Page 8 Troglodytisme en haute vallée de l’AriègeSpéléOc N°<strong>125</strong>Troglodytisme en haute vallée de l’AriègeÉpoques historiquesOccupations et utilisation des porches des grottesFlorence Guillot 1Entre Foix et Verdun, la couverture sédimentaire secondaire s’étend en larges falaises issuesdu modelé glaciaire quaternaire et percées de multiples porches : c’est là que prend place unenouvelle prospection archéologique.Il ne s’agit pas tant de découvrir des nouveaux réseaux car ces porches ont presque tous étédéjà visités par des spéléologues ou des préhistoriens, mais plutôt de lever des topographiessouvent manquantes et surtout de dénombrer au mieux toutes les traces d’occupations etd’utilisations du milieu souterrain aux périodes historiques.En préhistoire, évidemment, la recherche liéeaux grottes est extrêmement structurée et ce dès laseconde moitié du XIX e siècle. Les résultats acquisaujourd’hui autorisent une connaissance des civilisationsanciennes et de leurs activités en milieusouterrain qui est sans commune mesure avec ceque nous savons actuellement des périodes historiques.J’ai d’abord étudié les vestiges les plus visibles,ceux des célèbres spoulgas. Ces châteaux nereprésentent que 5 à 6 grottes presque toutes mentionnéesdans la documentation [fig. 1]. Elles fontpartie d’un réseau de fortifications délibérément isoléesdu monde civil, donc des casernements. Ellesétaient toutes dépendantes des comtes de Foix,autorité publique supérieure sur le secteur au moinsà partir du XII e siècle. Au cours de ce siècle, au furet à mesure que le pouvoir comtal se structure ets’homogénéise dans la haute vallée sont construitesles premières fortifications souterraines, ouvragesextrêmement simples, ce qui indique la pauvretédes moyens mis en œuvre et suggère que lesgrottes ont aussi été choisies pour des raisonsd’économie. Ce sont de simples porches perchés etbarrés d’un mur, munis d’aménagements planchéiésen arrière de cet obstacle. Leur perchementnaturel peut atteindre 50 m et elles s’apparentent àdes donjons à entrée en hauteur. Leur défense estlinéaire pratiquement passive et simpliste. Ce sontde petits points forts répartis là où les porches sontnaturellement présents, au-dessus des voies decommunication. A partir du milieu du XIII e siècle,quatre d’entre-elles sont abandonnées. Deux grottessont perfectionnées et conservées jusqu’à la findu Moyen Âge : la fortification se dilate, elle s’étendà des porches coalescents et vers l’extérieur car lecalcaire est ici bien trop résistant pour pouvoir êtrecreusé ; une enceinte relie les porches ; les murss’épaississent et on aménage une ou plusieursciternes.1 flo@explos.fr Associée CNRS Traces-Terrae.Fig 1 : Porche nord-est de la spoulga de Bouan.SpéléOc, une publication du Comité de Spéléologie Régional <strong>Midi</strong>-Pyrénées
SpéléOc N°<strong>125</strong>Troglodytisme en haute vallée de l’AriègePage 9C’est en étudiant ces points forts des comtesde Foix dans les grottes, que je me suis renduecompte qu’existaient quantité d’autres traces et vestigesqui pouvaient être attribués au Moyen Âge ouau moins à des époques clairement postérieures àla préhistoire et même à la protohistoire. Quelquesunsde ces vestiges avaient déjà été décrits, maisils avaient été souvent classés sans preuvescomme très anciens, tels les murs en pierres sèchesbarrant les entrées ou comme pastoraux. Lesgrottes pâtissent d’idées préconçues : nombre depublications voudraient qu’elles soient avant toutdes habitats secondaires et marginaux. Quand onne les voit pas comme des refuges de brigands,elles sont forcément des bergeries…En fait, nos premiers résultats de prospectionsmontrent que les vraies bergeries sont fortrares, même si on en devine quelques-unes. La raisonest probablement toute simple : les grottes sontmal situées par rapport aux pâturages, difficilesd’accès pour les bêtes ou éloignées des activitéshumaines.Nombre de murs en pierres sèches découvertsà l’entrées des grottes sont bâtis trop précautionneusementpour être de simples abris : ils sontréguliers, très rectilignes et les blocs qui les composentsont équarris en face visible. Pour les sitesd’habitat ou de fortification de plein air, on saitd’ailleurs que la pierre sèche est utilisée massivementjusqu’au Moyen Âge central et même jusqu’àla fin du Moyen Âge. De tels murs ont été découvertsdans une vingtaine de grottes, notamment àl’entrée de cavités pourtant bien étudiées auparavantmais dans le cadre de recherches centrées surl’étude de l’époque magdalénienne telles les grottesde Fontanet et de Pladières [fig. 2].Globalement, c’est surtout la multiplicité destraces et des vestiges qui s’est peu à peu imposéeà force de prospections : plus de 50% des porchesvisités contiennent des traces ou des vestiges. Larentabilité de la prospection est à l’image de labanalité du phénomène troglodytique en haute valléede l’Ariège aux époques historiques.On découvre par exemple des groupes de grottesqui paraissent fonctionner ensembles, un porcheprincipal pouvant servir à l’habitat et d’autres -situésaux alentours- à des activités telles le stockage oula boucherie : c’est le cas de quelques grottes dumassif de Sédour, entre Tarascon et Bédeilhac.Souvent, il est extrêmement difficile d’être plus précis: quelles sont les fonctions de ces occupations,sont-elles temporaires ou permanentes et surtoutdans quelles chronologies s’insèrent-elles ? Enprospection, on récolte des tessons de céramiquesqui peuvent renseigner sur la périodisation desFig 2 : Mur à l’entrée du porche de Pladières.Photo Ph. Bence.occupations : la grande majorité sont des céramiquescommunes médiévales des XII e -XV e sièclesmais elles peuvent être bien plus diverses. Citonsencore la grotte de Pladières où, dans 1 m², on arelevé des tessons d’amphores gauloises, des fragmentsde la fin de l’âge du Bronze et des céramiquesde la fin du Moyen Âge ! On atteint là les limitesde la méthode employée; en l’absence de documentsécrits, il faudrait envisager des sondagesmais qui seraient délicats parce que des centainesde fouilles clandestines ont détruit les sols de cesgrottes dans le but de chercher des trésors totalementfantasmagoriques.Soulignons enfin qu’un massif sort vraimentde l’ordinaire, la Carbonnière, au-dessus des thermesd’Ussat-les-Bains, en rive droite de la vallée del’Ariège. On y rencontre 7 à 8 porches -répartis surSpéléOc, une publication du Comité de Spéléologie Régional <strong>Midi</strong>-Pyrénées