ConclusionsLa plupart des compagnies qui cotisent en bourseappartiennent en général à de multip<strong>les</strong> actionnaires :des investisseurs institutionnels, des fonds d’investissement,des fonds de pension et des actionnairesminoritaires. Cette fragmentation extrême accorde,entre autres, un énorme pouvoir aux groupes financiersqui ont juste une petite participation dans différentescompagnies. Un problème associé se poseavec <strong>les</strong> hauts directeurs qui détiennent un pouvoirexcessif par rapport aux actionnaires. D’autre part,cette même multiplicité de petits actionnaires ouvrede nouvel<strong>les</strong> possibilités. Au cours des dernièresannées, des millions de femmes et d’hommes <strong>du</strong>monde entier ont commencé à s’orienter vers uneconsommation plus responsable. Chaque jour <strong>les</strong>gens sont plus conscients d’exercer leur « droit devote à travers leur caddy au supermarché ». On peutchoisir <strong>les</strong> pro<strong>du</strong>its de certaines compagnies et pasd’autres, suivant leur comportement. Le mouvementpour un commerce équitable a prouvé à quel point laconsommation critique est devenue importante. C’estlà un changement culturel essentiel, qui a débuté il y aquelques décennies et qui poursuit son évolution.Il faut maintenant qu’un changement culturelsemblable se pro<strong>du</strong>ise par rapport à notre argent età nos investissements. Combien de personnes seraient-el<strong>les</strong>prêtes à laisser de l’argent à quelqu’unpour financer une affaire d’armement antipersonnelou de bombes à sous-munitions ? Combien de personnesprêteraient-el<strong>les</strong> de l’argent à quelqu’un quivoudrait le miser au casino ? D’autre part, combiensommes-nous à demander à nos banques, à nos fondsde pension ou d’investissements ce qu’ils font de notreargent ? Pour résumer, notre argent, canalisé à traversdes investissements financiers, possède un immensepouvoir et peut influencer en grande mesure, de façonpositive ou négative, le comportement social et environnementaldes entreprises et des banques.Une alliance solide est nécessaire pour assumerle contrôle de ce pouvoir. Les investisseurs responsab<strong>les</strong>ont la capacité technique d’intervenir dans laparticipation actionnaire critique. Les ONG connaissent<strong>les</strong> communautés affectées par <strong>les</strong> investissementsdes corporations transnationa<strong>les</strong> et sont encontact avec el<strong>les</strong>. Les moyens de communicationont la possibilité d’informer <strong>les</strong> petits investisseurset <strong>les</strong> travailleurs sur l’usage qui pourrait être fait deleurs épargnes. Potentiellement, on pourrait mobiliserune énorme quantité de personnes et de capitalpour des activités de participation actionnaire critique,ce qui provoquerait des changements concretsdans le comportement des plus grandes compagnies<strong>du</strong> monde.La participation des actionnaires active a déjàdonné des résultats dans plusieurs cas, et elle aabouti à une meilleure gouvernance corporative età une plus ample participation des petits actionnaires.En même temps, il faut obtenir une plus grandeimplication et coordination de la société civile, desinvestisseurs socialement responsab<strong>les</strong> et des petitsactionnaires, et obtenir ainsi des améliorationsconcrètes dans le comportement social et environnementaldes entreprises à moyen terme.Pour finir, et c’est le plus important, la participationactionnaire critique ne signifie pas seulementaméliorer le comportement social et environnementaldes entreprises qui cotisent en bourse. La promotiond’une « démocratie économique » va bien endelà. La récente crise financière a démontré que nosépargnes ont été mises en danger dans une économiede casino. Nous devons récupérer le contrôle denotre argent et de nos investissements. À travers laparticipation actionnaire critique on peut accroîtrela culture financière des petits investisseurs. Il nes’agit pas seulement d’améliorer le comportementd’une entreprise. Une nouvelle culture financières’impose aussi.Récapitulons brièvement l’impact de la crisefinancière : premièrement, notre argent n’a pas étéemployé pour promouvoir une meilleure économie ;deuxièmement, on l’a mis en danger ; troisièmement,l’investissement dans le casino financier a contribuéà faire exploser la bulle et à précipiter la crise financière; quatrièmement, la crise a eu un impact terrib<strong>les</strong>ur la vie des personnes <strong>du</strong> monde entier ; cinquièmement,d’énormes opérations de sauvetage ont étélancées pour sauver le système financier, celui-làmême qui a causé la crise. En définitive, ces sauvetagesseront financés par l’argent de nos impôts.Ça commence à bien faire. Si <strong>les</strong> acteurs financierset <strong>les</strong> cadres veulent continuer à investirdans des entreprises non <strong>du</strong>rab<strong>les</strong>, à violer <strong>les</strong> droitshumains et à nuire à l’environnement, s’ils insistentencore à utiliser notre argent pour le jouer dansune économie de casino, élevons nos voix pour leurdire clairement que nous ne voulons pas être leurscomplices et empêchons-<strong>les</strong> de jouer nos jetons àla roulette. nRapports thématiques 28 <strong>Social</strong> <strong>Watch</strong>
Privatisation des finances pour le développement : le rôlede la Banque européenne d’investissementL’architecture des finances de l’Union Européenne (UE) pour le développement doit être renouvelée en raison des changementsengendrés par la crise mondiale. La société civile a exprimé ses préoccupations au sujet de l’ambiguïté fondamentale concernantle statut d’institutions publiques comme la Banque européenne d’investissement (BEI), qui n’est manifestement pas unebanque de développement régional bien qu’elle prétende financer le développement à travers des opérations d’investissementaccessib<strong>les</strong>. Le risque existe que le débat destiné à repenser le rôle de l’aide de l’UE et le rôle encore plus complexe <strong>du</strong>financement pour le développement soit influencé par <strong>les</strong> approches des corporations.Antonio Tricarico (coordonnateur)Campagna per la Riforma della Banca Mondiale (CRBM)Les finances européennes pour le développementse trouvent devant un dilemme. L’impact de la criseéconomique et financière sur <strong>les</strong> finances publiquesdans la plupart des États membres de l’UE est entrain d’inverser la tendance de la dernière décenniequi consistait à augmenter l’Aide publique au développement(APD) 1 . Bien que <strong>les</strong> gouvernementseuropéens soient encore <strong>les</strong> principaux donateurset fournissent plus de la moitié de l’APD mondiale, i<strong>les</strong>t de plus en plus clair que l’UE dans son ensemblen’atteindra pas ses objectifs d’ici à 2015. Il existeégalement le risque que <strong>les</strong> efforts destinés à accroîtrela qualité et l’efficacité de l’aide, fortement soutenuspar <strong>les</strong> donateurs européens dans <strong>les</strong> forumsinternationaux, s’avèrent vains 2 .Dans ce contexte négatif un discours nouveauet opportuniste fait son apparition dans <strong>les</strong>milieux officiels de Bruxel<strong>les</strong> et d’autres capita<strong>les</strong>européennes axé sur la nécessité d’une approcheplus « holistique » de la coopération internationaleet <strong>du</strong> financement pour le développement. Cetteconception vise à élargir la définition de financespour le développement afin d’inclure <strong>les</strong> activitéscommercia<strong>les</strong> et d’investissement, et de prioriserl’implication <strong>du</strong> secteur privé comme moteur de lacroissance économique et, éventuellement, <strong>du</strong> développementen général.À première vue, cette approche peut semblerune reformulation <strong>du</strong> type de « l’effet de ruissellement» <strong>du</strong> Consensus de Washington. Cependant,malgré le biais idéologique en faveur des marchésprivés, une nouvelle perspective et une stratégiese référant à l’association entre la sphère privée etla sphère publique et des rô<strong>les</strong> réciproques de cesdeux secteurs est en train de se développer. Le financement<strong>du</strong> développement n’est pas simplementconsidéré comme un instrument destiné à promouvoirla réforme de la politique macroéconomiquedans <strong>les</strong> pays <strong>du</strong> Sud (comme cela s’est pro<strong>du</strong>it au1 CONCORD, “Broken EU aid promises push MillenniumDevelopment Goals out of reach, says CONCORD as OECDannounces aid figures”, communiqué de presse, Bruxel<strong>les</strong>,14 avril 2010.2 Organisation de coopération et de développementéconomique/Comité d’assistance au développement (OCDE/CAD), Development Cooperation Report (Paris, 2010).cours de ces dernières décennies), mais de plus enplus comme un levier <strong>du</strong> secteur public pour mobiliser<strong>les</strong> capitaux privés. Dans le contexte de la criseéconomique et de l’importance renouvelée assignéepar le G20 au financement pour le développement etaux institutions financières internationa<strong>les</strong> commeinstruments fondamentaux des finances publiquesinternationa<strong>les</strong>, cette approche contribue égalementde manière décisive à soutenir le commerce européendans le monde alors que l’activité des marchésde capitaux privés a ralenti.Ainsi, le financement européen pour le développementcourt le risque de se transformer en unepartie intégrale d’un plan de sauvetage à long termevisant à bénéficier le commerce européen, qui estaccusé « d’assistance corporative », au lieu d’aider<strong>les</strong> pauvres des pays <strong>du</strong> Sud, qui ne sont pas responsab<strong>les</strong>de la crise mais qui en souffrent l´ impact.Participation <strong>du</strong> secteur privéLe financement <strong>du</strong> secteur privé par <strong>les</strong> banquesmultilatéra<strong>les</strong> de développement 3 (BMD) a décuplédepuis 1990, passant de moins de USD 4 milliardsà plus de USD 40 milliards par an. Les finances <strong>du</strong>secteur privé représentent actuellement une partieimportante <strong>du</strong> portefeuille global de nombreuxorganismes multilatéraux et constituent près de lamoitié de l’APD.Depuis le Consensus de Monterrey en 2002, <strong>les</strong>principa<strong>les</strong> institutions de développement ont misen œuvre le principe selon lequel le financement <strong>du</strong>développement devrait provenir de plus en plus desmarchés internationaux de capitaux avec un rôle deplus en plus rési<strong>du</strong>el et secondaire joué par l’aide aurenforcement des institutions et des compétences,en favorisant ainsi un environnement favorable auxinvestissements privés, tant nationaux qu’étrangers.Ces idées ont été réaffirmées lors de la Conférencede révision <strong>du</strong> financement pour le développement àDoha en décembre 2008.Évidemment, le développement est bien supérieuraux dépenses d’aide et le secteur privé peut êtreun moteur essentiel pour le développement <strong>du</strong>rable,mais <strong>les</strong> entreprises privées peuvent également avoirun impact négatif sur la pauvreté, <strong>les</strong> droits humains3 Agences intergouvernementa<strong>les</strong> internationa<strong>les</strong> ourégiona<strong>les</strong> tel<strong>les</strong> que la Banque mondiale ou la Banqueafricaine de développement.et l’environnement, notamment dans le contextede l’investissement privé international. En outre,il convient de préciser quel secteur privé, étrangerou national, à but lucratif ou quel autre acteur doitrecevoir principalement le peu d’aide publique internationalepour atteindre <strong>les</strong> objectifs de développementet dans quel<strong>les</strong> conditions cette aide doit êtreoctroyée.La société civile internationale a récemmentsouligné que l’approche des BMD concernant <strong>les</strong>ecteur privé et le développement n’a pas toujoursété suffisamment axée sur la promotion <strong>du</strong> développement<strong>du</strong>rable et sur la ré<strong>du</strong>ction de la pauvreté 4 .Autant la sélection des projets par <strong>les</strong> BMD que leursprocé<strong>du</strong>res de suivi et d’évaluation ont tendance àdonner la priorité aux profit commercial face auxaméliorations socia<strong>les</strong> ou environnementa<strong>les</strong>. Lacroissance rapide de l’investissement <strong>du</strong> secteurfinancier sur le marché à travers des intermédiairescomme <strong>les</strong> banques privées ou <strong>les</strong> entreprises à capitauxprivés est considérée comme particulièrementpréoccupante. Les résultats de recherches récentesmontrent que plusieurs intermédiaires soutenus par<strong>les</strong> BMD opèrent par le biais de centres financiersdans des paradis fiscaux et peuvent contribuer à lafuite de capitaux des pays <strong>du</strong> Sud vers le Nord 5 .Nouvelle approcheCette tendance a abouti au niveau de l’UE à la propositionpour une approche de « l’ensemble del’Union » 6 inspirée de l’idée promue en 2009 par leG8 sous la présidence de l’Italie d’une « approchepour l’ensemble d’un pays » Cela signifie que <strong>les</strong>4 Action Aid, Bretton Woods Project, Christian Aid, CRBM,European Network on Debt and Development (Eurodad) yThird World Network (TWN), Bottom Lines, Better Lives?Multilateral Financing to the Private Sector in DevelopingCountries – Time for a New Approach, mars 2010.Disponible sur : .5 Richard Murphy, “Investment for development : derailedto tax havens”, rapport préliminaire sur l’utilisation desparadis fiscaux par <strong>les</strong> institutions financières pour ledéveloppement, préparé par IBIS, NCA, CRBM, Eurodad,Forum Syd et Tax Justice Network, avril 2010.6 Commission des communautés européennes, “SupportingDeveloping Countries in Coping with the Crisis”,Communication de la Commission au Parlement européen,au Conseil, au Comité économique et social européen et auComité des régions, Bruxel<strong>les</strong>, 8 avril 2009.<strong>Social</strong> <strong>Watch</strong>29Privatisation des finances européennes pour le développement