« La guerre N'est pas eNCore fiNie » - International Alert

« La guerre N'est pas eNCore fiNie » - International Alert « La guerre N'est pas eNCore fiNie » - International Alert

international.alert.org
from international.alert.org More from this publisher
12.07.2015 Views

6 International AlertRésuméCe rapport cherche à déterminer si les violences sexuelles peuvent toujours être considéréescomme une arme de guerre dans l’est de la République démocratique du Congo et se penche surles raisons pouvant expliquer de tels niveaux de violence. Malgré la signature d’un accord de paixglobal en 2003 (accords de Lusaka), l’organisation d’élections en RDC en 2006 et la signature dedivers accords de paix locaux avec les groupes armés congolais du Nord et du Sud-Kivu en 2008et 2009, la guerre n’est pas encore finie dans l’est de la RDC. Du point de vue de la population,avant même les autres formes d’insécurité physique, comme les raids, enlèvements, pillages desbiens et du bétail, incendies des habitations et meurtres, l’un des principaux indicateurs de cettesituation est la persistance des violences sexuelles.Leur récurrence ne fait aucun doute dans les quatre sites visités, c’est-à-dire Butembo et Rutshuruau Nord-Kivu, et Walungu et Uvira au Sud-Kivu. Les femmes, les filles, les hommes et les garçonscontinuent à être victimes de violences sexuelles et d’abus perpétrés par différents acteurs. Bienque l’armée et les groupes armés restent les principaux auteurs, les abus sexuels sont égalementcommis par des civils, y compris des prétendues sources d’autorité morale, comme des enseignants,pasteurs, prêtres, catéchistes, et militants de la paix.Trois grands types de problèmes peuvent expliquer la persistance de ce que les gens ordinairesperçoivent comme l’état de guerre. En premier lieu, la pauvreté, comme en témoignent les problèmesfonciers, de subsistance et d’identité. La quantité de terres cultivables diminue progressivementdepuis le milieu des années 1940 à cause d’une série d’événements et de tendances corrélés, parmilesquels l’arrivée de réfugiés rwandais à la suite du génocide de 1994, de groupes armés étrangersdepuis le milieu des années 1990 et de groupes armés congolais cherchant à contrôler l’accès auxressources. La présence continue de groupes armés et l’insécurité généralisée créent de nombreuseszones coupe-gorge pour la population. Ces conditions, associées à l’appauvrissement provoquépar une production agricole réduite, ainsi qu’à la croissance des disparités économiques entre uneélite qui s’est approprié les terres et s’est enrichie grâce à la guerre, et les pauvres dont la situationa empiré, font partie des facteurs poussant les jeunes à rejoindre les différents groupes armésqui continuent à émerger. Cela s’aggrave lorsque les tensions économiques sont déterminées parl’appartenance ethnique et la nationalité.Cette dynamique est liée au deuxième type de problèmes, à savoir la faiblesse des structures étatiqueset ses conséquences : la corruption et l’impunité. L’État n’exerce toujours pas de monopole surl’exercice de la force, et là où ses forces armées sont présentes, elles sont souvent impliquées dans lesabus commis sur les civils. Des opérations telles que Amani Leo (Paix aujourd’hui) sont largementperçues comme du vieux vin dans de nouvelles outres, sans impact tangible ni légitimité populaire.L’autorité de l’État est d’autant plus sapée qu’il est incapable de garantir l’État de droit, notammentpar l’application effective de la justice. À Butembo par exemple, l’échec de l’État à déloger les groupesarmés ou à contrôler l’appropriation d’immenses concessions de terres par les riches est un moteuressentiel de l’émergence des groupes maï-maï. L’entrée en vigueur en 2006 de la loi sur les violencessexuelles, importante déclaration d’intention de l’État, n’est pas appliquée d’une façon générale. Cesfaiblesses ne font qu’empirer une situation dans laquelle les formes d’autorité non étatiques telles queles églises, les Nations unies, la communauté internationale, ainsi que les différents groupes armésqui opèrent en parallèle à ou en compétition avec l’État, profitent également de faibles niveaux deredevabilité dans le meilleur des cas, et de forts niveaux d’impunité dans le pire des cas.En troisième lieu, les liens entre insécurité physique, insécurité économique et revendicationséconomiques et identitaires, combinés à une véritable disjonction entre la théorie et la pratique

« La guerre n’est pas encore finie »7de l’autorité de l’État, mettent à l’épreuve le sentiment d’ordre et de justice qu’éprouve lapopulation, et par là même, son sens de soi. Si beaucoup cherchent refuge en s’exilant, d’autresont recours aux drogues et à l’alcool, qui contribuent, selon certains répondants, aux niveauxélevés de violences sexuelles.Plus généralement, les gens tendent à essayer de répondre à cette anarchie et à la menace queconstituerait la mondialisation par un recours à la « culture » et aux « coutumes » qui se traduitpar l’identité ethnique et les normes et discours de genre. Ces éléments contribuent aux conflitsarmés, qui les façonnent. Ils déterminent les dynamiques du pouvoir local et provincial. Sur leterrain, l’identité ethnique est très problématique en ce sens qu’elle peut facilement devenir uncritère, puisque la décision de vie ou de mort est souvent prise sur la base de l’appartenanceethnique présumée.Pour différentes raisons, les identités de genre, qui exigent et à la fois sont créées par unecombinaison d’attitudes, rôles et pouvoirs très spécifiques, sont également problématiques.Dans un contexte de grande pauvreté, d’impunité et de violences endémiques, l’identité de genremasculine est perturbée et certaines communautés utilisent des termes spécifiques pour décrireles hommes qui ne correspondent plus à ce que l’on attend d’eux en termes de genre. L’évolutiondes rôles de genre est une réalité dans les quatre sites d’études et pose d’autres problèmes pour larestauration de la cohésion communautaire : que l’on approuve ou non les changements des rôleset du pouvoir des femmes et des hommes les uns par rapport aux autres - lorsqu’ils sont perçuscomme totalement inversés comme dans l’affirmation « les hommes sont devenus les femmes» - il ressort que le pouvoir genré est toujours perçu comme un jeu bipolaire à somme nulle, etnon comme quelque chose à répartir plus équitablement au profit des femmes autant qu’à celuides hommes. Avec de telles perceptions, les changements sont une véritable source de tensionet de conflit au sein des foyers et des communautés, car ils signifient que les « ennemis » neviennent plus uniquement de l’extérieur, ils semblent également avoir trouvé des agents au seinde la communauté. Cela se traduit dans l’affirmation selon laquelle « les femmes colonisent leshommes », exemple montrant comment les conflits liés aux coutumes et à la culture sont plus liésà ce que l’on appelle généralement des exemples de « mondialisation », notamment la pression enfaveur de la parité entre les sexes.Plusieurs conséquences de la guerre permettent aux violences sexuelles de prendre l’avantage,notamment la militarisation et l’impunité : la forte visibilité et l’important déploiement desmilitaires sous-/non payés sont largement considérés comme des sources majeures de violencessexuelles. Parallèlement, l’échec à appliquer à la lettre la loi de 2006 sur la répression des violencessexuelles renforce le climat d’impunité. La réalité de la pauvreté extrême, qui peut inciter à leverdes ressources par l’exploitation sexuelle, s’en voit empirée.Les réponses sociétales à la guerre qui continue fournissent aussi un cadre à la poursuite desviolences sexuelles. Les normes de genre qui voient en la satisfaction sexuelle des hommes undevoir naturel des femmes et qui affaiblissent et soumettent les femmes à la maison comme ensociété (bien qu’elles coexistent avec une vision plus positive des femmes comme piliers du foyeret colonne vertébrale de la production agricole), abattent les barrières psychologiques associéesau viol tout en encourageant le passage à l’acte.Les normes de genre qui stigmatisent les victimes féminines et masculines de violences sexuellesrendent encore plus difficile le combat contre l’impunité, puisque nombre de victimes ne peuventbriser le silence autour de ce qui leur est arrivé. Le silence relatif sur la question par les églisesn’aide pas à sortir de cette situation. Le déclin des mécanismes traditionnels de l’éducationsexuelle, associé au rôle des églises qui renforcent les tabous autour des débats ou du traitementdes questions de sexe et de sexualité hors du cadre normatif du mariage chrétien, gêne lacompréhension de leurs actes par les auteurs de ces crimes lorsqu’ils se comportent de la sorte.Les justifications populaires expliquant pourquoi des hommes violent des femmes voire d’autreshommes varient fortement et cela sans égard pour la sexualité de la victime.

6 <strong>International</strong> <strong>Alert</strong>RésuméCe rapport cherche à déterminer si les violences sexuelles peuvent toujours être considéréescomme une arme de <strong>guerre</strong> dans l’est de la République démocratique du Congo et se penche surles raisons pouvant expliquer de tels niveaux de violence. Malgré la signature d’un accord de paixglobal en 2003 (accords de Lusaka), l’organisation d’élections en RDC en 2006 et la signature dedivers accords de paix locaux avec les groupes armés congolais du Nord et du Sud-Kivu en 2008et 2009, la <strong>guerre</strong> n’est <strong>pas</strong> encore finie dans l’est de la RDC. Du point de vue de la population,avant même les autres formes d’insécurité physique, comme les raids, enlèvements, pillages desbiens et du bétail, incendies des habitations et meurtres, l’un des principaux indicateurs de cettesituation est la persistance des violences sexuelles.Leur récurrence ne fait aucun doute dans les quatre sites visités, c’est-à-dire Butembo et Rutshuruau Nord-Kivu, et Walungu et Uvira au Sud-Kivu. Les femmes, les filles, les hommes et les garçonscontinuent à être victimes de violences sexuelles et d’abus perpétrés par différents acteurs. Bienque l’armée et les groupes armés restent les principaux auteurs, les abus sexuels sont égalementcommis par des civils, y compris des prétendues sources d’autorité morale, comme des enseignants,<strong>pas</strong>teurs, prêtres, catéchistes, et militants de la paix.Trois grands types de problèmes peuvent expliquer la persistance de ce que les gens ordinairesperçoivent comme l’état de <strong>guerre</strong>. En premier lieu, la pauvreté, comme en témoignent les problèmesfonciers, de subsistance et d’identité. <strong>La</strong> quantité de terres cultivables diminue progressivementdepuis le milieu des années 1940 à cause d’une série d’événements et de tendances corrélés, parmilesquels l’arrivée de réfugiés rwandais à la suite du génocide de 1994, de groupes armés étrangersdepuis le milieu des années 1990 et de groupes armés congolais cherchant à contrôler l’accès auxressources. <strong>La</strong> présence continue de groupes armés et l’insécurité généralisée créent de nombreuseszones coupe-gorge pour la population. Ces conditions, associées à l’appauvrissement provoquépar une production agricole réduite, ainsi qu’à la croissance des disparités économiques entre uneélite qui s’est approprié les terres et s’est enrichie grâce à la <strong>guerre</strong>, et les pauvres dont la situationa empiré, font partie des facteurs poussant les jeunes à rejoindre les différents groupes armésqui continuent à émerger. Cela s’aggrave lorsque les tensions économiques sont déterminées parl’appartenance ethnique et la nationalité.Cette dynamique est liée au deuxième type de problèmes, à savoir la faiblesse des structures étatiqueset ses conséquences : la corruption et l’impunité. L’État n’exerce toujours <strong>pas</strong> de monopole surl’exercice de la force, et là où ses forces armées sont présentes, elles sont souvent impliquées dans lesabus commis sur les civils. Des opérations telles que Amani Leo (Paix aujourd’hui) sont largementperçues comme du vieux vin dans de nouvelles outres, sans impact tangible ni légitimité populaire.L’autorité de l’État est d’autant plus sapée qu’il est incapable de garantir l’État de droit, notammentpar l’application effective de la justice. À Butembo par exemple, l’échec de l’État à déloger les groupesarmés ou à contrôler l’appropriation d’immenses concessions de terres par les riches est un moteuressentiel de l’émergence des groupes maï-maï. L’entrée en vigueur en 2006 de la loi sur les violencessexuelles, importante déclaration d’intention de l’État, n’est <strong>pas</strong> appliquée d’une façon générale. Cesfaiblesses ne font qu’empirer une situation dans laquelle les formes d’autorité non étatiques telles queles églises, les Nations unies, la communauté internationale, ainsi que les différents groupes armésqui opèrent en parallèle à ou en compétition avec l’État, profitent également de faibles niveaux deredevabilité dans le meilleur des cas, et de forts niveaux d’impunité dans le pire des cas.En troisième lieu, les liens entre insécurité physique, insécurité économique et revendicationséconomiques et identitaires, combinés à une véritable disjonction entre la théorie et la pratique

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!