Le problème de l'être et de la destinée : études expérimentales sur ...
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LA DOULEUR 295encore un bienfait si, causée par nos abus et nos vices, elle nous apprendà les détester et à nous en corriger. Il faut souffrir pour se connaître etpour bien connaître la vie.Epictète, que nous aimons à citer, disait encore : «C'est un fauxlangage de prétendre que la santé est un bien, la maladie un mal. Userbien de la santé est un bien ; en user mal est un mal. User bien de lamaladie, c'est un bien ; en user mal est un mal. On tire le bien de tout, etde la mort même.»Aux âmes faibles, la maladie vient apprendre la patience, la sagesse, legouvernement de soi-même. Aux âmes fortes, elle peut offrir descompensations d'idéal, en laissant à l'esprit le libre essor de sesaspirations, au point d'oublier les souffrances physiques.L'action de la douleur n'est pas moins efficace pour les collectivitésque pour les individus. N'est-ce pas grâce à elle que se sont constituésles premiers groupements humains ? N'est-ce pas la menace des fauves,de la faim, des fléaux qui contraint l'homme à rechercher son semblablepour s'associer à lui ? Et de leur vie commune, de leurs communessouffrances, de leur intelligence et de leur labeur est sortie toute lacivilisation, avec ses arts, ses sciences, son industrie !La douleur physique, pourrait-on dire encore, résulte de ladisproportion entre notre faiblesse corporelle et l'ensemble des forces quinous entourent, forces colossales et fécondes qui sont autant demanifestations de la vie universelle. Nous ne pouvons nous en assimilerqu'une infime partie ; mais en agissant sur nous, elles travaillent àaccroître, à élargir sans cesse la sphère de notre activité et la gamme denos sensations. Leur action sur le corps organique se répercute sur laforme fluidique ; elle contribue à l'enrichir, à la dilater, à la rendre plusimpressionnable, en un mot apte à des perfectionnements nouveaux.La souffrance, par son action chimique, a toujours un résultat utile,mais ce résultat varie à l'infini suivant les individus et leur étatd'avancement. En affinant notre enveloppe matérielle, elle donne plus deforce à l'être intérieur, plus de facilité à se détacher des choses terrestres.Chez d'autres, plus évolués, elle agira dans le sens moral. La douleur estcomme une aile prêtée à l'âme asservie à la chair, pour l'aider à s'endégager et à s'élever plus haut.** *
296 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEELe premier mouvement de l'homme malheureux est de se révolter sousles coups du sort. Mais, plus tard, quand l'esprit a gravi les pentes et qu'ilcontemple l'âpre chemin parcouru, le défilé mouvant de ses existences,c'est avec un attendrissement joyeux qu'il se souvient des épreuves, destribulations à l'aide desquelles il a pu gagner le faîte.Si, aux heures d'épreuves, nous savions observer le travail intérieur,l'action mystérieuse de la douleur en nous, en notre moi, en notreconscience, nous comprendrions mieux son oeuvre sublime d'éducationet de perfectionnement. Nous verrions qu'elle frappe toujours à l'endroitsensible. La main qui dirige le ciseau est celle d'un artiste incomparable ;elle ne se lasse pas d'agir jusqu'à ce que les angles de notre caractèresoient arrondis, polis, usés. Pour cela, elle reviendra à la charge aussilongtemps qu'il sera nécessaire. Et sous les coups de marteau répétés, ilfaudra bien que la morgue, la personnalité excessive tombent chez celuici; il faudra que la mollesse, l'apathie, l'indifférence disparaissent cheztel autre ; la dureté, la colère, la fureur chez un troisième. Pour tous, elleaura des procédés différents, variés à l'infini suivant les individus, maischez tous, elle agira avec efficacité, de façon à faire naître ou àdévelopper la sensibilité la délicatesse, la bonté, la tendresse, à fairesortir des déchirements et des larmes quelque qualité inconnue quidormait silencieuse au fond de l'être, ou bien telle noblesse nouvelle,parure de l'âme, acquise pour jamais.Et plus celle-ci monte, grandit, se fait belle, plus la douleur sespiritualise et devient subtile. Aux méchants il faut des épreuvesnombreuses, comme sur l'arbre il faut beaucoup de fleurs pour produirequelques fruits. Mais plus l'être humain se perfectionne, plus les fruits dela douleur deviennent admirables en lui. Aux âmes frustes, maldégrossies, incombent les souffrances physiques, les douleurs violentes ;aux égoïstes, aux avares écherront les pertes de fortune, les noiresinquiétudes, les tourments de l'esprit. Puis aux êtres délicats, aux mères,aux amantes, aux épouses, les tortures cachées, les blessures du coeur.Aux nobles penseurs, aux inspirés, la douleur subtile et profonde qui faitjaillir le cri sublime, l'éclair du génie !Oui, derrière la douleur, il y a quelqu'un d'invisible qui conduit sonaction et la règle suivant les besoins de chacun, avec un art, une sagesseinfinis, travaillant ainsi à augmenter notre beauté intérieure, jamais
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296 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>Le</strong> premier mouvement <strong>de</strong> l'homme malheureux est <strong>de</strong> se révolter sousles coups du sort. Mais, plus tard, quand l'esprit a gravi les pentes <strong>et</strong> qu'ilcontemple l'âpre chemin parcouru, le défilé mouvant <strong>de</strong> ses existences,c'est avec un attendrissement joyeux qu'il se souvient <strong>de</strong>s épreuves, <strong>de</strong>stribu<strong>la</strong>tions à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>squelles il a pu gagner le faîte.Si, aux heures d'épreuves, nous savions observer le travail intérieur,l'action mystérieuse <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur en nous, en notre moi, en notreconscience, nous comprendrions mieux son oeuvre sublime d'éducation<strong>et</strong> <strong>de</strong> perfectionnement. Nous verrions qu'elle frappe toujours à l'endroitsensible. La main qui dirige le ciseau est celle d'un artiste incomparable ;elle ne se <strong>la</strong>sse pas d'agir jusqu'à ce que les angles <strong>de</strong> notre caractèresoient arrondis, polis, usés. Pour ce<strong>la</strong>, elle reviendra à <strong>la</strong> charge aussilongtemps qu'il sera nécessaire. Et sous les coups <strong>de</strong> marteau répétés, ilfaudra bien que <strong>la</strong> morgue, <strong>la</strong> personnalité excessive tombent chez celuici; il faudra que <strong>la</strong> mollesse, l'apathie, l'indifférence disparaissent cheztel autre ; <strong>la</strong> dur<strong>et</strong>é, <strong>la</strong> colère, <strong>la</strong> fureur chez un troisième. Pour tous, elleaura <strong>de</strong>s procédés différents, variés à l'infini suivant les individus, maischez tous, elle agira avec efficacité, <strong>de</strong> façon à faire naître ou àdévelopper <strong>la</strong> sensibilité <strong>la</strong> délicatesse, <strong>la</strong> bonté, <strong>la</strong> tendresse, à fairesortir <strong>de</strong>s déchirements <strong>et</strong> <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes quelque qualité inconnue quidormait silencieuse au fond <strong>de</strong> l'être, ou bien telle noblesse nouvelle,parure <strong>de</strong> l'âme, acquise pour jamais.Et plus celle-ci monte, grandit, se fait belle, plus <strong>la</strong> douleur sespiritualise <strong>et</strong> <strong>de</strong>vient subtile. Aux méchants il faut <strong>de</strong>s épreuvesnombreuses, comme <strong>sur</strong> l'arbre il faut beaucoup <strong>de</strong> fleurs pour produirequelques fruits. Mais plus l'être humain se perfectionne, plus les fruits <strong>de</strong><strong>la</strong> douleur <strong>de</strong>viennent admirables en lui. Aux âmes frustes, maldégrossies, incombent les souffrances physiques, les douleurs violentes ;aux égoïstes, aux avares écherront les pertes <strong>de</strong> fortune, les noiresinquiétu<strong>de</strong>s, les tourments <strong>de</strong> l'esprit. Puis aux êtres délicats, aux mères,aux amantes, aux épouses, les tortures cachées, les bles<strong>sur</strong>es du coeur.Aux nobles penseurs, aux inspirés, <strong>la</strong> douleur subtile <strong>et</strong> profon<strong>de</strong> qui faitjaillir le cri sublime, l'éc<strong>la</strong>ir du génie !Oui, <strong>de</strong>rrière <strong>la</strong> douleur, il y a quelqu'un d'invisible qui conduit sonaction <strong>et</strong> <strong>la</strong> règle suivant les besoins <strong>de</strong> chacun, avec un art, une sagesseinfinis, travail<strong>la</strong>nt ainsi à augmenter notre beauté intérieure, jamais