ouvertes sesroutes carrossables. A La Clusette, à l’entrée <strong>du</strong> Val-<strong>de</strong>-Travers, le grand chemin passe sous un imposant rocher,10Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


dont la structure géologique fragile représente une menaceconstante pour le voyageur. <strong>Les</strong> réparations fréquentesoccasionnent <strong>de</strong>s frais considérables : il faut installer<strong>de</strong>s barrières ou parapets pour empêcher les chevaux<strong>de</strong> sombrer dans le précipice, soutenir le cheminavec un mur. Lors <strong>de</strong> travaux d’envergure effectués à lafin <strong>du</strong> XVIII e siècle, un chemin <strong>de</strong> remplacement est établi,car on ne veut pas interrompre le trafic, <strong>de</strong> toute premièreimportance pour les caisses <strong>de</strong> la principauté. En 1816,un <strong>de</strong>rnier éboulement ensevelit la route, rendant inévitablel’établissement d’un nouveau tracé. Le tracé abandonnésubsiste en partie à Noiraigue, Ill. 3 : Le lac <strong>de</strong> Neuchâtel vers 1890,où l’on peut se faire une idée <strong>de</strong> ce d’après F.-W. Moritz. A cette date, laqu’était jadis une gran<strong>de</strong> voie commerciale(ill. 4). La nouvelle route <strong>de</strong>voie d’eau a déjà été supplantée par lechemin <strong>de</strong> fer. Le transport <strong>de</strong> marchandisescè<strong>de</strong> la place aux déplacementstouristiques. Dans : Muséela Clusette est à son tour détrônéepar un tunnel en 1975. Plus loin surneuchâtelois 1909.la route, entre Saint-Sulpice et levallon <strong>de</strong>s Verrières, le passage <strong>de</strong> laChaîne a suscité bien <strong>de</strong>s récits. Il est gardé par la TourBayard, aujourd’hui disparue, dont la légen<strong>de</strong> prétendqu’elle a été construite par Jules César. Une chaîne fermaitautrefois le défilé à l’ouest <strong>du</strong>cirque <strong>de</strong> Saint-Sulpice. Au moment<strong>de</strong>s guerres <strong>de</strong> Bourgogne, l’avantgar<strong>de</strong><strong>de</strong> Charles le Téméraire a cherché,sans succès, à en forcer le passage.Au XIX e siècle, la découverted’un pavage a fait <strong>de</strong> cette route uneIll. 4 : A Noiraigue, on peut encore suivresur quelques centaines <strong>de</strong> mètres letracé en usage jusqu’à la fin <strong>du</strong> XVIII esiècle. La vieille route possè<strong>de</strong> uneatmosphère pleine <strong>de</strong> charme, qui doitbeaucoup à sa riche substance historique: profil en creux, murets <strong>de</strong> pierresèche, arborisation, parcours souple.Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 11


Ill. 5 : Le tunnel <strong>de</strong> la Roche Percée a voie romaine, mais aucune autre trouvaillen’est venue corroborer l’anti­donné lieu à maintes représentationsspectaculaires. Cette vue <strong>de</strong> 1840 <strong>du</strong>e à quité <strong>du</strong> passage. Enfin, on raconteWelter, tirée <strong>de</strong> l’ouvrage intitulé que la gorge était jadis gardée par un« Album neuchâtelois », est une véritableserpent monstrueux, la Vuivra, quimise en scène <strong>du</strong> paysage, où la routesemait la désolation dans la région,joue le premier rôle.jusqu’à ce que le vaillant Sulpy Reymondle terrasse. Depuis 1838, le tunnel<strong>de</strong> la Roche Percée à Saint-Sulpice, qui a remplacé laséculaire route <strong>de</strong> la Chaîne <strong>de</strong>venue trop ar<strong>du</strong>e pour <strong>de</strong>svéhicules <strong>de</strong> plus en plus lourds, s’offre aux représentationsles plus romantiques (ill. 5).Le Locle et La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds,nouvelles centralitésLa « route <strong>de</strong> France par Morteau » et la « route <strong>de</strong> Bâle parle ci-<strong>de</strong>vant Ergué » complètent la liste <strong>de</strong>s cinq gran<strong>de</strong>sroutes seigneuriales <strong>de</strong> la principauté. Elles témoignenttoutes <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> relations très anciennes, d’une part avecBesançon et la Franche-Comté, à une époque où les relationstransjuranes étaient beaucoup plus intenses, d’autrepart avec l’Evêché <strong>de</strong> Bâle, avec lequel Neuchâtel a toujoursentretenu <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> proche voisinage, parfoisconflictuelles. Elles appartiennent toutes <strong>de</strong>ux à cette catégorie<strong>de</strong> voies progressivement déclassées, au fur et àmesure <strong>de</strong> la réorientation <strong>du</strong> réseau neuchâtelois vers leplateau suisse. Surtout, elles ont été détrônées par lamontée en puissance <strong>de</strong>s villes <strong>du</strong> Locle et <strong>de</strong> La Chaux<strong>de</strong>-Fonds,et la construction <strong>de</strong>s routes <strong>de</strong>s Montagnes.La colonisation <strong>de</strong>s Montagnes <strong>de</strong> Valangin s’estéten<strong>du</strong>e sur plusieurs siècles, avec <strong>de</strong>s ralentissements et<strong>de</strong>s accélérations, <strong>de</strong>s environs <strong>de</strong> l’an 1100 jusque vers lafin <strong>du</strong> XVI e siècle. Au XVII e siècle, l’artisanat permet d’oc­cuper une population en forte augmentation. <strong>Les</strong> armuriers,fabricants <strong>de</strong> pen<strong>du</strong>les puis <strong>de</strong> montres, maîtresd’état divers, meuniers installant les moulins souterrains<strong>du</strong> Col-<strong>de</strong>s-Roches assurent la prospérité <strong>de</strong> l’endroit. La<strong>de</strong>ntellerie, très importante, est bientôt relayée par l’horlogerieet ses branches annexes, qui font la fortune <strong>du</strong>Locle et qui sont in<strong>du</strong>strialisées à la fin <strong>du</strong> XIX e siècle. Larégion <strong>de</strong> La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds, pour sa part, est coloniséeplus tardivement, <strong>de</strong> façon saisonnière dès le milieu <strong>du</strong>XIV e siècle, <strong>de</strong> façon permanente au siècle suivant. Lehameau se développe au carrefour <strong>de</strong> <strong>chemins</strong> toujoursplus fréquentés par le trafic entre Neuchâtel, la Franche-Comté et l’Evêché <strong>de</strong> Bâle. La guerre <strong>de</strong> Trente Ans(1618–1648) aurait, semble-t-il, favorisé la croissance <strong>de</strong>la localité qui bénéficie d’une position géographique propiceau commerce. La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds se développejusqu’à <strong>de</strong>venir un bourg in<strong>du</strong>striel et commerçant quidépend <strong>du</strong> trafic commercial pour son approvisionnementet pour l’écoulement <strong>de</strong> sa pro<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> montres,pen<strong>du</strong>les et <strong>de</strong>ntelles.De nouvelles priorités...Au XVIII e siècle, tant Le Locle que La Chaux-<strong>de</strong>-Fondsont acquis une importance économique et développé uneambition à la hauteur <strong>de</strong> leur prospérité économique.Celle-ci ne se tra<strong>du</strong>it pas dans le réseau routier, et les<strong>de</strong>ux villes ne sont reliées à la capitale et aux régionsvoisines que par <strong>de</strong> méchants <strong>chemins</strong>, indignes d’elles.Elles revendiquent avec toujours plus <strong>de</strong> fermeté uneamélioration <strong>de</strong>s communications dans les Montagnes. Sile Conseil d’Etat se montre finalement prêt à améliorer lescommunications entre les Montagnes et le Littoral, il refuseen revanche à plusieurs reprises d’établir <strong>de</strong> nouvellesrelations avec la France. Celles-ci pourraient eneffet détourner le commerce <strong>de</strong> transit <strong>du</strong> Val-<strong>de</strong>-Traverset surtout favoriser l’entrée <strong>de</strong>s vins français. Le poids <strong>de</strong>sintérêts économiques <strong>de</strong>s propriétaires <strong>de</strong> vignes <strong>du</strong> Littoral,parmi lesquels on compte beaucoup <strong>de</strong> membres <strong>du</strong>Conseil d’Etat, pèse longtemps très lourd dans la politique<strong>de</strong>s transports neuchâteloise.Sous le premier régime prussien, <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s serontmenées pour améliorer les liaisons avec Le Locle et avecLa Chaux-<strong>de</strong>-Fonds, mais n’aboutissent pas. <strong>Les</strong> quelquesinterventions <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> moitié <strong>du</strong> XVIII e siècle sonteffectuées dans le but d’encourager le commerce <strong>du</strong> Littoral,notamment l’exportation <strong>de</strong> vin : on ouvre uneroute entre Neuchâtel et Lignières, on améliore la route<strong>de</strong>s Bugnenets vers l’Evêché <strong>de</strong> Bâle, notamment entreNeuchâtel et Valangin.12Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


...pour une politique routière mo<strong>de</strong>rneIl faudra attendre le régime Berthier pour que le problème<strong>de</strong>s liaisons avec les Montagnes <strong>de</strong>vienne la prioritéd’une politique routière dynamique, dans la meilleure tradition<strong>de</strong>s Ponts et Chaussées français. A la volonté stratégiques’ajoutent <strong>de</strong>s considérations économiques. Legouverneur <strong>Les</strong>pérut a constaté que l’absence <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>sroutes pour relier Le Locle et La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds à Neuchâtelprésente <strong>de</strong> nombreux inconvénients : « Une mesure<strong>de</strong> pommes <strong>de</strong> terre valant 15 sols au chef-lieu coûtele double après son transport aux Montagnes dont leshabitants, loin d’acheter le vin <strong>du</strong> Vignoble, le font venir<strong>de</strong> France. » La décision <strong>de</strong> construire <strong>de</strong>ux nouvellesroutes, celle <strong>de</strong> la Vue-<strong>de</strong>s-Alpes et celle <strong>de</strong> La Tourne,marque un tournant dans l’histoire routière <strong>de</strong> Neuchâtel.Cette redistribution <strong>de</strong>s cartes à l’échelle <strong>de</strong> la principautésignale le déclin <strong>de</strong> l’itinéraire <strong>du</strong> Val-<strong>de</strong>-Travers, prépondérant<strong>du</strong>rant tout l’Ancien Régime et définit lesgran<strong>de</strong>s lignes <strong>du</strong> réseau routier actuel.Délicieusement vertigineuseLa nouvelle route <strong>de</strong> La Tourne établie entre 1807 et 1813reprend en partie le tracé <strong>de</strong> l’ancien chemin <strong>de</strong> Morteau,en l’améliorant considérablement et, surtout, en l’infléchissant<strong>du</strong>rablement en direction <strong>du</strong> Locle. On étudieplusieurs tracés, pour finalement adopter un parcours quiévite La Sagne et passe par <strong>Les</strong> Ponts et <strong>Les</strong> Joux <strong>de</strong> laville <strong>de</strong> Neuchâtel, avec la possibilité d’un embranchementen direction <strong>de</strong> Morteau. En 1812, Depping, un Allemand<strong>de</strong> Westphalie qui se rend <strong>de</strong> Neuchâtel au Locleen char à banc, ne cache pas son admiration <strong>de</strong>vantl’œuvre accomplie : « Après avoir longé quelques forêts <strong>de</strong>pins, nous vîmes en face <strong>de</strong> nous un rocher très escarpé,élevé d’environ huit cents pieds. Dans une heure, me ditle cocher, nous serons auprès <strong>de</strong> ces pins, sur la cime. Jecrus qu’il plaisantait ; cependant, en approchant, on découvraitun chemin qui montait en zig-zag, <strong>du</strong> vallon auhaut <strong>du</strong> rocher. C’est un <strong>de</strong>s plus beaux ouvrages qu’onait fait dans ce genre pendant le <strong>de</strong>rnier siècle, et il estétonnant qu’une province aussi petiteque celle <strong>de</strong> Neuchâtel ait pu constamment adaptée au trafic et doncIll. 6 : La route <strong>de</strong> la Vue-<strong>de</strong>s-Alpes a étél’exécuter. [...] <strong>Les</strong> <strong>de</strong>rniers travaux considérablement mo<strong>de</strong>rnisée <strong>de</strong>puis sasont <strong>de</strong> 1810. Le chemin est large et création. Certains <strong>de</strong> ses tronçons sontparfaitement uni. D’un côté il estmême complètement nouveaux, telle lagran<strong>de</strong> boucle qui amène jusqu’au col.bordé par le roc que l’on a tailléCela a permis <strong>de</strong> préserver <strong>de</strong>s segmentscomme un mur, et <strong>de</strong> l’autre par unanciens comme cette magnifique allée.précipice qui <strong>de</strong>vient plus effroyableà mesure que l’on monte. Des tiges<strong>de</strong> pins s’y élancent <strong>de</strong> diverses hauteurs. Pour en diminuerle danger, on a posé sur le bord <strong>du</strong> chemin, à <strong>de</strong> petitesdistances, <strong>de</strong> grosses pierres ; mais cette précautionne me semble pas suffisante ; avec <strong>de</strong>s chevaux fringanson courrait encore <strong>de</strong> grands risques dans cette montée ;puisque la pierre abondait, il aurait fallu en faire un murà hauteur d’appui. »Un engagement collectifEntre Neuchâtel et La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds, le chemin a étéamélioré jusqu’à Valangin, grâce à la réfection <strong>de</strong> la route<strong>de</strong> l’Evêché <strong>de</strong> Bâle. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> Valangin, <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s ontété entreprises, <strong>de</strong>s plans et <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vis établis, mais leprojet tourne court en 1805, quand le gouvernement estimene pas avoir les moyens d’assumerfinancièrement ces travaux etse contente <strong>de</strong> réparations. En 1806,Ill. 7 : Depuis 1809, c’est par une belleroute carrossable que l’on arrive à LaChaux-<strong>de</strong>-Fonds. La gravure <strong>de</strong> JoachimWirz, <strong>de</strong> 1825, illustre bien le caractèretrès urbain <strong>de</strong> la localité. Dans : Muséeneuchâtelois 1897.Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 13


Ill. 8 : Le tunnel <strong>du</strong> Col <strong>de</strong>s Roches, quioffre un passage direct entre Le Locle etMorteau, incarne la mo<strong>de</strong>rnité routière,où on n’hésite pas à investir dans unouvrage très coûteux pour faciliter lescommunications. Dessin <strong>de</strong> FrédéricHuguenin-Lassauguette, vers 1890.le gouvernement <strong>du</strong> maréchal Berthier remet la machineen marche. La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds se montre particulièremententhousiaste, offrant 20 300 livres, environ 680 journées<strong>de</strong> voitures et 381 journées <strong>de</strong> manœuvres, et renonçantà toute in<strong>de</strong>mnité. Le tracé officiel, établi par l’ingénieurBocquillon sous l’Ancien Régime, est contesté.<strong>Les</strong> habitants <strong>de</strong> Bou<strong>de</strong>villiers, soutenus par ceux <strong>de</strong>sHauts-Geneveys, présentent <strong>de</strong>ux projets <strong>de</strong> tracés alternatifs,l’un par la Jonchère, l’autre par Malvilliers, pluscourt que le projet officiel par la Borcar<strong>de</strong>rie. <strong>Les</strong> avantages<strong>du</strong> tracé par l’ouest, par Bou<strong>de</strong>villiers et Malvilliers,sont admis, et il est adopté. La construction <strong>de</strong> la route <strong>de</strong>La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds débute <strong>du</strong>rant l’été 1807 et est achevéeau cours <strong>de</strong> l’année 1809 (ill. 7). Entre Valangin et LaChaux-<strong>de</strong>-Fonds, l’ancien « chemin <strong>de</strong> Boinod » et la route<strong>de</strong> la Vue-<strong>de</strong>s-Alpes coexistent sur quelques tronçons,offrant une intéressante comparaison. En 1879, l’ingénieurGuillaume <strong>de</strong> Pury décrit les limites <strong>de</strong> cettegran<strong>de</strong> route construite « dans les vingt premières années<strong>de</strong> ce siècle avec les pentes et rampes en usage à cetteépoque, soit environ 12 cm. par mètre. » C’est que les normeset la technique ont considérablement évolué : « Il estévi<strong>de</strong>nt que si cette construction avait eu lieu trente ouquarante ans plus tard, on aurait diminué les pentes etrampes au détriment <strong>de</strong> la longueur <strong>du</strong> parcours. » Néanmoins,comme le souligne très justement l’historien JeanCourvoisier, tant pour la route <strong>de</strong> La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds quepour celle <strong>du</strong> Locle, « le travail et les dépenses se révélèrent<strong>du</strong>rables puisque, pendant près <strong>de</strong> cent trente ans,<strong>de</strong>ux nouvelles voies <strong>de</strong> circulation suffirent au trafic,sans rectifications notables. »Des obstacles physiques et politiquesIl faut ajouter à l’actif <strong>du</strong> régime Berthier la construction<strong>du</strong> pont Alexandre à Serrières, qui améliore considérablementles conditions <strong>de</strong> circulation sur la route <strong>du</strong> lac.Toutes ces réalisations ont certes révolutionné les liaisonsinternes à Neuchâtel, mais les relations avec l’extérieurrestent insatisfaisantes aux yeux <strong>de</strong>s Montagnes, car leConseil d’Etat refuse toujours d’ouvrir <strong>de</strong> nouvelles routesvers la France.En 1780 déjà, les habitants <strong>du</strong> Locle et <strong>de</strong> La Chaux<strong>de</strong>-Fondsont fait le projet d’un axe <strong>de</strong> transit Morteau– Le Locle – La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds se prolongeant dansle vallon <strong>de</strong> Saint-Imier, en direction <strong>de</strong> Bienne et <strong>de</strong>Bâle. Le Locle, notamment, ne dispose que <strong>de</strong> très mauvaisesroutes en direction <strong>de</strong> Morteau, par <strong>Les</strong> Brenets,qui doivent traverser un terrain particulièrement difficile.Aujourd’hui, on peut distinguer jusqu’à quatre tracés différentsqui gravissent la montagne <strong>de</strong>s Monts au sudouest<strong>du</strong> Locle, franchissent la combe <strong>de</strong> Monterban pourre<strong>de</strong>scendre vers les Brenets. Ils témoignent d’une volontéjamais démentie d’améliorer les relations.Après s’être résigné <strong>de</strong>s siècles <strong>du</strong>rant à grimper par<strong>de</strong>ssusles rochers, on entreprend au XIX e siècle <strong>de</strong> lescreuser. <strong>Les</strong> ingénieurs rivalisent d’audace pour construire<strong>de</strong>s routes au tracé à la fois confortable et le plusdirect possible. A cet égard, l’entreprise la plus célèbredans le <strong>canton</strong> est sans nul doute le percement <strong>du</strong> Col <strong>de</strong>sRoches au Locle (ill. 8). Depuis le milieu <strong>du</strong> XVIII e siècle,l’idée d’ouvrir une galerie à cet endroit a lentement faitson chemin. Lorsque l’ouvrage est inauguré, en 1850, ilne rencontre malheureusement pas l’écho escompté : les14Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


événements politiques, à Neuchâtel et dans l’ensemble<strong>de</strong> la Suisse, tout comme le chemin <strong>de</strong> fer, lui font uneconcurrence inatten<strong>du</strong>e. Il reste que ce passage améliore<strong>du</strong>rablement les communications ; quelques années plustard, il est complété par la galerie et tunnel <strong>de</strong> la Rançonnièrequi offre <strong>de</strong>s ouvertures spectaculaires sur lepaysage.Un chef-d’œuvre d’ingénieurLa route <strong>de</strong>s Côtes <strong>du</strong> Doubs est pour sa part la version laplus mo<strong>de</strong>rne d’un très ancien cheminement entre Neuchâtelet la rive française <strong>du</strong> Doubs, à Maîche. La « via <strong>de</strong>Maches », connue plus tard sous le nom <strong>de</strong> « chemin <strong>de</strong>Blancheroche », est citée en 1401 déjà, avant même la fondation<strong>de</strong> La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds. Malgré sa très forte déclivité,le chemin est considéré comme carrossable au XVIII esiècle.Dès 1870, on étudie un ambitieux projet pour uneroute internationale dans les Côtes <strong>du</strong> Doubs, avec unelargeur <strong>de</strong> 5 m, une pente maximum <strong>de</strong> 9 % et un pont surle Doubs. Construite entre 1873 et 1893, cette route est,avec ses courbes audacieuses, ses tunnels et ses murs <strong>de</strong>soutènement, un exemple achevé <strong>de</strong> route d’ingénieur <strong>du</strong>XIX e siècle. Elle ne pourra toutefois jamais jouer le rôleinternational auquel elle était <strong>de</strong>stinée, d’une part parceque la route <strong>du</strong> Col <strong>de</strong>s Roches offre une alternative plustraditionnelle, d’autre part parce que la guerre <strong>de</strong> 1914–1918, en fermant les frontières, a porté un coup <strong>du</strong>rableaux échanges avec la France.Un réseau qui s’étoffeAu cours <strong>du</strong> XIX e siècle, on se préoccupe <strong>de</strong> doter l’ensemble<strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> routes carrossables. <strong>Les</strong> localités,comme Chézard et Fontaines ou encore La Côte-aux-Fées, sont reliées aux gran<strong>de</strong>s routes <strong>canton</strong>ales, puis onétablit <strong>de</strong>s routes entre vallées pour <strong>de</strong>sservir l’ensemble<strong>de</strong>s districts. En 1810, une voie mo<strong>de</strong>rne rallie La Sagne<strong>de</strong>puis la route <strong>de</strong> la Vue-<strong>de</strong>s-Alpes. La liaison carrossableentre <strong>Les</strong> Verrières, La Brévine et Le Locle date <strong>de</strong>1827 ; elle est bientôt suivie par la route <strong>de</strong> Rosières,entre le Val-<strong>de</strong>-Travers et la vallée <strong>de</strong>s Ponts (1828–1830). La route entre Buttes et Sainte-Croix est inauguréeen 1843, négociant avec élégance le passage <strong>de</strong>s Gorges<strong>de</strong> Noirvaux (ill. 9). Ces routes étaient parcourues par <strong>de</strong>nombreuses voitures postales. En 1848, quand les postesfurent reprises par la Confédération, Neuchâtel comptaitparmi les <strong>canton</strong>s les mieux équipés <strong>de</strong> Suisse, avec 51bureaux ou dépôts postaux et 17 courses officielles <strong>de</strong>messageries.Un nouvel acteur <strong>de</strong>s communicationsComme partout ailleurs en Suisse et en Europe, le réseauroutier neuchâtelois doit s’adapter au chemin <strong>de</strong> fer. En1859, l’ouverture d’une ligne ferroviaire entre La Neuvevilleet Yverdon porte ombrage à la nouvelle route entreNeuchâtel et La Neuveville <strong>de</strong> 1836, prolongée le long<strong>de</strong> la rive nord <strong>du</strong> lac <strong>de</strong> Bienne. <strong>Les</strong> lignes <strong>du</strong> Jura-In<strong>du</strong>striel et <strong>du</strong> Franco-Suisse sont inaugurées en 1860,bientôt suivies par la voie <strong>de</strong>s Convers vers le vallon <strong>de</strong>Saint-Imier. Le Régional <strong>du</strong> Val-<strong>de</strong>-Travers est mis enexploitation en 1883, la ligne La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds – <strong>Les</strong>Ponts-<strong>de</strong>-Martel ouverte en 1889, le Régional <strong>de</strong>s Brenetsen 1890, la ligne La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds - Saignelégier en1892. La même année, le chemin <strong>de</strong> fer à voie étroiteentre Neuchâtel, Cortaillod et Boudry double la ligne ferroviaire<strong>du</strong> pied <strong>du</strong> Jura, trop éloignée <strong>de</strong>s villages.En 1902, ce ne sont pas moins <strong>de</strong> 26 km <strong>de</strong> voies étroitesqui rayonnent à partir <strong>de</strong> la capitale. Des routes sont construitespour relier les localités les plus éloignées auxgares. Ainsi, La Brévine rejoint les gares <strong>de</strong> Boveresse et<strong>de</strong> Couvet par une belle route <strong>de</strong> 13 km, inaugurée en1877.Une prise en charge mo<strong>de</strong>rneAu cours <strong>du</strong> XIX e siècle se met en place une administrationroutière capable <strong>de</strong> garantir non seulement uneconstruction dans les règles <strong>de</strong> l’art mais aussi et surtoutun entretien régulier et constant <strong>de</strong>s voies, essentiel pourpréserver un réseau routier digne <strong>de</strong> ce nom. <strong>Les</strong> moyenssont mis en place progressivement. En 1816, on créel’office d’ingénieur <strong>de</strong>s Ponts et Chaussées. <strong>Les</strong> corvéespour l’entretien <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s routes sont supprimées à lafin <strong>de</strong>s années 1830 et on désigne <strong>de</strong>s <strong>canton</strong>niers pours’en occuper, sur les axes principaux tout d’abord,puis sur les routes secondaires. Des budgets spécifiquessont attribués à la construction et à l’entretien <strong>de</strong> lavoirie. En 1849, Neuchâtel, comme la plupart <strong>de</strong>s <strong>canton</strong>ssuisses, adopte une Loi sur les routes et voies publiques,qui organise les routes <strong>canton</strong>ales en troisclasses selon leur largeur (7,2 m, 5,4 m et 4,8 m). Cellescisont prises en charge par l’Etat, les communes assumantles coûts <strong>de</strong>s routes communales. Dans la premièremoitié <strong>du</strong> XX e siècle, on poursuit les efforts <strong>de</strong>mo<strong>de</strong>rnisation, tout en confirmant les choix <strong>du</strong> siècleprécé<strong>de</strong>nt : la route <strong>du</strong> lac <strong>de</strong>meure <strong>de</strong> première importanceavec celle <strong>de</strong> la Vue-<strong>de</strong>s-Alpes et la diagonale<strong>du</strong> Val-<strong>de</strong>-Travers. Le réseau routier <strong>du</strong> Val-<strong>de</strong>-Ruz tout comme la route <strong>de</strong> La Tourne restent secondaires.Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 15


Ill. 9 : Dans cette représentation <strong>de</strong> laroute <strong>de</strong>s Gorges <strong>de</strong> Noirvaux, l’artisterend admirablement la tension qui existeentre la puissance <strong>de</strong> la nature et legeste volontaire <strong>de</strong> l’ingénieur. Dessin<strong>de</strong> Georges Calame, vers 1840.<strong>Les</strong> exigences <strong>de</strong> l’automobileAprès 1945 débute l’adaptation <strong>du</strong>réseau au trafic automobile, avec laroute <strong>de</strong>s Falaises et la liaisonAreuse – Boudry, votés en 1948, levia<strong>du</strong>c <strong>de</strong> Boudry en 1954, la « pénétrante» et le tunnel <strong>de</strong> la Clusetteentre 1956 et 1975, sans oublier l’évitement <strong>de</strong> Valanginterminé en 1975, après l’effondrement d’un premier ponten 1973. La traversée <strong>de</strong> Neuchâtel par <strong>de</strong>s tunnels estdécidée en 1973 et inaugurée en 1993. De source <strong>de</strong> richessespour les localités traversées, la route est <strong>de</strong>venueune nuisance à éviter, à enterrer, avec <strong>de</strong>s coûts financierset paysagers parfois très élevés. Le <strong>canton</strong> est raccordétardivement au réseau autoroutier : le premiertronçon entre Saint-Blaise et Thielle est inauguré en1973, la jonction par la N 5 avec Yverdon est en chantier,la liaison directe avec la N 1 à travers le Seeland est encoreà réaliser. Le tunnel sous la Vue-<strong>de</strong>s-Alpes est inauguréen 1994.L’histoire <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> communication <strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong>Neuchâtel multiplie les perspectives. Elle reflète l’effort,inégal, accompli par <strong>de</strong>s générations successives pourcirculer dans un contexte géographique difficile. Elle illustreles relations avec les puissances voisines, France etBerne, et les rapports <strong>de</strong> force intérieurs, entre le Bas et leHaut. Elle nous indique combien la perception d’un territoirepeut évoluer au cours <strong>de</strong>s siècles. Enfin, elle nousoffre un regard original sur une dimension particulière<strong>du</strong> paysage.BibliographieJean Courvoisier, <strong>Les</strong> routes neuchâteloises au XIX e siècle avantles <strong>chemins</strong> <strong>de</strong> fer, dans : Musée neuchâtelois 1957.Jean Courvoisier, Le maréchal Berthier et sa principauté <strong>de</strong>Neuchâtel (1806–1814), Neuchâtel, 1959.Jean Courvoisier, La route <strong>de</strong>s Côtes-<strong>du</strong>-Doubs et les ponts <strong>de</strong>Biaufond et <strong>de</strong> La Rasse, dans : Musée neuchâtelois 1985.G. B. Depping, Voyage <strong>de</strong> Paris à Neufchâtel en Suisse fait dansl’automne <strong>de</strong> 1812, Paris, 1813.Guillaume <strong>de</strong> Pury, Observations complémentaires sur l’article« Etat <strong>de</strong>s routes », dans : Musée neuchâtelois 1867.Guillaume <strong>de</strong> Pury, L’activité neuchâteloise dans le domaine <strong>de</strong>la construction, dans : Musée neuchâtelois 1879.Louis Guillaume, Etat <strong>de</strong>s routes dans le pays <strong>de</strong> Neuchâtel aucommencement <strong>de</strong> ce siècle (1800–1812), dans : Musée neuchâtelois1867.Histoire <strong>du</strong> Pays <strong>de</strong> Neuchâtel, publiée sous les auspices <strong>de</strong> laSociété d’histoire et d’archéologie <strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel,Hauterive, t. 1–3, 1989–1993.Routes neuchâteloises, ouvrage réalisé sous la directiond’Arthur Grandjean, Hauterive, 1995.16Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


Ill. 2 (en haut) : Sur ce détail <strong>de</strong> la carte signés comme charrières sur la carted’Ostervald (1838–1845), la Charrière d’Ostervald, ont une largeur tout à<strong>de</strong>s Thôles et la Charrière <strong>de</strong>s Fuchettes fait remarquable, variant <strong>de</strong> 10 àsont parfaitement représentées. 20 m entre les murs arborés. Ils alternentavec d’autres <strong>chemins</strong>, moinsIll. 3 (en bas) : Extrait <strong>de</strong> la carte <strong>de</strong> terrain<strong>IVS</strong> représentant une partie <strong>du</strong> nombreux, d’une largeur ré<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> 3réseau (NE 548). Pour la légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> la à 5 m. L’ensemble <strong>de</strong>s <strong>chemins</strong> estcarte, se reporter à la <strong>de</strong>rnière page. séparé <strong>de</strong>s pâturages adjacents par<strong>de</strong>s murs <strong>de</strong> pierre sèche arborés.L’état <strong>du</strong> réseau est très variable d’un chemin àl’autre. Certains sont en bon état, quelques uns sont partiellementabandonnés, alors que d’autres, plus rares,sont vraiment impraticables car trop <strong>de</strong>nsément coloniséspar la végétation. De même, les murs, uniquementconstitués <strong>de</strong> pierre sèche, sont par endroits partiellementeffondrés sous l’action <strong>de</strong>s intempéries et <strong>de</strong>s racines.Ailleurs, ils semblent défier le temps et se maintiennentdressés le long <strong>de</strong> la voie.Débutant au point coté 1052, le chemin situé au sud<strong>de</strong>s Vieux Prés mérite une mention particulière. Sur sespremiers cent mètres, il présente un profil en « U » défini<strong>de</strong> part et d’autre par <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong> soutènement <strong>de</strong> pierresèche culminant à 1,5 m <strong>de</strong> hauteur. Ce tronçon est malheureusementabandonné car le couvert végétal est tellement<strong>de</strong>nse qu’il empêche tout cheminement à l’intérieur<strong>du</strong> profil.Par ailleurs, le long <strong>de</strong>s voies praticables, une petiteouverture <strong>de</strong> 60 cm environ dans le mur, formant un« Z », permet <strong>de</strong> pénétrer dans le pâturage. Cette chicaneingénieuse particulièrement étriquée autorise lepassage <strong>de</strong>s personnes tout en empêchant le bétail <strong>de</strong>sortir. Le plus souvent, le passage entre les murs ou lespâturages est matérialisé par <strong>de</strong>s pierres <strong>de</strong> portail,pierres longitudinales, plus ou moins gran<strong>de</strong>s et parfoistaillées.L’arborisation et la végétation sont omniprésentes.<strong>Les</strong> murs situés à l’ombre sont couverts <strong>de</strong> mousse, alorsque ceux qui bénéficient <strong>de</strong> plus d’ensoleillement sontcolonisés par différentes formations végétales. <strong>Les</strong> résineuxet les feuillus sont représentés à part égale. Chez lespremiers, ce sont surtout <strong>de</strong>s épicéas et quelques raressapins qui dominent, alors que les feuillus sont essentiellement<strong>de</strong>s érables et quelques frênes. Beaucoup <strong>de</strong> cesarbres possè<strong>de</strong>nt une taille respectable laissant supposerau minimum un siècle d’existence. D’ailleurs, le long <strong>du</strong>chemin goudronné qui mène <strong>de</strong>s Fougères en direction<strong>de</strong> Sur la Roche, on trouve un érable monumental, couvert<strong>de</strong> mousse, qui se ramifie à 2 m au <strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> sol en18Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


Du site in<strong>du</strong>striel au patrimoine culturel<strong>Les</strong> <strong>chemins</strong> <strong>de</strong>s Côtes <strong>du</strong> DoubsDans l’économie préin<strong>du</strong>strielle, la force hydraulique est la première sourced’énergie mécanique, transformée par les moulins à eau. La puissance <strong>du</strong>Doubs, nettement supérieure à celle <strong>de</strong>s autres cours d’eau <strong>de</strong> la région, aattiré <strong>de</strong>s pionniers qui installèrent <strong>de</strong>s moulins, <strong>de</strong>s forges et <strong>de</strong>s verreriesau fond <strong>de</strong> cette profon<strong>de</strong> vallée. De ces établissements, il ne reste presqueplus rien en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> quelques fondations, vestiges <strong>de</strong> barrages ou canaux<strong>de</strong> dérivation. Ce sont les <strong>chemins</strong> d’accès qui constituent aujourd’hui leplus bel héritage légué par les usiniers <strong>du</strong> Doubs.Aux XII e et XIII e siècles, les ouvrages les plusrépan<strong>du</strong>s étaient les moulins à roue verticale,d’origine romaine. Au cours <strong>de</strong>s siècles, les performances<strong>de</strong> ces installations ne cessent <strong>de</strong> s’accroître.Ainsi, à la fin <strong>du</strong> Moyen Age, on réussit à transformer lemouvement circulaire en mouvement alternatif, augmentantla puissance <strong>de</strong>s roues. Chaque communauté possè<strong>de</strong>au moins un moulin et dans le pays <strong>de</strong> Neuchâtel,le manque d’eaux <strong>de</strong> surface ne semble pas avoir étéun obstacle à leur développement. Le Seyon et l’Areuseconcentrent <strong>de</strong> multiples rouages, et les moindres ruisseauxsont mis en valeur. On utilise aussi l’énergie <strong>de</strong> lachute <strong>de</strong>s ruisseaux sur les flancs <strong>de</strong>s emposieux ou àl’intérieur même <strong>de</strong>s gouffres <strong>du</strong> Haut-Jura, comme auxtrès fameux moulins à grain souterrains <strong>du</strong> Col-<strong>de</strong>s-Roches, près <strong>du</strong> Locle, en service dès 1653. <strong>Les</strong> Montagnesconnaissent aussi les moulins à vent, à La Sagneou dans la vallée <strong>de</strong> La Brévine, et les moulins à cheval,mûs par l’énergie animale. <strong>Les</strong> scieries installées sur lescours d’eau sont connues sous le nom <strong>de</strong> « raisses » ou« rasses », une appellation conservée dans <strong>de</strong> nombreuxlieux-dits. D’autres moulins actionnent <strong>de</strong>s battoirs àchanvre, à fruits, à tan, à graines oléagineuses (les « rebattes») ou encore <strong>de</strong>s foules à battre le textile. <strong>Les</strong> forgesà martinet se développent mo<strong>de</strong>stement à la fin <strong>du</strong> XVII esiècle dans les Montagnes et ajoutent leur pro<strong>du</strong>ction ensérie limitée d’outils et d’ouvrages divers en fer à ceuxfabriqués dans les forges non mécanisées.Une pléthore <strong>de</strong> <strong>chemins</strong> d’accèsLe Doubs offre une formidable force motrice, mais sesrives sont d’un accès considérablement plus difficile queles autres rivières neuchâteloises. On ne parvenait aufond <strong>de</strong> cette vallée abrupte qu’à pied ou à mulet, par <strong>de</strong>multiples <strong>chemins</strong> d’accès ; <strong>de</strong> plus, les sentiers ne longeaientjamais très longtemps les berges avant <strong>de</strong> rencontrerun obstacle. <strong>Les</strong> pentes <strong>de</strong>s versants français, jurassienou neuchâtelois sont sillonnées par un nombreconsidérable <strong>de</strong> <strong>chemins</strong> muletiers tracés par les usiniers<strong>du</strong> Doubs. La typologie propre <strong>de</strong>s <strong>chemins</strong> in<strong>du</strong>striels <strong>du</strong>Doubs permet <strong>de</strong> les classer en <strong>de</strong>ux catégories.Ill. 1 : Le long <strong>de</strong>s ces gran<strong>de</strong>s falaises,le chemin <strong>de</strong> Blancheroche emprunte un<strong>de</strong>s niveaux d’érosion <strong>de</strong> la rivière.20Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


Dans la première catégorie, les sentiers s’inscriventdans les couloirs naturels formés par les combes rai<strong>de</strong>s,avec un cheminement en zigzags. Le chemin <strong>de</strong> la Combe<strong>de</strong> La Sombaille en est un exemple remarquable : dansles passages particulièrement escarpés ou étriqués, il aconservé <strong>de</strong> discrets éléments <strong>de</strong> facture traditionnelle,comme <strong>de</strong>s talus rocheux élargis et <strong>de</strong>s marches tailléesdans la pierre. Ce type <strong>de</strong> chemin rend l’accès à la rivièretrès direct, mais relativement peu commo<strong>de</strong> car leurspentes peuvent être très ar<strong>du</strong>es. De plus, en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>fortes pluies ou <strong>de</strong> dégel, arbres et Ill. 2 : Ce passage en creux <strong>du</strong> cheminblocs rocheux détachés dévalent les <strong>de</strong> Blancheroche, taillé dans le calcaire,combes qui se muent alors en couloirs<strong>de</strong> déjection particulièrement importante. Pour éviter ce raidillon,possè<strong>de</strong> une déclivité particulièrementdangereux.un bref chemin <strong>de</strong> contournement a étéconstruit quelques mètres en aval.La secon<strong>de</strong> catégorie <strong>de</strong> <strong>chemins</strong>possè<strong>de</strong> un tracé en ligne droite accrochéau versant <strong>de</strong> la vallée, qui utilise par endroits lesdifférents niveaux d’érosion <strong>de</strong> la rivière, et qui ailleursse taille <strong>de</strong>s passages dans la falaise (ill. 1). Souventmoins rai<strong>de</strong> que les accès par lescombes et peut-être moins dangereux,ce type <strong>de</strong> chemin nécessite cependantun aménagement plus conséquent.Le chemin <strong>de</strong> Blancherocheou Belle Roche en est un bel exempleet aussi un cas particulier puisqu’il<strong>de</strong>sservait non seulement l’usine <strong>du</strong>Ill. 3 : De l’ancien moulin Delachaux, ilne subsiste que les fondations <strong>du</strong> bâtiment,une partie <strong>de</strong> l’écluse, <strong>du</strong> canald’amenée ainsi que cette meule disposéele long <strong>du</strong> sentier.Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 21


Moulinet et les moulins <strong>de</strong> La Rasse, mais probablementaussi le bac qui transportait les voyageurs, leurs bêtes etleur bagages d’une rive à l’autre (ill. 2 et 3).Ill. 4 et 5 : Ce chemin construit pour lesbesoins <strong>de</strong>s moulins Calame, doté d’unpassage taillé dans la roche particulièrementspectaculaire (en bas; illustrationVirginie Hochstrasser ) a gardé lasignature <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> cette entrepriseréalisée en 1726 (en haut).L’accès aux Moulins Calame,un chemin exemplaireLe chemin étroit mais carrossable <strong>de</strong> la Côte <strong>de</strong>s MoulinsCalame est un témoignage véritablement spectaculaire <strong>de</strong>la détermination et <strong>de</strong> la ténacité <strong>de</strong>s usiniers <strong>de</strong> cetteépoque. En 1766, Frédéric-Samuel Ostervald décrit cesinstallations situées aux Planchettes, « quatre moulins,une scie, une forge à martinets, <strong>de</strong>ux battoirs et une huilerie» qui appartiennent à Moïse Perret-Gentil. Celui-ci aconstruit le chemin qui con<strong>du</strong>it à ses in<strong>du</strong>stries <strong>de</strong>puis leDazenet et le Bois <strong>de</strong> Ban : « Le chemin qui con<strong>du</strong>isoit àces moulins étant incommo<strong>de</strong> et pénible M. Perret Gentilaidé <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux frères entreprit d’en établir un autre,d’une <strong>de</strong>mi lieue <strong>de</strong> long sur la pente escarpée <strong>de</strong> la montagnequi aboutit à la rivière et autravers <strong>de</strong> plusieurs précipices. Il afallu pour réussir, couper le roc dansun endroit à la hauteur <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 30pieds et élever plusieurs terrassesafin <strong>de</strong> donner une largeur suffisanteau chemin. On a peine à comprendrecomment trois particuliers ont pu exécuter une entrepriseaussi hardie et aussi dispendieuse » (ill. 4). Ce passageimpressionnant est précédé et suivi <strong>de</strong> hauts murs formés<strong>de</strong> gros bloc cubiques, qui soutiennent la partie aval <strong>du</strong>chemin au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> vi<strong>de</strong>. La fin <strong>du</strong> parcours est dominéepar <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s falaises blanches <strong>du</strong> Jurassique, culminantpar endroits à plus <strong>de</strong> 20 m <strong>de</strong> hauteur. <strong>Les</strong> entrepreneursétaient bien conscients qu’ils accomplissaient là uneœuvre remarquable, en l’immortalisant par une inscriptionsculptée dans la roche : « Ce chemin a été fait parAbbraham David et Moyse Perret Gentil Frères l’année1726 » (ill. 5). Le chemin <strong>de</strong> la Côte <strong>de</strong>s Moulins Calameconstitue un magnifique et rare exemple <strong>de</strong> « chemin in<strong>du</strong>striel» daté.22Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


La vie ru<strong>de</strong> <strong>de</strong>s usiniers<strong>Les</strong> conditions <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s usiniers <strong>du</strong> bord <strong>du</strong> Doubsn’étaient pas <strong>de</strong>s plus faciles. Le travail était ru<strong>de</strong>. Deplus, faute <strong>de</strong> terrain plat, d’un sol fertile et d’ensoleillement,rares étaient les établissements disposant d’unpetit lopin <strong>de</strong> terre pour cultiver quelques légumes. Enpério<strong>de</strong> d’étiage, les rouages ne tournaient plus tandisque les crues souvent sévères menaçaient d’emporter lesécluses et les canaux d’amenée d’eau. L’entretien indispensable<strong>de</strong>s <strong>chemins</strong> était également une tâche ar<strong>du</strong>e.<strong>Les</strong> tempêtes et les éboulements étaient particulièrementredoutés car ils compromettaient l’approvisionnement enmatière première tout comme le réacheminement <strong>du</strong> pro<strong>du</strong>ittransformé. La <strong>de</strong>nse forêt occupant les flancs <strong>de</strong> lavallée était intensivement exploitée pour les besoins <strong>de</strong>sforges et surtout pour les verreries. La coupe rase souventpratiquée fragilisait les versants, et c’est peut-être la raisonpour laquelle aucune concession pour une verrerie nefut octroyée sur la rive neuchâteloise. Autour <strong>de</strong> 1660, ony comptait huit moulins et <strong>de</strong>ux scieries. A l’apogée, autour<strong>de</strong> 1750, il y avait huit moulins, trois scieries et cinqforges à martinet. A partir <strong>de</strong> 1860, l’avènement <strong>de</strong> lamachine à vapeur signifie le déclin <strong>de</strong>s usines <strong>du</strong> bord <strong>du</strong>Doubs. Cette révolution technique permet désormais auxin<strong>du</strong>stries <strong>de</strong> s’éloigner <strong>de</strong>s cours d’eau pour s’établir àproximité <strong>de</strong>s agglomérations et <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> communicationferroviaires et routières.<strong>Les</strong> in<strong>du</strong>stries <strong>du</strong> Doubs, handicapées <strong>de</strong> surcroît par<strong>de</strong>s <strong>chemins</strong> d’accès difficiles, cessent presque toutes leuractivité dans le <strong>de</strong>rnier quart <strong>du</strong> siècle. Le Moulin Calameincendié en 1885 et non reconstruit sera, semble-t-il, le<strong>de</strong>rnier moulin à fonctionner avec l’eau <strong>du</strong> Doubs entreles Brenets et Biaufond. En 1900, sur le sol neuchâteloisne subsistent que trois scieries et <strong>de</strong>ux laminoirs. Parallèlementà ce déclin, la fin <strong>du</strong> XIX e siècle est aussi unevéritable pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> mutation pour la vallée <strong>du</strong> Doubs :en 1898 le premier barrage hydroélectrique s’implante àla Goule, alors que le tourisme naissant apporte <strong>de</strong> nouvellesperspectives économiques.La vallée <strong>du</strong> Doubs en <strong>de</strong>venir<strong>Les</strong> roues ont cédé la place aux turbines. <strong>Les</strong> murs <strong>de</strong>sbarrages actuels, comme celui <strong>du</strong> Châtelot, sont sanscomparaison avec les écluses construites par les usiniers.Quelques discrètes routes d’accès ainsi qu’un funiculaireont été construits pour permettre aux ouvriers <strong>de</strong> se rendrerapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>s Planchettes à l’usine électrique <strong>du</strong>Châtelot. Aujourd’hui cependant, le Doubs n’est plus uniquementun pourvoyeur d’énergie, il possè<strong>de</strong> aussi unpouvoir attractif capital pour le tourisme.Depuis 1900, la Société <strong>de</strong>s remonte le long <strong>de</strong>s falaises en directionIll. 6 : Ce sentier particulièrement rai<strong>de</strong>sentiers <strong>du</strong> Doubs s’occupe bénévolement<strong>de</strong> maintenir et d’entretenir<strong>du</strong> Bois <strong>de</strong> Ban.les sentiers légués par les usiniers <strong>de</strong>s temps anciens.Ceux-ci seraient certainement bien étonnés <strong>de</strong> voir queles <strong>chemins</strong> qu’ils ont établis au prix d’efforts parfoisconsidérables ont aujourd’hui une vocation récréative(ill. 6).L’ensemble <strong>de</strong>s sentiers in<strong>du</strong>striels <strong>du</strong> Doubs, inscritdans un cadre à la valeur paysagère et culturelle unique,est une très belle illustration <strong>de</strong>s rapports multiples quel’homme entretient avec la nature. Il a tout sa place dansun futur parc naturel régional <strong>de</strong> la vallée <strong>du</strong> Doubs, surle modèle français, dont l’opportunité alimente actuellement<strong>de</strong>s débats nourris.BibliographieRapport <strong>du</strong> groupe <strong>de</strong> travail « Doubs », Vallée <strong>du</strong> Doubs, 1993.Raoul Cop, Moulins oubliés <strong>du</strong> Haut Jura neuchâtelois,La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds, 1987.Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 23


<strong>Les</strong> sentiers d’agrémentDes <strong>chemins</strong> pour s’offrirle spectacle <strong>de</strong> la natureDans le réseau <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> communication <strong>historiques</strong> <strong>du</strong> <strong>canton</strong>, lessentiers d’agrément forment une catégorie à part, en raison même <strong>de</strong> leurfonction, essentiellement récréative. L’aménagement <strong>de</strong> <strong>chemins</strong> pour ledélassement est une initiative relativement récente, qui participe d’unerelation nouvelle à la nature. A travers ses promena<strong>de</strong>s et rêveries solitaires,Jean-Jacques Rousseau a contribué <strong>de</strong> façon décisive à transformer unenvironnement jusque là familier et ordinaire, en objet <strong>de</strong> sé<strong>du</strong>ction et <strong>de</strong>contemplation, en paysage. Avec Rousseau naît la nature romantique, libreet parfois violente, à l’opposé <strong>de</strong> la nature maîtrisée par l’intervention <strong>de</strong>l’homme, dont les allées <strong>de</strong> Colombier sont un exemple à la fois simple etspectaculaire.Entre le château <strong>de</strong> Colombier et les rives <strong>du</strong> lac <strong>de</strong>Neuchâtel, quatre allées larges et rectilignes, bordées<strong>de</strong> grands arbres, orientent le regard <strong>du</strong> promeneur,ouvrant <strong>de</strong>s perspectives magnifiques. L’origine<strong>de</strong> la promena<strong>de</strong> remonte à 1657 et à un séjour que fitHenri II <strong>de</strong> Longueville à Colombier. Lors <strong>de</strong> cette visite,les communes <strong>de</strong> Colombier et <strong>de</strong> la Côte, qui <strong>de</strong>vaient<strong>de</strong>s sommes considérables à l’Etat pour avoir eu l’impru<strong>de</strong>nce<strong>de</strong> cautionner le trésorier Mouchet, supplièrent leprince <strong>de</strong> remettre une partie <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>tte. Le prince accédaà ce vœu, à condition qu’ils plantent trois gran<strong>de</strong>sallées <strong>de</strong> beaux et bons arbres, ajoutant que son procureurgénéral leur donnerait quittance <strong>de</strong> la <strong>de</strong>tte dèsqu’il pourrait l’écrire à l’ombre <strong>de</strong> ces arbres. Au cours <strong>du</strong>XVIII e siècle, l’entretien <strong>de</strong>s allées, confié à la commune<strong>de</strong> Colombier, a été souvent négligé et beaucoup d’arbresfurent abattus par <strong>de</strong>s indivi<strong>du</strong>s mal intentionnés. <strong>Les</strong>choses s’améliorèrent à la fin <strong>du</strong> siècle, mais les marronniers<strong>de</strong> l’allée <strong>du</strong> même nom périclitèrent et <strong>du</strong>rent êtreremplacés par <strong>de</strong>s ormes, <strong>de</strong>s tilleuls, <strong>de</strong>s érables et <strong>de</strong>sfrênes.Perspectives et points <strong>de</strong> fuite pour unepromena<strong>de</strong> rectangulaireLa promena<strong>de</strong> <strong>de</strong> Colombier est composée d’allées doubles,particulièrement imposantes. L’allée <strong>de</strong>s Bourbakis,par exemple, est une véritable avenue large <strong>de</strong> 15 m àlaquelle il faut rajouter 3 m <strong>de</strong> part et d’autre pour ladouble rangée. Son revêtement naturel et ses arbres vénérablesla ren<strong>de</strong>nt très agréable. Plus au sud, l’allée <strong>de</strong>sIll. 1 : Même sans leur feuillage, lesarbres <strong>de</strong> la double allée <strong>de</strong>s Bourbakisforment une voûte qui oriente le regardsur le lac.24Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


Marronniers, dont les grands arbres sont plus jeunes, aété asphaltée. Côté lac, l’allée <strong>de</strong>s Peupliers se présentesous la forme d’une chaussée <strong>de</strong> 3 m <strong>de</strong> largeur, dont lestalus qui dominent <strong>de</strong> 2 à 3 m le terrain voisin sont maintenuspar les racines <strong>de</strong>s peupliers délimitant son parcours.La carte <strong>de</strong> Frédéric-Samuel Ostervald, dresséeavant la première correction <strong>de</strong>s eaux <strong>du</strong> Jura, montreque cette allée en chaussée servait <strong>de</strong> digue pour relier les<strong>de</strong>ux allées décrites plus haut. La quatrième allée, celle <strong>du</strong>Port, suit le premier mur d’enceinte <strong>du</strong> château, le long<strong>du</strong>quel la double rangée d’arbres persiste. Cette allée,ouverte au trafic, est nettement moins agréable que lestrois autres, même si un grand espace a été réservé auxpiétons.La promena<strong>de</strong> <strong>de</strong> Colombier a été <strong>de</strong>ssinée <strong>de</strong> façon àménager <strong>de</strong>s perspectives et à mettre en scène un cadreidyllique. Le terrain parfaitement plat <strong>de</strong> la plaine alluviale<strong>de</strong> la Basse Areuse s’offre magnifiquement à la miseen valeur <strong>de</strong> points <strong>de</strong> fuite, car aucun autre élément verticalne vient au premier plan perturber le regard <strong>du</strong> promeneur.<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux allées principales proposent <strong>de</strong>ux visionstrès différentes selon la direction <strong>du</strong> regard. Dansun sens, les arbres constituent une lorgnette au bout <strong>de</strong>laquelle on peut admirer le château. Dans l’autre, l’alléethéâtralise le paysage <strong>du</strong> lac, avec ses couleurs changeantes,ses aperçus <strong>de</strong> la rive opposée et, parfois, les sommetsalpins enneigés (ill. 1). Aujourd’hui Ill. 2 : Trait d’union entre <strong>de</strong>ux falaisescoincée entre l’aérodrome, les installationssportives <strong>de</strong> Colombier, la fie le passage.abruptes, le pont <strong>du</strong> Saut <strong>de</strong> Brot magni­route <strong>canton</strong>ale, la voie <strong>du</strong> tram etl’autoroute, qui brise les vues en direction <strong>du</strong> lac, cettesuperbe promena<strong>de</strong> ne peut malheureusement plus déployercomme jadis ses perspectives imprenables.Très loin <strong>de</strong>s perspectives géométriquement cadrées,la promena<strong>de</strong> rousseaussiste s’offre à l’exploration. Lanature et ses phénomènes, grottes, casca<strong>de</strong>s, rochers vertigineux,s’ouvrent aux sensations et aux émotions. <strong>Les</strong>éjour <strong>de</strong> Rousseau à Môtiers, entre 1762 et 1765, a suscitéun grand engouement pour le Val-<strong>de</strong>-Travers et sescuriosités naturelles, qui attireront en grand nombre lestouristes, pèlerins d’un genre nouveau. Ainsi, le Creux<strong>du</strong>-Van,qui intéresse les naturalistes <strong>de</strong>puis le XVI e siècle,<strong>de</strong>vient au XIX e siècle une <strong>de</strong>stination prisée. <strong>Les</strong> Gorges<strong>de</strong> la Poëta-Raisse sont accessibles aux promeneurs dès1857, grâce à quelques échelles <strong>de</strong> fortune, avant d’êtreaménagées entre 1871 et 1874 avec sentiers, gar<strong>de</strong>-fouset murs.<strong>Les</strong> Gorges <strong>de</strong> l’Areuse, une nature protégéeLa profon<strong>de</strong> cluse creusée par l’Areuse à travers la chaînelacustre <strong>de</strong> la Montagne <strong>de</strong> Boudry était d’un accès difficileavant la création d’un sentier, en 1891. Etabli le longCanton <strong>de</strong> Neuchâtel 25


Ill. 3 : Une ouverture dans le rocher pourpasser <strong>de</strong> l’ombre à la lumièrepermettre une véritable mise en scène <strong>de</strong> la nature. DesBrenets à Clairbief, dans le <strong>canton</strong> <strong>du</strong> Jura, cette représentationest ren<strong>du</strong>e possible grâce aux parcours aménagésil y a plus <strong>de</strong> 100 ans par la Société franco-suisse <strong>de</strong>sSentiers <strong>du</strong> Doubs, pour les besoins <strong>du</strong> tourisme naissant.Aujourd’hui encore, ces sentiers parfaitement entretenussont un <strong>de</strong>s hauts-lieux <strong>de</strong> randonnée pé<strong>de</strong>stre <strong>de</strong> l’arcjurassien.Au début <strong>de</strong> l’itinéraire, le Saut <strong>du</strong> Doubs, chute d’eau<strong>de</strong> 27 m <strong>de</strong> hauteur, est <strong>de</strong>puis fort longtemps une attractiontouristique, et la plupart <strong>de</strong>s visiteurs ne poussentpas plus loin. En aval <strong>de</strong> la casca<strong>de</strong>, aucune route majeure,aucun barrage d’envergure ne perturbe le caractère sauvage<strong>de</strong>s gorges. Ce type <strong>de</strong> situation se fait <strong>de</strong> plus enplus rare, et la vallée <strong>du</strong> Doubs a échappé à un projet tita<strong>de</strong>la rivière, ce chemin permet <strong>de</strong> pénétrer sur la pointe<strong>de</strong>s pieds dans l’univers confi<strong>de</strong>ntiel <strong>de</strong> cette vallée étroite.<strong>Les</strong> gorges <strong>de</strong>viennent rassurantes grâce au sentier parfaitemententretenu. Par contre, dès qu’on lève le regard,on se rend compte que ce qui nous entoure <strong>de</strong>meure inaccessible.Sur les pas <strong>de</strong> Rousseau, qui séjourna quelquetemps au Champ <strong>du</strong> Moulin, on découvre avec respectune nature souvent spectaculaire, fragile dans sa diversité.L’aménagement <strong>du</strong> sentier, dans la tradition <strong>du</strong>romantisme, participe d’une recherche esthétique quicherche à mettre en valeur et à magnifier le site <strong>de</strong>sGorges. Ainsi, par sa forme, le pont <strong>de</strong> pierre qui franchitle Saut <strong>de</strong> Brot ajoute un frisson supplémentaire à unetraversée spectaculaire (ill. 2).Le site <strong>de</strong>s Gorges <strong>de</strong> l’Areuse possè<strong>de</strong> une géologieexceptionnelle, qui a permis l’épanouissement d’unefaune et d’une flore variées. La rivière franchit les étagesgéologiques <strong>du</strong> Jurassique moyen (Dogger) au Quaternairedans un paysage caractéristique <strong>du</strong> Jura plissé. <strong>Les</strong>falaises calcaires verticales fortement altérées alimententles combes et cônes <strong>de</strong> déjections en éboulis. <strong>Les</strong> rochesplus tendres comme les marnes sont présentes sur lesrares replats où s’épanouissent prairies et arbustes.La qualité et la diversité <strong>de</strong> ce patrimoine naturelainsi que la nécessité <strong>de</strong> le préserver ont rapi<strong>de</strong>ment con<strong>du</strong>itl’Etat, sous l’impulsion <strong>du</strong> Club jurassien, à mettre lesite sous protection. L’histoire débute en 1876, quandles éboulis <strong>du</strong> Creux-<strong>du</strong>-Van, dont les versants étaientmenacés par la surexploitation <strong>de</strong> la forêt, furent achetéspar le Club. Dès lors, toute une série <strong>de</strong> textes législatifsfurent mis en place pour sauvegar<strong>de</strong>r ce qui était menacé.<strong>Les</strong> sites <strong>du</strong> Creux-<strong>du</strong>-Van et <strong>de</strong>s Gorges <strong>de</strong> l’Areusebénéficient <strong>de</strong> régimes <strong>de</strong> protection divers selon lessecteurs, qui vont <strong>de</strong> la réserve intégrale impénétrableà la réserve naturelle où les activités agricoles sont possibles.Depuis 1979, les <strong>de</strong>ux sites sont également classéscomme objets d’importance nationale dans l’Inventairefédéral <strong>de</strong>s paysages (IFP). Le statut <strong>de</strong> site protégé, synonyme<strong>de</strong> qualité et <strong>de</strong> nature authentique, draine inévitablementun grand nombre <strong>de</strong> visiteurs, susceptibles parleur seule présence <strong>de</strong> perturber le lieu. A cet égard, lesentier <strong>de</strong>s Gorges joue aujourd’hui un rôle <strong>de</strong> premierplan, en permettant aux promeneurs <strong>de</strong> s’enfoncer dansles plis d’une géologie fascinante et <strong>de</strong> jouir d’une naturepréservée.<strong>Les</strong> Gorges <strong>du</strong> Doubs ou l’expérience<strong>de</strong> la nature<strong>Les</strong> sentiers <strong>de</strong>s Gorges <strong>du</strong> Doubs relèvent <strong>de</strong> la mêmetradition romantique. L’aspect indompté <strong>de</strong> cette profon<strong>de</strong>vallée, amplifié par une morphologie spectaculaire, nepeut que susciter l’émotion <strong>du</strong> promeneur. D’un paysagequi les jours <strong>de</strong> pluie prend <strong>de</strong>s accents wagnériens, auxmurmures <strong>de</strong> la rivière, tous les éléments sont là pour26Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


nesque <strong>de</strong> canal Rhin–Rhône, heureusement abandonné.Aujourd’hui, la nature ne s’offre qu’aux marcheurs quifont l’effort <strong>de</strong> s’immerger dans ce mon<strong>de</strong> insolite, où lessentiers déroulent le spectacle <strong>de</strong> la nature. Le décor estsonore, visuel et olfactif. La mise en scène est ponctuée<strong>de</strong> passages au pied <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s falaises calcaires, <strong>de</strong>marches taillées dans le roc, d’échelles, <strong>de</strong> passerelles,d’éperons rocheux contournés ou traversés par une galerie(ill. 3). Quelques vestiges <strong>de</strong> moulins, <strong>de</strong> scieries ou <strong>de</strong>canaux <strong>de</strong> dérivation rappellent que d’autres représentationsse sont autrefois jouées en ces lieux. La présence <strong>de</strong>la frontière et le terrain escarpé évoquent <strong>de</strong>s souvenirs<strong>de</strong>venus légendaires <strong>de</strong> contreban<strong>de</strong> et <strong>de</strong> braconne. Parfois,lorsqu’en aval <strong>de</strong> Biaufond le vent vient frapper lafalaise sur le versant français, le chant <strong>de</strong>s Orgues <strong>de</strong> laMort retentit dans le fond <strong>de</strong> la gorge.La promena<strong>de</strong> d’agrément <strong>de</strong>s LocloisA l’extrémité sud-ouest <strong>de</strong> la ville <strong>du</strong> Locle, la CombeGirard offre une promena<strong>de</strong> plus domestique mais pasmoins originale. Vers 1900, la Société d’intérêt public etd’embellissement <strong>du</strong> Locle aménage plusieurs <strong>chemins</strong>dans ce pittoresque vallon, pour mettre en valeur sa clusesauvage <strong>de</strong>s Chaudières et ses murailles cyclopéennes.Des ponts sont jetés sur le Bied, <strong>de</strong>s bancs et <strong>de</strong>s bassinsinstallés pour le confort <strong>de</strong>s promeneurs.Aujourd’hui, la promena<strong>de</strong> dans ce petit vallon dontles flancs s’élèvent et se resserrent au cours <strong>de</strong> la montéea conservé tout son charme. De part et d’autre <strong>du</strong> ruisseaucanalisé, qui débute sa <strong>de</strong>scente par une succes-BibliographieAndré Burger, Jean-Paul Schaer, La vallée <strong>du</strong> Locle – Oasisjurassienne, Hauterive, 1996.Michel Blant, Le Jura, les paysages, la vie sauvage, les terroirs,Lausanne – Paris, 2001.Clau<strong>de</strong> Bodmer, Développement touristique et protection <strong>de</strong> lanature, le cas <strong>de</strong> la vallée franco-suisse <strong>du</strong> Doubs, Université <strong>de</strong>Neuchâtel, 1999.<strong>Les</strong> Gorges <strong>de</strong> l’Areuse, Ouvrage publié à l’occasion <strong>du</strong> centièmeanniversaire <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong>s Gorges <strong>de</strong> l’Areuse, Neuchâtel,1986.Louis Guillaume, Notice historique sur les promena<strong>de</strong>s publiqueset les plantations d’arbres d’agrément dans le <strong>canton</strong><strong>de</strong> Neuchâtel. Dans : Musée neuchâtelois, 1869–1872.Andreas Hauser, Gilles Barbey, Le Locle, INSA, Inventaire suissed’architecture 1850–1920, publié par la Société d’histoire <strong>de</strong>l’art en Suisse, Berne, 1991.sion <strong>de</strong> casca<strong>de</strong>s aménagées, <strong>de</strong>ux Ill. 4 : La Combre Girard : sentiers parallèleset ruisseau permanentsentiers forment une boucle (ill. 4).La fonction didactique <strong>du</strong> parcourslui confère un intérêt supplémentaire. Des panneaux explicatifset le sentier nature <strong>du</strong> Club jurassien mettent enévi<strong>de</strong>nce la géologie et l’hydrographie <strong>du</strong> lieu, représentatives<strong>du</strong> bassin versant sud <strong>du</strong> Locle. En effet, toutcomme la Combe <strong>de</strong>s Enfers, La Claire, La Jaluse et laCombeta, la Combe Girard possè<strong>de</strong> un cours d’eau <strong>de</strong> surface,contrairement aux autres combes <strong>du</strong> Haut Jura calcaire,dont les eaux coulent <strong>de</strong> façon souterraine pour resurgiren sources vauclusiennes au pied <strong>de</strong>s reliefs.Le <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel possè<strong>de</strong> encore bien d’autressentiers d’agrément, qui mériteraient chacun une <strong>de</strong>scriptionspécifique. La plupart sont nés au XIX e siècle d’unengouement pour la promena<strong>de</strong> et l’appréciation <strong>de</strong> sitesnaturels. Tous ont comme point commun <strong>de</strong> mettre envaleur le patrimoine paysager et naturel <strong>de</strong> la région,grâce à <strong>de</strong>s aménagements soignés, que les générationssuccessives se sont efforcées <strong>de</strong> maintenir et d’enrichir.Espérons que notre civilisation <strong>de</strong>s loisirs saura préserverces sentiers avec la même attention et, surtout, éviter <strong>de</strong>les encombrer d’équipements inutiles.Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 27


Dans le vallon <strong>de</strong>s Verrières<strong>Les</strong> cartes racontent l’histoired’un territoireLe pays <strong>de</strong> Neuchâtel est documenté par <strong>de</strong> nombreux cartes et plans anciens,qui apportent leur éclairage particulier à l’histoire <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> communicationainsi qu’à celle <strong>de</strong>s territoires traversés. Le vallon <strong>de</strong>s Verrières,traversé par la gran<strong>de</strong> route <strong>de</strong> France, en offre un exemple éloquent.Le peuplement <strong>de</strong> la vallée a sans doute commencéau début <strong>du</strong> XIII e siècle, comme dans les valléesvoisines. Pour encourager ses sujets à s’établirdans cette région frontière et ainsi assurer son contrôlesur la route <strong>de</strong> France par le Val-<strong>de</strong>-Travers, Rollin <strong>de</strong>Neuchâtel leur accor<strong>de</strong> en 1337 <strong>de</strong> généreuses franchises.<strong>Les</strong> habitants tiraient <strong>de</strong> la forêt la cire, le miel et la poix.Sur les montagnes, les terres essartées et cultivées sontponctuées <strong>de</strong> fermes isolées ou <strong>de</strong> hameaux. Sur le fond<strong>du</strong> vallon, près <strong>de</strong> la grand-route, <strong>de</strong>s villages se sont formés,et ont prospéré grâce au trafic. La carte <strong>de</strong> la seigneurie<strong>de</strong> Neuchâtel et Valangin établie par Merveilleuxen 1694 illustre cette primauté <strong>du</strong> « grand chemin », avecle difficile passage <strong>de</strong> la Chaîne entre la « Châtellenie <strong>de</strong>Vaux Travers » et la « Mairie <strong>de</strong>s Verrières », protégé par le« corps <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> ». <strong>Les</strong> cinq communes particulières, oubourgeaux, <strong>de</strong>s Verrières, sont clairement i<strong>de</strong>ntifiées ;« Belle Perche », « Grand Bourguau » (Grand-Bourgeau) et« Meudon » où se trouve l’église, s’égrènent le long <strong>de</strong> lavoie (ill. 1). Avec sa définition très expressive <strong>de</strong> la topographie,cette carte permet <strong>de</strong> saisir <strong>du</strong> premier coupd’œil la position <strong>de</strong>s Verrières et son rôle à l’échelle <strong>de</strong> laseigneurie. Pendant plus <strong>de</strong> cent ans, jusqu’à la publication<strong>de</strong> la « Carte <strong>de</strong> la Principauté <strong>de</strong> Neuchâtel » levéeentre 1801 et 1806 par Ostervald, la carte <strong>de</strong> Merveilleuxsera le seul document repro<strong>du</strong>isant l’ensemble <strong>du</strong> territoireneuchâtelois, copiée à maintes reprises, avec toutesses erreurs.Abraham Guyenet ou le soucil <strong>du</strong> détailEn 1752–1753, Abraham Guyenet effectue le relevé <strong>de</strong>l’ensemble <strong>de</strong> la « route <strong>de</strong>s Verrières à Neuchâtel ». Le recueil<strong>de</strong> plans se lit comme une espèce <strong>de</strong> ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée,qui déroule, morceau par morceau, le ruban <strong>de</strong> cette voie<strong>de</strong> toute première importance. C’est un document fascinant,qui fourmille <strong>de</strong> détails sur la route et sur ses environsimmédiats. <strong>Les</strong> maisons sont <strong>de</strong>ssinées avec un soinextrême, selon un modèle standard qui ne correspond pasforcément à la réalité. Ce n’est pas cela qui compte, eneffet, mais plutôt leur rapport à la voie. On notera quecertains bâtiments sont implantés directement à front <strong>de</strong>route, alors que d’autres en sont séparées par un espace<strong>de</strong> cour ou par un commun. A Meudon, à la hauteur <strong>du</strong>temple, dont l’origine remonte avant 1517, la grandroutedécrivait une boucle, bien perceptible sur les plansIll. 1 : David François <strong>de</strong> Merveilleux,Carte géographique <strong>de</strong> la souveraineté<strong>de</strong> Neufchâtel et Vallangin en Suisse,1694. Mairie <strong>de</strong>s Verrières (détail).Service <strong>de</strong> protection <strong>de</strong>s monumentset sites, Neuchâtel.28Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


<strong>de</strong> Guyenet (ill. 2). Ce contour jugé dangereux et presqueimpraticable en hiver fut rectifié en 1855.<strong>Les</strong> maisons s’égrènent sans grand ordre le long <strong>de</strong> lavoie, <strong>du</strong> quartier <strong>de</strong>s Crêts à celui <strong>de</strong> Meudon. La présence<strong>de</strong> la route influence tant la forme <strong>du</strong> bâti que lesactivités qui y trouvent place. Nul doute que les habitants<strong>de</strong>s Verrières tiraient <strong>de</strong>s revenus complémentaires intéressants<strong>du</strong> trafic. Au XV e siècle, il est fait mention <strong>de</strong>charretiers, dont le métier est le Ill. 2 (en haut) : Abraham Guyenet, Plantransport <strong>de</strong> marchandises, qui en <strong>de</strong> la route <strong>de</strong>s Verrières à Neuchâtel,hiver sont mises sur <strong>de</strong>s traîneaux. 1752–1753. Meudon (détail). ArchivesJusqu’à l’ouverture <strong>de</strong> la ligne <strong>de</strong> d’Etat <strong>de</strong> Neuchâtel.chemin <strong>de</strong> fer <strong>du</strong> Franco-Suisse, en Ill. 3 (en bas) : Abraham Guyenet, Plans1860, le roulage joue un rôle importantdans ce village frontière. (détail). Archives d’Etat <strong>de</strong> Neuchâtel.<strong>de</strong>s Verrières, 1734. Plan 12, Belle PercheL’activité hôtelière y est égalementintense, avec <strong>de</strong> nombreux hôtels et auberges. Au XIV esiècle déjà, il est fait mention d’une halte aux Verrières,probablement une auberge, au lieu-dit « chez la Guye », àcôté <strong>de</strong> laquelle il y avait quatre tavernes où l’on vendait<strong>du</strong> vin. Le quartier <strong>de</strong> la Croix-Blanche doit son nom àune auberge ainsi nommée, qui existait déjà en 1668.Le même Abraham Guyenet a été chargé d’établir en1734 le cadastre <strong>de</strong>s Verrières, qui couvre l’ensemble <strong>du</strong>territoire <strong>de</strong>s Verrières, jusqu’au pâturage le plus isolé.L’image donnée par ces plans sobres et précis, levés à <strong>de</strong>sfins fiscales et notariales, est très différente. La grandrouten’y est qu’un élément parmi tant d’autres et on peuty lire une dimension plus domestique et quotidienne <strong>de</strong> lavie <strong>de</strong>s habitants <strong>de</strong>s Verrières. Ceux-ci tirent une gran<strong>de</strong>partie <strong>de</strong> leurs revenus <strong>de</strong> l’élevage et ont obtenu audébut <strong>du</strong> XVII e siècle le droit <strong>de</strong> tenir <strong>de</strong>ux foires annuelles,puis quatre à la fin <strong>du</strong> siècle, pour y vendre leurbétail. <strong>Les</strong> troupeaux vont estiver dans les pâturages gagnéssur les forêts, empruntant <strong>de</strong> très larges charrièresCanton <strong>de</strong> Neuchâtel 29


Ill. 4 : Jean-Frédéric Ostervald, Carte <strong>de</strong> encadrées <strong>de</strong> murs. Ce sont là <strong>de</strong> véritablesinfrastructures qui, au nordla principauté <strong>de</strong> Neuchâtel, 1838–1845(détail). Facsimile. Service <strong>de</strong> protection <strong>de</strong> la grand-route, possè<strong>de</strong>nt une définitionparticulièrement spectacu­<strong>de</strong>s monuments et sites, Neuchâtel.laire : d’est en ouest, on trouve toutd’abord la « Vy Jeannet », à l’intersection <strong>du</strong> chemincon<strong>du</strong>isant aux Bayards, suivie <strong>de</strong> la « Vy Renaud »; auGrand Bourgeau la « Vy Perroud » ouvre à l’opposé sur lechemin menant au Pays <strong>de</strong> Vaud ; <strong>de</strong>puis La Croix-Blanche et Meudon, d’autres voies, plus banales, sont restéesanonymes.Arrêtons-nous un instant sur le plan n o 12, qui illustrele bourgeau <strong>de</strong> Belle-Perche. Au centre <strong>du</strong> hameau, aulieu dit Sur le Cret, l’espace public s’ouvre à l’intersection<strong>de</strong> « La Vy Jeannet » avec « Le Chemin Seigneurial », bordé<strong>de</strong> maisons et ponctué par une fontaine. Cette dilatationforme « Le bien Commun », terrain appartenant à la « GénéraleCommunauté » <strong>de</strong>s Verrières. <strong>Les</strong> parcelles privées,pour la plupart longues et étroites, témoignent d’une exploitationintense <strong>du</strong> sol (ill. 3).Ostervald <strong>de</strong>ssine, Cooper décritUn siècle plus tard, la « Carte <strong>de</strong> la Principauté <strong>de</strong>Neuchâtel » <strong>de</strong> Frédéric-Samuel Ostervald, à l’échelle <strong>de</strong>1 : 25 000 e , offre <strong>de</strong> toutes nouvelles perspectives. Ce relevéeffectué entre 1838 et 1845 est non seulement d’unetrès gran<strong>de</strong> précision mais aussi d’une exquise beauté, etsuscite lors <strong>de</strong> sa publication l’admiration générale. Cettecarte ne se contente pas d’interpréter graphiquement laréalité, elle la dépeint à la façon d’un tableau, avec unusage <strong>de</strong>s ombres qui donne au relief un mo<strong>de</strong>lé saisissant.Le choix <strong>de</strong>s couleurs permet <strong>de</strong> saisir d’un coupd’œil les caractéristiques d’un territoire donné. Aux Verrières,on perçoit bien l’organisation <strong>de</strong> la commune,avec les maisons, en rouge, égrenées <strong>de</strong> part et d’autre <strong>de</strong>la grand-route, qui traverse le vallon dont les prés sontprésentés dans un vert tendre ; les charrières encadrées <strong>de</strong>murs con<strong>du</strong>isent jusqu’aux prises et à leurs fermes isoléeset jusqu’à la forêt dont l’épaisseur est suggérée par unvert sombre (ill. 4).A admirer la carte d’Ostervald, on parvient imaginerle paysage saisi par l’écrivain américain James FenimoreCooper lors <strong>de</strong> son passage aux Verrières, en 1836: « Deschalets d’une forme admirable et d’une exquise propretéétaient semés avec profusion <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés <strong>de</strong> la route,le chemin lui-même ayant juste la largeur que comportele bon goût. La ver<strong>du</strong>re <strong>de</strong> la vallée rivalise avec l’émerau<strong>de</strong>,tandis que les montagnes laissent entrevoir, à traversleur ri<strong>de</strong>au <strong>de</strong> vapeur, <strong>de</strong>s masses énormes <strong>de</strong> rocherset <strong>de</strong> sapins. [...] <strong>Les</strong> maisons étaient toujours à unecertaine distance <strong>de</strong> la route, et les montagnards sont siavares <strong>de</strong> leur sol, qu’on n’apercevait pas un pouce <strong>de</strong>terre nue, à l’exception d’un sentier pour les piétons,qu’on voyait serpenter, çà et là, <strong>de</strong> chalet en chalet, à traversla prairie émaillée, <strong>de</strong> manière à donner à toute lavallée l’aspect d’un immense jardin <strong>de</strong> plaisance <strong>de</strong>ssinéavec la plus admirable simplicité. »<strong>Les</strong> cartes <strong>historiques</strong> constituent un trésor inestimable.Elles sont une source précieuse <strong>de</strong> renseignements,qui offrent <strong>de</strong>s clés <strong>de</strong> lecture diverses et parfoisinatten<strong>du</strong>es. Sans oublier le plaisir toujours renouvelé<strong>de</strong> se pencher sur <strong>de</strong>s documents anciens et <strong>de</strong> constaterque malgré les grands bouleversements intervenus auXX e siècle, le territoire neuchâtelois a conservé sa structureprofon<strong>de</strong>.BibliographieFernand Loew, <strong>Les</strong> Verrières, la vie rurale d’une communauté <strong>du</strong>Haut-Jura au Moyen Age, Neuchâtel, 1954.Jean Courvoisier, Maurice Evard, Michel Girardin, André Pancza,Autour <strong>de</strong> la carte <strong>de</strong> la Principauté <strong>de</strong> Neuchâtel levée aux frais<strong>de</strong> Sa Majesté dans les années 1838 à 1845 par J.-F. d’Ostervald,dans : Nouvelle revue neuchâteloise 7, 1985.Madlena Cavelti, Jean-Frédéric d’Ostervald und seine Karte<strong>de</strong>s Fürstentums Neuenburg von 1838 bis 1845, dans : CartographicaHelvetica 9, 1994.James Fenimore Cooper, Excursions d’une famille américaine enSuisse, Bruxelles, 1837.30Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


<strong>Les</strong> <strong>chemins</strong> <strong>de</strong> vigneDes voies qui <strong>de</strong>ssinent le paysageDepuis <strong>de</strong>s siècles, les coteaux <strong>du</strong> Littoral ont été façonnés par la vigne. Leréseau <strong>de</strong>s <strong>chemins</strong> qui parcourent le vignoble, avec toutes leurs composantesarchitecturales, forme l’armature d’un paysage unique. Toute l’ingéniosité<strong>du</strong> mo<strong>de</strong>lage <strong>du</strong> vignoble repose sur les murs appareillés qui soutiennentles parchets et encadrent la voie. Cette technique qui surélève lavigne <strong>de</strong> un à <strong>de</strong>ux mètres au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> chemin procure un ensoleillementmaximum aux ceps. Une vue plongeante donne l’impression que <strong>de</strong>s galeriesà ciel ouvert parcourent un labyrinthe végétal.En pays <strong>de</strong> Neuchâtel, sur les coteaux bien exposés<strong>de</strong> la rive nord <strong>du</strong> lac, la présence <strong>de</strong> la vigne remonteprobablement à l’époque gallo-romaine.<strong>Les</strong> premiers écrits en font mention en 998 déjà, dansl’acte <strong>de</strong> fondation <strong>du</strong> monastère <strong>de</strong> Bevaix, puis en 1092,à l’occasion <strong>de</strong> la fondation <strong>du</strong> prieuré <strong>de</strong> Corcelles. Duranttout le Moyen Age, le vignoble gagne <strong>du</strong> terrain surles autres activités agricoles, jusqu’à occuper l’essentiel<strong>de</strong>s terres <strong>du</strong> Littoral, car il représente une source très importante<strong>de</strong> profit. D’ailleurs, au milieu <strong>du</strong> XVII e siècle, leConseil d’Etat s’inquiète <strong>de</strong> cette situation et ordonnel’arrachage <strong>de</strong> pieds <strong>de</strong> vigne pourpermettre d’autres cultures vivrières.Le vin <strong>de</strong>meure longtemps la seuleexportation <strong>de</strong> la principauté, transportéeessentiellement par la voie lacustre.Au début <strong>du</strong> XIX e siècle, levin neuchâtelois est ven<strong>du</strong> dans les<strong>canton</strong>s <strong>de</strong> Berne, Fribourg, Soleure,Lucerne et Argovie, une aire <strong>de</strong> diffusionguère différente <strong>de</strong> ce qu’elleétait à la fin <strong>du</strong> XVI e siècle. La vente<strong>de</strong> vin constitue l’un <strong>de</strong>s principauxrevenus <strong>du</strong> prince tout comme celui<strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s familles patriciennesneuchâteloises. Du XVI e au XIX esiècle, le Conseil d’Etat s’est montréférocement protectionniste en la matière, refusant notammentl’amélioration <strong>de</strong>s liaisons routières avec laFrance, susceptibles <strong>de</strong> favoriser l’importation <strong>de</strong> vinsconcurrents.<strong>Les</strong> murs qui cachent le lac<strong>Les</strong> propriétaires apportent un soin jaloux à leurs vignes,enchâssées dans <strong>de</strong>s enclos, <strong>de</strong>sservies par un réseau extraordinaire<strong>de</strong> <strong>chemins</strong>. La protection <strong>de</strong>s ceps se faitaux dépens <strong>du</strong> paysage et nombreux sont ceux qui seplaignent <strong>de</strong>s hauts murs qui empêchent <strong>de</strong> voir le lac.Ill. 1 : Quadrillage <strong>de</strong> l’espace dansle paysage viticole traditionneld’AuvernierCanton <strong>de</strong> Neuchâtel 31


Ill. 2 : Imposant mur <strong>de</strong> soutènementrenforcé entre le vignoble et la route villageoise<strong>de</strong> Cornaux à CressierAinsi en 1782, le professeur Meiners,<strong>de</strong> Göttingen, proteste contre lesmurs <strong>de</strong> vigne bordant la route <strong>du</strong> Vignoble,qui lui donnent l’impressiond’être enfermé dans <strong>de</strong>s murailles. Ilfaut dire que certains murs atteignaient<strong>de</strong>s hauteurs exagérées, plus<strong>de</strong> trois mètres, ce qui permet au naturalistefrançais Antoine Fée, <strong>de</strong>passage en 1829, d’ironiser sur la probité <strong>de</strong>s Neuchâtelois: « Il a fallu que le droit <strong>de</strong> propriété ait été biensouvent méconnu, pour qu’on se soit décidé à perdre tant<strong>de</strong> terrain et à dépenser tant d’argent pour bâtir tous cesmurs <strong>de</strong> clôture. » <strong>Les</strong> choses ne tar<strong>de</strong>nt pas à changer,autant pour <strong>de</strong>s questions d’entretien que pour l’agrément<strong>de</strong>s touristes. En 1831, le Messager boîteux rapporte quele gouvernement a donné l’ordre d’abaisser tous les mursau sud <strong>de</strong> la route qui tend <strong>du</strong> pont <strong>de</strong> Thielle à Vaumarcusà la hauteur <strong>de</strong> 4 pieds et <strong>de</strong>mi, soit environ1,5 m. Cette mesure doit permettre aux routes <strong>de</strong> sécherplus facilement, et d’être plus agréables pour les gens àpied, qui pourront enfin admirer librement le lac et lesAlpes.L’héritage <strong>du</strong> terroirMême si l’activité viticole n’a plus la même importanceéconomique pour le Littoral, le terroir <strong>du</strong> Pinot Noir, <strong>du</strong>Chasselas et <strong>de</strong> l’Œil <strong>de</strong> Perdrix <strong>de</strong>meureun symbole culturel et i<strong>de</strong>ntitaire<strong>de</strong> premier rang pour les Neuchâtelois.Aujourd’hui, les <strong>chemins</strong><strong>de</strong> vigne avec leurs murs offrent encoreun cadre <strong>de</strong> choix à la contemplation<strong>du</strong> lac. Se promener à l’intérieur<strong>du</strong> réseau, loin <strong>de</strong> la circulation,permet <strong>de</strong> voir l’évolution <strong>de</strong>s travaux<strong>de</strong> la vigne et <strong>de</strong> spéculer sur laqualité <strong>du</strong> vin à venir. Du cep nuaprès la taille d’hiver aux couleurs <strong>de</strong>l’automne après les vendanges, le vignoble comme la vuesur le lac et les Alpes accompagne le rythme <strong>de</strong>s saisons.Le vignoble est aussi un biotope extrêmement intéressantpour sa faune et sa flore. <strong>Les</strong> plantes pionnières et rudérales,soit les espèces qui se développent sur un terrainremanié, sont une importante source <strong>de</strong> pollen pour lesguêpes et abeilles sauvages. <strong>Les</strong> murs mis en réseau servent<strong>de</strong> corridors à la faune <strong>de</strong> passage tandis que les intersticesoffrent refuge à bon nombre d’insectes et <strong>de</strong>lézards.Actuellement, environ 4000 parchets <strong>de</strong> vigne s’étirentsur une trentaine <strong>de</strong> kilomètres entre Vaumarcus etLe Lan<strong>de</strong>ron. Toutes ces petites parcelles sont <strong>de</strong>sserviespar <strong>de</strong>s <strong>chemins</strong> aussi nombreux que variés. Beaucoup <strong>de</strong>tronçons ont conservé leurs murs traditionnels, mais rarementsur une très longue distance (ill. 2). Deux véritablesréseaux <strong>de</strong> <strong>chemins</strong> <strong>de</strong> vigne se distinguent par laqualité et l’abondance <strong>de</strong>s éléments traditionnels, mêmesi on peut déplorer que la plupart <strong>de</strong>s revêtements soientgoudronnés. Le premier réseau est situé entre Hauteriveet Saint-Blaise, en aval <strong>de</strong> la Vy d’Etra. Le second, pluséten<strong>du</strong>, se trouve entre Colombier et Cormondrèche. Ces<strong>de</strong>ux exemples sont une véritable démonstration <strong>du</strong> savoir-faireséculaire <strong>de</strong>s vignerons.Zoom sur le labyrintheL’architecture <strong>de</strong>s <strong>chemins</strong> <strong>de</strong> vigne décline une série <strong>de</strong>détails soignés. <strong>Les</strong> murs qui soutiennent les parcellessont ponctués <strong>de</strong> petits escaliers qui sont partie intégrante<strong>de</strong> l’ouvrage. Ailleurs, lorsque la pente s’adoucit et que lechemin suit les courbes <strong>de</strong> niveau, les murs <strong>de</strong> soutènementcè<strong>de</strong>nt parfois la place à <strong>de</strong>s murs combinés, sou­Ill. 3 : Entre Colombier et Cormondrèche,un chemin tout en finesse et en courbesà l’intérieur <strong>du</strong> labyrinthe32Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


tènement et libres, où subsistent quelques ouvertures <strong>de</strong>portes. Dans le vignoble entre Colombier et Cormondrèche,un petit ruisseau drainé par un canal <strong>de</strong> facturetraditionnelle ouvre une tranchée supplémentaire dans lepaysage. Un étroit sentier revêtu <strong>de</strong> matériau meuble accompagnele ruisseau pour <strong>de</strong>sservir également quelquesparchets (ill. 3). Non loin <strong>du</strong> ruisseau se trouve un autrechemin <strong>de</strong> <strong>de</strong>sserte particulièrement intéressant, avec unrevêtement <strong>de</strong> matériau naturel et un reste <strong>de</strong> pavementau départ <strong>de</strong> la voie. Sur ce tronçon, d’une longueur <strong>de</strong>200 m pour une largeur <strong>de</strong> 2,5 m, parfaitement circonscritpar <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong> soutènements, le caractère traditionnel<strong>du</strong> chemin <strong>de</strong> vigne est particulièrement bienconservé. Il a probablement été épargné par le goudroncar son tracé est coupé en <strong>de</strong>ux parties égales par la ligne<strong>du</strong> chemin <strong>de</strong> fer, ce qui interdit tout transit.Un paysage qui s’étiole<strong>Les</strong> murs, <strong>de</strong> menaçants avant leur abaissement, sont <strong>de</strong>venusmenacés par <strong>de</strong>s interventions <strong>de</strong> toutes sortes,notamment <strong>de</strong>s restaurations peu respectueuses <strong>de</strong> leursubstance traditionnelle. Même si les <strong>chemins</strong> sont bienentretenus et les murs régulièrement inspectés, ils se dégra<strong>de</strong>ntsous l’action <strong>du</strong> temps. <strong>Les</strong> parcelles se tassententraînant un gonflement <strong>de</strong>s ouvrages <strong>de</strong> contention dûà la pression. Souvent les consolidations sont faites dansle respect <strong>de</strong> la tradition, mais il arrive que <strong>du</strong> béton ou<strong>de</strong>s moellons in<strong>du</strong>striels soient employés, pour <strong>de</strong>s raisons<strong>de</strong> coût, alors que la réfection d’un mur traditionelrelève d’un savoir-faire spécialisé. C’est dommage carquelques mètres <strong>de</strong> béton peuvent déprécier l’ensembled’un chemin.Si les coteaux ensoleillés <strong>du</strong> bord <strong>du</strong> lac sont profitablesà la vigne, ils le sont également pour <strong>de</strong> nombreuxrési<strong>de</strong>nts <strong>du</strong> Littoral. En effet, la multiplication <strong>de</strong>sconstructions <strong>de</strong>s années 1950 à Ill. 4 : Le paysage croqué par le Dr. Neuhausen 1760 illustre parfaitement le rôle1970 a entraîné une diminution <strong>de</strong> lasurface viticole <strong>canton</strong>ale, qui est <strong>de</strong> premier plan que joue le vignoblepassée <strong>de</strong> 860 à 560 hectares, soit dans le Littoral neuchâtel, dont l’impactpaysager est à la mesure <strong>de</strong> son importanceéconomique. L’artiste a bien suune ré<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> 35 %. Pour la mêmepério<strong>de</strong>, l’expansion <strong>de</strong> l’agglomérationneuchâteloise a eu pour corol­saisir l’architecture soignée <strong>de</strong>s parchets<strong>de</strong> vigne, gardés par <strong>de</strong> hauts murs auxlaire une ré<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> vignobleportes bien fermées. Dans Musée neuchâtelois1871.proche <strong>de</strong> 50 % dans <strong>de</strong>s communescomme Auvernier, Cormondrèche ouSaint-Blaise. Actuellement la surfaceviticole est remontée à 612 hectares grâce à la Loi sur laviticulture <strong>de</strong> 1974 et à la replantation <strong>de</strong> vignes.En définitive, le Littoral neuchâtelois est un espacerelativement restreint où se déploient un grand nombred’activités humaines. La tâche ar<strong>du</strong>e <strong>de</strong> l’aménagement<strong>du</strong> territoire est d’organiser cet espace en zones viticole,agricole, in<strong>du</strong>strielle et rési<strong>de</strong>ntielle, en tenant compte<strong>de</strong>s routes qui relient les différentes zones entre elles etaux territoires voisins. La N 5 et le tracé <strong>de</strong> Rail 2000 permettrontcertes <strong>de</strong> diminuer les temps <strong>de</strong> déplacement,mais ils ré<strong>du</strong>isent aussi l’espace disponible. Le découpageterritorial est un exercice difficile et passionnant qui doittenir compte à la fois <strong>du</strong> développement économique et<strong>de</strong> la préservation d’un paysage culturel d’exceptioncomme le vignoble neuchâtelois.BibliographieMichel Blant, Le Jura, les paysages, la vie sauvage, les terroirs,Lausanne, Paris, 2001.Marcel Garin, Géographie <strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel, Neuchâtel,1998.Charly Guyot, Voyageurs romantiques en pays neuchâtelois,Neuchâtel, 1934.Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 33


L’arborisation <strong>de</strong>s <strong>chemins</strong> <strong>historiques</strong>La troisième dimension <strong>du</strong> paysageroutier neuchâteloisLe réseau routier neuchâtelois se distingue en maints endroits par une trèsbelle arborisation, qui lui confère une indéniable puissance paysagère. Cettetroisième dimension <strong>de</strong>s <strong>chemins</strong> neuchâtelois est le fruit d’un effort soutenud’embellissement, qui aujourd’hui appartient au patrimoine collectif.Il n’en a pas toujours été ainsi. Longtemps, en paysneuchâtelois, on n’a connu que l’arbre isolé ou alorsen foule, dans les forêts qui couvraient <strong>de</strong> larges pans<strong>du</strong> territoire. Quelques indivi<strong>du</strong>s, d’âge vénérable et àl’histoire souvent mythique, étaient connus loin à laron<strong>de</strong>. Souvent, il s’agit d’un tilleul (ill. 1). En Suisse et enSavoie, on avait l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> planter un tilleul sur lesplaces <strong>de</strong> village, parfois pour commémorer un événement.C’est le cas <strong>du</strong> célèbre tilleul <strong>de</strong> Fribourg, plantépour célébrer la victoire <strong>de</strong> Morat sur Charles le Téméraire.Neuchâtel, Saint-Blaise, Cressier, Auvernier et biend’autres localités encore avaient leur tilleul. Sur le cheminentre Boveresse et Monlési se trouve le « tilleul <strong>de</strong>scatholiques », mentionné dans un acte <strong>de</strong> 1567 ; la circonférence<strong>de</strong> son tronc, dans lequel, raconte la légen<strong>de</strong>, lesmoines se rendant à l’abbaye <strong>de</strong> Montbenoît déposaientleurs offran<strong>de</strong>s, est imposante, malheureusement ce trèsvieil arbre a per<strong>du</strong> <strong>de</strong> son panache et est en fin <strong>de</strong> vie.Parmi les arbres célèbres, le peuplier noir <strong>du</strong> Guillery, àFleurier, a été abattu en 1856. Au Bas Monsieur, un imposantérable sycomore est estimé à 450 ans. Plus près <strong>de</strong>nous, citons les érables <strong>de</strong> l’avenue Léopold-Robert à LaChaux-<strong>de</strong>-Fonds, célèbres car le sommet <strong>de</strong> leurs branchesest taillé à l’altitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1000 mètres. Beaucoup sontmala<strong>de</strong>s, car ils supportent mal le salage hivernal. Unefois coupés, ils sont remplacés par <strong>de</strong> jeunes érables.L’embellissement <strong>de</strong> la campagneEn <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ces indivi<strong>du</strong>s isolés, la population ne vouaitpas un amour particulier aux arbres, essentiellementconsidérés sous l’angle <strong>de</strong> leur utilité. Dans le vignoble,seuls les arbres <strong>de</strong> rente, fruitiers ou noyers, étaient tolérés,à condition <strong>de</strong> ne pas porter trop d’ombrage. Dans lesMontagnes, les colons qui s’étaient donné tant <strong>de</strong> peinepour défricher le sol et gagner <strong>de</strong>s terres sur la forêt nesouhaitaient pas encombrer leurs bons pâturages. Aucours <strong>du</strong> XVIII e siècle, les sensibilités changent. A cause<strong>de</strong> la surexploitation <strong>de</strong>s forêts, on considère maintenantles arbres avec plus <strong>de</strong> respect. L’in<strong>du</strong>strialisation a modifiéla façon <strong>de</strong> vivre <strong>de</strong> la population et peut-être aussison rapport à la nature. Des personnalités <strong>de</strong> plus en plusnombreuses plai<strong>de</strong>nt en faveur <strong>de</strong> plantations d’arbres,considérant qu’un paysage sans arbres est un paysagedésolé, un désert sans vie. En 1764, dans sa Description<strong>de</strong>s montagnes et vallées <strong>de</strong> Neuchâtel, Frédéric-SamuelOstervald déplore le dépouillement <strong>du</strong> Val-<strong>de</strong>-Travers :« <strong>Les</strong> étrangers ne peuvent voir qu’avec étonnement,qu’un aussi beau vallon soit entièrement dénué d’arbres.On pourrait former <strong>de</strong> très-belles plantations sur lagrand’route qui est très-unie, dans les <strong>chemins</strong> <strong>de</strong> traverseet autour <strong>de</strong>s villages. » Cette critique et d’autresencore ont su toucher les jeunes gens <strong>du</strong> vallon, qui sesont mis à effectuer <strong>de</strong>s plantations, dont la plus connueest la promena<strong>de</strong> <strong>de</strong> Longereuse à Fleurier, <strong>de</strong> 1799. Ilsfont visiblement <strong>de</strong>s émules, puisqu’en 1836 un observateurpeut s’émerveiller <strong>de</strong> l’« embellissement délicieux »que constituent les nombreuses plantations d’arbres.Le long <strong>de</strong>s routes royales<strong>Les</strong> alignements d’arbres le long <strong>de</strong>s routes ont été mis augoût <strong>du</strong> jour par les Français. La pratique avait été instauréeà l’époque d’Henri IV par son ministre Sully quiexigeait que les routes royales menant aux frontièressoient plantées d’ormes, non seulement pour procurer <strong>de</strong>l’ombre aux troupes, mais aussi et surtout parce que cebois était utilisé pour fabriquer les affûts <strong>de</strong>s canons.Cette habitu<strong>de</strong> sera reprise par l’administration <strong>de</strong>s Pontset Chaussées, créée sous Louis XIV, dont les ingénieurs34Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


feront <strong>de</strong>s routes françaises un modèle pour toutel’Europe. Dorénavant, les espèces ne sont pas choisiespour leurs qualités « militaires », mais aussi pour leursqualités esthétiques et techniques, notamment leur capacitéà sécher un sol humi<strong>de</strong> ou à fixer les talus. Le <strong>canton</strong>possè<strong>de</strong> un grand nombre d’exemples <strong>de</strong> voies <strong>historiques</strong>construites en chaussée, délimitée par une allée qui consoli<strong>de</strong>les talus latéraux, ce qui permet <strong>de</strong> renoncer à laconstruction <strong>de</strong> murs <strong>de</strong> soutènement (ill. 2).Des arbres par milliers au XIX e siècleEn France, les lignes d’arbres <strong>de</strong>viennent en quelque sortela « signature » <strong>de</strong>s routes royales, une marque <strong>de</strong> leur rôleet <strong>de</strong> leur qualité. A Neuchâtel, sous le régime Berthier,cette coutume française est appliquée aux nouvelles routesou aux voies rénovées et prend <strong>de</strong>s formes différentesselon les lieux. Ainsi, le « chemin <strong>du</strong> Lan<strong>de</strong>ron à Cressier »a-t-il été bordé en 1807 <strong>de</strong> centaines d’arbres fruitiers –pommiers, poiriers, cerisiers – qui offraient sans nuldoute un contraste bucolique aux peupliers plantés, probablementà la fin <strong>du</strong> XVIII e siècle, le long <strong>de</strong> la routeentre Le Lan<strong>de</strong>ron et le pont <strong>de</strong> Saint-Jean. En 1872, larevue Musée neuchâtelois publie un fascinant « Tableau<strong>de</strong>s plantations d’arbres faites dans Ill. 1 (à gauche) : Tilleul à Cerniertout le <strong>canton</strong>, sur les routes <strong>canton</strong>ales», réalisé par les soins <strong>de</strong>Ill. 2 (à droite) : La stabilité <strong>de</strong>s taluslatéraux est maintenue grâce àl’ingénieur <strong>canton</strong>al Knab, qui nousl’arborisation <strong>de</strong> cette chaussée étroiteindique le nom <strong>de</strong>s routes concernées,la date <strong>de</strong> plantation, quand settes.qui mène à la ferme <strong>de</strong>s Petites Cro­elle est connue, le nombre et les espècesplantées. Cette liste nous apprendpar exemple que le long <strong>de</strong> la nouvelle route <strong>de</strong>la Vue-<strong>de</strong>s-Alpes, 29 peupliers ont été plantés en 1808 <strong>de</strong>la limite <strong>de</strong> Valangin à Bou<strong>de</strong>villiers, 230 peupliers entreBou<strong>de</strong>villiers et Malvilliers en 1843–1844, auxquelss’ajoutent pas moins <strong>de</strong> 764 exemplaires d’essences diversestout au long <strong>du</strong> tracé. Sur les autres routes <strong>canton</strong>ales<strong>du</strong> Val-<strong>de</strong>-Ruz, Knab ne dénombre pas moins <strong>de</strong>2683 arbres, tilleuls, noyers, sorbiers, fruitiers divers,peupliers, planes, ormes et frênes, tous plantés entre 1805et 1867. Font exception les 119 tilleuls sur la route <strong>de</strong>sBugnenets entre le Plan et Pierre-à-Bot, qui remontentà 1781 et à l’établissement d’un nouveau tracé. Cesquelques chiffres donnent la mesure <strong>de</strong> l’importanceaccordée à la fois aux routes et à l’embellissement <strong>du</strong>paysage.Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 35


Des essences pour tous les étagesLa répartition géographique <strong>de</strong>s essences le long <strong>de</strong>svoies est avant tout déterminée par l’altitu<strong>de</strong>, la nature<strong>du</strong> sol et l’exposition au soleil. Pour simplifier à l’extrême,dans les montagnes, au <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> 800 m, on trouve àparts égales résineux et feuillus. Dans la première catégorie,les épicéas sont plus nombreux que les sapins etdans la secon<strong>de</strong>, les érables sont majoritaires comparésaux frênes et aux quelques tilleuls. <strong>Les</strong> bouleaux sontbien représentés au bord <strong>de</strong>s routes dans les zones <strong>de</strong>tourbières, vers les Ponts-<strong>de</strong>-Martel ou dans la vallée <strong>de</strong>La Brévine par exemple. En <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> l’étage montagnard,les essences sont <strong>de</strong> plus en plus nombreuses aufur et à mesure que l’on se rapproche <strong>du</strong> lac. On trouvealors au bord <strong>de</strong>s routes, en plus <strong>de</strong>s arbres cités précé<strong>de</strong>mment,<strong>de</strong>s chênes, <strong>de</strong>s charmes, <strong>de</strong>s ormes, <strong>de</strong>s marronniers,<strong>de</strong>s platanes, <strong>de</strong>s peupliers ainsi que <strong>de</strong>s arbres<strong>de</strong> rente comme <strong>de</strong>s cerisiers, <strong>de</strong>s pommiers, <strong>de</strong>s poiriers,<strong>de</strong>s pruniers et <strong>de</strong>s noyers.En lignes ou en alléesQuand l’arbre sort <strong>de</strong> la forêt, il prend un rôle nouveau,structurant l’espace et créant la dimension verticale. <strong>Les</strong>arbres, en ligne simple ou en allée, soulignent le parcours<strong>de</strong> la route, procurent <strong>de</strong> l’ombre en été et en hiver délimitentla ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> roulement sous la neige. Dans lesplaines agricoles <strong>de</strong> type openfield, où les parcelles nesont plus physiquement séparées les unes <strong>de</strong>s autres, ilsapportent une dimension esthétique incontestable. Dansle <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel, le Val-<strong>de</strong>-Ruz, évoqué plus haut,offre la meilleure illustration <strong>de</strong> la valeur paysagère <strong>de</strong>l’arborisation <strong>de</strong>s routes. En effet dans cette vallée fluvioglaciairetrès plate, déjà profondément marquée par lesaméliorations foncières et la suppression <strong>de</strong> la plupart<strong>de</strong>s haies vives, les alignements d’arbres jouent un rôlefondamental, soulignant le mo<strong>de</strong>lé discret <strong>de</strong> la topographie,créant <strong>de</strong>s perspectives et <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> fuite.Sans eux, le paysage perd sa troisième dimension (ill. 3).Sentinelle ou signal<strong>Les</strong> arbres isolés ou en groupes embellissent égalementles plaines à cultures intensives et les pâturages défrichés.Placés dans une position dominante, visibles loin alentour,ils sont <strong>de</strong>s marqueurs <strong>du</strong> paysage routier traditionnel(ill. 4). Parfois, le seul témoin encore <strong>de</strong>bout d’uneancienne intersection <strong>de</strong> voies <strong>historiques</strong> est un arbre.Ailleurs, les arbres indiquent les points <strong>de</strong> passage <strong>de</strong>s itinéraireset <strong>de</strong>s cols. Dans le cas <strong>de</strong> <strong>chemins</strong> <strong>de</strong> terre,qu’une intempérie suffit parfois à effacer, ils permettent<strong>de</strong> suivre plus facilement un tracé approximatif. Autrefoistrès commo<strong>de</strong>s pour les voyageurs et colporteurs, lesgroupements ou les arbres isolés ont contribué au travaild’inventaire <strong>de</strong>s voies <strong>historiques</strong>, en favorisant un relevéprécis <strong>de</strong>s <strong>chemins</strong> abandonnés dans les pâturages et lelong <strong>de</strong>s champs.Arbres et voitures, un mariage difficileL’arborisation <strong>de</strong>s routes et <strong>de</strong>s campagnes n’est pas toujoursperçue comme positive. Pour les agriculteurs, lesallées d’arbres constituent un obstacle au passage <strong>de</strong> véhiculesagricoles toujours plus larges. La mécanisation <strong>de</strong>l’agriculture a déjà provoqué la diminution ou la disparition<strong>de</strong>s haies dans les plaines à culture intensive. En réponseà l’appauvrissement biologique et paysager <strong>de</strong>scampagnes, <strong>de</strong> nombreux programmes <strong>de</strong> renaturation et<strong>de</strong> revitalisation sont actuellement à l’étu<strong>de</strong> ou en cours,et il serait utile d’y intégrer les <strong>chemins</strong> <strong>historiques</strong> bordésd’arbres et <strong>de</strong> haies.Des voix se sont également élevées pour dénoncer ledanger <strong>de</strong> l’arborisation <strong>du</strong> bord <strong>de</strong>s routes. Ce mouvementcontestataire initié par les motards <strong>du</strong> département<strong>du</strong> Gers en France a trouvé un écho dans le Val-<strong>de</strong>-Ruz.Avant d’abattre les arbres criminels, il serait bon <strong>de</strong> rappeleraux usagers que le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> la route précise trèsIll. 3 : Perspectives et jeux <strong>de</strong> lumièred’une allée arborée sur les hauteurs <strong>du</strong>Val-<strong>de</strong>-Ruz36Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


clairement que le con<strong>du</strong>cteur est responsable <strong>de</strong> la maîtrise<strong>de</strong> son véhicule.Un facteur <strong>de</strong> diversitéL’arborisation <strong>de</strong>s routes et <strong>chemins</strong> contribue gran<strong>de</strong>mentà préserver la diversité écologique. Pour les animauxsauvages, les rangées d’arbres et les haies vivesmises en réseau avec les murs <strong>de</strong> pierre sèche forment<strong>de</strong> véritables couloirs qui permettent à la faune <strong>de</strong> se déplaceravec plus <strong>de</strong> sécurité qu’en terrain découvert. Haieset arbres servent également <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>-manger et <strong>de</strong> lieu <strong>de</strong>nidification pour un grand nombre d’espèces. Pour laflore, l’arborisation joue également un rôle capital, la présenced’une essence plutôt qu’une autre favorisant le dé­BibliographieFrédéric Cuche, Nature <strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel,Neuchâtel, 1998.Louis Guillaume, Notice historique sur les promena<strong>de</strong>spubliques et les plantations d’arbres d’agrément dans le <strong>canton</strong><strong>de</strong> Neuchâtel, dans : Musée neuchâtelois 1869–1872.Charles Knab, Tableau <strong>de</strong>s plantations d’arbres faites danstout le <strong>canton</strong>, sur les routes <strong>canton</strong>ales, dans : Musée neuchâtelois,1872.veloppement différencié <strong>de</strong> plantes, Ill. 4 : Ce superbe tilleul met en valeur les<strong>de</strong> fleurs et <strong>de</strong> champignons. L’ombre champs cultivés <strong>du</strong> Val-<strong>de</strong>-Ruz.apportée contribue également à la diversification<strong>de</strong>s espèces végétales, par rapport au terrainvoisin défriché pour les besoins <strong>du</strong> pacage ou <strong>de</strong>s cultures.Dans le même ordre d’idées, un chemin délimité d’un côtépar la forêt et <strong>de</strong> l’autre par un alignement arboré possè<strong>de</strong>une haute valeur écologique. Sorte <strong>de</strong> première lisière,espace frontière entre le champ cultivé et la forêt, la haiepermet l’épanouissement <strong>de</strong> multiples espèces végétales àfleurs et d’arbustes que l’on ne retrouve pas à l’intérieur<strong>de</strong> la futaie. La Vy Marchand qui remonte le pied <strong>du</strong> flancnord-ouest <strong>de</strong> la Montagne <strong>de</strong> Chaumont, dotée d’un revêtementnaturel, est un excellent exemple d’une voiehistorique accompagnée sur la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> sonparcours par une haie arborée.L’arborisation <strong>de</strong>s voies constitue un chapitre trèsspécial <strong>de</strong>s richesses révélées par l’inventaire <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong>communication <strong>historiques</strong> <strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel. Duchemin pé<strong>de</strong>stre à la route <strong>canton</strong>ale, et même le long <strong>de</strong>certaines routes <strong>de</strong> forêt, qui sont accompagnées d’unerangée d’arbres d’une essence différente, un effort considérablea été accompli pour embellir le réseau routier.Aujourd’hui, le rôle écologique <strong>de</strong> ces accompagnementsleur donne une valeur supplémentaire.Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 37


Croix, fontaines, bornes et pierres en tous genresCes objets qui accompagnentles voiesA côté <strong>de</strong>s panneaux indicateurs, signaux lumineux, radars et stationsservicequi marquent leur accession à la mo<strong>de</strong>rnité automobile, les <strong>chemins</strong><strong>historiques</strong> <strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel sont encore jalonnés d’objets <strong>du</strong> paysageroutier traditionnel, qui gar<strong>de</strong>nt le souvenir <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vie révolus.Sur les routes survivent quelqueséléments traditionnels,telles les bornes routières enpierre, ou les bouteroues qui protègentles bâtiments ou qui empêchentles véhiculent <strong>de</strong> tomber dans unfossé, voire un précipice. (ill. 2) Cependant,les pierres traditionnellesles plus répan<strong>du</strong>es dans le <strong>canton</strong>,surtout dans les montagnes et les pâturages,sont les piliers et les pierres<strong>de</strong> portail ou clédars. Il s’agit la plupart<strong>du</strong> temps d’une grosse pierre encalcaire, <strong>de</strong> dimension rectangulaire,parfois pyramidale, qui sépare lechemin <strong>de</strong> l’entrée d’un champ ou d’une pâture. Ces grosblocs, sur lesquels viennent s’appuyer les murs <strong>de</strong> pierresèche, possè<strong>de</strong>nt parfois <strong>de</strong>s encoches taillées qui permettent<strong>de</strong> fermer l’entrée <strong>du</strong> bocage en y accrochantsimplement une barrière. Même si <strong>de</strong> nombreux murs <strong>de</strong>Ill. 1 (en haut) : A l’intersection <strong>du</strong> chemintendant à Voens et <strong>du</strong> chemin tendant <strong>de</strong>Saint-Blaise à Cornaux, un plan <strong>de</strong> 1763illustre avec minutie le lieu <strong>de</strong> jugementavec son carcan, relevant <strong>de</strong> la seigneurie<strong>de</strong> Thielle (détail). Recette <strong>de</strong>Thielle, par Breguet. Archives d’Etat <strong>de</strong>Neuchâtel.Ill. 2 (en bas) : Le long <strong>de</strong> la route reliantLe Locle à La Sagne subsiste une borneroutière datée <strong>de</strong> 1868.pierre sèche ont disparu, les pierres <strong>de</strong> portail sont souventles <strong>de</strong>rniers témoins visibles <strong>de</strong> la limite d’un ancienpâturage ou <strong>du</strong> passage d’un chemin.D’autres éléments ont complètement disparu, commeles gibets et autres fourches patibulaires installés au bord<strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s routes, à la limite <strong>de</strong>s souverainetés. AuMoyen Age, c’était l’insigne d’un droit <strong>de</strong> haute justicetenu directement <strong>de</strong> l’Empire et réservé aux barons. (ill. 1)Ces symboles <strong>de</strong> la féodalité furent détruits par le mouvementdémocratique, comme le gibet <strong>de</strong> Neuchâtel, démoliclan<strong>de</strong>stinement dans la nuit <strong>du</strong> 29 décembre 1829 et jamaisreconstruit.D’autres manifestations <strong>du</strong> pouvoir ont mieux résisté.Ainsi, la frontière nationale et <strong>canton</strong>ale est toujours signaléepar <strong>de</strong>s bornes. Le long <strong>de</strong>s 58 km <strong>de</strong> limite avec laFrance, on ne trouve pas moins <strong>de</strong> 182 bornes numérotées.La borne numéro 1, émergeant <strong>du</strong> Doubs à quelquesmètres <strong>de</strong>s berges <strong>de</strong> Biaufond, est connue sous le nom <strong>de</strong>borne <strong>de</strong>s Trois-Evêques, un nom qui rappelle qu’ici se38Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


encontraient les évêchés <strong>de</strong> Besançon, Bâle et Lausanne.La troisième borne n’est pas matérialisée par une pierre,mais directement sculptée sur le rocher en aval <strong>du</strong> passage<strong>du</strong> Col <strong>de</strong>s Roches, avec quatre armoiries disposéesles unes à côté <strong>de</strong>s autres qui lui ont donné le nom <strong>de</strong>Roche aux Ecussons. La <strong>de</strong>rnière borne, qui marque lalimite entre France, Vaud et Neuchâtel, est fort ancienneet porte notamment une fleur <strong>de</strong> lys et la date <strong>de</strong> 1553.Plus directement sur les routes, les postes <strong>de</strong> douane etautres bâtiments surveillaient le passage. Quelques-uns<strong>de</strong> ces édifices ont été conservés, comme le Corps <strong>de</strong>Gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Ferrière, reconstruit en 1702, qui se dresse aubord <strong>de</strong> la grand-route <strong>de</strong> la Cibourg, à quelques mètres<strong>de</strong> la frontière <strong>de</strong> l’Evêché <strong>de</strong> Bâle. Ce péage <strong>du</strong> Bas Monsieura été supprimé en 1850, en même que toutes lesautres douanes intérieures en Suisse (ill. 4).<strong>Les</strong> croix et les églisesEn pays catholique, les croix routières sont <strong>de</strong>s élémentsimportants <strong>du</strong> paysage routier. A Neuchâtel, cette règleest bien observée dans les communes restées catholiques<strong>du</strong> Lan<strong>de</strong>ron, <strong>de</strong> Cressier, d’Enges et <strong>du</strong> Cerneux-Péquignot(ill. 3), et donne parfois lieu à <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts. En 1830,en pleine paix confessionnelle, <strong>de</strong>s jeunes gens <strong>de</strong> Cornauxbrisèrent la croix <strong>de</strong> pierre <strong>de</strong> 1651 érigée à l’extrémitéocci<strong>de</strong>ntale <strong>du</strong> territoire <strong>de</strong> Cressier, et <strong>du</strong>rent réparerleur méfait. Aujourd’hui, ce monument, consolidé par<strong>de</strong>s agrafes <strong>de</strong> fer, se trouve près <strong>du</strong> château sur un nouveausocle. Au centre <strong>du</strong> village, au sud <strong>de</strong> la maisonVallier, on trouve une croix datée 1654, dotée d’un soclequadrangulaire <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux marches. A la sortie nord-ouest<strong>du</strong> village, la croix <strong>de</strong> 1681 est entièrement composéed’éléments cylindriques. La plus connue <strong>de</strong>s croix <strong>du</strong>Lan<strong>de</strong>ron, dont le fût est daté <strong>de</strong> 1621, s’élève au milieu<strong>de</strong> la ville. Chez les catholiques comme chez les protestants,l’église, dont le clocher signalait au loin la présence<strong>du</strong> village, était au cœur <strong>de</strong> la vie communautaire. Denombreux <strong>chemins</strong> y con<strong>du</strong>isaient <strong>de</strong>puis les hameauxles plus reculés et les fermes les plus isolées (ill. 5). Acause <strong>de</strong> leur position dominante, les clochers ont été utiliséscomme repères fixes à partir <strong>du</strong> XIX e siècle pourl’établissement <strong>de</strong> cartes topographiques précises grâce àla triangulation.Ill. 3 (en haut, à gauche) : Croix en ferforgé <strong>de</strong> 1875 au Cerneux-Péquignot,commune catholique rattachée à Neuchâtelpar le traité <strong>de</strong> Paris <strong>de</strong> 1814.Ill. 4 (en haut, à droite) : Le Corps <strong>de</strong>Gar<strong>de</strong> aux confins <strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel,sur la route <strong>de</strong> Saint-Imier,gardait autrefois cette frontière intérieure.Ill. 5 (en bas) : La Sagne-Eglise, un templedans les champs. Ce lieu <strong>de</strong> cultebâti entre 1500 et 1526 dans le style <strong>de</strong>séglises <strong>de</strong> la montagne franc-comtoiseest considéré comme l’exemple le plusachevé d’architecture gothique <strong>du</strong> Juraneuchâtelois.Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 39


Ill. 6 : Avec sa belle fontaine ponctuantle carrefour <strong>du</strong> « chemin public <strong>de</strong> la Montagne» et <strong>du</strong> « chemin allant à l’Eglise »,ce plan d’une partie <strong>du</strong> village <strong>de</strong> Cernieroffre un joli résumé <strong>de</strong>s lieux centraux<strong>du</strong> village (détail). Plans <strong>de</strong> la recette<strong>de</strong> Valangin, d’après Girard, vers 1700.Archives d’Etat <strong>de</strong> Neuchâtel.<strong>Les</strong> aubergesSi l’église est le centre spirituel <strong>de</strong> la communauté,d’autres lieux rassemblent les villageois. <strong>Les</strong> auberges etautres débits <strong>de</strong> boissons, dont quelques-uns peuvent témoigner<strong>de</strong> plusieurs siècles d’activités, offraient égalementune halte bienvenue aux voyageurs. A Hauterive,l’auberge <strong>de</strong> la Croix d’Or, propriété communale <strong>de</strong> 1709à 1899, qui fit aussi office <strong>de</strong> cave et boucherie, a obtenule droit d’auberge en 1746, à l’enseigne <strong>de</strong> la Croix-Blanche.A Marin-Epagnier, l’auberge <strong>du</strong> Lion d’Or <strong>de</strong>vientune hôtellerie en 1769, quand la commune obtient ledroit d’y loger <strong>de</strong>s passants et <strong>de</strong> pendre enseigne. A Lignières,les origines <strong>de</strong> l’hôtel <strong>de</strong> commune remontent à1631, quand est accordé le premier droit d’auberge. APeseux, l’hôtel <strong>de</strong>s XIII-<strong>canton</strong>s bénéficie d’un droitd’auberge <strong>de</strong>puis 1780 ; on a repeint en 1959 l’originaleenseigne <strong>de</strong> 1781 : « AUX XIII CANTONS / BON LOGIS APIED / ET A CHEVAL », ornée <strong>de</strong>s armes <strong>de</strong> ces <strong>canton</strong>s etpercée par les trous <strong>de</strong>s balles tirées par les insurgés royalistes<strong>de</strong> 1856.soi. Vitale en cas d’incendie, elle alimente les seaux <strong>de</strong>cuir ou <strong>de</strong> chanvre, plus tard les « seringues », ces anciennespompes à incendie, portatives ou roulantes (ill. 6).La fontaine rythme aussi les saisons. Au printemps, ontrempe les outils dans le bassin pour en retendre le manche<strong>de</strong> bois. Dans les localités viticoles, elles servaientaussi au trempage <strong>de</strong>s gerles, ces cuves en bois utiliséespour transporter les vendanges. Avant l’avènement <strong>de</strong> labuan<strong>de</strong>rie municipale puis <strong>de</strong>s machines à laver, les femmesy font la gran<strong>de</strong> lessive, une entreprise spectaculairequi a généralement lieu <strong>de</strong>ux fois l'an, <strong>du</strong>rant plusieursjours. Jusqu’à la fin <strong>du</strong> XIX e siècle et en certains lieuxbien au-<strong>de</strong>là, la lessive était la plus grosse corvée dans unménage, une tâche herculéenne et <strong>de</strong> longue haleine, que<strong>Les</strong> fontainesAvec l’église et l’auberge, la fontaine est un lieu névralgique<strong>du</strong> village, et sans nul doute celui qui connaîtl’activité la plus intense. Deux fois par jour, on y amènele bétail et les chevaux. On va y chercher l’eau domestique,quand on n’a pas la chance d’avoir un puits chezIll. 7 : Aujourd’hui, la fontaine <strong>du</strong> Pâquiercontinue à jouer son rôle traditionnel.40Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


Ill. 8 (en haut) : La fontaine aux tortuesa été érigée pour commémorer l’arrivée<strong>de</strong> l’eau courante <strong>de</strong> l’Areuse à La Chaux<strong>de</strong>-Fonds,en 1887, un haut-fait techniquequi constitue un <strong>de</strong>s points forts<strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong> la ville.Ill. 9 (en bas) : La Justice à Neuchâtel estune <strong>de</strong>s fontaines les plus connues <strong>de</strong> laville. La statue et la colonne ont réaliséesen 1545–1547 par Laurent Perroud, probablementd’après un modèle bernois.Aux pieds <strong>de</strong> la statue <strong>de</strong> la justice, ontrouve le pape, l’empereur, un sultan etun magistrat neuchâtelois.l’on a bien <strong>de</strong> la peine aujourd’hui à s’imaginer. La fontaineest composée d’une chèvre portant un ou plusieursgoulots et d’un ou plusieurs bassins. <strong>Les</strong> activités sontsoigneusement réglementées : l’eau potable se recueilleau goulot dans <strong>de</strong>s récipients posés sur <strong>de</strong>s supports. Lepremier bassin est réservé aux animaux (ill. 7). La lessive,qui souille l’eau, doit se faire dans les bassins suivants.<strong>Les</strong> pratiques trop salissantes, comme le nettoyage <strong>de</strong> certainslégumes ou <strong>du</strong> poisson, le rinçage <strong>de</strong>s peaux ou encorele noyage <strong>de</strong> bêtes, sont interdites.<strong>Les</strong> premières fontaines campagnar<strong>de</strong>s étaient enbois, tout comme les con<strong>du</strong>ites d’amenée <strong>de</strong> l’eau. Ces<strong>de</strong>rnières furent remplacées peu à peu par <strong>de</strong>s con<strong>du</strong>itesen terre cuite, puis en fonte. <strong>Les</strong> bassins taillés dans unbloc <strong>de</strong> pierre, très coûteux, sont un signe <strong>de</strong> la prospérité<strong>du</strong> village. Leur mise en œuvre, très délicate, est un travail<strong>de</strong> spécialistes, qui savent choisir la bonne pierre, résistantaux intempéries et à la pression <strong>de</strong> l’eau. La fontainen’est pas l’apanage <strong>de</strong>s villages. En ville, elle <strong>de</strong>vientmonument (ill. 8, 9) alors qu’à la campagne, audétour d’un chemin, elle s’offre comme une surprise bienvenueaux gens et aux bêtes.BibliographieJean Courvoisier, <strong>Les</strong> monuments d’art et d’histoire <strong>du</strong> <strong>canton</strong><strong>de</strong> Neuchâtel, T. 1–3, Bâle, 1955–1968.Sam Daumwal<strong>de</strong>r, Anciennes bornes, anciennes frontières,dans : Le Rameau <strong>de</strong> sapin 1975 : 27–29 ; 53–54 ; 1976 : 10–12.Maurice Evard, Fontaines neuchâteloises, Hauterive, 1985.Jean-Philippe Vuillemier, A la lisière <strong>de</strong> nos frontières.Réflexions et anecdotes sur les limites territoriales <strong>du</strong> pays,<strong>du</strong> <strong>canton</strong> et <strong>de</strong>s communes, dans : Le Gouvernail : 1–5,Saint-Blaise, 1995.Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 41


Sur les rivières <strong>de</strong> Neuchâtel<strong>Les</strong> ponts, jalons <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>scommunicationsNeuchâtel est pauvre en cours d’eau <strong>de</strong> surface, les ponts y sont donc plusrares que dans d’autres <strong>canton</strong>s. Mais ici comme ailleurs, la traversée<strong>de</strong>s cours d’eau constitue un <strong>de</strong>s aspects majeurs d’une politique routièrebien comprise et le <strong>canton</strong> possè<strong>de</strong> aujourd’hui encore quelques très beauxspécimens <strong>de</strong> ponts <strong>historiques</strong>.La première carte imprimée <strong>de</strong> l’actuel <strong>canton</strong> <strong>de</strong>Neuchâtel, la « Carte géographique <strong>de</strong> la Souveraineté<strong>de</strong> Neuchâtel et Vallangin » <strong>de</strong> 1672–1673,que l’on doit au père C. Bonjour, ne montre aucune route,mais indique avec soin les ponts. Nous n’avons aucunmoyen <strong>de</strong> savoir si cette représentation est exacte, maissur les gran<strong>de</strong>s rivières elle indique huit passages surl’Areuse, trois sur le Seyon, sans compter les ponts <strong>de</strong> laville <strong>de</strong> Neuchâtel, et <strong>de</strong>ux sur la Thielle. Sur les coursd’eau mineurs, quelques ouvrages sont représentés : à Bevaix,à la hauteur <strong>de</strong> Marin, sur ce qui doit être l’ancienbras <strong>de</strong> la Thielle, sur le Buttes, sur la Noiraigue, dans lesMontagnes, sur les « Bied » <strong>du</strong> Locle, <strong>de</strong>s Ponts-<strong>de</strong>-Martel,<strong>de</strong> La Brévine...La Thielle: <strong>de</strong>s passages anciens,mais aucun pont historiqueLe passage <strong>de</strong> la Thielle a été emprunté probablement <strong>de</strong>puisla protohistoire. La région <strong>de</strong> l’Entre-Deux-Lacs a étéoccupée très anciennement et nul doute qu’on y circulaitbeaucoup, sur terre et sur eau. Près <strong>de</strong> Cornaux/<strong>Les</strong> Sauges,un pont celtique, établi en 300 avant J.-C., restaurévers 150 avant J.-C. et à nouveau entre 120 et 116 avantJ.-C., a été découvert. Sous les vestiges, on a trouvé <strong>de</strong>ssquelettes d’humains et d’animaux ainsi qu’un riche matérielarchéologique. <strong>Les</strong> interprétations divergent quantà ces trouvailles: lieu <strong>de</strong> culte et <strong>de</strong> sacrifice ou catastrophe?Environ 100 m plus haut, <strong>de</strong>s fouilles ont révéléles vestiges d’un pont romain. En outre, près <strong>de</strong> La Tène(Marin-Epagnier), sur un bras secondaire <strong>de</strong> la Thielle, setrouvaient <strong>de</strong>ux autres ponts : un pont celtique, dit pontVouga, bâti en 250 avant J.-C. et, 115 m plus en amont, làoù la Thielle sort <strong>du</strong> lac <strong>de</strong> Neuchâtel, un pont celtiqueou romain, appelé pont Desor, que la <strong>de</strong>ndrochronologiedate <strong>de</strong> 38 avant J.-C. Entre ces <strong>de</strong>ux ponts, plus <strong>de</strong> 2500objets ont été trouvés dans le lit <strong>de</strong> la Thielle, suscitant<strong>de</strong>s interprétations contrastées, la plupart <strong>de</strong>s auteurss’accordant sur l’hypothèse d’un lieu <strong>de</strong> culte, comme aupont <strong>de</strong> Cornaux.Au Moyen Age, le pont <strong>de</strong> Thielle, mentionné dansles sources en 1228, est gardé par un château dès la secon<strong>de</strong>moitié <strong>du</strong> XIII e siècle. <strong>Les</strong> substantiels revenus <strong>de</strong>spéages <strong>de</strong>s bateaux passant sous le pont et <strong>de</strong>s voyageurset marchandises passant <strong>de</strong>ssus revenaient en totalité auprince <strong>de</strong> Neuchâtel. Tout au long <strong>de</strong> son histoire, le passagesur la Thielle, qui se trouve sur un axe <strong>de</strong> premièreIll. 1 : Le pont <strong>de</strong> Thielle avec la maison<strong>de</strong> péage, sur un plan <strong>de</strong> 1763 (détail).Recette <strong>de</strong> Thielle, par Breguet. Archivesd’Etat <strong>de</strong> Neuchâtel.42Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


importance, s’est constamment adapté aux exigences <strong>du</strong>trafic. <strong>Les</strong> premiers ouvrages sont en bois et couverts(ill. 1) ; un pont <strong>de</strong> pierre est construit entre 1775 et 1778.Par la suite, les <strong>de</strong>ux corrections <strong>de</strong>s eaux <strong>du</strong> Jura (1868–1891 et 1962–1973), qui ont transformé la Thielle <strong>de</strong>rivière en un canal mo<strong>de</strong>rne, ont entraîné la perte <strong>du</strong>château et <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ponts successifs. Ainsi, le pont métalliqueédifié vers 1878 sur le nouveau canal coupant uneboucle <strong>de</strong> la Thielle est remplacé en 1969 par un pont enbéton, plus haut, à l’occasion <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong> l’autorouteNeuchâtel–Bienne, avec un échangeur à Thielle.Le pont <strong>de</strong> Travers: construit en 1665Tout autre est le <strong>de</strong>stin <strong>du</strong> pont <strong>de</strong> Travers, le plus ancien<strong>du</strong> <strong>canton</strong>, classé monument historique en 1951. Un pontsur l’Areuse à Travers est attesté <strong>de</strong>puis 1525, vers 1583 ilest même représenté dans une vue à vol d’oiseau, avectrois arches et un avant-bec <strong>du</strong> côté<strong>de</strong> l’amont. L’ouvrage actuel remonteà 1665, quand il fait l’objet d’importantstravaux, dont témoigne la dateinscrite sur une <strong>de</strong>s pierres <strong>du</strong> parapet(ill. 2). Bel exemple d’architectureclassique, il est en pierre <strong>de</strong> taille etpossè<strong>de</strong> quatre arches en plein cintres; ses trois piles centrales sont dotées<strong>de</strong> forts avant-becs. Tout récemment,une nouvelle restauration a étéentreprise, d’une part pour permettreà ce pont <strong>de</strong> supporter les charges <strong>du</strong>trafic mo<strong>de</strong>rne, d’autre part pour luirestituer sa substance d’origine fortemententamée par les restaurationsprécé<strong>de</strong>ntes. Le pont <strong>de</strong> Travers faitpreuve d’une longévité remarquable. Le fait qu’il ne setrouve pas sur un axe <strong>de</strong> grand trafic a sans nul douteaidé à le préserver et à éviter son remplacement par unouvrage plus mo<strong>de</strong>rne.L’Areuse, la plus longue rivière <strong>du</strong> <strong>canton</strong> avec 25 kilomètres<strong>de</strong>puis la source vauclusienne à Saint-Sulpicejusqu’à l’embouchure au sud <strong>de</strong> Boudry, ne manque pas<strong>de</strong> ponts remarquables, dont certains sont <strong>de</strong>s rescapés<strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> correction <strong>de</strong> la rivière. Ainsi, à l’entrée <strong>de</strong>Saint-Sulpice, le pont <strong>de</strong>s Isles, établi en 1799 et classémonument historique, s’est retrouvé sans eau ; menacé <strong>de</strong>disparition, il fut sauvé et doté d’unétang. A Saint-Sulpice toujours, le Ill. 2 (en haut) : Le pont <strong>de</strong> Travers aprèsgrand pont sur l’Areuse au centre <strong>du</strong>sa récente restaurationvillage, à l’origine en bois et reconstruiten pierre en 1739–1740, se après son inauguration, gravure. Dans :Ill. 3 (en bas) : Le pont <strong>de</strong> Serrières peutrouve sur l’ancien tracé <strong>de</strong> la route Musée neuchâtelois, 1900.Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 43


l’ancien ouvrage. A Môtiers, <strong>de</strong>ux ponts <strong>de</strong> pierre <strong>de</strong> 1764et 1765 existent toujours sur l’ancien bras <strong>de</strong> l’Areuse etle canal <strong>du</strong> moulin ; <strong>de</strong>ux gracieux ponts à une arche,construits probablement au XVIII e siècle, subsistent sur leBied. A Boudry, le pont <strong>de</strong> bois fut démoli par une crueen 1750. Remplacé par un ouvrage composé <strong>de</strong> trois chevaletsupportant un tablier <strong>de</strong> poutres, il a été reconstruiten pierre en 1841–1842 ; en 1990, ce pont <strong>de</strong> pierre s’estaffaissé et a été réparé.Ill. 4 (en haut) : Le Pont Noir dans les <strong>de</strong> France. <strong>Les</strong> fondations d’origine,Gorges <strong>du</strong> Seyon, vers 1890, par Fritz une structure en bois sur laquelleHuguenin-Lassaguette. Dans : Le <strong>canton</strong> s’appuyait la maçonnerie, étaient menacées<strong>de</strong> pourrissement et ont été<strong>de</strong> Neuchâtel illustré, 1890.Ill. 5 (en bas) : Le pont <strong>du</strong> Meilleret sur renforcées par <strong>de</strong>s injections <strong>de</strong>le Seyon à Feninbéton. Le pont <strong>de</strong> la Roche, anciennementà la charge <strong>de</strong> la commune<strong>de</strong> Fleurier, a été en partie rebâti en 1755, mais en1880, un tablier métallique, autrement orienté, remplaceEn 1810, le pont Berthier franchitla gorge <strong>de</strong> la SerrièreSur la grand-route <strong>du</strong> lac, le profond ravin <strong>de</strong> la Serrière,à Serrières, a longtemps obligé les voyageurs à <strong>de</strong>scendreau plus près <strong>de</strong> l’embouchure pour passer la rivière à gué,puis à remonter une forte pente pour retrouver une ligneà bonne distance <strong>de</strong> la rive. A la fin <strong>du</strong> XVIII e siècle, lesrampes <strong>de</strong> Serrières étaient <strong>de</strong>venues un obstacle suffisammentdissuasif pour que les autorités envisagent laconstruction d’un grand pont au niveau et dans l’axe <strong>du</strong>chemin venant d’Auvernier. En 1789, la bourgeoisie <strong>de</strong>Neuchâtel comman<strong>de</strong> <strong>de</strong>s plans à l’ingénieur françaisNicolas Céard, dont le projet fut jugé très beau, mais tropcher. Il faudra attendre le changement <strong>de</strong> régime pourvoir un début <strong>de</strong> réalisation. En janvier 1807, en effet, lemaréchal Berthier autorise la construction <strong>de</strong> l’ouvrage,achevée en 1810, dans les délais prévus (ill. 3). Le pont encalcaire blanc qui enjambe la gorge <strong>de</strong> la Serrière avec44Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


Ill. 6 : Le pont <strong>de</strong> Biaufond, un belouvrage métallique <strong>de</strong> 1881, est le premierpont neuchâtelois sur le Doubs.une seule arche <strong>de</strong> 20 m d’ouverture,suscite, comme l’écrit Charles Go<strong>de</strong>froy<strong>de</strong> Tribolet en 1827, « les élogesunanimes <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> l’art, sous lerapport <strong>de</strong> sa hardiesse et <strong>de</strong> sa belleexécution, et le simple passager s’arrêteet se délasse à la vue <strong>de</strong> ce tableauanimé, qu’offre bien au-<strong>de</strong>ssous<strong>de</strong> lui le mouvement <strong>de</strong>s ateliers,et les casca<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la rivière,ombragée par les noyers qui s’élèvent<strong>de</strong> ses bords, et dont les cimesatteignent à peine cette voûte élancéesur laquelle il se trouve suspen<strong>du</strong>.» Depuis 1866, ce bel ouvrage affrontela concurrence <strong>du</strong> via<strong>du</strong>c CFF.Avec quelques modifications, il a heureusement survécuaux inévitables interventions liées au développement <strong>du</strong>trafic automobile, car la grand-route <strong>du</strong> XIX e siècle a étédéclassée par la route <strong>canton</strong>ale établie au plus près <strong>du</strong>lac.<strong>Les</strong> ponts sur le Seyon sous pressionLe Pont Noir sur le Seyon, spectaculaire ouvrage d’artétabli en 1853 pour franchir les gorges <strong>du</strong> Seyon, a quantà lui été récemment sacrifié aux travaux <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation<strong>de</strong> la route <strong>canton</strong>ale (ill. 4). A Valangin même, aumidi <strong>du</strong> château, un pont existe <strong>de</strong> très longue date, avec<strong>de</strong>s reconstructions successives attestées <strong>de</strong>puis 1548 aumoins. Le pont actuel remonte à 1843–1844. Elevé sur lesplans <strong>de</strong> Charles-Henri Junod, inspecteur <strong>de</strong>s Ponts etchaussées, en gros appareil soigneusement taillé, avecune seule arche, il est aujourd’hui bien peu visible dansle paysage routier mo<strong>de</strong>rne. Le Seyon a conservé un passageplus mo<strong>de</strong>ste, le pont <strong>du</strong> Meilleret à Fenin, <strong>de</strong> 1876(ill. 5). Cet ouvrage en maçonnerie à <strong>de</strong>ux voûtes, d’aspecttraditionnel, a en fait été élargi en 1981 : les pierresd’origine utilisées en parement dissimulent une structureen béton.Sur le Doubs, il n’y avait pas <strong>de</strong> pontSur le Doubs, les ponts ont été jetés tardivement. On franchissaitla rivière frontalière, au cours parfois formidablementencaissé, au moyen <strong>de</strong> ra<strong>de</strong>aux ou <strong>de</strong> barques,en recourant aux services <strong>de</strong> passeurs. En 1881, le pont<strong>de</strong> Biaufond, bel ouvrage métallique, prolonge sur la rivefrançaise la route <strong>de</strong>s Côtes <strong>du</strong> Doubs <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> LaChaux-<strong>de</strong>-Fonds (ill. 6). Quelques années plus tard, il estdoublé en amont par la passerelle <strong>de</strong> la Rasse, elle aussien métal, qui domine le cours <strong>du</strong> Doubs à une quinzaine<strong>de</strong> mètres <strong>de</strong> hauteur.On pourrait ajouter d’autres exemples à ce bref survol,qui suffit pourtant à illustrer le rôle primordial <strong>de</strong>sponts dans l’amélioration <strong>de</strong>s communications. La diversité<strong>de</strong>s formes et <strong>de</strong>s matériaux reflète l’évolution <strong>de</strong>stechniques et fait honneur au savoir-faire <strong>de</strong>s architecteset ingénieurs qui les ont conçus.BibliographieJean Courvoisier, <strong>Les</strong> districts <strong>de</strong> Neuchâtel et <strong>de</strong> Boudry.<strong>Les</strong> monuments d’art et d’histoire <strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel T. 2,Bâle, 1963.Jean Courvoisier, <strong>Les</strong> districts <strong>du</strong> Val-<strong>de</strong>-Travers, <strong>du</strong> Val-<strong>de</strong>-Ruz,<strong>du</strong> Locle et <strong>de</strong> la Chaux-<strong>de</strong>-Fonds. <strong>Les</strong> monuments d’art etd’histoire <strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel T. 3, Bâle, 1968.Routes neuchâteloises, ouvrage réalisé sous la directiond’Arthur Grandjean, Hauterive 1995.Hanni Schwab, <strong>Les</strong> Celtes sur la Broye et la Thielle. Dans :Archéologie <strong>de</strong> la 2 e correction <strong>de</strong>s eaux <strong>du</strong> Jura T. 1, Fribourg,1989.Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 45


A pied, à cheval, en voitureDe la forme <strong>de</strong>s <strong>chemins</strong>et <strong>de</strong> leur usageNotre réseau actuel est l’héritier d’innovations qui, dès la fin <strong>du</strong> XVII e siècle,n’ont cessé <strong>de</strong> se perfectionner, et où les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> déplacement, les métho<strong>de</strong>s<strong>de</strong> construction et les techniques d’entretien évoluent en étroiteinteraction. L’histoire « technique » <strong>de</strong> la route est forcément celle <strong>de</strong>s voiesles plus importantes, régulièrement en usage et constamment adaptéesaux besoins nouveaux.La forme <strong>de</strong> la voie est tributaire <strong>du</strong> trafic et toutd’abord <strong>de</strong> ses usagers. Jusqu’à la fin <strong>du</strong> XIX e siècle,l’immense majorité <strong>de</strong> la population se déplace àpied, un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> déplacement universel pour lequel iln’est guère nécessaire d’aménager les voies. Pour les plusprivilégiés, le cheval reste le moyen <strong>de</strong> locomotion le pluscommo<strong>de</strong> et le plus rapi<strong>de</strong>, sinon le plus reposant. Letransport <strong>de</strong>s marchandises présente <strong>de</strong>s problèmes autrementplus délicats. Il s’agit <strong>de</strong> déplacer le plus économiquementpossible la plus gran<strong>de</strong> quantité <strong>de</strong> biens.Avant l’avènement <strong>du</strong> rail, on privilégie les voies d’eau,lentes certes, mais qui permettent <strong>de</strong> charrier à bon marchéles marchandises les plus lour<strong>de</strong>s. Sur la terre ferme,la facilité <strong>de</strong> circulation dépend <strong>de</strong>s conditions topographiqueset climatiques et doit faire face à <strong>de</strong> nombreuxobstacles, dont les aléas <strong>de</strong> la politique ne sont pas lesmoindres. Longtemps, le choix s’est limité à <strong>de</strong>ux mo<strong>de</strong>s<strong>de</strong> transport, le portage et le roulage, qui exigent <strong>de</strong>sconditions <strong>de</strong> route bien différentes.Droit au butLe portage, c’est-à-dire le transport <strong>de</strong> marchandises par<strong>de</strong>s bêtes <strong>de</strong> somme, est <strong>de</strong> loin le plus simple et le pluséconomique. <strong>Les</strong> animaux <strong>de</strong> bât, le plus souvent <strong>de</strong>smules ou <strong>de</strong>s mulets, parfois <strong>de</strong>s chevaux ou <strong>de</strong>s ânes,plus rarement <strong>de</strong>s bœufs, peuvent porter <strong>de</strong>s charges importantes.Un bon mulet a le pas sûr, une résistance àtoute épreuve et peut supporter confortablement <strong>de</strong> 120 à150 kilos, parfois même 185 kilos. Se jouant <strong>de</strong> pentesfort ru<strong>de</strong>s, il a donné son nom au chemin muletier, trèssimplement aménagé. Le plus souvent, il va droit au but,sans souci <strong>de</strong>s côtes ni <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scentes, traversant les coursd’eau au gré <strong>de</strong>s passages, gués ou bacs, plus rarement unpont, affrontant <strong>de</strong>s conditions extrêmes qui ren<strong>de</strong>nt leroulage à peu près impossible.Dans le <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel, la plupart <strong>de</strong>s sentiersmuletiers n’ont pas été construits, mais plutôt formés parl’usage. Le terrain conserve la marque <strong>du</strong> passage <strong>de</strong>shommes et <strong>de</strong>s bêtes, plus accentué dans les parties rai<strong>de</strong>s<strong>du</strong> parcours (ill. 1). Il en résulte un chemin creux forméIll. 1 : Empreinte d’un chemin créé parl’usage sur le versant nord <strong>de</strong> la vallée<strong>du</strong> Locle, quelques mètres en contrebas<strong>de</strong> la route goudronnée. Sans la fine couche<strong>de</strong> neige, les traces seraient presqueinvisibles.46Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


par l’érosion hydraulique qui charrie en aval le sol soulevépar les sabots et les pas. Dans les Montagnes, les <strong>chemins</strong>creux ne sont pas très profonds en comparaison <strong>de</strong>ceux que l’on trouve sur le Plateau, la fine couche d’humussur une roche-mère calcaire ne favorisant pas cetype <strong>de</strong> profil. Cependant, le versant sud <strong>du</strong> Mont Racineoffre une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>chemins</strong> creux, tout à fait remarquablesi l’on considère la <strong>du</strong>reté <strong>de</strong> la roche. Par ailleurs,<strong>de</strong>ux exemples exceptionnels ont été recensés dans le<strong>canton</strong>, avec <strong>de</strong>s talus latéraux culminant à une hauteur<strong>de</strong> 4 mètres. Le premier, situé en amont <strong>de</strong>s Geneveyssur-Coffrane,préfigure le réseau <strong>du</strong> Mont Racine. Sonprofil est beaucoup plus profond que celui <strong>de</strong>s <strong>chemins</strong>situés en amont, car il s’inscrit dans une moraine latéralemoins compacte, déposée lors <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière glaciation.Au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> village <strong>de</strong> Cressier, on trouve un secondchemin creux important entaillant un sol plus tendre, etgrimpant en direction d’Enges.Le véhicule définit la voieDès qu’il s’agit <strong>de</strong> roulage, la question se complique. Pourpermettre la circulation <strong>de</strong> véhicules toujours plus lourdset plus rapi<strong>de</strong>s, il faut <strong>de</strong>s routes construites, soli<strong>de</strong>mentfondées. L’attelage antique ignore l’emploi <strong>du</strong> collierd’épaules, intro<strong>du</strong>it en Europe peu avant le Moyen Age etqui permet <strong>de</strong> quintupler la puissance <strong>de</strong> traction <strong>du</strong> cheval.En conséquence, la route médiévale a eu à subir <strong>de</strong>scharges cinq fois plus importantes que la voie <strong>de</strong> l’époqueromaine. Au cours <strong>de</strong>s siècles suivants, la part et le poids<strong>du</strong> roulage ne cessent <strong>de</strong> croître, <strong>du</strong> moins en plaine,et dans la première moitié <strong>du</strong> XIX e Ill. 2 (à gauche) : Partiellement effondrésiècle, il occupe <strong>de</strong> loin la première plus en aval, cet imposant mur <strong>de</strong> plusplace parmi les mo<strong>de</strong>s d’acheminement<strong>de</strong>s marchandises. Pour sup­plus proche <strong>du</strong> Seyon, entre Neuchâtel<strong>de</strong> 3 m <strong>de</strong> hauteur soutient le tracé leporter ce trafic et l’augmentation <strong>de</strong>et Valangin.la vitesse et <strong>de</strong>s charges qui l’accompagnent,les techniques <strong>de</strong> fabrica­ce tronçon <strong>de</strong> la Vy d’Etra a conservé unIll. 3 (à droite) : Entre Bôle et Trois Rods,tion <strong>de</strong>s routes ont aussi dû évoluer. pavement remarquable dans la partie laCelles-ci sont aussi très fortement plus rai<strong>de</strong> <strong>de</strong> la voie.tributaires <strong>de</strong> la topographie. Dans lepays <strong>de</strong> Neuchâtel, le relief <strong>du</strong> Jura plissé influence <strong>de</strong>façon décisive la morphologie <strong>de</strong>s constructions routières:on taille <strong>de</strong>s falaises, creuse <strong>de</strong>s galeries, édifie <strong>de</strong>sponts, élève <strong>de</strong>s chaussées.Routes <strong>de</strong> montagnes et routes <strong>de</strong> valléesDans le sens sud–nord, quatre chaînes <strong>de</strong> montagnesbarrent l’accès entre le lac et le canyon <strong>du</strong> Doubs. <strong>Les</strong>gran<strong>de</strong>s voies qui franchissent ces obstacles présentent<strong>de</strong>s caractéristiques <strong>de</strong> routes <strong>de</strong> cols (La Tourne, La Vue<strong>de</strong>s-Alpes...)avec <strong>de</strong>s tracés sinueux accompagnés <strong>de</strong>talus latéraux, meubles ou taillés dans la roche, ainsi que<strong>de</strong> nombreux murs <strong>de</strong> soutènement. L’exemple <strong>de</strong>s Gorges<strong>du</strong> Seyon, différent <strong>du</strong> point <strong>de</strong> vue topographique, estcependant très intéressant <strong>du</strong> point <strong>de</strong> vue constructif.Cette cluse naturelle formée par la rivière permet <strong>de</strong> quitterNeuchâtel par le nord sans avoir à franchir <strong>de</strong> col,mais le relief particulièrement escarpé a nécessité unnombre considérable d’aménagements (ill. 2). De la voie àrainures jusqu’aux tunnels autoroutiers, plusieurs géné­Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 47


Ill. 4 : Ce sentier le long <strong>du</strong> Doubs pren<strong>du</strong>n relief tout particulier grâce à sondiscret mur <strong>de</strong> soutènement qui précè<strong>de</strong>le passage taillé dans la roche.rations <strong>de</strong> tracés s’y côtoient. A chaque époque, les bâtisseursse sont efforcés d’intégrer <strong>de</strong> façon sûre et <strong>du</strong>rableles tracés dans ce terrain très escarpé.Dans l’axe est-ouest, parallèlement aux chaînes <strong>de</strong>montagnes, les voies <strong>de</strong> communication, souvent rectilignes,empruntent les voies naturelles offertes par lesvallées et les gran<strong>de</strong>s combes aux pentes régulières. Surélevantla route par rapport aux terrains adjacents, lesconstructions en chaussée permettent <strong>de</strong> franchir plus facilementles fonds <strong>de</strong> vallée imperméables, occupés autrefoispar <strong>de</strong>s tourbières ou <strong>de</strong>s marécages. La Chaussée <strong>de</strong>Marmoud traversant la vallée <strong>de</strong> la Sagne, le passage <strong>du</strong>Bas Monsieur ou la route menant à la ferme <strong>de</strong>s Crosettesen sont <strong>de</strong>s exemples remarquables.Sur le terrain, on retrouve ici et là <strong>de</strong>s témoignages <strong>de</strong>techniques <strong>de</strong> construction révolues, telle la voie à ornières.Ancêtre lointaine <strong>de</strong> la voie ferrée, elle assurait leguidage <strong>de</strong>s véhicules afin d’éviter que ceux-ci ne se renversent,toutes roues bloquées, à la <strong>de</strong>scente. <strong>Les</strong> opinionsdivergent quant à la formation <strong>de</strong>s rainures. Certains pensentqu’elles ont été créées par l’usage, d’autres estimentau contraire qu’elles ont été taillées volontairement. L’hypothèsela plus probable est une combinaison <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxfacteurs. D’abord taillées, ces ornières se sont ensuitecreusées par le passage. On trouve <strong>de</strong>s rainures à PlainesRoches, en amont <strong>de</strong>s Cadolles, sur le sentier pé<strong>de</strong>stre quiremonte la rive gauche <strong>du</strong> Seyon et aussi sur le pavement<strong>du</strong> chemin <strong>du</strong> Diable à Saint-Blaise.<strong>Les</strong> voies pavées sont également bien présentes dansle <strong>canton</strong>. En plus <strong>de</strong> ses ornières, le chemin <strong>du</strong> Diablepossè<strong>de</strong> un pavement constitué <strong>de</strong> gros blocs sélectionnéset taillés, soli<strong>de</strong>ment implantés dans le sol. Plus versl’ouest, entre Bôle et Trois Rods, on trouve un tronçonpavé <strong>de</strong> gros galets disposés avec soin (ill. 3). Le tracé directentre Neuchâtel et Le Locle, aujourd’hui abandonné,présente également quelques beaux tronçons <strong>de</strong> voie recouvertsd’un empierrement très minutieux qui s’apparenteà un pavement.Plus proches <strong>de</strong> nous et plus abondantes, les routesd’ingénieurs construites au cours <strong>du</strong> XIX e siècle sont laplupart <strong>du</strong> temps encore en usage, avec quelques élargissementset rectifications. La route <strong>de</strong> la Tourne avec sontracé sinueux et ses rangées d’arbres ou celle <strong>de</strong> Biaufondavec ses tunnels taillés dans la roche sont <strong>de</strong>ux magnifiquesexemples. A l’origine empierrées, elles sont aujourd’huitoutes asphaltées.L’héritage <strong>du</strong> réseau historiqueAujourd’hui, la plupart <strong>de</strong>s voies principales <strong>du</strong> <strong>canton</strong>ont été mo<strong>de</strong>rnisées et adaptées aux conditions mo<strong>de</strong>rnes<strong>du</strong> trafic et il est bien difficile d’i<strong>de</strong>ntifier leur forme d’origine.Parfois, cependant, une modification partielle <strong>du</strong>tracé a provoqué l’abandon <strong>de</strong> courts tronçons où l’onpeut encore reconnaître la voie plus ancienne. Le maillage<strong>de</strong>s routes secondaires, héritier <strong>de</strong>s voies <strong>historiques</strong><strong>de</strong> portée locale et intimement lié à l’histoire <strong>du</strong> territoirequ’il <strong>de</strong>ssert, offre souvent sur le terrain une gran<strong>de</strong> diversitéet richesse d’éléments traditionnels, indices subtilssur l’usage ou la <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> tel ou tel chemin. Par ailleurs,un chemin doté d’éléments traditionnels, mêmediscrets, inscrit dans un paysage préservé contribue largementà flatter nos sens (ill. 4).Par <strong>de</strong>là l’évolution <strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> construction et<strong>de</strong> l’usage <strong>de</strong>s voies, les voies <strong>historiques</strong> tissent un lienimprimé dans le sol et sur les cartes, entre notre mon<strong>de</strong> etcelui <strong>de</strong> nos prédécesseurs.48Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


L’inventaireDepuis les années soixante <strong>du</strong> XX e siècle, notre paysageculturel est soumis à <strong>de</strong>s transformations extrêmes.<strong>Les</strong> constructions, publiques et privées,ainsi que les infrastructures mises en place poursatisfaire les besoins <strong>de</strong> mobilité toujours plusgrands <strong>de</strong> notre société ont tout particulièrementtouché les dimensions les plus fines <strong>du</strong> paysage,et fait disparaître <strong>de</strong> nombreux <strong>chemins</strong> <strong>historiques</strong>.C’est dans ce contexte que la Confédération a décidé<strong>de</strong> faire établir l’Inventaire <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> communication<strong>historiques</strong> <strong>de</strong> la Suisse <strong>IVS</strong>. <strong>Les</strong> objectifs<strong>de</strong> l’<strong>IVS</strong> ne se limitent toutefois pas à <strong>de</strong>s tâchesd’aménagement <strong>du</strong> territoire au sens strict.


La métho<strong>de</strong> par l’exemplePar monts et par vaux<strong>de</strong> Neuchâtel au LocleAujourd’hui, pour se rendre <strong>de</strong> Neuchâtel au Locle, on emprunte généralementla route <strong>de</strong> La Tourne. La cartographie historique la plus ancienneindique cependant un tracé plus direct, par Coffrane et La Sagne, qui franchitles pentes rai<strong>de</strong>s <strong>du</strong> Mont Racine. <strong>Les</strong> informations fournies sont très approximativeset ne permettent guère <strong>de</strong> définir le parcours exact <strong>de</strong> ce tracé,dont les cartes topographiques <strong>du</strong> XIX e siècle, beaucoup plus précises, n’ontpas gardé le souvenir. L’examen minutieux <strong>de</strong>s plans d’ensemble actuels etla recherche sur le terrain ont permis <strong>de</strong> reconstituer une partie <strong>du</strong> tracépossible.Un <strong>de</strong>s plus anciens <strong>chemins</strong> pour se rendre <strong>de</strong>Neuchâtel au Locle passait par Coffrane, <strong>Les</strong>Geneveys-sur-Coffrane et La Sagne. Dans leurDescription <strong>de</strong> la frontière <strong>de</strong>s Montagnes <strong>de</strong> Valangin <strong>de</strong>1663, Abraham Robert et Benoît <strong>de</strong> la Tour citent, parmi« les <strong>chemins</strong> publics appartenant à Son Altesse », « le cheminpublicq <strong>de</strong>s Entre <strong>de</strong>ux monts dès Le Locle, venantsur le Crest <strong>de</strong> la Sagne » et « le chemin <strong>de</strong> la Charbonnièrepar la coste Marmods, tirant à Neufchastel ». Le plan quiaccompagne cette énumération montre <strong>de</strong> manière trèssuggestive une voie pénétrant sur le territoire <strong>de</strong> la « mayrie<strong>de</strong> La Sagne » par le sud-est, se dirigeant par « Marmods» vers « Sur le Crest » où se trouvent quelques maisons,puis continuant par « Entre Deux Monts » en direction<strong>du</strong> Locle, signalé par son moutier (ill. 1). Le tracé estreprésenté schématiquement mais <strong>de</strong> façon affirmée dansla carte <strong>de</strong> David-François <strong>de</strong> Merveilleux <strong>de</strong> 1694 (ill. 2).Cependant, ce chemin muletier très direct ne pourra pluslongtemps soutenir la concurrence <strong>de</strong>s <strong>chemins</strong> carrossables,même mauvais.Au cours <strong>du</strong> XVIII e siècle, le tracé par Coffrane estdélaissé pour celui passant par La Tourne. Cette désaffectionne fera que s’accentuer avec la construction d’unenouvelle route par La Tourne, entre 1807 et 1813, commeen témoigne la cartographie <strong>du</strong> XIX e siècle. Ainsi, sur lacarte très détaillée <strong>de</strong> Jean-Frédéric Ostervald, levée entre1838 et 1845, la voie muletière ne subsiste plus que parbribes.Entre 1834 et 1841, l’ancien chemin est amélioré,mais seulement entre La Sagne et Le Locle, par La Jaluse,grâce à <strong>de</strong>s souscriptions privées et au prix <strong>de</strong> grands efforts.Le roi <strong>de</strong> Prusse allouera une forte somme en reconnaissance<strong>de</strong> ces travaux d’utilité publique. La partie <strong>du</strong>tracé située entre Coffrane et La Sagne est en revanchedéfinitivement abandonnée.<strong>Les</strong> recoupements entre l’histoire et le terrainUne gran<strong>de</strong> satisfaction <strong>du</strong> travail sur le terrain est d’yretrouver <strong>de</strong>s <strong>chemins</strong> qui ne sont plus représentés sur lescartes. C’est d’autant plus agréable quand on sait qu’il y après <strong>de</strong> 200 ans que ces <strong>chemins</strong> sont ignorés par les cartographes.Le repérage <strong>du</strong> tronçon manquant <strong>de</strong> l’ancienchemin reliant Neuchâtel et Le Locle ne doit rien au hasard,mais est le résultat d’une confrontation <strong>de</strong>s informations<strong>historiques</strong> avec celles <strong>du</strong> terrain.Dans un premier temps, il a fallu repérer les partiesconnues <strong>de</strong> Neuchâtel à Coffrane et, par <strong>de</strong>là le MontRacine, <strong>de</strong> La Sagne au Locle. En simplifiant à l’extrême,l’opération consiste à reporter les parcours donnés par lescartes <strong>historiques</strong> sur les cartes topographiques actuellesà l’échelle <strong>du</strong> 1 : 25 000 e ou sur les plans d’ensemble au1 : 10 000 e . La carte <strong>de</strong> référence est la première édition <strong>de</strong>l’Atlas topographique <strong>de</strong> la Suisse (ATS), levée dans lesannées 1870, et d’une très gran<strong>de</strong> rigueur scientifique. Lereport précis <strong>de</strong>s altitu<strong>de</strong>s, la définition claire <strong>de</strong>s courbes<strong>de</strong> niveau ainsi qu’une meilleure représentation <strong>de</strong>s fa­50Canton <strong>de</strong> Neuchâtel


laises, éboulis et autres pentes rai<strong>de</strong>s en font une <strong>de</strong>s premièrescartes suisses au 1 : 25 000 e qui transcrit avec précisionla troisième dimension, c’est-à-dire le relief. La superposition<strong>de</strong>s Cartes nationales actuelles et <strong>de</strong>s cartes<strong>de</strong> l’Atlas indiquent clairement les tracés qui existent encoreet ceux qui ont été modifiés ou interrompus. Ceuxqui ont disparu <strong>de</strong>s cartes ne se sont pas forcément effacés<strong>du</strong> paysage.<strong>Les</strong> indices <strong>du</strong> terrainLe tracé entre Neuchâtel et Le Locle réserve d’agréablessurprises. Il existe sans interruption entre Peseux et lesGeneveys-sur-Coffrane, puis entre La Charbonnière, enamont <strong>du</strong> Crêt, et Le Locle. Une gran<strong>de</strong> partie <strong>du</strong> tracéhistorique a été repris par une route mo<strong>de</strong>rne, tandis qued’autres parties ont conservé une richesse exceptionnelled’éléments traditionnels.Le parcours débute au niveau <strong>du</strong> temple <strong>de</strong> Peseux,où il quitte le village en amont par une rue pavée <strong>de</strong> dallesmulticolores. Plus haut, après une brève portion goudronnée,le tracé en forêt se présente avec un empierrement<strong>de</strong> qualité. Peu avant Le Trembley, le bruit <strong>du</strong> ruissellement<strong>de</strong> l’eau gui<strong>de</strong> le marcheur vers une petiteclairière où se trouve une fontaine <strong>de</strong> facture traditionnelleposée sur un sol nivelé et pavé. De retour sur le sentier,l’ascension relativement rai<strong>de</strong> se poursuit sur un pa­vement bien conservé <strong>de</strong> 150 m <strong>de</strong> Ill. 1 (à gauche) : Le « plan <strong>de</strong>s frontièreslongueur, composé <strong>de</strong> pierres aplaniesrectangulaires pouvant atteindre lengin » indique très clairement le tracé& <strong>de</strong>s mayries <strong>de</strong>s Montagnes <strong>de</strong> Va-60 cm <strong>de</strong> côté. Un revêtement traditionnel<strong>de</strong> cette qualité est, il faut leen provenance <strong>de</strong> Coffrane, se dirigeantvers Le Locle par « Entre Deux Monts ».préciser, extrêmement rare dans le Ill. 2 (à droite) : Sur ce détail d’une carte<strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel (ill. 3).<strong>de</strong> 1756, copie <strong>de</strong> la carte <strong>de</strong> MerveilleuxPlus haut, dans la Forêt <strong>de</strong> Peseux,se trouve un objet unique <strong>du</strong> et La Sagne emprunte la ligne la plus<strong>de</strong> 1694, le chemin <strong>du</strong> Locle par Coffranepatrimoine routier : une double voie directe, qui l’oblige à franchir quelquesparallèle séparée par un talus <strong>de</strong>passages difficiles.2,5 m <strong>de</strong> hauteur. Recensée par leService <strong>canton</strong>al d’archéologie, la première voie, encoreutilisée par les randonneurs, est dotée d’un empierrementmêlé d’un pavement discret. La secon<strong>de</strong> voie, située <strong>du</strong>côté amont, est malheureusement partiellement abandonnée,mais on distingue encore clairement son parcours àtravers la végétation. La suite <strong>du</strong> parcours, moins spectaculairejusqu’à Coffrane, a conservé le tracé historiqueavec quelques éléments traditionnels, comme <strong>de</strong>s murs,<strong>de</strong>s arbres et <strong>de</strong>s tronçons avec un revêtement naturel.Une riche substance traditionnelleAu-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la « terra incognita » <strong>de</strong> La Gran<strong>de</strong> Forêt et <strong>du</strong>Mont Racine, le tracé se manifeste à nouveau clairementau lieu-dit La Charbonnière, qui gar<strong>de</strong> la trace <strong>du</strong> passageCanton <strong>de</strong> Neuchâtel 51


drent la voie partiellement abandonnée, large <strong>de</strong> 2,5 men moyenne. Il s’agit là <strong>du</strong> plus bel exemple <strong>de</strong> chemincreux recensé dans l’inventaire <strong>de</strong>s <strong>chemins</strong> <strong>historiques</strong><strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel.A l’intérieur <strong>de</strong> la forêt, les choses se compliquentpour trouver la suite logique <strong>de</strong> l’itinéraire parmi les nombreux<strong>chemins</strong> creux qui gravissent les pentes <strong>du</strong> MontRacine. Certains se ramifient, d’autres s’estompent lors <strong>de</strong>l’ascension, d’autres encore sont vraiment impénétrableset impossibles à suivre tellement la végétation est touffue.Seuls ceux qui forment une ligne continue, clairementmarquée dans le sol ont été cartographiés dans lecadre <strong>de</strong> l’inventaire. Dans un tel environnement il esttrès facile <strong>de</strong> se perdre, <strong>de</strong> croire qu’on est sur tel chemin,alors qu’en réalité il n’est pas reporté sur les plans d’ensemble.La boussole et surtout l’altimètre se révèlent être<strong>de</strong>s outils utiles dans les pentes d’une forêt aussi <strong>de</strong>nse,qui offre bien peu <strong>de</strong> repères.La recherche a toutefois été fructueuse puisqu’entre1100 et 1130 m d’altitu<strong>de</strong>, apparaît un tronçon particulièrementbien préservé mais peu profond et curieusementdépourvu <strong>de</strong> végétation ; les talus qui Ill. 4 (à gauche) : La Chaussée <strong>de</strong> Marmoudqui traverse la Vallée <strong>de</strong> la Sagnel’encadrent possè<strong>de</strong>nt une hauteurmoyenne <strong>de</strong> 1,5 m (ill. 5). Peu avant matérialise clairement la suite <strong>du</strong> tracé.la sortie <strong>de</strong> la Gran<strong>de</strong> Forêt, les limites<strong>de</strong>s <strong>chemins</strong> <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> plusIl est dommage que l’asphalte perturbequelque peu l’aspect traditionnel <strong>de</strong> lavoie.en plus floues et empêchent d’affirmerun parcours exact, tout comme Ill. 5 (à droite) : Un tronçon <strong>de</strong> cheminpour la suite, <strong>du</strong> Mont Racine en direction<strong>de</strong> La Charbonnière. Le ré­la Gran<strong>de</strong> Forêt. <strong>Les</strong> autres portions em­creux particulièrement bien dégagé danssultat <strong>de</strong> l’exercice est cependant broussaillées sont difficilement visibles.concluant car il a permis <strong>de</strong> proposerun parcours possible sur les trois quarts <strong>de</strong> l’ascension <strong>de</strong>La Gran<strong>de</strong> Forêt.Le tracé proposé reste une hypothèse <strong>de</strong> travail, caren l’état <strong>de</strong>s recherches, rien ne nous autorise à affirmeravec certitu<strong>de</strong> que c’est le cheminement en usage autrefoispour aller <strong>du</strong> Locle à Neuchâtel, reporté très grossièrementsur les cartes <strong>du</strong> XVII e siècle. Pour ceux qui enauraient le courage, il offre sur un parcours plein <strong>de</strong>contrastes, entre Peseux et Le Locle, une bala<strong>de</strong> véritablementrevigorante.Canton <strong>de</strong> Neuchâtel 53


L’<strong>IVS</strong> au <strong>canton</strong> <strong>de</strong> NeuchâtelUn inventaire unique au mon<strong>de</strong>L’<strong>IVS</strong> établit un état <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> communication <strong>historiques</strong> <strong>de</strong>la Suisse dignes <strong>de</strong> protection, et <strong>de</strong> leurs éléments d’accompagnement.Cet inventaire fédéral au sens <strong>de</strong> l’art. 5 <strong>de</strong> la loi fédérale sur la protection<strong>de</strong> la nature et <strong>du</strong> patrimoine (LPN) est unique au mon<strong>de</strong>. Au-<strong>de</strong>là <strong>du</strong>rôle que lui confère la loi, il offre <strong>de</strong> multiples possibilités d’applicationdans les domaines les plus divers: aménagement <strong>du</strong> territoire, protection<strong>du</strong> patrimoine, sauvegar<strong>de</strong> <strong>du</strong> paysage, tourisme, recherche et économieforestière.a été élaboré sur mandat <strong>de</strong> la confédération.Le travail complet d’inventorisation <strong>de</strong>L’<strong>IVS</strong>l’ensemble <strong>de</strong> la Suisse a été achevé fin 2003,après vingt ans d’efforts. Après la consultation dans les<strong>canton</strong>s, le Conseil fédéral mettra en vigueur l’<strong>IVS</strong>. L’<strong>IVS</strong>poursuit différents objectifs: Il constitue pour les services <strong>de</strong> la Confédération uninstrument contraignant et est à la disposition <strong>de</strong>s<strong>canton</strong>s et <strong>de</strong>s communes comme ai<strong>de</strong> à la décisionpour les questions <strong>de</strong> planification. Il offre <strong>de</strong> précieuses bases pour le développement <strong>du</strong>tourisme doux. <strong>Les</strong> <strong>chemins</strong> <strong>historiques</strong> sont aussiamenés à jouer un rôle particulier dans le réseau <strong>de</strong>s<strong>chemins</strong> pé<strong>de</strong>stres et <strong>de</strong> randonnée. Il constitue la base d’une large activité <strong>de</strong> recherchescientifique dans <strong>de</strong>s domaines tels que l’histoire <strong>du</strong>trafic et l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mobilité.La métho<strong>de</strong> et le pro<strong>du</strong>itPour les inventaires établis selon l’art. 5 LPN, la loi fédéralepour la protection <strong>de</strong> la nature et <strong>du</strong> patrimoineprescrit la classification <strong>de</strong>s objets dans l’une <strong>de</strong>s troiscatégories d’importance nationale, régionale et locale.Cette classification est effectuée d’une part en fonction<strong>du</strong> rôle historique <strong>de</strong> communication d’une voie, d’autrepart d’après sa substance morphologique, c’est-à-dire lestraces <strong>historiques</strong> encore visibles dans le terrain. Seulesles voies <strong>de</strong> communication <strong>historiques</strong> d’importance nationaletrouvent place dans l’inventaire fédéral. L’Atlastopographique <strong>de</strong> la Suisse, plus connu sous le nom <strong>de</strong>«carte Siegfried», établi à la fin <strong>du</strong> XIX e siècle, sert <strong>de</strong> limitetemporelle pour la définition <strong>de</strong>s voies prises en considérationpar l’inventaire. Après une analyse sélective,tout à fait distincte <strong>de</strong> la classification LPN qui intervientplus tard, le réseau <strong>de</strong> voies <strong>historiques</strong> répertorié par cetensemble <strong>de</strong> cartes est parcouru sur le terrain et il est procédéà un relevé systématique <strong>de</strong> la substance historiqueencore présente. Ce relevé constitue la base <strong>de</strong> la carte <strong>de</strong>terrain, qui forme une partie <strong>de</strong> la documentation <strong>IVS</strong>.A l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> travaux <strong>historiques</strong>, <strong>de</strong> cartes anciennes et <strong>de</strong>documents iconographiques, la fonction <strong>de</strong> communication<strong>de</strong> chaque voie est documentée et évaluée. Larecherche historique et les résultats <strong>du</strong> relevé <strong>de</strong> terrainsont consignés dans la partie <strong>de</strong>scriptive <strong>de</strong> la documentation<strong>IVS</strong>. Ensemble, ils permettent d’établir la classificationLPN <strong>de</strong> chaque voie <strong>de</strong> communication, quiest répertoriée cartographiquement dans la carte d’inventaire.L'<strong>IVS</strong> dans le <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel<strong>Les</strong> travaux <strong>de</strong> documentation pour l'Inventaire <strong>de</strong>s voies<strong>de</strong> communication <strong>historiques</strong> <strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtelont débuté en juin 1998 et ont été achevé en octobre 2001pour ce qui concerne les voies d'importance nationale.L'Inventaire <strong>du</strong> <strong>canton</strong> <strong>de</strong> Neuchâtel a été élaboré parAnita Frei, architecte et historienne à Genève et membre<strong>de</strong> la direction scientifique <strong>de</strong> l'<strong>IVS</strong>, qui s'est occupée <strong>de</strong>la recherche historique <strong>de</strong> la documentation, et le géographeClau<strong>de</strong> Bodmer, qui a récolté les données <strong>du</strong> terrain.Ils ont bénéficié <strong>du</strong> précieux soutien <strong>du</strong> Service <strong>de</strong>protection <strong>de</strong>s monuments et <strong>de</strong>s sites et <strong>du</strong> Service <strong>de</strong>l'aménagement <strong>du</strong> territoire.54Canton <strong>de</strong> Neuchâtel

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