64 <strong>International</strong> <strong>Alert</strong>Les interventions en matière de VFSG ont presque toujours échoué à traiter les dimensionspsychologiques des violences sexuelles, tendant plutôt à cibler et traiter les symptômes les plusvisibles (femmes et enfants). Les interventions relatives à l’impunité, telles que la promotion dela loi de 2006 sur les violences sexuelles, ont beau s’attaquer à l’un des chaînons des causes desviolences sexuelles, elles travaillent essentiellement sur l’hypothèse selon laquelle ces violences nesont qu’un crime d’opportunité et donc évitent la question des raisons qui poussent les auteursà rechercher ces opportunités. Même si un certain pourcentage des violences sexuelles peutse résumer à de simples crimes d’opportunité, l’impunité judiciaire n’est que l’un des facteursfavorables. Il ne fait aucun doute que peu se sont attaqués à d’autres facteurs favorables existantdans la façon dont les systèmes sociétal et autoritaire opèrent dans une situation de conflit continu,et y ont répondu. 222Nous observons que l’argument du « viol comme arme de <strong>guerre</strong> », s’il se confirme dans certainsexemples de violences sexuelles, a néanmoins ses limites en tant que mode de fonctionnementgénéral des violences sexuelles. <strong>La</strong> majorité des cas de violences sexuelles ne provient <strong>pas</strong> deresponsables de la stratégie militaire. Même lorsque l’on a ordonné aux soldats de violer, ceuxqui détiennent les responsabilités sont rarement, voire jamais, traduits en justice, tout commeceux qui mettent en œuvre la stratégie ou encore ses auteurs. Si l’on considère que le viol est uncomportement par défaut des hommes en armes et n’exige ni ordre d’un supérieur ni autorisation,mais seulement la création de conditions préalables et l’échec à punir les auteurs, il est possibleque des commandants aient délibérément créé ces conditions nécessaires. De là à pouvoir prouverdevant un tribunal qu’il s’agit d’un acte intentionné, il y a un monde.Il semble juste de dire que lorsqu’il n’est <strong>pas</strong> manifestement utilisé comme arme de <strong>guerre</strong> ausens conventionnel du terme, c’est l’expression d’un malaise socioéconomique et politique dela société. L’analyse suggère que, plutôt que de lire les violences sexuelles comme une simpleconséquence de l’impunité, nous devons comprendre les violences sexuelles comme un indicateur,sinon l’indicateur même de conflits sociaux et politiques continus et irrésolus, surtout lorsqu’ilssont technologiquement simples et psychologiquement complexes.Dans les quatre sites, les hommes, les femmes et les jeunes confirment que dans leur culture, lesfemmes sont censées être soumises (voir plus haut). En outre, les femmes sont largement perçuespar les hommes comme servant d’exutoire à leurs besoins sexuels, mais <strong>pas</strong> pour prendre l’initiativede la relation sexuelle. Toutes ces normes contribuent à abattre les barrières psychologiquesqui empêchent le viol des femmes, comme arme de <strong>guerre</strong>, crime opportuniste ou expressiondes conflits internes de l’auteur. D’autres dimensions des identités de genre des femmes commedes hommes, d’autre part, peuvent à certains égards, renforcer les stimulants psychologiques àvioler femmes et hommes, dans la logique de l’argument du « viol comme arme de <strong>guerre</strong> ». Lesfemmes étant considérées comme les piliers du foyer et indubitablement la colonne vertébrale del’économie agricole, l’intérêt stratégique de leur destruction est évident. De même, le fait que leshommes soient si convaincus de leur supériorité signifie que, lorsqu’ils sont violés, ils semblentavoir tout à perdre. Dans un sens, le viol d’un homme vient donc davantage confirmer que lesrelations de pouvoir ont changé que lorsqu’une femme déjà soumise est dégradée par son ou sesagresseur(s).222 Il n’est <strong>pas</strong> facile de s’attaquer à ces dynamiques. Comme l’indique un répondant, « les coutumes bloquent les choses encore plus,parce qu’elles n’ont <strong>pas</strong> changé. Nous avons parfois été les protecteurs de la culture, notamment en tant que chefs locaux… Quand vousvoulez réveiller les gens, révolutionner la société, vous attirez toute la colère de vos collègues, de tous les chefs, notamment les chefstraditionnels ; c’est pourquoi les choses sont bloquées et ne peuvent <strong>pas</strong> vraiment décoller » (Walungu, Comité local de développement,23 juin 2010).
« <strong>La</strong> <strong>guerre</strong> n’est <strong>pas</strong> encore finie »65VII. Recommandations7.1 Traiter les causes des violences sexuellesNotre analyse suggère que les violences sexuelles en période de <strong>guerre</strong> doivent être appréhendéesselon trois perspectives : en tant qu’arme de <strong>guerre</strong>, que crime d’opportunité et qu’expressionextérieure d’un conflit interne.• Les violences sexuelles comme arme de <strong>guerre</strong>• Le contexte militaire dans lequel le viol continue à être employé comme arme de <strong>guerre</strong> doitêtre traité. Il est impératif de s’attaquer à la situation des groupes armés étrangers du Rwanda,du Burundi et de l’Ouganda, et de chercher des solutions politiques efficaces aux blocagesgéopolitiques régionaux. Dans cette perspective, il serait utile de mandater une étude de hautniveau qui se concentre sur les obstacles au rapatriement des groupes armés. Il est égalementimpératif (dans le même ordre d’idées) de mettre fin à la pagaille exercée par les groupes arméscongolais et l’armée nationale congolaise ainsi qu’à la militarisation excessive comme stratégiede « démobilisation » des anciens combattants des groupes non étatiques. L’étude approfondiede ces questions géopolitiques dé<strong>pas</strong>se le cadre de ce rapport, mais il est clair que des décisionspolitiques radicales sont nécessaires, en RDC et dans les pays voisins, au rétablissement de lasécurité dans la région.• <strong>La</strong> dimension militaire n’est <strong>pas</strong> le seul aspect de la poursuite de la <strong>guerre</strong>. Les gens continuerontà ressentir que « la <strong>guerre</strong> n’est <strong>pas</strong> encore finie » et à se comporter comme tel jusqu’à ce queles questions d’opportunité économique et de gouvernance soient traitées. Un certain nombrede mesures doivent améliorer et réguler la gestion des ressources économiques. Les liens entreviolences sexuelles et économie sont complexes et méritent de faire l’objet de recherches pluspoussées. Le progrès économique ne peut être dissocié des progrès en matière de gouvernanceet de redevabilité : la population doit savoir que ceux qui détiennent l’autorité entendent leurspriorités, pour qu’elle puisse bénéficier des « dividendes de la paix ».• Les violences sexuelles comme crime d’opportunité• Les interventions doivent être renforcées en termes d’ordre public par des programmes deréforme institutionnelle, en termes de police civile et de systèmes judiciaires, de démobilisationet de réintégration effective des vétérans, et de professionnalisation de l’armée. Selon unrépondant, ‘… aujourd’hui la question du viol et des violences sexuelles est un problème quinécessite simplement la restauration de l’autorité de l’État’. 223 À l’instar des processus de justicetransitionnelle que la RDC commence à prendre en compte, les violences sexuelles devraientconstituer une question centrale.• Il faudrait attendre des institutions étatiques et non étatiques qui peuvent jouer un rôle décisifdans la réglementation des comportements et influencer les valeurs qu’elles jouent pleinementce rôle, et les assister dans cette tâche. Les mécanismes communautaires prévus pour traiterles cas concernés auront des effets positifs s’ils sont rétablis et adaptés à la situation actuelle.Ceux qui souhaitent mettre fin à l’impunité doivent travailler davantage avec les chefs decommunautés, les églises et l’armée, pour une meilleure reconnaissance de la culpabilité despersonnes dans leurs propres rangs, et pour qu’ils reconnaissent leur propre implication dans223 Walungu, informateur clef, 22 juin 2010.