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Le problème de l'être et de la destinée : études expérimentales sur ...

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INTRODUCTION________Une constatation douloureuse frappe le penseur au soir <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Elle<strong>de</strong>vient encore plus poignante à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong>s impressions ressenties à sonr<strong>et</strong>our dans l'espace. Il s'aperçoit alors que l'enseignement dispensé parles institutions humaines en général - religions, écoles, universités - s'ilnous apprend beaucoup <strong>de</strong> choses superflues, en revanche ne nousapprend presque rien <strong>de</strong> ce que nous avons le plus besoin <strong>de</strong> connaîtrepour <strong>la</strong> conduite, <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> l'existence terrestre <strong>et</strong> <strong>la</strong> préparation àl'Au-<strong>de</strong>là.Ceux à qui incombe <strong>la</strong> haute mission d'éc<strong>la</strong>irer <strong>et</strong> <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r l'âmehumaine semblent ignorer sa nature <strong>et</strong> ses véritables <strong>de</strong>stins.Dans les milieux universitaires, une complète incertitu<strong>de</strong> règne encore<strong>sur</strong> <strong>la</strong> solution du plus important problème que l'homme se soit jamaisposé au cours <strong>de</strong> son passage <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre. C<strong>et</strong>te incertitu<strong>de</strong> rejaillit <strong>sur</strong>tout l'enseignement. La plupart <strong>de</strong>s professeurs <strong>et</strong> instituteurs écartentsystématiquement <strong>de</strong> leurs leçons tout ce qui touche au problème <strong>de</strong> <strong>la</strong>vie, aux questions <strong>de</strong> but <strong>et</strong> <strong>de</strong> finalité.Nous r<strong>et</strong>rouvons <strong>la</strong> même impuissance chez le prêtre. Par sesaffirmations dénuées <strong>de</strong> preuves, il ne réussit guère à communiquer auxâmes dont il a <strong>la</strong> charge une croyance qui ne répond plus ni aux règlesd'une saine critique ni aux exigences <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison.En réalité, dans l'Université comme dans l'Eglise, l'âme mo<strong>de</strong>rne nerencontre qu'obscurité <strong>et</strong> contradiction en tout ce qui touche auproblème <strong>de</strong> sa nature <strong>et</strong> <strong>de</strong> son avenir. C'est à c<strong>et</strong> état <strong>de</strong> choses qu'ilfaut attribuer en gran<strong>de</strong> partie les maux <strong>de</strong> notre temps : l'incohérence<strong>de</strong>s idées, le désordre <strong>de</strong>s consciences, l'anarchie morale <strong>et</strong> sociale.L'éducation que l'on dispense aux générations est compliquée ; maiselle n'éc<strong>la</strong>ire pas, pour elles, le chemin <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie ; elle ne les trempe paspour les luttes <strong>de</strong> l'existence. L'enseignement c<strong>la</strong>ssique peut apprendre àcultiver, à orner l'intelligence ; il n'apprend pas à agir, à aimer, à sedévouer. Il apprend encore moins à se faire une conception <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>de</strong>stinée qui développe les énergies profon<strong>de</strong>s du moi <strong>et</strong> oriente nosé<strong>la</strong>ns, nos efforts vers un but élevé. Pourtant, c<strong>et</strong>te conception estindispensable à tout être, à toute société, car elle est le soutien, <strong>la</strong>


4 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEconso<strong>la</strong>tion suprême aux heures difficiles, <strong>la</strong> source <strong>de</strong>s mâles vertus <strong>et</strong><strong>de</strong>s hautes inspirations.Carl du Prel rapporte le fait suivant 1 :«Un <strong>de</strong> mes amis, professeur à l'Université, eut <strong>la</strong> douleur <strong>de</strong> perdresa fille, ce qui raviva en lui le problème <strong>de</strong> l'immortalité. Il s'adressa àses collègues, professeurs <strong>de</strong> philosophie, espérant trouver <strong>de</strong>sconso<strong>la</strong>tions dans leurs réponses. Ce fut une amère déception : il avait<strong>de</strong>mandé du pain, on lui offrit une pierre ; il cherchait une affirmation,on lui répondit par un "peut-être" !»Francisque Sarcey, ce modèle accompli du professeur d'Université,écrivait 2 : «Je suis <strong>sur</strong> c<strong>et</strong>te terre. J'ignore absolument comment j'y suisvenu <strong>et</strong> pourquoi on m'y a j<strong>et</strong>é. Je n'ignore pas moins comment j'ensortirai <strong>et</strong> ce qu'il adviendra <strong>de</strong> moi quand j'en serai sorti.»On ne peut l'avouer plus franchement : <strong>la</strong> philosophie <strong>de</strong> l'école,après tant <strong>de</strong> siècles d'étu<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong>beur, n'est encore qu'une doctrinesans lumière, sans chaleur, sans vie 3 . L'âme <strong>de</strong> nos enfants, ballottéeentre <strong>de</strong>s systèmes divers <strong>et</strong> contradictoires : le positivisme d'AugusteComte, le naturalisme d'Hegel, le matérialisme <strong>de</strong> Stuart Mill,l'éclectisme <strong>de</strong> Cousin, <strong>et</strong>c., flotte incertaine, sans idéal, sans but précis.De là le découragement précoce <strong>et</strong> le pessimisme dissolvant, ma<strong>la</strong>dies<strong>de</strong>s sociétés déca<strong>de</strong>ntes, menaces terribles pour l'avenir, auxquelless'ajoute le scepticisme amer <strong>et</strong> railleur <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> jeunes hommes qui necroient plus qu'à <strong>la</strong> fortune <strong>et</strong> n'honorent que le succès.L'éminent professeur Raoul Pict<strong>et</strong> signale c<strong>et</strong> état d'esprit dansl'Introduction <strong>de</strong> son <strong>de</strong>rnier ouvrage <strong>sur</strong> les sciences physiques 4 . Ilparle <strong>de</strong> l'eff<strong>et</strong> désastreux produit par les théories matérialistes <strong>sur</strong> <strong>la</strong>mentalité <strong>de</strong> ses élèves, <strong>et</strong> conclut ainsi :«Ces pauvres jeunes gens adm<strong>et</strong>tent que tout ce qui se passe dans lemon<strong>de</strong> est l'eff<strong>et</strong> nécessaire <strong>et</strong> fatal <strong>de</strong> conditions premières, où leur1 C. du Prel, La Mort <strong>et</strong> l'Au-Delà, page 7.2 P<strong>et</strong>it Journal, chronique, 7 mars 1894.3 A propos <strong>de</strong>s examens universitaires, M. Ducros, doyen <strong>de</strong> <strong>la</strong> Faculté d'Aix, écrivait dans leJournal <strong>de</strong>s Débats, le 3 mai 1912 :«Il semble qu'entre l'élève <strong>et</strong> les choses il y ait comme un écran, je ne sais quelle nuée <strong>de</strong> motsappris, <strong>de</strong> faits épars <strong>et</strong> opaques. C'est <strong>sur</strong>tout en philosophie qu'on éprouve c<strong>et</strong>te pénibleimpression.»4 Etu<strong>de</strong> critique du matérialisme <strong>et</strong> du spiritualisme, par <strong>la</strong> physique expérimentale. FélixAlcan, édit.


INTRODUCTION 5volonté n'intervient pas ; ils considèrent que leur propre existence estforcément le jou<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> fatalité inéluctable, à <strong>la</strong>quelle ils sont attachés,pieds <strong>et</strong> poings liés.Ces jeunes gens cessent <strong>la</strong> lutte à <strong>la</strong> rencontre <strong>de</strong>s premièresdifficultés. Ils ne croient plus à eux mêmes. Ils <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s tombesvivantes, où ils enferment pêle-mêle leurs espérances, leurs efforts, leursdésirs, fosse commune <strong>de</strong> tout ce qui a fait battre leur coeur jusqu'aujour <strong>de</strong> l'empoisonnement.»Tout ceci n'est pas seulement applicable à une partie <strong>de</strong> notrejeunesse, mais aussi à beaucoup d'hommes <strong>de</strong> notre temps <strong>et</strong> <strong>de</strong> notregénération, chez qui on peut constater une sorte <strong>de</strong> <strong>la</strong>ssitu<strong>de</strong> morale <strong>et</strong>d'affaissement.F. Myers le reconnaît à son tour : «Il y a, dit-il 5 , comme uneinquiétu<strong>de</strong>, un mécontentement, un manque <strong>de</strong> confiance dans <strong>la</strong> vraievaleur <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. <strong>Le</strong> pessimisme est <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die morale <strong>de</strong> notre temps.»<strong>Le</strong>s théories d'outre-Rhin, les doctrines <strong>de</strong> Ni<strong>et</strong>zsche, <strong>de</strong>Schopenhauer, d'Haeckel, <strong>et</strong>c., n'ont pas peu contribué, elles aussi, àdévelopper c<strong>et</strong> état <strong>de</strong> choses. <strong>Le</strong>ur influence s'est partout répandue. Ondoit leur attribuer, en gran<strong>de</strong> partie, ce lent travail, oeuvre obscure <strong>de</strong>scepticisme <strong>et</strong> <strong>de</strong> découragement, qui se poursuit dans l'âmecontemporaine.Il est temps <strong>de</strong> réagir avec vigueur contre ces doctrines funestes <strong>et</strong> <strong>de</strong>rechercher, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l'ornière officielle <strong>et</strong> <strong>de</strong>s vieilles croyances, <strong>de</strong>nouvelles métho<strong>de</strong>s d'enseignement, qui répon<strong>de</strong>nt aux impérieuxbesoins <strong>de</strong> l'heure présente. Il faut préparer les esprits aux nécessités,aux combats <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie actuelle <strong>et</strong> <strong>de</strong>s vies ultérieures ; il faut <strong>sur</strong>toutapprendre à l'être humain à se connaître, à développer, en vue <strong>de</strong> sesfins, les forces <strong>la</strong>tentes qui dorment en lui.Jusqu'ici, <strong>la</strong> pensée s'est confinée en <strong>de</strong>s cercles étroits : religions,écoles ou systèmes qui s'excluent <strong>et</strong> se combattent réciproquement. De làc<strong>et</strong>te division profon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s esprits, ces courants violents <strong>et</strong> contrairesqui troublent <strong>et</strong> bouleversent le milieu social.Apprenons à sortir <strong>de</strong> ces cercles rigi<strong>de</strong>s <strong>et</strong> à donner un libre essor à<strong>la</strong> pensée. Chaque système contient une part <strong>de</strong> vérité ; aucun necontient <strong>la</strong> réalité tout entière. L'univers <strong>et</strong> <strong>la</strong> vie ont <strong>de</strong>s aspects tropvariés, trop nombreux pour qu'aucun système puisse les embrasser tous.5 F. Myers, Human Personality.


INTRODUCTION 7un résultat négatif pour le bonheur <strong>et</strong> l'élévation <strong>de</strong> l'humanité. Tantvaut l'idéal, tant vaut l'homme ; tant vaut <strong>la</strong> nation, tant vaut le pays !<strong>Le</strong>s doctrines négatives, dans leurs conséquences extrêmes,aboutissent fatalement à l'anarchie, c'est-à-dire au vi<strong>de</strong>, au néant social.L'histoire humaine en a déjà fait plusieurs fois <strong>la</strong> pénible expérience.Tant qu'il s'est agi <strong>de</strong> détruire les restes du passé, <strong>de</strong> donner le<strong>de</strong>rnier coup aux privilèges restés <strong>de</strong>bout, <strong>la</strong> démocratie s'esthabilement servie <strong>de</strong> ses moyens d'action. Mais, aujourd'hui, il importe<strong>de</strong> construire <strong>la</strong> cité <strong>de</strong> l'avenir, <strong>la</strong> cité future, le vaste édifice qui doitabriter <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong>s générations. Et <strong>de</strong>vant c<strong>et</strong>te tâche, les doctrinesnégatives montrent leur insuffisance <strong>et</strong> révèlent leur fragilité ; nousvoyons les meilleurs ouvriers se débattre dans une sorte d'impuissancematérielle <strong>et</strong> morale.Aucune oeuvre humaine ne peut être gran<strong>de</strong> <strong>et</strong> durable si elle nes'inspire, en théorie <strong>et</strong> en pratique, dans ses principes <strong>et</strong> dans sesapplications, <strong>de</strong>s lois éternelles <strong>de</strong> l'univers. Tout ce qui est conçu, édifiéen <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s lois supérieures est bâti <strong>sur</strong> le sable <strong>et</strong> s'écroule.Or, les doctrines du socialisme actuel ont une tare capitale. Ellesveulent imposer une règle en contradiction avec <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> <strong>la</strong> véritableloi <strong>de</strong> l'humanité : le niveau égalitaire.L'évolution individuelle <strong>et</strong> progressive est <strong>la</strong> loi fondamentale <strong>de</strong> <strong>la</strong>nature <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. C'est <strong>la</strong> raison d'être <strong>de</strong> l'homme, <strong>la</strong> norme <strong>de</strong>l'univers. S'in<strong>sur</strong>ger contre elle, lui substituer une autre fin, serait aussiinsensé que <strong>de</strong> vouloir arrêter le mouvement <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre ou le flux <strong>et</strong> lereflux <strong>de</strong>s océans.<strong>Le</strong> côté le plus faible <strong>de</strong> <strong>la</strong> doctrine socialiste, c'est l'ignoranceabsolue <strong>de</strong> l'homme, <strong>de</strong> son principe essentiel, <strong>de</strong>s lois qui prési<strong>de</strong>nt àses <strong>de</strong>stins. Et lorsqu'on ignore l'homme individuel, comment pourraitongouverner l'homme social ?La source <strong>de</strong> tous nos maux est dans notre manque <strong>de</strong> savoir <strong>et</strong> notreinfériorité morale. Toute société restera faible <strong>et</strong> divisée aussi longtempsque <strong>la</strong> défiance, le doute, l'égoïsme, l'envie, <strong>la</strong> haine <strong>la</strong> domineront. Onne transforme pas une société par <strong>de</strong>s lois. <strong>Le</strong>s lois, les institutions nesont rien sans les moeurs, sans les croyances élevées. Quelles que soientd'ailleurs <strong>la</strong> forme politique <strong>et</strong> <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion d'un peuple, s'il possè<strong>de</strong> <strong>de</strong>bonnes moeurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> fermes convictions, il sera toujours plus heureux <strong>et</strong>plus puissant qu'un autre peuple <strong>de</strong> moralité inférieure.


8 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEUne société étant <strong>la</strong> résultante <strong>de</strong>s forces individuelles, bonnes oumauvaises, pour améliorer <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te société, il faut agir d'abord<strong>sur</strong> l'intelligence <strong>et</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> conscience <strong>de</strong>s individus.Mais, pour <strong>la</strong> démocratie socialiste, l'homme intérieur, l'homme <strong>de</strong> <strong>la</strong>conscience individuelle n'existe pas ; <strong>la</strong> collectivité l'absorbe tout entier.<strong>Le</strong>s principes qu'elle adopte ne sont plus qu'une négation <strong>de</strong> toutephilosophie élevée <strong>et</strong> <strong>de</strong> toute cause supérieure. On ne songe guère qu'àconquérir <strong>de</strong>s droits. Et cependant <strong>la</strong> jouissance <strong>de</strong>s droits ne va passans <strong>la</strong> pratique <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs. <strong>Le</strong> droit sans le <strong>de</strong>voir, qui le limite <strong>et</strong> lecorrige, n'engendrera que <strong>de</strong> nouveaux déchirements, <strong>de</strong> nouvellessouffrances.C'est pourquoi <strong>la</strong> poussée formidable du socialisme ne fait quedép<strong>la</strong>cer les appétits, les convoitises, les causes du ma<strong>la</strong>ise <strong>et</strong> substitueaux oppressions du passé un <strong>de</strong>spotisme nouveau, plus intolérableencore. Nous en voyons l'exemple en Russie.Déjà, nous pouvons me<strong>sur</strong>er l'étendue <strong>de</strong>s désastres causés par lesdoctrines négatives. <strong>Le</strong> déterminisme, le matérialisme, en niant <strong>la</strong> libertéhumaine <strong>et</strong> <strong>la</strong> responsabilité, sapent les bases mêmes <strong>de</strong> l'Ethiqueuniverselle. <strong>Le</strong> mon<strong>de</strong> moral n'est plus qu'une annexe <strong>de</strong> <strong>la</strong> physiologie,c'est-à-dire le règne, <strong>la</strong> manifestation <strong>de</strong> <strong>la</strong> force aveugle <strong>et</strong>irresponsable. <strong>Le</strong>s esprits d'élite professent le nihilisme métaphysique, <strong>et</strong><strong>la</strong> masse humaine, le peuple, sans croyances, sans principes fixes, estlivré à <strong>de</strong>s hommes qui exploitent ses passions <strong>et</strong> spéculent <strong>sur</strong> sesconvoitises.<strong>Le</strong> positivisme, pour être moins absolu, n'est pas moins funeste dansses conséquences. Par sa théorie <strong>de</strong> l'inconnaissable, il supprime lesnotions <strong>de</strong> but <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong>rge évolution. Il prend l'homme dans <strong>la</strong> phaseactuelle <strong>de</strong> sa vie, simple fragment <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée, <strong>et</strong> l'empêche <strong>de</strong> voir<strong>de</strong>vant <strong>et</strong> <strong>de</strong>rrière lui ; métho<strong>de</strong> stérile <strong>et</strong> dangereuse, faite, semble-t-il,pour <strong>de</strong>s aveugles d'esprit, <strong>et</strong> que l'on a proc<strong>la</strong>mée bien faussement <strong>la</strong>plus belle conquête <strong>de</strong> l'esprit mo<strong>de</strong>rne.Tel est l'état actuel <strong>de</strong> <strong>la</strong> société. <strong>Le</strong> danger est immense, <strong>et</strong> si quelquegran<strong>de</strong> rénovation spiritualiste <strong>et</strong> scientifique ne se produisait, le mon<strong>de</strong>sombrerait dans l'incohérence <strong>et</strong> <strong>la</strong> confusion.Nos hommes <strong>de</strong> gouvernement sentent déjà ce qu'il en coûte <strong>de</strong> vivredans une société où les bases essentielles <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale sont ébranlées,


INTRODUCTION 9où les sanctions sont factices ou impuissantes, où tout se confond, même<strong>la</strong> notion élémentaire du bien <strong>et</strong> du mal.<strong>Le</strong>s Eglises, il est vrai, malgré leurs formes usées <strong>et</strong> leur espritrétrogra<strong>de</strong>, groupent encore autour d'elles beaucoup d'âmes sensibles :mais elles sont <strong>de</strong>venues incapables <strong>de</strong> conjurer le péril, parl'impossibilité où elles se sont mises <strong>de</strong> fournir une définition précise <strong>de</strong><strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée humaine <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là, appuyée <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s faits probants.L'humanité, <strong>la</strong>ssée <strong>de</strong>s dogmes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s spécu<strong>la</strong>tions sans preuves, s'estplongée dans le matérialisme ou l'indifférence. Il n'y a plus <strong>de</strong> salutpour <strong>la</strong> pensée que dans une doctrine basée <strong>sur</strong> l'expérience <strong>et</strong> l<strong>et</strong>émoignage <strong>de</strong>s faits.D'où viendra c<strong>et</strong>te doctrine ? De l'abîme où nous glissons, quellepuissance nous tirera ? Quel idéal nouveau viendra rendre à l'homme <strong>la</strong>confiance en l'avenir <strong>et</strong> l'ar<strong>de</strong>ur pour le bien ? Aux heures tragiques <strong>de</strong>l'histoire, quand tout semb<strong>la</strong>it désespéré, le secours n'a jamais manqué.L'âme humaine ne peut s'enliser entièrement <strong>et</strong> périr. Au moment où lescroyances du passé se voilent, une conception nouvelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>de</strong>stinée, basée <strong>sur</strong> <strong>la</strong> science <strong>de</strong>s faits, reparaît. La gran<strong>de</strong> traditionrevit sous <strong>de</strong>s formes é<strong>la</strong>rgies, plus jeunes <strong>et</strong> plus belles. Elle montre àtous un avenir plein d'espérance <strong>et</strong> <strong>de</strong> promesses. Saluons le nouveaurègne <strong>de</strong> l'Idée, victorieuse <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière, <strong>et</strong> travaillons à préparer sesvoies !La tâche à accomplir est gran<strong>de</strong>, l'éducation <strong>de</strong> l'homme est à refaireentièrement. C<strong>et</strong>te éducation, nous l'avons vu, ni l'Université, ni l'Églisene sont en me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong> <strong>la</strong> donner, puisqu'elles ne possè<strong>de</strong>nt plus lessynthèses nécessaires pour éc<strong>la</strong>irer <strong>la</strong> marche <strong>de</strong>s nouvellesgénérations. Une seule doctrine peut offrir c<strong>et</strong>te synthèse, celle duspiritualisme scientifique ; déjà, elle monte à l'horizon du mon<strong>de</strong>intellectuel <strong>et</strong> semble <strong>de</strong>voir illuminer l'avenir.A c<strong>et</strong>te philosophie, à c<strong>et</strong>te science, libre, indépendante, affranchie <strong>de</strong>toute pression officielle, <strong>de</strong> toute compromission politique, lesdécouvertes contemporaines apportent chaque jour <strong>de</strong> nouvelles <strong>et</strong>précieuses contributions. <strong>Le</strong>s phénomènes du magnétisme, <strong>de</strong> <strong>la</strong>radioactivité, <strong>de</strong> <strong>la</strong> télépathie, sont <strong>de</strong>s applications d'un même principe,les manifestations d'une même loi qui régit à <strong>la</strong> fois l'être <strong>et</strong> l'univers.Encore quelques années <strong>de</strong> <strong>la</strong>beur patient, d'expérimentationconsciencieuse, <strong>de</strong> recherches persévérantes, <strong>et</strong> <strong>la</strong> nouvelle éducation


10 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEaura trouvé sa formule scientifique, sa base essentielle. C<strong>et</strong> événementsera le plus grand fait <strong>de</strong> l'Histoire <strong>de</strong>puis l'apparition du christianisme.L'éducation, on le sait, est le plus puissant facteur du progrès ; ellecontient en germe tout l'avenir. Mais, pour être complète, elle doits'inspirer <strong>de</strong> l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie sous ses <strong>de</strong>ux formes alternantes, visible <strong>et</strong>invisible : <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie dans sa plénitu<strong>de</strong>, dans son évolution ascendantevers les somm<strong>et</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée.<strong>Le</strong>s précepteurs <strong>de</strong> l'humanité ont donc un <strong>de</strong>voir immédiat à remplir.C'est <strong>de</strong> rem<strong>et</strong>tre le spiritualisme à <strong>la</strong> base <strong>de</strong> l'éducation, <strong>de</strong> travailler àrefaire l'homme intérieur <strong>et</strong> <strong>la</strong> santé morale. Il faut réveiller l'âmehumaine, endormie par une rhétorique funeste, lui montrer ses pouvoirscachés, l'obliger à prendre conscience d'elle-même, à réaliser sesglorieux <strong>de</strong>stins.La science mo<strong>de</strong>rne a analysé le mon<strong>de</strong> extérieur ; ses trouées dansl'univers objectif sont profon<strong>de</strong>s : ce sera son honneur <strong>et</strong> sa gloire ;mais elle ne sait rien encore <strong>de</strong> l'univers invisible <strong>et</strong> du mon<strong>de</strong> intérieur.C'est là l'empire illimité qui lui reste à conquérir. Savoir par quels liensl'homme se rattache à l'ensemble, <strong>de</strong>scendre dans les replis mystérieux<strong>de</strong> l'être, où l'ombre <strong>et</strong> <strong>la</strong> lumière se mêlent comme dans <strong>la</strong> caverne <strong>de</strong>P<strong>la</strong>ton, en parcourir les <strong>la</strong>byrinthes, les réduits secr<strong>et</strong>s, ausculter le moinormal <strong>et</strong> le moi profond, <strong>la</strong> conscience <strong>et</strong> <strong>la</strong> subconscience, il n'est pasd'étu<strong>de</strong> plus nécessaire. Tant que les Ecoles <strong>et</strong> les Académies ne l'aurontpas introduite dans leurs programmes, elles n'auront rien fait pourl'éducation définitive <strong>de</strong> l'humanité.Mais déjà nous voyons <strong>sur</strong>gir <strong>et</strong> se constituer toute une psychologiemerveilleuse <strong>et</strong> imprévue, d'où vont se dégager une nouvelle conception<strong>de</strong> l'être <strong>et</strong> <strong>la</strong> notion d'une loi supérieure qui embrasse <strong>et</strong> résout tous lesproblèmes <strong>de</strong> l'évolution <strong>et</strong> du <strong>de</strong>venir.** *Un temps s'achève ; <strong>de</strong>s temps nouveaux s'annoncent. L'heure où noussommes est une heure <strong>de</strong> crise <strong>et</strong> d'enfantement douloureux. <strong>Le</strong>s formesépuisées du passé pâlissent <strong>et</strong> s'affaissent pour faire p<strong>la</strong>ce à d'autres,d'abord vagues <strong>et</strong> confuses, mais qui se précisent <strong>de</strong> plus en plus. Enelles s'ébauche <strong>la</strong> pensée grandissante <strong>de</strong> l'humanité.L'esprit humain est en travail : partout, sous l'apparentedécomposition <strong>de</strong>s idées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s principes, partout, dans <strong>la</strong> science, dans


INTRODUCTION 11l'art, dans <strong>la</strong> philosophie <strong>et</strong> même au sein <strong>de</strong>s religions, l'observateurattentif peut constater qu'une lente <strong>et</strong> <strong>la</strong>borieuse gestation se produit. Lascience, elle <strong>sur</strong>tout, j<strong>et</strong>te à profusion <strong>de</strong>s semences aux richespromesses. <strong>Le</strong> siècle qui monte sera celui <strong>de</strong>s éclosions puissantes.<strong>Le</strong>s formes <strong>et</strong> les conceptions du passé, disions-nous, ne suffisent plus.Si respectable que paraisse c<strong>et</strong> héritage ; malgré le sentiment pieux aveclequel on peut considérer les enseignements légués par nos pères, onsent généralement, on comprend que c<strong>et</strong> enseignement n'a pas suffi àdissiper le mystère angoissant du pourquoi <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie.Cependant, on veut vivre <strong>et</strong> agir, à notre époque, avec plus d'intensitéque jamais ; mais peut-on vivre <strong>et</strong> agir pleinement sans être conscientdu but à atteindre ? L'état <strong>de</strong> l'âme contemporaine appelle, réc<strong>la</strong>me unescience, un art, une religion <strong>de</strong> lumière <strong>et</strong> <strong>de</strong> liberté qui viennent <strong>la</strong>délivrer <strong>de</strong> ses doutes, l'affranchir <strong>de</strong>s vieilles servitu<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>s misères<strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée, <strong>la</strong> gui<strong>de</strong>r vers les horizons radieux où elle se sent portéepar sa nature même <strong>et</strong> par l'impulsion <strong>de</strong> forces irrésistibles.On parle souvent <strong>de</strong> progrès ; mais qu'entend-on par progrès ? Est-celà un mot vi<strong>de</strong> <strong>et</strong> sonore, dans <strong>la</strong> bouche d'orateurs pour <strong>la</strong> plupartmatérialistes, ou bien a-t-il un sens déterminé ? Vingt civilisations ontpassé <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre, éc<strong>la</strong>irant <strong>de</strong> leurs lueurs <strong>la</strong> marche <strong>de</strong> l'humanité.<strong>Le</strong>urs grands foyers ont brillé dans <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong>s siècles, puis se sontéteints. Et l'homme ne discerne pas encore, <strong>de</strong>rrière les horizons limités<strong>de</strong> sa pensée, l'au-<strong>de</strong>là sans limites où le porte son <strong>de</strong>stin. Impuissant àdissiper le mystère qui l'entoure, il use ses forces aux oeuvres <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre<strong>et</strong> se dérobe aux splen<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> sa tâche spirituelle, celle qui fera savraie gran<strong>de</strong>ur.La foi au progrès ne va pas sans <strong>la</strong> foi en l'avenir, en l'avenir <strong>de</strong>chacun <strong>et</strong> <strong>de</strong> tous. <strong>Le</strong>s hommes ne progressent <strong>et</strong> n'avancent que s'ilscroient à c<strong>et</strong> avenir <strong>et</strong> s'ils marchent avec confiance, avec certitu<strong>de</strong> versl'idéal entrevu.<strong>Le</strong> progrès ne consiste pas seulement dans les oeuvres matérielles,dans <strong>la</strong> création <strong>de</strong> machines puissantes <strong>et</strong> <strong>de</strong> tout l'outil<strong>la</strong>ge industriel ;il ne consiste pas davantage à trouver <strong>de</strong>s procédés nouveaux d'art, <strong>de</strong>littérature ou <strong>de</strong>s formes d'éloquence. Son plus haut objectif est <strong>de</strong>saisir, d'atteindre l'idée maîtresse, l'idée mère qui fécon<strong>de</strong>ra toute <strong>la</strong> viehumaine, <strong>la</strong> source haute <strong>et</strong> pure d'où découleront à <strong>la</strong> fois les vérités,


12 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEles principes, les sentiments qui inspireront les oeuvres fortes <strong>et</strong> lesnobles actions.Il est temps <strong>de</strong> le comprendre : <strong>la</strong> civilisation ne peut grandir, <strong>la</strong>société ne peut monter que si une pensée toujours plus élevée, unelumière toujours plus vive viennent inspirer, éc<strong>la</strong>irer les esprits <strong>et</strong>toucher les coeurs en les rénovant. L'idée seule, <strong>la</strong> pensée est mère <strong>de</strong>l'action. La volonté <strong>de</strong> réaliser <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'être, toujours meilleur,toujours plus grand, peut seule nous conduire vers ces cimes lointainesoù <strong>la</strong> science, l'art, toute l'oeuvre humaine en un mot, trouvera sonépanouissement, sa régénération.Tout nous le dit : l'univers est régi par <strong>la</strong> loi d'évolution ; c'est là ceque nous entendons par le mot progrès. Et nous-mêmes, dans notreprincipe <strong>de</strong> vie, dans notre âme <strong>et</strong> notre conscience, nous sommessoumis à jamais à c<strong>et</strong>te loi. On ne saurait méconnaître aujourd'hui c<strong>et</strong>teforce souveraine qui emporte l'âme <strong>et</strong> ses oeuvres à travers l'infini dutemps <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'espace, vers un but toujours plus élevé ; mais une telle loin'est réalisable que par nos efforts.Pour faire oeuvre utile, pour coopérer à l'évolution générale <strong>et</strong> enrecueillir tous les fruits, il faut avant tout apprendre à discerner, à saisir<strong>la</strong> raison, <strong>la</strong> cause <strong>et</strong> le but <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te évolution, savoir où elle conduit,afin <strong>de</strong> participer, dans <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s forces <strong>et</strong> <strong>de</strong>s facultés quisommeillent en nous, à c<strong>et</strong>te ascension grandiose.Notre <strong>de</strong>voir est <strong>de</strong> tracer sa voie à l'humanité future, dont nousferons encore partie intégrante, comme nous l'apprennent <strong>la</strong> communion<strong>de</strong>s âmes, <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s grands Instructeurs invisibles, <strong>et</strong> comme <strong>la</strong>nature l'apprend aussi par ses milliers <strong>de</strong> voix, par le renouvellementperpétuel <strong>de</strong> toutes choses, à ceux qui savent l'étudier <strong>et</strong> <strong>la</strong> comprendre.Allons donc vers l'avenir, vers <strong>la</strong> vie toujours renaissante, par <strong>la</strong> voieimmense que nous ouvre un spiritualisme régénéré !Foi du passé, sciences, philosophies, religions, éc<strong>la</strong>irez-vous d'unef<strong>la</strong>mme nouvelle ; secouez vos vieux linceuls <strong>et</strong> les cendres qui lesrecouvrent. Ecoutez les voir révé<strong>la</strong>trices <strong>de</strong> <strong>la</strong> tombe ; elles nousapportent un renouveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée avec les secr<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là, quel'homme a besoin <strong>de</strong> connaître pour mieux vivre, mieux agir <strong>et</strong> mieuxmourir !


LE PROBLEME DE L'ETRE & DE LA DESTINEE_____________________________________________PREMIERE PARTIE-LE PROBLEME DE L'ETRE.________I. - L'EVOLUTION DE LA PENSEE.Une loi, avons-nous dit, régit l'évolution <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée, comme ellerégit l'évolution physique <strong>de</strong>s êtres <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s ; <strong>la</strong> compréhension <strong>de</strong>l'univers se développe avec les progrès <strong>de</strong> l'esprit humain.C<strong>et</strong>te conception générale <strong>de</strong> l'univers <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie a été exprimée <strong>de</strong>mille façons, sous mille formes diverses dans le passé. Elle l'estaujourd'hui en d'autres termes plus <strong>la</strong>rges <strong>et</strong> le sera toujours avec plusd'ampleur, à me<strong>sur</strong>e que l'humanité gravira les <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> son ascension.La science voit s'é<strong>la</strong>rgir sans cesse son champ d'exploration. Tous lesjours, à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses puissants instruments d'observation <strong>et</strong> d'analyse, elledécouvre <strong>de</strong> nouveaux aspects <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière, <strong>de</strong> <strong>la</strong> force <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie.Mais ce que ces instruments constatent, l'esprit l'avait discerné <strong>de</strong>puislongtemps, car l'essor <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong>vance toujours <strong>et</strong> dépasse lesmoyens d'action <strong>de</strong> <strong>la</strong> science positive. <strong>Le</strong>s instruments ne seraient rien,sans l'intelligence, sans <strong>la</strong> volonté qui les dirige.La science est incertaine <strong>et</strong> changeante, elle se renouvelle sans cesse.Ses métho<strong>de</strong>s, ses théories, ses calculs, édifiés à grand-peine, s'écroulent<strong>de</strong>vant une observation plus attentive ou une induction plus profon<strong>de</strong>,pour faire p<strong>la</strong>ce à d'autres théories, qui ne seront pas plus définitives 1 .La science nucléaire, par exemple, a renversé <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong> l'atomeindivisible qui, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux mille ans, servait <strong>de</strong> base à <strong>la</strong> physique <strong>et</strong> à1 <strong>Le</strong> professeur Ch. Rich<strong>et</strong> le reconnaît : «La science n'a jamais été qu'une série d'erreurs <strong>et</strong>d'approximations, constamment évoluant, constamment bouleversée, <strong>et</strong> ce<strong>la</strong> d'autant plus vitequ'elle était plus avancée.» (Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques, janvier 1905, p. 15.)


14 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>la</strong> chimie. Combien <strong>de</strong> découvertes analogues ont démontré dans lepassé <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> l'esprit scientifique ! Celui-ci n'atteindra le réelqu'en s'élevant au-<strong>de</strong>ssus du mirage <strong>de</strong>s faits matériels, vers <strong>la</strong> région <strong>de</strong>scauses <strong>et</strong> <strong>de</strong>s lois.C'est <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te façon que <strong>la</strong> science a pu déterminer les principesimmuables <strong>de</strong> <strong>la</strong> logique <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mathématiques. Il n'en est pas <strong>de</strong> mêmedans les autres ordres <strong>de</strong> recherches. <strong>Le</strong> savant y apporte trop souventses préjugés, ses tendances, ses routines, tous les éléments d'unepersonnalité étroite, comme nous pouvons le constater dans le domaine<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s psychiques, <strong>sur</strong>tout en France, où il s'est trouvé, jusqu'ici,assez peu <strong>de</strong> savants courageux <strong>et</strong> vraiment éc<strong>la</strong>irés pour suivre une voiedéjà <strong>la</strong>rgement frayée par les plus belles intelligences <strong>de</strong>s autres nations.Malgré tout, l'esprit humain avance pas à pas dans <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong>l'être <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'univers. Nos données <strong>sur</strong> <strong>la</strong> force <strong>et</strong> <strong>la</strong> matière se modifientchaque jour ; <strong>la</strong> personnalité humaine se révèle sous <strong>de</strong>s aspectsinattendus. En présence <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> phénomènes expérimentalementconstatés, en présence <strong>de</strong>s témoignages qui s'accumulent <strong>de</strong> toutesparts 2 , nul esprit c<strong>la</strong>irvoyant ne peut plus nier <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>sur</strong>vivance ;nul ne peut plus élu<strong>de</strong>r les conséquences morales <strong>et</strong> les responsabilitésqu'elle entraîne.Ce que nous disons <strong>de</strong> <strong>la</strong> science, on pourrait également le dire <strong>de</strong>sphilosophies <strong>et</strong> <strong>de</strong>s religions qui se sont succédé à travers les siècles.Elles constituent autant d'étapes ou <strong>de</strong> stations parcourues par l'humanitéencore enfant, s'élevant vers <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns spirituels <strong>de</strong> plus en plus vastes <strong>et</strong>qui se relient entre eux. Dans leur enchaînement, ces croyances diversesnous apparaissent comme le développement graduel <strong>de</strong> l'idéal divin,reflété dans <strong>la</strong> pensée avec d'autant plus d'éc<strong>la</strong>t <strong>et</strong> <strong>de</strong> pur<strong>et</strong>é, que celle-cis'affine <strong>et</strong> s'épure.C'est pourquoi les croyances <strong>et</strong> les connaissances d'un temps ou d'unmilieu semblent être, pour le temps ou le milieu où elles règnent, <strong>la</strong>représentation <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité telle que les hommes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te époque peuvent<strong>la</strong> saisir <strong>et</strong> <strong>la</strong> comprendre, jusqu'à ce que le développement <strong>de</strong> leursfacultés <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs consciences les ren<strong>de</strong> aptes à percevoir une formeplus haute, une radiation plus intense <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te vérité.A ce point <strong>de</strong> vue, le fétichisme lui même s'explique, malgré ses ritessang<strong>la</strong>nts. C'est le premier bégaiement <strong>de</strong> l'âme enfantine, s'essayant à2 Voir mon ouvrage Dans l'invisible : Spiritisme <strong>et</strong> Médiumnité, passim.


L'EVOLUTION DE LA PENSEE 15épeler le divin <strong>la</strong>ngage <strong>et</strong> qui fixe, sous <strong>de</strong>s traits grossiers, sous <strong>de</strong>sformes appropriées à son état mental, sa conception vague, confuse,rudimentaire, d'un mon<strong>de</strong> supérieur.<strong>Le</strong>s paganismes représentent un concept plus élevé, quoique trèsanthropomorphique. <strong>Le</strong>s dieux y sont semb<strong>la</strong>bles aux hommes ; ils enont toutes les passions, toutes les faiblesses. Mais déjà, <strong>la</strong> notion <strong>de</strong>l'idéal s'épure avec celle du bien. Un rayon <strong>de</strong> l'éternelle beauté vientfécon<strong>de</strong>r les civilisations au berceau.Plus haut voici l'idée chrétienne, toute <strong>de</strong> sacrifice, <strong>de</strong> renoncementdans son essence. <strong>Le</strong> paganisme grec était <strong>la</strong> religion <strong>de</strong> <strong>la</strong> natureradieuse ; le christianisme est celle <strong>de</strong> l'humanité souffrante, religion <strong>de</strong>scatacombes, <strong>de</strong>s cryptes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s tombeaux, qui a pris naissance dans <strong>la</strong>persécution <strong>et</strong> <strong>la</strong> douleur <strong>et</strong> gar<strong>de</strong> l'empreinte <strong>de</strong> son origine. Réactionnécessaire contre <strong>la</strong> sensualité païenne, elle <strong>de</strong>viendra, par sonexagération même, impuissante à <strong>la</strong> vaincre, car, avec le scepticisme, <strong>la</strong>sensualité renaîtra.<strong>Le</strong> christianisme, à son origine, doit être considéré comme le plusgrand effort tenté par le mon<strong>de</strong> invisible pour communiquerostensiblement avec notre humanité. C'est, suivant l'expression <strong>de</strong> F.Myers, «le premier message authentique <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là». Déjà, lesreligions païennes étaient riches en phénomènes occultes <strong>de</strong> toutes sortes<strong>et</strong> en faits <strong>de</strong> divination. Mais <strong>la</strong> ré<strong>sur</strong>rection, c'est-à-dire les apparitionsdu Christ matérialisé après sa mort, constituent <strong>la</strong> manifestation <strong>la</strong> pluspuissante dont les hommes aient été témoins. Elle fut le signal d'uneentrée en scène du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Esprits, qui se produisit <strong>de</strong> mille manièresdans les premiers temps chrétiens. Nous avons dit ailleurs 3 comment <strong>et</strong>pourquoi, peu à peu, le voile <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là s'abaissa <strong>de</strong> nouveau <strong>et</strong> lesilence se fit, sauf pour quelques privilégiés : voyants, extatiques,prophètes.Nous assistons aujourd'hui à une nouvelle poussée du mon<strong>de</strong> invisibledans l'histoire. <strong>Le</strong>s manifestations <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là, <strong>de</strong> passagères <strong>et</strong> isolées,ten<strong>de</strong>nt à <strong>de</strong>venir permanentes <strong>et</strong> universelles. Une voie s'établit entre les<strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s, d'abord simple piste, étroit sentier, mais qui s'é<strong>la</strong>rgit,s'améliore peu à peu <strong>et</strong> <strong>de</strong>viendra une route <strong>la</strong>rge <strong>et</strong> sûre. <strong>Le</strong>christianisme a eu pour point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong>s phénomènes d'une naturesemb<strong>la</strong>ble à ceux que l'on constate <strong>de</strong> nos jours dans le domaine <strong>de</strong>s3 Voir Christianisme <strong>et</strong> Spiritisme, chap. V.


16 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEsciences psychiques. C'est par ces faits que se révèlent l'influence <strong>et</strong>l'action d'un mon<strong>de</strong> spirituel, véritable <strong>de</strong>meure <strong>et</strong> patrie éternelle <strong>de</strong>sâmes. Par eux, une trouée bleue s'ouvre <strong>sur</strong> <strong>la</strong> vie infinie ; l'espérance varenaître dans les coeurs angoissés, <strong>et</strong> l'humanité se réconciliera avec <strong>la</strong>mort.** *<strong>Le</strong>s religions ont contribué puissamment à l'éducation humaine ; ellesont opposé un frein aux passions violentes, à <strong>la</strong> barbarie <strong>de</strong>s âges <strong>de</strong> fer,<strong>et</strong> gravé fortement <strong>la</strong> notion morale au fond <strong>de</strong>s consciences.L'esthétique religieuse a enfanté <strong>de</strong>s chefs d'oeuvre dans tous lesdomaines ; elle a participé dans une <strong>la</strong>rge me<strong>sur</strong>e à <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion d'art <strong>et</strong><strong>de</strong> beauté qui se poursuit à travers les siècles. L'art grec avait créé <strong>de</strong>smerveilles. L'art chrétien a atteint le sublime dans ces cathédralesgothiques qui se dressent, bibles <strong>de</strong> pierre, sous le ciel, avec leurs fièrestours sculptées, leurs nefs imposantes, qu'emplissent les vibrations <strong>de</strong>sorgues <strong>et</strong> <strong>de</strong>s chants sacrés, leurs hautes ogives, d'où <strong>la</strong> lumière <strong>de</strong>scendà flots <strong>et</strong> ruisselle <strong>sur</strong> les fresques <strong>et</strong> les statues ; mais son rôle s'achève,car, déjà, il se copie, ou se repose, comme épuisé.L'erreur religieuse, <strong>et</strong> <strong>sur</strong>tout l'erreur catholique, n'est pas <strong>de</strong> l'ordreesthétique, lequel ne trompe pas : elle est <strong>de</strong> l'ordre logique. Elle consisteà enfermer <strong>la</strong> religion en <strong>de</strong>s dogmes étroits, en <strong>de</strong>s formes rigi<strong>de</strong>s. Alorsque le mouvement est <strong>la</strong> loi même <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, le catholicisme a immobilisé<strong>la</strong> pensée, au lieu <strong>de</strong> provoquer son essor.Il est dans <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> l'homme d'épuiser toutes les formes d'une idée,<strong>de</strong> se porter aux extrêmes, avant <strong>de</strong> reprendre le cours normal <strong>de</strong> sonévolution. Chaque vérité religieuse, affirmée par un novateur, s'affaiblit<strong>et</strong> s'altère par <strong>la</strong> suite, les disciples étant presque toujours incapables <strong>de</strong>se maintenir à <strong>la</strong> hauteur où le maître les a attirés. La doctrine <strong>de</strong>vient,dès lors, une source d'abus <strong>et</strong> provoque, peu à peu, un mouvementcontraire dans le sens du scepticisme <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> négation. A <strong>la</strong> foi aveuglesuccè<strong>de</strong> l'incrédulité ; le matérialisme fait son oeuvre ; <strong>et</strong> c'est seulementlorsqu'il a montré toute son impuissance dans l'ordre social qu'unerénovation idéaliste <strong>de</strong>vient possible.Dès les premiers temps du christianisme, <strong>de</strong>s courants divers :judaïque, hellénique, gnostique, se mêlent <strong>et</strong> se heurtent dans le lit <strong>de</strong> <strong>la</strong>religion naissante. Des schismes éc<strong>la</strong>tent ; les déchirements, les conflits


L'EVOLUTION DE LA PENSEE 17se succè<strong>de</strong>nt, au milieu <strong>de</strong>squels <strong>la</strong> pensée du Christ se voile peu à peu <strong>et</strong>s'obscurcit. Nous avons montré 4 <strong>de</strong> quelles altérations, <strong>de</strong> quelsremaniements successifs <strong>la</strong> doctrine chrétienne a été l'obj<strong>et</strong> à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong>sâges. <strong>Le</strong> véritable christianisme était une loi d'amour <strong>et</strong> <strong>de</strong> liberté ; leséglises en ont fait une loi <strong>de</strong> crainte <strong>et</strong> d'asservissement. De làl'éloignement graduel <strong>de</strong>s penseurs pour l'Église ; <strong>de</strong> là l'affaiblissement<strong>de</strong> l'esprit religieux dans notre pays.A <strong>la</strong> faveur du trouble qui envahit les esprits <strong>et</strong> les consciences, lematérialisme a gagné du terrain. Sa morale, prétendue scientifique, quiproc<strong>la</strong>me <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte pour <strong>la</strong> vie, <strong>la</strong> disparition <strong>de</strong>s faibles <strong>et</strong><strong>la</strong> sélection <strong>de</strong>s forts, règne aujourd'hui presque en souveraine dans <strong>la</strong>vie publique comme dans <strong>la</strong> vie privée. Toutes les activités se portentvers <strong>la</strong> conquête du bien-être <strong>et</strong> <strong>de</strong>s jouissances physiques. Fauted'entraînement moral <strong>et</strong> <strong>de</strong> discipline, les ressorts <strong>de</strong> l'âme française sedéten<strong>de</strong>nt ; le ma<strong>la</strong>ise <strong>et</strong> <strong>la</strong> discor<strong>de</strong> se glissent partout, dans <strong>la</strong> famille,dans <strong>la</strong> nation. C'est là, disions-nous, une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> crise. Rien nemeurt, malgré les apparences ; tout se transforme <strong>et</strong> se renouvelle. <strong>Le</strong>doute qui assiège les âmes à notre époque prépare <strong>la</strong> voie auxconvictions <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, à <strong>la</strong> foi intelligente <strong>et</strong> éc<strong>la</strong>irée qui régnera <strong>sur</strong>l'avenir <strong>et</strong> s'étendra à tous les peuples, à toutes les races.Quoique jeune encore <strong>et</strong> divisée par les nécessités <strong>de</strong> territoire, <strong>de</strong>distance, <strong>de</strong> climat, l'humanité a commencé à prendre conscience d'ellemême.Au-<strong>de</strong>ssus, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s antagonismes politiques <strong>et</strong> religieux, <strong>de</strong>sgroupements d'intelligences se constituent. Des hommes hantés <strong>de</strong>smêmes problèmes, aiguillonnés par les mêmes soucis, inspirés <strong>de</strong>l'Invisible, travaillent à une oeuvre commune <strong>et</strong> poursuivent les mêmessolutions. Peu à peu, les éléments d'une science psychologique <strong>et</strong> d'unecroyance universelle apparaissent, se fortifient, s'éten<strong>de</strong>nt. Nombre <strong>de</strong>témoins impartiaux y voient le prélu<strong>de</strong> d'un mouvement <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée quitend à embrasser toutes les sociétés <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre 5 .L'idée religieuse achève <strong>de</strong> parcourir son cycle inférieur, <strong>et</strong> les p<strong>la</strong>nsd'une spiritualité plus haute se <strong>de</strong>ssinent. On peut dire que <strong>la</strong> religion est4 Christianisme <strong>et</strong> Spiritisme (première partie, passim).5 Sir O. Lodge, qui fut recteur <strong>de</strong> l'Université <strong>de</strong> Birmingham, membre <strong>de</strong> l'Académie royale,voyait dans les étu<strong>de</strong>s psychiques l'avènement prochain d'une nouvelle religion plus libre(Annales <strong>de</strong>s Sciences Psychiques, décembre 1905, p.765.)Voir aussi Maxwell, procureur général à <strong>la</strong> Cour d'appel <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux, les PhénomènesPsychiques, p. 11.


18 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEl'effort <strong>de</strong> l'humanité pour communier avec l'essence éternelle <strong>et</strong> divine.Voilà pourquoi il y aura toujours <strong>de</strong>s religions <strong>et</strong> <strong>de</strong>s cultes, <strong>de</strong> plus enplus <strong>la</strong>rges <strong>et</strong> conformes aux lois supérieures <strong>de</strong> l'esthétique, qui sontl'expression <strong>de</strong> l'harmonie universelle. <strong>Le</strong> beau, dans ses règles les plusélevées, est une loi divine, <strong>et</strong> ses manifestations, en se rattachant à l'idée<strong>de</strong> Dieu, revêtiront forcément un caractère religieux.A me<strong>sur</strong>e que <strong>la</strong> pensée mûrit, <strong>de</strong>s missionnaires <strong>de</strong> tous ordresviennent provoquer <strong>la</strong> rénovation religieuse au sein <strong>de</strong>s humanités. Nousassistons au prélu<strong>de</strong> d'une <strong>de</strong> ces rénovations, plus gran<strong>de</strong> <strong>et</strong> plusprofon<strong>de</strong> que les précé<strong>de</strong>ntes. Elle n'a plus seulement <strong>de</strong>s hommes pourmandataires <strong>et</strong> pour interprètes, ce qui rendrait c<strong>et</strong>te nouvelledispensation aussi précaire que les autres. Ce sont les Espritsinspirateurs, les génies <strong>de</strong> l'espace, qui exercent à <strong>la</strong> fois leur action <strong>sur</strong>toute <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face du globe <strong>et</strong> dans tous les domaines <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée. Sur tousles points, un nouveau spiritualisme apparaît. Et aussitôt, <strong>la</strong> question sepose : Qu'es-tu ? lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>-t-on : science ou religion ? Esprits étroits,croyez-vous donc que <strong>la</strong> pensée doive suivre éternellement les ornièresque le passé a creusé !Jusqu'ici, tous les domaines intellectuels ont été séparés les uns <strong>de</strong>sautres, enclos <strong>de</strong> barrières, <strong>de</strong> murailles : <strong>la</strong> science d'un côté, <strong>la</strong> religion<strong>de</strong> l'autre ; <strong>la</strong> philosophie <strong>et</strong> <strong>la</strong> métaphysique sont hérissées <strong>de</strong>broussailles impénétrables. Alors que tout est simple, vaste <strong>et</strong> profonddans le domaine <strong>de</strong> l'âme comme dans celui <strong>de</strong> l'univers, l'esprit <strong>de</strong>système a tout compliqué, rétréci, divisé. La religion a été murée dans <strong>la</strong>sombre geôle <strong>de</strong>s dogmes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mystères ; <strong>la</strong> science, emprisonnée dansles plus bas étages <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière. Là, n'est pas <strong>la</strong> vraie religion, ni <strong>la</strong> vraiescience. Il suffira <strong>de</strong> s'élever au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ces c<strong>la</strong>ssifications arbitrairespour comprendre que tout se concilie <strong>et</strong> se réconcilie dans une visionplus haute.Est-ce que, dès aujourd'hui, notre science, quoique élémentaire, dèsqu'elle se livre à l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'espace <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s, ne provoque pasaussitôt un sentiment d'enthousiasme, d'admiration presque religieuse ?Lisez les ouvrages <strong>de</strong>s grands astronomes, <strong>de</strong>s mathématiciens <strong>de</strong> génie.Ils vous diront que l'univers est un prodige <strong>de</strong> sagesse, d'harmonie, <strong>de</strong>beauté, <strong>et</strong> que, déjà, dans <strong>la</strong> pénétration <strong>de</strong>s lois supérieures, se réalisel'union <strong>de</strong> <strong>la</strong> science, <strong>de</strong> l'art <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion par <strong>la</strong> vision <strong>de</strong> Dieu dans


L'EVOLUTION DE LA PENSEE 19son oeuvre. Parvenue à ces hauteurs, l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>vient une contemp<strong>la</strong>tion<strong>et</strong> <strong>la</strong> pensée se change en prière !<strong>Le</strong> spiritualisme mo<strong>de</strong>rne va accentuer, développer c<strong>et</strong>te tendance, luidonner un sens plus c<strong>la</strong>ir <strong>et</strong> plus précis. Par son côté expérimental, iln'est encore qu'une science ; par le but <strong>de</strong> ses recherches, il plonge àtravers les régions invisibles <strong>et</strong> s'élève jusqu'aux sources éternelles d'oùdécoulent toute force <strong>et</strong> toute vie. Par là, il unit l'homme à <strong>la</strong> Puissancedivine <strong>et</strong> <strong>de</strong>vient une doctrine, une philosophie religieuse. Il est, <strong>de</strong> plus,le lien qui réunit <strong>de</strong>ux humanités. Par lui, les esprits prisonniers dans <strong>la</strong>chair <strong>et</strong> ceux qui en sont délivrés s'appellent, se répon<strong>de</strong>nt ; entre eux,une véritable communion s'établit.Il ne faut donc pas voir là une religion dans le sens étroit, dans le sensactuel <strong>de</strong> ce mot. <strong>Le</strong>s religions <strong>de</strong> notre temps veulent <strong>de</strong>s dogmes <strong>et</strong> <strong>de</strong>sprêtres, <strong>et</strong> <strong>la</strong> doctrine nouvelle n'en comporte pas. Elle est ouverte à tousles chercheurs ; l'esprit <strong>de</strong> libre critique, d'examen <strong>et</strong> <strong>de</strong> contrôle prési<strong>de</strong>à ses investigations.<strong>Le</strong>s dogmes <strong>et</strong> les prêtres sont nécessaires, <strong>et</strong> le seront longtempsencore, aux âmes jeunes <strong>et</strong> timi<strong>de</strong>s qui pénètrent chaque jour dans lecercle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie terrestre <strong>et</strong> ne peuvent se diriger seules dans <strong>la</strong> voie <strong>de</strong> <strong>la</strong>connaissance, ni analyser leurs besoins <strong>et</strong> leurs sensations.<strong>Le</strong> spiritualisme mo<strong>de</strong>rne s'adresse <strong>sur</strong>tout aux âmes évoluées, auxesprits libres <strong>et</strong> majeurs, qui veulent trouver par eux-mêmes <strong>la</strong> solution<strong>de</strong>s grands problèmes <strong>et</strong> <strong>la</strong> formule <strong>de</strong> leur Credo. Il leur offre uneconception, une interprétation <strong>de</strong>s vérités <strong>et</strong> <strong>de</strong>s lois universelles, basée<strong>sur</strong> l'expérimentation, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> raison <strong>et</strong> <strong>sur</strong> l'enseignement <strong>de</strong>s Esprits.Ajoutez-y <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs <strong>et</strong> <strong>de</strong>s responsabilités, qui, seule,donne une base soli<strong>de</strong> à notre instinct <strong>de</strong> justice. Puis, avec <strong>la</strong> forcemorale, les satisfactions du coeur, <strong>la</strong> joie <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver, au moins par <strong>la</strong>pensée, quelquefois même par <strong>la</strong> forme 6 , les êtres aimés que l'on croyaitperdus. A <strong>la</strong> preuve <strong>de</strong> leur <strong>sur</strong>vivance, se joint <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> lesrejoindre <strong>et</strong> <strong>de</strong> revivre avec eux <strong>de</strong>s vies sans nombre, vies d'ascension,<strong>de</strong> bonheur ou <strong>de</strong> progrès.Ainsi, graduellement, les problèmes les plus obscurs s'éc<strong>la</strong>irent ; l'Au<strong>de</strong>làs'entrouvre ; le côté divin <strong>de</strong>s êtres <strong>et</strong> <strong>de</strong>s choses se révèle. Par <strong>la</strong>force <strong>de</strong> ces enseignements, tôt ou tard, l'âme humaine montera, <strong>et</strong>, <strong>de</strong>shauteurs atteintes, elle verra que tout se relie, que les différentes6 Voir Dans l'Invibible : Apparitions <strong>et</strong> matérialisations d'Esprits.


20 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEthéories, contradictoires <strong>et</strong> hostiles en apparence, ne sont que les aspectsdivers d'un même tout. <strong>Le</strong>s lois du majestueux univers se résumeront,pour elle, en une loi unique, à <strong>la</strong> fois force intelligente <strong>et</strong> consciente,mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> pensée <strong>et</strong> d'action. Et par là, tous les mon<strong>de</strong>s, tous les êtres s<strong>et</strong>rouveront reliés dans une même unité puissante, associés dans unemême harmonie, entraînés vers un même but.Un jour viendra où tous les p<strong>et</strong>its systèmes, étroits <strong>et</strong> vieillis, sefondront en une vaste synthèse, embrassant tous les royaumes <strong>de</strong> l'idée.Sciences, philosophies, religions, aujourd'hui divisées, se rejoindrontdans <strong>la</strong> lumière <strong>et</strong> ce sera <strong>la</strong> vie, <strong>la</strong> splen<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> l'esprit, le règne <strong>de</strong> <strong>la</strong>Connaissance.Dans c<strong>et</strong> accord magnifique, les sciences fourniront <strong>la</strong> précision <strong>et</strong> <strong>la</strong>métho<strong>de</strong> dans l'ordre <strong>de</strong>s faits ; les philosophies, <strong>la</strong> rigueur <strong>de</strong> leursdéductions logiques ; <strong>la</strong> poésie, l'irradiation <strong>de</strong> ses lumières <strong>et</strong> <strong>la</strong> magie<strong>de</strong> ses couleurs. La religion y ajoutera les qualités du sentiment <strong>et</strong> <strong>la</strong>notion d'esthétique élevée. Ainsi se réaliseront <strong>la</strong> beauté dans <strong>la</strong> force <strong>et</strong>l'unité <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée. L'âme s'orientera vers les plus hautes cimes, tout enmaintenant l'équilibre <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tion nécessaire qui doit régler <strong>la</strong> marcheparallèle <strong>et</strong> rythmée <strong>de</strong> l'intelligence <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience, dans leurascension à <strong>la</strong> conquête du Bien <strong>et</strong> du Vrai.II. - LE CRITERIUM DE LA DOCTRINE DES ESPRITS.<strong>Le</strong> spiritualisme mo<strong>de</strong>rne repose <strong>sur</strong> tout un ensemble <strong>de</strong> faits : lesuns, simplement physiques, nous ont révélé l'existence <strong>et</strong> le mo<strong>de</strong>d'action <strong>de</strong> forces longtemps inconnues ; les autres ont un caractèreintelligent, ce sont : l'écriture directe ou automatique, <strong>la</strong> typtologie, lesdiscours prononcés dans <strong>la</strong> transe ou incorporation. Toutes cesmanifestations, nous les avons passées en revue <strong>et</strong> analysées ailleurs 1 .Nous avons vu qu'elles s'accompagnent fréquemment <strong>de</strong> marques, <strong>de</strong>preuves établissant l'i<strong>de</strong>ntité <strong>et</strong> l'intervention d'âmes humaines qui ontvécu <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> sont libérées par <strong>la</strong> mort.1 Voir Dans l'Invisible : Spiritisme <strong>et</strong> Médiumnité, <strong>de</strong>uxième partie. Nous ne parlons ici que<strong>de</strong>s seuls faits spirites <strong>et</strong> non <strong>de</strong>s faits d'animisme ou manifestations <strong>de</strong>s vivants à distance.


LE CRITERIUM DE LA DOCTRINE DES ESPRITS 21C'est au moyen <strong>de</strong> ces phénomènes que les Esprits 2 ont répandu leursenseignements dans le mon<strong>de</strong>, <strong>et</strong> ces enseignements ont été, comme nousle verrons, confirmés <strong>sur</strong> bien <strong>de</strong>s points par l'expérience.<strong>Le</strong> nouveau spiritualisme s'adresse donc à <strong>la</strong> fois aux sens <strong>et</strong> àl'intelligence. Expérimental, quand il étudie les phénomènes qui luiservent <strong>de</strong> base ; rationnel, quand il contrôle les enseignements qui endécoulent, il constitue un instrument puissant pour <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong>vérité, puisqu'il peut servir simultanément dans tous les domaines <strong>de</strong> <strong>la</strong>connaissance.<strong>Le</strong>s révé<strong>la</strong>tions <strong>de</strong>s Esprits, disions-nous, sont confirmées parl'expérience. Sous le nom <strong>de</strong> flui<strong>de</strong>s, les Esprits nous ont enseignéthéoriquement <strong>et</strong> démontré pratiquement, dès 1850 3 , l'existence <strong>de</strong>sforces impondérables que <strong>la</strong> science rej<strong>et</strong>ait a priori. <strong>Le</strong> premier parmiles savants jouissant d'une gran<strong>de</strong> autorité, sir W. Crookes a constaté,<strong>de</strong>puis, <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong> ces forces, <strong>et</strong> <strong>la</strong> science actuelle en reconnaît chaquejour l'importance <strong>et</strong> <strong>la</strong> variété, grâce aux découvertes célèbres <strong>de</strong>Roentgen, Hertz, Becquerel, Curie, G. <strong>Le</strong> Bon, <strong>et</strong>c..<strong>Le</strong>s Esprits affirmaient <strong>et</strong> démontraient l'action possible <strong>de</strong> l'âme <strong>sur</strong>l'âme, à toutes distances, sans le secours <strong>de</strong>s organes, <strong>et</strong> c<strong>et</strong> ordre <strong>de</strong> faitsne soulevait pas moins d'opposition <strong>et</strong> d'incrédulité.Or, les phénomènes <strong>de</strong> <strong>la</strong> télépathie, <strong>de</strong> <strong>la</strong> suggestion mentale, <strong>de</strong> <strong>la</strong>transmission <strong>de</strong>s pensées, observés <strong>et</strong> provoqués aujourd'hui en tousmilieux, sont venus, par milliers, confirmer ces révé<strong>la</strong>tions.<strong>Le</strong>s Esprits enseignaient <strong>la</strong> préexistence, <strong>la</strong> <strong>sur</strong>vivance, les viessuccessives <strong>de</strong> l'âme.2 Nous appelons Esprit l'âme revêtue <strong>de</strong> son corps subtil.3 Voir Al<strong>la</strong>n Kar<strong>de</strong>c, le Livre <strong>de</strong>s Esprits, le Livre <strong>de</strong>s Médiums.On peut lire dans <strong>la</strong> Revue spirite <strong>de</strong> 1860, page 81, un message <strong>de</strong> l'esprit du docteur Vignal,déc<strong>la</strong>rant que les corps rayonnent <strong>de</strong> <strong>la</strong> lumière obscure. N'est-ce pas là <strong>la</strong> radioactivitéconstatée par <strong>la</strong> science actuelle, mais qui était ignorée par <strong>la</strong> science d'alors ?Voici ce qui a été écrit en 1867 par Al<strong>la</strong>n Kar<strong>de</strong>c, dans <strong>la</strong> Genèse (les flui<strong>de</strong>s) page 305 :«Qui connaît <strong>la</strong> constitution intime <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière tangible ? Elle n'est peut être compacte quepar rapport à nos sens, <strong>et</strong> ce qui le prouverait, c'est <strong>la</strong> facilité avec <strong>la</strong>quelle elle est traverséepar les flui<strong>de</strong>s spirituels <strong>et</strong> les Esprits, auxquels elle ne fait pas plus d'obstacle que les corpstransparents n'en font à <strong>la</strong> lumière.La matière tangible, ayant pour élément primitif le flui<strong>de</strong> cosmique éthéré, doit pouvoir, en sedésagrégeant, r<strong>et</strong>ourner à l'état d'éthérisation, comme le diamant, le plus dur <strong>de</strong>s corps, peutse vo<strong>la</strong>tiliser en gaz impalpable. La solidification <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière n'est en réalité qu'un étattransitoire du flui<strong>de</strong> universel, qui peut r<strong>et</strong>ourner à son état primitif quand les conditions <strong>de</strong>cohésion cessent d'exister.»


22 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEEt voici que les expériences <strong>de</strong> F. Co<strong>la</strong>vida, E. Marata, celles ducolonel <strong>de</strong> Rochas, les miennes, <strong>et</strong>c., établissent que non seulement lessouvenirs <strong>de</strong>s moindres détails <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie actuelle, jusque dans <strong>la</strong> plustendre enfance, mais encore ceux <strong>de</strong>s vies antérieures, sont gravés dansles replis cachés <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience. Tout un passé, voilé à l'état <strong>de</strong> veille,reparaît, revit dans <strong>la</strong> transe. En eff<strong>et</strong>, ces souvenirs ont pu êtrereconstitués chez un certain nombre <strong>de</strong> suj<strong>et</strong>s endormis, comme nousl'établirons plus loin, lorsque nous abor<strong>de</strong>rons plus spécialement c<strong>et</strong>tequestion 4 .On le voit, le spiritualisme mo<strong>de</strong>rne ne saurait, à l'exemple <strong>de</strong>sanciennes doctrines spiritualistes, être considéré comme un pur conceptmétaphysique. Il se présente avec un tout autre caractère <strong>et</strong> répond auxexigences d'une génération élevée à l'école du criticisme <strong>et</strong> durationalisme, rendue défiante par les exagérations d'un mysticismema<strong>la</strong>dif <strong>et</strong> agonisant.Croire ne suffit plus aujourd'hui ; on veut savoir. Aucune conceptionphilosophique ou morale n'a chance <strong>de</strong> succès si elle ne s'appuie <strong>sur</strong> unedémonstration à <strong>la</strong> fois logique, mathématique <strong>et</strong> positive <strong>et</strong> si, en outre,elle n'est couronnée par une sanction qui satisfasse tous nos instincts <strong>de</strong>justice.On peut remarquer que ces conditions, Al<strong>la</strong>n Kar<strong>de</strong>c les a parfaitementremplies dans le magistral exposé que contient son Livre <strong>de</strong>s Esprits.Ce livre est le résultat d'un immense travail <strong>de</strong> c<strong>la</strong>ssement, <strong>de</strong>coordination, d'élimination portant <strong>sur</strong> d'innombrables messages, venus<strong>de</strong> sources diverses, inconnues les unes <strong>de</strong>s autres, messages obtenus <strong>sur</strong>tous les points du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> que ce compi<strong>la</strong>teur éminent a réuni, aprèss'être as<strong>sur</strong>é <strong>de</strong> leur authenticité. Il a eu soin d'écarter les opinionsisolées, les témoignages douteux, pour ne r<strong>et</strong>enir que les points <strong>sur</strong>lesquels les affirmations étaient concordantes.Ce travail est loin d'être terminé. Il se poursuit tous les jours, <strong>de</strong>puis <strong>la</strong>mort du grand initiateur. Déjà nous possédons une synthèse puissante,dont Kar<strong>de</strong>c a tracé les gran<strong>de</strong>s lignes <strong>et</strong> que les héritiers <strong>de</strong> sa pensées'efforcent <strong>de</strong> développer avec le concours du mon<strong>de</strong> invisible. Chacund'eux apporte son grain <strong>de</strong> sable à l'édifice commun, à c<strong>et</strong> édifice dont4 Voir Compte rendu du Congrès spirite <strong>de</strong> 1900, pages 349, 350. Voir aussi A. <strong>de</strong> Rochas, lesVies successives, Chacornac, édit., 1911.


LE CRITERIUM DE LA DOCTRINE DES ESPRITS 23les bases se fortifient chaque jour par l'expérimentation scientifique,mais dont le couronnement s'élèvera toujours plus haut.Moi-même, je puis le dire, j'ai été favorisé <strong>de</strong>s enseignements <strong>de</strong>gui<strong>de</strong>s spirituels, dont l'assistance <strong>et</strong> les conseils ne m'ont jamais faitdéfaut <strong>de</strong>puis quarante années. <strong>Le</strong>urs révé<strong>la</strong>tions ont pris un caractèreparticulièrement didactique au cours <strong>de</strong> séances qui se sont succédépendant huit ans <strong>et</strong> dont j'ai souvent parlé dans un précé<strong>de</strong>nt ouvrage 5 .Dans l'oeuvre d'Al<strong>la</strong>n Kar<strong>de</strong>c, l'enseignement <strong>de</strong>s Esprits estaccompagné, pour chaque question, <strong>de</strong> considérations, <strong>de</strong> commentaires,d'éc<strong>la</strong>ircissements qui font ressortir avec plus <strong>de</strong> n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong>sprincipes <strong>et</strong> l'harmonie <strong>de</strong> l'ensemble. C'est en ce<strong>la</strong> que se montrent lesqualités <strong>de</strong> l'auteur. Il s'est attaché, avant tout, à donner un sens c<strong>la</strong>ir <strong>et</strong>précis aux expressions qui reviennent habituellement dans sonraisonnement philosophique ; puis à bien définir les termes quipouvaient être interprétés dans <strong>de</strong>s sens différents. Il savait que <strong>la</strong>confusion qui règne dans <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s systèmes provient du défaut <strong>de</strong>c<strong>la</strong>rté <strong>de</strong>s expressions familières à leurs auteurs.Une autre règle, non moins essentielle dans tout exposé méthodique <strong>et</strong>qu'Al<strong>la</strong>n Kar<strong>de</strong>c a scrupuleusement observé, est celle qui consiste àcirconscrire les idées <strong>et</strong> à les présenter dans <strong>de</strong>s conditions qui lesren<strong>de</strong>nt compréhensibles pour tout lecteur. Enfin, après avoir développéces idées dans un ordre <strong>et</strong> par un enchaînement qui les reliaient entreelles, il a su en dégager <strong>de</strong>s conclusions, qui constituent déjà, dansl'ordre rationnel <strong>et</strong> dans <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong>s concepts humains, une réalité, unecertitu<strong>de</strong>.C'est pourquoi nous nous proposons d'adopter ici les termes, les vues,les métho<strong>de</strong>s utilisés par Al<strong>la</strong>n Kar<strong>de</strong>c, comme étant les plus sûrs, ennous réservant d'ajouter à notre travail tous les développements résultant<strong>de</strong>s cinquante années <strong>de</strong> recherches <strong>et</strong> d'expérimentation qui se sontécoulées <strong>de</strong>puis l'apparition <strong>de</strong> ses oeuvres.On le voit donc par tout ceci, <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s Esprits, dont Kar<strong>de</strong>c étaitl'interprète <strong>et</strong> le compi<strong>la</strong>teur judicieux, réunit, au même titre que lessystèmes philosophiques les plus appréciés, les qualités essentielles <strong>de</strong>c<strong>la</strong>rté, <strong>de</strong> logique <strong>et</strong> <strong>de</strong> rigueur.Mais, ce qu'aucun système ne pouvait offrir, c'est l'imposant ensemble<strong>de</strong> manifestations à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>squelles c<strong>et</strong>te doctrine s'est affirmée d'abord5 Voir Dans l'Invisible, passim.


24 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEdans le mon<strong>de</strong>, puis a pu être contrôlée, chaque jour, en tous milieux.Elle s'adresse aux hommes <strong>de</strong> tous rangs, <strong>de</strong> toutes conditions, <strong>et</strong> nonseulement à leurs sens, à leur intelligence, mais aussi à ce qu'il y a <strong>de</strong>meilleur en eux, à leur raison, à leur conscience. Ces puissances intimesne constituent-elles pas, dans leur union, un critérium du bien <strong>et</strong> du mal,du vrai <strong>et</strong> du faux, plus ou moins c<strong>la</strong>ir ou voilé, sans doute, selonl'avancement <strong>de</strong>s âmes, mais qu'on r<strong>et</strong>rouve en chacune d'elles commeun refl<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'éternelle raison dont elles émanent ?** *Il y a <strong>de</strong>ux choses dans <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s Esprits : une révé<strong>la</strong>tion dumon<strong>de</strong> spirituel <strong>et</strong> une découverte humaine ; c'est-à-dire : d'une part, unenseignement universel, extra-terrestre, i<strong>de</strong>ntique à lui-même dans sesparties essentielles <strong>et</strong> son sens général ; <strong>de</strong> l'autre, une confirmationpersonnelle <strong>et</strong> humaine, qui se poursuit suivant les règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> logique,<strong>de</strong> l'expérience <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison. La conviction qui s'en dégage se fortifie<strong>et</strong> se précise <strong>de</strong> plus en plus, à me<strong>sur</strong>e que les communications<strong>de</strong>viennent plus nombreuses <strong>et</strong> que, par ce<strong>la</strong> même, les moyens <strong>de</strong>vérification se multiplient <strong>et</strong> s'éten<strong>de</strong>nt.Nous n'avions connu jusqu'ici que <strong>de</strong>s systèmes personnels, <strong>de</strong>srévé<strong>la</strong>tions particulières. Aujourd'hui, ce sont <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> voix, lesvoix <strong>de</strong>s défunts, qui se font entendre. <strong>Le</strong> mon<strong>de</strong> invisible entre enaction, <strong>et</strong> dans le nombre <strong>de</strong> ses agents, d'éminents Esprits se <strong>la</strong>issentreconnaître par <strong>la</strong> force <strong>et</strong> <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong> leurs enseignements. <strong>Le</strong>s grandsgénies <strong>de</strong> l'espace, poussés par une impulsion divine, viennent gui<strong>de</strong>r <strong>la</strong>pensée vers <strong>de</strong> radieux somm<strong>et</strong>s 6 .N'y a-t-il pas là une dispensation autrement vaste <strong>et</strong> grandiose qu<strong>et</strong>outes celles du passé ? La différence dans les moyens n'a d'égale quecelle <strong>de</strong>s résultats. Comparons :La révé<strong>la</strong>tion personnelle est faillible. Tous les systèmesphilosophiques humains, toutes les théories individuelles, aussi bien6 Voir les communications publiées par Al<strong>la</strong>n Kar<strong>de</strong>c dans le Livre <strong>de</strong>s Esprits <strong>et</strong> le Ciel <strong>et</strong>l'Enfer ;Enseignements spiritualistes obtenus par Stainton Moses.Nous signalerons aussi : le Problème <strong>de</strong> l'Au-Delà (Conseils <strong>de</strong>s Invisibles), recueil <strong>de</strong>messages publiés par le général Ama<strong>de</strong>. <strong>Le</strong>ymarie, Paris, 1902 ; Sur le Chemin..., par AlbertPauchard <strong>et</strong> La Vie continue <strong>de</strong> l'Ame, par A. Naschitz-Rousseau, recueils <strong>de</strong> messages d'unpuissant intérêt (Editions Jean Meyer, Paris, 1922).


LE CRITERIUM DE LA DOCTRINE DES ESPRITS 25celles d'Aristote, <strong>de</strong> Thomas d'Aquin, <strong>de</strong> Kant, <strong>de</strong> Descartes, <strong>de</strong> Spinozaque celles <strong>de</strong> nos contemporains, sont nécessairement influencées par lesopinions, les tendances, les préjugés, les sentiments du révé<strong>la</strong>teur. Il enest <strong>de</strong> même pour les conditions <strong>de</strong> temps <strong>et</strong> <strong>de</strong> lieu dans lesquelles ellesse produisent. On pourrait en dire autant <strong>de</strong>s doctrines religieuses.La révé<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s Esprits, impersonnelle, universelle, échappe à <strong>la</strong>plupart <strong>de</strong> ces influences, en même temps qu'elle réunit <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong>somme <strong>de</strong> probabilités, sinon <strong>de</strong> certitu<strong>de</strong>s. Elle ne peut être ni étouffée,ni dénaturée. Aucun homme, aucune nation, aucune église n'en a leprivilège. Elle défie toutes les inquisitions <strong>et</strong> se produit là où l'on s'attendle moins à <strong>la</strong> rencontrer. On a vu les hommes qui lui étaient le plushostiles, ramenés à d'autres vues par <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong>s manifestations,remués jusqu'au fond <strong>de</strong> l'âme par les appels <strong>et</strong> les exhortations <strong>de</strong> leursproches décédés, se faire d'eux-mêmes les instruments d'une activepropagan<strong>de</strong>.<strong>Le</strong>s avertis comme saint Paul ne manquent pas dans le spiritisme, <strong>et</strong> cesont <strong>de</strong>s phénomènes d'un ordre semb<strong>la</strong>ble à celui du «chemin <strong>de</strong>Damas» qui ont provoqué leur changement d'opinion.<strong>Le</strong>s Esprits ont suscité <strong>de</strong> nombreux médiums dans tous les milieux,au sein <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses <strong>et</strong> <strong>de</strong>s partis les plus divers <strong>et</strong> même jusqu'au fond <strong>de</strong>ssanctuaires. Des prêtres, <strong>de</strong>s pasteurs ont reçu leurs instructions <strong>et</strong> lesont propagées ouvertement ou bien sous le voile <strong>de</strong> l'anonymat 7 . <strong>Le</strong>ursparents, leurs amis défunts, remplissaient près d'eux l'office <strong>de</strong> maîtres <strong>et</strong>7 Voir Raphaël, le Doute ; P. Marchal, l'Esprit conso<strong>la</strong>teur. (Paris, Didier <strong>et</strong> Cie, édit., 1878.)Révérend Stainton Moses, Enseignements spiritualistes.<strong>Le</strong> Père Didon écrivait (4 août 1876), dans ses <strong>Le</strong>ttres à Mlle. Th. V. (Plon-Nourrit, edit.,Paris, 1902), page 34 : «Je crois à l'influence que les morts <strong>et</strong> les saints exercentmystérieusement <strong>sur</strong> nous. Je vis en communion profon<strong>de</strong> avec ces invisibles <strong>et</strong> j'expérimenteavec délices les bienfaits <strong>de</strong> leur secr<strong>et</strong> voisinage.»M. Alfred Benézech, pasteur éminent <strong>de</strong> l'Eglise réformée <strong>de</strong> France, nous écrivait au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong>phénomènes observés par lui-même : «Je pressens que le spiritisme pourrait bien <strong>de</strong>venir unereligion positive, non pas à <strong>la</strong> manière <strong>de</strong>s religions révélées, mais en qualité <strong>de</strong> religionétablie <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s faits d'expérience <strong>et</strong> pleinement d'accord avec le rationalisme <strong>et</strong> <strong>la</strong> science.Chose étrange ! à notre époque <strong>de</strong> matérialisme, où les Eglises semblent <strong>sur</strong> le point <strong>de</strong> sedésorganiser <strong>et</strong> <strong>de</strong> se dissoudre, <strong>la</strong> pensée religieuse nous revient par <strong>de</strong>s savants,accompagnée du merveilleux <strong>de</strong>s temps anciens. Mais ce merveilleux, que je distingue dumiracle puisqu'il n'est qu'un naturel supérieur <strong>et</strong> rare, ne sera plus au service d'une Egliseparticulièrement honorée <strong>de</strong>s faveurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> divinité ; il sera <strong>la</strong> propriété <strong>de</strong> l'humanité, sansdistinction <strong>de</strong> cultes. Comme ce<strong>la</strong> est plus grand <strong>et</strong> plus moral !»


26 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>de</strong> révé<strong>la</strong>teurs, ajoutant à leurs enseignements <strong>de</strong>s preuves formelles,irrécusables, <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité.C'est par <strong>de</strong> tels moyens que le spiritisme a pu envahir le mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> lecouvrir <strong>de</strong> ses foyers. Il existe un majestueux accord dans toutes ces voixqui se sont élevées simultanément pour faire entendre à nos sociétéssceptiques <strong>la</strong> bonne nouvelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>sur</strong>vivance, <strong>et</strong> fournir l'explication<strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur. La révé<strong>la</strong>tion a pénétré parvoie médianimique au coeur <strong>de</strong>s familles <strong>et</strong> jusqu'au fond <strong>de</strong>s bouges <strong>et</strong><strong>de</strong>s enfers sociaux. N'a-t-on pas vu les forçats du bagne <strong>de</strong> Tarragoneadresser au Congrès spirite international <strong>de</strong> Barcelone, en 1888, uneadhésion touchante en faveur d'une doctrine qui, disaient-ils, les avaitramenés au bien <strong>et</strong> réconciliés avec le <strong>de</strong>voir 8 !Dans le spiritisme, <strong>la</strong> multiplicité <strong>de</strong>s sources d'enseignement <strong>et</strong> <strong>de</strong>diffusion constitue donc un contrôle permanent, qui déjoue <strong>et</strong> rendstériles toutes les oppositions, toutes les intrigues. Par sa nature même, <strong>la</strong>révé<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s Esprits se dérobe aux tentatives d'accaparement ou <strong>de</strong>falsification. Devant elle, les velléités <strong>de</strong> dissi<strong>de</strong>nce ou <strong>de</strong> dominationrestent stériles, car si l'on parvenait à l'éteindre ou à <strong>la</strong> dénaturer <strong>sur</strong> unpoint, elle se rallumerait aussitôt <strong>sur</strong> cent autres, se jouant ainsi <strong>de</strong>sambitions malsaines <strong>et</strong> <strong>de</strong>s perfidies.Dans c<strong>et</strong> immense mouvement révé<strong>la</strong>teur, les âmes obéissent à <strong>de</strong>sordres venus d'en haut ; elles le déc<strong>la</strong>rent elles-mêmes. <strong>Le</strong>ur action estréglée d'après un p<strong>la</strong>n tracé à l'avance <strong>et</strong> qui se déroule avec unemajestueuse ampleur. Un conseil invisible prési<strong>de</strong> à son exécution, dusein <strong>de</strong>s espaces. Il est composé <strong>de</strong> grands Esprits <strong>de</strong> toutes les races, <strong>de</strong>toutes les religions, <strong>de</strong>s âmes d'élite qui ont vécu en ce mon<strong>de</strong> suivant <strong>la</strong>loi d'amour <strong>et</strong> <strong>de</strong> sacrifice. Ces puissances bienfaisantes p<strong>la</strong>nent entre leciel <strong>et</strong> <strong>la</strong> terre, les unissant d'un trait <strong>de</strong> lumière, par lequel montent sanscesse les prières <strong>et</strong> <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt les inspirations.En ce qui touche <strong>la</strong> concordance <strong>de</strong>s enseignements spirites, il estpourtant un fait, une exception qui a frappé certains observateurs, <strong>et</strong> donton s'est servi comme d'un argument capital contre le spiritisme.Pourquoi, nous objecte-t-on, les Esprits qui, dans l'ensemble <strong>de</strong>s pays<strong>la</strong>tins, affirment <strong>la</strong> loi <strong>de</strong>s vies successives <strong>et</strong> les réincarnations <strong>de</strong> l'âme<strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre, <strong>la</strong> nient-ils, ou <strong>la</strong> passent-ils sous silence dans les pays8 Voir Compte rendu du Congrès spirite <strong>de</strong> Barcelone, 1888. (Librairie <strong>de</strong>s SciencesPsychiques, Paris, 42, rue Saint-Jacques.)


LE CRITERIUM DE LA DOCTRINE DES ESPRITS 27anglo-saxons ? Comment expliquer une contradiction aussi f<strong>la</strong>grante ?N'y a-t-il pas là <strong>de</strong> quoi détruire l'unité <strong>de</strong> doctrine qui caractérise <strong>la</strong>révé<strong>la</strong>tion nouvelle ?Remarquons qu'il n'y a pas là <strong>de</strong> contradiction, mais simplement unegradation nécessitée par <strong>de</strong>s préjugés <strong>de</strong> caste, <strong>de</strong> race <strong>et</strong> <strong>de</strong> religion,invétérés en certains pays. L'enseignement <strong>de</strong>s Esprits, plus compl<strong>et</strong>,plus étendu dès le principe dans les milieux <strong>la</strong>tins, a été restreint àl'origine <strong>et</strong> gradué en d'autres régions pour <strong>de</strong>s raisons d'opportunité. Onpeut constater que le nombre s'accroît tous les jours, en Angl<strong>et</strong>erre <strong>et</strong> enAmérique, <strong>de</strong>s communications spirites affirmant le principe <strong>de</strong>sréincarnations successives. Plusieurs d'entre elles fournissent même <strong>de</strong>sarguments précieux dans <strong>la</strong> discussion ouverte entre spiritualistes <strong>de</strong>différentes écoles. L'idée réincarnationiste a gagné assez <strong>de</strong> terrain au<strong>de</strong>là<strong>de</strong> l'At<strong>la</strong>ntique pour qu'un <strong>de</strong>s principaux organes spiritualistesaméricains lui ait été entièrement acquis. <strong>Le</strong> Light, <strong>de</strong> Londres, aprèsavoir longtemps écarté c<strong>et</strong>te question, <strong>la</strong> discute aujourd'hui avecimpartialité.Il semble donc que, s'il y a eu <strong>de</strong>s ombres <strong>et</strong> <strong>de</strong>s contradictions audébut, elles n'étaient qu'apparentes <strong>et</strong> ne résistent guère à un examensérieux.** *Comme toutes les nouvelles doctrines, <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion spirite a soulevébien <strong>de</strong>s objections <strong>et</strong> <strong>de</strong>s critiques. Relevons-en quelques-unes. Toutd'abord, on nous accuse <strong>de</strong> nous être trop pressés <strong>de</strong> philosopher ; onnous blâme d'avoir édifié, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> base <strong>de</strong>s phénomènes, un système hâtif,une doctrine prématurée, <strong>et</strong> d'avoir compromis ainsi le caractère positifdu spiritualisme mo<strong>de</strong>rne.Un écrivain <strong>de</strong> valeur, se faisant l'interprète d'un certain nombre <strong>de</strong>psychistes, résumait leurs critiques en ces termes : «Une objectionsérieuse contre l'hypothèse spirite est celle qui se réfère à <strong>la</strong> philosophiedont certains hommes trop pressés ont doté le spiritisme. <strong>Le</strong> spiritisme,qui ne <strong>de</strong>vrait être encore qu'une science à peine débutante, est déjà unephilosophie immense, pour <strong>la</strong>quelle l'univers n'a pas <strong>de</strong> secr<strong>et</strong>s.»Nous pourrions rappeler à c<strong>et</strong> auteur que les hommes dont il parlen'ont joué en tout ceci que le rôle d'intermédiaires, se bornant à


28 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEcoordonner <strong>et</strong> à publier les enseignements qui leur parvenaient par voiemédianimique.D'autre part, remarquons-le, il y aura toujours <strong>de</strong>s indifférents, <strong>de</strong>ssceptiques, <strong>de</strong>s attardés pour trouver que nous nous sommes troppressés. Aucun progrès ne serait possible s'il fal<strong>la</strong>it attendre lesr<strong>et</strong>ardataires. Il est vraiment p<strong>la</strong>isant <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>s gens qui s'intéressentd'hier à ces questions, régenter <strong>de</strong>s hommes comme Al<strong>la</strong>n Kar<strong>de</strong>c, parexemple. Celui-ci ne s'est hasardé à publier ses travaux qu'après <strong>de</strong>sannées <strong>de</strong> <strong>la</strong>borieuses recherches <strong>et</strong> <strong>de</strong> mûres réflexions, obéissant ence<strong>la</strong> à <strong>de</strong>s ordres formels <strong>et</strong> puisant à <strong>de</strong>s sources d'information dont nosexcellents critiques ne semblent même pas avoir une idée.Tous ceux qui suivent avec attention le développement <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>spsychiques, peuvent constater que les résultats acquis sont venusconfirmer <strong>sur</strong> tous ses points <strong>et</strong> fortifier <strong>de</strong> plus en plus l'oeuvre <strong>de</strong>Kar<strong>de</strong>c.Frédéric Myers, l'éminent professeur <strong>de</strong> Cambridge, qui fut pendantvingt ans, dit Ch. Rich<strong>et</strong>, l'âme <strong>de</strong> <strong>la</strong> Soci<strong>et</strong>y for psychical Research, <strong>de</strong>Londres, <strong>et</strong> que le Congrès officiel international <strong>de</strong> psychologie <strong>de</strong> Pariséleva, en 1900, à <strong>la</strong> dignité <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>nt d'honneur, Myers le déc<strong>la</strong>redans les <strong>de</strong>rnières pages <strong>de</strong> son oeuvre magistrale : <strong>la</strong> Personnalitéhumaine, sa Survivance, dont <strong>la</strong> publication a produit dans le mon<strong>de</strong>savant une sensation profon<strong>de</strong> : «Pour tout chercheur éc<strong>la</strong>iré <strong>et</strong>consciencieux, ces recherches aboutissent logiquement <strong>et</strong>nécessairement à une vaste synthèse philosophique <strong>et</strong> religieuse.»Partant <strong>de</strong> ces données, il consacre son dixième chapitre à une«généralisation ou conclusion qui établit un rapport plus c<strong>la</strong>ir entre lesnouvelles découvertes <strong>et</strong> les schémas déjà existants <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong>scroyances <strong>de</strong>s hommes civilisés 9 .»Il termine ainsi l'exposé <strong>de</strong> son travail :«... Bacon avait prévu <strong>la</strong> victoire progressive <strong>de</strong> l'observation <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'expériencedans tous les domaines <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s humaines ; dans tous, sauf un : le domaine <strong>de</strong>s"choses divines". Je tiens à montrer que c<strong>et</strong>te gran<strong>de</strong> exception n'est pas justifiée.Je prétends qu'il existe une métho<strong>de</strong> d'arriver à <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> ces chosesdivines avec <strong>la</strong> même certitu<strong>de</strong>, <strong>la</strong> même as<strong>sur</strong>ance auxquelles nous <strong>de</strong>vons lesprogrès dans <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong>s choses terrestres. L'autorité <strong>de</strong>s Eglises seraainsi remp<strong>la</strong>cée par celle <strong>de</strong> l'observation <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'expérience. <strong>Le</strong>s impulsions <strong>de</strong> <strong>la</strong>9 F. Myers, <strong>la</strong> Personnalité humaine ; sa <strong>sur</strong>vivance, ses manifestations supra-normales. (FélixAlcan, edit., pages 401, 402, 403 - 1905).


LE CRITERIUM DE LA DOCTRINE DES ESPRITS 29foi se transformeront en convictions raisonnées <strong>et</strong> résolues qui feront naître unidéal supérieur à tous ceux que l'humanité avait connus jusqu'ici.»Ainsi, ce que certains critiques à courtes vues considèrent comme un<strong>et</strong>entative prématurée, apparaît à F. Myers comme «une évolutionnécessaire <strong>et</strong> inévitable». La synthèse philosophique qui couronne sonoeuvre a reçu les plus hautes approbations. Pour sir Oliver Lodge,l'académicien ang<strong>la</strong>is, «elle constitue vraiment un <strong>de</strong>s schémas <strong>de</strong>l'existence les plus vastes, les plus compréhensibles <strong>et</strong> les mieux fondésqu'on ait jamais vus 10 .»<strong>Le</strong> professeur Flournoy, <strong>de</strong> Genève, en fait le plus grand éloge dansses Archives <strong>de</strong> psychologie <strong>de</strong> <strong>la</strong> Suisse roman<strong>de</strong> (juin 1903).En France, d'autres hommes <strong>de</strong> science, sans être spirites, aboutissentà <strong>de</strong>s conclusions i<strong>de</strong>ntiques.M. Maxwell, docteur en mé<strong>de</strong>cine, procureur général près <strong>la</strong> Courd'appel <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux, s'exprimait ainsi 11 :«<strong>Le</strong> spiritisme vient à son heure <strong>et</strong> répond à un besoin général... L'extension queprend c<strong>et</strong>te doctrine est un <strong>de</strong>s plus curieux phénomènes <strong>de</strong> l'époque actuelle.Nous assistons à ce qui me paraît être <strong>la</strong> naissance d'une véritable religion, sanscérémonial rituel <strong>et</strong> sans clergé, mais ayant <strong>de</strong>s assemblées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s pratiques. J<strong>et</strong>rouve pour ma part un intérêt extrême à ces réunions <strong>et</strong> j'ai l'impression d'assisterà <strong>la</strong> naissance d'un mouvement religieux appelé à <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s <strong>de</strong>stinées.»En face <strong>de</strong> ces témoignages, les récriminations <strong>de</strong> nos contradicteurstombent d'elles-mêmes. A quoi <strong>de</strong>vons-nous attribuer leur aversion pour<strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s Esprits ? Serait-ce à ce fait, que l'enseignement spirite,avec sa loi <strong>de</strong>s responsabilités, l'enchaînement <strong>de</strong>s causes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>squ'il nous montre dans le domaine moral, <strong>et</strong> les exemples <strong>de</strong> sanctionqu'il nous apporte, <strong>de</strong>vient un terrible gêneur pour quantité <strong>de</strong> personnespeu soucieuses <strong>de</strong> philosophie ?** *Par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s faits psychiques, F. Myers dit 12 : «Ces observations,expériences <strong>et</strong> inductions ouvrent <strong>la</strong> porte à une révé<strong>la</strong>tion.» Il est10 La synthèse <strong>de</strong> F. Myers peut se résumer ainsi : Evolution graduelle <strong>et</strong> infinie, à nombreusesétapes, <strong>de</strong> l'âme humaine, dans <strong>la</strong> sagesse <strong>et</strong> dans l'amour. L'âme humaine tire sa force <strong>et</strong> sagrâce d'un univers spirituel. C<strong>et</strong> univers est animé <strong>et</strong> dirigé par l'Esprit divin, lequel estaccessible à l'âme <strong>et</strong> en communication avec celle-ci.11 J. Maxwell, les Phénomènes psychiques. (Alcan, édit., 1903, pages 8 <strong>et</strong> 11.)12 F. Myers, <strong>la</strong> Personnalité humaine, page 417.


30 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEévi<strong>de</strong>nt que le jour où <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions ont été établies avec le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>sEsprits, par <strong>la</strong> force même <strong>de</strong>s choses, le problème <strong>de</strong> l'être <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>de</strong>stinée s'est posé aussitôt avec toutes ses conséquences, <strong>et</strong> sous <strong>de</strong>saspects nouveaux.Quoi qu'on puisse dire, il n'était pas possible <strong>de</strong> communiquer avecnos parents <strong>et</strong> amis défunts en faisant abstraction <strong>de</strong> tout ce qui serattache à leur mo<strong>de</strong> d'existence ; en se désintéressant <strong>de</strong> leurs vues,forcément é<strong>la</strong>rgies <strong>et</strong> différentes <strong>de</strong> ce qu'elles étaient <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre, aumoins pour les âmes déjà évoluées.A aucune époque <strong>de</strong> l'Histoire, l'homme n'a pu se soustraire à cesgrands problèmes <strong>de</strong> l'être, <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur. Malgréson impuissance à les résoudre, ils l'ont sans cesse hanté, revenanttoujours avec plus <strong>de</strong> force, chaque fois qu'il tentait <strong>de</strong> les écarter, seglissant dans tous les événements <strong>de</strong> sa vie, dans tous les replis <strong>de</strong> sonenten<strong>de</strong>ment, frappant pour ainsi dire, aux portes <strong>de</strong> sa conscience. Etlorsqu'une source nouvelle d'enseignements, <strong>de</strong> conso<strong>la</strong>tions, <strong>de</strong> forcesmorales, lorsque <strong>de</strong> vastes horizons s'ouvrent à <strong>la</strong> pensée, commentcelle-ci pourrait-elle rester indifférente ? Ne s'agit-il pas <strong>de</strong> nous, enmême temps que <strong>de</strong> nos proches ? N'est-ce pas notre sort futur, notre sort<strong>de</strong> <strong>de</strong>main qui est en question ?Eh quoi ! ce tourment, c<strong>et</strong>te angoisse <strong>de</strong> l'inconnu qui assiège l'âme àtravers les temps ; c<strong>et</strong>te intuition confuse d'un mon<strong>de</strong> meilleur, pressenti,désiré ; ce souci <strong>de</strong> Dieu <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa justice peuvent être, dans une nouvelle<strong>et</strong> plus <strong>la</strong>rge me<strong>sur</strong>e, apaisés, éc<strong>la</strong>irés, satisfaits, <strong>et</strong> nous endédaignerions les moyens ? N'y a-t-il pas, dans ce désir, dans ce besoin<strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r le grand mystère, un <strong>de</strong>s plus beaux privilèges <strong>de</strong>l'être humain ; n'est-ce pas là ce qui fait <strong>la</strong> dignité, <strong>la</strong> beauté, <strong>la</strong> raisond'être <strong>de</strong> sa vie ?Et chaque fois que nous avons méconnu ce droit, ce privilège ; chaquefois que, renonçant pour un temps à tourner ses regards vers l'Au-<strong>de</strong>là, àdiriger ses pensées vers une vie plus haute, l'homme a voulu restreindreson horizon à <strong>la</strong> vie présente, n'a-t-on pas vu, dans ce même temps, lesmisères morales s'aggraver, le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> l'existence s'appesantir pluslour<strong>de</strong>ment <strong>sur</strong> les épaules <strong>de</strong>s malheureux, le désespoir <strong>et</strong> le suici<strong>de</strong>multiplier leurs ravages, <strong>et</strong> les sociétés s'acheminer vers <strong>la</strong> déca<strong>de</strong>nce <strong>et</strong>l'anarchie ?** *


LE CRITERIUM DE LA DOCTRINE DES ESPRITS 31Un autre genre d'objection est celui-ci : La philosophie spirite, nousdit-on, n'a pas <strong>de</strong> consistance. <strong>Le</strong>s communications <strong>sur</strong> lesquelles ellerepose proviennent, le plus souvent, du médium lui-même, <strong>de</strong> son propreinconscient, ou bien <strong>de</strong>s assistants. <strong>Le</strong> médium en transe «lit dans l'esprit<strong>de</strong>s consultants les doctrines qui y sont entassées, doctrines éclectiques,empruntées à toutes les philosophies du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>sur</strong>tout àl'hindouisme».L'auteur <strong>de</strong> ces lignes a-t-il bien réfléchi aux difficultés que doitprésenter un tel exercice ? Serait-il capable <strong>de</strong> nous expliquer lesprocédés à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>squels on peut lire, à première vue, dans le cerveaud'autrui, les doctrines qui y sont «entassées» ? S'il le peut, qu'il le fasse,sinon nous serons fondés à voir dans ses allégations <strong>de</strong>s mots, rien que<strong>de</strong>s mots, employés à <strong>la</strong> légère <strong>et</strong> pour les besoins d'une critique <strong>de</strong> partipris. Tel qui ne veut pas paraître dupe <strong>de</strong>s sentiments est souvent dupépar les mots. L'incrédulité systématique <strong>sur</strong> un point <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> <strong>la</strong>crédulité naïve <strong>sur</strong> un autre 13 .Rappelons d'abord que les opinions <strong>de</strong> <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s médiums, audébut <strong>de</strong>s manifestations, étaient entièrement opposées à cellesexprimées par les messages. Presque tous avaient reçu une éducationreligieuse <strong>et</strong> étaient imbus <strong>de</strong>s idées <strong>de</strong> paradis <strong>et</strong> d'enfer. <strong>Le</strong>urs vues <strong>sur</strong><strong>la</strong> vie future, quand ils en avaient, différaient sensiblement <strong>de</strong> cellesexposées par les Esprits. C'est encore fréquemment le cas aujourd'hui ;c'était celui <strong>de</strong> trois médiums <strong>de</strong> notre groupe, dames catholiques <strong>et</strong>pratiquantes qui, malgré les enseignements philosophiques qu'ellesrecevaient <strong>et</strong> transm<strong>et</strong>taient, ne renoncèrent jamais complètement à leurshabitu<strong>de</strong>s cultuelles.Quant aux assistants, aux auditeurs, aux personnes désignées sous lenom <strong>de</strong> «consultants», n'oublions pas non plus qu'à l'aube du spiritisme,en France, c'est-à-dire vers l'époque d'Al<strong>la</strong>n Kar<strong>de</strong>c, les hommespossédant <strong>de</strong>s notions <strong>de</strong> philosophie, soit orientale, soit druidique,comportant <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong>s transmigrations ou vies successives <strong>de</strong> l'âme,13 Il est notoire que <strong>la</strong> suggestion <strong>et</strong> <strong>la</strong> transmission <strong>de</strong>s pensées ne peuvent s'exercer que <strong>sur</strong> <strong>de</strong>ssuj<strong>et</strong>s <strong>de</strong>puis longtemps entraînés <strong>et</strong> par <strong>de</strong>s personnes qui ont pris <strong>sur</strong> elles un certain empire.Jusqu'ici, ces expériences ne portent que <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s mots ou <strong>de</strong>s séries <strong>de</strong> mots, <strong>et</strong> jamais <strong>sur</strong> unensemble <strong>de</strong> «doctrines». Un médium liseur <strong>de</strong> pensées - s'inspirant <strong>de</strong>s opinions <strong>de</strong>sassistants - si ce<strong>la</strong> était possible, en r<strong>et</strong>irerait, non pas <strong>de</strong>s notions précises <strong>sur</strong> un principequelconque <strong>de</strong> philosophie, mais les données les plus confuses <strong>et</strong> les plus contradictoires.


32 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEces hommes étaient bien peu nombreux, <strong>et</strong> il fal<strong>la</strong>it les chercher au sein<strong>de</strong>s académies ou dans quelques milieux scientifiques très fermés.Nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rons à nos contradicteurs comment <strong>de</strong>s médiumsinnombrables, dispersés <strong>sur</strong> tous les points <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre, inconnus les uns<strong>de</strong>s autres, auraient pu arriver à constituer d'eux-mêmes les bases d'unedoctrine assez soli<strong>de</strong> pour résister à toutes les attaques, à tous lesassauts, assez exacte pour que ses principes aient pu être confirmés <strong>et</strong> seconfirment chaque jour par l'expérience, comme nous l'avons établi audébut <strong>de</strong> ce chapitre.Au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> sincérité <strong>de</strong>s communications médianimiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurportée philosophique, rappelons les paroles d'un orateur, dont lesopinions ne paraîtront pas suspectes aux yeux <strong>de</strong> tous ceux quiconnaissent l'aversion <strong>de</strong> <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s hommes d'église pour lespiritisme.Dans un sermon, prononcé le 7 avril 1899, à New York, le révérend J.Savage, prédicateur <strong>de</strong> renom, disait :«<strong>Le</strong>s balivernes qui, soi-disant, viennent <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là, sont légion. Et, en mêm<strong>et</strong>emps, il existe toute une littérature <strong>de</strong> morale <strong>de</strong>s plus pures <strong>et</strong> d'enseignementsspiritualistes incomparables. Je sais un livre, par exemple, dont l'auteur était ungradué d'Oxford, pasteur <strong>de</strong> l'Église ang<strong>la</strong>ise, <strong>et</strong> qui est <strong>de</strong>venu spirite <strong>et</strong>médium 14 . Son livre a été écrit automatiquement. Parfois, pour détourner sapensée du travail qu'accomplissait sa main, il lisait P<strong>la</strong>ton en grec. Et son livre,contrairement à ce que l'on adm<strong>et</strong> en général pour <strong>de</strong>s oeuvres <strong>de</strong> ce genre, s<strong>et</strong>rouvait en opposition absolue avec ses propres croyances religieuses, si bien qu'ilse convertit avant qu'il l'eût terminé. C<strong>et</strong> ouvrage renferme <strong>de</strong>s enseignementsmoraux <strong>et</strong> spirituels dignes <strong>de</strong> n'importe quelle Bible du mon<strong>de</strong>.<strong>Le</strong>s premiers âges du christianisme, vous vous en souviendrez si vous lisez saintPaul, étaient composés <strong>de</strong> gens avec lesquels les personnes considérées nevou<strong>la</strong>ient avoir rien <strong>de</strong> commun. <strong>Le</strong> spiritualisme a débuté jusqu'aux temps actuelspar un groupement du même genre. Mais, <strong>de</strong> nos jours, beaucoup <strong>de</strong> noms fameuxse rangent sous c<strong>et</strong>te bannière, <strong>et</strong> l'on y trouve les hommes les meilleurs <strong>et</strong> les plusintelligents. Rappelez-vous donc que c'est un grand mouvement très sincère engénéral 15 .»14 Il s'agit du livre <strong>de</strong> Stainton Moses : Enseignements spiritualistes.15 Reproduit par <strong>la</strong> Revue du Spiritualisme mo<strong>de</strong>rne, 25 octobre 1901. Nous <strong>de</strong>vons faireremarquer que dans le cas <strong>de</strong> Stainton Moses, comme en certains autres, les messages ne sontpas seulement obtenus par l'écriture automatique, mais encore par l'écriture directe, sansl'intermédiaire d'aucune main humaine.


LE CRITERIUM DE LA DOCTRINE DES ESPRITS 33Dans son discours, le révérend Savage a su faire <strong>la</strong> part <strong>de</strong>s choses. Ilest certain que les communications médianimiques n'offrent pas toutesun égal intérêt. Beaucoup se composent <strong>de</strong> banalités, <strong>de</strong> redites, <strong>de</strong> lieuxcommuns. Tous les Esprits ne sont pas aptes à nous donner d'utiles <strong>et</strong>profonds enseignements. Comme <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> plus encore, l'échelle <strong>de</strong>sêtres, dans l'espace, comporte <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés infinis. On y rencontre les plusnobles intelligences comme les âmes les plus vulgaires. Mais, parfois,les esprits inférieurs, eux-mêmes, en nous décrivant leur situationmorale, leurs impressions à <strong>la</strong> mort <strong>et</strong> dans l'Au-<strong>de</strong>là, en nous initiantaux détails <strong>de</strong> leur nouvelle existence, nous fournissent <strong>de</strong>s matériauxprécieux pour déterminer les conditions <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>sur</strong>vivance selon lesdiverses catégories d'esprits. Il y a donc <strong>de</strong>s éléments d'instruction àpuiser un peu partout dans nos rapports avec les Invisibles. Cependant,tout n'est pas à r<strong>et</strong>enir. C'est à l'expérimentateur pru<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> avisé à savoirséparer l'or <strong>de</strong> sa gangue. La vérité ne nous arrive pas toujours nue, <strong>et</strong>l'action d'en haut <strong>la</strong>isse aux facultés <strong>et</strong> à <strong>la</strong> raison <strong>de</strong> l'homme le champnécessaire pour s'exercer <strong>et</strong> se développer.En tout ceci, <strong>de</strong> sérieuses précautions doivent être prises, un continuel<strong>et</strong> vigi<strong>la</strong>nt contrôle doit être exercé. Il faut se m<strong>et</strong>tre en gar<strong>de</strong> contre lesfrau<strong>de</strong>s, conscientes ou inconscientes, <strong>et</strong> voir s'il n'y a pas, dans lesmessages écrits, un simple cas d'automatisme. Dans ce but, il convient <strong>de</strong>s'as<strong>sur</strong>er que les communications, par <strong>la</strong> forme <strong>et</strong> par le fond, sont au<strong>de</strong>ssus<strong>de</strong>s capacités du médium. Il faut exiger <strong>de</strong>s preuves d'i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong><strong>la</strong> part <strong>de</strong>s manifestants <strong>et</strong> ne se départir <strong>de</strong> toute rigueur que dans les casoù les enseignements, par leur supériorité <strong>et</strong> leur majestueuse ampleur,s'imposent d'eux-mêmes <strong>et</strong> <strong>sur</strong>passent <strong>de</strong> bien haut les possibilités dutransm<strong>et</strong>teur.Quand l'authenticité <strong>de</strong>s communications est as<strong>sur</strong>ée, il faut encorecomparer entre eux, <strong>et</strong> passer au crible d'un jugement sévère, lesprincipes scientifiques <strong>et</strong> philosophiques qu'elles exposent, <strong>et</strong> accepterseulement les points <strong>sur</strong> lesquels <strong>la</strong> presque unanimité <strong>de</strong>s vues estétablie.En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s frau<strong>de</strong>s d'origine humaine, il y a aussi les mystifications<strong>de</strong> source occulte. Tous les expérimentateurs sérieux savent qu'il existe<strong>de</strong>ux spiritismes. L'un pratiqué à tort <strong>et</strong> à travers, sans métho<strong>de</strong>, sansélévation <strong>de</strong> pensée, attire à nous les badauds <strong>de</strong> l'espace, les Espritslégers <strong>et</strong> moqueurs, qui sont nombreux dans l'atmosphère terrestre.


34 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEL'autre, plus grave, pratiqué avec me<strong>sur</strong>e, avec un sentimentrespectueux, nous m<strong>et</strong> en rapport avec les Esprits avancés, désireux <strong>de</strong>secourir <strong>et</strong> d'éc<strong>la</strong>irer ceux qui les appellent d'un coeur fervent. C'est là ceque les religions ont connu <strong>et</strong> désigné sous le nom <strong>de</strong> «communion <strong>de</strong>ssaints».On <strong>de</strong>man<strong>de</strong> encore : Comment, dans ce vaste ensemble <strong>de</strong>communications dont les auteurs sont invisibles, peut-on distinguer cequi provient <strong>de</strong>s entités supérieures <strong>et</strong> doit être conservé ? A c<strong>et</strong>tequestion, il n'est qu'une réponse : Comment distinguons-nous les bons <strong>et</strong>les mauvais livres <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong>puis longtemps décédés ? Commentdistinguer un <strong>la</strong>ngage noble <strong>et</strong> élevé d'un <strong>la</strong>ngage banal <strong>et</strong> vulgaire ?N'avons-nous pas un jugement, une règle pour me<strong>sur</strong>er <strong>la</strong> qualité <strong>de</strong>spensées, qu'elles proviennent <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong> ou <strong>de</strong> l'autre ? Nouspouvons juger les messages médianimiques <strong>sur</strong>tout par leurs eff<strong>et</strong>smoralisateurs ; ils sont grands parfois <strong>et</strong> ont amélioré bien <strong>de</strong>s caractères,purifié bien <strong>de</strong>s consciences. C'est là le plus sûr critérium <strong>de</strong> toutenseignement philosophique.Dans nos rapports avec les Invisibles, il existe aussi <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong>reconnaissance pour distinguer les bons Esprits <strong>de</strong>s âmes arriérées. <strong>Le</strong>ssensitifs reconnaissent facilement <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s flui<strong>de</strong>s : doux, agréableschez les bons ; violents, g<strong>la</strong>cials, pénibles à supporter chez les espritsmauvais. Un <strong>de</strong> nos médiums annonçait toujours à l'avance l'arrivée <strong>de</strong>«l'Esprit bleu», qui se révé<strong>la</strong>it par <strong>de</strong>s vibrations harmonieuses <strong>et</strong> <strong>de</strong>sradiations bril<strong>la</strong>ntes. Il en est qui se distinguent à l'o<strong>de</strong>ur, perceptiblepour certains médiums. Délicates, suaves chez les uns 16 , ces o<strong>de</strong>urs sontrépugnantes chez d'autres. L'élévation d'un Esprit se me<strong>sur</strong>e à <strong>la</strong> pur<strong>et</strong>é<strong>de</strong> ses flui<strong>de</strong>s, à <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong> sa forme <strong>et</strong> <strong>de</strong> son <strong>la</strong>ngage.Dans c<strong>et</strong> ordre <strong>de</strong> recherches, ce qui frappe, persua<strong>de</strong> <strong>et</strong> convainc leplus, ce sont les entr<strong>et</strong>iens établis avec ceux <strong>de</strong> nos parents <strong>et</strong> amis quinous ont précédés dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'espace. Quand <strong>de</strong>s preuvesincontestables d'i<strong>de</strong>ntité nous ont as<strong>sur</strong>és <strong>de</strong> leur présence, que l'intimitéd'autrefois, <strong>la</strong> confiance <strong>et</strong> l'abandon règnent <strong>de</strong> nouveau entre eux <strong>et</strong>nous, les révé<strong>la</strong>tions obtenues dans ces conditions prennent un caractère<strong>de</strong>s plus suggestifs. Devant elles, les <strong>de</strong>rnières hésitations du scepticismes'évanouissent forcément pour faire p<strong>la</strong>ce aux é<strong>la</strong>ns du coeur.16 Voir docteur Maxwell, les Phénomènes psychiques, page 164.


LE CRITERIUM DE LA DOCTRINE DES ESPRITS 35Peut-on résister en eff<strong>et</strong> aux accents, aux appels <strong>de</strong> ceux qui ontpartagé notre vie, entouré nos premiers pas <strong>de</strong> leur tendre sollicitu<strong>de</strong>, <strong>de</strong>ces compagnons <strong>de</strong> notre enfance, <strong>de</strong> notre jeunesse, <strong>de</strong> notre virilité,qui, un à un, se sont évanouis dans <strong>la</strong> mort, <strong>la</strong>issant, à chaque départ,notre route plus solitaire, plus désolée ? Ils reviennent dans <strong>la</strong> transe,avec <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s inflexions <strong>de</strong> voix, <strong>de</strong>s rappels <strong>de</strong> souvenirs, avecmille <strong>et</strong> mille preuves d'i<strong>de</strong>ntité, banales dans leurs détails pour <strong>de</strong>sétrangers, mais si émouvantes pour les intéressés ! Ils nous instruisent<strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là, nous exhortent <strong>et</strong> nous consolent. <strong>Le</strong>shommes les plus froids, les plus doctes expérimentateurs, comme leprofesseur Hyslop, n'ont pu résister à ces influences d'outre-tombe 17 .Ceci le démontre : il n'y a pas seulement, dans le spiritisme, commecertains le préten<strong>de</strong>nt, <strong>de</strong>s pratiques frivoles <strong>et</strong> abusives, mais plutôt unmobile noble <strong>et</strong> généreux, c'est-à-dire l'attachement à nos morts, l'intérêtque nous portons à leur souvenir. N'est-ce pas là un <strong>de</strong>s côtés les plusrespectables <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature humaine, un <strong>de</strong>s sentiments, une <strong>de</strong>s forces quiélèvent l'homme au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière <strong>et</strong> le différencient <strong>de</strong> <strong>la</strong> brute ?Puis, à côté, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s exhortations émues <strong>de</strong> nos proches,signalons les envolées puissantes <strong>de</strong>s Esprits <strong>de</strong> génie, les pages écritesfiévreusement, dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>mi-obscurité, par <strong>de</strong>s médiums <strong>de</strong> notreconnaissance, incapables d'en comprendre <strong>la</strong> valeur <strong>et</strong> <strong>la</strong> beauté, mais où<strong>la</strong> splen<strong>de</strong>ur du style s'allie à <strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s idées. Ou bien cesdiscours impressionnants, comme nous en entendîmes souvent dansnotre groupe d'étu<strong>de</strong>s, discours prononcés par l'organe d'un médium trèsmo<strong>de</strong>ste <strong>de</strong> savoir <strong>et</strong> <strong>de</strong> caractère, <strong>et</strong> par lesquels un Esprit nousentr<strong>et</strong>enait <strong>de</strong> l'éternelle énigme du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> lois qui régissent <strong>la</strong> viespirituelle. Ceux qui eurent <strong>la</strong> faveur d'assister à ces réunions saventquelle influence pénétrante elles exerçaient <strong>sur</strong> nous tous. Malgré lestendances sceptiques <strong>et</strong> l'esprit gouailleur <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> notregénération, il y a <strong>de</strong>s accents, <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage, <strong>de</strong>s é<strong>la</strong>nsd'éloquence auxquels ils ne pourraient résister. <strong>Le</strong>s plus prévenusseraient obligés d'y reconnaître <strong>la</strong> caractéristique, <strong>la</strong> marqueincontestable d'une gran<strong>de</strong> supériorité morale, le sceau <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité.Devant ces Esprits <strong>de</strong>scendus un instant <strong>sur</strong> notre mon<strong>de</strong> obscur <strong>et</strong>17 Voir Dans l'Invisible, chapitre XIX, les entr<strong>et</strong>iens du professeur Hyslop, <strong>de</strong> l'Université <strong>de</strong>Columbia, avec son père, son frère, ses oncles défunts.


36 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEarriéré pour y faire briller un éc<strong>la</strong>ir <strong>de</strong> leur génie, le criticisme le plusexigeant se trouble, hésite <strong>et</strong> se tait.Pendant vingt ans, nous reçûmes, à Tours, <strong>de</strong>s communications <strong>de</strong> c<strong>et</strong>ordre. Elles touchaient à tous les grands problèmes, à toutes lesquestions importantes <strong>de</strong> philosophie <strong>et</strong> <strong>de</strong> morale, <strong>et</strong> composaientplusieurs volumes manuscrits. C'est le résumé <strong>de</strong> ce travail, beaucouptrop étendu, trop touffu pour être publié intégralement, que je voudraisprésenter ici. Jérôme <strong>de</strong> Prague, mon ami, mon gui<strong>de</strong> du présent <strong>et</strong> dupassé, l'Esprit magnanime qui dirigea les premiers essors <strong>de</strong> monintelligence enfantine, dans le lointain <strong>de</strong>s âges, en est l'auteur. Combiend'autres Esprits éminents ont répandu ainsi leurs enseignements à traversle mon<strong>de</strong>, dans l'intimité <strong>de</strong> quelques groupes ! Presque toujoursanonymes, ils se révèlent seulement par <strong>la</strong> haute valeur <strong>de</strong> leursconceptions. Il m'a été donné <strong>de</strong> soulever quelques-uns <strong>de</strong>s voilescachant leur personnalité véritable. Mais je dois gar<strong>de</strong>r leur secr<strong>et</strong>, carles Esprits d'élite se reconnaissent précisément à c<strong>et</strong>te particu<strong>la</strong>rité, qu'ilsse dissimulent sous <strong>de</strong>s désignations d'emprunt <strong>et</strong> veulent rester ignorés.<strong>Le</strong>s noms célèbres que l'on trouve au bas <strong>de</strong> certaines communications,p<strong>la</strong>tes <strong>et</strong> vi<strong>de</strong>s, ne sont trop souvent qu'un leurre.Par tous ces détails, j'ai voulu démontrer une chose : c<strong>et</strong>te oeuvre n'estpas exclusivement mienne, mais plutôt le refl<strong>et</strong> d'une pensée plus hauteque je cherche à interpréter. Elle concor<strong>de</strong>, <strong>sur</strong> tous les points essentiels,avec les vues exprimées par les instructeurs d'Al<strong>la</strong>n Kar<strong>de</strong>c ; toutefois,<strong>de</strong>s points <strong>la</strong>issés obscurs par ceux-ci y ont été abordés. J'ai dûégalement tenir compte du mouvement <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> sciencehumaines, <strong>de</strong> leurs découvertes, <strong>et</strong> les signaler dans c<strong>et</strong> ouvrage. Encertains cas, j'y ai ajouté mes impressions personnelles <strong>et</strong> mescommentaires ; car, dans le spiritisme, nous ne saurions trop le dire, iln'est pas <strong>de</strong> dogmes, <strong>et</strong> chacun <strong>de</strong> ses principes peut <strong>et</strong> doit être discuté,jugé, soumis au contrôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison.J'ai considéré comme un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> faire bénéficier mes frères terrestres<strong>de</strong> ces enseignements. Une oeuvre vaut par elle-même. Quoi qu'onpuisse penser <strong>et</strong> dire <strong>de</strong> <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s Esprits, je ne saurais adm<strong>et</strong>tre,alors que l'on enseigne dans toutes les Universités d'immenses systèmesmétaphysiques bâtis par <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong>s hommes, que l'on puisseconsidérer comme négligeables <strong>et</strong> rej<strong>et</strong>er les principes divulgués par lesnobles Intelligences <strong>de</strong> l'espace.


LE CRITERIUM DE LA DOCTRINE DES ESPRITS 37Si nous aimons les maîtres <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse humaines cen'est pas un motif pour dédaigner les maîtres <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison <strong>sur</strong>humaine, lesreprésentants d'une sagesse plus haute <strong>et</strong> plus grave. L'esprit <strong>de</strong> l'homme,comprimé par <strong>la</strong> chair, privé <strong>de</strong> <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses ressources <strong>et</strong> <strong>de</strong> sesperceptions, ne peut parvenir <strong>de</strong> lui-même à <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> l'universinvisible <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses lois. <strong>Le</strong> cercle dans lequel s'agitent notre vie <strong>et</strong> notrepensée est borné ; notre point <strong>de</strong> vue, restreint. L'insuffisance <strong>de</strong>sdonnées acquises nous rend toute généralisation impossible ouimprobable. Il nous faut <strong>de</strong>s Gui<strong>de</strong>s pour pénétrer dans le domaineinconnu <strong>et</strong> infini <strong>de</strong>s lois. C'est par <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration <strong>de</strong>s penseurséminents <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux humanités, que les plus hautesvérités seront atteintes, au moins entrevues, <strong>et</strong> les plus nobles principesétablis. Bien mieux <strong>et</strong> plus sûrement que nos maîtres terrestres, ceux <strong>de</strong>l'espace savent nous m<strong>et</strong>tre en présence du problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, dumystère <strong>de</strong> l'âme, nous ai<strong>de</strong>r à prendre conscience <strong>de</strong> notre gran<strong>de</strong>ur <strong>et</strong><strong>de</strong> notre avenir.** *Parfois, une question nous est posée, une nouvelle objection est faite.En présence <strong>de</strong> l'infinie variété <strong>de</strong>s communications <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté pourchacun <strong>de</strong> les apprécier, <strong>de</strong> les contrôler à son gré, que <strong>de</strong>vient, nous diton,l'unité <strong>de</strong> doctrine, c<strong>et</strong>te unité puissante qui a fait <strong>la</strong> force, <strong>la</strong>gran<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> as<strong>sur</strong>é <strong>la</strong> durée <strong>de</strong>s religions sacerdotales ?<strong>Le</strong> spiritisme, nous l'avons dit, ne dogmatise pas. Il n'est ni une secte,ni une orthodoxie. C'est une philosophie vivante, ouverte à tous leslibres esprits, <strong>et</strong> qui progresse en évoluant. Il n'impose rien ; il propose,<strong>et</strong> ce qu'il propose, il l'appuie <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s faits d'expérience <strong>et</strong> <strong>de</strong>s preuvesmorales. Il n'exclut aucune <strong>de</strong>s autres croyances, mais s'élève au-<strong>de</strong>ssusd'elles <strong>et</strong> les embrasse dans une formule plus vaste, dans une expressionplus haute <strong>et</strong> plus étendue <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité.<strong>Le</strong>s intelligences supérieures nous ouvrent <strong>la</strong> voie. Elles nous révèlentles principes éternels que chacun <strong>de</strong> nous adopte <strong>et</strong> s'assimile dans <strong>la</strong>me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong> sa compréhension, suivant le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> développement atteintpar ses facultés dans <strong>la</strong> succession <strong>de</strong> ses vies.En général, l'unité <strong>de</strong> doctrine n'est obtenue qu'au prix <strong>de</strong> <strong>la</strong>soumission aveugle <strong>et</strong> passive à un ensemble <strong>de</strong> principes, <strong>de</strong> formulesfixés en un moule rigi<strong>de</strong>. C'est <strong>la</strong> pétrification <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée, le divorce


38 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEentre <strong>la</strong> religion <strong>et</strong> <strong>la</strong> science qui, elle, ne saurait se passer <strong>de</strong> liberté <strong>et</strong> <strong>de</strong>mouvement.C<strong>et</strong>te immobilité, c<strong>et</strong>te fixité rigi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s dogmes prive <strong>la</strong> religion qui sel'impose <strong>de</strong> tous les bénéfices du mouvement social <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'évolution <strong>de</strong><strong>la</strong> pensée. En se considérant comme <strong>la</strong> seule croyance bonne <strong>et</strong> véritable,elle en arrive à proscrire tout ce qui est du <strong>de</strong>hors, <strong>et</strong> se mure ainsi dansune tombe, où elle voudrait entraîner avec elle <strong>la</strong> vie intellectuelle <strong>et</strong> legénie <strong>de</strong>s races humaines.<strong>Le</strong> plus grand souci du spiritisme est d'éviter ces funestesconséquences <strong>de</strong> l'orthodoxie. Sa révé<strong>la</strong>tion est un exposé libre <strong>et</strong>sincère <strong>de</strong> doctrines qui n'ont rien d'immuables, mais constituent uneétape nouvelle vers <strong>la</strong> vérité éternelle <strong>et</strong> infinie. Chacun a le droit d'enanalyser les principes, <strong>et</strong> ils n'ont d'autre sanction que <strong>la</strong> conscience <strong>et</strong> <strong>la</strong>raison. Mais, en les adoptant, on doit y conformer sa vie <strong>et</strong> remplir les<strong>de</strong>voirs qui en découlent. Ceux qui ne le font pas ne peuvent êtreconsidérés comme <strong>de</strong>s a<strong>de</strong>ptes sérieux.A. Kar<strong>de</strong>c nous a toujours mis en gar<strong>de</strong> contre le dogmatisme <strong>et</strong>l'esprit sectaire. Il nous recomman<strong>de</strong> sans cesse, dans ses ouvrages, <strong>de</strong> nepas <strong>la</strong>isser cristalliser le spiritisme <strong>et</strong> d'éviter les métho<strong>de</strong>s néfastes quiont ruiné l'esprit religieux dans notre pays.Dans notre temps <strong>de</strong> discor<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> luttes politiques <strong>et</strong> religieuses, où<strong>la</strong> science <strong>et</strong> l'orthodoxie sont aux prises, nous voudrions démontrer auxhommes <strong>de</strong> bonne volonté <strong>de</strong> toutes les opinions, <strong>de</strong> toutes lescroyances, ainsi qu'à tous les penseurs vraiment libres <strong>et</strong> doués d'unecompréhension <strong>la</strong>rge, qu'il est un terrain neutre, celui du spiritualismeexpérimental, où nous pouvons nous rencontrer <strong>et</strong> nous donner <strong>la</strong> main.Plus <strong>de</strong> dogmes ! plus <strong>de</strong> mystères ! Ouvrons notre enten<strong>de</strong>ment à tousles souffles <strong>de</strong> l'esprit ; puisons à toutes les sources du passé <strong>et</strong> duprésent. Disons-nous que, dans toute doctrine, il y a <strong>de</strong>s parcelles <strong>de</strong> <strong>la</strong>vérité ; mais aucune ne <strong>la</strong> contient entièrement, <strong>la</strong> vérité, dans saplénitu<strong>de</strong>, étant plus vaste que l'esprit humain.C'est seulement dans l'accord <strong>de</strong>s bonnes volontés, <strong>de</strong>s coeurssincères, <strong>de</strong>s esprits désintéressés que se réaliseront l'harmonie <strong>de</strong> <strong>la</strong>pensée <strong>et</strong> <strong>la</strong> conquête <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> somme <strong>de</strong> vérité assimi<strong>la</strong>ble àl'homme <strong>sur</strong> notre terre, à c<strong>et</strong>te heure <strong>de</strong> l'histoire.Un jour viendra où tous comprendront qu'il n'y a pas antithèse entre <strong>la</strong>science <strong>et</strong> <strong>la</strong> vraie religion. Il n'y a que <strong>de</strong>s malentendus. L'antithèse est


LE CRITERIUM DE LA DOCTRINE DES ESPRITS 39entre <strong>la</strong> science <strong>et</strong> l'orthodoxie : en nous rapprochant sensiblement <strong>de</strong>sdoctrines sacrées <strong>de</strong> l'Orient <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gaule, touchant l'unité du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong>l'évolution <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, les découvertes récentes, <strong>la</strong> science nous leprouvent. C'est pourquoi nous pouvons affirmer qu'en poursuivant leurmarche parallèle <strong>sur</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> route <strong>de</strong>s siècles, <strong>la</strong> science <strong>et</strong> <strong>la</strong> croyancese rencontreront forcément un jour, car leur but est i<strong>de</strong>ntique, <strong>et</strong> ellesfiniront par se pénétrer réciproquement. La science sera l'analyse ; <strong>la</strong>religion <strong>de</strong>viendra <strong>la</strong> synthèse. En elles, le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s faits <strong>et</strong> le mon<strong>de</strong><strong>de</strong>s causes s'uniront ; les <strong>de</strong>ux termes <strong>de</strong> l'intelligence humaine serelieront ; le voile <strong>de</strong> l'invisible sera déchiré ; l'oeuvre divine apparaîtra àtous les yeux dans sa splen<strong>de</strong>ur majestueuse !** *<strong>Le</strong>s allusions que nous venons <strong>de</strong> faire aux doctrines antiquespourraient susciter une autre objection : les enseignements du spiritisme,dira-t-on, ne sont donc pas entièrement nouveaux ? Non, sans doute. Atous les âges <strong>de</strong> l'humanité, <strong>de</strong>s éc<strong>la</strong>irs ont jailli, <strong>de</strong>s lueurs ont éc<strong>la</strong>iré <strong>la</strong>pensée en marche, <strong>et</strong> les vérités nécessaires sont apparues aux sages <strong>et</strong>aux chercheurs. Toujours les hommes <strong>de</strong> génie, <strong>de</strong> même que lessensitifs <strong>et</strong> les voyants, ont reçu <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s révé<strong>la</strong>tions appropriéesaux besoins <strong>de</strong> l'évolution humaine 18 . Il est peu probable que lespremiers hommes aient pu arriver d'eux-mêmes <strong>et</strong> par leurs seulesressources mentales à <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> lois <strong>et</strong> même aux premières formes <strong>de</strong>civilisation. Consciente ou non, <strong>la</strong> communion entre <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> l'espace atoujours existé.Aussi, nous r<strong>et</strong>rouverions facilement dans les doctrines du passé <strong>la</strong>plupart <strong>de</strong>s principes remis en lumière par l'enseignement <strong>de</strong>s Esprits.Du reste, ces principes, réservés au p<strong>et</strong>it nombre, n'avaient pas pénétréjusqu'à l'âme <strong>de</strong>s foules. <strong>Le</strong>ur révé<strong>la</strong>tion se produisait plutôt sous <strong>la</strong>forme <strong>de</strong> communications isolées, <strong>de</strong> manifestations présentant uncaractère sporadique ; elles étaient considérées le plus souvent commemiraculeuses. Mais après vingt ou trente siècles <strong>de</strong> lent travail <strong>et</strong> <strong>de</strong>gestation silencieuse, l'esprit critique s'est développé <strong>et</strong> <strong>la</strong> raison s'estélevée jusqu'au concept <strong>de</strong> lois plus hautes. Ces phénomènes avec18 Voir Dans l'lnvisible, chapitre XXIV : La Médiumnité glorieuse.


40 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEl'enseignement qui s'y rattache reparaissent, se généralisent, viennentgui<strong>de</strong>r les sociétés hésitantes dans <strong>la</strong> voie ardue du progrès.C'est toujours aux heures troubles <strong>de</strong> l'Histoire que les gran<strong>de</strong>sconceptions synthétiques se forment au sein <strong>de</strong> l'humanité ; lorsque lesreligions vieillies <strong>et</strong> les philosophies trop abstraites ne suffisent plus àconsoler les afflictions, à relever les courages abattus, à entraîner lesâmes vers les somm<strong>et</strong>s. Pourtant, il y a encore en elles bien <strong>de</strong>s forces<strong>la</strong>tentes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s foyers <strong>de</strong> chaleur qu'on pourrait ranimer. Aussi nepartageons-nous pas les vues <strong>de</strong> certains théoriciens qui, dans cedomaine, songent plutôt à démolir qu'à restaurer. Ce serait une faute. Il ya <strong>de</strong>ux parts à faire dans l'héritage du passé <strong>et</strong> même dans les religionsésotériques, créées pour <strong>de</strong>s esprits enfants <strong>et</strong> qui, toutes, répon<strong>de</strong>nt auxbesoins d'une catégorie d'âmes. La sagesse consisterait à recueillir lesparcelles <strong>de</strong> vie éternelle, les éléments <strong>de</strong> direction morale qu'ellescontiennent, tout en écartant les superfétations inutiles que l'action <strong>de</strong>sâges <strong>et</strong> <strong>de</strong>s passions est venue y ajouter.C<strong>et</strong>te oeuvre <strong>de</strong> discernement, <strong>de</strong> triage, <strong>de</strong> rénovation, qui pouvaitl'accomplir ? <strong>Le</strong>s hommes y étaient mal préparés. Malgré lesavertissements impérieux <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières années, malgré <strong>la</strong> déchéancemorale <strong>de</strong> notre temps, aucune voix autorisée ne s'est élevée, ni dans lesanctuaire, ni dans les hautes chaires académiques, pour dire les parolesfortes <strong>et</strong> graves que le mon<strong>de</strong> attendait.Dès lors, l'impulsion ne pouvait venir que d'en haut. Elle est venue.Tous ceux qui ont étudié le passé avec attention savent qu'il y a un p<strong>la</strong>ndans le drame <strong>de</strong>s siècles. La pensée divine s'y manifeste <strong>de</strong> façonsdifférentes <strong>et</strong> <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion se gradue <strong>de</strong> mille manières, suivant lesbesoins <strong>de</strong>s sociétés. C'est pourquoi, l'heure d'une nouvelle dispensationétant arrivée, le mon<strong>de</strong> invisible est sorti <strong>de</strong> son silence. Par toute <strong>la</strong>terre, les communications <strong>de</strong>s défunts ont afflué, apportant les élémentsd'une doctrine en qui se résument <strong>et</strong> se fon<strong>de</strong>nt les philosophies <strong>et</strong> lesreligions <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux humanités. <strong>Le</strong> but du spiritisme n'est pas <strong>de</strong> détruire,mais d'unifier <strong>et</strong> <strong>de</strong> compléter en rénovant. Il vient séparer, dans ledomaine <strong>de</strong>s croyances, ce qui est vivant <strong>de</strong> ce qui est mort. Il recueille<strong>et</strong> rassemble, dans les nombreux systèmes où s'est enfermée jusqu'ici <strong>la</strong>conscience <strong>de</strong> l'humanité, les vérités re<strong>la</strong>tives qu'ils renferment, pour lesunir aux vérités d'ordre général proc<strong>la</strong>mées par lui. Bref, le spiritismeattache à l'âme humaine, encore incertaine <strong>et</strong> débile, les puissantes ailes


LE CRITERIUM DE LA DOCTRINE DES ESPRITS 41<strong>de</strong>s <strong>la</strong>rges espaces <strong>et</strong>, par ce moyen, il l'élève à <strong>de</strong>s hauteurs d'où ellepeut embrasser <strong>la</strong> vaste harmonie <strong>de</strong>s lois <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s <strong>et</strong>, en mêm<strong>et</strong>emps, obtenir une c<strong>la</strong>ire vision <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée.Et c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>stinée se trouve incomparablement supérieure à tout ce quelui ont murmuré les doctrines du moyen âge <strong>et</strong> les théories d'un autr<strong>et</strong>emps. C'est un avenir d'immense évolution qui s'ouvre pour elle <strong>et</strong> sepoursuit <strong>de</strong> sphères en sphères, <strong>de</strong> c<strong>la</strong>rtés en c<strong>la</strong>rtés, vers un but toujoursplus beau, toujours plus illuminé <strong>de</strong>s rayons <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'amour.III. - NATURE DE L'ETRE.<strong>Le</strong> premier problème qui se pose à <strong>la</strong> pensée, c'est celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> penséeelle-même ou plutôt <strong>de</strong> l'être pensant. C'est là, pour nous tous, un suj<strong>et</strong>capital, qui domine tous les autres, <strong>et</strong> dont <strong>la</strong> solution nous ramène auxsources mêmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'univers.Quelle est <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> notre personnalité ? Celle-ci comporte-t-elle unélément susceptible <strong>de</strong> <strong>sur</strong>vivre à <strong>la</strong> mort ? A c<strong>et</strong>te question se rattachenttoutes les craintes, toutes les espérances <strong>de</strong> l'humanité.<strong>Le</strong> problème <strong>de</strong> l'être <strong>et</strong> le problème <strong>de</strong> l'âme ne font qu'un ; c'estl'âme 1 qui fournit à l'homme son principe <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> mouvement. L'âmehumaine est une volonté libre <strong>et</strong> souveraine ; c'est l'unité consciente quidomine tous les attributs, toutes les fonctions, tous les éléments matériels<strong>de</strong> l'être, comme l'âme divine domine, coordonne <strong>et</strong> relie toutes lesparties <strong>de</strong> l'univers pour les harmoniser.L'âme est immortelle, car le néant n'est pas <strong>et</strong> rien ne peut être anéanti.Aucune individualité ne peut cesser d'être. La dissolution <strong>de</strong>s formesmatérielles prouve simplement que l'âme est séparée <strong>de</strong> l'organisme àl'ai<strong>de</strong> duquel elle communiquait avec le milieu terrestre. Elle n'enpoursuit pas moins son évolution dans <strong>de</strong>s conditions nouvelles, sous<strong>de</strong>s formes plus parfaites <strong>et</strong> sans rien perdre <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité. Chaque foisqu'elle abandonne son corps terrestre, elle se r<strong>et</strong>rouve dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>l'espace, unie à son corps spirituel, dont elle est inséparable, à c<strong>et</strong>teforme impondérable qu'elle s'est préparée par ses pensées <strong>et</strong> par sesoeuvres.1 Nous le démontrerons plus loin à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> tout un ensemble <strong>de</strong> faits d'observation,d'expériences <strong>et</strong> <strong>de</strong> preuves objectives.


42 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEECe corps subtil, ce double fluidique, existe en nous à l'état permanent.Quoique invisible, il sert cependant <strong>de</strong> moule à notre corps matériel.Celui-ci ne joue pas, dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong> l'être, le rôle le plus important.<strong>Le</strong> corps visible, le corps physique varie. Formé en vue <strong>de</strong>s nécessités <strong>de</strong>l'étape terrestre, il est temporaire <strong>et</strong> périssable ; il se désagrège <strong>et</strong> sedissout à <strong>la</strong> mort. <strong>Le</strong> corps subtil <strong>de</strong>meure ; préexistant à <strong>la</strong> naissance, il<strong>sur</strong>vit aux décompositions <strong>de</strong> <strong>la</strong> tombe <strong>et</strong> accompagne l'âme dans sestransmigrations. C'est le modèle, le type originel, <strong>la</strong> véritable formehumaine, <strong>sur</strong> <strong>la</strong>quelle viennent s'incorporer, pour un temps, lesmolécules <strong>de</strong> <strong>la</strong> chair, <strong>et</strong> qui se maintient au milieu <strong>de</strong> toutes lesvariations <strong>et</strong> <strong>de</strong> tous les courants matériels. Même durant <strong>la</strong> vie, c<strong>et</strong>teforme subtile peut se détacher du corps charnel dans certainesconditions, agir, apparaître, se manifester à distance, comme nous leverrons plus loin, <strong>de</strong> façon à prouver, d'une manière irrécusable, sonexistence indépendante 2 .** *2 La science physiologique, à qui échappent encore <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, a cependantentrevu l'existence du périsprit ou corps fluidique, qui est à <strong>la</strong> fois le moule du corps matériel,le vêtement <strong>de</strong> l'âme <strong>et</strong> l'intermédiaire obligé entre eux. C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Bernard a écrit (Recherches<strong>sur</strong> les problèmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> physiologie) : «Il y a comme un <strong>de</strong>ssin préétabli <strong>de</strong> chaque être <strong>et</strong> <strong>de</strong>chaque organe, en sorte que si, considéré isolément, chaque phénomène <strong>de</strong> l'organisme esttributaire <strong>de</strong>s forces générales <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, ils paraissent révéler un lien spécial, ils semblentdirigés par quelque condition invisible dans <strong>la</strong> route qu'ils suivent, dans l'ordre qui lesenchaîne.»En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te notion du corps fluidique, l'union <strong>de</strong> l'âme au corps matériel resteincompréhensible. De là est venu l'affaiblissement <strong>de</strong> certaines théories spiritualistes quiconsidéraient l'âme comme un «pur esprit». Ni <strong>la</strong> raison ni <strong>la</strong> science ne peuvent adm<strong>et</strong>tre unêtre dépourvu <strong>de</strong> forme. <strong>Le</strong>ibniz, dans <strong>la</strong> préface <strong>de</strong> ses Nouvelles Recherches <strong>sur</strong> <strong>la</strong> Raisonhumaine, disait : «Je crois, avec <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s anciens, que tous les esprits, toutes les âmes,toutes les substances simples, actives, sont toujours unis à un corps <strong>et</strong> qu'il n'existe jamaisd'âmes qui en soient complètement dépourvues.»On a, du reste, <strong>de</strong> nombreuses preuves objectives <strong>et</strong> subjectives <strong>de</strong> l'existence du périsprit. Cesont d'abord les sensations dites «d'intégrité», qui accompagnent toujours l'amputation d'unmembre quelconque. Des magnétiseurs affirment qu'ils peuvent influencer leurs ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s enmagnétisant <strong>la</strong> prolongation fluidique <strong>de</strong>s membres coupés (Carl du Prel, <strong>la</strong> Doctrinemonistique <strong>de</strong> l'âme, chapitre VI). Viennent ensuite les apparitions <strong>de</strong>s fantômes <strong>de</strong>s vivants.Dans beaucoup <strong>de</strong> cas, le corps fluidique, concrété, a impressionné <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>quesphotographiques, <strong>la</strong>issé <strong>de</strong>s empreintes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mou<strong>la</strong>ges dans <strong>de</strong>s substances molles, <strong>de</strong>s traces<strong>sur</strong> <strong>la</strong> poussière <strong>et</strong> <strong>la</strong> suie, provoqué le dép<strong>la</strong>cement d'obj<strong>et</strong>s <strong>et</strong>c. (Voir Dans l'Invisible,chapitres XII <strong>et</strong> XX).


NATURE DE L'ETRE 43<strong>Le</strong>s preuves <strong>de</strong> l'existence <strong>de</strong> l'âme sont <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux sortes : morales <strong>et</strong>expérimentales. Voyons d'abord les preuves morales <strong>et</strong> celles d'ordrelogique, qui, pour avoir été souvent utilisées, n'en gar<strong>de</strong>nt pas moinstoute leur force <strong>et</strong> leur valeur.D'après les écoles matérialistes <strong>et</strong> moniste, l'âme n'est que <strong>la</strong> résultante<strong>de</strong>s fonctions cérébrales. «<strong>Le</strong>s cellules du cerveau, a dit Haeckel, sont lesvéritables organes <strong>de</strong> l'âme. Celle-ci est liée à leur intégrité. Elle croît,régresse <strong>et</strong> s'évanouit avec elles. <strong>Le</strong> germe matériel contient l'être toutentier, physique <strong>et</strong> mental.»Nous répondrons en substance : La matière ne peut générer <strong>de</strong>squalités qu'elle n'a pas. Des atomes, qu'ils soient triangu<strong>la</strong>ires, circu<strong>la</strong>iresou crochus, ne sauraient représenter <strong>la</strong> raison, le génie, le pur amour, <strong>la</strong>sublime charité. <strong>Le</strong> cerveau, dit-on, crée <strong>la</strong> fonction ; mais est-ilcompréhensible qu'une fonction puisse se connaître, possé<strong>de</strong>r <strong>la</strong>conscience <strong>et</strong> <strong>la</strong> sensibilité ? Comment expliquer <strong>la</strong> conscienceautrement que par l'esprit ? Vient-elle <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière ? Elle <strong>la</strong> combatfréquemment ! Vient-elle <strong>de</strong> l'intérêt <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'instinct <strong>de</strong> conservation ?Elle se révolte contre eux <strong>et</strong> nous comman<strong>de</strong> jusqu'au sacrifice !L'organisme matériel n'est pas le principe <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>et</strong> <strong>de</strong>s facultés ; ilen est, au contraire, <strong>la</strong> limite. <strong>Le</strong> cerveau n'est qu'un instrument, à l'ai<strong>de</strong>duquel l'esprit enregistre les sensations ; on pourrait le comparer à unc<strong>la</strong>vier dont chaque touche représenterait un genre spécial <strong>de</strong> sensations.Lorsque l'instrument est en parfait accord, ces touches, sous l'action <strong>de</strong> <strong>la</strong>volonté, ren<strong>de</strong>nt le son qui leur est propre, <strong>et</strong> l'harmonie règne dans nosidées <strong>et</strong> dans nos actes. Mais si ces mêmes touches se trouventdérangées, si plusieurs sont détruites, le son rendu sera faux, l'harmonieincomplète : il en résultera un désaccord, malgré les efforts <strong>de</strong>l'intelligence <strong>de</strong> l'artiste, qui ne peut plus obtenir <strong>de</strong> c<strong>et</strong> instrumentdéfectueux un ensemble <strong>de</strong> manifestations régulières. Ainsi s'expliquentles ma<strong>la</strong>dies mentales, les névroses, l'idiotisme, <strong>la</strong> perte temporaire <strong>de</strong> <strong>la</strong>parole ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire, <strong>la</strong> folie, <strong>et</strong>c., sans que l'existence <strong>de</strong> l'âme ensoit atteinte pour ce<strong>la</strong>. Dans tous ces cas, l'esprit subsiste, mais sesmanifestations sont contrariées <strong>et</strong> parfois même annihilées par suite d'unmanque <strong>de</strong> corré<strong>la</strong>tion avec son organisme.Sans doute, d'une façon générale, le développement du cerveau dénote<strong>de</strong> hautes facultés. A une âme délicate <strong>et</strong> puissante, il faut un instrumentplus parfait qui se prête à toutes les manifestations d'une pensée élevée


44 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>et</strong> fécon<strong>de</strong>. <strong>Le</strong>s dimensions <strong>et</strong> les circonvolutions du cerveau sontsouvent en rapport direct avec le <strong>de</strong>gré d'évolution <strong>de</strong> l'esprit 3 . Il n'enfaudrait pas déduire que <strong>la</strong> mémoire n'est qu'un simple jeu <strong>de</strong>s cellulescérébrales. Celles-ci se modifient <strong>et</strong> se renouvellent sans cesse, dit <strong>la</strong>science, à tel point que le cerveau <strong>et</strong> le corps humain tout entier sontrenouvelés en peu d'années 4 . Dans ces conditions, comment expliquerque nous puissions nous rappeler <strong>de</strong>s faits remontant à dix, vingt, trenteannées ? Comment les vieil<strong>la</strong>rds se remémorent-ils avec une facilité<strong>sur</strong>prenante les moindres détails <strong>de</strong> leur enfance ? Comment <strong>la</strong> mémoire,<strong>la</strong> personnalité, le moi peuvent-ils persister <strong>et</strong> se maintenir au milieu <strong>de</strong>scontinuelles <strong>de</strong>structions <strong>et</strong> reconstructions organiques ? Autant <strong>de</strong>problèmes insolubles pour le matérialisme !Rien ne parvient à l'âme, disent les psychologues contemporains, quepar le moyen <strong>de</strong>s sens, <strong>et</strong> <strong>la</strong> suspension <strong>de</strong>s uns entraîne <strong>la</strong> disparition <strong>de</strong>l'autre. Remarquons cependant que l'état d'anesthésie, c'est-à-dire <strong>la</strong>suppression momentanée <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité, ne supprime nullementl'action <strong>de</strong> l'intelligence ; celle-ci s'active, au contraire, dans <strong>de</strong>s cas où,d'après les doctrines matérialistes, elle <strong>de</strong>vrait être annihilée.Buisson écrivait : «S'il existe quelque chose qui puisse démontrerl'indépendance du moi, c'est as<strong>sur</strong>ément <strong>la</strong> preuve que nous fournissentles patients soumis à l'action <strong>de</strong> l'éther <strong>et</strong> chez qui les facultésintellectuelles résistent dans c<strong>et</strong> état aux agents anesthésiques.»Velpeau, traitant du même suj<strong>et</strong>, disait : «Quelle mine fécon<strong>de</strong> pour <strong>la</strong>physiologie <strong>et</strong> <strong>la</strong> psychologie que <strong>de</strong>s faits comme ceux-ci, qui séparentl'esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière, l'intelligence du corps !»Nous verrons aussi <strong>de</strong> quelle façon, dans le sommeil ordinaire ouprovoqué, dans le somnambulisme <strong>et</strong> l'extériorisation, l'âme peut vivre,percevoir, agir sans le secours <strong>de</strong>s sens.** *3 La règle n'est pas absolue. <strong>Le</strong> cerveau <strong>de</strong> Gamb<strong>et</strong>ta, par exemple, ne pesait que 1.246grammes, alors que <strong>la</strong> moyenne humaine est <strong>de</strong> 1.500 à 1.800 grammes. Ajoutons, d'ailleurs,que <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong>s localisations cérébrales qui prédominait dans <strong>la</strong> physiologie a été mise ensérieux échec par <strong>de</strong>s «cas fameux <strong>et</strong> fréquents <strong>de</strong> lésions étendues dans les régionsessentielles, ne s'accompagnant d'aucun trouble psychique grave, ni d'aucune restriction <strong>de</strong> <strong>la</strong>personnalité». Voir le cas célèbre publié par le docteur Guépin en mars 1917 <strong>et</strong> les faitsnombreux <strong>de</strong> bles<strong>sur</strong>es <strong>de</strong> guerre spécialement étudiés par le docteur Trou<strong>de</strong> (Revuemétapsychique, n° 1, 1921-1922).4 C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Bernard, <strong>la</strong> Science expérimentale ; Phénomènes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie.


NATURE DE L'ETRE 45Si l'âme, comme le dit Haeckel, représentait uniquement <strong>la</strong> somme <strong>de</strong>séléments corporels, il y aurait toujours, chez l'homme, corré<strong>la</strong>tion entrele physique <strong>et</strong> le mental. <strong>Le</strong> rapport serait direct <strong>et</strong> constant <strong>et</strong> l'équilibreparfait entre les facultés, les qualités morales, d'une part, <strong>et</strong> <strong>la</strong>constitution matérielle, <strong>de</strong> l'autre. <strong>Le</strong>s mieux partagés au point <strong>de</strong> vuephysique possé<strong>de</strong>raient aussi les âmes les plus intelligentes <strong>et</strong> les plusdignes. Nous savons qu'il n'en est rien, car, souvent, <strong>de</strong>s âmes d'élite onthabité <strong>de</strong>s corps débiles. La santé <strong>et</strong> <strong>la</strong> force ne comportent pasnécessairement, chez ceux qui les possè<strong>de</strong>nt, un esprit subtil <strong>et</strong> <strong>de</strong>bril<strong>la</strong>ntes qualités.On dit, il est vrai : Mens sana in corpore sano. Mais il y a tantd'exceptions à c<strong>et</strong>te maxime qu'on ne saurait <strong>la</strong> considérer comme unerègle absolue. La chair cè<strong>de</strong> toujours à <strong>la</strong> douleur. Il n'en est pas <strong>de</strong>même <strong>de</strong> l'âme, qui, souvent, résiste, s'exalte dans <strong>la</strong> souffrance <strong>et</strong>triomphe <strong>de</strong>s agents extérieurs.<strong>Le</strong>s exemples d'Antigone, <strong>de</strong> Jésus, <strong>de</strong> Socrate, <strong>de</strong> Jeanne d'Arc, ceux<strong>de</strong>s martyrs chrétiens, <strong>de</strong>s hussites <strong>et</strong> <strong>de</strong> tant d'autres qui embellissentl'Histoire <strong>et</strong> ennoblissent <strong>la</strong> race humaine, sont là pour nous rappeler queles voix du sacrifice <strong>et</strong> du <strong>de</strong>voir peuvent s'élever bien au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>sinstincts <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière. La volonté, chez les héros, sait dominer lesrésistances du corps aux heures décisives.Si l'homme était contenu tout entier dans le germe physique, ontrouverait en lui les seules qualités <strong>et</strong> les seuls défauts <strong>de</strong> sesgénérateurs, dans <strong>la</strong> même me<strong>sur</strong>e que chez ceux-ci. Au contraire, onvoit partout <strong>de</strong>s enfants différer <strong>de</strong> leurs parents, les dépasser ou leurrester inférieurs. Des frères, <strong>de</strong>s jumeaux, d'une ressemb<strong>la</strong>nce frappanteau physique, présentent, au mental <strong>et</strong> au moral, <strong>de</strong>s caractèresdissemb<strong>la</strong>bles entre eux <strong>et</strong> avec leurs ascendants.<strong>Le</strong>s théories <strong>de</strong> l'atavisme <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'hérédité sont impuissantes àexpliquer les cas célèbres d'enfants artistes ou savants : les musicienscomme Mozart ou Paganini, les calcu<strong>la</strong>teurs comme Mon<strong>de</strong>ux <strong>et</strong> Inaudi,les peintres <strong>de</strong> dix ans comme Van <strong>de</strong> Kerkhove <strong>et</strong> tant d'autres enfantsprodiges dont les aptitu<strong>de</strong>s ne se r<strong>et</strong>rouvent pas chez les parents, ou bienne s'y r<strong>et</strong>rouvent - tels, par exemple, les ascendants <strong>de</strong> Mozart - qu'à un<strong>de</strong>gré très inférieur.<strong>Le</strong>s propriétés <strong>de</strong> <strong>la</strong> substance matérielle transmise par les parents semanifestent chez l'enfant par <strong>la</strong> ressemb<strong>la</strong>nce physique <strong>et</strong> les maux


46 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEconstitutionnels. Mais <strong>la</strong> ressemb<strong>la</strong>nce ne persiste guère que pendant <strong>la</strong>première pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Dès que le caractère se <strong>de</strong>ssine, aussitôt quel'enfant <strong>de</strong>vient homme, on voit les traits se modifier peu à peu ; enmême temps les tendances héréditaires s'amoindrissent <strong>et</strong> font p<strong>la</strong>ce àd'autres éléments constituant une personnalité différente, un moi parfoistrès distinct dans ses goûts, ses qualités, ses passions, <strong>de</strong> tout ce que l'onrencontre chez les ascendants. Ce n'est donc pas l'organisme matériel quifait <strong>la</strong> personnalité, mais bien l'homme intérieur, l'être psychique. Ame<strong>sur</strong>e que celui-ci se développe <strong>et</strong> s'affirme par son action propre dansl'existence, on voit l'héritage physique <strong>et</strong> mental <strong>de</strong>s parents s'affaiblirpeu à peu, <strong>et</strong> souvent, s'évanouir.** *La notion du bien, gravée au fond <strong>de</strong>s consciences, est encore unepreuve évi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> notre origine spirituelle. Si l'homme était issu <strong>de</strong> <strong>la</strong>seule poussière, ou bien un résultat <strong>de</strong>s forces mécaniques du mon<strong>de</strong>,nous ne pourrions connaître le bien ni le mal, ressentir ni remords nidouleur morale. On nous dit : Ces notions proviennent <strong>de</strong> vos ancêtres,<strong>de</strong> l'éducation, <strong>de</strong>s influences sociales ! Mais si ces notions sontl'héritage exclusif du passé, d'où le passé les a-t-il reçues ? Et pourquoigrandissent-elles en nous, si elles n'y trouvaient un terrain favorable <strong>et</strong>un aliment ?Si vous avez souffert à <strong>la</strong> vue du mal, si vous avez pleuré <strong>sur</strong> vousmême<strong>et</strong> <strong>sur</strong> les autres, à ces heures <strong>de</strong> tristesses, <strong>de</strong> douleur révé<strong>la</strong>trice,vous avez pu entrevoir les secrètes profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> l'âme, ses attachesmystérieuses avec l'Au-<strong>de</strong>là, <strong>et</strong> vous avez compris le charme amer <strong>et</strong> lebut élevé <strong>de</strong> l'existence, <strong>de</strong> toutes les existences. Ce but, c'est l'éducation<strong>de</strong>s êtres par <strong>la</strong> douleur ; c'est l'ascension <strong>de</strong>s choses finies vers <strong>la</strong> vieinfinie.Non, <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>la</strong> conscience ne dérivent pas d'un univers chimique<strong>et</strong> mécanique. Elles le dominent <strong>de</strong> haut, au contraire, le dirigent <strong>et</strong>l'asservissent. En eff<strong>et</strong>, n'est-ce pas <strong>la</strong> pensée qui me<strong>sur</strong>e les mon<strong>de</strong>s,l'étendue, qui discerne les harmonies du Cosmos ? Nous appartenonsseulement pour une part au mon<strong>de</strong> matériel, c'est pourquoi nous enressentons si vivement les maux. Si nous lui appartenions tout entiers,nous nous trouverions beaucoup mieux dans notre élément <strong>et</strong> bien <strong>de</strong>ssouffrances nous seraient épargnées.


NATURE DE L'ETRE 47La vérité <strong>sur</strong> <strong>la</strong> nature humaine, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> vie <strong>et</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée, le bien <strong>et</strong> lemal, <strong>la</strong> liberté <strong>et</strong> <strong>la</strong> responsabilité, ne se découvre ni au fond <strong>de</strong>s cornuesni sous <strong>la</strong> pointe <strong>de</strong>s scalpels. La science matérielle ne peut juger <strong>de</strong>schoses <strong>de</strong> l'esprit. L'esprit, seul, peut juger <strong>et</strong> comprendre l'esprit, dans <strong>la</strong>me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong> son <strong>de</strong>gré d'évolution. C'est <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience <strong>de</strong>s âmessupérieures, <strong>de</strong> leurs pensées, <strong>de</strong> leurs travaux, <strong>de</strong> leurs exemples, <strong>de</strong>leurs sacrifices que jaillissent <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> lumière <strong>et</strong> le plus nobleidéal qui puissent gui<strong>de</strong>r l'humanité dans sa voie.L'homme est donc à <strong>la</strong> fois esprit <strong>et</strong> matière, âme <strong>et</strong> corps. Mais peutêtreesprit <strong>et</strong> matière ne sont-ils que <strong>de</strong>s mots exprimant d'une façonimparfaite les <strong>de</strong>ux formes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie éternelle, <strong>la</strong>quelle sommeille dans <strong>la</strong>matière brute, s'éveille dans <strong>la</strong> matière organique, s'active, s'épanouit <strong>et</strong>s'élève dans l'esprit.N'y a-t-il, comme certains philosophes l'adm<strong>et</strong>tent, qu'une essenceunique <strong>de</strong>s choses, à <strong>la</strong> fois forme <strong>et</strong> pensée, <strong>la</strong> forme étant une penséematérialisée, <strong>et</strong> <strong>la</strong> pensée, <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> l'esprit 5 ? Ce<strong>la</strong> est possible. <strong>Le</strong>savoir humain est restreint <strong>et</strong> le coup d'oeil du génie n'est, lui-même,qu'un éc<strong>la</strong>ir rapi<strong>de</strong> dans le domaine infini <strong>de</strong>s idées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s lois.Toutefois, ce qui caractérise l'âme <strong>et</strong> <strong>la</strong> différencie absolument <strong>de</strong> <strong>la</strong>matière, c'est son unité consciente. La matière se disperse <strong>et</strong> s'évanouit àl'analyse. L'atome physique se subdivise en sous-atomes <strong>et</strong> ceux-ci sefragmentent à leur tour, indéfiniment. La matière - les découvertesrécentes <strong>de</strong> Becquerel, Curie, <strong>Le</strong>bon l'établissent - est entièrementdépourvue d'unité. L'esprit, seul, dans l'univers, représente l'élément un,simple, indivisible <strong>et</strong>, par suite, logiquement, in<strong>de</strong>structible,impérissable, immortel !IV. - LA PERSONNALITE INTEGRALE.La conscience, le moi est le centre <strong>de</strong> l'être, le fonds même <strong>de</strong> <strong>la</strong>personnalité.Etre une personne, c'est avoir une conscience, un moi qui se réfléchit,s'examine, se souvient. Mais peut-on connaître, analyser <strong>et</strong> décrire lemoi, ses replis mystérieux, ses forces <strong>la</strong>tentes, ses germes féconds, sessour<strong>de</strong>s activités ? <strong>Le</strong>s psychologies, les philosophies du passé l'ont5 Nous entendons ici par esprit le principe <strong>de</strong> l'intelligence.


48 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEtenté en vain. <strong>Le</strong>urs travaux n'ont fait qu'effleurer <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face <strong>de</strong> l'êtreconscient. Ses couches internes <strong>et</strong> profon<strong>de</strong>s sont restées obscures,inaccessibles, jusqu'au jour où les expériences <strong>de</strong> l'hypnotisme, duspiritisme, <strong>de</strong> <strong>la</strong> rénovation <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire, y ont enfin proj<strong>et</strong>é quelquelumière.Et alors, on a pu voir qu'en nous se reflète, se répercute tout l'univers,dans sa double immensité d'espace <strong>et</strong> <strong>de</strong> temps. Nous disons d'espace,car l'âme, dans ses libres <strong>et</strong> pleines manifestations, ne connaît pas lesdistances. Nous disons <strong>de</strong> temps, parce que tout un passé sommeille enelle <strong>et</strong> que l'avenir y repose à l'état d'embryon.<strong>Le</strong>s anciennes écoles adm<strong>et</strong>taient l'unité <strong>et</strong> <strong>la</strong> continuité du moi, <strong>la</strong>permanence, l'i<strong>de</strong>ntité parfaite <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité humaine <strong>et</strong> sa<strong>sur</strong>vivance. <strong>Le</strong>urs étu<strong>de</strong>s étaient basées <strong>sur</strong> le sens intime, <strong>sur</strong> ce que l'onappelle <strong>de</strong> nos jours l'introspection.La nouvelle psychologie expérimentale considère <strong>la</strong> personnalitécomme un agrégat, un composé, une «colonie». Pour elle, l'unité <strong>de</strong> l'êtren'est qu'apparente <strong>et</strong> peut se décomposer. <strong>Le</strong> moi est une coordinationpassagère, a dit Th. Ribot 1 . Ces affirmations reposent <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s faitsd'expérience qu'on ne saurait négliger, tels que : vie intellectuelleinconsciente, altérations <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité, <strong>et</strong>c..Comment rapprocher <strong>et</strong> concilier <strong>de</strong>s théories aussi dissemb<strong>la</strong>bles <strong>et</strong>cependant basées toutes <strong>de</strong>ux <strong>sur</strong> <strong>la</strong> science d'observation ? D'une façonbien simple. Par l'observation elle-même, plus attentive, plus rigoureuse.Myers l'a dit en ces termes 2 :«Une recherche plus profon<strong>de</strong>, plus hardie, dans <strong>la</strong> direction même que lespsychologues (matérialistes) préconisent, montre qu'ils se sont trompés enaffirmant que l'analyse ne prouvait l'existence d'aucune faculté au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cellesque <strong>la</strong> vie terrestre, telle qu'ils <strong>la</strong> conçoivent, est capable <strong>de</strong> produire, <strong>et</strong> le milieuterrestre, d'utiliser. Car, en réalité, l'analyse révèle les traces d'une faculté que <strong>la</strong>vie matérielle ou p<strong>la</strong>nétaire n'aurait jamais pu engendrer, <strong>et</strong> dont les manifestationsimpliquent <strong>et</strong> font nécessairement supposer l'existence d'un mon<strong>de</strong> spirituel.D'un autre côté, <strong>et</strong> en faveur <strong>de</strong>s partisans <strong>de</strong> l'unité du moi, on peut dire que lesdonnées nouvelles sont <strong>de</strong> nature à fournir à leurs prétentions une base beaucoupplus soli<strong>de</strong> <strong>et</strong> une preuve présomptive dépassant en force toutes celles qu'ils1 Th. Ribot, les Ma<strong>la</strong>dies <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité, pages 170-172.2 F. W. Myers, <strong>la</strong> Personnalité humaine ; sa <strong>sur</strong>vivance, ses manifestations supranormales,page 19. C<strong>et</strong>te oeuvre représente l'un <strong>de</strong>s plus magnifiques efforts qui aient été tentés par <strong>la</strong>pensée pour résoudre les problèmes <strong>de</strong> l'être.


LA PERSONNALITE INTEGRALE 49auraient jamais pu imaginer, <strong>la</strong> preuve notamment que le moi peut <strong>sur</strong>vivre, <strong>et</strong><strong>sur</strong>vit réellement, non seulement aux désintégrations secondaires qui l'affectent aucours <strong>de</strong> sa vie terrestre, mais encore à <strong>la</strong> désintégration ultime qui résulte <strong>de</strong> <strong>la</strong>mort corporelle. <strong>Le</strong> «moi conscient» <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> nous est loin <strong>de</strong> comprendre <strong>la</strong>totalité <strong>de</strong> notre conscience <strong>et</strong> <strong>de</strong> nos facultés. Il existe une conscience plus vaste,<strong>de</strong>s facultés plus profon<strong>de</strong>s, dont <strong>la</strong> plupart restent virtuelles en ce qui concerne <strong>la</strong>vie terrestre, dont <strong>la</strong> conscience <strong>et</strong> les facultés <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie terrestre ne se sontdégagées qu'à <strong>la</strong> suite d'une sélection <strong>et</strong> qui s'affirment <strong>de</strong> nouveau dans toute leurplénitu<strong>de</strong> après <strong>la</strong> mort.J'ai été amené à c<strong>et</strong>te conclusion, qui a revêtu pour moi sa forme actuelle, il y aquatorze ans environ, lentement, à <strong>la</strong> suite d'une longue série <strong>de</strong> réflexions basées<strong>sur</strong> <strong>de</strong>s preuves dont le nombre al<strong>la</strong>it en augmentant progressivement.»Dans certains cas, on voit apparaître en nous un être tout différent <strong>de</strong>l'être normal, possédant non seulement <strong>de</strong>s connaissances <strong>et</strong> <strong>de</strong>saptitu<strong>de</strong>s plus étendues que celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité ordinaire, mais, enoutre, doué <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> perception plus puissants <strong>et</strong> plus variés. Parfoismême, dans les phénomènes <strong>de</strong> «personnalité secon<strong>de</strong>», le caractère semodifie <strong>et</strong> diffère à tel point du caractère habituel, que <strong>de</strong>s observateursse sont crus en présence d'un autre individu.Il faut bien faire <strong>la</strong> distinction entre ces cas <strong>et</strong> les phénomènesd'incorporations <strong>de</strong>s défunts. <strong>Le</strong>s médiums, à l'état <strong>de</strong> dégagementsomnambulique, prêtent parfois leur organisme resté libre à <strong>de</strong>s entités<strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là, à <strong>de</strong>s Esprits désincarnés qui s'en servent pourcommuniquer avec les hommes. Mais alors, les noms, les détails, lespreuves d'i<strong>de</strong>ntités fournies par les manifestants ne perm<strong>et</strong>tent aucuneconfusion. L'individualité envahissante diffère radicalement <strong>de</strong> celle dusuj<strong>et</strong>. <strong>Le</strong>s cas <strong>de</strong> G. Pelham 3 , <strong>de</strong> Robert Hyslop, <strong>de</strong> Fourca<strong>de</strong>, <strong>et</strong>c., nousdémontrent que les substitutions d'Esprits ne sauraient être confonduesavec les cas <strong>de</strong> double personnalité.Cependant l'erreur était possible ; en eff<strong>et</strong>, <strong>de</strong> même que lesincorporations d'Esprits, l'intervention <strong>de</strong>s personnalités secondaires estprécédée d'un court sommeil. Celles-ci <strong>sur</strong>gissent, le plus souvent, dansun accès <strong>de</strong> somnambulisme ou, même, à <strong>la</strong> suite d'une émotion. Lapério<strong>de</strong> <strong>de</strong> manifestation, d'abord <strong>de</strong> faible durée, se prolonge peu à peu,se répète <strong>et</strong> se précise jusqu'à acquérir <strong>et</strong> constituer un enchaînement <strong>de</strong>souvenirs particuliers qui se distinguent <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong>s souvenirsenregistrés dans <strong>la</strong> conscience normale. Ce phénomène peut être facilité3 Voir notre ouvrage, Dans l'Invisible, chapitre XIX, passim.


50 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEou provoqué par <strong>la</strong> suggestion hypnotique. Il est même probable quedans les cas spontanés, où n'intervient aucune volonté humaine, lephénomène est dû à <strong>la</strong> suggestion d'agents invisibles, gui<strong>de</strong>s <strong>et</strong>protecteurs du suj<strong>et</strong> ; ils agissent alors, comme nous le verrons, dans unbut curatif, thérapeutique.Dans le cas célèbre <strong>de</strong> Félida, étudié par le docteur Azam 4 , les <strong>de</strong>uxétats <strong>de</strong> conscience ou variations <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité sont n<strong>et</strong>tementtranchés :«Presque chaque jour, sans cause connue ou sous l'empire d'une émotion, elleest prise <strong>de</strong> ce qu'elle appelle sa crise ; en fait, elle rentre dans son <strong>de</strong>uxième état ;elle est assise, un ouvrage <strong>de</strong> couture à <strong>la</strong> main ; tout à coup, sans que rien puissele faire prévoir, <strong>et</strong> après une douleur aux tempes plus violente que d'habitu<strong>de</strong>, satête tombe <strong>sur</strong> sa poitrine, ses mains <strong>de</strong>meurent inactives <strong>et</strong> <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt inertes lelong <strong>de</strong> son corps ; elle dort ou paraît dormir, mais d'un sommeil spécial, caraucun bruit, aucune excitation, pincement ou piqûre ne sauraient l'éveiller ; <strong>de</strong>plus c<strong>et</strong>te sorte <strong>de</strong> sommeil est absolument subit. Il dure <strong>de</strong>ux ou trois minutes ;autrefois il était beaucoup plus long.Après ce temps, Félida s'éveille ; mais elle n'est plus dans l'état intellectuel oùelle était quand elle s'est endormie. Tout paraît différent. Elle lève <strong>la</strong> tête <strong>et</strong>,ouvrant les yeux, salue en souriant les personnes qui l'entourent, comme si ellevenait d'arriver ; <strong>la</strong> physionomie, triste <strong>et</strong> silencieuse auparavant, s'éc<strong>la</strong>ire <strong>et</strong>respire <strong>la</strong> gai<strong>et</strong>é ; sa parole est brève, <strong>et</strong> elle continue, en fredonnant, l'ouvraged'aiguille que, dans l'état précé<strong>de</strong>nt, elle avait commencé ; elle se lève, sa marcheest agile, <strong>et</strong> elle se p<strong>la</strong>int à peine <strong>de</strong>s mille douleurs qui, quelques instantsauparavant, <strong>la</strong> faisaient souffrir ; elle vaque aux soins ordinaires du ménage,circule dans <strong>la</strong> ville, <strong>et</strong>c.. Son caractère est complètement changé : <strong>de</strong> triste elle est<strong>de</strong>venue gaie ; son imagination est plus exaltée ; pour le moindre motif elles'émeut en tristesse ou en joie ; d'indifférente, elle est <strong>de</strong>venue sensible à l'excès.Dans c<strong>et</strong> état, elle se souvient parfaitement <strong>de</strong> tout ce qui s'est passé dans lesautres états semb<strong>la</strong>bles qui ont précédé, <strong>et</strong> aussi pendant sa vie normale. Dansc<strong>et</strong>te vie comme dans l'autre, ses facultés intellectuelles <strong>et</strong> morales, bien quedifférentes, sont incontestablement entières : aucune idée délirante, aucune fausseappréciation, aucune hallucination. Félida est autre, voilà tout. On peut même direque, dans ce <strong>de</strong>uxième état, c<strong>et</strong>te condition secon<strong>de</strong>, comme l'appelle M. Azam,toutes ses facultés paraissent plus développées <strong>et</strong> plus complètes.C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>uxième vie, où <strong>la</strong> douleur physique ne se fait pas sentir, est <strong>de</strong> beaucoupsupérieure à l'autre ; elle l'est <strong>sur</strong>tout par ce fait considérable que, pendant sadurée, Félida se souvient non seulement <strong>de</strong> ce qui s'est passé pendant les accèsprécé<strong>de</strong>nts, mais aussi <strong>de</strong> toute sa vie normale, tandis que, pendant sa vie normale,elle n'a aucun souvenir <strong>de</strong> ce qui s'est passé pendant ses accès.»4 Docteur Bin<strong>et</strong>, Altérations <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité. F. Alcan, Paris pages 6-20.


LA PERSONNALITE INTEGRALE 51On voit qu'il n'y a pas là en jeu plusieurs personnalités, maissimplement plusieurs états <strong>de</strong> <strong>la</strong> même conscience. La re<strong>la</strong>tion persisteentre ces divers aspects <strong>de</strong> l'être psychique. Du moins, l'état second, leplus compl<strong>et</strong>, n'ignore rien <strong>de</strong> ce qu'a fait le premier ; tandis que celui-cine connaît l'autre que par ouï-dire. <strong>Le</strong> mo<strong>de</strong> d'existence n° 2 traite le n° 1avec quelque dédain. Félida, dans l'état second, parle <strong>de</strong> <strong>la</strong> «fille bête»<strong>de</strong> <strong>la</strong> même façon dont nous parlerions nous-mêmes <strong>de</strong> l'enfant gauche,du bébé malhabile que nous fûmes jadis.Dans le cas <strong>de</strong> Louis Vivé 5 , nous nous trouvons en présence d'unphénomène <strong>de</strong> «régression <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire». <strong>Le</strong> suj<strong>et</strong>, sous l'influence <strong>de</strong><strong>la</strong> suggestion hypnotique, revit toutes les scènes <strong>de</strong> sa vie avec, ditMyers, «<strong>la</strong> rapidité <strong>et</strong> <strong>la</strong> facilité d'images cinématographiques. Nonseulement les états mentaux passés <strong>et</strong> oubliés reviennent à <strong>la</strong> mémoire enmême temps que les impressions physiques <strong>de</strong> ces variations, maislorsqu'un état mental passé <strong>et</strong> oublié est suggéré au patient comme étantson état actuel, il éprouve aussitôt les impressions physiquescorrespondantes.»Nous verrons plus loin que, grâce à <strong>de</strong>s expériences du même ordre,on a pu reconstituer les existences antérieures <strong>de</strong> certains suj<strong>et</strong>s avec <strong>la</strong>même n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é, <strong>la</strong> même puissance d'impressions <strong>et</strong> <strong>de</strong> sensations. Et parlà, nous serons amenés à reconnaître que <strong>la</strong> science profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'êtrenous réserve bien <strong>de</strong>s <strong>sur</strong>prises.En Mary Reynolds 6 , on assiste à une transformation complète ducaractère, qui présente trois phases distinctes : l'une, marquée parl'insouciance ; l'autre, par <strong>de</strong>s dispositions à <strong>la</strong> tristesse, avec un<strong>et</strong>endance à se fusionner en un troisième état, supérieur aux <strong>de</strong>uxprécé<strong>de</strong>nts.Nous ne pouvons passer sous silence les observations <strong>de</strong> même naturefaites par le docteur Morton-Prince <strong>sur</strong> Miss Beauchamp 7 . Celle-ciprésente plusieurs aspects d'une même personnalité, qui se sont révéléssuccessivement <strong>et</strong> ont été dénommés au fur <strong>et</strong> à me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong> leurapparition, B1, B2, B4, B5.5 F. W. Myers, <strong>la</strong> Personnalité humaine, <strong>et</strong>c. page 60. Voir aussi Camus<strong>et</strong>, Annales médicopsychologiques,1882, page 15.6 W. James, Principles of psychology.7 Docteur Morton-Prince. Voir The Association of a Personnality, ainsi que l'ouvrage ducolonel A. <strong>de</strong> Rochas, les Vies successives, Chacornac, edit., Paris 1911, pages 398-402.


52 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEB1, c'est Miss Beauchamp à l'état normal, personne sérieuse, réservée,scrupuleuse à l'excès. B2, c'est <strong>la</strong> même en état d'hypnose, avec plusd'aisance, d'abandon, <strong>et</strong> une mémoire plus étendue. B4, qui se révé<strong>la</strong> plustard, se distingue <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>ntes par un état compl<strong>et</strong> d'unitéharmonieuse <strong>et</strong> d'équilibre normal, mais à qui fait défaut <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong>ssix <strong>de</strong>rnières années, par suite d'une émotion violente. Enfin B5, quiréunit comme dans une synthèse, <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong>s états déjà décrits.L'originalité <strong>de</strong> ce cas consiste dans l'intervention, au milieu <strong>de</strong> cesdivers aspects <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité <strong>de</strong> Miss Beauchamp, d'une individualitéqui lui est, nous semble-t-il, complètement étrangère. Il s'agit <strong>de</strong> B3 quidit se nommer Sally, être espiègle, taquin, voire facétieux, dominantMiss Beauchamp, lui faisant <strong>de</strong>s malices répétées, une vie très difficile.Sally s'adapte, physiologiquement, assez mal aux organes ; elle sembleétrangère à leur vie propre.C<strong>et</strong>te mystérieuse Sally ne serait, selon nous, qu'une entité <strong>de</strong> l'espaceréussissant à se substituer dans le sommeil à <strong>la</strong> personne normale <strong>et</strong> àdisposer, pour un <strong>la</strong>ps <strong>de</strong> temps, d'un organisme dont l'état d'équilibre estmomentanément troublé. Ce phénomène appartient à <strong>la</strong> catégorie <strong>de</strong>sincorporations d'esprits, que nous avons traitée spécialement dans notreouvrage 8 .Enfin F. Myers, dans son oeuvre magistrale 9 , re<strong>la</strong>te d'après le docteurMason, un cas <strong>de</strong> «multiple personnalité», que nous croyons <strong>de</strong>voirreproduire :«Alma Z... était une jeune fille très saine <strong>et</strong> très intelligente, d'un caractèresoli<strong>de</strong> <strong>et</strong> attirant, d'un esprit d'initiative dans tout ce qu'elle entreprenait, étu<strong>de</strong>,sport, re<strong>la</strong>tions sociales. A <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> <strong>sur</strong>menage intellectuel <strong>et</strong> d'une indispositionnégligée, sa santé se trouva fortement compromise, <strong>et</strong>, après <strong>de</strong>ux années <strong>de</strong>gran<strong>de</strong>s souffrances, une secon<strong>de</strong> personnalité fit brusquement son apparition.Dans un <strong>la</strong>ngage mi-enfantin, mi-indien, c<strong>et</strong>te personnalité s'annonçait commeétant le n° 2, venue pour sou<strong>la</strong>ger les souffrances du n° 1. Or, l'état du n° 1 était ence moment-là <strong>de</strong>s plus déplorables : douleurs, débilité, syncopes fréquentes,insomnies, stomatite mercurielle d'origine médicamenteuse, qui rendaitl'alimentation impossible. <strong>Le</strong> n° 2 était gai <strong>et</strong> tendre, d'une conversation fine <strong>et</strong>spirituelle, gardant toute sa connaissance, se nourrissant bien <strong>et</strong> abondamment,pour le plus grand profit, disait-elle, du n° 1. La conversation, toute raffinée <strong>et</strong>intéressante qu'elle fût, ne faisait rien soupçonner <strong>de</strong>s connaissances acquises par8 Voir Dans l'Invisible ; Spiritisme <strong>et</strong> Médiumnité, chapitre XIX.9 F. Myers, <strong>la</strong> Personnalité humaine, <strong>et</strong>c., pages 61, 62.


LA PERSONNALITE INTEGRALE 53<strong>la</strong> première personnalité. Elle manifestait une intelligence supra normalere<strong>la</strong>tivement aux événements qui se passaient dans le voisinage. C'est à c<strong>et</strong>teépoque-là que l'auteur a commencé à observer ce cas, <strong>et</strong> je ne l'ai pas perdu <strong>de</strong> vuependant six années consécutives. Quatre ans après l'apparition <strong>de</strong> <strong>la</strong> secon<strong>de</strong>personnalité, il en apparut une troisième, qui s'annonça sous le nom <strong>de</strong> "gamin".Elle était complètement distincte <strong>et</strong> différente <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux autres <strong>et</strong> avait pris <strong>la</strong> p<strong>la</strong>cedu n° 2, qu'elle garda pendant quatre ans.Toutes ces personnalités, quoique absolument distinctes <strong>et</strong> caractéristiques,étaient délicieuses chacune dans son genre, <strong>et</strong> le n° 2, en particulier, a été <strong>et</strong> estencore <strong>la</strong> joie <strong>de</strong> ses amis, toutes les fois qu'elle apparaît <strong>et</strong> qu'il leur est donné <strong>de</strong>l'approcher ; <strong>et</strong> elle apparaît toujours aux moments <strong>de</strong> fatigue excessive,d'excitation mentale, <strong>de</strong> prostration ; elle <strong>sur</strong>vient alors <strong>et</strong> persiste parfois pendantquelques jours. <strong>Le</strong> moi original affirme toujours sa supériorité, les autres n'étant làque dans son intérêt <strong>et</strong> pour son avantage. <strong>Le</strong> n° 1 n'a aucune connaissancepersonnelle <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux autres personnalités, elle les connaît cependant bien, le n° 2<strong>sur</strong>tout, par les récits <strong>de</strong>s autres <strong>et</strong> par les l<strong>et</strong>tres qu'elle reçoit souvent d'elles ; <strong>et</strong> len° 1 admire les messages fins, spirituels <strong>et</strong> souvent instructifs que lui apportent cesl<strong>et</strong>tres ou les récits <strong>de</strong>s amis.»Nous nous bornons à citer ces seuls faits, afin <strong>de</strong> ne pas nous étendredéme<strong>sur</strong>ément. Il en existe beaucoup d'autres <strong>de</strong> même nature, dont lelecteur pourra trouver <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription dans les ouvrages spéciaux 10 .Dans leur ensemble, ces phénomènes démontrent une chose : c'estqu'au-<strong>de</strong>ssous du niveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience normale, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> <strong>la</strong>personnalité ordinaire, il existe en nous <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns <strong>de</strong> conscience, <strong>de</strong>scouches ou zones disposées <strong>de</strong> telle sorte que, dans certaines conditions,on peut constater <strong>de</strong>s alternances entre ces p<strong>la</strong>ns. On voit alors émerger à<strong>la</strong> <strong>sur</strong>face <strong>et</strong> se manifester, pendant un temps donné, <strong>de</strong>s attributs, <strong>de</strong>sfacultés qui appartiennent à <strong>la</strong> conscience profon<strong>de</strong> ; puis ilsdisparaissent bientôt, pour reprendre leur rang <strong>et</strong> replonger dans l'ombre<strong>et</strong> l'inaction.Notre moi ordinaire, superficiel, limité par l'organisme, ne semble êtrequ'un fragment <strong>de</strong> notre moi total. En celui-ci est enregistré tout unmon<strong>de</strong> <strong>de</strong> faits, <strong>de</strong> connaissances, <strong>de</strong> souvenirs se rattachant au long10 Voir entre autres : docteurs Bouru <strong>et</strong> Burot, les Changements <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité, <strong>et</strong> De <strong>la</strong>suggestion mentale. Bibl. scientif. contemporaine, Paris, 1887. - Bin<strong>et</strong>, les Altérations <strong>de</strong> <strong>la</strong>personnalité. - Berjon, <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong> Hystérie chez l'homme. - Docteur Osgood Mason, DoublePersonnalité ; ses rapports avec l'hypnotisme <strong>et</strong> <strong>la</strong> lucidité.Voir encore Proceedings S. P. R., le cas <strong>de</strong> Miss Beauchamp, étudié par Morton, le casd'Annel Bourne, décrit par le docteur Hodgson, <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> Mollie Faucher, observé par le jugeaméricain Cain Dailey.


54 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEpassé <strong>de</strong> l'âme. Pendant <strong>la</strong> vie normale, toutes ces réserves restentcachées, comme ensevelies sous l'enveloppe matérielle. Ellesreparaissent dans l'état somnambulique. L'appel <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté, <strong>la</strong>suggestion les mobilise. Elles entrent en action <strong>et</strong> produisent cesphénomènes étranges que <strong>la</strong> physiologie officielle constate sans pouvoirles expliquer.Tous les cas <strong>de</strong> dédoublement <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité, tous les phénomènes<strong>de</strong> c<strong>la</strong>irvoyance, télépathie, prémonition, entrée en scène <strong>de</strong> sensnouveaux <strong>et</strong> <strong>de</strong> facultés inconnues, tout c<strong>et</strong> ensemble <strong>de</strong> faits dont lenombre s'accroît <strong>et</strong> constitue déjà un formidable faisceau, doit êtreattribué à l'intervention <strong>de</strong>s forces <strong>et</strong> <strong>de</strong>s ressources <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalitécachée.L'état somnambulique, qui en perm<strong>et</strong> <strong>la</strong> manifestation, n'est pas un état«régressif» ou morbi<strong>de</strong>, comme l'ont cru certains observateurs, maisplutôt un état supérieur <strong>et</strong>, suivant l'expression <strong>de</strong> Myers, «évolutif». Ilest vrai que l'état <strong>de</strong> dégénérescence <strong>et</strong> d'affaiblissement organiquefacilite chez quelques suj<strong>et</strong>s l'émergence <strong>de</strong>s couches profon<strong>de</strong>s du moi.C'est ce qu'on a désigné sous le nom d'hystérie. D'une façon générale, ilfaut le remarquer, tout ce qui déprime le corps physique favorise ledégagement, <strong>la</strong> sortie <strong>de</strong> l'esprit. La lucidité <strong>de</strong>s mourants nous fournirait<strong>sur</strong> ce point <strong>de</strong> nombreux témoignages. Mais, pour juger sainement cesfaits, il convient <strong>de</strong> les considérer <strong>sur</strong>tout au point <strong>de</strong> vuepsychologique ; toute leur importance est là.La science matérialiste a vu dans ces phénomènes ce qu'elle appelle<strong>de</strong>s «désintégrations», c'est-à-dire <strong>de</strong>s altérations <strong>et</strong> <strong>de</strong>s dissociations <strong>de</strong><strong>la</strong> personnalité. <strong>Le</strong> sectionnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience paraît quelquefois sitranché, <strong>et</strong> les types qui <strong>sur</strong>gissent, tellement différents du type normal,qu'on a pu se croire en présence <strong>de</strong> plusieurs consciences autonomes,alternant chez un même suj<strong>et</strong>. Nous croyons, avec Myers, qu'il n'en estrien. Il y a là simplement une variété d'états successifs, coïncidant avec<strong>la</strong> permanence du moi. La conscience est une, mais se manifestediversement : d'une façon restreinte, dans <strong>la</strong> vie normale, tant qu'elle estlimitée dans le champ <strong>de</strong> l'organisme ; plus pleine, plus étendue dans lesétats <strong>de</strong> dégagement ; <strong>et</strong> enfin, d'une manière totale, entière à <strong>la</strong> mort,après <strong>la</strong> séparation définitive, comme le démontrent les manifestations <strong>et</strong>les enseignements <strong>de</strong>s Esprits. La scission n'est donc qu'apparente. Laseule différence à faire entre les états variés <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience est une


LA PERSONNALITE INTEGRALE 55différence <strong>de</strong> <strong>de</strong>grés. Ces <strong>de</strong>grés peuvent être nombreux. La marge paraîtconsidérable, par exemple, entre l'état d'incorporation <strong>et</strong> l'extériorisationcomplète. La personnalité n'en reste pas moins i<strong>de</strong>ntique à traversl'enchaînement <strong>de</strong>s faits <strong>de</strong> conscience qu'un lien continu relie entre eux,<strong>de</strong>puis les modifications les plus simples <strong>de</strong> l'état normal, jusqu'aux cascomportant une transformation <strong>de</strong> l'intelligence <strong>et</strong> du caractère : <strong>de</strong>puis<strong>la</strong> simple idée fixe, les rêves <strong>et</strong> les songes, jusqu'à <strong>la</strong> projection <strong>de</strong> <strong>la</strong>personnalité dans le mon<strong>de</strong> spirituel, dans c<strong>et</strong> Au-<strong>de</strong>là où l'âme recouvre<strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses perceptions <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses pouvoirs.Déjà nous voyons, au cours <strong>de</strong> l'existence terrestre, <strong>de</strong> l'enfance à <strong>la</strong>vieillesse, le moi se modifier sans cesse ; l'âme traverse une successiond'états ; elle est dans un <strong>de</strong>venir incessant ; pourtant, au milieu <strong>de</strong> cesphases diverses, son contrôle <strong>sur</strong> l'organisme ne varie pas. Laphysiologie a fait ressortir c<strong>et</strong>te savante <strong>et</strong> harmonieuse coordination <strong>de</strong>toutes les parties <strong>de</strong> l'être, ces lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie organique <strong>et</strong> du mécanismenerveux qui ne peuvent s'expliquer sans <strong>la</strong> présence d'une unité centrale.C<strong>et</strong>te unité souveraine est <strong>la</strong> source <strong>et</strong> <strong>la</strong> conservatrice <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie ; elle enrelie tous les éléments, tous les aspects.C'est par une conséquence non moins fâcheuse <strong>de</strong>s théoriesmatérialistes que les «psychologues» <strong>de</strong> l'école officielle en sont arrivésà considérer le génie comme une névrose, alors qu'il peut êtrel'utilisation, dans une plus <strong>la</strong>rge me<strong>sur</strong>e, <strong>de</strong>s pouvoirs psychiques cachésdans l'homme.Myers, par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> catégorie <strong>de</strong>s «hystériques qui mènent le mon<strong>de</strong>»,ém<strong>et</strong> l'opinion que «l'inspiration du génie ne serait que l'émergence, dansle domaine <strong>de</strong>s idées conscientes, d'autres idées à l'é<strong>la</strong>boration<strong>de</strong>squelles <strong>la</strong> conscience n'a pas pris part, mais qui se sont forméestoutes seules, pour ainsi dire, indépendamment <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté, dans lesrégions profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> notre être 11 .»En général, ceux que l'on qualifie si légèrement <strong>de</strong> «dégénérés» sontsouvent <strong>de</strong>s «progénérés». Et chez eux, sensitifs, hystériques ounévrosés, les perturbations <strong>de</strong> l'organisme physique, les troubles nerveuxpeuvent bien être un procédé d'évolution que toute l'humanité <strong>de</strong>vra11 F. Myers, <strong>la</strong> Personnalité humaine, page 69.Nous croyons toutefois que, dans l'examen <strong>de</strong> ce problème du génie, Myers n'a pas tenu uncompte suffisant <strong>de</strong>s acquis antérieurs, fruit <strong>de</strong>s existences accumulées, pas plus que <strong>de</strong>l'inspiration médianimique, très caractérisée chez certaines intelligences géniales, commenous l'avons vu d'ailleurs (Dans l'Invisible, chapitre <strong>de</strong>rnier).


56 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEsubir pour atteindre un <strong>de</strong>gré plus intense <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie p<strong>la</strong>nétaire. Destroubles accompagnent toujours le développement <strong>de</strong> l'organismehumain jusqu'à son épanouissement compl<strong>et</strong>, <strong>de</strong> même qu'ils précè<strong>de</strong>ntl'apparition à <strong>la</strong> lumière <strong>de</strong> chaque être nouveau <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre. Dans nosefforts douloureux vers plus <strong>de</strong> vie, les valeurs morbi<strong>de</strong>s se transmuenten forces morales. Nos besoins sont <strong>de</strong>s instincts en fusion, qui seconcrètent en sens nouveaux pour acquérir plus <strong>de</strong> pouvoir <strong>et</strong> <strong>de</strong>connaissance.Même dans l'état ordinaire, l'état <strong>de</strong> veille, <strong>de</strong>s émergences, <strong>de</strong>simpulsions du moi profond peuvent remonter jusqu'aux couchesextérieures <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité, apportant <strong>de</strong>s intuitions, <strong>de</strong>s perceptions,<strong>de</strong> brusques éc<strong>la</strong>irs <strong>sur</strong> le passé <strong>et</strong> l'avenir <strong>de</strong> l'être, qui dénotent <strong>de</strong>sfacultés très étendues n'appartenant pas au moi normal.A c<strong>et</strong>te catégorie <strong>de</strong> phénomènes il faut rattacher <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s casd'écriture automatique. Nous disons <strong>la</strong> plupart, car il en est d'autres, nousle savons, qui ont pour cause <strong>de</strong>s agents extérieurs <strong>et</strong> invisibles.Il est en nous comme un réservoir d'eaux souterraines, d'où jaillit àcertaines heures <strong>et</strong> monte à <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face un courant rapi<strong>de</strong> <strong>et</strong> bouillonnant.<strong>Le</strong>s prophètes, les martyrs <strong>de</strong> toutes les religions, les missionnaires, lesinspirés, les enthousiastes <strong>de</strong> tout genre <strong>et</strong> <strong>de</strong> toute école, ont connu cessour<strong>de</strong>s <strong>et</strong> puissantes impulsions. Elles nous ont procuré les plus gran<strong>de</strong>soeuvres qui aient révélé aux hommes l'existence d'un mon<strong>de</strong> supérieur.V. - L'AME ET LES DIFFERENTS ETATS DUSOMMEIL.L'étu<strong>de</strong> du sommeil nous fournit <strong>sur</strong> <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité <strong>de</strong>sindications d'une gran<strong>de</strong> importance. En général, on n'approfondit pasassez le mystère du sommeil. L'examen attentif <strong>de</strong> ce phénomène, l'étu<strong>de</strong><strong>de</strong> l'âme <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa forme fluidique pendant c<strong>et</strong>te partie <strong>de</strong> l'existence quenous consacrons au repos, nous conduiront à une compréhension plusétendue <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> l'être dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là.<strong>Le</strong> sommeil possè<strong>de</strong> non seulement <strong>de</strong>s propriétés réparatrices que <strong>la</strong>science n'a pas assez mises en relief, mais encore un pouvoir <strong>de</strong>coordination <strong>et</strong> <strong>de</strong> centralisation <strong>sur</strong> l'organisme matériel. Il peut enoutre, nous venons <strong>de</strong> le voir, provoquer une extension considérable <strong>de</strong>s


L'AME ET LES DIFFERENTS ETATS DU SOMMEIL 57perceptions psychiques, une plus gran<strong>de</strong> intensité du raisonnement <strong>et</strong> <strong>de</strong><strong>la</strong> mémoire.Qu'est-ce donc que le sommeil ? C'est simplement <strong>la</strong> sortie, ledégagement <strong>de</strong> l'âme hors du corps. On a dit : <strong>Le</strong> sommeil est frère <strong>de</strong> <strong>la</strong>mort. Ces mots expriment une vérité profon<strong>de</strong>. Séquestrée dans <strong>la</strong> chair àl'état <strong>de</strong> veille, l'âme recouvre, dans le sommeil sa liberté re<strong>la</strong>tive,temporaire, en même temps que l'usage <strong>de</strong> ses pouvoirs cachés. La mortsera sa libération complète, définitive.Déjà dans les rêves <strong>et</strong> les songes, nous voyons entrer en action les sens<strong>de</strong> l'âme, ces sens psychiques, dont ceux du corps sont <strong>la</strong> manifestationextérieure <strong>et</strong> amoindrie. A me<strong>sur</strong>e que les perceptions du <strong>de</strong>horss'affaiblissent <strong>et</strong> se voilent, quand l'oeil est fermé <strong>et</strong> l'ouïe suspendue,d'autres moyens plus puissants s'éveillent dans les profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> l'être.Nous voyons, nous entendons à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sens internes. Des images, <strong>de</strong>sformes, <strong>de</strong>s scènes éloignées se succè<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> se déroulent ; <strong>de</strong>s entr<strong>et</strong>ienss'établissent avec <strong>de</strong>s personnages vivants ou décédés. C<strong>et</strong>te action,souvent incohérente <strong>et</strong> confuse dans le sommeil naturel, se précise <strong>et</strong>s'accroît avec le dégagement <strong>de</strong> l'âme, dans le sommeil provoqué, dans <strong>la</strong>transe somnambulique <strong>et</strong> l'extase.Parfois, l'âme s'éloigne pendant le repos du corps, <strong>et</strong> ce sont lesimpressions <strong>de</strong> ses voyages, les résultats <strong>de</strong> ses recherches, <strong>de</strong> sesobservations qui se traduisent par le rêve. Dans c<strong>et</strong> état, un lien fluidiquel'unit encore à l'organisme matériel <strong>et</strong>, par ce lien subtil, sorte <strong>de</strong> filconducteur, les impressions <strong>et</strong> les volontés <strong>de</strong> l'âme peuvent s<strong>et</strong>ransm<strong>et</strong>tre au cerveau. C'est par le même procédé que, dans les autresformes du sommeil, l'âme comman<strong>de</strong> à son enveloppe terrestre, <strong>la</strong>contrôle, <strong>la</strong> dirige. C<strong>et</strong>te direction dans l'état <strong>de</strong> veille, pendantl'incorporation, s'exerçait du <strong>de</strong>dans au-<strong>de</strong>hors ; elle s'effectuera en sensinverse dans les différents états <strong>de</strong> dégagement. L'âme, émancipée,continuera à influencer le corps à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce lien fluidique qui ne cesse<strong>de</strong> les relier l'un à l'autre. Dès lors, dans sa puissance psychiquereconstituée, l'âme exercera <strong>sur</strong> son organisme charnel une direction plusefficace <strong>et</strong> plus sûre. La marche <strong>de</strong>s somnambules dans <strong>la</strong> nuit, en <strong>de</strong>sendroits périlleux, avec une entière sécurité, est une démonstrationévi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> ce fait.Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> l'action thérapeutique provoquée par <strong>la</strong>suggestion. Celle-ci est efficace <strong>sur</strong>tout en ce sens qu'elle facilite le


58 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEdégagement <strong>de</strong> l'âme <strong>et</strong> lui rend son pouvoir absolu <strong>de</strong> contrôle, <strong>la</strong>liberté nécessaire pour diriger <strong>la</strong> force vitale accumulée dans le périsprit<strong>et</strong>, par ce moyen, réparer les pertes subies par le corps physique 1 . Nousavons constaté ce fait dans les cas <strong>de</strong> double personnalité. Lapersonnalité secon<strong>de</strong>, plus complète, plus entière que <strong>la</strong> personnaliténormale, se substitue à elle dans un but curatif, au moyen d'unesuggestion extérieure, acceptée <strong>et</strong> transformée en auto-suggestion parl'esprit du suj<strong>et</strong>. En eff<strong>et</strong>, celui-ci n'abandonne jamais ses droits <strong>et</strong> sespouvoirs <strong>de</strong> contrôle. Ainsi que l'a dit Myers : «Ce n'est pas l'ordre <strong>de</strong>l'hypnotiseur, mais plutôt <strong>la</strong> faculté du suj<strong>et</strong> qui forme le noeud <strong>de</strong> <strong>la</strong>question 2 .» <strong>Le</strong> savant professeur <strong>de</strong> Cambridge dit encore 3 : «<strong>Le</strong> butultime <strong>de</strong> tous les procédés hypnogènes, c'est d'énergiser <strong>la</strong> vie ; c'estd'atteindre plus rapi<strong>de</strong>ment <strong>et</strong> plus complètement <strong>de</strong>s résultats que <strong>la</strong> vieabandonnée à elle-même ne réalise que lentement <strong>et</strong> d'une façonincomplète.»En d'autres termes, l'hypnotisme est <strong>la</strong> mise en action, à un <strong>de</strong>gré plusintense, <strong>de</strong>s énergies réparatrices qui entrent en jeu dans le sommeilnaturel. La suggestion thérapeutique est l'art <strong>de</strong> libérer l'esprit du corps,<strong>de</strong> lui ouvrir une issue par le sommeil <strong>et</strong> <strong>de</strong> lui perm<strong>et</strong>tre d'exercer, dansleur plénitu<strong>de</strong>, ses pouvoirs <strong>sur</strong> le corps ma<strong>la</strong><strong>de</strong>. <strong>Le</strong>s personnessuggestibles sont celles dont les âmes paresseuses ou peu évoluées sontinhabiles à se dégager d'elles-mêmes <strong>et</strong> à agir utilement dans le sommeilordinaire pour réparer les pertes <strong>de</strong> l'organisme.La suggestion, en principe, n'est donc qu'une pensée, un acte <strong>de</strong>volonté, différant seulement <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté ordinaire par sa concentration<strong>et</strong> son intensité. En général nos pensées sont multiples <strong>et</strong> flottantes ; ellesnaissent <strong>et</strong> passent, ou bien, quand elles coexistent en nous, elles seheurtent <strong>et</strong> se confon<strong>de</strong>nt. Dans <strong>la</strong> suggestion, <strong>la</strong> pensée, <strong>la</strong> volonté sefixent <strong>sur</strong> un point unique. Elles gagnent en puissance ce qu'elles per<strong>de</strong>nten étendue. Par leur action, <strong>de</strong>venue plus pénétrante, plus incisive, ellesprovoquent chez le suj<strong>et</strong> le réveil <strong>de</strong>s facultés inutilisées dans l'état1 L'esprit extériorisé peut tirer <strong>de</strong> l'organisme plus <strong>de</strong> force vitale que n'en peut obtenir l'hommenormal, l'homme incarné. Des expériences ont démontré qu'un dynamomètre peut être serréplus fortement par l'esprit à travers l'organisme que par l'esprit incarné.2 Myers, <strong>la</strong> Personnalité humaine, <strong>et</strong>c., page 204.3 I<strong>de</strong>m, page 187.


L'AME ET LES DIFFERENTS ETATS DU SOMMEIL 59normal. La suggestion <strong>de</strong>vient alors une sorte d'impulsion, <strong>de</strong> levier quimobilise <strong>la</strong> force vitale <strong>et</strong> <strong>la</strong> dirige vers le point où elle doit opérer.La suggestion peut s'exercer aussi bien dans l'ordre physique, par uneinfluence directe <strong>sur</strong> le système nerveux, que dans l'ordre moral, <strong>sur</strong> lemoi central <strong>et</strong> <strong>la</strong> conscience du suj<strong>et</strong>. Bien employée, elle constitue unmoyen très appréciable d'éducation, en détruisant les tendancesmauvaises <strong>et</strong> les habitu<strong>de</strong>s pernicieuses. Son action <strong>sur</strong> le caractèreproduit alors les plus heureux résultats 4 .** *Revenons au sommeil ordinaire <strong>et</strong> au rêve. Tant que le dégagement <strong>de</strong>l'âme est incompl<strong>et</strong>, les sensations, les préoccupations <strong>de</strong> <strong>la</strong> veille, lessouvenirs du passé se mêlent aux impressions <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit. <strong>Le</strong>s perceptionsenregistrées par le cerveau se déroulent automatiquement, dans undésordre apparent, lorsque l'attention <strong>de</strong> l'âme est distraite du corps <strong>et</strong> nerègle plus les vibrations cérébrales ; <strong>de</strong> là l'incohérence <strong>de</strong> <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>srêves. Mais à me<strong>sur</strong>e que l'âme se dégage <strong>et</strong> s'élève, l'action <strong>de</strong>s senspsychiques <strong>de</strong>vient prédominante <strong>et</strong> les rêves acquièrent une lucidité,une n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é remarquables. Des échappées <strong>de</strong> plus en plus <strong>la</strong>rges, <strong>de</strong>vastes perspectives s'ouvrent <strong>sur</strong> le mon<strong>de</strong> spirituel, véritable domaine<strong>de</strong> l'âme <strong>et</strong> lieu <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée. Dans c<strong>et</strong> état, elle peut pénétrer les chosescachées <strong>et</strong> même les pensées <strong>et</strong> les sentiments d'autres esprits 5 .4 En résumé, voici les fruits que peut <strong>et</strong> doit procurer <strong>la</strong> suggestion hypnotique, <strong>et</strong> en vue<strong>de</strong>squels elle doit être appliquée : concentration <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté ; accroissementd'énergie <strong>et</strong> <strong>de</strong> vitalité ; fixation <strong>de</strong> l'attention <strong>sur</strong> les choses essentiellement utiles ;é<strong>la</strong>rgissement du champ <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire ; manifestation <strong>de</strong> sens nouveaux au moyend'impulsions internes ou externes.5 Suivant les anciens, il existe <strong>de</strong>ux catégories <strong>de</strong> rêves : le rêve proprement dit, en grec «onar»,est d'origine physique ; le songe «repar», d'origine psychique. On trouve c<strong>et</strong>te distinction dansHomère qui représente <strong>la</strong> tradition popu<strong>la</strong>ire ; aussi bien que dans Hippocrate, qui est lereprésentant <strong>de</strong> <strong>la</strong> tradition scientifique. Beaucoup d'occultistes mo<strong>de</strong>rnes ont adopté <strong>de</strong>sdéfinitions analogues. D'après eux, en thèse générale, le rêve serait un songe produitmécaniquement par l'organisme ; le songe, un produit <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>irvoyance divinatoire ; l'un,illusoire, l'autre, véridique. Mais il est parfois très difficile d'établir une délimitation n<strong>et</strong>te <strong>et</strong>tranchée entre ces <strong>de</strong>ux c<strong>la</strong>sses <strong>de</strong> phénomènes.<strong>Le</strong> rêve ordinaire semble dû à <strong>la</strong> vibration cérébrale automatique qui continue à se produiredans le sommeil lorsque l'âme est absente ; ces rêves sont souvent ab<strong>sur</strong><strong>de</strong>s ; mais c<strong>et</strong>teab<strong>sur</strong>dité même est une preuve que l'âme est dégagée du corps physique <strong>et</strong> n'en règle plus lesfonctions. On se souvient moins facilement du songe, parce qu'il n'impressionne pas lecerveau physique, mais seulement le corps psychique, véhicule <strong>de</strong> l'âme, qui est extérioriséedans le sommeil.


60 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEIl y a en nous une double vie, par <strong>la</strong>quelle nous appartenons à <strong>la</strong> fois à<strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s, à <strong>de</strong>ux p<strong>la</strong>ns d'existence. L'une est en rapport avec l<strong>et</strong>emps <strong>et</strong> l'espace, tels que nous les concevons dans notre milieup<strong>la</strong>nétaire, par les sens du corps ; c'est <strong>la</strong> vie matérielle ; l'autre, par lessens profonds <strong>et</strong> les facultés <strong>de</strong> l'âme, nous relie à l'univers spirituel <strong>et</strong>aux mon<strong>de</strong>s infinis. Au cours <strong>de</strong> notre existence terrestre, c'est <strong>sur</strong>toutdans l'état <strong>de</strong> sommeil que ces facultés peuvent s'exercer <strong>et</strong> lespuissances <strong>de</strong> l'âme entrer en vibration. Celle-ci reprend alors le contactavec c<strong>et</strong> univers invisible qui est sa patrie <strong>et</strong> dont <strong>la</strong> chair <strong>la</strong> séparait ;elle se r<strong>et</strong>rempe au sein <strong>de</strong>s énergies éternelles pour recommencer auréveil sa tâche pénible <strong>et</strong> obscure.Pendant le sommeil, l'âme peut, suivant les nécessités du moment, oubien s'appliquer à réparer les pertes vitales causées par le <strong>la</strong>beurquotidien <strong>et</strong> à régénérer l'organisme endormi, en lui infusant les forcesempruntées au mon<strong>de</strong> cosmique ; ou bien, lorsque c<strong>et</strong>te actionréparatrice est accomplie, reprendre le cours <strong>de</strong> sa vie supérieure, p<strong>la</strong>ner<strong>sur</strong> <strong>la</strong> nature, exercer ses facultés <strong>de</strong> vision à distance <strong>et</strong> <strong>de</strong> pénétration<strong>de</strong>s choses. Dans c<strong>et</strong> état d'activité indépendante, elle vit déjà paranticipation <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie libre <strong>de</strong> l'esprit. Car c<strong>et</strong>te vie, continuationnaturelle <strong>de</strong> l'existence p<strong>la</strong>nétaire, qui l'attend après <strong>la</strong> mort, elle <strong>la</strong> doitpréparer, non seulement par ses oeuvres terrestres, mais encore par sesoccupations, à l'état <strong>de</strong> dégagement, dans le sommeil. Et c'est grâce auxrefl<strong>et</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> lumière d'en haut, s'étendant <strong>sur</strong> nos rêves <strong>et</strong> éc<strong>la</strong>irant tout lecôté occulte <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée, que nous pouvons entrevoir les conditions <strong>de</strong>l'être dans l'Au-<strong>de</strong>là.S'il nous était possible d'embrasser d'un coup d'oeil toute l'étendue <strong>de</strong>notre existence, nous reconnaîtrions que l'état <strong>de</strong> veille est loin d'enconstituer <strong>la</strong> phase essentielle, l'élément le plus important. <strong>Le</strong>s âmes quiveillent <strong>sur</strong> nous profitent <strong>de</strong> notre sommeil pour nous exercer à <strong>la</strong> viefluidique <strong>et</strong> au développement <strong>de</strong> nos sens d'intuition. Il s'accomplitalors tout un travail d'initiation pour les humains avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> s'élever,travail dont leurs rêves portent <strong>la</strong> trace. Ainsi, quand nous volons, quandnous glissons avec rapidité au-<strong>de</strong>ssus du sol, c'est <strong>la</strong> sensation du corpsfluidique s'essayant à <strong>la</strong> vie supérieure.Rêver que l'on monte sans fatigue, avec une facilité <strong>sur</strong>prenante, àtravers l'espace, sans éprouver aucune contrainte, aucun effroi, ou bienque l'on p<strong>la</strong>ne au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s eaux ; traverser <strong>de</strong>s murailles <strong>et</strong> d'autres


L'AME ET LES DIFFERENTS ETATS DU SOMMEIL 61obstacles matériels sans s'étonner d'accomplir <strong>de</strong>s actes irréalisablespendant <strong>la</strong> veille, n'est-ce pas <strong>la</strong> preuve que nous sommes <strong>de</strong>venusfluidiques par le dégagement ? De telles sensations, <strong>de</strong> telles images,comportant un renversement compl<strong>et</strong> <strong>de</strong>s lois physiques qui régissent <strong>la</strong>vie ordinaire, ne pourraient venir à notre esprit, si elles n'étaient lerésultat d'une transformation <strong>de</strong> notre mo<strong>de</strong> d'existence.En réalité, il ne s'agit plus là <strong>de</strong> rêves, mais d'actions réelles,accomplies dans un autre domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensation <strong>et</strong> dont le souvenirs'est glissé dans <strong>la</strong> mémoire cérébrale. Ces souvenirs <strong>et</strong> ces impressionsnous le démontrent bien : nous possédons <strong>de</strong>ux corps, <strong>et</strong> l'âme, siège <strong>de</strong><strong>la</strong> conscience, reste attachée à son enveloppe subtile, pendant que lecorps matériel est couché, plongé dans l'inertie.Signalons toutefois une difficulté. Plus l'âme s'éloigne du corps <strong>et</strong>pénètre dans les régions éthérées, plus faible est le lien qui les unit, plusvague le souvenir au réveil. L'âme p<strong>la</strong>ne bien loin dans l'immensité, <strong>et</strong> lecerveau n'enregistre plus ses sensations. Il en résulte que nous nepouvons analyser nos rêves les plus beaux. Quelquefois, <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière <strong>de</strong>simpressions ressenties au cours <strong>de</strong> ces pérégrinations nocturnes subsisteau réveil. Et si, à ce moment, on a <strong>la</strong> précaution <strong>de</strong> <strong>la</strong> fixer fortementdans <strong>la</strong> mémoire, elle peut y rester gravée. Une nuit, j'ai eu <strong>la</strong> sensation<strong>de</strong> vibrations perçues dans l'espace, les <strong>de</strong>rnières d'une mélodie douce <strong>et</strong>pénétrante, <strong>et</strong> le souvenir <strong>de</strong>s ultimes paroles d'un chant qui se terminaitainsi : Il est <strong>de</strong>s cieux innombrables !Parfois l'on éprouve, au réveil, <strong>la</strong> vague impression <strong>de</strong> chosespuissantes entrevues, sans aucun souvenir précis. C<strong>et</strong>te sorte d'intuition,résultant <strong>de</strong> perceptions enregistrées dans <strong>la</strong> conscience profon<strong>de</strong>, maisnon pas dans <strong>la</strong> conscience cérébrale, persiste en nous pendant un certaintemps <strong>et</strong> influence nos actes. D'autres fois, ces impressions se traduisentavec n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é dans le rêve. Voici ce que dit Myers à ce suj<strong>et</strong> 6 :«<strong>Le</strong> résultat permanent d'un rêve est souvent tel, qu'il nous montre c<strong>la</strong>irementque le rêve n'est pas l'eff<strong>et</strong> d'une simple confusion avec <strong>de</strong>s expériences éveillées<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie passée, mais possè<strong>de</strong> un pouvoir inexplicable qui lui est propre <strong>et</strong> qu'iltire, semb<strong>la</strong>ble en ce<strong>la</strong> à <strong>la</strong> suggestion hypnotique, <strong>de</strong>s profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> notreexistence que <strong>la</strong> vie éveillée est incapable d'atteindre. Deux groupes <strong>de</strong> cas <strong>de</strong> cegenre sont suffisamment manifestes pour pouvoir être reconnus facilement, celuinotamment où le rêve a abouti à une transformation religieuse marquée, <strong>et</strong> celui oùle rêve a été le point <strong>de</strong> départ d'une idée obsédante ou d'un accès <strong>de</strong> folie réelle.»6 Myers, <strong>la</strong> Personnalité humaine, <strong>et</strong>c., page 117.


62 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEECes phénomènes pourraient s'expliquer par <strong>la</strong> communication, dans lerêve, <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience supérieure à <strong>la</strong> conscience normale, ou parl'intervention <strong>de</strong> quelque intelligence élevée qui juge, désapprouve,condamne <strong>la</strong> conduite du rêveur <strong>et</strong> lui cause une impression <strong>de</strong> trouble,<strong>de</strong> crainte salutaire. L'obsession peut aussi s'exercer au moyen du rêve,au point d'amener une perturbation mentale au réveil. Elle aura pourauteurs <strong>de</strong>s Esprits malfaisants, à qui nos agissements antérieurs <strong>et</strong> <strong>de</strong>sdommages causés ont donné prise <strong>sur</strong> nous.Insistons encore <strong>sur</strong> c<strong>et</strong>te propriété mystérieuse du sommeil, celle <strong>de</strong>nous m<strong>et</strong>tre, en certains cas, en possession <strong>de</strong> couches plus étendues <strong>de</strong><strong>la</strong> mémoire.La mémoire normale est précaire <strong>et</strong> restreinte ; elle n'embrasse que lecercle étroit <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie présente, l'ensemble <strong>de</strong>s faits dont <strong>la</strong> connaissanceest indispensable en vue du rôle à remplir <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> du but àatteindre. La mémoire profon<strong>de</strong> embrasse toute l'histoire <strong>de</strong> l'être <strong>de</strong>puisson origine, ses étapes successives, ses mo<strong>de</strong>s d'existence, p<strong>la</strong>nétaires oucélestes. Tout un passé, souvenirs <strong>et</strong> sensations, oublié, ignoré à l'état <strong>de</strong>veille, est gravé en nous ; ce passé ne se réveille que dansl'extériorisation, pendant le sommeil ordinaire ou provoqué. Il est unerègle connue <strong>de</strong> tous les expérimentateurs : c'est que, dans les différentsétats du sommeil, à me<strong>sur</strong>e qu'on s'éloigne <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong> veille <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong>mémoire normale, plus l'hypnose est profon<strong>de</strong>, plus l'expansion, <strong>la</strong>di<strong>la</strong>tation <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire s'accentue. Myers le constate en ces termes 7 :«<strong>Le</strong> <strong>de</strong>gré d'intelligence qui se manifeste dans le sommeil varie selon les suj<strong>et</strong>s<strong>et</strong> selon les époques. Mais toutes les fois que ce <strong>de</strong>gré est suffisant pour autoriserun jugement, nous trouvons qu'il existe pendant le sommeil hypnotique unemémoire considérable, qui n'est pas nécessairement une mémoire complète ouraisonnée <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong> veille ; tandis que chez <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s éveillés, à moinsd'une injonction spéciale adressée au moi hypnotique, il n'existe aucun souvenir serapportant à l'état <strong>de</strong> sommeil.<strong>Le</strong> sommeil ordinaire peut être considéré comme occupant une positionintermédiaire entre <strong>la</strong> vie éveillée <strong>et</strong> le sommeil hypnotique profond ; <strong>et</strong> il paraîtprobable que <strong>la</strong> mémoire qui appartient au sommeil ordinaire se rattache d'un côtéà celle qui appartient à <strong>la</strong> vie éveillée <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'autre à celle qui existe dans lesommeil hypnotique. Et il en est réellement ainsi, les fragments <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire dusommeil ordinaire étant intercalés entre les <strong>de</strong>ux chaînes.»7 Myers, Ouvr. cité, pages 121, 122.


L'AME ET LES DIFFERENTS ETATS DU SOMMEIL 63Myers, à l'appui <strong>de</strong> ses dires, cite 8 plusieurs cas où <strong>de</strong>s faitsrétrospectifs oubliés <strong>et</strong> d'autres dont le dormeur n'a jamais euconnaissance se révèlent dans le rêve.Nous le verrons en traitant <strong>de</strong> <strong>la</strong> question <strong>de</strong>s réincarnations : lesexpériences dont parle Myers ont été poussées beaucoup plus loin qu'ilne le prévoyait <strong>et</strong> les conséquences en sont immenses. Non seulement ona pu, par <strong>la</strong> suggestion hypnotique, reconstituer les moindres souvenirs<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie actuelle, disparus <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire normale <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s, maisencore ressou<strong>de</strong>r l'enchaînement brisé <strong>de</strong> leurs vies passées.En même temps qu'une mémoire plus vaste <strong>et</strong> plus riche, nous voyonsapparaître, dans le sommeil, <strong>de</strong>s facultés <strong>de</strong> beaucoup supérieures àtoutes celles dont nous jouissons à l'état <strong>de</strong> veille. Des problèmesvainement étudiés, abandonnés comme insolubles, sont résolus dans lerêve ou le somnambulisme ; <strong>de</strong>s oeuvres géniales, <strong>de</strong>s opérationsesthétiques <strong>de</strong> l'ordre le plus élevé : poèmes, symphonies, hymnesfunèbres sont conçus <strong>et</strong> exécutés. Faut-il voir là une action exclusive dumoi supérieur ou <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration d'entités spirituelles qui viennentinspirer nos travaux ? Il est probable que ces <strong>de</strong>ux facteurs interviennentdans les phénomènes <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ordre.Myers cite le cas d'Agassiz découvrant dans le sommeil l'arrangementsquel<strong>et</strong>tique d'ossements disparates qu'il avait tenté, à plusieurs reprises<strong>et</strong> sans succès, d'ajuster pendant <strong>la</strong> veille. Nous rappellerons les cas <strong>de</strong>Voltaire, Lafontaine, Coleridge, S. Bach, Tartini, <strong>et</strong>c., composant <strong>de</strong>soeuvres importantes dans <strong>de</strong>s conditions analogues 9 .Enfin, il importe <strong>de</strong> mentionner une forme <strong>de</strong> rêves dont l'explication aéchappé jusqu'ici à <strong>la</strong> science. Ce sont les rêves prémonitoires, ensembled'images <strong>et</strong> <strong>de</strong> visions se rapportant à <strong>de</strong>s événements futurs, <strong>et</strong> dontl'exactitu<strong>de</strong> est vérifiée ultérieurement. Ils semblent indiquer que l'âme ale pouvoir <strong>de</strong> pénétrer l'avenir ou qu'il lui est dévoilé par <strong>de</strong>sIntelligences supérieures.Signalons le rêve <strong>de</strong> <strong>la</strong> duchesse d'Hamilton, qui vit quinze jours àl'avance <strong>la</strong> mort du comte <strong>de</strong> L..., avec <strong>de</strong>s détails d'ordre intime, quientourèrent c<strong>et</strong> événement 10 . Un fait du même ordre a été publié par leProgressive Thinker <strong>de</strong> Chicago, 1er novembre 1913. Un magistrat <strong>de</strong>8 Myers, Ouvr. cité, pages 123, 124.9 Voir Dans l'Invisible, page 145.10 Proceedings S. P. R., XI, page 505.


64 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEHauser, M. Reed, fut tué n<strong>et</strong> par suite <strong>de</strong> l'embardée d'une automobile oùil avait pris p<strong>la</strong>ce. Son fils, âgé <strong>de</strong> 10 ans, avait eu <strong>de</strong>ux fois <strong>de</strong> suite,dans un rêve, <strong>la</strong> vision <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te catastrophe dans tous ses détails. Malgréces avertissements <strong>et</strong> les supplications <strong>de</strong> sa femme, M. Reed ne crut pas<strong>de</strong>voir renoncer à <strong>la</strong> promena<strong>de</strong> proj<strong>et</strong>ée, où il trouva <strong>la</strong> mort dans <strong>de</strong>scirconstances i<strong>de</strong>ntiques à celles perçues dans le rêve <strong>de</strong> l'enfant.M. Henri <strong>de</strong> Parville, dans son feuill<strong>et</strong>on scientifique du Journal <strong>de</strong>sDébats (mai 1904), rapporte un cas garanti par <strong>de</strong> sérieux témoignages :«Une jeune femme, dont le mari a disparu sans <strong>la</strong>isser <strong>de</strong> traces <strong>et</strong> qu'elle n'a pudécouvrir malgré toutes ses recherches, fait un rêve. Un p<strong>et</strong>it chien qui vécutlongtemps près d'elle, mais fut emmené par son mari, lui apparaît, aboiejoyeusement <strong>et</strong> <strong>la</strong> couvre <strong>de</strong> caresses. Il s'installe près d'elle <strong>et</strong> ne <strong>la</strong> quitte pas <strong>de</strong>syeux ; puis, après un moment, se lève <strong>et</strong> gratte à <strong>la</strong> porte. Il a fait sa visite <strong>et</strong> doits'en r<strong>et</strong>ourner. Elle lui ouvre <strong>et</strong>, dans son rêve, suit l'animal, qui s'éloigne encourant. Elle court <strong>de</strong>rrière lui <strong>et</strong>, après un certain temps, le voit entrer dans unemaison dont le rez <strong>de</strong> chaussée est occupé par un café. La rue, <strong>la</strong> maison, lequartier se gravent dans <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> dormeuse, qui en conserve le souvenirau réveil. Préoccupée sans cesse <strong>de</strong> ce rêve elle en parle à trois personnes <strong>de</strong> sonentourage, qui ont témoigné <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> l'authenticité <strong>de</strong>s faits. Elle se déci<strong>de</strong> enfinà suivre <strong>la</strong> piste du chien <strong>et</strong> r<strong>et</strong>rouve son mari dans <strong>la</strong> rue <strong>et</strong> <strong>la</strong> maison vues ensonge.»Nous trouvons encore exposé dans <strong>la</strong> Revue <strong>de</strong> psychologie <strong>de</strong> <strong>la</strong>Suisse roman<strong>de</strong>, 1905, page 379, le cas d'un jeune homme qui se voyaitsouvent, dans une hallucination autoscopique, précipité du haut d'unrocher <strong>et</strong> gisant, sang<strong>la</strong>nt <strong>et</strong> meurtri, au fond d'un ravin. C<strong>et</strong>te totaleprémonition se réalisa <strong>de</strong> point en point, le 10 juill<strong>et</strong> 1904, <strong>sur</strong> <strong>la</strong>montagne du Salève, près <strong>de</strong> Genève.** *A me<strong>sur</strong>e que nous nous élevons dans l'ordre <strong>de</strong>s phénomènespsychiques, ceux-ci s'accentuent, se précisent <strong>et</strong> nous apportent <strong>de</strong>spreuves plus décisives <strong>de</strong> l'indépendance <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>sur</strong>vivance <strong>de</strong> l'esprit.<strong>Le</strong>s perceptions <strong>de</strong> l'âme dans le sommeil sont <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux sortes. Nousconstatons d'abord <strong>la</strong> vision à distance, <strong>la</strong> c<strong>la</strong>irvoyance, <strong>la</strong> lucidité. Vientensuite un ensemble <strong>de</strong> phénomènes désignés sous les noms <strong>de</strong>télépathie <strong>et</strong> télesthésie (sensations <strong>et</strong> sympathies à distance). Ilcomprend <strong>la</strong> réception <strong>et</strong> <strong>la</strong> transmission <strong>de</strong>s pensées, <strong>de</strong>s sensations, <strong>de</strong>simpulsions motrices. A ces faits se rattachent les cas <strong>de</strong> dédoublements<strong>et</strong> d'apparitions, désignés sous les noms <strong>de</strong> fantômes <strong>de</strong>s vivants. Ces


L'AME ET LES DIFFERENTS ETATS DU SOMMEIL 65cas, <strong>la</strong> psychologie officielle a dû les constater en grand nombre, sans lesexpliquer 11 . Tous ces faits se relient entre eux <strong>et</strong> forment une chaînecontinue. En principe, ils ne sont, au fond, qu'un seul <strong>et</strong> mêmephénomène, variant <strong>de</strong> forme <strong>et</strong> d'intensité, c'est-à-dire le dégagementgraduel <strong>de</strong> l'âme. Ce dégagement, nous allons le suivre dans ses phasesdiverses, <strong>de</strong>puis l'éveil <strong>de</strong>s sens psychiques <strong>et</strong> leurs manifestations à tousles <strong>de</strong>grés, jusqu'à <strong>la</strong> projection à distance <strong>de</strong> l'esprit tout entier, âme <strong>et</strong>corps fluidique.Examinons d'abord les cas où <strong>la</strong> vision psychique s'exerce avec uneacuité remarquable. Nous en avons cité quelques-uns dans nos ouvragesprécé<strong>de</strong>nts. En voici un plus récent, publié par toute <strong>la</strong> presselondonienne :«La disparition <strong>de</strong> Miss Hol<strong>la</strong>nd, affaire criminelle qui a passionné l'Angl<strong>et</strong>erre,a été expliquée par un rêve. La police recherchait inutilement <strong>la</strong> victime. L'accusé,Samuel Doug<strong>la</strong>s, prétendait que celle-ci était partie pour une <strong>de</strong>stination inconnue<strong>et</strong> il al<strong>la</strong>it être relâché. <strong>Le</strong>s journaux <strong>de</strong> Londres ayant publié <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssinsreprésentant <strong>la</strong> ferme habitée par Miss Hol<strong>la</strong>nd <strong>et</strong> le jardin y attenant, une jeunefemme <strong>de</strong> chambre vit <strong>la</strong> gravure <strong>et</strong> s'écria : «Voilà mon rêve !» <strong>et</strong> elle indiqua unendroit, au pied d'un arbre, en disant : «Là, il y a un cadavre !» <strong>Le</strong> propos futrépété à <strong>la</strong> police <strong>et</strong>, <strong>de</strong>vant les agents, <strong>la</strong> jeune fille confirma ses déc<strong>la</strong>rations. Elleexpliqua qu'elle avait vu ce jardin en rêve <strong>et</strong>, dans le sol, à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce indiquée, uncorps enseveli. La police fit creuser <strong>la</strong> terre à c<strong>et</strong> endroit <strong>et</strong> y découvrit le cadavre<strong>de</strong> Miss Hol<strong>la</strong>nd. Il a été établi que <strong>la</strong> jeune femme <strong>de</strong> chambre n'avait jamaisconnu c<strong>et</strong>te personne, ni mis les pieds dans ce jardin.»M. C. F<strong>la</strong>mmarion, dans son ouvrage : l'Inconnu <strong>et</strong> les Problèmespsychiques, mentionne toute une série <strong>de</strong> visions directes à distance,dans le sommeil, résultant d'une enquête faite en France <strong>sur</strong> lesphénomènes <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ordre.Voici un cas plus compliqué. <strong>Le</strong>s Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques, <strong>de</strong>Paris, septembre 1905 (page 551), contiennent <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion détaillée <strong>et</strong>attestée par les autorités légales <strong>de</strong> Castel di Sangro (Italie) d'un rêvemacabre, collectif <strong>et</strong> véridique :«<strong>Le</strong> gar<strong>de</strong> champêtre du baron Raphaël Corrado, <strong>la</strong> nuit du 3 mars <strong>de</strong>rnier, viten rêve son père mort <strong>de</strong>puis dix ans. Celui-ci lui reprocha, ainsi qu'à ses frères <strong>et</strong>soeurs, <strong>de</strong> l'avoir oublié <strong>et</strong>, chose plus grave, <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser ses pauvres ossements,déterrés par les fossoyeurs, abandonnés <strong>sur</strong> <strong>la</strong> neige, <strong>de</strong>rrière <strong>la</strong> tour du cim<strong>et</strong>ière,à <strong>la</strong> merci <strong>de</strong>s loups. La soeur du gar<strong>de</strong> fit exactement le même rêve, <strong>et</strong> son frère,fort impressionné, prit son fusil <strong>et</strong>, malgré <strong>la</strong> tourmente <strong>de</strong> neige qui sévissait, se11 Voir les Proceedings <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société <strong>de</strong>s Recherches psychiques <strong>de</strong> Londres.


66 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEErendit au cim<strong>et</strong>ière, situé <strong>sur</strong> un mont dominant <strong>la</strong> ville. Là, <strong>de</strong>rrière <strong>la</strong> tour, parmiles ronces <strong>et</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> neige qui gardait <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong> pattes <strong>de</strong> loups, il vit <strong>de</strong>sossements humains.»<strong>Le</strong>s Annales donnent ensuite le récit détaillé <strong>de</strong> l'enquête <strong>et</strong> <strong>de</strong>srecherches faites par le juge <strong>de</strong> paix ; elles établissent que les ossementsétaient bien ceux du père du gar<strong>de</strong>, exhumés par les fossoyeurs àl'expiration <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> légale. Ceux-ci al<strong>la</strong>ient les transporter àl'ossuaire aux approches <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, lorsque le froid <strong>et</strong> <strong>la</strong> neige lescontraignirent à rem<strong>et</strong>tre leur besogne au len<strong>de</strong>main. <strong>Le</strong>s documentsre<strong>la</strong>tifs à c<strong>et</strong>te affaire, qui fit l'obj<strong>et</strong> d'un procès, sont contresignés par lenotaire, le juge <strong>de</strong> paix <strong>et</strong> le syndic <strong>de</strong> <strong>la</strong> localité ; ils ont été publiés parl'Echo <strong>de</strong>l Sangro, du 15 mars 1905.<strong>Le</strong> Professeur Newbold, <strong>de</strong> l'Université <strong>de</strong> Pennsylvanie, re<strong>la</strong>te dansles Proceedings S. P. R., XII, page 11, plusieurs exemples <strong>de</strong> rêvesindiquant une gran<strong>de</strong> activité <strong>de</strong> l'âme dans le sommeil <strong>et</strong> apportant <strong>de</strong>senseignements du mon<strong>de</strong> invisible. Entre autres, nous signalerons celuidu docteur Hilprecht, professeur d'assyrien à <strong>la</strong> même Université, quitrouva dans le sommeil le sens d'une inscription antique, sens qui luiavait échappé jusque-là. Dans un rêve plus complexe, où intervient unprêtre <strong>de</strong>s anciens temples <strong>de</strong> Nippur, il reçut <strong>de</strong> celui-ci l'explicationd'une énigme embarrassante. Tous les détails <strong>de</strong> ce rêve furent reconnusexacts. <strong>Le</strong>s indications du prêtre portaient <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s points d'archéologie,inconnus <strong>de</strong> tout être vivant <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre.Remarquons que dans tous ces faits le corps du percipient repose, sesorganes physiques sont endormis ; mais en lui, l'être psychique continueà veiller, à agir ; il voit, entend <strong>et</strong> communique, sans l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole,avec d'autres êtres semb<strong>la</strong>bles à lui, c'est-à-dire avec d'autres âmes.Ce phénomène a un caractère général <strong>et</strong> se r<strong>et</strong>rouve en chacun <strong>de</strong>nous. Dans le passage <strong>de</strong> <strong>la</strong> veille au sommeil, au moment même où nosmoyens ordinaires <strong>de</strong> communication avec le mon<strong>de</strong> extérieur sontsuspendus, <strong>de</strong>s issues nouvelles s'ouvrent en nous <strong>sur</strong> <strong>la</strong> nature, <strong>et</strong> parelles, s'échappe un rayonnement plus intense <strong>de</strong> notre vision. Nousvoyons déjà se révéler en ce<strong>la</strong> une autre forme <strong>de</strong> vie, <strong>la</strong> vie psychique,qui va s'amplifier dans les autres phénomènes dont nous allons nousoccuper, <strong>et</strong> nous prouver qu'il existe pour l'être humain un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> manifestation bien différent <strong>de</strong> celui <strong>de</strong>s sens matériels.Après les phénomènes <strong>de</strong> vision dans le sommeil naturel, voici un cas<strong>de</strong> c<strong>la</strong>irvoyance dans le sommeil provoqué :


L'AME ET LES DIFFERENTS ETATS DU SOMMEIL 67<strong>Le</strong> docteur Maxwell, déjà cité précé<strong>de</strong>mment, plonge Mme Agul<strong>la</strong>na,suj<strong>et</strong> très sensible, dans le sommeil magnétique. Elle se dégage,s'extériorise, s'éloigne en esprit <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>meure. M. Maxwell l'envoieobserver, à une certaine distance, ce que fait un <strong>de</strong> ses amis, M. B... Ilétait 10 h 20 du soir. Nous <strong>la</strong>issons <strong>la</strong> parole à l'expérimentateur 12 :«<strong>Le</strong> médium, à notre gran<strong>de</strong> <strong>sur</strong>prise, nous dit qu'elle voyait M. B... à moitiévêtu, se promener pieds nus <strong>sur</strong> <strong>la</strong> pierre. Ce<strong>la</strong> ne me parut avoir aucun sens.Cependant j'eus l'occasion <strong>de</strong> voir mon ami le len<strong>de</strong>main. Il se montra fort étonné<strong>de</strong> mon récit <strong>et</strong> me dit textuellement : Hier soir, je n'étais pas bien ; un <strong>de</strong> mesamis, M. S..., qui habite chez moi, me conseil<strong>la</strong> d'essayer <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> Kneip <strong>et</strong> mepressa avec tant d'insistance que, pour lui donner satisfaction, j'essayai pour <strong>la</strong>première fois hier soir <strong>de</strong> me promener nu-pieds <strong>sur</strong> <strong>la</strong> pierre froi<strong>de</strong> ; j'étais eneff<strong>et</strong> à <strong>de</strong>mi déshabillé quand j'ai fait c<strong>et</strong> essai. Il était 10 h 20 <strong>et</strong> je me suispromené quelque temps <strong>sur</strong> les premières marches <strong>de</strong> l'escalier, qui est en pierre.»<strong>Le</strong>s cas <strong>de</strong> c<strong>la</strong>irvoyance dans l'état somnambulique sont nombreux ; onen trouve <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion dans tous les ouvrages <strong>et</strong> revues s'occupantspécialement <strong>de</strong> ces questions. La Mé<strong>de</strong>cine française du 16 avril 1906rapporte un fait <strong>de</strong> c<strong>la</strong>irvoyance re<strong>la</strong>tif aux mines <strong>de</strong> Courrières. MmeBerthe, <strong>la</strong> voyante consultée, décrivit exactement <strong>la</strong> mine <strong>et</strong> subit lesaffres <strong>de</strong>s <strong>sur</strong>vivants dont elle annonça <strong>la</strong> mort ou <strong>la</strong> délivrance.Ajoutons <strong>de</strong>ux exemples récents :M. Louis Cadiou, directeur <strong>de</strong> l'usine <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grand-Palud, près <strong>de</strong> Lan<strong>de</strong>rneau(Finistère), ayant disparu à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> décembre 1913, on ne pouvait, malgré <strong>de</strong>srecherches minutieuses, r<strong>et</strong>rouver ses traces. Des sondages effectués dans <strong>la</strong>rivière l'Elorn n'avaient donné aucun résultat. Une voyante habitant Nancy, MmeCamille Hoffmann, ayant été consultée, déc<strong>la</strong>ra, dans l'état <strong>de</strong> sommeilmagnétique, que le cadavre serait r<strong>et</strong>rouvé à <strong>la</strong> lisière d'un bois voisin <strong>de</strong> l'usine,caché sous une mince couche <strong>de</strong> terre. <strong>Le</strong> frère <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime, d'après cesindications, découvrit le corps dans une situation i<strong>de</strong>ntique à celle que <strong>la</strong> voyanteavait décrite.Tous les journaux, entre autres le Matin du 5 février 1914, ont re<strong>la</strong>té avecdétails c<strong>et</strong>te affaire Cadiou, que toute <strong>la</strong> France a suivie avec un intérêt passionné.Quelques jours après, un phénomène analogue se produisit. Un jeune postier dunom <strong>de</strong> Charles Chape<strong>la</strong>nd s'étant noyé dans <strong>la</strong> Saône, près <strong>de</strong> Mâcon, son frèreeut recours à Mme Camille Hoffmann pour r<strong>et</strong>rouver son cadavre. Celle-ci as<strong>sur</strong>aqu'il serait rej<strong>et</strong>é par les eaux, 60 jours après l'acci<strong>de</strong>nt, près du barrage <strong>de</strong>Cormoranche, ce qui se réalisa <strong>de</strong> point en point 13 .12 J. Maxwell, les Phénomènes psychiques, page 193. F. Alcan, Paris, 1903.13 Voir le Matin du 23 février 1914.


68 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEVI. - DEGAGEMENT ET EXTERIORISATION ;PROJECTIONS TELEPATHIQUES.Nous arrivons maintenant à un ordre <strong>de</strong> manifestations qui seproduisent à distance, sans le concours <strong>de</strong>s organes, aussi bien dans <strong>la</strong>veille que pendant le sommeil. Ces phénomènes, connus sous le termeun peu général <strong>et</strong> vague <strong>de</strong> télépathie, ne sont pas, nous l'avons dit, <strong>de</strong>sactes ma<strong>la</strong>difs <strong>et</strong> morbi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité, comme certainsobservateurs l'ont cru, mais, au contraire, <strong>de</strong>s cas partiels, <strong>de</strong>s éclosionsisolées <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie supérieure au sein <strong>de</strong> l'humanité. On doit voir en eux <strong>la</strong>première apparition <strong>de</strong>s pouvoirs futurs dont l'homme terrestre sera doté.L'examen <strong>de</strong> ces faits nous conduira à <strong>la</strong> preuve que le moi extériorisépendant <strong>la</strong> vie <strong>et</strong> le moi <strong>sur</strong>vivant après <strong>la</strong> mort sont i<strong>de</strong>ntiques <strong>et</strong>représentent <strong>de</strong>ux aspects successifs <strong>de</strong> l'existence d'un seul <strong>et</strong> mêmeêtre.La télépathie, ou projection à distance <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong> même <strong>de</strong> l'imagedu manifestant, nous fait monter un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> plus <strong>sur</strong> l'échelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> viepsychique. Ici nous sommes en présence d'un acte puissant <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté.L'âme se communique elle-même en communiquant sa vibration :démonstration évi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> ce fait que l'âme n'est pas un composé, unerésultante ni un agrégat <strong>de</strong> forces, mais bien, au contraire, le centre <strong>de</strong> <strong>la</strong>vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté en nous, un centre dynamique qui comman<strong>de</strong>l'organisme <strong>et</strong> en dirige les fonctions. <strong>Le</strong>s manifestations télépathiquesne comportent pas <strong>de</strong> limites. <strong>Le</strong> pouvoir <strong>et</strong> l'indépendance <strong>de</strong> l'âme s'yrévèlent d'une façon souveraine, car ici le corps n'a aucune part auphénomène. Il est plutôt un obstacle qu'une ai<strong>de</strong>. Aussi se produisentellesavec une intensité plus gran<strong>de</strong> encore après le décès, comme nousle verrons par <strong>la</strong> suite.«L'auto projection, dit Myers 1 , est le seul acte défini que l'hommesemble capable d'accomplir aussi bien avant qu'après <strong>la</strong> mortcorporelle.»La communication télépathique à distance a été établie par <strong>de</strong>sexpériences <strong>de</strong>venues c<strong>la</strong>ssiques. Rappelons celles <strong>de</strong> M. Pierre Jan<strong>et</strong>,1 Myers, <strong>la</strong> Personnalité humaine, <strong>et</strong>c., page 250.


DEGAGEMENT ET EXTERIORISATION 69qui fut professeur en Sorbonne, <strong>et</strong> du docteur Gibert, du Havre, <strong>sur</strong> leursuj<strong>et</strong> Léonie, qu'ils font venir à eux, dans <strong>la</strong> nuit, à un kilomètre <strong>de</strong>distance, par <strong>de</strong>s appels suggestifs 2 .Depuis lors, les expériences se sont multipliées avec un succèsconstant. Citons seulement plusieurs cas <strong>de</strong> transmission <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée àgran<strong>de</strong> distance.<strong>Le</strong> Daily Express, du 17 juill<strong>et</strong> 1903, rendait compte <strong>de</strong> remarquablesessais d'échanges <strong>de</strong> pensées qui avaient eu lieu dans les bureaux <strong>de</strong> <strong>la</strong>Review of reviews, Norfolk stre<strong>et</strong>, Strand, à Londres. Ces expériencesétaient contrôlées par un comité <strong>de</strong> six membres, parmi lesquels ledocteur Wal<strong>la</strong>ce, 39, Harley stre<strong>et</strong>, <strong>et</strong> W. Stead, l'éminent publiciste. <strong>Le</strong>smessages télépathiques furent envoyés par M. Richardson, <strong>de</strong> Londres,<strong>et</strong> reçus par M. Franck, <strong>de</strong> Nottingham, à une distance <strong>de</strong> 110 millesang<strong>la</strong>is.Enfin, le Banner of Light, <strong>de</strong> Boston, du 12 août 1905, re<strong>la</strong>tait qu'uneAméricaine, Mrs. Burton Johnson, <strong>de</strong> Des Moines, venait d'obtenir lerecord <strong>de</strong> ce genre <strong>de</strong> transmission. Assise dans sa chambre, à l'hôtelVictoria, elle a reçu quatre fois <strong>de</strong>s messages télépathiques <strong>de</strong> Palo Alto(Californie), distant <strong>de</strong> 3.000 milles. Il s'agissait, disait le journal, <strong>de</strong>faits dûment vérifiés, rigoureusement contrôlés <strong>et</strong> qui ne <strong>la</strong>issentsubsister aucun doute.La transmission <strong>de</strong>s pensées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s images s'opère, nous l'avons dit,indistinctement dans le sommeil comme dans <strong>la</strong> veille. Nous en avonsdéjà re<strong>la</strong>té plusieurs cas ; on en trouvera d'autres, en grand nombre dans<strong>de</strong>s ouvrages spéciaux ; par exemple celui d'un mé<strong>de</strong>cin appelétélépathiquement pendant <strong>la</strong> nuit <strong>et</strong> celui d'Agnès Paqu<strong>et</strong>, signalés parMyers 3 . Ajoutons le cas <strong>de</strong> Mme Elgee : elle eut, au Caire, <strong>la</strong> vision d'un<strong>de</strong> ses amis qui, à ce moment même, en Angl<strong>et</strong>erre, pensait vivement àelle 4 .Dans les <strong>de</strong>rniers jours <strong>de</strong> sa vie, ma mère me voyait souvent prèsd'elle, à Tours, quoique je fusse alors bien loin <strong>de</strong> là, en voyage, dansl'Est.Tous ces phénomènes peuvent s'expliquer par <strong>la</strong> projection <strong>de</strong> <strong>la</strong>volonté du manifestant qui évoque chez le percipient l'image même <strong>de</strong> <strong>la</strong>2 Voir Bull<strong>et</strong>in <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société <strong>de</strong> psychologie physiologique, I., page 24.3 Phantasms of the living, I, 267. Proceedings, VII, 32-35.4 I<strong>de</strong>m, II, 239.


70 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEpersonne agissante. Dans les cas qui vont suivre, nous verrons <strong>la</strong>personnalité psychique, l'âme, se dégager entièrement <strong>de</strong> son enveloppecorporelle <strong>et</strong> apparaître dans sa forme fantômale. Sur ce point, lestémoignages abon<strong>de</strong>nt.Nous avons re<strong>la</strong>té ailleurs 5 les résultats <strong>de</strong>s enquêtes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société <strong>de</strong>sRecherches psychiques, <strong>de</strong> Londres. Elles ont permis <strong>de</strong> recueillirenviron un millier <strong>de</strong> cas d'apparitions à distance <strong>de</strong> personnes vivantes,appuyés <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s attestations <strong>de</strong> haute valeur. <strong>Le</strong>s témoignages ont étéconsignés en plusieurs volumes, sous forme <strong>de</strong> procès verbaux. Ilsportent les signatures d'hommes <strong>de</strong> science appartenant à <strong>de</strong>s académiesou corps scientifiques divers. Parmi ces noms figurent ceux <strong>de</strong> MM.G<strong>la</strong>dstone, Balfour, <strong>et</strong>c..On attribue généralement à ces phénomènes un caractère subjectif.Mais c<strong>et</strong>te opinion ne résiste pas à un examen attentif. Certainesapparitions ont été vues successivement par plusieurs personnes, auxdifférents étages d'une maison ; d'autres ont impressionné <strong>de</strong>s animaux :chiens, chevaux, <strong>et</strong>c.. Dans certains cas, les fantômes agissent <strong>sur</strong> <strong>la</strong>matière, ouvrent <strong>de</strong>s portes, dép<strong>la</strong>cent <strong>de</strong>s obj<strong>et</strong>s, <strong>la</strong>issent <strong>de</strong>s traces <strong>sur</strong><strong>la</strong> poussière recouvrant les meubles. On entend <strong>de</strong>s voix qui donnent <strong>de</strong>sinformations <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s faits ignorés, <strong>et</strong> dont l'exactitu<strong>de</strong> est reconnue plustard.Rappelons, dans le nombre, le cas <strong>de</strong> Mme Hawkins, dont le fantômefut aperçu par quatre personnes à <strong>la</strong> fois <strong>et</strong> d'une façon i<strong>de</strong>ntique 6 .En France, tout un ensemble <strong>de</strong> faits <strong>de</strong> même nature ont été recueillis<strong>et</strong> publiés par les Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques, du docteur Dariex <strong>et</strong>du professeur Ch. Rich<strong>et</strong>, <strong>et</strong> par M. C. F<strong>la</strong>mmarion, dans son ouvrage :<strong>la</strong> Mort <strong>et</strong> son Mystère, vol. I <strong>et</strong> II, 1921.Citons un cas rapporté par les grands journaux <strong>de</strong> Londres, le DailyExpress, l'Evening News, le Daily News, du 17 mai 1905, l'Umpire, du14 mai, <strong>et</strong>c.. Ces organes rendaient compte <strong>de</strong> l'apparition, en pleineséance du Parlement, à <strong>la</strong> Chambre <strong>de</strong>s communes, du fantôme d'undéputé, le major sir Carne Raschse, r<strong>et</strong>enu à ce moment chez lui par uneindisposition. Trois autres députés attestèrent <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>temanifestation. Voici comment s'exprima Sir Gilbert Parker 7 :5 Voir Après <strong>la</strong> mort : III° partie. Dans l'Invisible, Chap. XI.6 Voir Phantasms of the living, II, 61, 78, 96, 100, 144.7 The Umpire, du 14 mai 1905. Reproduit par les Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques, juin 1905.


DEGAGEMENT ET EXTERIORISATION 71«Je vou<strong>la</strong>is participer au débat, mais on oublia <strong>de</strong> m'appeler. Pendant que jeregagnais ma p<strong>la</strong>ce, mes yeux tombèrent <strong>sur</strong> sir Carne Raschse, assis près <strong>de</strong> sap<strong>la</strong>ce habituelle. Comme je savais qu'il avait été ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, je lui fis un geste amical,en lui disant : "J'espère que vous allez mieux." Mais il ne fit aucun signe <strong>de</strong>réponse. Ce<strong>la</strong> m'étonna. Mon ami avait le visage très pâle. Il était assis, tranquille,appuyé <strong>sur</strong> une main ; l'expression <strong>de</strong> sa figure était impassible <strong>et</strong> dure. Je songeaiun instant à ce qu'il convenait <strong>de</strong> faire ; quand je me r<strong>et</strong>ournai vers sir Carne, i<strong>la</strong>vait disparu. Je me mis aussitôt à sa recherche, espérant le trouver dans levestibule. Mais Raschse n'y était pas ; personne ne l'y avait vu...Sir Carne lui-même ne doute pas d'être réellement apparu à <strong>la</strong> Chambre, sousforme <strong>de</strong> double, préoccupé qu'il était <strong>de</strong> se rendre à <strong>la</strong> séance pour appuyer <strong>de</strong> sonvote le gouvernement.»Dans le Daily News, du 17 mai 1905, sir Arthur Hayter ajoute sontémoignage à celui <strong>de</strong> sir Gilbert Parker. Il dit que lui-même, nonseulement vit sir Carne Raschse, mais attira l'attention <strong>de</strong> Sir HenryCampbell Bannerman <strong>sur</strong> sa présence à <strong>la</strong> Chambre.L'extériorisation, ou dédoublement <strong>de</strong> l'être humain, peut êtreprovoquée par l'action magnétique. Des expériences ont été faites, <strong>et</strong><strong>de</strong>vant elles aucun doute n'est possible. <strong>Le</strong> suj<strong>et</strong>, endormi, se dédouble <strong>et</strong>va produire à distance <strong>de</strong>s actes matériels.Nous avons cité le cas du magnétiseur <strong>Le</strong>wis 8 . En d'autrescirconstances semb<strong>la</strong>bles, l'apparition a été photographiée. Aksakof cit<strong>et</strong>rois <strong>de</strong> ces cas dans Animisme <strong>et</strong> Spiritisme. D'autres faits analogues ontété observés par W. Stead, alors directeur du Bo<strong>de</strong>r<strong>la</strong>nd.Ainsi l'objectivité <strong>de</strong> l'âme, en sa forme fluidique, se manifestant <strong>sur</strong><strong>de</strong>s points éloignés <strong>de</strong> celui où repose son corps, est démontrée d'unemanière positive <strong>et</strong> ne saurait être sérieusement contestée.Du reste, il suffit <strong>de</strong> consulter l'Histoire pour reconnaître que le passéest rempli <strong>de</strong> faits <strong>de</strong> ce genre. <strong>Le</strong>s phénomènes <strong>de</strong> bilocation <strong>de</strong>svivants sont fréquents dans les annales religieuses. <strong>Le</strong> passé n'est pasmoins riche en récits <strong>et</strong> témoignages concernant les esprits <strong>de</strong>s morts, <strong>et</strong>c<strong>et</strong>te abondance d'affirmations, c<strong>et</strong>te persistance à travers les siècles estbien <strong>de</strong> nature à indiquer qu'au milieu <strong>de</strong>s superstitions <strong>et</strong> <strong>de</strong>s erreurs, ildoit y avoir là une part <strong>de</strong> réalité.En eff<strong>et</strong>, <strong>la</strong> manifestation <strong>et</strong> <strong>la</strong> communication à distance entre espritsincarnés conduisent, logiquement <strong>et</strong> nécessairement, à <strong>la</strong> communicationpossible entre esprits incarnés <strong>et</strong> désincarnés.8 Revue scientifique du Spiritisme, février 1905, page 457.


72 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>Le</strong>s habitants <strong>de</strong> l'espace ont fourni <strong>de</strong> nombreuses preuvesexpérimentales <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te loi <strong>de</strong> <strong>la</strong> communion universelle, dans <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>eoù elle peut être constatée rigoureusement <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre.Signalons, entre autres faits, l'expérience <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société <strong>de</strong>sRecherches, <strong>de</strong> Londres, à <strong>la</strong>quelle le mon<strong>de</strong> savant est re<strong>de</strong>vable <strong>de</strong> tant<strong>de</strong> découvertes dans le domaine psychique. Elle a établi un systèmed'échanges <strong>de</strong> pensées entre les Etats-Unis <strong>et</strong> l'Angl<strong>et</strong>erre, sans autremoyen que <strong>de</strong>ux médiums en transe. A l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces intermédiaires, unmessage a été transmis par un Esprit à un autre Esprit. Ce message secomposait <strong>de</strong> quatre mots <strong>la</strong>tins, <strong>la</strong>ngue que ne connaissaient ni l'un nil'autre <strong>de</strong> ces médiums.C<strong>et</strong>te expérience a été <strong>sur</strong>veillée, contrôlée, par le professeur Hyslop,<strong>de</strong> l'Université <strong>de</strong> Columbia, à New York. Toutes les précautionsnécessaires ont été prises pour éviter les frau<strong>de</strong>s 9 .Des expériences du même genre ont été poursuivies pendant l'année1913, par Mme <strong>de</strong> Watteville, avec l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux médiums. <strong>Le</strong>s Esprits«Roudolphe», «Charles» <strong>et</strong> «Emilie» ont dicté à ces médiums, l'un MmeT..., à Paris, <strong>et</strong> l'autre Mlle R..., à Vimereux (Pas-<strong>de</strong>-Ca<strong>la</strong>is), plusieursmessages simultanés <strong>et</strong> absolument i<strong>de</strong>ntiques, à 260 kilomètres <strong>de</strong>distance.«Ces correspondances croisées, dit M. le docteur Geley 10 , revêtent uncaractère imprévu, <strong>de</strong> spontanéité <strong>et</strong> <strong>de</strong> variété qui exclut l'idée d'unefrau<strong>de</strong> préparée à l'avance. Il n'était ni dans l'esprit <strong>de</strong> Mme <strong>de</strong> W... nidans l'esprit <strong>de</strong>s médiums, d'obtenir ces phénomènes.»Lorsqu'on étudie, sous ses divers aspects, le phénomène <strong>de</strong> <strong>la</strong>télépathie, les vues d'ensemble qui s'en dégagent grandissent peu à peu,<strong>et</strong> l'on est amené à reconnaître en lui un procédé <strong>de</strong> communication d'uneportée incalcu<strong>la</strong>ble. D'abord, nous avons vu là une simple transmissionpresque mécanique <strong>de</strong> pensées <strong>et</strong> d'images entre <strong>de</strong>ux cerveaux. Mais lephénomène va revêtir les formes les plus variées <strong>et</strong> les plusimpressionnantes. Après les pensées, ce sont les projections à distance<strong>de</strong>s fantômes <strong>de</strong>s vivants, celles <strong>de</strong>s mourants <strong>et</strong>, enfin, sans que nullesolution <strong>de</strong> continuité interrompe l'enchaînement <strong>de</strong>s faits, lesapparitions <strong>de</strong>s morts, alors que le voyant n'a, dans <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s cas,9 On peut lire le récit <strong>de</strong> ce fait dans les Proceedings <strong>de</strong> <strong>la</strong> S.P.R..10 Docteur Geley, Contribution à l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s correspondances croisées, in-12, Paris, impr. E.Roussel (1914).


DEGAGEMENT ET EXTERIORISATION 73aucune connaissance du décès <strong>de</strong>s personnages apparus. Il y a là unesérie continue <strong>de</strong> manifestations qui se graduent dans leurs eff<strong>et</strong>s <strong>et</strong>concourent à démontrer l'in<strong>de</strong>structibilité <strong>de</strong> l'âme.L'action télépathique ne connaît pas <strong>de</strong> bornes. Elle supprime tous lesobstacles <strong>et</strong> relie les vivants <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre aux vivants <strong>de</strong> l'espace, le mon<strong>de</strong>visible aux mon<strong>de</strong>s invisibles, l'homme à Dieu ; elle les unit <strong>de</strong> <strong>la</strong>manière <strong>la</strong> plus étroite, <strong>la</strong> plus intime.<strong>Le</strong>s moyens <strong>de</strong> transmission qu'elle nous révèle constituent <strong>la</strong> base <strong>de</strong>sre<strong>la</strong>tions sociales entre les esprits, leur mo<strong>de</strong> usuel d'échanger les idées<strong>et</strong> les sensations. <strong>Le</strong> phénomène appelé télépathie <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre n'est autrechose que le procédé <strong>de</strong> communication entre tous les êtres pensants <strong>de</strong><strong>la</strong> vie supérieure, <strong>et</strong> <strong>la</strong> prière est une <strong>de</strong> ses formes les plus puissantes,une <strong>de</strong> ses applications les plus hautes <strong>et</strong> les plus pures. La télépathie est<strong>la</strong> manifestation d'une loi universelle <strong>et</strong> éternelle.Tous les êtres, tous les corps échangent <strong>de</strong>s vibrations. <strong>Le</strong>s astress'influencent à travers les immensités sidérales ; <strong>de</strong> même, les âmes, quisont <strong>de</strong>s systèmes <strong>de</strong> forces <strong>et</strong> <strong>de</strong>s foyers <strong>de</strong> pensées, s'impressionnentmutuellement <strong>et</strong> peuvent se communiquer à toutes distances 11 .L'attraction s'étend aux âmes comme aux astres ; elle les attire vers uncentre commun, centre éternel <strong>et</strong> divin. Un double rapport s'établit : leursaspirations montent vers lui sous forme d'appels <strong>et</strong> <strong>de</strong> prières ; <strong>de</strong>ssecours en <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt sous forme <strong>de</strong> grâces <strong>et</strong> d'inspirations.<strong>Le</strong>s grands poètes, écrivains, artistes, les sages <strong>et</strong> les purs connaissentces impulsions, ces inspirations soudaines, ces lueurs <strong>de</strong> génie quiilluminent le cerveau comme <strong>de</strong>s éc<strong>la</strong>irs <strong>et</strong> semblent provenir d'unmon<strong>de</strong> supérieur, dont elles reflètent <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> l'enivrante beauté.Ou bien ce sont <strong>de</strong>s visions <strong>de</strong> l'âme ; dans un é<strong>la</strong>n extatique, elle voits'entrouvrir ce mon<strong>de</strong> inaccessible, elle en perçoit les radiations, lesessences, les lumières.Tout ce<strong>la</strong> nous le démontre : l'âme est susceptible d'être impressionnéepar d'autres moyens que les organes, <strong>de</strong> recueillir <strong>de</strong>s connaissancesdépassant <strong>la</strong> portée <strong>de</strong>s choses terrestres <strong>et</strong> provenant d'une cause11 Sir W. Crookes, dans un discours à <strong>la</strong> British Association, en 1898, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> loi <strong>de</strong>s vibrations,déc<strong>la</strong>re qu'elle est <strong>la</strong> loi naturelle qui régit «toutes communications psychiques». La télépathiesemble même s'étendre aux animaux. Il existe <strong>de</strong>s faits indiquant une communicationtélépathique entre hommes <strong>et</strong> animaux. Voir dans les Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques, août1905, pages 469 <strong>et</strong> suiv., l'étu<strong>de</strong> très documentée <strong>de</strong> M. E. Bozzano, Perceptions psychiques<strong>et</strong> animaux.


74 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEspirituelle. C'est grâce à ces lueurs, à ces éc<strong>la</strong>irs, qu'elle entrevoit dans <strong>la</strong>vibration universelle le passé <strong>et</strong> l'avenir ; elle perçoit <strong>la</strong> genèse <strong>de</strong>sformes, formes d'art <strong>et</strong> <strong>de</strong> pensée, <strong>de</strong> beauté <strong>et</strong> <strong>de</strong> saint<strong>et</strong>é, d'où découlentà jamais <strong>de</strong>s formes nouvelles, dans une variété inépuisable comme <strong>la</strong>source dont elles émanent.Considérons ces choses à un point <strong>de</strong> vue plus immédiat, voyons leursconséquences dans le milieu terrestre. Déjà, par les faits télépathiques,l'évolution humaine s'accentue. L'homme conquiert <strong>de</strong> nouveauxpouvoirs psychiques, qui lui perm<strong>et</strong>tront, un jour, <strong>de</strong> manifester sapensée à toutes distances, sans intermédiaire matériel. Ce progrèsconstitue une <strong>de</strong>s plus magnifiques étapes <strong>de</strong> l'humanité vers une vieplus intense <strong>et</strong> plus libre. Il pourrait être le prélu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong>révolution morale qui se soit produite <strong>sur</strong> notre globe ; par là, en eff<strong>et</strong>, lemal serait vaincu ou considérablement atténué. Quand l'homme n'auraplus <strong>de</strong> secr<strong>et</strong>s, qu'on pourra lire ses pensées dans son cerveau, il n'oseraplus mal penser <strong>et</strong>, par conséquent, mal faire.Ainsi, toujours, l'âme humaine montera, gravissant l'échelle <strong>de</strong>sdéveloppements infinis. <strong>Le</strong>s temps viendront où, <strong>de</strong> plus en plus,l'intelligence prédominera, se dégageant <strong>de</strong> <strong>la</strong> chrysali<strong>de</strong> charnelle,étendant, affirmant son empire <strong>sur</strong> <strong>la</strong> matière, créant par ses efforts <strong>de</strong>smoyens nouveaux <strong>et</strong> plus étendus <strong>de</strong> perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> manifestation. <strong>Le</strong>ssens, à leur tour, affinés, verront s'é<strong>la</strong>rgir leur cercle d'action. <strong>Le</strong> cerveauhumain <strong>de</strong>viendra comme un temple mystérieux, aux nefs vastes <strong>et</strong>profon<strong>de</strong>s, emplies d'harmonies, <strong>de</strong> voix, <strong>de</strong> parfums, instrumentadmirable au service d'un esprit <strong>de</strong>venu plus subtil <strong>et</strong> plus puissant.Et en même temps que <strong>la</strong> personnalité humaine - âme <strong>et</strong> organisme - <strong>la</strong>patrie terrestre se transformera. Pour que le milieu évolue, l'individu doitévoluer d'abord lui-même. C'est l'homme qui fait l'humanité, <strong>et</strong>l'humanité, par son action constante, transforme sa <strong>de</strong>meure. Il y aéquilibre absolu <strong>et</strong> re<strong>la</strong>tion étroite entre le moral <strong>et</strong> le physique. Lapensée <strong>et</strong> <strong>la</strong> volonté sont les outils par excellence à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>squels nouspouvons tout transformer, en nous <strong>et</strong> autour <strong>de</strong> nous. N'ayons que <strong>de</strong>spensées hautes <strong>et</strong> pures ; aspirons à tout ce qui est grand, noble <strong>et</strong> beau.Peu à peu nous sentirons notre être se régénérer <strong>et</strong>, avec lui, <strong>de</strong> proche enproche, le milieu tout entier, le globe <strong>et</strong> l'humanité !Dans notre ascension, nous arriverons à mieux comprendre <strong>et</strong> àpratiquer c<strong>et</strong>te communion universelle qui relie tous les êtres.


DEGAGEMENT ET EXTERIORISATION 75Inconsciente dans les états inférieurs <strong>de</strong> l'existence, c<strong>et</strong>te communion<strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus consciente à me<strong>sur</strong>e que l'être s'élève <strong>et</strong> parcourtles <strong>de</strong>grés innombrables <strong>de</strong> l'évolution, pour aboutir un jour à c<strong>et</strong> état <strong>de</strong>spiritualité où chaque âme, rayonnante <strong>de</strong> l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong>s puissances acquises,dans l'é<strong>la</strong>n <strong>de</strong> son amour, vit <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> tous <strong>et</strong> se sent unie à tous dansl'oeuvre éternelle <strong>et</strong> infinie.VII. - MANIFESTATIONS APRES LE DECES.Dans l'examen qui précè<strong>de</strong>, nous avons suivi l'esprit <strong>de</strong> l'homme àtravers ses différentes phases <strong>de</strong> dégagement : sommeil ordinaire,sommeil magnétique, somnambulisme, transmission <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée,télépathie sous toutes ses formes. Nous avons vu sa sensibilité <strong>et</strong> sesmoyens <strong>de</strong> perception s'accroître dans <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e où les liens l'attachantau corps se relâchaient. Nous allons le voir maintenant à l'état <strong>de</strong> libertéabsolue, c'est-à-dire après <strong>la</strong> mort, se manifestant à <strong>la</strong> fois physiquement<strong>et</strong> intellectuellement à ses amis <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre. Nulle <strong>la</strong>cune ne sépare cesdifférents états psychiques. Que ces phénomènes aient lieu pendant ouaprès <strong>la</strong> vie matérielle, ils sont i<strong>de</strong>ntiques dans leurs causes, dans leurslois, dans leurs eff<strong>et</strong>s ; ils se produisent suivant <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s constants.Il y a continuité absolue <strong>et</strong> gradation entre tous ces faits ; par làs'évanouit <strong>la</strong> notion du <strong>sur</strong>naturel, qui les a longtemps rendus suspects à<strong>la</strong> science. <strong>Le</strong> vieil adage : <strong>la</strong> nature ne fait pas <strong>de</strong> saut, se vérifie unefois <strong>de</strong> plus. La mort n'est pas un saut ; c'est <strong>la</strong> séparation <strong>et</strong> non <strong>la</strong>dissolution <strong>de</strong>s éléments qui constituent l'homme terrestre ; c'est lepassage du mon<strong>de</strong> visible au mon<strong>de</strong> invisible, dont <strong>la</strong> délimitation estpurement arbitraire <strong>et</strong> due simplement à l'imperfection <strong>de</strong> nos sens. Lavie <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> nous dans l'Au-<strong>de</strong>là est le prolongement naturel <strong>et</strong>logique <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie actuelle, le développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> partie invisible <strong>de</strong>notre être. Il y a enchaînement dans le domaine psychique comme dansle domaine physique.Nous l'avons vu : dans les <strong>de</strong>ux ordres d'apparitions, soit <strong>de</strong>s vivantsextériorisés, soit <strong>de</strong>s défunts, c'est toujours <strong>la</strong> forme fluidique, cevéhicule <strong>de</strong> l'âme, reproduction ou plutôt canevas du corps physique, quise concrète <strong>et</strong> <strong>de</strong>vient perceptible pour les sensitifs. La science, après lestravaux <strong>de</strong> Becquerel, Curie, <strong>Le</strong>bon, <strong>et</strong>c., se familiarise <strong>de</strong> jour en jouravec ces états subtils <strong>et</strong> invisibles <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière, avec ces flui<strong>de</strong>s en un


76 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEmot, utilisés par les Esprits dans leurs manifestations <strong>et</strong> que connaissentbien les spirites. Grâce aux découvertes récentes, <strong>la</strong> science est entrée encontact avec un mon<strong>de</strong> d'éléments, <strong>de</strong> forces, <strong>de</strong> puissancesinsoupçonnés, <strong>et</strong> <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> formes d'existence longtemps ignoréeslui est enfin apparue.<strong>Le</strong>s savants qui ont étudié le phénomène spirite : sir W Crookes, R.Wal<strong>la</strong>ce, R. Dale Owen, Aksakof, O. Lodge, Paul Gibier, Myers, <strong>et</strong>c.,ont constaté <strong>de</strong>s cas nombreux d'apparitions <strong>de</strong> défunts. L'esprit <strong>de</strong> KatieKing, qui se matérialisa pendant trois années chez sir W. Crookes,membre <strong>de</strong> l'Académie royale <strong>de</strong> Londres, a été photographié le 26 mars1874, en présence d'un groupe d'expérimentateurs 1 .Il en fut <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s esprits d'Abdul<strong>la</strong>h <strong>et</strong> <strong>de</strong> John King,photographiés par Aksakof. L'académicien R. Wal<strong>la</strong>ce <strong>et</strong> le docteurThomson obtinrent <strong>la</strong> photographie spirite <strong>de</strong> leurs mères, décédées<strong>de</strong>puis <strong>de</strong> nombreuses années 2 .Myers parle <strong>de</strong> 231 cas d'apparitions <strong>de</strong> défunts. Il en cite quelquesuns empruntés aux Phantasms 3 . Signalons, dans le nombre, uneapparition annonçant une mort imminente 4 :«Un voyageur <strong>de</strong> commerce, homme très positif, eut un matin <strong>la</strong> vision d'une <strong>de</strong>ses soeurs, morte <strong>de</strong>puis neuf ans. Lorsqu'il raconta le fait à sa famille, il ne futécouté qu'avec incrédulité <strong>et</strong> scepticisme. Mais en décrivant <strong>la</strong> vision, il mentionnal'existence d'une égratignure <strong>sur</strong> <strong>la</strong> face. Ce détail frappa tellement sa mère qu'ell<strong>et</strong>omba évanouie. Ayant repris connaissance, elle raconta que c'était elle qui avait,par mégar<strong>de</strong>, fait c<strong>et</strong>te égratignure à sa fille au moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en bière, qu'ellel'avait dissimulée <strong>de</strong> suite en <strong>la</strong> couvrant <strong>de</strong> poudre, <strong>de</strong> sorte que personne aumon<strong>de</strong> n'était au courant <strong>de</strong> ce détail. <strong>Le</strong> fait qu'il avait été aperçu par son fils étaitdonc une preuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> véracité <strong>de</strong> sa vision <strong>et</strong> elle y vit en même temps l'annonce<strong>de</strong> sa mort, qui <strong>sur</strong>vint en eff<strong>et</strong> quelques semaines plus tard 5 .»A citer également les cas suivants : celui d'un jeune homme qui s'étaitengagé, s'il mourait le premier, à apparaître à une jeune fille sansl'effrayer désagréablement ; il apparut en eff<strong>et</strong>, un an après, à <strong>la</strong> soeur <strong>de</strong>1 Voir Sir W. Crookes, Recherches <strong>sur</strong> les phénomènes du Spiritualisme.2 Aksakof, Animisme <strong>et</strong> Spiritisme, pages 620, 621.3 Myers, <strong>la</strong> Personnalité humaine, page 268.4 I<strong>de</strong>m, page 280.5 Est-il nécessaire <strong>de</strong> faire remarquer que l'Esprit n'a voulu apparaître avec c<strong>et</strong>te «égratignure»que pour fournir, par ce moyen, une preuve <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité ? Il en est <strong>de</strong> même pour plusieurs<strong>de</strong>s cas suivants, où les Esprits se montrèrent avec <strong>de</strong>s costumes ou <strong>de</strong>s attributs quiconstituaient autant d'éléments <strong>de</strong> conviction pour les percipients.


MANIFESTATIONS APRES LE DECES 77c<strong>et</strong>te personne, au moment où elle al<strong>la</strong>it monter en voiture 6 . <strong>Le</strong> cas <strong>de</strong>Mme <strong>de</strong> Fréville. Elle aimait, <strong>de</strong> son vivant, à fréquenter le cim<strong>et</strong>ière <strong>et</strong> àse promener autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> tombe <strong>de</strong> son mari. Elle y fut aperçue, sept ouhuit heures après son décès, par un jardinier qui traversait ces lieux 7 .Puis c'est le cas d'un père <strong>de</strong> famille, mort en voyage <strong>et</strong> qui apparut àsa fille avec <strong>de</strong>s vêtements inconnus dont il avait été revêtu après sondécès par <strong>de</strong>s étrangers. Il lui par<strong>la</strong> d'une somme d'argent qu'elle nesavait pas être en sa possession : ces <strong>de</strong>ux faits furent reconnus exactsultérieurement 8 . Enfin, le cas <strong>de</strong> Robert Mackenzie. A un moment oùson patron ignorait encore sa mort, il lui apparut pour se disculper d'uneaccusation <strong>de</strong> suici<strong>de</strong> qui pesait <strong>sur</strong> sa mémoire. C<strong>et</strong>te accusation futreconnue inexacte, sa mort ayant été acci<strong>de</strong>ntelle 9 .Au Congrès spiritualiste tenu en 1900 à Paris, dans <strong>la</strong> séance du 23septembre. le docteur Bayol, sénateur <strong>de</strong>s Bouches-du-Rhône, exgouverneur du Dahomey, exposait verbalement les phénomènesd'apparitions dont il fut témoin à Arles <strong>et</strong> à Eyguières. <strong>Le</strong> fantômed'Acel<strong>la</strong>, jeune fille romaine dont <strong>la</strong> tombe est à Arles, au cim<strong>et</strong>ièreantique <strong>de</strong>s Aliscamps, s'est matérialisé au point <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser une empreinte<strong>de</strong> son visage dans <strong>la</strong> paraffine bouil<strong>la</strong>nte, non pas en creux comme seproduisent habituellement les mou<strong>la</strong>ges, mais en relief, ce qui seraitimpossible à tout être vivant. Ces expériences, entourées <strong>de</strong> toutes lesprécautions nécessaires, avaient lieu en présence <strong>de</strong> personnages tels quele préf<strong>et</strong> <strong>de</strong>s Bouches-du-Rhône, le poète Mistral, un général <strong>de</strong> division,<strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins, <strong>de</strong>s avocats, <strong>et</strong>c. 10 .Dans un procès verbal portant <strong>la</strong> date du 11 février 1904 <strong>et</strong> publié par<strong>la</strong> Revue <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s psychiques, <strong>de</strong> Paris 11 , le professeur Milèsi, <strong>de</strong>l'Université <strong>de</strong> Rome, «l'un <strong>de</strong>s champions les plus estimés <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeuneécole psychologique italienne», connu en France par ses conférences <strong>de</strong><strong>la</strong> Sorbonne <strong>sur</strong> l'oeuvre d'Auguste Comte, a rendu un témoignage public<strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong>s matérialisations d'esprits, entre autres <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> sa6 Proceedings, X, 284.7 Phantasms, I, 212.8 Proceedings, X, 283.9 Proceedings, II, 95.10 Voir Compte-rendu du Congrès spiritualiste international <strong>de</strong> 1900, pages 241 <strong>et</strong> suiv.,<strong>Le</strong>ymarie, éditeur.11 Numéro <strong>de</strong> mars 1904.


78 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEpropre soeur, décédée à Crémone, <strong>de</strong>puis trois ans. Voici un extrait <strong>de</strong> ceprocès verbal :«Ce qu'il y eut <strong>de</strong> plus merveilleux dans c<strong>et</strong>te séance, ce furent les apparitions,qui étaient <strong>de</strong> nature lumineuse, quoiqu'elles se soient produites dans le <strong>de</strong>mijour; elles furent au nombre <strong>de</strong> neuf ; tous les assistants purent les voir... <strong>Le</strong>s troispremières furent celles reproduisant les traits <strong>de</strong> <strong>la</strong> soeur du professeur Milèsi,morte il y a trois ans, à Crémone, dans le couvent <strong>de</strong>s filles du Sacré-Coeur, à l'âge<strong>de</strong> 32 ans. Elle apparut, souriant <strong>de</strong> son exquis sourire qui lui était habituel.»Dans son livre, La Mort <strong>et</strong> son Mystère, II, page 412, C. F<strong>la</strong>mmarionre<strong>la</strong>te l'apparition simultanée à Toulon <strong>de</strong> l'amiral Peyron à <strong>de</strong>uxofficiers qui l'avaient connu <strong>et</strong> qui ignoraient encore sa mort. L'un,capitaine <strong>de</strong> frégate, l'autre mécanicien en chef <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine avaient faitpartie <strong>de</strong> l'état-major <strong>de</strong> l'amiral lorsqu'il commandait l'escadred'évolution <strong>de</strong> <strong>la</strong> Méditerranée. Tous <strong>de</strong>ux, <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s points éloignés furentréveillés par l'apparition <strong>et</strong> les détails <strong>de</strong> leurs visions furent entièrementconcordants.Dans le groupe d'étu<strong>de</strong>s que j'ai longtemps dirigé à Tours, lesmédiums décrivaient <strong>de</strong>s apparitions <strong>de</strong> défunts, visibles pour eux seuls,il est vrai, mais qu'ils n'avaient jamais connus, dont ils n'avaient jamaisvu aucune image, entendu faire aucune <strong>de</strong>scription <strong>et</strong> que les assistantsreconnaissaient d'après leurs indications.Parfois, les Esprits se matérialisent au point <strong>de</strong> pouvoir écrire, enprésence <strong>de</strong> personnes humaines <strong>et</strong> sous leurs yeux, <strong>de</strong> nombreuxmessages, qui restent comme autant <strong>de</strong> preuves <strong>de</strong> leur passage. Ce fut lecas pour <strong>la</strong> femme du banquier Livermore, dont l'écriture fut reconnuei<strong>de</strong>ntique à celle qu'elle possédait durant son existence terrestre 12 .Plus souvent encore, les Esprits s'incorporent dans l'enveloppe <strong>de</strong>médiums endormis, parlent écrivent, gesticulent, s'entr<strong>et</strong>iennent avec lesassistants <strong>et</strong> leur fournissent <strong>de</strong>s preuves certaines <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité.Dans ces phénomènes, le médium a abandonné momentanément soncorps ; <strong>la</strong> substitution <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité est complète. <strong>Le</strong> <strong>la</strong>ngage,l'attitu<strong>de</strong>, l'écriture, les jeux <strong>de</strong> physionomie sont ceux d'un espritétranger à l'organisme dont il dispose pour quelques instants.<strong>Le</strong>s faits d'incorporation <strong>de</strong> Mrs. Piper, minutieusement observés <strong>et</strong>contrôlés par le docteur Hodgson, les professeurs Hyslop, W. James,Newbold, O. Lodge <strong>et</strong> Myers, constituent le faisceau <strong>de</strong> preuves le plus12 Voir Aksakof, Animisme <strong>et</strong> Spiritisme, pages 620, 621.


MANIFESTATIONS APRES LE DECES 79puissant en faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>sur</strong>vivance 13 . La personnalité <strong>de</strong> G. Pelham,s'est révélée, post mortem, à ses propres parents, à son père, à sa mère,ainsi qu'à ses amis d'enfance, au nombre d'une trentaine, au point <strong>de</strong> ne<strong>la</strong>isser aucun doute dans leur esprit <strong>sur</strong> <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> ces manifestations.Il en fut <strong>de</strong> même dans le cas du professeur Hyslop, qui ayant posé àl'esprit <strong>de</strong> son père 205 questions <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s ignorés <strong>de</strong> lui-même, enobtint 152 réponses absolument exactes, 16 inexactes, 37 douteuses,faute <strong>de</strong> pouvoir être contrôlées. Ces vérifications furent faites au cours<strong>de</strong> nombreux voyages effectués à travers les Etats-Unis, pour arriver àconnaître, par le menu, l'histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille Hyslop avant <strong>la</strong> naissancedu professeur, histoire à <strong>la</strong>quelle se rattachaient ces questions.<strong>Le</strong>s Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques, <strong>de</strong> Paris, juin 1907, rappe<strong>la</strong>ientle fait suivant, qui s'est produit également en Amérique, vers 1860 :<strong>Le</strong> grand juge Edmonds, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cour suprême <strong>de</strong> justice d'Etat <strong>de</strong> New-York, vice-prési<strong>de</strong>nt du Sénat <strong>de</strong>s Etats-Unis, avait une fille chez <strong>la</strong>quelle semanifesta une médiumnité par <strong>de</strong>s phénomènes spontanés qui se produisirentautour d'elle <strong>et</strong> qui ne tardèrent pas à éveiller sa curiosité, <strong>de</strong> telle façon qu'elle seprit à fréquenter les séances spirites. C'est alors qu'elle <strong>de</strong>vint «médium par<strong>la</strong>nt».Quand une autre personnalité se manifestait en elle, Laura par<strong>la</strong>it parfoisdifférentes <strong>la</strong>ngues qu'elle ignorait.Un soir qu'une douzaine <strong>de</strong> personnes étaient réunies chez M. Edmonds, à New-York, M. Green, artiste new-yorkais, vint, accompagné par un homme qu'ilprésenta sous le nom <strong>de</strong> M. Evangélidès, <strong>de</strong> Grèce. Bientôt une personnalité semanifesta en Miss Laura, qui adressa <strong>la</strong> parole au visiteur en ang<strong>la</strong>is <strong>et</strong> luicommuniqua un grand nombre <strong>de</strong> faits tendant à prouver que <strong>la</strong> personnalité étaitcelle d'un ami décédé <strong>de</strong>puis plusieurs années, dans sa maison, mais dont aucun<strong>de</strong>s assistants n'avait connu l'existence. De temps à autre, <strong>la</strong> jeune fille prononçait<strong>de</strong>s paroles <strong>et</strong> <strong>de</strong>s phrases entières en grec, ce qui permit à M. Evangélidès <strong>de</strong><strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s'il pouvait lui même parler en grec. Il ne par<strong>la</strong>it en eff<strong>et</strong> l'ang<strong>la</strong>isqu'avec difficulté. La conversation se poursuivit en grec, <strong>de</strong> <strong>la</strong> part d'Evangélidès,<strong>et</strong> alternativement en grec <strong>et</strong> en ang<strong>la</strong>is, <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong> Miss Laura. Par moments,Evangélidès paraissait très ému. <strong>Le</strong> len<strong>de</strong>main, il renouve<strong>la</strong> sa conversation avecMiss Laura ; après quoi, il expliqua aux assistants que <strong>la</strong> personnalité invisible quiparaissait se manifester par l'intermédiaire du médium n'était autre que celle d'un<strong>de</strong> ses amis intimes, mort en Grèce, le frère du patriote grec Marc Botzaris ; c<strong>et</strong>ami l'informait <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort d'un <strong>de</strong> ses fils à lui, Evangélidès, qui était resté enGrèce <strong>et</strong> se portait bien au moment où son père partit pour l'Amérique.13 Voir le cas <strong>de</strong> Mrs. Piper, Proceedings, XIII, 284-582 ; XIV, 6-49, résumé dans mon ouvrage :Dans l'Invisible, chapitre XIX.


80 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEEvangélidès revint auprès <strong>de</strong> M. Edmonds plusieurs fois encore, <strong>et</strong>, dix joursaprès sa première visite, il l'informa qu'il venait <strong>de</strong> recevoir une l<strong>et</strong>tre l'avisant <strong>de</strong><strong>la</strong> mort <strong>de</strong> son fils ; c<strong>et</strong>te l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong>vait être en route au moment où avait lieu lepremier entr<strong>et</strong>ien <strong>de</strong> M. Evangélidès avec Miss Laura.«J'aimerais, - dit le juge Edmonds à ce suj<strong>et</strong> - qu'on me dise comment je doisenvisager ce fait. <strong>Le</strong> nier, c'est impossible, il est trop f<strong>la</strong>grant. Je pourrais toutaussi bien nier que le soleil nous éc<strong>la</strong>ire. Ce<strong>la</strong> s'est passé en présence <strong>de</strong> huit à dixpersonnes, toutes instruites, intelligentes, raisonnables <strong>et</strong> aussi capables quen'importe qui <strong>de</strong> faire <strong>la</strong> distinction entre une illusion <strong>et</strong> un fait réel 14 .»M. Edmonds nous apprend que sa fille n'avait pas encore entendu un mot <strong>de</strong>grec mo<strong>de</strong>rne jusqu'à ce jour. Il ajoute qu'en d'autres occasions, elle par<strong>la</strong> jusqu'àtreize autres <strong>la</strong>ngues différentes, dont le polonais, l'indien, alors qu'elle neconnaissait à son état normal que l'ang<strong>la</strong>is <strong>et</strong> le français, ce <strong>de</strong>rnier comme on peutl'apprendre à l'école. Et ce M. J. W. Edmonds, on l'a vu, n'était pas unepersonnalité quelconque. Nul n'a jamais mis en doute <strong>la</strong> parfaite intégrité <strong>de</strong> soncaractère, <strong>et</strong> ses ouvrages prouvent sa lumineuse intelligence.Nous re<strong>la</strong>terons encore un phénomène <strong>de</strong> communication pendant lesommeil, obtenu par M. Chedo Mijatovitch, ministre plénipotentiaire <strong>de</strong>Serbie à Londres, <strong>et</strong> reproduit par les Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques<strong>de</strong>s 1° <strong>et</strong> 16 janvier 1910.Prié par <strong>de</strong>s spirites hongrois <strong>de</strong> se m<strong>et</strong>tre en rapport avec un médium pouréluci<strong>de</strong>r un point d'histoire re<strong>la</strong>tif à un ancien souverain serbe, mort vers 1350, ilse rendit chez M. Vango, dont on par<strong>la</strong>it beaucoup à c<strong>et</strong>te époque <strong>et</strong> qu'il n'avaitjamais vu auparavant. Endormi, le médium annonça <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> l'esprit d'unjeune homme, très désireux <strong>de</strong> se faire entendre, mais dont il ne comprenait pas le<strong>la</strong>ngage. Pourtant, il finit par reproduire quelques mots.C'était du serbe, dont voici <strong>la</strong> traduction : «Je te prie <strong>de</strong> vouloir écrire à ma mèreNathalie, en lui disant que j'implore son pardon.» L'Esprit était celui du roiAlexandre. M. Chedo Mijatovitch en douta d'autant moins que <strong>de</strong> nouvellespreuves d'i<strong>de</strong>ntité s'ajoutèrent bientôt à <strong>la</strong> première : le médium fit <strong>la</strong> <strong>de</strong>scriptiondu défunt, <strong>et</strong> celui-ci exprima ses regr<strong>et</strong>s <strong>de</strong> n'avoir pas suivi un conseilconfi<strong>de</strong>ntiel que lui avait donné, <strong>de</strong>ux ans avant son assassinat, le diplomateconsultant.En France, parmi un certain nombre <strong>de</strong> cas, nous signalerons celui <strong>de</strong>l'abbé Grimaud, directeur <strong>de</strong> l'asile <strong>de</strong>s sourds <strong>et</strong> mu<strong>et</strong>s <strong>de</strong> Vaucluse. Aumoyen <strong>de</strong>s organes <strong>de</strong> Mme Gal<strong>la</strong>s, endormie, il reçut <strong>de</strong> l'EspritForca<strong>de</strong>, décédé <strong>de</strong>puis huit années, un message par le mouvementsilencieux <strong>de</strong>s lèvres, d'après une métho<strong>de</strong> spéciale pour sourds mu<strong>et</strong>s,14 Voir à ce suj<strong>et</strong> <strong>la</strong> l<strong>et</strong>tre du grand juge Edmonds au docteur Gully, publiée à Londres dans leSpiritual Magazine <strong>de</strong> 1871, reproduite par <strong>la</strong> Revue scientifique <strong>et</strong> morale du Spiritisme <strong>de</strong>1920.


MANIFESTATIONS APRES LE DECES 81que c<strong>et</strong> esprit avait inventée, communiquée à l'abbé Grimaud <strong>et</strong> que, seulparmi les assistants, ce vénérable ecclésiastique pouvait connaître. Nousavons publié naguère le procès-verbal <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te remarquable séance, avec<strong>la</strong> signature <strong>de</strong> douze témoins <strong>et</strong> l'attestation motivée <strong>de</strong> l'abbéGrimaud 15 .M. Maxwell, procureur général à <strong>la</strong> Cour d'appel <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux <strong>et</strong>docteur en mé<strong>de</strong>cine, dans son ouvrage Phénomènes psychiques 16 ,étudiant ce phénomène <strong>de</strong>s incorporations, qu'il a observé chez MmeAgul<strong>la</strong>na, épouse d'un ouvrier cimentier, s'exprime ainsi :«La personnalité <strong>la</strong> plus curieuse est celle d'un mé<strong>de</strong>cin mort il y a une centained'années. Son <strong>la</strong>ngage médical est archaïque. Il donne aux p<strong>la</strong>ntes leurs nomsmédicinaux anciens. Son diagnostic est généralement exact, mais <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription<strong>de</strong>s symptômes internes qu'il aperçoit est bien faite pour étonner un mé<strong>de</strong>cin duvingtième siècle... Depuis dix ans que j'observe mon confrère d'outre-tombe, il n'apas varié <strong>et</strong> présente une continuité logique frappante.»J'ai moi-même observé fréquemment ce phénomène ; j'ai pu, comme jel'ai exposé par ailleurs 17 , m'entr<strong>et</strong>enir, par l'intermédiaire <strong>de</strong> diversmédiums, avec <strong>de</strong> nombreux parents <strong>et</strong> amis défunts, obtenir d'eux <strong>de</strong>sindications inconnues <strong>de</strong> ces médiums <strong>et</strong> constituant, pour moi, autant <strong>de</strong>preuves d'i<strong>de</strong>ntité.Si l'on tient compte <strong>de</strong>s difficultés que comporte <strong>la</strong> communicationd'un Esprit à <strong>de</strong>s auditeurs humains, à l'ai<strong>de</strong> d'un organisme <strong>et</strong>particulièrement d'un cerveau qu'il n'a pas façonnés lui-même, assouplispar une longue expérience ; si l'on considère qu'en raison <strong>de</strong> <strong>la</strong>différence <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns d'existence, on ne peut exiger d'un désincarné toutesles preuves qu'on <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait à un homme matériel, il faut lereconnaître : le phénomène <strong>de</strong>s incorporations est un <strong>de</strong> ceux quiconcourent le plus à démontrer <strong>la</strong> spiritualité <strong>de</strong> l'être <strong>et</strong> le principe <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>sur</strong>vivance.Il ne s'agit plus, dans ces faits, d'une simple influence à distance, c'estune impulsion à <strong>la</strong>quelle le suj<strong>et</strong> ne peut résister <strong>et</strong> qui, le plus souvent,se transforme en prise <strong>de</strong> possession <strong>de</strong> l'organisme entier. Cephénomène est analogue à celui que nous avons constaté dans les cas <strong>de</strong>personnalité secon<strong>de</strong>. Là, le moi profond se substitue au moi normal <strong>et</strong>15 Voir Dans l'Invisible, Chap. XIX.16 Phénomènes psychiques, page 210.17 Dans l'Invisible, pages 84, 299-306. Christianisme <strong>et</strong> Spiritisme, pages 247-248.


82 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEprend <strong>la</strong> direction du corps physique dans un but <strong>de</strong> contrôle <strong>et</strong> <strong>de</strong>régénération. Mais ici, c'est un esprit étranger qui joue ce rôle <strong>et</strong> sesubstitue à <strong>la</strong> personnalité du médium endormi.<strong>Le</strong> mot possession, dont nous venons <strong>de</strong> nous servir, a été pris souventdans un sens fâcheux. On attribuait aux faits qu'il désigne un caractèrediabolique <strong>et</strong> terrifiant. Mais, comme le dit justement Myers 18 : «<strong>Le</strong>diable n'est pas une créature reconnue par <strong>la</strong> science. Dans cesphénomènes, nous nous trouvons seulement en présence d'Esprits quiont été autrefois <strong>de</strong>s hommes semb<strong>la</strong>bles à nous <strong>et</strong> qui sont toujoursanimés <strong>de</strong>s mêmes motifs que ceux qui nous inspirent.»A ce propos, Myers soulève une question : <strong>la</strong> possession est-ellejamais absolue ? Et il y répond en ces termes : «La théorie disantqu'aucun <strong>de</strong>s courants connus <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité humaine n'épuise toutesa conscience, <strong>et</strong> qu'aucune <strong>de</strong> ses manifestations connues n'exprim<strong>et</strong>oute <strong>la</strong> potentialité <strong>de</strong> son être, peut également s'appliquer aux hommesdésincarnés 19 .»Nous toucherions là au point central du problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie humaine,au ressort secr<strong>et</strong>, à l'action intime <strong>et</strong> mystérieuse <strong>de</strong> l'esprit <strong>sur</strong> uncerveau, soit <strong>sur</strong> le sien, soit, dans les cas qui nous occupent, <strong>sur</strong> uncerveau étranger. Considérée sous c<strong>et</strong> aspect, <strong>la</strong> question prend uneimportance capitale en psychologie, Myers ajoute 20 :«Par ces étu<strong>de</strong>s, les communications <strong>de</strong>viendront <strong>de</strong> plus en plus faciles,complètes, cohérentes <strong>et</strong> atteindront un niveau plus élevé <strong>de</strong> conscience unitaire.<strong>Le</strong>s difficultés auront été gran<strong>de</strong>s <strong>et</strong> nombreuses ; mais peut-il en être autrement,lorsqu'il s'agit <strong>de</strong> réconcilier l'esprit avec <strong>la</strong> matière <strong>et</strong> d'ouvrir à l'homme, <strong>de</strong> <strong>la</strong>p<strong>la</strong>nète où il est emprisonné, une trouée <strong>sur</strong> le mon<strong>de</strong> spirituel ?...»On le voit : grâce à <strong>de</strong>s expériences, à <strong>de</strong>s observations, à <strong>de</strong>stémoignages mille fois répétés, l'existence <strong>et</strong> <strong>la</strong> <strong>sur</strong>vivance <strong>de</strong> l'âmesortent désormais du domaine <strong>de</strong> l'hypothèse ou du simple conceptmétaphysique, pour <strong>de</strong>venir une réalité vivante, un fait rigoureusementétabli. <strong>Le</strong> <strong>sur</strong>naturel a vécu ; le miracle n'est plus qu'un mot. Toutes lesterreurs, toutes les superstitions que suggérait aux hommes l'idée <strong>de</strong> <strong>la</strong>mort s'évanouissent. Notre conception <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie universelle <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'oeuvredivine s'é<strong>la</strong>rgit ; en même temps, notre confiance en l'avenir se fortifie.18 Myers, <strong>la</strong> Personnalité humaine, page 369.19 Myers, <strong>la</strong> Personnalité humaine, page 397.20 La Personnalité humaine, pages 398 à 400.


MANIFESTATIONS APRES LE DECES 83Nous voyons, sous les formes alternantes <strong>de</strong> l'existence charnelle <strong>et</strong>fluidique, le progrès <strong>de</strong> l'être, le développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité sepoursuivre <strong>et</strong> une loi suprême prési<strong>de</strong>r à l'évolution <strong>de</strong>s âmes à travers l<strong>et</strong>emps <strong>et</strong> l'espace.VIII. - ETATS VIBRATOIRES DE L'AME. LAMEMOIRE.La vie est une vibration immense qui emplit l'univers <strong>et</strong> dont le foyerest en Dieu. Chaque âme, étincelle détachée du foyer divin, <strong>de</strong>vient, àson tour, un foyer <strong>de</strong> vibrations qui varieront, augmenteront d'amplitu<strong>de</strong><strong>et</strong> d'intensité suivant le <strong>de</strong>gré d'élévation <strong>de</strong> l'être. Ce fait peut êtrevérifié expérimentalement 1 .Toute âme a donc sa vibration particulière <strong>et</strong> différente. Sonmouvement propre, son rythme est <strong>la</strong> représentation exacte <strong>de</strong> sapuissance dynamique, <strong>de</strong> sa valeur intellectuelle, <strong>de</strong> sa hauteur morale.Toute <strong>la</strong> beauté, toute <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur du vivant univers se résument dansc<strong>et</strong>te loi <strong>de</strong>s vibrations harmoniques. <strong>Le</strong>s âmes qui vibrent à l'unisson sereconnaissent <strong>et</strong> s'appellent à travers l'espace ; <strong>de</strong> là les attractions, lessympathies, l'amitié, l'amour ! <strong>Le</strong>s artistes, les sensitifs, les êtresdélicatement harmonisés connaissent c<strong>et</strong>te loi <strong>et</strong> en ressentent les eff<strong>et</strong>s.L'âme supérieure est une vibration en puissance <strong>de</strong> toutes ses harmonies.L'entité psychique pénètre <strong>de</strong> ses vibrations tout son organismefluidique, ce périsprit qui est sa forme <strong>et</strong> son image, <strong>la</strong> reproductionexacte <strong>de</strong> son harmonie personnelle <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa lumière. Mais viennel'incarnation, <strong>et</strong> ces vibrations vont se réduire, s'amortir sous les voiles<strong>de</strong> <strong>la</strong> chair. <strong>Le</strong> foyer intérieur ne pourra plus proj<strong>et</strong>er au-<strong>de</strong>hors qu'uneradiation affaiblie, intermittente. Pourtant, dans le sommeil, lesomnambulisme, l'extase, dès qu'une issue est ouverte à l'âme à traversl'enveloppe <strong>de</strong> matière qui l'opprime <strong>et</strong> l'enchaîne, le courant vibratoirese rétablit, <strong>et</strong> le foyer reprend toute son activité. L'esprit se r<strong>et</strong>rouve dans1 <strong>Le</strong>s docteurs Baraduc <strong>et</strong> Joire ont construit <strong>de</strong>s appareils enregistreurs perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> me<strong>sur</strong>er<strong>la</strong> force radiante qui s'échappe <strong>de</strong> chaque personne humaine <strong>et</strong> varie selon l'état psychique dusuj<strong>et</strong>. Moi-même j'en ai fait souvent l'expérience à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ques photographiques. Cellesci,dans le bain révé<strong>la</strong>teur, reproduisent les radiations qui se dégagent <strong>de</strong> l'extrémité <strong>de</strong>s doigtssous <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> spirales ou <strong>de</strong> courants variables d'intensité suivant l'élévation <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong>l'action <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté.


84 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEses états antérieurs <strong>de</strong> puissance <strong>et</strong> <strong>de</strong> liberté. Tout ce qui dormait en luise réveille ; ses vies nombreuses se reconstituent, non seulement avec lestrésors <strong>de</strong> sa pensée, souvenirs <strong>et</strong> acquisitions, mais aussi avec toutes lessensations, joies <strong>et</strong> douleurs, enregistrées dans son organisme fluidique.C'est pourquoi, dans <strong>la</strong> transe, l'âme, vibrante <strong>de</strong>s souvenirs du passé,affirme ses existences antérieures <strong>et</strong> renoue <strong>la</strong> chaîne mystérieuse <strong>de</strong> sestransmigrations.<strong>Le</strong>s moindres détails <strong>de</strong> notre vie s'enregistrent en nous <strong>et</strong> y <strong>la</strong>issent<strong>de</strong>s traces ineffaçables. Pensées, désirs, passions, actes bons ou mauvais,tout s'y fixe, tout s'y grave. Pendant le cours normal <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, cessouvenirs s'accumulent en couches successives <strong>et</strong> les plus récentsfinissent par effacer, en apparence, les plus anciens. Il semble que nousayons oublié ces mille détails <strong>de</strong> notre existence évanouie. Cependant ilsuffit, dans les expériences hypnotiques, d'évoquer les temps écoulés <strong>et</strong><strong>de</strong> rep<strong>la</strong>cer le suj<strong>et</strong>, par <strong>la</strong> volonté, à une époque antérieure <strong>de</strong> sa vie,dans sa jeunesse ou même à l'état d'enfance, pour que ces souvenirsreparaissent en foule. <strong>Le</strong> suj<strong>et</strong> revit son passé, non seulement avec l'étatd'âme <strong>et</strong> l'association d'idées qui lui étaient particuliers à c<strong>et</strong>te époque -idées parfois bien dissemb<strong>la</strong>bles <strong>de</strong> celles qu'il professe actuellement -avec ses goûts, ses habitu<strong>de</strong>s, son <strong>la</strong>ngage, mais aussi en reconstituantautomatiquement toute <strong>la</strong> série <strong>de</strong>s phénomènes physiquescontemporains <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te époque. Ceci nous amène à reconnaître qu'il y acorré<strong>la</strong>tion étroite entre l'individualité psychique <strong>et</strong> l'état organique.Chaque état mental est associé à un état physiologique ; l'évocation <strong>de</strong>l'un, dans <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s, amène aussitôt <strong>la</strong> réapparition <strong>de</strong>l'autre 2 .2 C<strong>et</strong>te loi est connue en psychologie sous le nom <strong>de</strong> parallélisme psycho-physique. Wundt,dans ses <strong>Le</strong>çons <strong>sur</strong> l'âme (2° édition, <strong>Le</strong>ipzig, 1892), disait déjà : «A chaque événementpsychique correspond un événement physique quelconque.»<strong>Le</strong>s expériences <strong>de</strong>s matérialistes eux-mêmes font ressortir l'évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te loi. C'est ainsi,par exemple, que M. Pierre Jan<strong>et</strong>, lorsqu'il rep<strong>la</strong>ce son suj<strong>et</strong> Rose à <strong>de</strong>ux années en arrièredans le cours <strong>de</strong> sa vie actuelle, voit se reproduire chez elle tous les symptômes <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong>grossesse dans lequel elle se trouvait à c<strong>et</strong>te époque. (P. Jan<strong>et</strong>, professeur <strong>de</strong> psychologie à <strong>la</strong>Sorbonne, l'Automatisme psychologique, page 160.)Voir aussi les cas signalés par les docteurs Bourru <strong>et</strong> Burot, Changements <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité,page 152 ; par le docteur Sollier, Des Hallucinations autoscopiques (Bull<strong>et</strong>in <strong>de</strong> l'Institutpsychique, 1902, pages 39 <strong>et</strong> suiv.) <strong>et</strong> ceux re<strong>la</strong>tés par le docteur Pitre, doyen <strong>de</strong> <strong>la</strong> Faculté <strong>de</strong>mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux, dans son livre : le Somnambulisme <strong>et</strong> l'Hystérie.


ETATS VIBRATOIRES DE L'AME 85Etant donnés les fluctuations constantes <strong>et</strong> le renouvellement intégraldu corps physique en quelques années, ce phénomène seraitincompréhensible sans le rôle du périsprit, qui gar<strong>de</strong> en lui, gravées danssa substance, toutes les impressions d'autrefois. C'est lui qui fournit àl'âme <strong>la</strong> somme totale <strong>de</strong> ses états conscients, même après <strong>la</strong> <strong>de</strong>struction<strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire cérébrale. <strong>Le</strong>s Esprits le démontrent par leurscommunications, car ils ont conservé dans l'espace les moindressouvenirs <strong>de</strong> leur existence terrestre.C<strong>et</strong> enregistrement automatique semble s'effectuer sous forme <strong>de</strong>groupements ou <strong>de</strong> zones, au-<strong>de</strong>dans <strong>de</strong> nous, zones correspondant àautant <strong>de</strong> pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> notre vie. De sorte que, si <strong>la</strong> volonté, au moyen <strong>de</strong>l'auto-suggestion ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> suggestion étrangère - ce qui est i<strong>de</strong>ntique,puisque, nous l'avons vu, <strong>la</strong> suggestion, pour être efficace, doit êtreacceptée par le suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> se transformer en auto-suggestion - si <strong>la</strong> volonté,disons-nous, fait revivre un souvenir appartenant à une pério<strong>de</strong>quelconque <strong>de</strong> notre passé, tous les faits <strong>de</strong> conscience se rattachant àc<strong>et</strong>te même pério<strong>de</strong> se déroulent aussitôt dans un enchaînementméthodique. M. G. De<strong>la</strong>nne a comparé ces états vibratoires aux couchesconcentriques observées dans <strong>la</strong> section d'un arbre <strong>et</strong> qui perm<strong>et</strong>tent d'encalculer le nombre d'années.Ceci rendrait compréhensibles les variations <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité dontnous avons parlé. Pour <strong>de</strong>s observateurs superficiels, ces phénomèness'expliquent par <strong>la</strong> dissociation <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience ; étudiés <strong>de</strong> près <strong>et</strong>analysés, ils représentent, au contraire, <strong>de</strong>s aspects d'une conscienceunique, correspondant à autant <strong>de</strong> phases d'une même existence. Cesaspects se révèlent dès que le sommeil est assez profond <strong>et</strong> ledégagement périsprital suffisant. Si on a pu croire aux changements <strong>de</strong>personnalités, c'est parce que les états transitoires, intermédiaires,manquent ou s'effacent.<strong>Le</strong> dégagement, nous l'avons dit précé<strong>de</strong>mment, est facilité par l'actionmagnétique. <strong>Le</strong>s passes exercées <strong>sur</strong> un sensitif relâchent peu à peu <strong>et</strong>dénouent les liens qui unissent l'esprit au corps. L'âme <strong>et</strong> sa formeéthérée sortent <strong>de</strong> <strong>la</strong> gangue matérielle, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te sortie constitue lephénomène du sommeil. Plus l'hypnose est profon<strong>de</strong>, plus l'âme sedétache, s'éloigne <strong>et</strong> recouvre <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses vibrations. La vieactive se concentre dans le périsprit, tandis que <strong>la</strong> vie physique estsuspendue.


86 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEELa suggestion accroît encore le rythme vibratoire <strong>de</strong> l'âme. Chaqueidée contient ce que les psychologues appellent <strong>la</strong> tendance à l'action, <strong>et</strong>c<strong>et</strong>te tendance se transforme en acte par <strong>la</strong> suggestion. Celle-ci n'est, eneff<strong>et</strong>, qu'un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté. Portée à sa plus haute intensité, elle<strong>de</strong>vient une force motrice, un levier qui soulève <strong>et</strong> m<strong>et</strong> en mouvementles puissances vitales endormies, les sens psychiques <strong>et</strong> les facultéstranscendantes.On voit alors se produire les phénomènes <strong>de</strong> c<strong>la</strong>irvoyance, <strong>de</strong> lucidité,<strong>de</strong> réveil <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire. Pour que ces manifestations <strong>de</strong>viennentpossibles, le périsprit doit être impressionné au préa<strong>la</strong>ble par unébranlement vibratoire déterminé par <strong>la</strong> suggestion. C<strong>et</strong> ébranlement, enaccélérant le mouvement rythmique, a pour eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> rétablir le rapportentre <strong>la</strong> conscience cérébrale <strong>et</strong> <strong>la</strong> conscience profon<strong>de</strong>, rapport qui estrompu dans l'état normal, pendant <strong>la</strong> vie physique. Alors les images, lessouvenirs emmagasinés dans le périsprit peuvent se ranimer <strong>et</strong> re<strong>de</strong>venirconscients. Mais, dès le réveil, le rapport cesse, le voile r<strong>et</strong>ombe, lessouvenirs lointains s'effacent peu à peu <strong>et</strong> rentrent dans <strong>la</strong> pénombre.La suggestion est donc le procédé qu'on doit employer <strong>de</strong> préférencedans ces expériences. Pour ramener les suj<strong>et</strong>s à une époque déterminée<strong>de</strong> leur passé, on les endort à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> passes longitudinales, pratiquées<strong>de</strong> haut en bas, puis on leur suggère qu'ils ont tel ou tel âge. On leur faitremonter ainsi toutes les pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> leur existence ; on peut obtenir <strong>de</strong>sfac-similés <strong>de</strong> leur écriture qui varient suivant les époques <strong>et</strong> sonttoujours concordants, lorsqu'il s'agit <strong>de</strong>s mêmes époques, évoquées aucours <strong>de</strong> différentes séances. Au moyen <strong>de</strong> passes transversales, on lesramène ensuite au point actuel, en repassant par les mêmes phases.On peut encore - <strong>et</strong> nous avons procédé nous-même <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te façon -assigner au suj<strong>et</strong> une date précise <strong>de</strong> son passé, même le plus éloigné, <strong>et</strong><strong>la</strong> faire renaître en lui. Si le suj<strong>et</strong> est très sensible, on voit alors sedérouler <strong>de</strong>s scènes d'un intérêt captivant, avec <strong>de</strong>s détails <strong>sur</strong> le milieuévoqué <strong>et</strong> les personnages qui y vivent, détails qui sont parfoissusceptibles <strong>de</strong> vérification. On a pu constater, dit le colonel <strong>de</strong> Rochas,«que les souvenirs ainsi éveillés étaient exacts <strong>et</strong> que les suj<strong>et</strong>s prenaientsuccessivement les personnalités correspondant à leur âge 3 .»3 Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques, juill<strong>et</strong> 1905, page 350.Voir aussi l'ouvrage du colonel <strong>de</strong> Rochas : les Vies successives, Chacornac, édit., 1911, pages40, 62, 66-109.


ETATS VIBRATOIRES DE L'AME 87Insistons encore <strong>sur</strong> ces phénomènes, dont l'analyse proj<strong>et</strong>te une vivelumière <strong>sur</strong> le mystère <strong>de</strong> l'être. Tous les aspects variés <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire,l'extinction <strong>de</strong>s souvenirs dans <strong>la</strong> vie normale, leur réveil dans <strong>la</strong> transe<strong>et</strong> l'extériorisation, tout s'explique par <strong>la</strong> différence <strong>de</strong>s mouvementsvibratoires qui relient l'âme <strong>et</strong> son corps psychique au cerveau matériel.A chaque changement d'état, les vibrations varient d'intensité, <strong>de</strong>venantplus rapi<strong>de</strong>s à me<strong>sur</strong>e que l'âme se dégage du corps. <strong>Le</strong>s sensationsressenties dans l'état normal s'enregistrent avec un minimum <strong>de</strong> force <strong>et</strong><strong>de</strong> durée ; mais <strong>la</strong> mémoire totale subsiste au fond <strong>de</strong> l'être. Pour peu queles liens matériels se relâchent <strong>et</strong> que l'âme soit rendue à elle-même, eller<strong>et</strong>rouve, avec son état vibratoire supérieur, <strong>la</strong> conscience <strong>de</strong> tous lesaspects <strong>de</strong> sa vie, <strong>de</strong> toutes les formes physiques ou psychiques <strong>de</strong> sonexistence intégrale. C'est, nous l'avons vu, ce qu'on peut constater <strong>et</strong>reproduire artificiellement dans l'état hypnotique. Afin <strong>de</strong> bien sereconnaître dans le dédale <strong>de</strong> ces phénomènes, il ne faut pas oublier quec<strong>et</strong> état comporte <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés nombreux. A chacun <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>grés s'attacheune <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité ; à chaque phase dusommeil correspond un état particulier <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire ; le sommeil leplus profond fait <strong>sur</strong>gir <strong>la</strong> mémoire <strong>la</strong> plus étendue. Celle-ci se restreint<strong>de</strong> plus en plus à me<strong>sur</strong>e que l'âme réintègre son enveloppe. A l'état <strong>de</strong>veille ou <strong>de</strong> réveil correspond <strong>la</strong> mémoire <strong>la</strong> plus étroite, <strong>la</strong> plusindigente.Ce phénomène <strong>de</strong> <strong>la</strong> reconstitution artificielle du passé nous faitcomprendre ce qui se produit après <strong>la</strong> mort, lorsque l'âme, délivrée <strong>de</strong>son corps terrestre, se r<strong>et</strong>rouve en face <strong>de</strong> sa mémoire agrandie,mémoire-conscience, mémoire imp<strong>la</strong>cable qui conserve l'empreinte <strong>de</strong>toutes ses fautes <strong>et</strong> <strong>de</strong>vient son juge <strong>et</strong>, parfois, son bourreau.Mais, en même temps, le moi, fragmenté en couches distinctes pendant<strong>la</strong> vie d'ici-bas, se reconstitue dans sa synthèse supérieure <strong>et</strong> samagnifique unité. Toute l'expérience acquise au cours <strong>de</strong>s siècles, toutesles richesses spirituelles, fruits <strong>de</strong> l'évolution, souvent cachés ou tout aumoins amortis, amoindris dans c<strong>et</strong>te existence, reparaissent dans leuréc<strong>la</strong>t <strong>et</strong> leur fraîcheur, pour servir <strong>de</strong> bases à <strong>de</strong> nouvelles acquisitions.Rien n'est perdu. <strong>Le</strong>s couches profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'être, si elles racontent lesdéfail<strong>la</strong>nces <strong>et</strong> les chutes, proc<strong>la</strong>ment aussi les lents, les pénibles effortsaccumulés au cours <strong>de</strong>s âges pour édifier c<strong>et</strong>te personnalité, qui iratoujours grandissant, toujours plus riche <strong>et</strong> plus belle, dans


88 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEl'épanouissement heureux <strong>de</strong> ses facultés acquises, <strong>de</strong> ses qualités, <strong>de</strong> sesvertus.IX. - EVOLUTION ET FINALITE DE L'AME.L'âme, avons-nous dit, vient <strong>de</strong> Dieu ; c'est le principe <strong>de</strong> l'intelligence<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie en nous. Essence mystérieuse, elle échappe à l'analyse,comme tout ce qui émane <strong>de</strong> l'absolu. Créée par amour, créée pouraimer, si chétive qu'elle peut être enfermée dans une forme restreinte <strong>et</strong>fragile, si gran<strong>de</strong> que, d'un é<strong>la</strong>n <strong>de</strong> sa pensée, elle embrasse l'infini, l'âmeest une parcelle <strong>de</strong> l'essence divine proj<strong>et</strong>ée dans le mon<strong>de</strong> matériel.Depuis l'heure <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>scente dans <strong>la</strong> matière, quel chemin a-t-ellesuivi pour remonter jusqu'au point actuel <strong>de</strong> sa course ?Il lui a fallu passer par <strong>de</strong>s voies obscures, revêtir <strong>de</strong>s formes, animer<strong>de</strong>s organismes qu'elle rej<strong>et</strong>ait à l'issue <strong>de</strong> chaque existence, comme onle fait d'un manteau <strong>de</strong>venu inutile. Tous ces corps <strong>de</strong> chair ont péri ; lesouffle <strong>de</strong>s <strong>de</strong>stins en a dispersé <strong>la</strong> poussière ; mais l'âme persiste <strong>et</strong><strong>de</strong>meure, en sa pérennité ; elle poursuit sa marche ascendante, parcourtles stations innombrables <strong>de</strong> son voyage <strong>et</strong> va vers un but grand <strong>et</strong>désirable, un but divin, qui est <strong>la</strong> perfection.L'âme contient, à l'état virtuel, tous les germes <strong>de</strong> ses développementsfuturs. Elle est <strong>de</strong>stinée à tout connaître, à tout acquérir, à tout possé<strong>de</strong>r.Et comment y parviendrait-elle en une seule existence ? La vie est courte<strong>et</strong> <strong>la</strong> perfection est loin ! L'âme pourrait-elle, en une vie unique,développer son enten<strong>de</strong>ment, éc<strong>la</strong>irer sa raison, fortifier sa conscience,s'assimiler tous les éléments <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse, <strong>de</strong> <strong>la</strong> saint<strong>et</strong>é, du génie ?Non ! Pour réaliser ses fins, il lui faut, dans le temps <strong>et</strong> dans l'espace, unchamp sans bornes à parcourir. C'est par <strong>de</strong>s transformations sansnombre, après <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> siècles, que le minéral grossier se changeen un pur diamant, étince<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> mille feux. Il en est ainsi <strong>de</strong> l'âmehumaine.<strong>Le</strong> but <strong>de</strong> l'évolution, <strong>la</strong> raison d'être <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie n'est pas le bonheurterrestre - comme beaucoup le croient par erreur - mais bien leperfectionnement <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> nous, <strong>et</strong> ce perfectionnement, nous<strong>de</strong>vons le réaliser par le travail, par l'effort, par toutes les alternatives <strong>de</strong><strong>la</strong> joie <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur, jusqu'à ce que nous soyons entièrementdéveloppés <strong>et</strong> élevés à l'état céleste. S'il y a <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre moins <strong>de</strong> joie que


EVOLUTION ET FINALITE DE L'AME 89<strong>de</strong> souffrance, c'est que celle-ci est l'instrument par excellence <strong>de</strong>l'éducation <strong>et</strong> du progrès, un stimu<strong>la</strong>nt pour l'être, qui, sans elle,s'attar<strong>de</strong>rait dans les voies <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensualité. La douleur, physique <strong>et</strong>morale, forme notre expérience. La sagesse en est le prix.Peu à peu l'âme s'élève, <strong>et</strong>, à me<strong>sur</strong>e qu'elle monte, s'accumule en elleune somme toujours croissante <strong>de</strong> savoir <strong>et</strong> <strong>de</strong> vertu ; elle se sent reliéeplus étroitement à ses semb<strong>la</strong>bles ; elle communie plus intimement avecson milieu social <strong>et</strong> p<strong>la</strong>nétaire. S'élevant <strong>de</strong> plus en plus, elle se rattachebientôt par <strong>de</strong>s liens puissants aux sociétés <strong>de</strong> l'espace, puis à l'Etreuniversel.Ainsi <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'être conscient est une vie <strong>de</strong> solidarité <strong>et</strong> <strong>de</strong> liberté.Libre dans <strong>la</strong> limite que lui assignent les lois éternelles, il <strong>de</strong>vientl'architecte <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée. Son avancement est son oeuvre. Aucunefatalité ne l'opprime, si ce n'est celle <strong>de</strong> ses propres actes, dont lesconséquences r<strong>et</strong>ombent <strong>sur</strong> lui. Mais il ne peut se développer <strong>et</strong> grandirque dans <strong>la</strong> vie collective, avec le concours <strong>de</strong> chacun <strong>et</strong> au profit <strong>de</strong>tous. Plus il monte, plus il se sent vivre <strong>et</strong> souffrir en tous <strong>et</strong> pour tous.Dans son besoin d'élévation propre, il attire à lui, pour les faire parvenirà l'état spirituel, tous les êtres humains qui peuplent les mon<strong>de</strong>s où il avécu. Il veut faire pour eux ce qu'ont fait pour lui ses frères aînés, lesgrands Esprits qui l'ont guidé dans sa marche.La loi <strong>de</strong> justice veut que toutes les âmes soient émancipées à leurtour, affranchies <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie inférieure. Chaque être parvenu à <strong>la</strong> pleineconscience doit travailler à préparer à ses frères une vie supportable, unétat social ne comportant que <strong>la</strong> somme <strong>de</strong>s maux inévitables. Ces maux,nécessaires au fonctionnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi d'éducation générale, ne serontjamais complètement supprimés <strong>sur</strong> notre mon<strong>de</strong>. Ils représentent une<strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie terrestre. La matière est l'utile obstacle ; elleprovoque l'effort <strong>et</strong> développe <strong>la</strong> volonté, elle contribue à l'ascension <strong>de</strong>sêtres, en leur imposant <strong>de</strong>s besoins qui les contraignent au travail. Etcomment sans <strong>la</strong> peine connaître <strong>la</strong> joie ; comment sans l'ombreapprécier <strong>la</strong> lumière ; comment sans <strong>la</strong> privation goûter le bien acquis, <strong>la</strong>satisfaction obtenue ? Voilà pourquoi les difficultés se r<strong>et</strong>rouvent soustoutes les formes, en nous <strong>et</strong> autour <strong>de</strong> nous.** *


90 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEC'est un grand spectacle que <strong>la</strong> lutte <strong>de</strong> l'esprit contre <strong>la</strong> matière, luttepour <strong>la</strong> conquête du globe, lutte contre les éléments, les fléaux, contre <strong>la</strong>misère, <strong>la</strong> douleur <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort. Partout <strong>la</strong> matière s'oppose à <strong>la</strong>manifestation <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée. Dans le domaine <strong>de</strong> l'art, c'est <strong>la</strong> pierre quirésiste au ciseau du sculpteur. Dans <strong>la</strong> science, c'est l'insaisissable,l'infiniment p<strong>et</strong>it qui se dérobe à l'observation. Dans l'ordre socialcomme dans l'ordre privé, ce sont les obstacles sans nombre, les besoins,les épidémies, les catastrophes !Et cependant, en face <strong>de</strong>s puissances aveugles qui le pressent <strong>et</strong> lemenacent <strong>de</strong> toutes parts, l'homme s'est dressé, être fragile ; pour touteressource il n'a que sa volonté. Et à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ressource unique, àtravers les temps, l'âpre lutte s'est poursuivie, sans trêve, sans merci.Puis, un jour, par <strong>la</strong> volonté humaine, <strong>la</strong> puissance formidable a étévaincue, asservie. L'homme a voulu <strong>et</strong> <strong>la</strong> matière s'est soumise. A songeste, les éléments ennemis, l'eau <strong>et</strong> le feu, se sont unis en grondant <strong>et</strong>ont travaillé pour lui.C'est <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> l'effort, loi suprême, par <strong>la</strong>quelle l'être s'affirme,triomphe <strong>et</strong> grandit. C'est <strong>la</strong> magnifique épopée <strong>de</strong> l'Histoire, <strong>la</strong> lutteextérieure qui remplit le mon<strong>de</strong>. La lutte intérieure n'est pas moinsémouvante. A chacune <strong>de</strong> ses renaissances, l'esprit <strong>de</strong>vra façonner,assouplir <strong>la</strong> nouvelle enveloppe matérielle qui va lui servir <strong>de</strong> <strong>de</strong>meure,en faire un instrument capable <strong>de</strong> rendre, d'exprimer les conceptions <strong>de</strong>son génie. Trop souvent, l'instrument résiste <strong>et</strong> <strong>la</strong> pensée, découragée, sereplie <strong>sur</strong> elle-même, impuissante à affiner, à soulever ce lourd far<strong>de</strong>auqui l'étouffe <strong>et</strong> l'annihile. Pourtant, par l'effort accumulé, par <strong>la</strong>persistance <strong>de</strong>s pensées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s désirs, malgré les déceptions, les défaites,à travers les existences renouvelées, l'âme réussit à développer seshautes facultés.Il est en nous une sour<strong>de</strong> aspiration, une énergie intime, mystérieuse,qui nous porte vers les somm<strong>et</strong>s, nous fait tendre vers <strong>de</strong>s <strong>de</strong>stinéestoujours plus hautes, nous pousse en avant vers le beau <strong>et</strong> le bien. C'est<strong>la</strong> loi du progrès, l'évolution éternelle qui gui<strong>de</strong> l'humanité à travers lesâges <strong>et</strong> aiguillonne chacun <strong>de</strong> nous. Car l'humanité, ce sont les mêmesâmes ; elles reviennent <strong>de</strong> siècle en siècle, pour suivre, à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>nouveaux corps, <strong>et</strong> jusqu'à ce qu'elles soient mûres pour les mon<strong>de</strong>smeilleurs, leur oeuvre <strong>de</strong> perfectionnement. L'histoire d'une âme ne


EVOLUTION ET FINALITE DE L'AME 91diffère guère <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> l'humanité ; l'échelle seule diffère, l'échelle <strong>de</strong>sproportions.L'esprit moule <strong>la</strong> matière. Il lui communique <strong>la</strong> vie <strong>et</strong> <strong>la</strong> beauté. Aussil'évolution est-elle, par excellence, une loi d'esthétique. <strong>Le</strong>s formesacquises sont le point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> formes plus belles. Tout se relie. Laveille prépare le len<strong>de</strong>main ; le passé enfante l'avenir. L'oeuvre humaine,refl<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'oeuvre divine, s'épanouit en formes <strong>de</strong> plus en plus parfaites.** *La loi du progrès ne s'applique pas seulement à l'homme. Elle estuniverselle. Il y a dans tous les règnes <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature une évolution qui aété reconnue par les penseurs <strong>de</strong> tous les temps. Depuis <strong>la</strong> cellule verte,<strong>de</strong>puis le vague embryon flottant <strong>sur</strong> les eaux, à travers <strong>de</strong>s sériesvariées, <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong>s espèces s'est déroulée jusqu'à nous.Sur c<strong>et</strong>te chaîne, chaque anneau représente une forme <strong>de</strong> l'existencequi conduit à une forme supérieure, à un organisme plus riche, mieuxadapté aux besoins, aux manifestations grandissantes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Mais <strong>sur</strong>l'échelle d'évolution, <strong>la</strong> pensée, <strong>la</strong> conscience, <strong>la</strong> liberté n'apparaissentqu'après bien <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés. Dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte, l'intelligence sommeille ; dansl'animal, elle rêve ; dans l'homme seulement, elle s'éveille, se connaît, sepossè<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong>vient consciente. Dès lors, le progrès fatal en quelque sortedans les formes inférieures <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, le progrès ne peut plus seréaliser que par l'accord <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté humaine avec les lois éternelles.C'est par c<strong>et</strong> accord, par c<strong>et</strong>te union <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison humaine avec <strong>la</strong>raison divine, que s'édifient les oeuvres préparatrices du règne <strong>de</strong> Dieu,c'est-à-dire du règne <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sagesse, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Justice, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bonté, dont toutêtre raisonnable <strong>et</strong> conscient porte en lui l'intuition.Ainsi, l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> l'évolution, loin d'infirmer <strong>la</strong> spiritualité <strong>de</strong>l'homme, vient, au contraire, lui donner une nouvelle sanction. Elle nousapprend comment notre corps peut dériver d'une forme inférieure par <strong>la</strong>sélection naturelle, mais elle nous montre aussi que nous possédons <strong>de</strong>sfacultés intellectuelles <strong>et</strong> morales d'une origine différente, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>teorigine, nous <strong>la</strong> trouvons dans l'Univers invisible, dans le mon<strong>de</strong>sublime <strong>de</strong> l'Esprit.La théorie <strong>de</strong> l'évolution doit être complétée par celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> percussion,c'est-à-dire par l'action <strong>de</strong>s puissances invisibles, qui dirigent, stimulentc<strong>et</strong>te lente <strong>et</strong> prodigieuse marche ascensionnelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>sur</strong> le globe.


92 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>Le</strong> mon<strong>de</strong> occulte intervient, à certaines époques, dans le développementphysique <strong>de</strong> l'humanité, comme il intervient dans le domaine intellectuel<strong>et</strong> moral, par <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion médianimique. Lorsqu'une race ayant atteintson apogée est suivie d'une race nouvelle, il est rationnel <strong>de</strong> croirequ'une famille supérieure d'âmes s'incarne parmi les représentants <strong>de</strong> <strong>la</strong>race épuisée, pour <strong>la</strong> faire monter d'un <strong>de</strong>gré en <strong>la</strong> renouve<strong>la</strong>nt <strong>et</strong> en <strong>la</strong>façonnant à son image. C'est l'éternel hymen du ciel <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre,l'intime pénétration <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière par l'esprit, l'effusion grandissante <strong>de</strong> <strong>la</strong>vie psychique dans <strong>la</strong> forme en cours d'évolution.L'apparition <strong>de</strong>s hommes <strong>sur</strong> l'échelle <strong>de</strong>s êtres peut s'expliquer ainsi.L'embryogénie nous le démontre : l'homme est <strong>la</strong> synthèse <strong>de</strong> toutes lesformes vivantes qui l'ont précédé, le <strong>de</strong>rnier anneau <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te longuechaîne <strong>de</strong> vies inférieures qui se déroule à travers les temps. Mais c'est làseulement l'aspect extérieur du problème <strong>de</strong>s origines ; l'aspect intérieurest autrement ample <strong>et</strong> imposant. De même que chaque naissances'explique par <strong>la</strong> <strong>de</strong>scente dans <strong>la</strong> chair d'une âme venue <strong>de</strong> l'espace,ainsi <strong>la</strong> première apparition <strong>de</strong> l'homme <strong>sur</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète doit être attribuéeà une intervention <strong>de</strong>s puissances invisibles qui génèrent <strong>la</strong> vie.L'essence psychique vient communiquer aux formes animales évoluéesle souffle d'une vie nouvelle. Elle va créer, pour <strong>la</strong> manifestation <strong>de</strong>l'intelligence, un organe jusqu'alors inconnu : <strong>la</strong> parole. Elément puissant<strong>de</strong> toute vie sociale, le verbe apparaîtra <strong>et</strong>, en même temps, par sonenveloppe fluidique, l'âme incarnée conservera <strong>la</strong> possibilité d'entrer enrapports avec le milieu d'où elle est sortie 1 .L'évolution <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>s âmes est réglée par <strong>la</strong> volonté divine,qui pénètre <strong>et</strong> dirige <strong>la</strong> nature entière. Mais l'évolution physique n'est1 Quelle que soit <strong>la</strong> théorie à <strong>la</strong>quelle on donne <strong>la</strong> préférence en ces matières, que l'on adopte lesvues <strong>de</strong> Darwin, <strong>de</strong> Spencer ou d'Haeckel, on ne peut se résoudre à croire que <strong>la</strong> Nature, queDieu, n'ait qu'un seul <strong>et</strong> unique moyen <strong>de</strong> produire <strong>et</strong> <strong>de</strong> développer <strong>la</strong> vie. <strong>Le</strong> cerveau humainest borné. <strong>Le</strong>s possibilités <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie sont infinies. <strong>Le</strong>s pauvres théoriciens qui veulent enfermertoute <strong>la</strong> science biologique dans les étroites limites d'un système, nous rappellent toujours lep<strong>et</strong>it enfant <strong>de</strong> <strong>la</strong> légen<strong>de</strong> qui creusait un trou dans le sable <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge <strong>et</strong> vou<strong>la</strong>it y verser toutel'eau <strong>de</strong> l'océan.<strong>Le</strong> professeur Ch. Rich<strong>et</strong> l'a déc<strong>la</strong>ré lui-même dans sa réponse à Sully-Prudhomme : «<strong>Le</strong>sthéories <strong>de</strong> <strong>la</strong> sélection sont insuffisantes.» Et nous ajouterons : «S'il y a unité <strong>de</strong> p<strong>la</strong>n, il doit yavoir diversité dans les moyens d'exécution. Dieu est le grand artiste qui, <strong>de</strong>s contrastes, saitfaire jaillir l'harmonie. Il semble qu'il y ait dans l'Univers <strong>de</strong>ux immenses chaînes <strong>de</strong> vie : l'unemonte <strong>de</strong> l'abîme par l'animalité ; l'autre <strong>de</strong>scend <strong>de</strong>s hauteurs divines ; elles se rejoignentpour s'unir, se confondre <strong>et</strong> s'entraîner. N'est-ce pas ce que signifie l'échelle du songe <strong>de</strong>Jacob ?


EVOLUTION ET FINALITE DE L'AME 93que <strong>la</strong> préparation <strong>de</strong> l'évolution psychique, <strong>et</strong> l'ascension <strong>de</strong>s âmes sepoursuit bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s matériels.Ce qui domine dans les basses régions <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, c'est <strong>la</strong> lutte ar<strong>de</strong>nte,le combat, sans trêve <strong>de</strong> tous contre tous, <strong>la</strong> guerre perpétuelle dans<strong>la</strong>quelle chaque être fait effort pour conquérir une p<strong>la</strong>ce au soleil,presque toujours au détriment <strong>de</strong>s autres. C<strong>et</strong>te mêlée furieuse entraîne <strong>et</strong>décime tous les êtres inférieurs dans ses tourbillons. Notre globe estcomme une arène où se livrent d'incessantes batailles.La Nature renouvelle sans cesse ces armées <strong>de</strong> combattants. Dans safécondité prodigieuse, elle enfante <strong>de</strong> nouveaux êtres ; mais aussitôt, <strong>la</strong>mort fauche dans leurs rangs pressés. C<strong>et</strong>te lutte, effrayante à premièrevue, est nécessaire au développement du principe <strong>de</strong> vie. Elle durejusqu'au jour où un rayon d'intelligence vient illuminer les consciencesendormies. C'est par <strong>la</strong> lutte que se trempe <strong>et</strong> s'affirme <strong>la</strong> volonté ; c'est<strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur que naît <strong>la</strong> sensibilité.L'évolution matérielle, <strong>la</strong> <strong>de</strong>struction <strong>de</strong>s organismes n'est qu<strong>et</strong>emporaire : elle représente <strong>la</strong> phase primaire <strong>de</strong> l'épopée <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. <strong>Le</strong>sréalités impérissables sont dans l'esprit. Lui seul <strong>sur</strong>vit à ces conflits.Toutes ces enveloppes éphémères ne sont que <strong>de</strong>s vêtements venants'adapter à sa forme fluidique permanente. Comme <strong>de</strong>s costumes, il lesrevêt pour jouer les nombreux actes du drame <strong>de</strong> l'évolution <strong>sur</strong> <strong>la</strong>gran<strong>de</strong> scène <strong>de</strong> l'Univers.Emerger, <strong>de</strong>gré à <strong>de</strong>gré, <strong>de</strong> l'abîme <strong>de</strong> vie pour <strong>de</strong>venir esprit, géniesupérieur, <strong>et</strong> ce<strong>la</strong> par ses propres mérites <strong>et</strong> ses efforts ; conquérir sonavenir, heure après heure ; se dégager un peu plus tous les jours <strong>de</strong> <strong>la</strong>gangue <strong>de</strong>s passions s'affranchir <strong>de</strong>s suggestions <strong>de</strong> l'égoïsme, <strong>de</strong> <strong>la</strong>paresse, du découragement ; se rach<strong>et</strong>er peu à peu <strong>de</strong> ses faiblesses, <strong>de</strong>son ignorance, en aidant ses semb<strong>la</strong>bles à se rach<strong>et</strong>er à leur tour, enentraînant tout le milieu humain vers un état plus élevé : voilà le rôleassigné à chaque âme. Et ce rôle, elle a, pour le remplir, toute <strong>la</strong> suite <strong>de</strong>sexistences innombrables qui lui sont dévolues <strong>sur</strong> l'échelle magnifique<strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s.Tout ce qui vient <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière est instable : tout passe, tout fuit. <strong>Le</strong>smontagnes s'affaissent peu à peu sous l'action <strong>de</strong>s éléments ; les plusgran<strong>de</strong>s cités se changent en ruines ; les astres s'allument, resplendissent,puis s'éteignent <strong>et</strong> meurent ; seule, l'âme impérissable p<strong>la</strong>ne dansl'éternelle durée.


94 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>Le</strong> cercle <strong>de</strong>s choses terrestres nous enserre <strong>et</strong> limite nos perceptions ;mais quand <strong>la</strong> pensée se détache <strong>de</strong>s formes changeantes <strong>et</strong> embrassel'étendue <strong>de</strong>s temps, elle voit le passé <strong>et</strong> le futur se rejoindre, frémir <strong>et</strong>vivre dans le présent. <strong>Le</strong> chant <strong>de</strong> gloire, l'hymne <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie infinie remplitles espaces ; il monte du sein <strong>de</strong>s ruines <strong>et</strong> <strong>de</strong>s tombes ; <strong>sur</strong> les débris <strong>de</strong>scivilisations mortes s'é<strong>la</strong>ncent <strong>de</strong>s floraisons nouvelles. L'union se faitentre les <strong>de</strong>ux humanités, visible <strong>et</strong> invisible ; entre ceux qui peuplent <strong>la</strong>terre <strong>et</strong> ceux qui parcourent l'espace. <strong>Le</strong>urs voix s'appellent, serépon<strong>de</strong>nt, <strong>et</strong> ces bruits, ces murmures, encore vagues <strong>et</strong> confus pourbeaucoup, <strong>de</strong>viennent pour nous le message, <strong>la</strong> parole vibrante, quiaffirme <strong>la</strong> communion d'amour universel.** *Tel est le caractère complexe <strong>de</strong> l'être humain - esprit, force <strong>et</strong> matière- en qui se résument tous les éléments constitutifs, toutes les puissances<strong>de</strong> l'Univers. Tout ce qui est en nous est dans l'Univers, <strong>et</strong> tout ce qui estdans l'Univers se r<strong>et</strong>rouve en nous. Par son corps fluidique <strong>et</strong> son corpsmatériel, l'homme se trouve lié à l'immense réseau <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie universelle ;par son âme, à tous les mon<strong>de</strong>s invisibles <strong>et</strong> divins. Nous sommes faitsd'ombre <strong>et</strong> <strong>de</strong> lumière. Nous sommes <strong>la</strong> chair avec toutes ses faiblesses<strong>et</strong> l'esprit avec ses richesses <strong>la</strong>tentes, ses espérances radieuses, sesmagnifiques envolées. Et ce qui est en nous se r<strong>et</strong>rouve dans tous lesêtres. Chaque âme humaine est une projection du grand foyer éternel.C'est là ce qui consacre <strong>et</strong> as<strong>sur</strong>e <strong>la</strong> fraternité <strong>de</strong>s hommes. Nous avonsen nous les instincts <strong>de</strong> <strong>la</strong> bête, plus ou moins comprimés par le longtravail <strong>et</strong> les épreuves <strong>de</strong>s existences passées, <strong>et</strong> nous avons aussi <strong>la</strong>chrysali<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'ange, <strong>de</strong> l'être radieux <strong>et</strong> pur que nous pouvons <strong>de</strong>venirpar l'entraînement moral, les aspirations du coeur <strong>et</strong> le sacrifice constantdu moi. Nous touchons par les pieds aux profon<strong>de</strong>urs obscures <strong>de</strong>l'abîme <strong>et</strong> par le front aux altitu<strong>de</strong>s éblouissantes du ciel, à l'empireglorieux <strong>de</strong>s Esprits.Quand nous prêtons l'oreille à ce qui se passe au fond <strong>de</strong> notre être,nous entendons comme le bruissement d'eaux cachées <strong>et</strong> tumultueuses,comme le flux <strong>et</strong> le reflux <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te mer houleuse <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité quesoulèvent les souffles <strong>de</strong> <strong>la</strong> colère, <strong>de</strong> l'égoïsme <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'orgueil. Ce sontles voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière, les appels <strong>de</strong>s basses régions qui nous attirent <strong>et</strong>influencent encore nos actions. Mais ces influences, nous pouvons les


EVOLUTION ET FINALITE DE L'AME 95dominer par <strong>la</strong> volonté ; ces voix, nous pouvons leur imposer silence, <strong>et</strong>,lorsque le calme s'est fait en nous, lorsque le murmure <strong>de</strong>s passions s'estapaisé, alors s'élève <strong>la</strong> voix puissante <strong>de</strong> l'Esprit infini, le cantique <strong>de</strong> <strong>la</strong>vie éternelle, dont l'harmonie emplit l'immensité.Et plus l'esprit s'élève, se purifie <strong>et</strong> s'éc<strong>la</strong>ire, plus son organismefluidique <strong>de</strong>vient accessible aux vibrations, aux voix, aux souffles d'enhaut. L'Esprit divin, qui anime l'Univers, agit <strong>sur</strong> toutes les âmes ; ilcherche à les pénétrer, à les éc<strong>la</strong>irer, à les fécon<strong>de</strong>r ; cependant <strong>la</strong> plupartrestent obscures <strong>et</strong> fermées ; trop grossières encore, elles ne peuventressentir son influence ni entendre ses appels. Souvent, il les entoure, lesenveloppe, cherche à atteindre les couches profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> leursconsciences, à les éveiller à <strong>la</strong> vie spirituelle. Beaucoup résistent à c<strong>et</strong>teaction, car l'âme est libre. D'autres ne <strong>la</strong> ressentent qu'aux momentssolennels <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, dans les gran<strong>de</strong>s épreuves, aux heures désolées oùelles éprouvent le besoin d'un secours d'en haut <strong>et</strong> l'appellent. Pour vivre<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie supérieure à <strong>la</strong>quelle ces influences nous convient, il faut avoirconnu <strong>la</strong> souffrance, pratiqué l'abnégation, avoir renoncé aux joiesmatérielles, allumé <strong>et</strong> entr<strong>et</strong>enu en soi c<strong>et</strong>te f<strong>la</strong>mme, c<strong>et</strong>te illuminationintérieure qui ne s'éteint jamais <strong>et</strong> dont les refl<strong>et</strong>s éc<strong>la</strong>irent, dès cemon<strong>de</strong>, les perspectives <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là. De multiples <strong>et</strong> pénibles existencesp<strong>la</strong>nétaires nous préparent à c<strong>et</strong>te vie.** *Ainsi se dévoile le mystère <strong>de</strong> Psyché, l'âme humaine, fille du ciel,enfermée pour un temps dans <strong>la</strong> chair <strong>et</strong> qui remonte vers sa patried'origine à travers <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> morts <strong>et</strong> <strong>de</strong> renaissances.La tâche est ru<strong>de</strong>, les pentes à gravir, escarpées ; l'effrayante spirale àparcourir se déroule sans terme apparent ; mais nos forces sont sanslimites, car nous pouvons les renouveler sans cesse par <strong>la</strong> volonté <strong>et</strong> <strong>la</strong>communion universelle.Et puis, nous ne sommes pas seuls pour effectuer ce grand voyage.Non seulement nous rejoignons, tôt ou tard, les êtres aimés, lescompagnons <strong>de</strong> nos vies passées, ceux qui partagèrent nos joies <strong>et</strong> nospeines ; mais d'autres grands Etres qui furent, eux aussi, <strong>de</strong>s hommes <strong>et</strong>qui sont maintenant <strong>de</strong>s Esprits célestes, se tiennent à nos côtés, auxpassages difficiles. Ceux qui nous ont dépassés dans <strong>la</strong> voie sacrée ne se


96 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEdésintéressent pas <strong>de</strong> notre sort, <strong>et</strong> quand <strong>la</strong> tourmente sévit <strong>sur</strong> notreroute, leurs mains secourables soutiennent notre marche.<strong>Le</strong>ntement, douloureusement, nous mûrissons pour <strong>de</strong>s tâches <strong>de</strong> plusen plus hautes ; nous participons plus complètement à l'exécution d'unp<strong>la</strong>n dont <strong>la</strong> majesté remplit d'une admiration émue celui qui en entrevoitles lignes imposantes. A me<strong>sur</strong>e que notre ascension s'accentue, <strong>de</strong> plusgran<strong>de</strong>s révé<strong>la</strong>tions nous sont faites, <strong>de</strong> nouvelles formes d'activité, <strong>de</strong>nouveaux sens psychiques naissent en nous, <strong>de</strong>s choses plus sublimesnous apparaissent. L'univers fluidique s'ouvre toujours plus vaste à notreessor ; il <strong>de</strong>vient une source intarissable <strong>de</strong> joies spirituelles.Puis vient l'heure où, après ses pérégrinations à travers les mon<strong>de</strong>s,l'âme, <strong>de</strong>s régions <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie supérieure, contemple l'ensemble <strong>de</strong> sesexistences, le long cortège <strong>de</strong>s souffrances subies. Elle le compren<strong>de</strong>nfin : ces souffrances sont le prix <strong>de</strong> son bonheur, ces épreuves n'ontenfanté que son bien. Et alors, son rôle change. De protégée, elle <strong>de</strong>vientprotectrice. Elle enveloppe <strong>de</strong> son influence ceux qui luttent encore <strong>sur</strong>les terres <strong>de</strong> l'espace ; elle leur souffle les conseils <strong>de</strong> sa propreexpérience ; elle les soutient dans <strong>la</strong> voie ardue, dans les ru<strong>de</strong>s sentierspar elle-même parcourus.L'âme parviendra-t-elle jamais au terme <strong>de</strong> son voyage ? En avançantdans <strong>la</strong> voie tracée, elle voit toujours s'ouvrir <strong>de</strong> nouveaux champsd'étu<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong> découvertes. Semb<strong>la</strong>bles au courant d'un fleuve, les on<strong>de</strong>s<strong>de</strong> <strong>la</strong> science suprême <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt vers elle en un flot toujours pluspuissant. Elle arrive à pénétrer <strong>la</strong> sainte harmonie <strong>de</strong>s choses, àcomprendre qu'aucune discordance, aucune contradiction n'existe dansl'univers, que partout règnent l'ordre, <strong>la</strong> sagesse, <strong>la</strong> prévoyance. Et saconfiance, son enthousiasme augmentent encore ; avec un plus grandamour <strong>de</strong> <strong>la</strong> Puissance suprême, elle goûte d'une manière plus intense lesfélicités <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie bienheureuse.Dès lors, elle est étroitement associée à l'oeuvre divine ; elle est mûrepour remplir les missions dévolues aux âmes supérieures, à c<strong>et</strong>tehiérarchie d'Esprits qui, à <strong>de</strong>s titres divers, gouvernent <strong>et</strong> animent leCosmos. Car ces âmes sont les agents <strong>de</strong> Dieu dans l'oeuvre éternelle <strong>de</strong><strong>la</strong> Création. Elles sont les livres merveilleux <strong>sur</strong> lesquels il a écrit sesplus beaux mystères. Elles sont comme les courants qui vont porter auxterres <strong>de</strong> l'espace les forces <strong>et</strong> les radiations <strong>de</strong> l'Ame infinie.


EVOLUTION ET FINALITE DE L'AME 97Dieu connaît toutes les âmes qu'il a formées <strong>de</strong> sa pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> sonamour. Il sait quel grand parti il en tirera plus tard pour <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong>ses vues. D'abord, il les <strong>la</strong>isse parcourir lentement <strong>la</strong> voie sinueuse,gravir les sombres défilés <strong>de</strong>s vies terrestres, accumuler peu à peu enelles ces trésors <strong>de</strong> patience, <strong>de</strong> vertu, <strong>de</strong> savoir qu'on acquiert à l'école<strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance. Puis, un jour, attendries sous les pluies <strong>et</strong> les rafales <strong>de</strong>l'adversité, mûries par les rayons du soleil divin, elles sortent <strong>de</strong> l'ombre<strong>de</strong>s temps, <strong>de</strong> l'obscurité <strong>de</strong>s vies innombrables, <strong>et</strong> voilà que leursfacultés s'épanouissent en gerbes éblouissantes ; leur intelligence serévèle en <strong>de</strong>s oeuvres qui sont comme un refl<strong>et</strong> du génie divin.X. - LA MORT.La mort n'est qu'un changement d'état, <strong>la</strong> <strong>de</strong>struction d'une formefragile qui ne fournit plus à <strong>la</strong> vie les conditions nécessaires à sonfonctionnement <strong>et</strong> à son évolution. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>la</strong> tombe, une autre phase<strong>de</strong> l'existence s'ouvre. L'esprit, sous sa forme fluidique, impondérable,s'y prépare à <strong>de</strong>s réincarnations nouvelles, il trouve dans son état mentalles fruits <strong>de</strong> l'existence qui vient <strong>de</strong> finir.Partout est <strong>la</strong> vie. La nature entière nous montre, dans son cadremerveilleux, le perpétuel renouvellement <strong>de</strong> toutes choses. Nulle part <strong>la</strong>mort, telle qu'on <strong>la</strong> considère généralement autour <strong>de</strong> nous ; nulle partl'anéantissement. Aucun être ne peut périr dans son principe <strong>de</strong> vie, dansson unité consciente. L'univers est débordant <strong>de</strong> vie physique <strong>et</strong>psychique. Partout, l'immense fourmillement <strong>de</strong>s êtres, l'é<strong>la</strong>borationd'âmes qui n'échappent aux lentes <strong>et</strong> obscures préparations <strong>de</strong> <strong>la</strong> matièrequ'afin <strong>de</strong> poursuivre, dans les étapes <strong>de</strong> <strong>la</strong> lumière, leur magnifiqueascension.La vie <strong>de</strong> l'homme est comme le soleil <strong>de</strong>s régions po<strong>la</strong>ires pendantl'été. Il <strong>de</strong>scend lentement, il baisse, s'affaiblit, semble disparaître uninstant sous l'horizon. En apparence, c'est <strong>la</strong> fin ; mais aussitôt, il serelève, pour décrire <strong>de</strong> nouveau son orbe immense dans le ciel.La mort n'est donc qu'une éclipse d'un instant dans c<strong>et</strong>te gran<strong>de</strong>révolution <strong>de</strong> nos existences. Mais c<strong>et</strong> instant suffit pour nous révéler lesens grave <strong>et</strong> profond <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. La mort, elle aussi, peut avoir sanoblesse, sa gran<strong>de</strong>ur. Il ne faut pas <strong>la</strong> craindre, mais plutôt s'efforcer <strong>de</strong>l'embellir, en s'y préparant sans cesse par <strong>la</strong> recherche <strong>et</strong> <strong>la</strong> conquête <strong>de</strong>


98 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>la</strong> beauté morale, <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong> l'esprit, qui moule le corps, <strong>et</strong> l'orne d'unrefl<strong>et</strong> auguste, à l'heure <strong>de</strong>s suprêmes séparations. La façon dont noussavons mourir est déjà, par elle-même, une indication <strong>de</strong> ce que sera,pour chacun <strong>de</strong> nous, <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'espace.Il y a comme une lumière froi<strong>de</strong> <strong>et</strong> pure autour <strong>de</strong> l'oreiller <strong>de</strong> certainslits <strong>de</strong> mort. Des visages, jusque là insignifiants, semblent s'auréoler <strong>de</strong>sc<strong>la</strong>rtés <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là. Un silence imposant se fait autour <strong>de</strong> ceux qui ontquitté <strong>la</strong> terre. <strong>Le</strong>s vivants, témoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, sentent <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s <strong>et</strong>austères pensées se dégager du fonds banal <strong>de</strong> leurs impressionshabituelles <strong>et</strong> donner un peu <strong>de</strong> beauté à leur vie intérieure. La haine, lesmauvaises passions ne résistent pas à ce spectacle. Devant le corps d'unennemi, toute animosité s'apaise, tout désir <strong>de</strong> vengeance s'évanouit.Près d'un cercueil, le pardon semble plus facile, le <strong>de</strong>voir plus impérieux.Toute mort est un enfantement, une renaissance. C'est <strong>la</strong> manifestationd'une vie jusque-là cachée en nous, vie invisible <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre qui va seréunir à <strong>la</strong> vie invisible <strong>de</strong> l'espace. Après un temps <strong>de</strong> trouble, nousnous r<strong>et</strong>rouvons, <strong>de</strong> l'autre côté du tombeau, dans <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> nosfacultés <strong>et</strong> <strong>de</strong> notre conscience, près <strong>de</strong>s êtres aimés qui partagèrent lesheures tristes ou joyeuses <strong>de</strong> notre existence terrestre. La tombe nerenferme qu'une vaine poussière. Elevons plus haut nos pensées <strong>et</strong> nossouvenirs, si nous voulons r<strong>et</strong>rouver <strong>la</strong> trace <strong>de</strong>s âmes qui nous furentchères.Ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z pas aux pierres du sépulcre le secr<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Sachez-le,les ossements <strong>et</strong> les cendres qui reposent là ne sont rien. <strong>Le</strong>s âmes qui lesont animés ont quitté ces lieux. Elles revivent sous <strong>de</strong>s formes plussubtiles, plus affinées. Du sein <strong>de</strong> l'invisible, où vos prières les atteignent<strong>et</strong> les émeuvent, elles vous suivent du regard ; elles vous répon<strong>de</strong>nt <strong>et</strong>vous sourient. La révé<strong>la</strong>tion spirite vous apprendra à communiquer avecelles, à unir vos sentiments dans un même amour, dans une ineffableespérance.Ils sont souvent à vos côtés, les êtres pleurés que vous allez chercherau cim<strong>et</strong>ière. Ils reviennent <strong>et</strong> veillent <strong>sur</strong> vous, ceux qui ont été <strong>la</strong> force<strong>de</strong> votre jeunesse, qui vous ont bercés dans leurs bras, les amis,compagnons <strong>de</strong> vos joies <strong>et</strong> <strong>de</strong> vos douleurs ; <strong>et</strong> toutes les formes, tousles doux fantômes <strong>de</strong>s êtres rencontrés <strong>sur</strong> votre route, qui ont été mêlésà votre existence <strong>et</strong> ont emporté avec eux un peu <strong>de</strong> vous-même, <strong>de</strong>votre âme <strong>et</strong> <strong>de</strong> votre coeur. Autour <strong>de</strong> vous flotte <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s hommes


LA MORT 99disparus dans <strong>la</strong> mort, foule confuse qui revit, vous appelle <strong>et</strong> vousmontre le chemin à parcourir.O mort ! ô majesté sereine ! toi dont on fait un épouvantail, tu n'espour le penseur qu'un instant <strong>de</strong> repos, <strong>la</strong> transition entre <strong>de</strong>ux actes <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>de</strong>stinée, dont l'un s'achève <strong>et</strong> l'autre se prépare ! Quand ma pauvre âme,errante <strong>de</strong>puis tant <strong>de</strong> siècles <strong>de</strong> par les mon<strong>de</strong>s, après bien <strong>de</strong>s luttes,<strong>de</strong>s vicissitu<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>s déceptions, après bien <strong>de</strong>s illusions éteintes <strong>et</strong> <strong>de</strong>sespérances ajournées, ira se reposer <strong>de</strong> nouveau dans ton sein, c'est avecjoie qu'elle saluera l'aube <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie fluidique. C'est avec ivresse qu'elles'élèvera du milieu <strong>de</strong>s poussières terrestres, à travers les espacesinsondables, vers ceux qu'elle a chéris ici-bas <strong>et</strong> qui l'atten<strong>de</strong>nt.Pour <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s hommes, <strong>la</strong> mort reste le grand mystère, le sombreproblème qu'on n'ose regar<strong>de</strong>r en face. Pour nous, elle est l'heure bénieoù le corps fatigué r<strong>et</strong>ourne à <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> nature pour <strong>la</strong>isser à Psyché, saprisonnière, un libre passage vers <strong>la</strong> patrie éternelle.C<strong>et</strong>te patrie, c'est l'immensité radieuse, parsemée <strong>de</strong> soleils <strong>et</strong> <strong>de</strong>sphères. Près d'eux, combien notre pauvre Terre paraîtrait chétive !L'infini l'enveloppe <strong>de</strong> toutes parts. Il n'y a pas plus <strong>de</strong> fin dans l'étenduequ'il n'y en a dans <strong>la</strong> durée, qu'il s'agisse <strong>de</strong> l'âme ou <strong>de</strong> l'univers.De même que chacune <strong>de</strong> nos existences a son terme <strong>et</strong> doit s'évanouirpour faire p<strong>la</strong>ce à une autre vie, <strong>de</strong> même chacun <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s semés dansl'univers doit mourir pour faire p<strong>la</strong>ce à d'autres mon<strong>de</strong>s plus parfaits.Un jour viendra où <strong>la</strong> vie humaine s'éteindra <strong>sur</strong> le globe refroidi. LaTerre, vaste nécropole, roulera, morne, dans l'étendue silencieuse. Desruines imposantes s'élèveront où auront été Rome, Paris, Constantinople,cadavres <strong>de</strong> capitales, <strong>de</strong>rniers vestiges <strong>de</strong> races éteintes, gigantesqueslivres <strong>de</strong> pierre que nul oeil <strong>de</strong> chair ne lira plus. Mais l'humanité n'auradisparu <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre qu'afin <strong>de</strong> poursuivre, <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s sphères mieux douées,d'autres étapes <strong>de</strong> son ascension. La vague du progrès aura poussé toutesles âmes terrestres vers <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>nètes mieux aménagées pour <strong>la</strong> vie. Il estprobable que <strong>de</strong>s civilisations prodigieuses fleuriront alors <strong>sur</strong> Saturne <strong>et</strong><strong>sur</strong> Jupiter ; <strong>de</strong>s humanités renaissantes s'y épanouiront dans une gloireincomparable. Là est <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce future <strong>de</strong>s humains, leur nouveau champd'action, les lieux bénis où il leur sera donné d'aimer encore <strong>et</strong> <strong>de</strong>travailler à leur perfectionnement.Au milieu <strong>de</strong> leurs travaux, le triste souvenir <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre viendra peutêtrehanter encore ces esprits ; mais, <strong>de</strong>s hauteurs atteintes, <strong>la</strong> mémoire


100 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>de</strong>s douleurs subies, <strong>de</strong>s épreuves endurées, ne sera plus qu'un stimu<strong>la</strong>ntpour s'élever plus haut.En vain l'évocation du passé fera-t-elle <strong>sur</strong>gir à leurs yeux les spectres<strong>de</strong> chair, les tristes dépouilles couchées dans les sépultures terrestres, <strong>la</strong>voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse leur dira :«Qu'importent les ombres évanouies ! Rien ne périt. Tout être s<strong>et</strong>ransforme, s'éc<strong>la</strong>ire, monte les <strong>de</strong>grés qui conduisent <strong>de</strong> sphère ensphère, <strong>de</strong> soleil en soleil, jusqu'à Dieu. Esprit impérissable, souviens-toi<strong>de</strong> ceci : Il n'y a pas <strong>de</strong> mort !»** *<strong>Le</strong>s enseignements <strong>et</strong> le cérémonial <strong>de</strong>s Eglises n'ont pas peucontribué, en représentant <strong>la</strong> mort sous <strong>de</strong>s formes lugubres, à fairenaître un sentiment <strong>de</strong> terreur dans les esprits. De leur côté, les doctrinesmatérialistes n'étaient pas faites pour réagir contre c<strong>et</strong>te impression.A l'heure du crépuscule, quand <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong>scend <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre, une sorte<strong>de</strong> tristesse s'empare <strong>de</strong> nous. Nous <strong>la</strong> chassons facilement en nousdisant : après l'obscurité, <strong>la</strong> lumière reviendra ; <strong>la</strong> nuit n'est qu'une veilled'aurore ! Lorsque l'été s'achève <strong>et</strong> qu'à l'épanouissement <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature vasuccé<strong>de</strong>r le morne hiver, nous nous consolons dans <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong>sfloraisons futures. Pourquoi donc c<strong>et</strong> effroi <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, c<strong>et</strong>te anxiétépoignante, au suj<strong>et</strong> d'un acte qui n'est le terme <strong>de</strong> rien ?C'est presque toujours parce que <strong>la</strong> mort nous paraît être <strong>la</strong> perte, <strong>la</strong>privation soudaine <strong>de</strong> tout ce qui faisait notre joie.<strong>Le</strong> spiritualiste sait qu'il n'en est rien ; <strong>la</strong> mort est, pour lui, l'entréedans un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie plus riche d'impressions <strong>et</strong> <strong>de</strong> sensations. Nonseulement nous n'y sommes pas privés <strong>de</strong>s choses vivantes <strong>de</strong> l'esprit,mais celles-ci s'augmenteront <strong>de</strong> ressources nouvelles, d'autant plusétendues <strong>et</strong> plus variées que l'âme se sera mieux préparée à en jouir.La mort ne nous prive même pas <strong>de</strong>s choses <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>. Nouscontinuerons à voir ceux que nous aimons <strong>et</strong> <strong>la</strong>issons après nous. Dusein <strong>de</strong>s espaces, nous suivrons les progrès <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te p<strong>la</strong>nète ; nousverrons les changements qui s'accomplissent à sa <strong>sur</strong>face ; nousassisterons aux nouvelles découvertes, au développement social,politique <strong>et</strong> religieux <strong>de</strong>s nations. Et jusqu'à l'heure <strong>de</strong> notre r<strong>et</strong>our dans<strong>la</strong> chair, nous y participerons fluidiquement, en aidant, en influençant,


LA MORT 101dans <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong> notre pouvoir <strong>et</strong> <strong>de</strong> notre avancement, ceux quitravaillent au profit <strong>de</strong> tous.Bien loin <strong>de</strong> chasser l'idée <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, comme nous le faisonsgénéralement, sachons donc <strong>la</strong> considérer en face, pour ce qu'elle estréellement. Efforçons-nous <strong>de</strong> <strong>la</strong> dégager <strong>de</strong>s ombres <strong>et</strong> <strong>de</strong>s chimèresdont elle a été enveloppée, <strong>et</strong> <strong>de</strong>mandons-nous <strong>de</strong> quelle façon ilconvient <strong>de</strong> se préparer à c<strong>et</strong> inci<strong>de</strong>nt naturel <strong>et</strong> nécessaire du cours <strong>de</strong> <strong>la</strong>vie.Nécessaire, disons-nous. En eff<strong>et</strong>, qu'arriverait-il si <strong>la</strong> mort étaitsupprimée ? <strong>Le</strong> globe <strong>de</strong>viendrait trop étroit pour contenir <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>shumains. L'âge <strong>et</strong> <strong>la</strong> décrépitu<strong>de</strong> aidant, <strong>la</strong> vie nous semblerait, à unmoment donné, tellement insupportable, que nous préférerions tout à saprolongation indéfinie. Un jour viendrait où ayant épuisé tous lesmoyens d'étu<strong>de</strong>, <strong>de</strong> travail, <strong>de</strong> coopération utile à l'action commune,l'existence revêtirait pour nous un caractère accab<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> monotonie.Notre progrès, notre élévation l'exigent : nous <strong>de</strong>vons être débarrassés,un jour ou l'autre, <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te enveloppe charnelle, qui, après avoir rendu lesservices attendus, <strong>de</strong>vient impropre à nous suivre <strong>sur</strong> les autres p<strong>la</strong>ns <strong>de</strong>notre <strong>de</strong>stinée. Comment ceux qui croient à l'existence d'une Sagesseprévoyante, d'un Pouvoir ordonnateur - quelle que soit d'ailleurs <strong>la</strong>forme prêtée par eux à ce Pouvoir - comment ceux-là peuvent-ilsconsidérer <strong>la</strong> mort comme un mal ? Si elle joue un rôle important dansl'évolution <strong>de</strong>s êtres, n'est-ce pas parce qu'elle est une <strong>de</strong>s phasesvoulues <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te évolution, le pendant naturel <strong>de</strong> <strong>la</strong> naissance, un <strong>de</strong>séléments essentiels du p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie ?L'Univers ne peut faillir. Son but est <strong>la</strong> beauté ; ses moyens, <strong>la</strong> justice<strong>et</strong> l'amour. Fortifions-nous dans <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong>s avenirs sans limites. Laconfiance en <strong>la</strong> <strong>sur</strong>vie stimulera nos efforts, les rendra plus féconds.Aucune oeuvre patiente <strong>et</strong> haute ne peut réussir sans <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>slen<strong>de</strong>mains. Chaque fois qu'elle frappe autour <strong>de</strong> nous, <strong>la</strong> mort, en sasplen<strong>de</strong>ur austère, <strong>de</strong>vient un enseignement, une invitation à mieux faire,à mieux agir, à accroître sans cesse notre valeur d'âme.** *L'appareil dont on entoure les inhumations <strong>la</strong>isse une autre impressionnon moins pénible, dans le souvenir <strong>de</strong>s assistants. La pensée que notreenveloppe sera, elle aussi, déposée dans <strong>la</strong> terre, provoque comme une


102 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEsensation d'angoisse <strong>et</strong> d'étouffement. Cependant, tous les corps quenous avons animés dans le passé reposent également sous le sol ou sesont lentement transformés en fleurs <strong>et</strong> en végétaux. Ces corps n'étaientque <strong>de</strong>s vêtements usés ; notre personnalité n'a pas été ensevelie aveceux. Peu nous importe aujourd'hui ce qu'ils sont <strong>de</strong>venus. Pourquoi lesort du <strong>de</strong>rnier d'entre eux nous préoccuperait-il davantage ? Socraterépondait justement à <strong>la</strong> question <strong>de</strong> ses amis lui <strong>de</strong>mandant comment ilvou<strong>la</strong>it être enterré : «Enterrez-moi comme il vous p<strong>la</strong>ira, si seulementvous pouvez me saisir 1 .»Trop souvent, l'imagination <strong>de</strong> l'homme peuple les régions <strong>de</strong> l'Au<strong>de</strong>là<strong>de</strong> créations effrayantes qui les ren<strong>de</strong>nt redoutables pour lui.Certaines Eglises enseignent aussi que les conditions bonnes oumauvaises <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie future sont déterminées à <strong>la</strong> mort, d'une manièredéfinitive, irrévocable, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te affirmation trouble l'existence <strong>de</strong> bien <strong>de</strong>scroyants. D'autres redoutent l'isolement, l'abandon au sein <strong>de</strong>s espaces.La révé<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s Esprits vient m<strong>et</strong>tre un terme à toutes cesappréhensions ; elle nous apporte <strong>sur</strong> <strong>la</strong> vie d'outre-tombe <strong>de</strong>sindications précises 2 . Elle dissipe c<strong>et</strong>te incertitu<strong>de</strong> cruelle, c<strong>et</strong>te crainte<strong>de</strong> l'inconnu qui nous hante. La mort, nous dit-elle, ne change rien ànotre nature spirituelle, à nos caractères, à ce qui constitue notrevéritable moi. Elle nous rend seulement plus libres, libres d'une libertédont l'étendue se me<strong>sur</strong>e à notre <strong>de</strong>gré d'avancement. D'un côté comme<strong>de</strong> l'autre, nous avons <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> faire le bien ou le mal, <strong>la</strong> facilitéd'avancer, <strong>de</strong> progresser, <strong>de</strong> nous réformer. Partout règnent les mêmeslois, les mêmes harmonies, les mêmes puissances divines. Rien n'estirrévocable. L'amour qui nous appelle en ce mon<strong>de</strong> nous attire plus tard1 On nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> souvent si <strong>la</strong> crémation est préférable à l'inhumation, au point <strong>de</strong> vue dudégagement <strong>de</strong> l'esprit. <strong>Le</strong>s Invisibles, consultés, répon<strong>de</strong>nt qu'en thèse générale <strong>la</strong> crémationprovoque un dégagement plus rapi<strong>de</strong>, mais brusque <strong>et</strong> violent, douloureux même pour l'âmeattachée à <strong>la</strong> terre par ses habitu<strong>de</strong>s, ses goûts, ses passions. Il faut un certain entraînementpsychique, un détachement anticipé <strong>de</strong>s liens matériels pour subir sans déchirement l'opérationcrématoire. C'est le cas pour <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s Orientaux, chez qui <strong>la</strong> crémation est en usage.Dans nos pays d'Occi<strong>de</strong>nt, où l'homme psychique est peu développé peu préparé à <strong>la</strong> mort,l'inhumation doit être préférée, car elle procure aux individus attachés à <strong>la</strong> matière, undégagement lent <strong>et</strong> gradué <strong>de</strong> l'esprit hors du corps. Elle <strong>de</strong>vrait cependant être entourée <strong>de</strong>gran<strong>de</strong>s précautions. <strong>Le</strong>s inhumations sont, chez nous, beaucoup trop précipitées ; ellesentraînent parfois <strong>de</strong>s erreurs déplorables, par exemple l'ensevelissement <strong>de</strong> personnes en état<strong>de</strong> léthargie.2 Voir Al<strong>la</strong>n Kar<strong>de</strong>c, le Ciel <strong>et</strong> l'Enfer.


LA MORT 103vers l'autre ; mais en tous lieux, <strong>de</strong>s amis, <strong>de</strong>s protecteurs, <strong>de</strong>s soutiensnous atten<strong>de</strong>nt. Tandis qu'ici-bas nous pleurons le départ d'un <strong>de</strong>s nôtres,comme s'il al<strong>la</strong>it se perdre dans le néant, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>s êtreséthérés glorifient son arrivée dans <strong>la</strong> lumière, <strong>de</strong> <strong>la</strong> même façon que nousnous réjouissons à l'arrivée d'un p<strong>et</strong>it enfant, dont l'âme vient éclore <strong>de</strong>nouveau à <strong>la</strong> vie terrestre. <strong>Le</strong>s morts sont les vivants du ciel.** *Beaucoup <strong>de</strong> personnes redoutent <strong>la</strong> mort à cause <strong>de</strong>s souffrancesphysiques qui l'accompagnent. On souffre, il est vrai, dans <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die quiaboutit à <strong>la</strong> mort, mais on souffre aussi dans les ma<strong>la</strong>dies dont on guérit.L'instant <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, nous disent les Esprits, est presque toujours sansdouleur. On meurt comme on s'endort. C<strong>et</strong>te opinion est confirmée partous ceux que leur profession <strong>et</strong> leur <strong>de</strong>voir appellent fréquemment auchev<strong>et</strong> <strong>de</strong>s mourants.Cependant, à considérer le calme, <strong>la</strong> sérénité <strong>de</strong> certains ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s auxheures ultimes <strong>et</strong> l'agitation convulsive, l'agonie <strong>de</strong>s autres, on doitreconnaître que les sensations précédant <strong>la</strong> mort sont très diversessuivant les individus. <strong>Le</strong>s souffrances sont d'autant plus vives que lesliens unissant l'âme au corps sont plus nombreux <strong>et</strong> plus puissants. Toutce qui peut les amoindrir, les affaiblir, rendra le dégagement plus rapi<strong>de</strong>,<strong>la</strong> transition moins douloureuse.Si <strong>la</strong> mort est souvent exempte <strong>de</strong> souffrance pour celui dont <strong>la</strong> vie futnoble <strong>et</strong> belle, il n'en est pas <strong>de</strong> même pour les sensuels, les violents, lescoupables, les suicidés.Aussitôt le passage franchi, une sorte <strong>de</strong> trouble, d'engourdissementenvahit <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s âmes qui n'ont pas su se préparer au départ. Dansc<strong>et</strong> état, leurs facultés sont voilées ; elles ne perçoivent plus qu'à traversun brouil<strong>la</strong>rd plus ou moins <strong>de</strong>nse. La durée <strong>de</strong> ce trouble varie suivantleur nature <strong>et</strong> leur valeur morale. Il peut être très prolongé pour les plusarriérées <strong>et</strong> même embrasser <strong>de</strong>s années entières. Puis, peu à peu, <strong>la</strong>brume s'éc<strong>la</strong>ircit ; les perceptions <strong>de</strong>viennent plus n<strong>et</strong>tes. L'espritrecouvre sa lucidité ; il s'éveille à sa vie nouvelle, <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'espace.Instant solennel pour lui, plus décisif, plus redoutable que l'heure <strong>de</strong> <strong>la</strong>mort, car, suivant sa valeur <strong>et</strong> son <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> pur<strong>et</strong>é, ce réveil sera calme <strong>et</strong>délicieux, plein d'anxiété ou <strong>de</strong> souffrance.


104 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEDans l'état <strong>de</strong> trouble, l'âme est consciente <strong>de</strong>s pensées dirigées verselle. <strong>Le</strong>s pensées d'amour, <strong>de</strong> charité, les vibrations <strong>de</strong>s coeursaffectueux brillent pour elle comme <strong>de</strong>s rayons dans <strong>la</strong> brume quil'enveloppe ; elles l'ai<strong>de</strong>nt à se dégager <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers liens quil'enchaînent à <strong>la</strong> terre, à sortir <strong>de</strong> l'ombre où elle est plongée. C'estpourquoi les prières inspirées par le coeur, dites avec chaleur <strong>et</strong>conviction, les prières improvisées <strong>sur</strong>tout, sont salutaires, bienfaisantespour l'esprit qui a quitté <strong>la</strong> vie corporelle. Par contre, les oraisonsvagues, puériles, <strong>de</strong>s Eglises, restent souvent sans eff<strong>et</strong>. Prononcéesmachinalement, elles n'acquièrent pas c<strong>et</strong>te puissance vibratoire qui fait<strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée à <strong>la</strong> fois une force pénétrante <strong>et</strong> une lumière.<strong>Le</strong> cérémonial religieux en usage apporte généralement peu d'ai<strong>de</strong> <strong>et</strong><strong>de</strong> réconfort aux défunts. L'ignorance <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>sur</strong>vivancerend ceux qui participent à ces manifestations indifférents <strong>et</strong> distraits.C'est presque un scandale <strong>de</strong> voir avec quel <strong>la</strong>isser-aller on prend part, ànotre époque, à une cérémonie mortuaire. L'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s assistants, lemanque <strong>de</strong> recueillement, les conversations banales échangées pendant<strong>la</strong> conduite au cim<strong>et</strong>ière, tout impressionne péniblement. Bien peu, parmiceux qui suivent le convoi, songent au défunt <strong>et</strong> considèrent comme un<strong>de</strong>voir <strong>de</strong> proj<strong>et</strong>er vers lui une pensée affectueuse.<strong>Le</strong>s prières ferventes <strong>de</strong> ses amis, <strong>de</strong> ses proches sont bien plusefficaces pour l'esprit du mort que les manifestations du culte le pluspompeux. Toutefois, il n'est pas bon <strong>de</strong> nous comp<strong>la</strong>ire outre me<strong>sur</strong>edans <strong>la</strong> douleur <strong>de</strong> <strong>la</strong> séparation. Certes, les regr<strong>et</strong>s du départ sontlégitimes <strong>et</strong> les <strong>la</strong>rmes sincères sont sacrées ; mais, trop violents, cesregr<strong>et</strong>s attristent <strong>et</strong> découragent celui qui en est l'obj<strong>et</strong> <strong>et</strong>, souvent, l<strong>et</strong>émoin. Au lieu <strong>de</strong> faciliter son essor vers l'espace, ils le r<strong>et</strong>iennent auxlieux où il a souffert <strong>et</strong> où souffrent encore ceux qui lui sont chers.On se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> parfois ce qu'il faut penser <strong>de</strong>s morts précoces, <strong>de</strong>smorts acci<strong>de</strong>ntelles, <strong>de</strong>s catastrophes qui détruisent d'un seul coup <strong>de</strong>nombreuses existences humaines. Comment concilier ces faits avecl'idée <strong>de</strong> p<strong>la</strong>n, <strong>de</strong> prévoyance, d'harmonie universelle ? Et si l'on quittevolontairement <strong>la</strong> vie, par un acte <strong>de</strong> désespoir, qu'advient-il ? Quel estle sort <strong>de</strong>s suicidés ?<strong>Le</strong>s existences brisées prématurément sont arrivées à leur terme prévu.Ce sont, en général, <strong>de</strong>s compléments d'existences antérieures qui ont ététronquées à <strong>la</strong> suite d'abus ou d'excès. Lorsque, du fait d'habitu<strong>de</strong>s


LA MORT 105déréglées, on a épuisé les ressources vitales avant l'heure marquée par <strong>la</strong>nature, on doit revenir parfaire, en une existence plus courte, le <strong>la</strong>ps <strong>de</strong>temps que l'existence précé<strong>de</strong>nte aurait dû normalement embrasser. I<strong>la</strong>rrive que les êtres humains passibles <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te réparation sont assemblés<strong>sur</strong> un point par <strong>la</strong> force du <strong>de</strong>stin, pour subir, dans une mort tragique,les conséquences d'actes se rattachant au passé pré-natal. De là, les mortscollectives, les catastrophes qui j<strong>et</strong>tent dans le mon<strong>de</strong> un avertissement.Ceux qui partent ainsi ont achevé le temps pendant lequel ils <strong>de</strong>vaientvivre <strong>et</strong> vont se préparer à d'autres existences meilleures.Quant aux suicidés, le trouble où ils se trouvent plongés après <strong>la</strong> mortest profond, pénible, douloureux. L'angoisse les étreint <strong>et</strong> les suit jusquedans leur réincarnation ultérieure. <strong>Le</strong>ur geste criminel a causé au corpsfluidique un ébranlement violent <strong>et</strong> prolongé, qui se transm<strong>et</strong>tra àl'organisme charnel à <strong>la</strong> renaissance. La plupart reviennent infirmes <strong>sur</strong><strong>la</strong> terre. La vie étant dans toute sa force chez le suicidé, l'acte brutal qui<strong>la</strong> brise produira <strong>de</strong> longues répercussions dans son état vibratoire <strong>et</strong>déterminera <strong>de</strong>s affections nerveuses dans ses vies terrestres à venir.<strong>Le</strong> suicidé cherche le néant <strong>et</strong> l'oubli <strong>de</strong> toutes choses. Il se r<strong>et</strong>rouve,au contraire, en face <strong>de</strong> sa conscience, dans <strong>la</strong>quelle reste gravé, àl'infini, le souvenir pitoyable <strong>de</strong> sa désertion dans le combat <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Iln'est pas, <strong>sur</strong> terre, d'épreuve si dure, <strong>de</strong> souffrance si cruelle qui ne soitpréférable à ce perpétuel reproche <strong>de</strong> l'âme, à <strong>la</strong> honte <strong>de</strong> ne pouvoir pluss'estimer soi-même. La <strong>de</strong>struction violente <strong>de</strong> ressources physiques quipouvaient lui être utiles encore <strong>et</strong> même fécon<strong>de</strong>s ne délivre pas lesuicidé <strong>de</strong>s épreuves qu'il a voulu fuir, car il lui faudra renouer <strong>la</strong> chaînebrisée <strong>de</strong> ses existences <strong>et</strong> r<strong>et</strong>rouver avec elle <strong>la</strong> série inévitable,aggravée <strong>de</strong>s actes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s conséquences par lui-même engendrés.<strong>Le</strong>s motifs <strong>de</strong> suici<strong>de</strong> sont d'ordre passager <strong>et</strong> humain ; les raisons <strong>de</strong>vivre sont d'ordre éternel <strong>et</strong> <strong>sur</strong>humain. La vie, résultat <strong>de</strong> tout un passé,instrument du <strong>de</strong>venir, est, pour chacun <strong>de</strong> nous, ce qu'elle doit être,dans <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce infaillible du <strong>de</strong>stin. Acceptons-en avec courage lesvicissitu<strong>de</strong>s, qui sont autant <strong>de</strong> remè<strong>de</strong>s à nos imperfections, <strong>et</strong> sachonsattendre avec patience l'heure fixée par <strong>la</strong> loi équitable comme terme <strong>de</strong>notre étape terrestre.** *


106 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEELa connaissance que nous avons pu acquérir <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> <strong>la</strong> viefuture exerce une gran<strong>de</strong> influence <strong>sur</strong> nos <strong>de</strong>rniers moments. Elle nousdonne plus d'as<strong>sur</strong>ance ; elle rend plus prompt le dégagement <strong>de</strong> l'âme.Pour se préparer utilement à <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là, il faut, non seulementêtre convaincu <strong>de</strong> sa réalité, mais aussi en comprendre les lois, voir par<strong>la</strong> pensée les avantages <strong>et</strong> les conséquences <strong>de</strong> nos efforts vers l'idéalmoral. Nos étu<strong>de</strong>s psychiques, les rapports établis durant <strong>la</strong> vie avec lemon<strong>de</strong> invisible, nos aspirations vers <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s d'existence plus élevésont développé nos facultés <strong>la</strong>tentes <strong>et</strong>, quand vient l'heure définitive, ledétachement corporel étant déjà effectué en partie, le trouble est <strong>de</strong> peu<strong>de</strong> durée. L'esprit se reconnaît presque aussitôt ; tout ce qu'il voit lui estfamilier ; il s'adapte sans effort <strong>et</strong> sans émoi aux conditions <strong>de</strong> sonnouveau milieu.Aux approches <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière heure, les mourants entrent souvent enpossession <strong>de</strong> leurs sens psychiques <strong>et</strong> perçoivent les êtres <strong>et</strong> les choses<strong>de</strong> l'invisible. <strong>Le</strong>s exemples sont nombreux. En voici quelques-uns,empruntés à l'enquête faite par M. E. Bozzano, dont les résultats ont étépubliés par les Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques <strong>de</strong> mars 1906 :I° CAS. - Dans <strong>la</strong> vie du Rév. Dwight L. Moody (ar<strong>de</strong>nt propagandisteévangéliste aux Etats-Unis), écrite par son fils (page 485), on trouve le récitsuivant <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>rniers moments :«On l'entendit soudain murmurer : «La terre s'éloigne, le ciel s'ouvre <strong>de</strong>vantmoi ; j'en ai dépassé les limites. Ne me rappelez pas ; tout ce<strong>la</strong> est beau ; on diraitune vision d'extase. Si c'est ce<strong>la</strong> <strong>la</strong> mort, qu'elle est douce !...» Son visage seraviva <strong>et</strong>, avec une expression <strong>de</strong> joyeux ravissement : «Dwight ! Irène ! Je vois"les enfants !"» (il faisait allusion à <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses p<strong>et</strong>its-fils, qui étaient morts.)Ensuite, se tournant vers sa femme, il lui dit : «Tu as toujours été une bonnecompagne pour moi.» Apres ces mots, il perdit connaissance.»II° CAS. - M. Alfred Smedley, aux pages 50 <strong>et</strong> 51 <strong>de</strong> son ouvrage SomeReminiscences, raconte comme il suit les <strong>de</strong>rniers moments <strong>de</strong> sa femme :«Quelques instants avant sa mort, ses yeux se fixèrent <strong>sur</strong> quelque chose quisemb<strong>la</strong> les remplir d'une <strong>sur</strong>prise vive <strong>et</strong> agréable ; alors, elle dit : «Comment !voici ma soeur Charlotte, voici ma mère, mon père, mon frère Jean, ma soeurMarie ! Maintenant ils m'amènent aussi Bessy Heap ! ils sont tous ici ; oh ! quec'est beau ! que c'est beau ! Ne les vois-tu pas ? - Non, ma chère, répondis-je, <strong>et</strong> jele regr<strong>et</strong>te bien. - Tu ne peux donc pas les voir ? répéta <strong>la</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> avec <strong>sur</strong>prise. Ilssont pourtant tous ici ; ils sont venus pour m'emmener avec eux. Une partie <strong>de</strong>notre famille a déjà traversé <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> mer, <strong>et</strong> bientôt nous nous trouverons tous


LA MORT 107réunis dans le nouveau séjour céleste.» - J'ajouterai ici que Bessy Heap avait étéune servante très fidèle, très attachée à notre famille <strong>et</strong> qu'elle avait toujours euune affection particulière pour ma femme.Après c<strong>et</strong>te vision extatique, <strong>la</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> resta quelque temps comme épuisée ;enfin, tournant fixement le regard vers le ciel <strong>et</strong> soulevant le bras, elle expirait.»III° CAS. - <strong>Le</strong> docteur Paul Edwards écrivait, en avril 1903, au directeur duLight, <strong>de</strong> Londres :«Vers 1887, alors que j'habitais dans une ville <strong>de</strong> <strong>la</strong> Californie, je fus appelé auchev<strong>et</strong> d'une amie à <strong>la</strong>quelle j'étais fort attaché <strong>et</strong> qui se trouvait à toute extrémité,par suite d'une ma<strong>la</strong>die <strong>de</strong> poitrine. Tout le mon<strong>de</strong> savait que c<strong>et</strong>te femme pure <strong>et</strong>noble, c<strong>et</strong>te mère exemp<strong>la</strong>ire, était vouée à une mort imminente : elle finit par s'enrendre compte aussi <strong>et</strong> voulut alors s'apprêter au grand moment. Ayant fait venirses enfants auprès <strong>de</strong> son lit, elle les embrassait tour à tour, après quoi elle lesrenvoyait. Son mari s'approcha en <strong>de</strong>rnier lieu, afin <strong>de</strong> lui donner <strong>et</strong> d'en recevoirle suprême adieu. Il <strong>la</strong> trouva en pleine possession <strong>de</strong> ses facultés intellectuelles.Elle commença par dire : «Newton (c'est le nom du mari)... ne pleure pas, car je nesouffre point, <strong>et</strong> j'ai l'âme prête <strong>et</strong> sereine. Je t'ai aimé <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre ; je t'aimeraiencore après mon départ. Je me propose <strong>de</strong> venir à toi, si ce<strong>la</strong> m'est possible ; oubien je veillerai du ciel <strong>sur</strong> toi, <strong>sur</strong> mes enfants, en attendant votre venue.Maintenant, mon plus vif désir est <strong>de</strong> m'en aller... J'aperçois plusieurs ombres quis'agitent autour <strong>de</strong> nous... toutes vêtues <strong>de</strong> b<strong>la</strong>nc..... J'entends une mélodiedélicieuse... Oh, voici, ma Sadie ! Elle est près <strong>de</strong> moi.» (Sadie était une p<strong>et</strong>iteenfant qu'elle avait perdue dix ans auparavant). «Sissy, lui dit le mari, ma Sissy, nevois-tu pas que tu rêves ? - Ah ! mon cher, répondit <strong>la</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, pourquoi m'as-turappelée ? A présent j'aurai plus <strong>de</strong> peine à m'en aller. Je me sentais si heureusedans l'Au-<strong>de</strong>là ; c'était si beau !» Après trois minutes environ, <strong>la</strong> mourante ajouta :«Je m'en vais <strong>de</strong> nouveau, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te fois je ne reviendrai pas, quand même tum'appellerais.»C<strong>et</strong>te scène eut <strong>la</strong> durée <strong>de</strong> huit minutes. On voyait bien que <strong>la</strong> mourantejouissait <strong>de</strong> <strong>la</strong> vision complète <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s en même temps, car elle par<strong>la</strong>it<strong>de</strong>s figures qui se mouvaient autour d'elle, dans l'Au-<strong>de</strong>là, <strong>et</strong>, en même temps, elleadressait <strong>la</strong> parole aux mortels en ce mon<strong>de</strong>... Jamais il ne m'est arrivé d'assister àun trépas plus impressionnant, plus solennel.»<strong>Le</strong>s Annales re<strong>la</strong>tent encore un grand nombre <strong>de</strong> cas ou le ma<strong>la</strong><strong>de</strong>perçoit <strong>de</strong>s apparitions <strong>de</strong> défunts dont il ignorait le décès. Cinq cassensationnels sont empruntés aux Proceedings of the S. P. R., <strong>de</strong>Londres ; ces cas s'appuient <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s témoignages <strong>de</strong> haute valeur.


108 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEM. E. Bozzano, en terminant son exposé, se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si cesphénomènes pourraient être expliqués par <strong>la</strong> subconscience ou <strong>la</strong> lecture<strong>de</strong>s pensées. Il conclut par <strong>la</strong> négative <strong>et</strong> s'exprime ainsi 3 :«Ces hypothèses ne se recomman<strong>de</strong>nt guère par <strong>la</strong> simplicité <strong>et</strong> n'ont pas le don<strong>de</strong> convaincre facilement un investigateur impartial. Il est c<strong>la</strong>ir que, par <strong>de</strong>pareilles théories si embrouillées <strong>et</strong> bien plus ingénieuses que sérieuses, ondépasse les frontières <strong>de</strong> l'induction scientifique, pour entrer à voiles déployéesdans le domaine illimité du fantastique.»Voici encore <strong>de</strong>ux autres faits, publiés par les Annales <strong>de</strong>s Sciencespsychiques <strong>de</strong> mai 1911. Ils présentent certains traits d'analogie avec lesprécé<strong>de</strong>nts, mais en outre, s'enrichissent <strong>de</strong> détails qui nous apprennentcomment s'opère au décès <strong>la</strong> séparation du corps fluidique <strong>et</strong> du corpsmatériel.Mrs Florence Marryat écrit ce qui suit dans The Spirit World (leMon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Esprits, 128) :«Je compte parmi mes plus chères amies une jeune dame appartenant aux hautesc<strong>la</strong>sses <strong>de</strong> l'aristocratie, qui est douée <strong>de</strong> facultés médiumniques merveilleuses. Il ya quelques années, elle eut le malheur <strong>de</strong> perdre sa soeur aînée, alors âgée <strong>de</strong> vingtans, emportée par une forte pleurésie. Edith (je désignerai par ce nom <strong>la</strong> jeunemédium) ne voulut pas se détacher un instant du chev<strong>et</strong> <strong>de</strong> sa soeur, <strong>et</strong> là, passéeen état <strong>de</strong> c<strong>la</strong>irvoyance, elle put assister au processus <strong>de</strong> séparation <strong>de</strong> l'esprit <strong>et</strong> ducorps. Elle commença d'abord à percevoir une sorte <strong>de</strong> nébulosité légère,semb<strong>la</strong>ble à une fumée qui, se con<strong>de</strong>nsant graduellement au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa tête,avait fini par assumer les proportions, les formes <strong>et</strong> les traits <strong>de</strong> sa soeur mourante,<strong>de</strong> façon à lui ressembler dans chaque détail. C<strong>et</strong>te forme flottait dans l'air, àquelques pieds <strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong>.A me<strong>sur</strong>e que le jour déclinait, l'agitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> se calmait, précurseur <strong>de</strong>l'agonie. Edith contemp<strong>la</strong>it avi<strong>de</strong>ment sa soeur : le visage <strong>de</strong>venait livi<strong>de</strong>, le regards'obscurcissait, mais en haut, <strong>la</strong> forme fluidique s'empourprait <strong>et</strong> semb<strong>la</strong>it s'animergraduellement <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie qui abandonnait le corps. Un moment après, <strong>la</strong> mourantegisait inerte <strong>et</strong> sans connaissance <strong>sur</strong> les oreillers, mais <strong>la</strong> forme était <strong>de</strong>venue unesprit vivant. Cependant <strong>de</strong>s cordons <strong>de</strong> lumière, semb<strong>la</strong>bles à <strong>de</strong>s fluorescencesélectriques, le rattachaient encore au coeur, au cerveau <strong>et</strong> aux autres organesvitaux. <strong>Le</strong> moment suprême arrivé, l'esprit oscil<strong>la</strong> quelque temps d'un côté àl'autre, pour venir ensuite se p<strong>la</strong>cer à côté du corps inanimé. Il était en apparenc<strong>et</strong>rès faible <strong>et</strong> à peine capable <strong>de</strong> se soutenir.Et tandis qu'Edith contemp<strong>la</strong>it c<strong>et</strong>te scène, voici que se présentèrent <strong>de</strong>uxformes lumineuses dans lesquelles elle reconnut son propre père <strong>et</strong> sa grand-mère,décédés tous <strong>de</strong>ux dans c<strong>et</strong>te même maison. Elles s'approchèrent <strong>de</strong> l'esprit3 Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques, mars 1906, page 171.


LA MORT 109nouveau-né, le soutinrent affectueusement <strong>et</strong> l'étreignirent. Puis elles arrachèrent<strong>de</strong>s cordons <strong>de</strong> lumière qui le liaient encore au corps, <strong>et</strong>, le serrant toujours dansleurs bras, se dirigèrent vers <strong>la</strong> fenêtre, s'élevèrent <strong>et</strong> disparurent.W. Stainton Moses, professeur à l'Université d'Oxford <strong>et</strong> pasteur <strong>de</strong>l'Eglise anglicane, publiait dans le Light :«J'eus récemment, <strong>et</strong> pour <strong>la</strong> première fois <strong>de</strong> ma vie, l'occasion d'étudier lesprocédés <strong>de</strong> transition <strong>de</strong> l'esprit. J'appris tant <strong>de</strong> choses <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te expérience, que jeme f<strong>la</strong>tte d'être utile à d'autres en racontant ce que j'ai vu... Il s'agissait d'un parentà moi, âgé <strong>de</strong> presque quatre-vingts ans... Je m'étais aperçu par certainssymptômes que sa fin était proche, <strong>et</strong> j'étais accouru pour accomplir mon triste <strong>et</strong><strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>voir...Grâce à mes sens médianimiques je pouvais discerner qu'autour <strong>de</strong> son corps <strong>et</strong>au-<strong>de</strong>ssus se massait l'aura nébuleuse avec <strong>la</strong>quelle l'esprit <strong>de</strong>vait se former uncorps spirituel ; <strong>et</strong> je percevais qu'elle augmentait à me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong> volume <strong>et</strong> <strong>de</strong><strong>de</strong>nsité, quoique soumise à <strong>de</strong>s variations continues en plus ou en moins, selon lesoscil<strong>la</strong>tions subies dans <strong>la</strong> vitalité du mourant. Je pus ainsi remarquer que parfoisun léger aliment pris par le ma<strong>la</strong><strong>de</strong> ou une influence magnétique dégagée par unepersonne s'approchant <strong>de</strong> lui avait pour résultat d'aviver momentanément le corps.C<strong>et</strong>te aura semb<strong>la</strong>it donc continuellement en flux <strong>et</strong> en reflux.J'assistai à ce spectacle pendant douze jours <strong>et</strong> douze nuits, <strong>et</strong> bien que leseptième jour déjà le corps eût donné <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> son imminente dissolution,c<strong>et</strong>te fluctuation <strong>de</strong> <strong>la</strong> vitalité spirituelle en voie d'extériorisation persistait. Parcontre, <strong>la</strong> coloration <strong>de</strong> l'aura avait changé ; c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière prenait en outre <strong>de</strong>sformes <strong>de</strong> plus en plus définies à me<strong>sur</strong>e que l'heure <strong>de</strong> <strong>la</strong> libération s'approchaitpour l'esprit. Vingt-quatre heures seulement avant <strong>la</strong> mort, lorsque le corps gisaitinerte, le processus <strong>de</strong> libération progressa. Au moment suprême, je vis apparaître<strong>de</strong>s formes d' «esprits gardiens» qui s'approchèrent du mourant, <strong>et</strong>, sans aucuneffort, séparèrent l'esprit <strong>de</strong> ce corps épuisé.Lorsque les cordons magnétiques se brisèrent enfin, les traits du défunt, <strong>sur</strong>lesquels on lisait les souffrances subies, se rassérénèrent complètement <strong>et</strong>s'imprégnèrent d'une ineffable expression <strong>de</strong> paix <strong>et</strong> <strong>de</strong> repos.»Enfin citons <strong>de</strong>ux témoignages français : <strong>Le</strong> docteur Haas, prési<strong>de</strong>nt<strong>de</strong> <strong>la</strong> Société <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s psychiques <strong>de</strong> Nancy écrivait dans le Bull<strong>et</strong>in<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te société, 1906, page 56 : «Un fait à signaler <strong>et</strong> dont j'ai été l<strong>et</strong>émoin, c'est que souvent, peu d'instants avant <strong>de</strong> mourir, <strong>de</strong>s aliénésr<strong>et</strong>rouvent leur complète lucidité.» <strong>Le</strong> docteur Teste, dans le Manuelpratique du magnétisme animal, déc<strong>la</strong>re également avoir rencontré <strong>de</strong>sfous qui cessaient <strong>de</strong> l'être à l'agonie, c'est-à-dire quand <strong>la</strong> consciencepasse au corps fluidique.** *


110 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEEn résumé, le meilleur moyen <strong>de</strong> s'as<strong>sur</strong>er une mort douce <strong>et</strong> paisible,c'est <strong>de</strong> vivre dignement, simplement, sobrement, d'une vie sans tares <strong>et</strong>sans faiblesses ; en nous détachant par anticipation <strong>de</strong> tout ce qui nouslie à <strong>la</strong> matière ; en idéalisant notre existence, en <strong>la</strong> peup<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> hautespensées <strong>et</strong> <strong>de</strong> nobles actions.Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s conditions bonnes ou mauvaises <strong>de</strong> <strong>la</strong> vied'outre-tombe. Elles aussi dépen<strong>de</strong>nt uniquement <strong>de</strong> <strong>la</strong> façon dont nousdéveloppons nos tendances, nos appétits, nos désirs. C'est dans leprésent qu'il faut se préparer, agir, se réformer, <strong>et</strong> non pas au moment où<strong>la</strong> fin terrestre s'approche. Il serait puéril <strong>de</strong> croire que notre situationfuture dépend <strong>de</strong> certaines formalités plus ou moins bien remplies àl'heure du départ. C'est notre vie entière qui répond <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie à venir.L'une <strong>et</strong> l'autre se relient étroitement ; elles forment une suite <strong>de</strong> causes<strong>et</strong> d'eff<strong>et</strong>s que <strong>la</strong> mort n'interrompt pas.Il n'importe pas moins <strong>de</strong> dissiper les chimères dont certains cerveauxsont hantés, au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong>s lieux réservés aux âmes après <strong>la</strong> mort <strong>et</strong> où <strong>de</strong>sêtres hi<strong>de</strong>ux doivent les conduire pour les tourmenter. Celui qui a prissoin <strong>de</strong> notre naissance, nous p<strong>la</strong>çant en venant au mon<strong>de</strong> dans <strong>de</strong>s brasaimants, tendus pour nous recevoir, nous réserve aussi <strong>de</strong>s affections ànotre arrivée dans l'Au-<strong>de</strong>là. Chassons loin <strong>de</strong> nous les vaines terreurs,les visions infernales, les béatitu<strong>de</strong>s illusoires. L'avenir comme leprésent, c'est l'activité, le travail ; c'est <strong>la</strong> conquête <strong>de</strong> nouveaux gra<strong>de</strong>s.Ayons confiance en <strong>la</strong> bonté <strong>de</strong> Dieu, en son amour pour ses créatures <strong>et</strong>avançons d'un coeur ferme vers le but qu'il a fixé à toute vie.Nous n'avons pas d'autre juge, pas d'autre bourreau au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>la</strong>tombe que notre propre conscience. Dégagée <strong>de</strong>s entraves terrestres, elleacquiert un <strong>de</strong>gré d'acuité difficile à comprendre pour nous. Tropsouvent assoupie durant <strong>la</strong> vie, elle se réveille à <strong>la</strong> mort <strong>et</strong> sa voixs'élève. Elle évoque les souvenirs du passé ; dépouillés <strong>de</strong> toute illusion,ils lui apparaissent sous leur véritable jour, <strong>et</strong> nos moindres fautes<strong>de</strong>viennent une cause <strong>de</strong> regr<strong>et</strong>s.Ainsi que l'a dit Myers : «Il n'est pas besoin <strong>de</strong> purification par le feu ;<strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> soi-même est <strong>la</strong> seule punition <strong>et</strong> <strong>la</strong> seule récompense<strong>de</strong> l'homme.» L'harmonie est partout, dans <strong>la</strong> marche solennelle <strong>de</strong>smon<strong>de</strong>s comme dans celle <strong>de</strong>s <strong>de</strong>stinées. Chacun est c<strong>la</strong>ssé suivant sesaptitu<strong>de</strong>s dans l'ordre universel. Aux grands Esprits les hautes tâches, lescréations du génie ; aux âmes faibles les oeuvres médiocres, les missions


LA MORT 111inférieures. Par tout l'essor <strong>de</strong> nos vies, nous allons vers le rôle qui nousconvient <strong>et</strong> nous échoit légitimement.Faisons-nous donc <strong>de</strong>s âmes puissantes, riches <strong>de</strong> science <strong>et</strong> <strong>de</strong> vertu,aptes aux oeuvres grandioses, <strong>et</strong> elles se créeront d'elles-mêmes unenoble p<strong>la</strong>ce dans l'ordre éternel. Par <strong>la</strong> haute culture morale, par <strong>la</strong>conquête <strong>de</strong> l'énergie, <strong>de</strong> <strong>la</strong> dignité, <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonté, efforçons-nousd'atteindre au niveau <strong>de</strong>s grands Esprits qui travaillent pour <strong>la</strong> cause <strong>de</strong>shumanités, <strong>et</strong> plus tard nous goûterons avec eux les joies réservées auvrai mérite. Alors, <strong>la</strong> mort, au lieu d'être un épouvantail, <strong>de</strong>viendra, à nosyeux, un bienfait, <strong>et</strong> nous pourrons répéter le mot célèbre <strong>de</strong> Socrate :«Ah ! s'il en est ainsi, <strong>la</strong>issez-moi mourir encore <strong>et</strong> encore !»XI. - LA VIE DANS L'AU-DELA.L'être humain, avons-nous dit, appartient dès c<strong>et</strong>te vie à <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s.Par son corps physique, il est relié au mon<strong>de</strong> visible ; par son corpsfluidique, à l'invisible. <strong>Le</strong> sommeil est <strong>la</strong> séparation temporaire <strong>de</strong> ces<strong>de</strong>ux enveloppes ; <strong>la</strong> mort en est <strong>la</strong> séparation définitive. Dans les <strong>de</strong>uxcas, l'âme se détache du corps physique <strong>et</strong>, avec elle, <strong>la</strong> vie se concentredans le corps fluidique. La vie d'outre-tombe n'est donc que <strong>la</strong>persistance <strong>et</strong> <strong>la</strong> libération <strong>de</strong> <strong>la</strong> partie invisible <strong>de</strong> notre être.L'antiquité a connu ce mystère 1 , mais, <strong>de</strong>puis longtemps, les hommesne possédaient plus <strong>sur</strong> les conditions <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie future que <strong>de</strong>s notionsd'un caractère vague <strong>et</strong> hypothétique. <strong>Le</strong>s religions <strong>et</strong> les philosophiesnous transm<strong>et</strong>tent <strong>sur</strong> ces problèmes <strong>de</strong>s données fort incertaines,absolument dépourvues <strong>de</strong> contrôle, <strong>de</strong> sanction <strong>et</strong>, <strong>sur</strong> presque tous lespoints, en désaccord compl<strong>et</strong> avec les idées mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> continuité <strong>et</strong>d'évolution.La science, <strong>de</strong> son côté, n'a étudié <strong>et</strong> connu jusqu'ici dans l'homm<strong>et</strong>errestre que <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face, <strong>la</strong> partie physique. Or, celle-ci est à l'être entier àpeu près ce que l'écorce est à l'arbre. Quant à l'homme fluidique, éthéré,dont notre cerveau physique ne peut avoir conscience, elle l'aentièrement ignoré jusqu'à nos jours. De là, son impuissance à résoudrele problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>sur</strong>vivance, puisque c'est l'être fluidique seul qui<strong>sur</strong>vit. La science n'a rien compris aux manifestations psychiques qui se1 Voir Après <strong>la</strong> Mort, première partie, passim.


112 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEproduisent dans le sommeil, le dégagement, l'extériorisation, l'extase, àtoutes les échappées <strong>de</strong> l'âme vers <strong>la</strong> vie supérieure. Or, c'est uniquementpar l'observation <strong>de</strong> ces faits que nous parviendrons à acquérir, dès c<strong>et</strong>tevie, une connaissance positive <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature du moi <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses conditionsd'existence dans l'Au-<strong>de</strong>là.L'expérimentation, seule, pouvait résoudre <strong>la</strong> question. Il s'agissaitd'étudier dans l'homme actuel ce qui peut nous éc<strong>la</strong>irer <strong>sur</strong> l'homme àvenir. Il n'y a pas d'autre issue pour <strong>la</strong> pensée humaine, que l'insuffisance<strong>de</strong>s religions <strong>et</strong> <strong>de</strong>s philosophies a acculée au matérialisme. <strong>Le</strong> salutsocial est à ce prix, car le matérialisme, fatalement, nous conduirait àl'anarchie.C'est seulement <strong>de</strong>puis l'apparition du spiritualisme expérimental quele problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>sur</strong>vivance est entré dans le domaine <strong>de</strong> l'observationscientifique <strong>et</strong> rigoureuse. <strong>Le</strong> mon<strong>de</strong> invisible a pu être étudié à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>procédés <strong>et</strong> <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s conformes à ceux que <strong>la</strong> science contemporainea adoptés pour les autres domaines <strong>de</strong> recherches. Ces métho<strong>de</strong>s, nousles avons exposées ailleurs 2 . Et déjà nous pouvons constater ceci : aulieu <strong>de</strong> creuser un vi<strong>de</strong>, d'établir une solution <strong>de</strong> continuité entre les <strong>de</strong>uxmo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vie, terrestre <strong>et</strong> céleste, visible <strong>et</strong> invisible, comme le faisaientles différentes doctrines religieuses, ces étu<strong>de</strong>s nous ont montré dans <strong>la</strong>vie <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là le prolongement naturel, <strong>la</strong> continuité <strong>de</strong> ce que nousobservons en nous.La persistance <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie consciente, avec tous les attributs qu'ellecomporte : mémoire, intelligence, facultés affectives, a été établie par lesnombreuses preuves d'i<strong>de</strong>ntité personnelle, recueillies au coursd'expériences <strong>et</strong> d'enquêtes dirigées par <strong>de</strong>s sociétés d'étu<strong>de</strong>s psychiquesen tous pays. <strong>Le</strong>s esprits <strong>de</strong>s défunts se sont manifestés par milliers, nonseulement avec tous les traits <strong>de</strong> caractère <strong>et</strong> l'ensemble <strong>de</strong>s souvenirsconstituant leur personnalité morale, mais aussi avec les traits physiques<strong>et</strong> les détails <strong>de</strong> leur forme terrestre, conservés par le périsprit ou corpséthéré. Celui-ci n'est autre, nous le savons, que le moule du corpsmatériel ; c'est pourquoi les traits <strong>et</strong> les formes humaines reparaissentdans les phénomènes <strong>de</strong> matérialisation.En outre, <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong>s conditions variées <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>làa été exposée par les Esprits eux-mêmes, à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong>communication dont ils disposent. <strong>Le</strong>urs indications, recueillies <strong>et</strong>2 Voir Dans l'Invisible, première partie.


LA VIE DANS L'AU-DELA 113consignées en <strong>de</strong>s volumes entiers <strong>de</strong> procès verbaux, servent <strong>de</strong> basesprécises à <strong>la</strong> conception que nous pouvons nous faire actuellement <strong>de</strong>slois <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie future.Cependant, à défaut <strong>de</strong>s manifestations <strong>de</strong>s défunts, les expériences<strong>sur</strong> le dédoublement <strong>de</strong>s vivants nous fourniraient déjà <strong>de</strong> précieuxrenseignements <strong>sur</strong> le mo<strong>de</strong> d'existence <strong>de</strong> l'âme dans le domaine <strong>de</strong>l'invisible.<strong>Le</strong> colonel <strong>de</strong> Rochas l'a démontré expérimentalement : dansl'anesthésie <strong>et</strong> le somnambulisme, <strong>la</strong> sensibilité <strong>et</strong> les perceptions ne sontpas supprimées, mais seulement extériorisées, transférées au-<strong>de</strong>hors 3 .Nous pouvons déjà en déduire logiquement que <strong>la</strong> mort est l'étatd'extériorisation totale <strong>et</strong> <strong>de</strong> libération du moi sensible <strong>et</strong> conscient.La naissance est comme une mort pour l'âme. Elle l'enferme avec soncorps éthéré dans le tombeau <strong>de</strong> <strong>la</strong> chair. Ce que nous appelons <strong>la</strong> mortest simplement le r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> l'âme à <strong>la</strong> liberté, enrichie <strong>de</strong>s acquisitionsqu'elle a pu faire au cours <strong>de</strong> sa vie terrestre. Mais nous avons vu que lesdifférents états du sommeil sont autant <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ours momentanés à <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>l'espace. Plus l'hypnose est profon<strong>de</strong>, plus l'âme s'émancipe <strong>et</strong> s'éloigne.<strong>Le</strong> sommeil le plus intense confine à <strong>la</strong> première phase <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieinvisible.En réalité, les mots sommeil <strong>et</strong> mort sont impropres. Quand nous nousendormons à <strong>la</strong> vie terrestre, nous nous réveillons à <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'esprit. <strong>Le</strong>même phénomène se produit à <strong>la</strong> mort ; il n'est différent que par sadurée.Carl du Prel cite <strong>de</strong>ux exemples significatifs :«Une somnambule fit un jour <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> son état : elle regr<strong>et</strong>tait <strong>de</strong> nepouvoir en conserver le souvenir après son réveil ; mais, ajoutait-elle «je reverraitout ce<strong>la</strong> après ma mort.» Elle considérait donc son état somnambulique commei<strong>de</strong>ntique avec l'état après <strong>la</strong> mort.» (Kerner, Magikon, 41.)«Deux Esprits visitent un jour <strong>la</strong> voyante <strong>de</strong> Prévorst. Elle n'aimait pas trop cesvisiteurs : «Pourquoi venez-vous chez moi, <strong>de</strong>manda-t-elle ?» A quoi les Espritsrépondirent très judicieusement : «Mais c'est toi qui es chez nous !» (Perty, I, 280.)Ces faits, auxquels on pourrait en ajouter une quantité du même ordre,le démontrent : notre mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> l'Au-<strong>de</strong>là ne sont pas séparés l'un <strong>de</strong>l'autre. Ils sont l'un dans l'autre ; ils s'en<strong>la</strong>cent en quelque sorte <strong>et</strong> seconfon<strong>de</strong>nt étroitement. <strong>Le</strong>s hommes <strong>et</strong> les Esprit se mêlent. Des3 Voir A. <strong>de</strong> Rochas, les Etats profonds <strong>de</strong> l'hypnose ; l'Extériorisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité ; lesFrontières <strong>de</strong> <strong>la</strong> science.


114 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEtémoins invisibles s'associent à notre vie, partagent nos joies <strong>et</strong> nosépreuves.** *La situation <strong>de</strong> l'esprit après <strong>la</strong> mort est <strong>la</strong> conséquence directe <strong>de</strong> sespenchants, soit vers <strong>la</strong> matière, soit vers les biens <strong>de</strong> l'intelligence <strong>et</strong> dusentiment. Si les penchants sensuels dominent, forcément l'êtres'immobilise <strong>sur</strong> les p<strong>la</strong>ns inférieurs, qui sont les plus <strong>de</strong>nses, les plusgrossiers. S'il est alimenté <strong>de</strong> pensées belles <strong>et</strong> pures, il s'élève vers <strong>de</strong>ssphères en rapport avec <strong>la</strong> nature même <strong>de</strong> ses pensées.Swe<strong>de</strong>nborg a dit avec raison : «<strong>Le</strong> ciel est là où l'homme a p<strong>la</strong>cé soncoeur.»Toutefois, le c<strong>la</strong>ssement n'est pas immédiat, ni <strong>la</strong> transition soudaine.Si l'oeil humain ne peut passer brusquement <strong>de</strong> l'obscurité à une vivelumière, il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> l'âme. La mort nous fait entrer dans un étattransitoire, sorte <strong>de</strong> prolongement <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie physique <strong>et</strong> prélu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> viespirituelle. C'est l'état <strong>de</strong> trouble, dont nous avons parlé, état plus oumoins prolongé, selon <strong>la</strong> nature épaisse ou éthérée du périsprit du défunt.Délivrée du far<strong>de</strong>au matériel qui l'opprimait, l'âme se trouve encoreenveloppée du réseau <strong>de</strong>s pensées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s images : sensations, passions,émotions, générées par elle au cours <strong>de</strong> ses vies terrestres. Elle <strong>de</strong>vra sefamiliariser avec sa situation nouvelle, prendre conscience <strong>de</strong> son état,avant d'être portée vers le milieu cosmique pour lequel elle est préparéepar son <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> lumière <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>nsité.D'abord, pour le plus grand nombre, tout est suj<strong>et</strong> d'étonnement dansc<strong>et</strong> Au-<strong>de</strong>là, où les choses diffèrent essentiellement du milieu terrestre.<strong>Le</strong>s lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> pesanteur sont moins rigi<strong>de</strong>s. <strong>Le</strong>s murailles ne sont plus<strong>de</strong>s obstacles. L'âme peut les traverser <strong>et</strong> s'élever dans les airs. Etcependant, certaines entraves, qu'elle ne peut définir, <strong>la</strong> r<strong>et</strong>iennentencore. Tout <strong>la</strong> remplit <strong>de</strong> crainte, d'hésitation ; mais ses amis <strong>de</strong> là-hautveillent <strong>sur</strong> elle <strong>et</strong> gui<strong>de</strong>nt ses premiers essors.<strong>Le</strong>s Esprits avancés se dégagent rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> toutes les influencesterrestres <strong>et</strong> reprennent conscience d'eux-mêmes. <strong>Le</strong> voile matériel sedéchire sous l'é<strong>la</strong>n <strong>de</strong> leurs pensées ; <strong>de</strong>s perspectives immensess'ouvrent. Ils comprennent presque aussitôt leur situation <strong>et</strong> s'y adaptentavec facilité. <strong>Le</strong>ur corps spirituel, c<strong>et</strong> instrument volitif, organisme <strong>de</strong>l'âme, dont elle ne se sépare jamais, qui est l'oeuvre <strong>de</strong> tout son passé,


LA VIE DANS L'AU-DELA 115car elle l'a construit <strong>et</strong> tissé elle-même par son activité, flotte quelqu<strong>et</strong>emps dans l'atmosphère. Puis, selon son état <strong>de</strong> subtilité, <strong>de</strong> puissance,répondant aux attractions lointaines, il se sent élevé naturellement vers<strong>de</strong>s associations simi<strong>la</strong>ires, vers <strong>de</strong>s groupements d'Esprits du mêmeordre, Esprits lumineux ou voilés, qui entourent l'arrivant avecsollicitu<strong>de</strong>, pour l'initier aux conditions <strong>de</strong> son nouveau mo<strong>de</strong>d'existence.<strong>Le</strong>s Esprits inférieurs conservent longtemps les impressions <strong>de</strong> <strong>la</strong> viematérielle. Ils croient vivre encore physiquement <strong>et</strong> poursuivent, parfoispendant <strong>de</strong>s années, le simu<strong>la</strong>cre <strong>de</strong> leurs occupations habituelles. Pourles matérialistes, le phénomène <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort reste incompréhensible. Faute<strong>de</strong> connaissances préa<strong>la</strong>bles, ils confon<strong>de</strong>nt le corps fluidique avec lecorps physique. <strong>Le</strong>s illusions <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie terrestre persistent en eux. Parleurs goûts <strong>et</strong> même par leurs besoins imaginaires, ils sont comme rivés à<strong>la</strong> terre. Puis, lentement, avec l'ai<strong>de</strong> d'Esprits bienfaisants, leurconscience s'éveille, leur intellect s'ouvre à <strong>la</strong> compréhension <strong>de</strong> cenouvel état <strong>de</strong> vie. Mais, dès qu'ils cherchent à s'élever, leur <strong>de</strong>nsité lesfait r<strong>et</strong>omber <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre. <strong>Le</strong>s attractions p<strong>la</strong>nétaires <strong>et</strong> les courantsfluidiques <strong>de</strong> l'espace les ramènent violemment vers nos régions, comme<strong>de</strong>s feuilles mortes ba<strong>la</strong>yées par <strong>la</strong> tempête.<strong>Le</strong>s croyants orthodoxes errent dans l'incertitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> recherchent <strong>la</strong>réalisation <strong>de</strong>s promesses du prêtre, <strong>la</strong> jouissance <strong>de</strong>s béatitu<strong>de</strong>spromises. Parfois leur <strong>sur</strong>prise est gran<strong>de</strong>, un long apprentissage leur estnécessaire pour s'initier aux lois véritables <strong>de</strong> l'espace. Au lieu d'angesou <strong>de</strong> démons, ils rencontrent les esprits <strong>de</strong>s hommes qui ont, commeeux, vécu <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> les ont précédés. <strong>Le</strong>ur déception est vive envoyant leurs espérances ajournées, leurs convictions bouleversées par<strong>de</strong>s faits auxquels rien, dans l'éducation reçue, ne les avait préparés.Mais si leur vie a été bonne, soumise au <strong>de</strong>voir - les actes ayant <strong>sur</strong> <strong>la</strong><strong>de</strong>stinée plus d'influence encore que les croyances - ces âmes nesauraient être malheureuses.<strong>Le</strong>s esprits sceptiques <strong>et</strong>, avec eux, tous ceux qui refusaient d'adm<strong>et</strong>tre<strong>la</strong> possibilité d'une vie indépendante du corps, se croient plongés dansun rêve, dont <strong>la</strong> durée se prolongera aussi longtemps que leur erreur nesera pas dissipée.<strong>Le</strong>s impressions sont variées à l'infini, comme les valeurs <strong>de</strong>s âmes.Celles qui, durant <strong>la</strong> vie terrestre, ont connu <strong>et</strong> servi <strong>la</strong> vérité, recueillent,


116 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEdès le trépas, le bénéfice <strong>de</strong> leurs recherches <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs travaux. Lacommunication suivante, parmi beaucoup d'autres, en fait foi. Elleémane <strong>de</strong> l'esprit d'un spirite militant, homme <strong>de</strong> coeur <strong>et</strong> <strong>de</strong> convictionéc<strong>la</strong>irée : Charles Fritz, fondateur du journal <strong>la</strong> Vie d'outre-tombe, àCharleroi. Tous ceux qui ont été en re<strong>la</strong>tion avec c<strong>et</strong> homme droit <strong>et</strong>généreux le reconnaîtront à son <strong>la</strong>ngage. Il décrit les impressionsressenties aussitôt après sa mort <strong>et</strong> ajoute :«Je sentis que les liens se détachaient peu à peu <strong>et</strong> que ma personne spirituelle,mon moi, se dégageait. Je vis autour <strong>de</strong> moi <strong>de</strong> bons esprits qui m'attendaient ;c'est avec eux, enfin, que je m'élevai <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face terrestre.Je n'ai point souffert <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te désincarnation ; mes premiers pas furent ceux <strong>de</strong>l'enfant qui commence à marcher.La lumière spirituelle, pleine <strong>de</strong> force <strong>et</strong> <strong>de</strong> vie, naissait en moi, car <strong>la</strong> lumièrene vient pas <strong>de</strong>s autres, mais <strong>de</strong> nous. C'est un rayon qui se dégage <strong>de</strong> l'enveloppefluidique <strong>et</strong> qui vous pénètre tout entier.Plus vous aurez travaillé dans <strong>la</strong> vérité, l'amour <strong>et</strong> <strong>la</strong> charité, plus c<strong>et</strong>te lumièresera gran<strong>de</strong>, jusqu'à <strong>de</strong>venir éblouissante pour ceux qui vous sont inférieurs.Eh bien ! mes premiers pas furent chance<strong>la</strong>nts ; cependant, peu à peu, <strong>la</strong> forceme vint <strong>et</strong> je <strong>de</strong>mandai à Dieu son assistance <strong>et</strong> sa miséricor<strong>de</strong>. Après avoirconstaté le compl<strong>et</strong> dégagement <strong>de</strong> mon individualité, j'envisageai enfin le travailque j'avais à faire. Je vis le passé <strong>de</strong> ma <strong>de</strong>rnière vie <strong>et</strong> je travail<strong>la</strong>i pour qu'il merevint profondément à <strong>la</strong> mémoire.<strong>Le</strong> passé se trouve dans le flui<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'homme <strong>et</strong>, par conséquent, <strong>de</strong> l'esprit. Sonpérisprit est comme un mirage <strong>de</strong> toutes ses actions, <strong>et</strong> son âme, s'il a mal vécu,contemple avec tristesse ses fautes, inscrites, semble-t-il, dans les plis <strong>de</strong> son corpspérisprital.Je ne fus nullement empêché <strong>de</strong> reconnaître ma vie telle qu'elle avait été.Evi<strong>de</strong>mment, je constatai que je n'avais point été infaillible, car qui peut se targuer<strong>de</strong> l'avoir été <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre ? Mais je dois vous dire qu'après constatation, je mesentis très satisfait <strong>et</strong> heureux <strong>de</strong> mon travail terrestre.J'ai lutté, travaillé <strong>et</strong> souffert pour <strong>la</strong> lumière du spiritisme. Je l'ai donnée, avecl'espérance, à bien <strong>de</strong>s frères <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre, par <strong>la</strong> parole, par mes étu<strong>de</strong>s <strong>et</strong> mestravaux ; aussi, c<strong>et</strong>te lumière, je <strong>la</strong> r<strong>et</strong>rouve.Je suis heureux d'avoir travaillé à relever <strong>la</strong> foi, les coeurs <strong>et</strong> le courage. Je vousrecomman<strong>de</strong> donc à tous c<strong>et</strong>te foi inébran<strong>la</strong>ble, puisée dans le Spiritisme, que jepossédais.Je dois me développer encore, afin <strong>de</strong> revoir le passé <strong>de</strong> mes incarnationsantérieures. C'est une étu<strong>de</strong>, tout un travail à faire pour moi. Je vois bien une partie<strong>de</strong> ce passé, mais je ne puis pas très bien <strong>la</strong> définir, quoique mon réveil soitcompl<strong>et</strong>. Dans peu <strong>de</strong> temps, j'espère, ces vies passées m'apparaîtront c<strong>la</strong>irement.Je possè<strong>de</strong> assez <strong>de</strong> lumière pour marcher sûrement en voyant ce qui est <strong>de</strong>vantmoi, mon avenir ; <strong>et</strong> j'assiste déjà <strong>de</strong> malheureux Esprits.»


LA VIE DANS L'AU-DELA 117La loi <strong>de</strong>s groupements dans l'espace est celle <strong>de</strong>s affinités. Tous lesEsprits y sont soumis. L'orientation <strong>de</strong> leurs pensées les portenaturellement vers le milieu qui leur est propre ; car <strong>la</strong> pensée estl'essence même du mon<strong>de</strong> spirituel, <strong>la</strong> forme fluidique n'en étant que levêtement. Partout, ceux qui s'aiment <strong>et</strong> se comprennent s'assemblent.Herbert Spencer, dans un moment d'intuition, a formulé un axiomeégalement applicable au mon<strong>de</strong> visible <strong>et</strong> au mon<strong>de</strong> invisible. «La vie, a-t-il dit, n'est qu'une adaptation <strong>de</strong>s conditions intérieures aux conditionsextérieures.»Enclin aux choses matérielles, l'Esprit reste lié à <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> se mêle auxhommes qui partagent ses goûts, ses appétits. Porté vers l'idéal, vers lesbiens supérieurs, il s'élève sans effort vers l'obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> ses désirs. Il s'unitaux sociétés <strong>de</strong> l'espace, participe à leurs travaux <strong>et</strong> jouit <strong>de</strong>s spectacles,<strong>de</strong>s harmonies <strong>de</strong> l'infini.La pensée crée, <strong>la</strong> volonté édifie. La source <strong>de</strong> toutes les joies, <strong>de</strong>toutes les douleurs est dans <strong>la</strong> raison <strong>et</strong> <strong>la</strong> conscience. C'est pourquoinous r<strong>et</strong>rouvons, tôt ou tard, dans l'Au-<strong>de</strong>là, les créations <strong>de</strong> nos rêves <strong>et</strong><strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong> nos espérances. Mais le sentiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> tâche inachevéeramène, en même temps que les affections <strong>et</strong> les souvenirs, <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>sEsprits vers <strong>la</strong> terre. Toute âme r<strong>et</strong>rouve le milieu que ses désirsappellent ; elle vivra dans les mon<strong>de</strong>s rêvés, unie aux êtres qu'elleaffectionne ; elle y r<strong>et</strong>rouvera aussi les regr<strong>et</strong>s, les souffrances moralesque son passé a engendrés.Nos conceptions <strong>et</strong> nos rêves nous suivent partout. Dans l'é<strong>la</strong>n <strong>de</strong> leurspensées <strong>et</strong> l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> leur foi, les a<strong>de</strong>ptes <strong>de</strong> chaque religion créent <strong>de</strong>simages où ils croient reconnaître les paradis entrevus. Puis, peu à peu, ilss'aperçoivent que ces créations sont factices, <strong>de</strong> pure apparence <strong>et</strong>comparables à <strong>de</strong> vastes panoramas peints <strong>sur</strong> <strong>la</strong> toile ou à d'immensesfresques. Ils apprennent alors à s'en détacher <strong>et</strong> aspirent à <strong>de</strong>s réalitésplus hautes <strong>et</strong> plus sensibles. Sous notre forme actuelle <strong>et</strong> dans l'étroitelimite <strong>de</strong> nos facultés, nous ne pourrions comprendre les joies <strong>et</strong> lesravissements réservés aux esprits supérieurs, pas plus que les angoissesprofon<strong>de</strong>s ressenties par les âmes délicates parvenues aux confins <strong>de</strong> <strong>la</strong>perfection. La beauté est partout ; seuls ses aspects varient à l'infini,suivant le <strong>de</strong>gré d'évolution <strong>et</strong> d'épuration <strong>de</strong>s êtres.L'Esprit avancé possè<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sources <strong>de</strong> sensations <strong>et</strong> <strong>de</strong> perceptionsinfiniment plus étendues, plus intenses que celles <strong>de</strong> l'homme terrestre.


118 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEEn lui, <strong>la</strong> c<strong>la</strong>irvoyance, <strong>la</strong> c<strong>la</strong>iraudience, l'action à distance, <strong>la</strong>connaissance du passé <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'avenir coexistent dans une synthèseindéfinissable, qui constitue, suivant l'expression <strong>de</strong> F. Myers, «lemystère central <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie». Par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s facultés <strong>de</strong>s Invisibles <strong>de</strong> situationmoyenne, c<strong>et</strong> auteur s'exprime ainsi :«L'Esprit, sans être limité par l'espace <strong>et</strong> le temps, a une connaissance partielle<strong>de</strong> l'espace <strong>et</strong> du temps. Il peut s'orienter, trouver une personne vivante <strong>et</strong> <strong>la</strong> suivreà volonté. Il est capable <strong>de</strong> voir dans le présent <strong>de</strong>s choses qui apparaissent pournous comme situées dans le passé <strong>et</strong> d'autres qui sont situées dans le futur. L'Espritest conscient <strong>de</strong>s pensées <strong>et</strong> émotions <strong>de</strong> ses amis qui se rapportent à lui.»Quant à <strong>la</strong> différence d'acuité dans les impressions, nous pouvons déjànous en faire une idée par les rêves dits «émotifs». L'âme, dans l'état <strong>de</strong>dégagement, même incompl<strong>et</strong>, non seulement perçoit, mais ressent avecune intensité beaucoup plus vive que dans l'état <strong>de</strong> veille. Des scènes,<strong>de</strong>s images, <strong>de</strong>s tableaux qui, dans <strong>la</strong> veille, nous affectent faiblement<strong>de</strong>viennent dans le rêve <strong>de</strong>s causes <strong>de</strong> haute satisfaction ou <strong>de</strong> vivesouffrance. Nous avons là un aperçu <strong>de</strong> ce que peuvent être <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>l'Esprit <strong>et</strong> ses mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> sensation lorsque, détaché <strong>de</strong> l'enveloppecharnelle, sa mémoire, sa conscience recouvrent <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> leursvibrations. Nous comprenons dès lors comment <strong>la</strong> reconstitution <strong>de</strong>ssouvenirs du passé peut <strong>de</strong>venir une source <strong>de</strong> tourments. L'âme porte enelle-même son propre juge, <strong>la</strong> sanction infaillible <strong>de</strong> ses oeuvres, bonnesou mauvaises.On l'a constaté au cours d'acci<strong>de</strong>nts qui auraient pu entraîner <strong>la</strong> mort.Dans certaines chutes, pendant <strong>la</strong> trajectoire du corps humain d'un pointélevé <strong>sur</strong> le sol, ou bien dans l'asphyxie par submersion, <strong>la</strong> consciencesupérieure <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime passe en revue toute <strong>la</strong> vie écoulée, avec unerapidité effrayante. Elle <strong>la</strong> revoit tout entière en quelques minutes, dansses moindres détails.Carl du Prel 4 en donne plusieurs exemples. Haddock cite, entre autresfaits, le cas <strong>de</strong> l'amiral Beaufort 5 :«L'amiral Beaufort, étant jeune, tomba d'un navire dans les eaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> ra<strong>de</strong> <strong>de</strong>Portsmouth. Avant qu'on eût pu le secourir, il avait disparu : il se noyait. Al'angoisse du premier moment avait succédé un sentiment <strong>de</strong> calme <strong>et</strong>, quoiqu'il s<strong>et</strong>int pour perdu, il ne se débattait même plus. D'ailleurs, nulle souffrance. Au4 Carl du Prel, Philos. <strong>de</strong>r Mystik.5 Haddock, Somnolism <strong>et</strong> Psychism, page 213, extrait du Journal <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Paris.


LA VIE DANS L'AU-DELA 119contraire, les sensations étaient d'une nature agréable, participant <strong>de</strong> ce vaguebien-être qui précè<strong>de</strong> le sommeil dû à <strong>la</strong> fatigue.Avec c<strong>et</strong> affaiblissement <strong>de</strong>s sens coïncidait une extraordinaire <strong>sur</strong>excitation <strong>de</strong>l'activité intellectuelle ; les idées se succédaient avec une rapidité prodigieuse.D'abord l'acci<strong>de</strong>nt qui venait <strong>de</strong> se passer, <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>dresse qui en avait été <strong>la</strong> cause,le tumulte qui avait dû s'ensuivre, <strong>la</strong> douleur dont le père <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime al<strong>la</strong>it êtrefrappé, d'autres circonstances étroitement associées au foyer domestique, furent lesuj<strong>et</strong> <strong>de</strong> ses premières réflexions. Ensuite, il se rappe<strong>la</strong> sa <strong>de</strong>rnière croisière,voyage coupé par un naufrage, puis l'école, les progrès qu'il y avait faits, <strong>et</strong> aussile temps perdu, enfin ses occupations <strong>et</strong> ses aventures d'enfant. Bref, <strong>la</strong> remonteentière du fleuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, <strong>et</strong> combien détaillée <strong>et</strong> précise ! Il le dit lui-même :«Chaque inci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> ma vie traversait successivement mes souvenirs, non commeune esquisse légère, mais avec les détails <strong>et</strong> les accessoires d'un tableau fini ! End'autres mots, mon existence tout entière défi<strong>la</strong>it <strong>de</strong>vant moi dans une sorte <strong>de</strong>revue panoramique ; chaque fait avec son appréciation morale, ou <strong>de</strong>s réflexions<strong>sur</strong> sa cause <strong>et</strong> ses eff<strong>et</strong>s. De p<strong>et</strong>its événements sans conséquence, <strong>de</strong>puislongtemps oubliés, se pressaient dans mon imagination comme s'ils n'eussent étéque <strong>de</strong> <strong>la</strong> veille.» Et tout ce<strong>la</strong> s'accomplit en <strong>de</strong>ux minutes.»On peut citer encore l'attestation <strong>de</strong> Perty 6 au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> CatherineEmmerich, qui revit <strong>de</strong> <strong>la</strong> même façon, en mourant, toute sa vie écoulée.Nous constatons par là que ce phénomène n'est pas limité aux casd'acci<strong>de</strong>nts ; il paraît plutôt accompagner régulièrement le décès.Tout ce que l'esprit a fait, voulu, pensé, se reflète en lui. Semb<strong>la</strong>ble àun miroir, l'âme réfléchit tout le bien, tout le mal accomplis. Ces imagesne sont pas toujours subjectives ; par l'intensité <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté, ellespeuvent revêtir un caractère substantiel. Elles vivent <strong>et</strong> se manifestent,pour notre félicité ou notre châtiment.Devenue transparente dans l'Au-<strong>de</strong>là, l'âme se juge elle-même, commeelle est jugée par tous ceux qui <strong>la</strong> contemplent. Seule en présence <strong>de</strong> sonpassé, elle voit reparaître tous ses actes <strong>et</strong> leurs conséquences, toutes sesfautes, même les plus cachées. Il n'est pas <strong>de</strong> repos, pas d'oubli pour lecriminel ; sa conscience, comme un justicier impitoyable, le poursuitsans cesse. En vain il cherche à échapper à ses obsessions ; son supplicene pourra cesser que si le remords se changeant en repentir, il accepte <strong>de</strong>nouvelles épreuves terrestres, seul moyen <strong>de</strong> réparation <strong>et</strong> <strong>de</strong> relèvement.6 Perty. Myst. Erscheinungen (Apparitions mystiques), II, page 443.Ces trois auteurs sont cités par le docteur Pascal dans son mémoire présenté au Congrès <strong>de</strong>Psychologie <strong>de</strong> Paris, en 1900.


120 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEXII. - LES MISSIONS, LA VIE SUPERIEURE.Tout Esprit désireux <strong>de</strong> progresser en travail<strong>la</strong>nt à l'oeuvre <strong>de</strong>solidarité universelle reçoit <strong>de</strong>s Esprits les plus élevés une missionparticulière, appropriée à ses aptitu<strong>de</strong>s <strong>et</strong> à son <strong>de</strong>gré d'avancement.<strong>Le</strong>s uns ont pour tâche d'accueillir les humains à leur r<strong>et</strong>our à <strong>la</strong> viespirituelle, <strong>de</strong> les gui<strong>de</strong>r, <strong>de</strong> les ai<strong>de</strong>r à se dégager <strong>de</strong>s flui<strong>de</strong>s épais quiles enveloppent ; d'autres sont chargés <strong>de</strong> consoler, d'instruire les âmessouffrantes <strong>et</strong> arriérées. Des esprits chimistes, physiciens, naturalistes,astronomes, poursuivent leurs recherches, étudient les mon<strong>de</strong>s, leurs<strong>sur</strong>faces, leurs profon<strong>de</strong>urs cachées, agissent en tous lieux <strong>sur</strong> <strong>la</strong> matièresubtile, à <strong>la</strong>quelle ils font subir <strong>de</strong>s préparations, <strong>de</strong>s modifications envue d'oeuvres que l'imagination humaine aurait peine à concevoir.D'autres s'appliquent aux arts, à l'étu<strong>de</strong> du Beau sous toutes ses formes.Des Esprits moins avancés assistent les premiers dans leurs tâchesvariées <strong>et</strong> leur servent d'auxiliaires.Un grand nombre d'Esprits se consacrent aux habitants <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre <strong>et</strong><strong>de</strong>s autres p<strong>la</strong>nètes, les stimu<strong>la</strong>nt dans leurs recherches, relevant lescourages abattus, guidant les hésitants dans <strong>la</strong> voie du <strong>de</strong>voir. Ceux quipratiquèrent <strong>la</strong> mé<strong>de</strong>cine <strong>et</strong> possè<strong>de</strong>nt le secr<strong>et</strong> <strong>de</strong>s flui<strong>de</strong>s curatifs,réparateurs, s'occupent plus spécialement <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s 1 .Belle entre toutes est <strong>la</strong> mission <strong>de</strong>s Esprits <strong>de</strong> lumière. Ils <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt<strong>de</strong>s espaces célestes pour apporter aux humanités les trésors <strong>de</strong> leurscience, <strong>de</strong> leur sagesse, <strong>de</strong> leur amour. <strong>Le</strong>ur tâche est un sacrificeconstant, car le contact <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s matériels est pénible pour eux ; maisils affrontent toutes les souffrances par dévouement pour leurs protégés,afin <strong>de</strong> les assister dans leurs épreuves <strong>et</strong> <strong>de</strong> verser dans leurs coeurs <strong>de</strong>gran<strong>de</strong>s <strong>et</strong> généreuses intuitions. Il est juste <strong>de</strong> leur attribuer ces éc<strong>la</strong>irsd'inspiration qui illuminent <strong>la</strong> pensée, ces épanouissements <strong>de</strong> l'âme,1 <strong>Le</strong>s cas <strong>de</strong> guérisons par <strong>de</strong>s Esprits sont très nombreux ; on en trouvera <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions danstoute <strong>la</strong> littérature spirite.(Voir, par exemple, le cas cité par Myers, Human Personality, II, 124). La femme d'un grandmé<strong>de</strong>cin, <strong>de</strong> réputation européenne, souffrant d'un mal que son mari avait été impuissant àsou<strong>la</strong>ger, fut radicalement guérie par l'esprit d'un autre mé<strong>de</strong>cin.Voir aussi le cas <strong>de</strong> Mme C<strong>la</strong>ire Galichon, qui fut guérie par <strong>de</strong>s magnétisations <strong>de</strong> l'esprit ducuré d'Ars. <strong>Le</strong> fait est raconté par elle-même dans ses Souvenirs <strong>et</strong> Problèmes spirites, pages174 <strong>et</strong> suivantes.


LES MISSIONS, LA VIE SUPERIEURE 121c<strong>et</strong>te force morale qui nous soutient dans les difficultés <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Si noussavions quelles contraintes s'imposent ces nobles Esprits pour parvenirjusqu'à nous, nous répondrions mieux à leurs sollicitations, nous ferionsd'énergiques efforts pour nous détacher <strong>de</strong> tout ce qui est vil, impur, <strong>et</strong>nous unir à eux dans <strong>la</strong> communion divine.Aux heures tourmentées, c'est vers ces Esprits, vers mes gui<strong>de</strong>s bienaimésque s'é<strong>la</strong>ncent mes pensées <strong>et</strong> mes appels. C'est d'eux que me sonttoujours venus le soutien moral <strong>et</strong> les suprêmes conso<strong>la</strong>tions.J'ai gravi péniblement les sentiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie ; mon enfance a été dure.De bonne heure, j'ai connu le <strong>la</strong>beur manuel <strong>et</strong> les lour<strong>de</strong>s charges <strong>de</strong>famille. Plus tard, dans ma carrière <strong>de</strong> propagandiste, je me suis meurtrisouvent aux pierres du chemin ; j'ai été mordu par les serpents <strong>de</strong> <strong>la</strong>haine <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'envie. Et maintenant, l'heure crépuscu<strong>la</strong>ire est venue pourmoi ; les ombres montent <strong>et</strong> m'entourent ; je sens décliner mes forces <strong>et</strong>s'affaiblir mes organes. Mais jamais l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> mes amis invisibles ne m'amanqué, jamais ma voix ne les a évoqués en vain. Depuis mes premierspas en ce mon<strong>de</strong>, leur influence m'a enveloppé. Souvent, j'ai senti leursdoux effluves passer <strong>sur</strong> mon front comme un frôlement d'ailes. C'est àleurs inspirations que je dois mes meilleures pages <strong>et</strong> mes accents lesplus vibrants. Ils ont partagé mes joies <strong>et</strong> mes tristesses, <strong>et</strong>, quandgrondait l'orage, je les savais <strong>de</strong>bout près <strong>de</strong> moi <strong>sur</strong> le chemin. Sanseux, sans leur secours, <strong>de</strong>puis longtemps j'aurais dû interrompre mamarche, suspendre mon <strong>la</strong>beur. Mais leurs mains tendues m'ont soutenu,dirigé dans <strong>la</strong> voie âpre. Quelquefois, dans le recueillement du soir ou lesilence <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, leurs voix me parlent, me bercent, me réconfortent ;elles résonnent dans ma solitu<strong>de</strong> comme une vague mélodie. Ou bien cesont <strong>de</strong>s souffles qui passent, semb<strong>la</strong>bles à <strong>de</strong>s caresses, <strong>de</strong> sagesconseils murmurés, <strong>de</strong>s indications précieuses <strong>sur</strong> les imperfections <strong>de</strong>mon caractère <strong>et</strong> les moyens d'y remédier.Alors j'oublie les humaines misères, pour me comp<strong>la</strong>ire dansl'espérance <strong>de</strong> revoir un jour mes amis invisibles, <strong>de</strong> les rejoindre dans <strong>la</strong>lumière, si Dieu m'en juge digne, avec tous ceux que j'ai aimés <strong>et</strong> qui, dusein <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là, m'ai<strong>de</strong>nt à parcourir l'étape terrestre.Que vers vous tous, Esprits tuté<strong>la</strong>ires, entités protectrices, monte mapensée reconnaissante, le meilleur <strong>de</strong> moi-même, le tribut <strong>de</strong> monadmiration <strong>et</strong> <strong>de</strong> mon amour !** *


122 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEL'âme vient <strong>de</strong> Dieu <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ourne à Dieu en parcourant le cycle immense<strong>de</strong> ses <strong>de</strong>stinées. Si bas qu'elle soit <strong>de</strong>scendue, tôt ou tard par l'attractiondivine elle remonte dans l'infini. Qu'y cherche-t-elle ? Une connaissanc<strong>et</strong>oujours plus parfaite <strong>de</strong> l'Univers, une assimi<strong>la</strong>tion toujours pluscomplète <strong>de</strong> ses attributs : Beauté, Vérité, Amour ! Et en même temps,une libération graduelle <strong>de</strong>s servitu<strong>de</strong>s matérielles, une col<strong>la</strong>borationgrandissante à l'oeuvre éternelle.Chaque Esprit, dans l'espace, a sa vocation <strong>et</strong> <strong>la</strong> poursuit avec <strong>de</strong>sfacilités inconnues <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre ; chacun trouve sa p<strong>la</strong>ce dans ce superbechamp d'action, dans ce vaste <strong>la</strong>boratoire universel. Partout, dansl'étendue comme <strong>sur</strong> les mon<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s d'étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> travail, <strong>de</strong>smoyens d'élévation, <strong>de</strong> participation à l'oeuvre divine, s'offrent à l'âme<strong>la</strong>borieuse.Ce n'est plus là le ciel froid <strong>et</strong> vi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s matérialistes, ni même le cielcontemp<strong>la</strong>tif <strong>et</strong> béat <strong>de</strong> certains croyants. C'est un univers vivant, animé,lumineux, rempli d'êtres intelligents en voie constante d'évolution.Et plus ces êtres spirituels s'élèvent, plus leur tâche s'accentue, plusleurs missions s'accroissent en importance. Un jour, ils prennent rangparmi les âmes messagères qui vont porter aux rivages du temps <strong>et</strong> <strong>de</strong>l'espace les forces <strong>et</strong> les volontés <strong>de</strong> l'âme infinie.Pour l'Esprit le plus inférieur comme pour le plus éminent, le domaine<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie est sans limites. Quelle que soit <strong>la</strong> hauteur où nous sommesparvenus, il y a toujours un p<strong>la</strong>n supérieur à atteindre, une perfectionnouvelle à réaliser.Dans toute âme, même <strong>la</strong> plus basse, un avenir grandiose se prépare.Chaque pensée généreuse qui commence à poindre, chaque effusiond'amour, chaque effort tendant à une vie meilleure est comme <strong>la</strong>vibration, le pressentiment, l'appel d'un mon<strong>de</strong> plus élevé qui l'attire <strong>et</strong> <strong>la</strong>recevra tôt ou tard. Tout é<strong>la</strong>n d'enthousiasme, toute parole <strong>de</strong> justice,tout acte d'abnégation se répercutent en progressions grandissantes <strong>sur</strong>l'échelle <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>stinées.A me<strong>sur</strong>e qu'elle se détache <strong>de</strong>s sphères inférieures, où règnent leslour<strong>de</strong>s influences, où s'agitent les vies grossières, banales ou coupables,les existences <strong>de</strong> lente <strong>et</strong> pénible éducation, l'âme perçoit les hautesmanifestations <strong>de</strong> l'intelligence, <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice, <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonté, <strong>et</strong> sa vie<strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus belle <strong>et</strong> divine. <strong>Le</strong>s murmures confus, les bruitsdiscordants <strong>de</strong>s milieux humains s'affaiblissent peu à peu pour elle, puis


LES MISSIONS, LA VIE SUPERIEURE 123se taisent ; en même temps les échos harmonieux <strong>de</strong>s sociétés célestes lui<strong>de</strong>viennent perceptibles. C'est le seuil <strong>de</strong>s régions heureuses, où règneune éternelle c<strong>la</strong>rté, où p<strong>la</strong>ne une atmosphère <strong>de</strong> bienveil<strong>la</strong>nce, <strong>de</strong>sérénité <strong>et</strong> <strong>de</strong> paix, où toutes choses sortent fraîches <strong>et</strong> pures <strong>de</strong>s mains<strong>de</strong> Dieu.La différence profon<strong>de</strong> qui existe entre <strong>la</strong> vie terrestre <strong>et</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>l'espace rési<strong>de</strong> dans le sentiment <strong>de</strong> délivrance, d'allégement, dans <strong>la</strong>liberté absolue dont jouissent les Esprits bons <strong>et</strong> épurés.<strong>Le</strong>s liens matériels étant rompus, l'âme pure prend son essor vers leshautes régions ; elle y vit d'une vie libre, paisible, intense, près <strong>de</strong><strong>la</strong>quelle le passé terrestre ne lui semble plus qu'un songe douloureux.Dans l'effusion <strong>de</strong>s tendresses partagées, dans une vie exempte <strong>de</strong> maux,<strong>de</strong> nécessités physiques, l'âme sent ses facultés s'accroître ; ellesacquièrent une pénétration <strong>et</strong> une étendue dont les phénomènes <strong>de</strong>l'extase nous font entrevoir les splen<strong>de</strong>urs voilées.<strong>Le</strong> <strong>la</strong>ngage du mon<strong>de</strong> spirituel est <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong>s images <strong>et</strong> <strong>de</strong>ssymboles, rapi<strong>de</strong>s comme <strong>la</strong> pensée. C'est pourquoi nos gui<strong>de</strong>s invisiblesse servent <strong>de</strong> préférence <strong>de</strong> tableaux symboliques pour nous prévenirdans le rêve d'un danger ou d'un malheur. L'éther, flui<strong>de</strong> souple <strong>et</strong>lumineux, prend avec une facilité extrême les formes que leur volonté yimprime. <strong>Le</strong>s Esprits communiquent entre eux <strong>et</strong> se comprennent par <strong>de</strong>sprocédés près <strong>de</strong>squels l'art oratoire le plus consommé, toute <strong>la</strong> magie <strong>de</strong>l'éloquence humaine ne paraîtraient qu'un balbutiement grossier. <strong>Le</strong>sintelligences élevées perçoivent <strong>et</strong> réalisent sans effort les plusmerveilleuses conceptions <strong>de</strong> l'art <strong>et</strong> du génie. Mais ces conceptions nesauraient être transmises intégralement aux hommes. Même dans sesmanifestations médianimiques les plus parfaites, l'Esprit supérieur doitsubir les lois physiques <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> ce sont seulement <strong>de</strong> vaguesrefl<strong>et</strong>s ou <strong>de</strong>s échos affaiblis <strong>de</strong>s sphères célestes, quelques noteségrenées <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> symphonie éternelle qu'il peut faire parvenirJusqu'à nous.Tout est gradué dans <strong>la</strong> vie spirituelle. A chaque <strong>de</strong>gré d'évolution <strong>de</strong>l'être vers <strong>la</strong> sagesse, <strong>la</strong> lumière, <strong>la</strong> saint<strong>et</strong>é, correspond un état plusparfait <strong>de</strong> ses sens réceptifs, <strong>de</strong> ses moyens <strong>de</strong> perception. <strong>Le</strong> corpsfluidique, <strong>de</strong>venu <strong>de</strong> plus en plus transparent, diaphane, <strong>la</strong>isse un librepassage aux radiations <strong>de</strong> l'âme. De là, une aptitu<strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> à goûter,à comprendre les splen<strong>de</strong>urs infinies ; <strong>de</strong> là, un souvenir plus étendu du


124 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEpassé, une familiarisation croissante avec les êtres <strong>et</strong> les choses <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>nssupérieurs, jusqu'à ce que l'âme, dans sa progression, ait atteint liessuprêmes altitu<strong>de</strong>s.Parvenu à ces hauteurs, l'Esprit a vaincu toute passion, toute tendanceau mal ; il est libéré pour jamais du joug matériel <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi <strong>de</strong>srenaissances. C'est l'entrée définitive dans les divins royaumes, d'où il nere<strong>de</strong>scendra plus dans le cercle <strong>de</strong>s générations que volontairement <strong>et</strong>pour y accomplir <strong>de</strong>s missions sublimes.Sur ces somm<strong>et</strong>s, l'existence est une fête perpétuelle <strong>de</strong> l'intelligence<strong>et</strong> du coeur. C'est <strong>la</strong> communion étroite dans l'amour avec tous ceux quinous ont été chers <strong>et</strong> ont parcouru avec nous le cycle <strong>de</strong>s transmigrations<strong>et</strong> <strong>de</strong>s épreuves. Ajoutez-y <strong>la</strong> vision constante <strong>de</strong> l'éternelle Beauté, unepénétration profon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s mystères <strong>et</strong> <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> l'Univers, <strong>et</strong> vous aurezune faible idée <strong>de</strong>s joies réservées à tous ceux qui, par leurs mérites <strong>et</strong>leurs efforts, sont parvenus aux cieux supérieurs.


LA REINCARNATION ET SES LOIS 125DEUXIEME PARTIE-LE PROBLEME DE LA DESTINEE.________XIII. - LES VIES SUCCESSIVES. - LA REINCARNATIONET SES LOIS.Après un temps <strong>de</strong> séjour dans l'espace, l'âme renaît dans <strong>la</strong> conditionhumaine, en apportant avec elle l'héritage, bon ou mauvais, <strong>de</strong> sonpassé 1 . Elle renaît p<strong>et</strong>it enfant, elle reparaît <strong>sur</strong> <strong>la</strong> scène terrestre pourjouer un nouvel acte du drame <strong>de</strong> sa vie, acquitter ses <strong>de</strong>ttes antérieures,conquérir <strong>de</strong> nouvelles puissances qui faciliteront son ascension,accéléreront sa marche en avant.La loi <strong>de</strong>s renaissances explique <strong>et</strong> complète le principe d'immortalité.L'évolution <strong>de</strong> l'être indique un p<strong>la</strong>n <strong>et</strong> un but : ce but, qui est <strong>la</strong>perfection, ne saurait se réaliser dans une existence unique, si longue, sifructueuse fût-elle. Nous <strong>de</strong>vons voir dans <strong>la</strong> pluralité <strong>de</strong>s vies <strong>de</strong> l'âme<strong>la</strong> condition nécessaire <strong>de</strong> son éducation <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses progrès. C'est par sespropres efforts, ses luttes, ses souffrances qu'elle se rachète <strong>de</strong> son étatd'ignorance <strong>et</strong> d'infériorité <strong>et</strong> s'élève, <strong>de</strong>gré à <strong>de</strong>gré, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre d'abord,puis à travers les <strong>de</strong>meures innombrables du ciel étoilé.La réincarnation, affirmée par les voix d'outre-tombe, est <strong>la</strong> seuleforme rationnelle sous <strong>la</strong>quelle on puisse adm<strong>et</strong>tre <strong>la</strong> réparation <strong>de</strong>sfautes commises <strong>et</strong> l'évolution graduelle <strong>de</strong>s êtres. Sans elle, on ne voitguère <strong>de</strong> sanction morale satisfaisante <strong>et</strong> complète ; pas <strong>de</strong> conceptionpossible d'un Etre qui gouverne l'univers avec justice.Si nous adm<strong>et</strong>tons que l'homme vit actuellement pour <strong>la</strong> première <strong>et</strong> <strong>la</strong><strong>de</strong>rnière fois ici-bas, qu'une seule existence terrestre est le partage <strong>de</strong>chacun <strong>de</strong> nous, il faudrait le reconnaître : l'incohérence <strong>et</strong> <strong>la</strong> partialité1 <strong>Le</strong> temps <strong>de</strong> séjour dans l'espace est très variable, suivant l'état d'avancement <strong>de</strong> l'esprit. Ilpeut embrasser nombre d'années. En général, les esprits d'une même famille s'enten<strong>de</strong>nt pourse réincarner ensemble <strong>et</strong> constituer <strong>de</strong>s groupes analogues <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre.


126 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEprési<strong>de</strong>nt à <strong>la</strong> répartition <strong>de</strong>s biens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s maux, <strong>de</strong>s aptitu<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>sfacultés, <strong>de</strong>s qualités natives <strong>et</strong> <strong>de</strong>s vices originels.Pourquoi aux uns <strong>la</strong> fortune, le bonheur constant ; aux autres, <strong>la</strong>misère, le malheur inévitable ? à ceux-ci <strong>la</strong> force, <strong>la</strong> santé, <strong>la</strong> beauté ; àceux-là, <strong>la</strong> faiblesse, <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, <strong>la</strong> <strong>la</strong>i<strong>de</strong>ur ? Pourquoi ici l'intelligence, legénie, <strong>et</strong> là l'imbécillité ? Comment tant d'admirables qualités morales serencontrent-elles à côté <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> vices <strong>et</strong> <strong>de</strong> défauts ? Pourquoi <strong>de</strong>sraces si diverses, les unes inférieures au point qu'elles semblent confinerà l'animalité ; les autres, favorisées <strong>de</strong> tous les dons qui as<strong>sur</strong>ent leursuprématie ? Et les infirmités innées, <strong>la</strong> cécité, l'idiotisme, lesdifformités, toutes les infortunes qui emplissent les hôpitaux, les asiles<strong>de</strong> nuit, les maisons <strong>de</strong> correction ? L'hérédité n'explique pas tout. Dans<strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s cas, ces afflictions ne peuvent être considérées comme lerésultat <strong>de</strong> causes actuelles. Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s faveurs du sort. Tropsouvent, <strong>de</strong>s justes semblent écrasés sous l'épreuve, tandis que <strong>de</strong>ségoïstes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s méchants prospèrent.Pourquoi aussi les enfants mort-nés <strong>et</strong> ceux qui sont condamnés àsouffrir dès le berceau ? Certaines existences s'achèvent en peu d'années,en peu <strong>de</strong> jours ; d'autres durent près d'un siècle. Et encore, d'oùviennent les jeunes prodiges : musiciens, peintres, poètes, tous ceux qui,dès le bas âge, montrent <strong>de</strong>s dispositions extraordinaires pour les arts oules sciences, alors que tant d'autres restent médiocres toute <strong>la</strong> vie, malgréun <strong>la</strong>beur acharné ? De même, les instincts précoces, les sentimentsinnés <strong>de</strong> dignité ou <strong>de</strong> bassesse, contrastant parfois si étrangement avecle milieu où ils se manifestent ?Si <strong>la</strong> vie individuelle commence seulement à <strong>la</strong> naissance terrestre, sirien n'existe antérieurement pour chacun <strong>de</strong> nous, on cherchera en vain àexpliquer ces diversités poignantes, ces anomalies effroyables, encoremoins à les concilier avec l'existence d'un Pouvoir sage, prévoyant,équitable. Toutes les religions, tous les systèmes philosophiquescontemporains sont venus se heurter à ce problème. Aucun d'eux n'a pule résoudre. Considérée à leur point <strong>de</strong> vue, qui est l'unité d'existencepour chaque être humain, <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée reste incompréhensible, le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong>l'univers s'obscurcit, l'évolution s'arrête, <strong>la</strong> souffrance <strong>de</strong>vientinexplicable. L'homme, porté à croire à l'action <strong>de</strong> forces aveugles <strong>et</strong>fatales, à l'absence <strong>de</strong> toute justice distributive, glisse insensiblementvers l'athéisme <strong>et</strong> le pessimisme.


LA REINCARNATION ET SES LOIS 127Au contraire, tout s'explique, tout s'éc<strong>la</strong>ire par <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s viessuccessives. La loi <strong>de</strong> justice se révèle dans les moindres détails <strong>de</strong>l'existence. <strong>Le</strong>s inégalités qui nous choquent résultent <strong>de</strong>s différentessituations occupées par les âmes à leurs <strong>de</strong>grés infinis d'évolution. La<strong>de</strong>stinée <strong>de</strong> l'être n'est plus que le développement, à travers les âges, <strong>de</strong><strong>la</strong> longue série <strong>de</strong> causes <strong>et</strong> d'eff<strong>et</strong>s engendrés par ses actes. Rien ne seperd ; les eff<strong>et</strong>s du bien <strong>et</strong> du mal s'accumulent <strong>et</strong> germent en nousjusqu'au moment favorable à leur éclosion. Tantôt ils s'épanouissentrapi<strong>de</strong>ment ; tantôt, après un long <strong>la</strong>ps <strong>de</strong> temps, ils se reportent, serépercutent d'une existence à une autre, selon que leur maturité estactivée ou ralentie par les influences ambiantes ; mais aucun <strong>de</strong> ceseff<strong>et</strong>s ne saurait disparaître <strong>de</strong> lui-même. La réparation, seule, peut lessupprimer.Chacun emporte au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>la</strong> tombe <strong>et</strong> rapporte en naissant <strong>la</strong>semence du passé. C<strong>et</strong>te semence, suivant sa nature, pour notre bonheurou notre malheur, répandra ses fruits <strong>sur</strong> <strong>la</strong> vie nouvelle qui commence<strong>et</strong> même <strong>sur</strong> les suivantes, si une seule existence ne suffit pas à épuiserles conséquences mauvaises <strong>de</strong> nos vies antérieures. En même temps,nos actes <strong>de</strong> chaque jour, sources <strong>de</strong> nouveaux eff<strong>et</strong>s, viennent s'ajouteraux causes anciennes, les atténuant ou les aggravant. Ils forment avecelles un enchaînement <strong>de</strong> biens ou <strong>de</strong> maux qui, dans leur ensemble,composeront <strong>la</strong> trame <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>stin.Ainsi <strong>la</strong> sanction morale, si insuffisante, parfois si nulle, lorsqu'onl'étudie au point <strong>de</strong> vue d'une vie unique, se r<strong>et</strong>rouve absolue <strong>et</strong> parfaitedans <strong>la</strong> succession <strong>de</strong> nos existences. Il y a une corré<strong>la</strong>tion étroite entrenos actes <strong>et</strong> notre <strong>de</strong>stinée. Nous subissons en nous-mêmes, dans notreêtre intérieur <strong>et</strong> dans les événements <strong>de</strong> notre vie, le contrecoup <strong>de</strong> nosagissements. Notre activité, sous toutes ses formes, est créatriced'éléments bons ou mauvais, d'eff<strong>et</strong>s proches ou lointains, qui r<strong>et</strong>ombent<strong>sur</strong> nous en pluies, en tempêtes, ou en rayons joyeux. L'homme construitson propre avenir. Jusqu'ici, dans son incertitu<strong>de</strong>, dans son ignorance, ille construit à tâtons <strong>et</strong> subit son sort sans pouvoir l'expliquer. Bientôt,mieux éc<strong>la</strong>iré, pénétré <strong>de</strong> <strong>la</strong> majesté <strong>de</strong>s lois supérieures, il comprendra<strong>la</strong> beauté <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, qui rési<strong>de</strong> dans l'effort courageux <strong>et</strong> donnera à sonoeuvre une plus noble <strong>et</strong> plus haute impulsion.** *


128 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEELa variété infinie <strong>de</strong>s aptitu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s facultés, <strong>de</strong>s caractères, s'expliqueaisément, disions-nous. Toutes les âmes ne sont pas du même âge ;toutes n'ont pas gravi <strong>de</strong> <strong>la</strong> même allure leurs sta<strong>de</strong>s évolutifs. <strong>Le</strong>s unesont parcouru une carrière immense <strong>et</strong> s'approchent déjà <strong>de</strong> l'apogée <strong>de</strong>sprogrès terrestres ; d'autres commencent à peine leur cycle d'évolution ausein <strong>de</strong>s humanités. Celles-ci sont les âmes jeunes, émanées <strong>de</strong>puis untemps moins long du foyer éternel, foyer inépuisable, d'où jaillissentsans cesse <strong>de</strong>s gerbes d'intelligences qui <strong>de</strong>scendront <strong>sur</strong> les mon<strong>de</strong>s <strong>de</strong><strong>la</strong> matière animer les formes rudimentaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Parvenues àl'humanité, elles prendront rang parmi les peup<strong>la</strong><strong>de</strong>s sauvages ou lesraces barbares qui occupent les continents attardés, les régionsdéshéritées du globe. Et lorsqu'elles pénètrent enfin dans noscivilisations, on les reconnaît encore, facilement, à leur gaucherie, à leurma<strong>la</strong>dresse, à leur inhabil<strong>et</strong>é en toutes choses, <strong>et</strong> <strong>sur</strong>tout à leurs passionsviolentes, à leurs goûts sanguinaires, parfois même à leur férocité. Maisces âmes non évoluées monteront à leur tour l'échelle <strong>de</strong>s graduationsinfinies au moyen <strong>de</strong> réincarnations innombrables.Un autre élément du problème, c'est <strong>la</strong> liberté d'action <strong>de</strong> l'esprit. Auxuns, elle perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> s'attar<strong>de</strong>r <strong>sur</strong> <strong>la</strong> voie d'ascension, <strong>de</strong> perdre, sanssouci du but véritable <strong>de</strong> l'existence, tant d'heures précieuses à <strong>la</strong>poursuite <strong>de</strong>s richesses <strong>et</strong> du p<strong>la</strong>isir. Aux autres, elle perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> se hâter<strong>sur</strong> les sentiers ardus <strong>et</strong> d'atteindre rapi<strong>de</strong>ment les somm<strong>et</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée,s'ils préfèrent aux séductions matérielles <strong>la</strong> possession <strong>de</strong>s biens <strong>de</strong>l'esprit <strong>et</strong> du coeur. De ce nombre sont les sages, les génies <strong>et</strong> les saints<strong>de</strong> tous les temps <strong>et</strong> <strong>de</strong> tous les pays, les nobles martyrs <strong>de</strong>s causesgénéreuses <strong>et</strong> ceux qui ont consacré <strong>de</strong>s vies entières à accumuler, dansle silence <strong>de</strong>s cloîtres, <strong>de</strong>s bibliothèques, <strong>de</strong>s <strong>la</strong>boratoires, les trésors <strong>de</strong><strong>la</strong> science <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse humaine.Tous les courants du passé se r<strong>et</strong>rouvent, se rejoignent <strong>et</strong> seconfon<strong>de</strong>nt en chaque vie. Ils contribuent à faire l'âme gran<strong>de</strong> ouchétive, bril<strong>la</strong>nte ou obscure, puissante ou misérable. Chez <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>nos contemporains, ces courants ne réussissent à faire que <strong>de</strong>s âmesindifférentes, sans cesse ballottées entre les souffles du bien <strong>et</strong> du mal,<strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'erreur, <strong>de</strong> <strong>la</strong> passion <strong>et</strong> du <strong>de</strong>voir.Ainsi, dans l'enchaînement <strong>de</strong> nos étapes terrestres, se poursuit <strong>et</strong> secomplète l'oeuvre grandiose <strong>de</strong> notre éducation, <strong>la</strong> lente édification <strong>de</strong>notre individualité, <strong>de</strong> notre personnalité morale. C'est pourquoi l'âme


LA REINCARNATION ET SES LOIS 129doit s'incarner successivement dans les milieux les plus divers, danstoutes les conditions sociales, subir tour à tour les épreuves <strong>de</strong> <strong>la</strong>pauvr<strong>et</strong>é <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> richesse, apprendre à obéir, puis à comman<strong>de</strong>r. Il luifaut les vies obscures, vies <strong>de</strong> <strong>la</strong>beur, <strong>de</strong> privations, pour apprendre lerenoncement aux vanités matérielles, le détachement <strong>de</strong>s choses frivoles,<strong>la</strong> patience, <strong>la</strong> discipline <strong>de</strong> l'esprit. Il faut les existences d'étu<strong>de</strong>, lesmissions <strong>de</strong> dévouement, <strong>de</strong> charité, par lesquelles l'intelligence s'éc<strong>la</strong>ire<strong>et</strong> le coeur s'enrichit <strong>de</strong> qualités nouvelles. Puis viendront les vies <strong>de</strong>sacrifice, sacrifice à <strong>la</strong> famille, à <strong>la</strong> patrie, à l'humanité. Il faut aussil'épreuve cruelle, fournaise où l'orgueil <strong>et</strong> l'égoïsme se dissolvent, <strong>et</strong> lesétapes douloureuses qui sont le rachat du passé, <strong>la</strong> réparation <strong>de</strong> nosfautes, <strong>la</strong> forme sous <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> justice s'accomplit. L'esprit s<strong>et</strong>rempe, s'affine, s'épure par <strong>la</strong> lutte <strong>et</strong> <strong>la</strong> souffrance. Il revient expierdans le milieu même où il s'est rendu coupable. Il arrive parfois que lesépreuves font <strong>de</strong> notre existence un calvaire, mais ce calvaire est unsomm<strong>et</strong> qui nous rapproche <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s heureux.Donc, il n'y a pas <strong>de</strong> fatalité. C'est l'homme, par sa propre volonté, quiforge ses chaînes ; c'est lui qui tisse, fil à fil, jour par jour, <strong>de</strong> sanaissance à sa mort, le réseau <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée. La loi <strong>de</strong> justice n'est, aufond, que <strong>la</strong> loi d'harmonie. Elle détermine les conséquences <strong>de</strong>s actesque, librement, nous accomplissons. Elle ne punit ni ne récompense,mais prési<strong>de</strong> simplement à l'ordre, à l'équilibre du mon<strong>de</strong> moral comme àcelui du mon<strong>de</strong> physique. Tout préjudice porté à l'ordre universelentraîne <strong>de</strong>s causes <strong>de</strong> souffrance <strong>et</strong> une réparation nécessaire, jusqu'à ceque, par les soins du coupable, l'harmonie violée soit rétablie.La <strong>de</strong>stinée n'a d'autre règle que celle du bien <strong>et</strong> du mal accomplis. Surtoutes choses p<strong>la</strong>ne une gran<strong>de</strong> <strong>et</strong> puissante loi, en vertu <strong>de</strong> <strong>la</strong>quellechaque être vivant dans l'univers ne peut jouir que d'une situationproportionnée à ses mérites. Notre bonheur, malgré <strong>de</strong>s apparencessouvent trompeuses, est toujours en rapport direct avec notre capacitépour le bien. Et c<strong>et</strong>te loi trouve sa complète application dans lesréincarnations <strong>de</strong> l'âme ; c'est elle qui fixe les conditions <strong>de</strong> chaquerenaissance <strong>et</strong> trace les gran<strong>de</strong>s lignes <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>stinées. C'est pourquoi<strong>de</strong>s méchants semblent heureux tandis que <strong>de</strong>s justes souffrent à l'excès.L'heure <strong>de</strong> <strong>la</strong> réparation a sonné pour les uns ; elle est proche pour lesautres.


130 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEAssocier nos actes au p<strong>la</strong>n divin, agir <strong>de</strong> concert avec <strong>la</strong> nature, dansle sens <strong>de</strong> l'harmonie <strong>et</strong> pour le bien <strong>de</strong> tous, c'est préparer notreélévation, notre félicité. Agir dans le sens contraire, fomenter <strong>la</strong>discor<strong>de</strong>, aiguiser les appétits malsains, travailler pour soi-même audétriment <strong>de</strong>s autres, c'est répandre <strong>sur</strong> son propre avenir <strong>de</strong>s ferments <strong>de</strong>douleur ; c'est se p<strong>la</strong>cer sous l'empire d'influences qui r<strong>et</strong>ar<strong>de</strong>nt notreavancement <strong>et</strong> nous enchaînent pour longtemps aux mon<strong>de</strong>s inférieurs.Voilà ce qu'il faut dire, redire <strong>et</strong> faire pénétrer dans <strong>la</strong> pensée, dans <strong>la</strong>conscience <strong>de</strong> tous, afin que l'homme n'ait plus qu'un but : conquérir lesforces morales, sans lesquelles il sera toujours impuissant à améliorer sacondition <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> l'humanité ! En faisant connaître les eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi<strong>de</strong> responsabilité, en démontrant que les conséquences <strong>de</strong> nos actesr<strong>et</strong>ombent <strong>sur</strong> nous à travers les temps, comme <strong>la</strong> pierre <strong>la</strong>ncée en l'airr<strong>et</strong>ombe <strong>sur</strong> le sol, on amènera peu à peu les hommes à conformer leursagissements à c<strong>et</strong>te loi, à réaliser l'ordre, <strong>la</strong> justice, <strong>la</strong> solidarité dans lemilieu social.** *Certaines écoles spiritualistes combattent le principe <strong>de</strong>s viessuccessives <strong>et</strong> enseignent que l'évolution <strong>de</strong> l'âme après <strong>la</strong> mort sepoursuit uniquement dans le mon<strong>de</strong> invisible. D'autres, tout en adm<strong>et</strong>tant<strong>la</strong> réincarnation, croient que celle-ci s'effectue <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s sphères plusélevées ; le r<strong>et</strong>our <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre ne leur paraît pas être une nécessité.Aux partisans <strong>de</strong> ces théories, nous rappellerons que l'incarnation <strong>sur</strong><strong>la</strong> terre a un but, <strong>et</strong> ce but, c'est le perfectionnement <strong>de</strong> l'être humain. Or,étant donnée <strong>la</strong> variété infinie <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> l'existence terrestre, soitdans sa durée, soit dans ses résultats, il est impossible d'adm<strong>et</strong>tre qu<strong>et</strong>ous les hommes puissent atteindre un même <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> perfection dansune seule vie. De là, l'obligation <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ours successifs, perm<strong>et</strong>tantd'acquérir les qualités requises pour pénétrer <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s plusavancés.<strong>Le</strong> présent ne s'explique que par le passé. Il a fallu toute une série <strong>de</strong>renaissances terrestres pour gagner le point où l'homme est actuellementparvenu, <strong>et</strong> il n'est guère admissible que ce point d'évolution soitdéfinitif pour notre sphère. Tous ses habitants ne sont pas en état <strong>de</strong>transmigrer après <strong>la</strong> mort vers <strong>de</strong>s sociétés plus parfaites. Tout, aucontraire, indique l'imperfection <strong>de</strong> leur nature <strong>et</strong> <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong>


LA REINCARNATION ET SES LOIS 131nouveaux travaux, <strong>de</strong> nouvelles épreuves, pour parfaire leur éducation <strong>et</strong>leur perm<strong>et</strong>tre d'accé<strong>de</strong>r à un <strong>de</strong>gré supérieur <strong>de</strong> l'échelle <strong>de</strong>s êtres.Partout <strong>la</strong> nature procè<strong>de</strong> avec sagesse, métho<strong>de</strong> <strong>et</strong> lenteur. Il lui afallu <strong>de</strong>s siècles nombreux pour façonner <strong>la</strong> forme humaine. Lacivilisation n'a pris naissance qu'après <strong>de</strong> longues pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> barbarie.L'évolution physique <strong>et</strong> mentale, le progrès moral, sont régis par <strong>de</strong>s loisi<strong>de</strong>ntiques. Nous ne saurions y satisfaire en une seule existence. Etpourquoi aller chercher bien loin, <strong>sur</strong> d'autres mon<strong>de</strong>s, les éléments <strong>de</strong>nouveaux progrès, alors que nous les trouvons partout autour <strong>de</strong> nous ?Depuis <strong>la</strong> sauvagerie jusqu'à <strong>la</strong> civilisation <strong>la</strong> plus raffinée, notre p<strong>la</strong>nèten'offre-t-elle pas un vaste champ au développement <strong>de</strong> l'esprit ? <strong>Le</strong>scontrastes, les oppositions qu'y présentent, sous toutes leurs formes, lebien <strong>et</strong> le mal, le savoir <strong>et</strong> l'ignorance, sont autant d'exemples <strong>et</strong>d'enseignements, autant <strong>de</strong> causes d'ému<strong>la</strong>tion.Il n'est pas plus extraordinaire <strong>de</strong> renaître que <strong>de</strong> naître. L'âme revientdans <strong>la</strong> chair pour y subir les lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> nécessité. <strong>Le</strong>s besoins, les luttes<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie matérielle sont autant <strong>de</strong> stimu<strong>la</strong>nts qui l'obligent au travail,accroissent son énergie, trempent son caractère. De tels résultats nepourraient être obtenus dans <strong>la</strong> vie libre <strong>de</strong> l'espace, par <strong>de</strong>s Espritsjeunes, dont <strong>la</strong> volonté est chance<strong>la</strong>nte. Pour avancer, il leur faut le fou<strong>et</strong><strong>de</strong> <strong>la</strong> nécessité <strong>et</strong> les nombreuses incarnations au cours <strong>de</strong>squelles leurâme va se concentrer, se replier <strong>sur</strong> elle-même, acquérir le ressort, l'é<strong>la</strong>nindispensable pour décrire plus tard son immense trajectoire dans le ciel.<strong>Le</strong> but <strong>de</strong> ces incarnations est donc, en quelque sorte, <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>l'âme à elle-même, ou plutôt sa propre mise en valeur par ledéveloppement constant <strong>de</strong> ses forces, <strong>de</strong> sa connaissance, <strong>de</strong> saconscience, <strong>de</strong> sa volonté. L'âme inférieure <strong>et</strong> nouvelle ne peut <strong>de</strong>venirconsciente d'elle-même qu'à <strong>la</strong> condition d'être séparée <strong>de</strong>s autres âmes,enfermée dans un corps matériel. Elle constituera ainsi un être distinctdont <strong>la</strong> personnalité va s'affirmer, l'expérience grandir, <strong>la</strong> progressions'accentuer en raison même <strong>de</strong> ses efforts pour triompher <strong>de</strong>s difficultés<strong>et</strong> <strong>de</strong>s obstacles que <strong>la</strong> vie terrestre multiplie sous ses pas.<strong>Le</strong>s existences p<strong>la</strong>nétaires nous m<strong>et</strong>tent en rapport avec tout un ordre<strong>de</strong> choses qui constituent le p<strong>la</strong>n initial, <strong>la</strong> base <strong>de</strong> notre évolutioninfinie ; elles se trouvent en parfaite harmonie avec notre <strong>de</strong>gréd'évolution. Mais c<strong>et</strong> ordre <strong>de</strong> choses <strong>et</strong> <strong>la</strong> série <strong>de</strong>s vies qui s'yrattachent, si nombreuses soient-elles, ne représentent qu'une fraction


132 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEinfime <strong>de</strong> l'existence sidérale, un instant dans <strong>la</strong> durée illimitée <strong>de</strong> nos<strong>de</strong>stins.<strong>Le</strong> passage <strong>de</strong>s âmes terrestres <strong>sur</strong> d'autres mon<strong>de</strong>s s'effectue sousl'empire <strong>de</strong> certaines lois. <strong>Le</strong>s globes peup<strong>la</strong>nt l'étendue diffèrent entreeux <strong>de</strong> nature <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>nsité. <strong>Le</strong>s enveloppes fluidiques <strong>de</strong>s âmes nepeuvent s'adapter à ces milieux nouveaux que dans <strong>de</strong>s conditionsspéciales d'épuration. Il est impossible aux esprits inférieurs, dans leurvie erratique, <strong>de</strong> pénétrer <strong>sur</strong> les mon<strong>de</strong>s élevés <strong>et</strong> d'en décrire lesbeautés à nos médiums. La même difficulté se r<strong>et</strong>rouve, plus gran<strong>de</strong>encore, lorsqu'il s'agit <strong>de</strong> <strong>la</strong> réincarnation <strong>sur</strong> ces mon<strong>de</strong>s. <strong>Le</strong>s sociétésqui les habitent, par leur état <strong>de</strong> supériorité, sont inaccessibles àl'immense majorité <strong>de</strong>s esprits terrestres, encore trop grossiers,insuffisamment évolués. <strong>Le</strong>s sens psychiques <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers, trop peuaffinés, ne leur perm<strong>et</strong>traient pas <strong>de</strong> vivre <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie subtile qui règne <strong>sur</strong>ces sphères lointaines. Ils s'y trouveraient comme <strong>de</strong>s aveugles dans <strong>la</strong>lumière ou <strong>de</strong>s sourds dans un concert. L'attraction qui enchaîne leurscorps fluidiques à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète ne lie pas moins leur pensée <strong>et</strong> leurconscience aux choses inférieures. <strong>Le</strong>urs désirs, leurs appétits, leurshaines, l'amour même les ramènent ici-bas <strong>et</strong> les attachent à l'obj<strong>et</strong> <strong>de</strong>leur passion.Il faut apprendre d'abord à dénouer les liens qui nous rivent à <strong>la</strong> terre,pour prendre ensuite notre essor vers <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s plus avancés. Arracherles âmes terrestres à leur milieu avant le terme <strong>de</strong> l'évolution spéciale àce milieu, les faire transmigrer <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s sphères supérieures avant <strong>la</strong>réalisation <strong>de</strong>s progrès nécessaires, serait manquer <strong>de</strong> logique <strong>et</strong> <strong>de</strong>me<strong>sur</strong>e. La nature ne procè<strong>de</strong> pas ainsi. Son oeuvre se déroule,majestueuse, harmonique dans toutes ses phases. <strong>Le</strong>s êtres que ses loisdirigent dans leur ascension ne quittent leur champ d'action qu'aprèsavoir acquis les vertus <strong>et</strong> les puissances susceptibles <strong>de</strong> leur ouvrirl'accès d'un domaine plus élevé <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie universelle.** *A quelles règles le r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> l'âme dans <strong>la</strong> chair est-il soumis ? Auxrègles <strong>de</strong> l'attraction <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'affinité. Lorsqu'un esprit se réincarne, il estattiré vers un milieu conforme à ses tendances, à son caractère, à son<strong>de</strong>gré d'évolution. <strong>Le</strong>s âmes se suivent <strong>et</strong> s'incarnent par groupes. Ellesconstituent <strong>de</strong>s familles spirituelles, dont les membres sont unis par <strong>de</strong>s


134 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEL'esprit avancé, dont <strong>la</strong> liberté s'accroît en proportion <strong>de</strong> son élévation,choisit le milieu où il veut renaître, tandis que l'esprit inférieur estpoussé par une force mystérieuse à <strong>la</strong>quelle il obéit instinctivement ;mais tous sont protégés, conseillés, soutenus dans le passage <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>l'espace à l'existence terrestre, plus pénible, plus redoutable que <strong>la</strong> mort.L'union <strong>de</strong> l'âme au corps s'effectue au moyen <strong>de</strong> l'enveloppefluidique, <strong>de</strong> ce périsprit dont nous avons souvent parlé. Par sa naturesubtile, il servira <strong>de</strong> lien entre l'esprit <strong>et</strong> <strong>la</strong> matière. L'âme est attachée augerme par «ce médiateur p<strong>la</strong>stique», qui va se resserrer, se con<strong>de</strong>nser <strong>de</strong>plus en plus à travers les phases progressives <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestation <strong>et</strong> former lecorps physique. Depuis <strong>la</strong> conception jusqu'à <strong>la</strong> naissance, <strong>la</strong> fusions'opère lentement, fibre à fibre, molécule à molécule. Sous l'affluxcroissant <strong>de</strong>s éléments matériels <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> force vitale fournis par lesgénérateurs, les mouvements vibratoires du périsprit <strong>de</strong> l'enfant vonts'amoindrir <strong>et</strong> se réduire, en même temps que les facultés <strong>de</strong> l'âme, <strong>la</strong>mémoire, <strong>la</strong> conscience, s'effacent <strong>et</strong> s'annihilent. C'est à c<strong>et</strong>te réduction<strong>de</strong>s vibrations fluidiques du périsprit, à son occlusion dans <strong>la</strong> chair, qu'ilfaut attribuer <strong>la</strong> perte du souvenir <strong>de</strong>s vies antérieures. Un voile toujoursplus épais enveloppe l'âme <strong>et</strong> éteint ses radiations intérieures. Toutes lesimpressions <strong>de</strong> sa vie céleste <strong>et</strong> <strong>de</strong> son long passé ont replongé dans lesprofon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> l'inconscient. Elles n'en émergeront plus qu'aux heuresd'extériorisation ou à <strong>la</strong> mort, lorsque l'esprit, recouvrant <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>ses mouvements vibratoires, évoquera le mon<strong>de</strong> endormi <strong>de</strong> sessouvenirs.<strong>Le</strong> rôle du double fluidique est considérable ; il explique, <strong>de</strong> <strong>la</strong>naissance à <strong>la</strong> mort, tous les phénomènes vitaux. Possédant en lui <strong>la</strong>trace ineffaçable <strong>de</strong> tous les états <strong>de</strong> l'être <strong>de</strong>puis son origine, il encommunique l'empreinte, les traits essentiels au germe matériel. La clé<strong>de</strong>s phénomènes embryogéniques est là.Pendant <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> gestation, le périsprit s'imprègne <strong>de</strong> flui<strong>de</strong> vital<strong>et</strong> se matérialise suffisamment pour <strong>de</strong>venir le régu<strong>la</strong>teur <strong>de</strong> l'énergie <strong>et</strong>le support <strong>de</strong>s éléments fournis par les progéniteurs. Il constitue ainsiune sorte <strong>de</strong> canevas, <strong>de</strong> réseau fluidique permanent, au travers duquelpassera le courant <strong>de</strong> matière qui détruit <strong>et</strong> reconstitue sans cesse, durant<strong>la</strong> vie, l'organisme terrestre. Ce sera l'armature invisible qui soutientintérieurement <strong>la</strong> statue humaine. Grâce à lui, l'individualité <strong>et</strong> <strong>la</strong>mémoire se conserveront, se perpétueront <strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n physique, malgré


LA REINCARNATION ET SES LOIS 135les vicissitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> partie changeante <strong>et</strong> mobile <strong>de</strong> l'être. Et il as<strong>sur</strong>era<strong>de</strong> même le souvenir <strong>de</strong>s faits <strong>de</strong> l'existence présente, souvenirs dontl'enchaînement, du berceau à <strong>la</strong> tombe, nous fournit <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> intime<strong>de</strong> notre i<strong>de</strong>ntité.L'incorporation <strong>de</strong> l'âme n'est donc pas spontanée, comme certainesdoctrines l'affirment ; elle est graduelle <strong>et</strong> ne <strong>de</strong>vient complète,définitive, qu'à l'issue <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie utérine. A ce moment, <strong>la</strong> matière enserrecomplètement l'esprit, qui <strong>de</strong>vra <strong>la</strong> vivifier par l'action <strong>de</strong>s facultésacquises. Longue sera <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> développement, pendant <strong>la</strong>quellel'âme s'appliquera à façonner sa nouvelle enveloppe, à <strong>la</strong> plier à sesbesoins, à en faire un instrument capable <strong>de</strong> manifester ses puissancesintimes. Mais, dans c<strong>et</strong>te oeuvre, elle sera assistée par un Esprit préposéà sa gar<strong>de</strong>, qui veille <strong>sur</strong> elle, l'inspire <strong>et</strong> <strong>la</strong> gui<strong>de</strong> pendant toute <strong>la</strong> durée<strong>de</strong> son pèlerinage terrestre. Et chaque nuit, pendant le sommeil, <strong>et</strong>souvent dans le jour, durant <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> enfantine, l'esprit se dégage <strong>de</strong> saforme charnelle, r<strong>et</strong>ourne dans l'espace puiser <strong>de</strong>s forces <strong>et</strong> <strong>de</strong>sencouragements, pour re<strong>de</strong>scendre ensuite dans son enveloppe reposée,reprendre le cours pénible <strong>de</strong> l'existence.** *Avant <strong>de</strong> reprendre contact avec <strong>la</strong> matière <strong>et</strong> <strong>de</strong> commencer unenouvelle carrière, l'Esprit, avons-nous dit, doit choisir le milieu où il varenaître à <strong>la</strong> vie terrestre. Mais ce choix est limité, circonscrit, déterminépar <strong>de</strong>s causes multiples. <strong>Le</strong>s antériorités <strong>de</strong> l'être, ses <strong>de</strong>ttes morales, sesaffections, ses mérites <strong>et</strong> ses démérites, le rôle qu'il est apte à remplir,tous ces éléments interviennent dans l'orientation <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie enpréparation. De là <strong>la</strong> préférence pour telle race, telle nation, telle famille.<strong>Le</strong>s âmes terrestres que nous avons aimées nous attirent. <strong>Le</strong>s liens dupassé se renouent en <strong>de</strong>s filiations, <strong>de</strong>s alliances, <strong>de</strong>s amitiés nouvelles.<strong>Le</strong>s lieux mêmes exercent <strong>sur</strong> nous leur attirance mystérieuse, <strong>et</strong> il estrare que <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée ne nous ramène pas plusieurs fois dans les contréesoù, déjà, nous avons vécu, aimé, souffert. <strong>Le</strong>s haines aussi sont <strong>de</strong>sforces qui nous rapprochent <strong>de</strong> nos ennemis d'autrefois, afin d'effacer,par <strong>de</strong>s rapports meilleurs, <strong>de</strong> vieilles inimitiés. Ainsi nous r<strong>et</strong>rouvons<strong>sur</strong> notre route <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> ceux qui firent notre joie ou nos tourments.Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> l'adoption d'une c<strong>la</strong>sse sociale, <strong>de</strong>s conditionsd'ambiance <strong>et</strong> d'éducation, <strong>de</strong>s privilèges <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé, <strong>de</strong>s


136 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEmisères <strong>de</strong> <strong>la</strong> pauvr<strong>et</strong>é. Toutes ces causes si variées, si complexes, vontse combiner pour as<strong>sur</strong>er au nouvel incarné les satisfactions, lesavantages ou les épreuves que comportent son <strong>de</strong>gré d'évolution, sesmérites ou ses fautes <strong>et</strong> les <strong>de</strong>ttes par lui contractées.On comprendra d'après ce<strong>la</strong> combien le choix du milieu est difficile.Aussi, le plus souvent, ce choix, les Intelligences directrices nousl'inspirent, ou bien elles le feront elles-mêmes, à notre profit, si nous nepossédons pas le discernement nécessaire pour adopter, en toute sagesse<strong>et</strong> prévoyance, les moyens les plus efficaces pour activer notre évolution<strong>et</strong> purger notre passé.Toutefois, l'intéressé reste libre d'accepter ou <strong>de</strong> reculer l'heure <strong>de</strong>sréparations inéluctables. Au moment <strong>de</strong> s'attacher à un germe humain,lorsque l'âme possè<strong>de</strong> encore toute sa lucidité, son Gui<strong>de</strong> déploie <strong>de</strong>vantelle le panorama <strong>de</strong> l'existence qui l'attend ; il lui montre les obstacles <strong>et</strong>les maux dont elle sera parsemée ; il lui fait comprendre leur utilité pourdévelopper ses vertus ou dépouiller ses vices. Si l'épreuve lui paraît tropru<strong>de</strong>, s'il ne se sent pas assez armé pour l'affronter, il est loisible à l'espritd'en reculer l'échéance <strong>et</strong> <strong>de</strong> rechercher une vie transitoire qui accroîtrases forces morales <strong>et</strong> sa volonté.A l'heure <strong>de</strong>s résolutions suprêmes, avant <strong>de</strong> re<strong>de</strong>scendre dans <strong>la</strong> chair,l'Esprit perçoit, saisit le sens général <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie qui va commencer. Il <strong>la</strong>voit apparaître dans ses gran<strong>de</strong>s lignes, dans ses faits culminants,toujours modifiables cependant par son action personnelle <strong>et</strong> l'usage <strong>de</strong>son libre arbitre ; car l'âme est maîtresse <strong>de</strong> ses actes. Mais dès qu'elle aprononcé, dès que le lien se noue <strong>et</strong> que l'incorporation s'ébauche, touts'efface, tout s'évanouit. L'existence va se dérouler avec toutes sesconséquences prévues, acceptées, voulues, sans qu'aucune intuition <strong>de</strong>l'avenir subsiste dans <strong>la</strong> conscience normale <strong>de</strong> l'être incarné. L'oubli estnécessaire pendant <strong>la</strong> vie matérielle. La connaissance anticipée <strong>de</strong>sévénements néfastes qui vont <strong>sur</strong>gir, <strong>la</strong> prévision <strong>de</strong>s maux ou <strong>de</strong>scatastrophes qui nous atten<strong>de</strong>nt, paralyseraient nos efforts, suspendraientnotre marche en avant.Quant au choix du sexe, c'est encore l'âme qui en déci<strong>de</strong> à l'avance.Elle peut même en changer d'une incarnation à l'autre par un acte <strong>de</strong> savolonté créatrice modifiant les conditions organiques du périsprit.Certains penseurs adm<strong>et</strong>tent que l'alternance <strong>de</strong>s sexes est nécessaire,pour acquérir <strong>de</strong>s vertus plus spéciales, disent-ils, à chacune <strong>de</strong>s moitiés


LA REINCARNATION ET SES LOIS 137du genre humain ; par exemple, chez l'homme, <strong>la</strong> volonté, <strong>la</strong> ferm<strong>et</strong>é, lecourage ; chez <strong>la</strong> femme, <strong>la</strong> tendresse, <strong>la</strong> patience, <strong>la</strong> pur<strong>et</strong>é.Nous croyons plutôt, d'après les instructions <strong>de</strong> nos Gui<strong>de</strong>s, que lechangement <strong>de</strong> sexe, toujours possible pour l'esprit, est, en principe,inutile <strong>et</strong> dangereux. <strong>Le</strong>s Esprits élevés le déconseillent. Il est facile <strong>de</strong>reconnaître, à première vue, autour <strong>de</strong> nous, les personnes qui, dans uneexistence précé<strong>de</strong>nte, avaient adopté un sexe différent ; ce sont toujours,à quelque point <strong>de</strong> vue, <strong>de</strong>s anormaux. <strong>Le</strong>s viragos, au caractère <strong>et</strong> auxgoûts masculins, dont quelques-unes portent encore <strong>la</strong> trace <strong>de</strong>s attributs<strong>de</strong> l'autre sexe, par exemple <strong>de</strong> <strong>la</strong> barbe au menton, sont évi<strong>de</strong>mment <strong>de</strong>shommes réincarnés. Elles n'ont rien d'esthétique ni <strong>de</strong> séduisant. Il en est<strong>de</strong> même <strong>de</strong> ces hommes efféminés, qui ont toutes les caractéristiques<strong>de</strong>s filles d'Eve <strong>et</strong> sont comme <strong>de</strong>s égarés dans <strong>la</strong> vie. Lorsqu'un Esprit apris l'habitu<strong>de</strong> d'un sexe, il est mauvais pour lui <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> ce qui est<strong>de</strong>venu sa nature.Beaucoup d'âmes, créées par couples, sont <strong>de</strong>stinées à évoluerensemble, unies pour toujours, dans <strong>la</strong> joie comme dans <strong>la</strong> douleur. Onles a appelées <strong>de</strong>s âmes-soeurs ; leur nombre est plus considérable qu'onne le croit généralement. Elles réalisent <strong>la</strong> forme <strong>la</strong> plus complète, <strong>la</strong> plusparfaite <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>et</strong> du sentiment, <strong>et</strong> donnent aux autres âmes l'exempled'un amour fidèle, inaltérable, profond ; on peut les reconnaître à ce trait,fortement accusé. Que <strong>de</strong>viendraient leur attachement, leurs rapports,leur <strong>de</strong>stinée, si le changement <strong>de</strong> sexe était une nécessité, une loi ?Nous pensons plutôt que, par le fait même <strong>de</strong> l'ascension générale, lesnobles caractères <strong>et</strong> les hautes vertus se multiplieront dans les <strong>de</strong>uxsexes à <strong>la</strong> fois. Finalement, aucune qualité ne restera plus l'apanage d'unsexe isolé, mais l'attribut <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux.Il est un point <strong>de</strong> vue, le seul, qui pourrait faire considérer lechangement <strong>de</strong> sexe comme un acte imposé par <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> justice <strong>et</strong> <strong>de</strong>réparation : c'est lorsque <strong>de</strong> mauvais traitements ou <strong>de</strong> graves dommagesinfligés à <strong>de</strong>s personnes d'un sexe attirent dans ce même sexe les Espritsresponsables, pour y subir à leur tour, les eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong>s causes qu'ils ont faitnaître. Mais <strong>la</strong> peine du talion ne régit pas d'une manière absolue lemon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s âmes, comme nous le verrons plus loin : il existe milleformes sous lesquelles <strong>la</strong> réparation peut s'accomplir <strong>et</strong> les causes du mals'effacer. La chaîne toute-puissante <strong>de</strong>s causes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s se déroule enmille anneaux divers.


138 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEOn nous objectera peut-être qu'il serait inique <strong>de</strong> contraindre <strong>la</strong> moitié<strong>de</strong>s Esprits à évoluer dans un sexe plus faible <strong>et</strong> trop souvent opprimé,humilié, sacrifié par une organisation sociale encore barbare. Nouspouvons répondre que c<strong>et</strong> état <strong>de</strong> choses tend à disparaître <strong>de</strong> jour enjour, pour faire p<strong>la</strong>ce à une plus <strong>la</strong>rge équité. C'est par le relèvementmoral <strong>et</strong> social <strong>et</strong> l'éducation forte <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme que l'humanité serelèvera elle-même. Quant aux douleurs du passé, nous le savons, ellesne sont pas perdues. L'esprit qui a souffert <strong>de</strong>s iniquités socialesrecueille, <strong>de</strong> par <strong>la</strong> loi d'équilibre <strong>et</strong> <strong>de</strong> compensation, le résultat <strong>de</strong>sépreuves subies. L'esprit féminin, nous disent les Gui<strong>de</strong>s, monte d'unessor plus rapi<strong>de</strong> vers <strong>la</strong> perfection.<strong>Le</strong> rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme est immense dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s peuples. Soeur,épouse ou mère, c'est <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> conso<strong>la</strong>trice <strong>et</strong> <strong>la</strong> douce conseillère. Parl'enfant, elle tient l'avenir <strong>et</strong> prépare l'homme futur. Aussi, les sociétésqui l'abaissent s'abaissent elles-mêmes. C'est <strong>la</strong> femme respectée,honorée, éc<strong>la</strong>irée, qui fait <strong>la</strong> famille forte, <strong>la</strong> société gran<strong>de</strong>, morale,unie !** *Certaines attirances sont redoutables pour les âmes en quête <strong>de</strong>sconditions d'une renaissance, par exemple les familles d'alcooliques, <strong>de</strong>débauchés, <strong>de</strong> déments. Comment concilier <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> justice avecl'incarnation <strong>de</strong>s êtres en <strong>de</strong> tels milieux ? N'y a-t-il pas là, en jeu, <strong>de</strong>sraisons psychiques profon<strong>de</strong>s <strong>et</strong> cachées, <strong>et</strong> les causes physiques ne sontellespas une simple apparence ? Nous l'avons vu, <strong>la</strong> loi d'affinitérapproche les êtres simi<strong>la</strong>ires. Tout un passé coupable entraîne l'âmearriérée vers <strong>de</strong>s groupes qui présentent <strong>de</strong>s analogies avec son propreétat fluidique <strong>et</strong> mental, état qu'elle a créé par ses pensées <strong>et</strong> ses actions.Il n'y a, en ces problèmes, aucune p<strong>la</strong>ce pour l'arbitraire ou le hasard.C'est le mauvais usage prolongé <strong>de</strong> son libre arbitre, <strong>la</strong> poursuiteconstante <strong>de</strong> résultats égoïstes ou malfaisants qui attire l'âme vers <strong>de</strong>sprogéniteurs semb<strong>la</strong>bles à elle. Ils lui fourniront <strong>de</strong>s matériaux enharmonie avec son organisme fluidique, imprégnés <strong>de</strong>s mêmes tendancesgrossières, propres à <strong>la</strong> manifestation <strong>de</strong>s mêmes appétits, <strong>de</strong>s mêmesdésirs. Une nouvelle existence s'ouvrira, nouvel échelon <strong>de</strong> chute vers levice <strong>et</strong> <strong>la</strong> criminalité. C'est <strong>la</strong> <strong>de</strong>scente vers l'abîme.


LA REINCARNATION ET SES LOIS 139Maîtresse <strong>de</strong> son <strong>de</strong>stin, l'âme doit subir l'état <strong>de</strong> choses qu'elle apréparé, voulu. Toutefois, après avoir fait <strong>de</strong> sa conscience un antr<strong>et</strong>énébreux, un repaire du mal, elle <strong>de</strong>vra <strong>la</strong> transformer en temple <strong>de</strong>lumière. <strong>Le</strong>s fautes accumulées feront naître <strong>de</strong>s souffrances plus vives ;les incarnations se succé<strong>de</strong>ront plus pénibles, plus douloureuses ; lecercle <strong>de</strong> fer se resserrera jusqu'à ce que l'âme, broyée par l'engrenage<strong>de</strong>s causes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s créés par elle, comprendra <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> réagircontre ses tendances, <strong>de</strong> vaincre ses mauvaises passions <strong>et</strong> <strong>de</strong> changer <strong>de</strong>voie. Dès lors, pour peu que le repentir <strong>la</strong> touche, elle sentira naître enelle <strong>de</strong>s forces, <strong>de</strong>s impulsions nouvelles qui <strong>la</strong> porteront vers <strong>de</strong>smilieux plus purs. Elle y puisera <strong>de</strong>s formes, <strong>de</strong>s éléments mieuxappropriés à son oeuvre <strong>de</strong> réparation, <strong>de</strong> rénovation. Pas à pas, <strong>de</strong>sprogrès seront accomplis. Dans l'âme repentante <strong>et</strong> attendrie, <strong>de</strong>s rayons,<strong>de</strong>s effluves pénétreront, <strong>de</strong>s aspirations inconnues, <strong>de</strong>s besoins d'actionutile, <strong>de</strong> dévouement s'éveilleront. C<strong>et</strong>te loi d'attraction qui <strong>la</strong> poussaitvers les bas-fonds sociaux se r<strong>et</strong>ournera en sa faveur <strong>et</strong> <strong>de</strong>viendral'instrument <strong>de</strong> sa régénération.Pourtant, le relèvement ne se fera pas sans peine ; l'ascension ne sepoursuivra pas sans difficultés. <strong>Le</strong>s fautes, les erreurs d'antan serépercutent en causes d'obstruction <strong>sur</strong> les vies futures. L'effort <strong>de</strong>vraêtre d'autant plus énergique <strong>et</strong> prolongé que les responsabilités serontplus lour<strong>de</strong>s, <strong>et</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> résistance <strong>et</strong> d'obstination dans le mal plusétendue. A travers <strong>la</strong> ru<strong>de</strong> remontée, le passé dominera longtemps leprésent, <strong>et</strong> son poids fera fléchir plus d'une fois les épaules du marcheur.Mais d'en haut, <strong>de</strong>s mains secourables se tendront vers lui <strong>et</strong> l'ai<strong>de</strong>ront àfranchir les passages les plus escarpés. «Il y a plus <strong>de</strong> joie dans le cielpour un pécheur repentant que pour cent justes qui persévèrent.»Notre avenir est entre nos mains <strong>et</strong> nos facilités pour le biens'accroissent en raison même <strong>de</strong> nos efforts pour le réaliser. Toute vienoble <strong>et</strong> pure, toute mission supérieure est le résultat d'un immense passé<strong>de</strong> luttes, d'échecs subis, <strong>de</strong> victoires remportées <strong>sur</strong> soi-même, lecouronnement <strong>de</strong> longs <strong>et</strong> patients travaux, l'accumu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> fruits <strong>de</strong>science <strong>et</strong> <strong>de</strong> charité récoltés un à un au cours <strong>de</strong>s âges. Chaque facultébril<strong>la</strong>nte, chaque vertu soli<strong>de</strong> a nécessité <strong>de</strong>s existences multiples <strong>de</strong><strong>la</strong>beur obscur, <strong>de</strong> combats violents entre l'esprit <strong>et</strong> <strong>la</strong> chair, <strong>la</strong> passion <strong>et</strong>le <strong>de</strong>voir. Pour parvenir au talent, au génie, <strong>la</strong> pensée a dû mûrirlentement à travers les siècles. <strong>Le</strong> champ <strong>de</strong> l'intelligence, péniblement


140 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEdéfriché, n'a donné d'abord que <strong>de</strong> maigres récoltes, puis peu à peu sontvenues les moissons <strong>de</strong> plus en plus riches <strong>et</strong> abondantes.A chaque r<strong>et</strong>our dans l'espace s'établit <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce <strong>de</strong>s pertes <strong>et</strong> <strong>de</strong>sbénéfices ; les progrès se me<strong>sur</strong>ent <strong>et</strong> s'affermissent. L'être s'examine <strong>et</strong>se juge. Il scrute minutieusement sa récente histoire, écrite en lui ; ilpasse en revue les fruits d'expérience <strong>et</strong> <strong>de</strong> sagesse que sa <strong>de</strong>rnière vielui a procurés, pour s'en assimiler plus profondément <strong>la</strong> substance. Lavie <strong>de</strong> l'espace, pour l'esprit évolué, c'est <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> d'examen, <strong>de</strong>recueillement, où les facultés, après s'être dépensées au-<strong>de</strong>hors, sereplient, s'appliquent à l'étu<strong>de</strong> intime, à l'interrogation <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience, àl'inventaire rigoureux <strong>de</strong> ce qu'il y a dans l'âme <strong>de</strong> beauté ou <strong>de</strong> <strong>la</strong>i<strong>de</strong>ur.La vie <strong>de</strong> l'espace, c'est le pendant nécessaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie terrestre, vied'équilibre, où les forces se reconstituent, où les énergies se r<strong>et</strong>rempent,où les enthousiasmes se raniment, où l'être se prépare aux tâches futures.C'est le repos après l'effort, le calme après <strong>la</strong> tourmente, <strong>la</strong> concentrationpaisible <strong>et</strong> sereine après l'expansion active ou le conflit ar<strong>de</strong>nt.** *D'après les théosophes, le r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> l'âme dans <strong>la</strong> chair s'effectueraittous les quinze cents ans 2 . C<strong>et</strong>te théorie n'est confirmée ni par les faits,ni par le témoignage <strong>de</strong>s Esprits. Ceux-ci, interrogés en grand nombre,en <strong>de</strong>s milieux très divers, ont répondu que <strong>la</strong> réincarnation est beaucoupplus rapi<strong>de</strong>. <strong>Le</strong>s âmes avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> progrès séjournent peu dans l'espace.Elles <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt le r<strong>et</strong>our à <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>, pour y acquérir <strong>de</strong>nouveaux titres, <strong>de</strong> nouveaux mérites. Nous possédons <strong>sur</strong> les existencesantérieures <strong>de</strong> certaine personne <strong>de</strong>s indications recueillies <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s pointstrès éloignés les uns <strong>de</strong>s autres, <strong>de</strong> <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> médiums qui ne se sontjamais connus, indications parfaitement concordantes entre elles. Ellesdémontrent que dix, vingt, trente années au plus ont séparé ses viesterrestres. En tout ceci, il n'est pas <strong>de</strong> règle précise. <strong>Le</strong>s incarnations serapprochent ou se distancent suivant l'état <strong>de</strong>s âmes, leur désir <strong>de</strong> travail<strong>et</strong> d'avancement <strong>et</strong> les occasions favorables qui s'offrent à elles. Dans lescas <strong>de</strong> mort précoce, par exemple pour les enfants en bas âge, elles sontquelquefois immédiates.2 <strong>Le</strong>s livres théosophiques, dit Annie Besant, s'accor<strong>de</strong>nt à reconnaître que «une pério<strong>de</strong>moyenne <strong>de</strong> quinze siècles sépare les incarnations». La Réincarnation, page 97.


LA REINCARNATION ET SES LOIS 141Nous le savons : le corps fluidique se matérialise ou s'affine suivant <strong>la</strong>nature <strong>de</strong>s pensées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> l'esprit. <strong>Le</strong>s âmes vicieuses, parleurs tendances, attirent à elles <strong>de</strong>s flui<strong>de</strong>s impurs, qui épaississent leurenveloppe <strong>et</strong> en réduisent les radiations. A <strong>la</strong> mort, elles ne peuvents'élever au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> nos régions <strong>et</strong> restent confinées dans l'atmosphèreou mêlées aux humains. Si elles persistent dans le mal, l'attractionp<strong>la</strong>nétaire <strong>de</strong>vient si puissante qu'elle précipite leur réincarnation.Plus l'esprit est matériel <strong>et</strong> grossier, plus <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> pesanteur ad'influence <strong>sur</strong> lui. <strong>Le</strong> phénomène inverse se produit chez les Espritspurs, dont le périsprit radieux vibre à toutes les sensations <strong>de</strong> l'infini, <strong>et</strong>qui trouvent dans les régions éthérées <strong>de</strong>s milieux appropriés à leurnature <strong>et</strong> à leur état <strong>de</strong> progression. Parvenus à un <strong>de</strong>gré supérieur, cesEsprits prolongent <strong>de</strong> plus en plus leur séjour dans l'espace ; les viesp<strong>la</strong>nétaires seront pour eux l'exception ; <strong>la</strong> vie libre <strong>de</strong>viendra <strong>la</strong> règle,jusqu'à ce que <strong>la</strong> somme <strong>de</strong>s perfections réalisées les affranchisse pourjamais <strong>de</strong> <strong>la</strong> servitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s renaissances.XIV. - LES VIES SUCCESSIVES. - PREUVESEXPERIMENTALES. - RENOVATION DE LAMEMOIRE.Dans les pages précé<strong>de</strong>ntes, nous avons exposé les raisons logiquesqui militent en faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s vies successives. Nousconsacrerons ce chapitre <strong>et</strong> les suivants à réfuter les objections <strong>de</strong> sescontradicteurs, <strong>et</strong> nous abor<strong>de</strong>rons l'ensemble <strong>de</strong>s preuves scientifiquesqui, chaque jour, viennent <strong>la</strong> consoli<strong>de</strong>r.L'objection <strong>la</strong> plus commune est celle-ci : Si l'homme a déjà vécu,<strong>de</strong>man<strong>de</strong>-t-on, pourquoi ne se souvient-il pas <strong>de</strong> ses existences passées ?Nous avons déjà indiqué sommairement <strong>la</strong> cause physiologique <strong>de</strong> c<strong>et</strong>oubli. C<strong>et</strong>te cause, c'est <strong>la</strong> renaissance elle-même, c'est-à-dire l'action <strong>de</strong>revêtir un nouvel organisme, une enveloppe matérielle qui, en sesuperposant à l'enveloppe fluidique, joue, à son égard, le rôle d'unéteignoir. Par suite <strong>de</strong> <strong>la</strong> diminution <strong>de</strong> son état vibratoire, l'esprit,chaque fois qu'il prend possession d'un corps nouveau, d'un cerveauvierge <strong>de</strong> toute image, se trouve dans l'impossibilité d'exprimer les


142 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEsouvenirs accumulés <strong>de</strong> ses vies antérieures. Ses antécé<strong>de</strong>nts, il est vrai,se révéleront encore dans ses aptitu<strong>de</strong>s, dans sa facilité d'assimi<strong>la</strong>tion,dans ses qualités <strong>et</strong> ses défauts. Mais tout le détail <strong>de</strong>s faits, <strong>de</strong>sévénements qui constituent son passé, réintégré dans les profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong><strong>la</strong> conscience, restera voilé pendant <strong>la</strong> vie terrestre. L'esprit, à l'état <strong>de</strong>veille, ne pourra plus exprimer sous les formes du <strong>la</strong>ngage que les seulesimpressions enregistrées par son cerveau matériel.La mémoire est l'enchaînement, l'association <strong>de</strong>s idées, <strong>de</strong>s faits, <strong>de</strong>sconnaissances. Dès que c<strong>et</strong>te association disparaît, dès que le fil <strong>de</strong>ssouvenirs se rompt, le passé semble s'effacer pour nous. Mais ce n'est làqu'une apparence. Dans un discours prononcé le 6 février 1905, M. leprofesseur Ch. Rich<strong>et</strong>, <strong>de</strong> l'Académie <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine, disait : «La mémoireest une faculté imp<strong>la</strong>cable <strong>de</strong> notre intelligence, car aucune <strong>de</strong> nosperceptions n'est jamais oubliée. Dès qu'un fait a frappé nos sens, alors,<strong>de</strong> manière irrémédiable, il se fixe dans <strong>la</strong> mémoire. Peu importe quenous ayons gardé <strong>la</strong> conscience <strong>de</strong> ce souvenir ; il existe, il estindélébile.»Ajoutons qu'il peut renaître. <strong>Le</strong> réveil <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire n'est qu'un eff<strong>et</strong><strong>de</strong> vibration produit par l'action <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté <strong>sur</strong> les cellules du cerveau.Pour faire revivre les souvenirs antérieurs à <strong>la</strong> naissance, il faut serep<strong>la</strong>cer en harmonie <strong>de</strong> vibrations avec l'état dynamique où nous noustrouvions à l'époque où <strong>la</strong> perception s'est établie. <strong>Le</strong>s cerveaux qui ontenregistré ces perceptions n'existant plus, il faut rechercher ces <strong>de</strong>rnièresdans <strong>la</strong> conscience profon<strong>de</strong>. Mais celle-ci reste mu<strong>et</strong>te aussi longtempsque l'esprit est enfermé dans <strong>la</strong> chair. Il doit en sortir <strong>et</strong> se dégager ducorps pour recouvrer <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses vibrations <strong>et</strong> ressaisir <strong>la</strong> trame<strong>de</strong>s souvenirs cachés en lui. Alors il perçoit son passé <strong>et</strong> peut lereconstituer dans ses moindres faits. C'est ce qui se produit dans lesphénomènes du somnambulisme <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> transe.Nous savons qu'il est en nous <strong>de</strong>s profon<strong>de</strong>urs mystérieuses où se sontdéposés lentement, à travers les âges, les sédiments <strong>de</strong> nos vies <strong>de</strong> lutte,d'étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> travail ; là se gravent tous les inci<strong>de</strong>nts, toutes lesvicissitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'obscur passé. C'est comme un océan <strong>de</strong> chosesendormies que bercent les vagues <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée. Un appel puissant <strong>de</strong> <strong>la</strong>volonté peut les faire revivre. Vers elles le regard <strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong>scend auxheures <strong>de</strong> c<strong>la</strong>irvoyance, comme les radiations d'étoiles glissent, dans les


RENOVATION DE LA MEMOIRE 143profon<strong>de</strong>urs g<strong>la</strong>uques, jusque sous les voûtes <strong>et</strong> les arceaux <strong>de</strong>s sombresr<strong>et</strong>raites <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer.** *Rappelons ici les points essentiels <strong>de</strong> <strong>la</strong> théorie du moi, à <strong>la</strong>quelle serattachent tous les problèmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience.L'i<strong>de</strong>ntité du moi, <strong>la</strong> personnalité, ne persiste <strong>et</strong> ne se maintient quepar le souvenir <strong>et</strong> <strong>la</strong> conscience. <strong>Le</strong>s réminiscences, les intuitions, lesaptitu<strong>de</strong>s déterminent <strong>la</strong> sensation d'avoir vécu. Il existe dansl'intelligence une continuité, une succession <strong>de</strong> causes <strong>et</strong> d'eff<strong>et</strong>s qu'ilfaut reconstituer dans leur ensemble pour possé<strong>de</strong>r <strong>la</strong> connaissanceintégrale du moi. Ce<strong>la</strong>, nous l'avons vu, est impossible dans <strong>la</strong> viematérielle, puisque l'incorporation amène un effacement temporaire <strong>de</strong>sétats <strong>de</strong> conscience qui forment c<strong>et</strong> ensemble continu. De même que <strong>la</strong>vie physique est soumise aux alternances <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit <strong>et</strong> du jour, il seproduit un phénomène analogue dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'esprit. Notre mémoire,notre conscience traversent alternativement <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s d'éclipse ou <strong>de</strong>rayonnement, d'ombre ou <strong>de</strong> lumière, dans l'état céleste ou terrestre, <strong>et</strong>même <strong>sur</strong> ce <strong>de</strong>rnier p<strong>la</strong>n, pendant <strong>la</strong> veille ou les différents états dusommeil. Et comme il y a <strong>de</strong>s gradations dans l'éclipse, il y a aussi <strong>de</strong>s<strong>de</strong>grés dans <strong>la</strong> lumière.Beaucoup <strong>de</strong> rêves ne <strong>la</strong>issent aucune trace au réveil, pas plus que lesimpressions recueillies pendant le sommeil somnambulique. Tous lesmagnétiseurs le savent : l'oubli au réveil est un phénomène constant chezles somnambules. Mais dès que l'esprit du suj<strong>et</strong>, plongé dans un nouveausommeil, se r<strong>et</strong>rouve dans les conditions dynamiques perm<strong>et</strong>tant <strong>la</strong>rénovation <strong>de</strong>s souvenirs, ceux-ci se réveillent. <strong>Le</strong> suj<strong>et</strong> se rappelle cequ'il a fait, dit, vu, exprimé à toutes les époques <strong>de</strong> son existence.Par là, nous comprendrons facilement l'oubli momentané <strong>de</strong>s viesantérieures. <strong>Le</strong> mouvement vibratoire <strong>de</strong> l'enveloppe périspritale, amortipar <strong>la</strong> matière, au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie actuelle, est beaucoup trop faible pourque le <strong>de</strong>gré d'intensité <strong>et</strong> <strong>la</strong> durée nécessaires à <strong>la</strong> rénovation <strong>de</strong> cessouvenirs puissent être atteints pendant <strong>la</strong> veille.En réalité, <strong>la</strong> mémoire n'est qu'un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience. <strong>Le</strong> souvenirest souvent à l'état subconscient. Déjà, dans le cercle restreint <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieactuelle, nous ne conservons pas le souvenir <strong>de</strong> nos premières années,qui est cependant gravé en nous, comme tous les états traversés au cours


144 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>de</strong> notre histoire. Il en est <strong>de</strong> même d'un grand nombre d'actes <strong>et</strong> <strong>de</strong> faitsappartenant aux autres pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Gassendi, dit-on, se souvenait<strong>de</strong> l'âge <strong>de</strong> 18 mois ; mais c'est là une exception. L'effort mental estnécessaire pour réveiller ces souvenirs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie normale, celle qui nousest <strong>la</strong> plus familière ; nécessaire, répétons-le, pour ressaisir mille chosesétudiées, apprises, oubliées, parce qu'elles sont re<strong>de</strong>scendues dans lescouches profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire. A chaque instant, l'intelligence doitrechercher dans <strong>la</strong> subconscience les connaissances, les souvenirs qu'elleveut revivifier ; elle s'efforce <strong>de</strong> les faire passer dans <strong>la</strong> consciencephysique, dans le cerveau concr<strong>et</strong>, après les avoir pourvus <strong>de</strong>s élémentsvitaux fournis par les neurones ou cellules nerveuses. Selon <strong>la</strong> richesseou <strong>la</strong> pauvr<strong>et</strong>é <strong>de</strong> ces éléments, le souvenir <strong>sur</strong>gira c<strong>la</strong>ir ou diffus ;parfois, il se dérobe ; <strong>la</strong> communication ne peut s'établir, ou bien <strong>la</strong>projection ne se produit qu'après coup, au moment où on s'y attend lemoins.Donc, pour se souvenir, <strong>la</strong> première <strong>de</strong>s conditions, c'est <strong>de</strong> vouloir.Ceci explique que nombre d'esprits, même dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'espace, sousl'empire <strong>de</strong> certains préjugés dogmatiques, négligent toute recherche <strong>et</strong>restent ignorants du passé qui dort en eux. Dans ce milieu, comme parminous, au cours <strong>de</strong> l'expérimentation, une suggestion est nécessaire. C<strong>et</strong>teloi <strong>de</strong> <strong>la</strong> suggestion, nous <strong>la</strong> voyons se manifester partout, sous milleformes ; nous <strong>la</strong> subissons nous-mêmes à chaque instant du jour. Parexemple, près <strong>de</strong> nous, un chant s'élève, une parole, un nom a r<strong>et</strong>enti,une image frappe nos regards <strong>et</strong> voilà que, soudain, grâce à l'association<strong>de</strong>s idées, tout un enchaînement <strong>de</strong> souvenirs confus, presque oubliés,dissimulés dans les bas-fonds <strong>de</strong> notre conscience, se déroule à notreesprit.Des pério<strong>de</strong>s entières <strong>de</strong> notre vie présente peuvent s'effacer <strong>de</strong> <strong>la</strong>mémoire. Dans son livre : <strong>Le</strong>s Phénomènes psychiques, page 170, leDocteur J. Maxwell, procureur général, parle en ces termes <strong>de</strong> ce quel'on appelle les cas d'amnésie :«Quelquefois même, <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité disparaît. On connaît <strong>de</strong>sma<strong>la</strong><strong>de</strong>s qui, subitement, oublient jusqu'à leur nom. Toute leur vie s'efface <strong>et</strong> ilssemblent revenir à l'état où ils étaient au moment <strong>de</strong> leur naissance. Ils doiventréapprendre eux-mêmes à parler, à s'habiller, à manger. Quelquefois, l'amnésien'est pas aussi complète. J'ai pu observer un ma<strong>la</strong><strong>de</strong> qui avait oublié tout ce quiavait un lien quelconque avec sa personnalité. Il ignorait absolument tout ce qu'i<strong>la</strong>vait fait, ne savait plus où il était né, quels étaient ses parents. Il avait une


RENOVATION DE LA MEMOIRE 145trentaine d'années. La mémoire organique <strong>et</strong> les mémoires organisées en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong><strong>la</strong> personnalité subsistaient. Il pouvait lire, écrire, <strong>de</strong>ssiner un peu, jouergrossièrement d'un instrument <strong>de</strong> musique. L'amnésie chez lui était limitée à tousles faits connexes à sa personnalité antérieure.»La guerre a multiplié ces cas <strong>et</strong> chacun <strong>de</strong> nous a pu en lire <strong>la</strong>constatation dans les journaux.<strong>Le</strong> docteur Pitre, doyen <strong>de</strong> <strong>la</strong> Faculté <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux, dansson livre : L'Hystérie <strong>et</strong> l'hypnotisme, cite un cas où il démontre que tousles faits <strong>et</strong> connaissances enregistrés en nous dès l'enfance peuventrenaître ; c'est ce qu'il appelle le phénomène <strong>de</strong> l'ecmnésie. Son suj<strong>et</strong>,une jeune fille <strong>de</strong> 17 ans, ne par<strong>la</strong>it que le français <strong>et</strong> avait oublié lepatois gascon, idiome <strong>de</strong> sa jeunesse. Endormie <strong>et</strong> reportée par <strong>la</strong>suggestion à l'âge <strong>de</strong> 5 ans, elle n'entendait plus le français <strong>et</strong> ne par<strong>la</strong>itque le patois. Elle racontait tous les menus détails <strong>de</strong> sa vie enfantine ;ils se <strong>de</strong>ssinaient pour elle avec une n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é parfaite ; mais elle restaitsour<strong>de</strong> aux questions posées, ne comprenant plus <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue qu'on luipar<strong>la</strong>it. Elle avait oublié tous les faits <strong>de</strong> sa vie qui s'étaient déroulésentre les âges <strong>de</strong> 5 <strong>et</strong> <strong>de</strong> 17 ans.<strong>Le</strong> docteur Burot a fait <strong>de</strong>s expériences i<strong>de</strong>ntiques. Son suj<strong>et</strong> Jeanneest reportée par lui, mentalement, à différentes époques <strong>de</strong> sa jeunesse,<strong>et</strong>, à chaque pério<strong>de</strong>, les inci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> son existence se <strong>de</strong>ssinent avecprécision dans sa mémoire, mais tout fait ultérieur s'efface. On pouvaitsuivre à rebours les progrès <strong>de</strong> son intelligence. Revenue à l'âge <strong>de</strong> 5ans, on constate qu'elle sait à peine lire ; elle écrit comme elle le faisait àc<strong>et</strong> âge, d'une façon malhabile, avec les fautes d'orthographe qui luiétaient habituelles à c<strong>et</strong>te époque 1 .Tous ces récits ont été contrôlés. <strong>Le</strong>s savants que nous citons se sontlivrés à <strong>de</strong>s enquêtes minutieuses ; ils ont pu constater l'exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>sfaits rapportés par les suj<strong>et</strong>s, faits qui étaient effacés <strong>de</strong> leur mémoire àl'état normal.Nous allons voir que par un enchaînement logique <strong>et</strong> rigoureux, cesphénomènes nous conduisent à <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> réveillerexpérimentalement, dans <strong>la</strong> partie permanente <strong>de</strong> l'être, les souvenirsantérieurs à <strong>la</strong> naissance. C'est ce que nous constaterons dans lesexpériences <strong>de</strong> F. Co<strong>la</strong>vida, E. Marata, colonel <strong>de</strong> Rochas, <strong>et</strong>c..1 Docteurs Bourru <strong>et</strong> Burot, les Changements <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité. Bibliothèque scientifiquecontemporaine, 1887.


146 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEL'état <strong>de</strong> fièvre, le délire, le sommeil anesthésique, en provoquant ledégagement partiel, peuvent aussi ébranler, di<strong>la</strong>ter les couches profon<strong>de</strong>s<strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire <strong>et</strong> réveiller <strong>de</strong>s connaissances <strong>et</strong> <strong>de</strong>s souvenirs anciens.On se rappellera sans doute le cas célèbre <strong>de</strong> Ninfa Filiberto, <strong>de</strong> Palerme.Elle par<strong>la</strong>it, dans <strong>la</strong> fièvre, plusieurs <strong>la</strong>ngues étrangères qu'elle avaitoubliées <strong>de</strong>puis longtemps. Voici d'autres faits rapportés par <strong>de</strong>spraticiens :<strong>Le</strong> docteur Henri Freeborn 2 cite le cas d'une femme âgée <strong>de</strong> 70 ansqui, gravement ma<strong>la</strong><strong>de</strong> par suite d'une bronchite, fut en proie au délire,du 13 au 16 mars 1902 :«Dans <strong>la</strong> nuit du 13 au 14, on s'aperçut qu'elle par<strong>la</strong>it une <strong>la</strong>ngue inconnue auxpersonnes qui l'entouraient. Il semb<strong>la</strong>it parfois qu'elle disait <strong>de</strong>s vers ; d'autres fois,qu'elle causait. Elle répéta à plusieurs reprises <strong>la</strong> même composition en vers. Onfinit par reconnaître que le <strong>la</strong>ngage était l'hindoustani.<strong>Le</strong> matin du 14, l'hindoustani commença à se mêler d'un peu d'ang<strong>la</strong>is ; elles'entr<strong>et</strong>enait <strong>de</strong> <strong>la</strong> sorte avec <strong>de</strong>s parents <strong>et</strong> <strong>de</strong>s amis d'enfance, ou bien elle par<strong>la</strong>itd'eux. <strong>Le</strong> 15, l'hindoustani avait disparu à son tour <strong>et</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> s'adressait à <strong>de</strong>samis qu'elle avait connus plus tard, en se servant <strong>de</strong> l'ang<strong>la</strong>is, du français <strong>et</strong> <strong>de</strong>l'allemand. La dame en question était née dans l'In<strong>de</strong>, qu'elle quitta à l'âge <strong>de</strong> troisans pour se rendre en Angl<strong>et</strong>erre, après quatre mois <strong>de</strong> voyage, avant qu'elle eûtaccompli sa quatrième année. Jusqu'au jour où elle débarqua en Angl<strong>et</strong>erre, elleavait été confiée à <strong>de</strong>s domestiques hindous <strong>et</strong> ne par<strong>la</strong>it pas du tout l'ang<strong>la</strong>is.Il est curieux <strong>de</strong> constater qu'après une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> soixante-six ans, pendant<strong>la</strong>quelle elle n'avait jamais parlé l'hindoustani, le délire lui avait remémoré ce<strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> sa première enfance. Actuellement <strong>la</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> parle avec autant <strong>de</strong>facilité le français <strong>et</strong> l'allemand que l'ang<strong>la</strong>is ; mais, quoiqu'elle connaisse encorequelques mots d'hindoustani, elle est absolument incapable <strong>de</strong> parler c<strong>et</strong>te <strong>la</strong>ngueou même d'en composer une seule phrase.»<strong>Le</strong>s Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques, <strong>de</strong> mars 1906, enregistrèrent uncas intéressant d'amnésie dans <strong>la</strong> veille, rapporté par le docteur Gilbert-Ball<strong>et</strong>, <strong>de</strong> l'Hôtel-Dieu <strong>de</strong> Paris :«Il s'agit d'un ma<strong>la</strong><strong>de</strong> qui, à <strong>la</strong> suite d'un choc violent, avait complètementoublié foute une «tranche» <strong>de</strong> sa vie passée. Il se rappe<strong>la</strong>it fort bien son enfance <strong>et</strong><strong>de</strong>s faits très lointains, mais une <strong>la</strong>cune s'était produite pour une partie <strong>de</strong> sonexistence plus rapprochée <strong>et</strong> il ne pouvait se souvenir <strong>de</strong>s événements qui étaient<strong>sur</strong>venus pendant c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa vie. C'est ce qu'on appelle l'amnésierétrogra<strong>de</strong>. C'est un nommé Dada, âgé <strong>de</strong> 50 ans. Depuis le 4 jusqu'au 7 octobreprécé<strong>de</strong>nt, un vi<strong>de</strong> absolu s'était fait dans sa mémoire. Ayant quitté, le 4, sesmaîtres, qui l'employaient comme jardinier dans une propriété près <strong>de</strong> Nevers, il se2 Voir Lanc<strong>et</strong>, <strong>de</strong> Londres, numéro du 12 juin 1902.


RENOVATION DE LA MEMOIRE 147r<strong>et</strong>rouva le 7, sans savoir comment, à Liège, aux portes <strong>de</strong> l'exposition. De quellefaçon a-t-il accompli ce long voyage ? Il l'ignore <strong>et</strong>, malgré tous ses efforts, nepeut r<strong>et</strong>rouver le moindre souvenir.»Mais voici que ce ma<strong>la</strong><strong>de</strong> est plongé dans l'hypnose, <strong>et</strong> aussitôt tousles inci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> ce voyage se reconstituent dans leurs moindres détails,avec le souvenir <strong>de</strong>s personnes rencontrées. Dada en est à sa quatrièmecrise d'amnésie nerveuse. Il se rappelle, endormi, ce qu'il a oublié à l'état<strong>de</strong> veille, tout simplement parce qu'il se trouve <strong>de</strong> nouveau en état <strong>de</strong>condition secon<strong>de</strong>, c'est-à-dire dans l'état où il se trouvait au moment <strong>de</strong>son attaque d'amnésie. Ce cas nous m<strong>et</strong> encore <strong>sur</strong> <strong>la</strong> trace <strong>de</strong>s lois <strong>et</strong>conditions qui régissent les phénomènes <strong>de</strong> rénovation <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire<strong>de</strong>s vies antérieures.En résumé, toute l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'homme terrestre nous fournit <strong>la</strong> preuvequ'il existe <strong>de</strong>s états distincts <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité. Nousl'avons vu dans <strong>la</strong> première partie <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ouvrage : <strong>la</strong> coexistence en nousd'un mental double, dont les <strong>de</strong>ux parties se rejoignent <strong>et</strong> fusionnent à <strong>la</strong>mort, est attestée, non seulement par l'hypnotisme expérimental, maisencore par toute l'évolution psychique.<strong>Le</strong> fait seul <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te dualité intellectuelle, considérée dans ses rapportsavec le problème <strong>de</strong>s réincarnations, nous explique comment toute unepartie du moi, avec son immense cortège d'impressions <strong>et</strong> <strong>de</strong> souvenirsanciens, peut rester plongée dans l'ombre au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie actuelle.Nous savons que <strong>la</strong> télépathie, <strong>la</strong> c<strong>la</strong>irvoyance, <strong>la</strong> prévision <strong>de</strong>sévénements, sont <strong>de</strong>s pouvoirs afférents au moi profond <strong>et</strong> caché. Lasuggestion en facilite l'exercice ; c'est un appel <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté, uneinvitation aux âmes faibles <strong>et</strong> inhabiles à se dégager <strong>de</strong> leur prison <strong>et</strong> àrentrer temporairement en possession <strong>de</strong>s richesses, <strong>de</strong>s puissances quisommeillent en elles. <strong>Le</strong>s passes magnétiques dénouent les liens quiattachent l'âme au corps physique, provoquent son dégagement. Dès lors,<strong>la</strong> suggestion, personnelle ou étrangère, fait son oeuvre ; elle s'exerceavec plus d'intensité. Son action n'est pas seulement applicable au réveil<strong>de</strong>s sens psychiques ; nous venons <strong>de</strong> voir qu'elle peut encorereconstituer l'enchaînement <strong>de</strong>s souvenirs gravés aux profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong>l'être.Il semble que, dans certains cas exceptionnels, c<strong>et</strong>te action puisses'exercer même à l'état <strong>de</strong> veille. F. Myers 3 parle <strong>de</strong> <strong>la</strong> faculté du3 F. Myers, <strong>la</strong> Personnalité humaine, page 333.


148 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE«subliminal» d'évoquer <strong>de</strong>s états émotionnels disparus <strong>de</strong> <strong>la</strong> consciencenormale <strong>et</strong> <strong>de</strong> revivre dans le passé. Ce fait, dit-il, se rencontrefréquemment chez les artistes, dont les émotions revécues peuventdépasser en intensité les émotions originales.<strong>Le</strong> même auteur ém<strong>et</strong> l'opinion que <strong>la</strong> théorie <strong>la</strong> plus vraisemb<strong>la</strong>blepour expliquer le génie est celle <strong>de</strong>s réminiscences <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, à <strong>la</strong>condition <strong>de</strong> <strong>la</strong> fon<strong>de</strong>r <strong>sur</strong> les données scientifiques établies <strong>de</strong> nos jours.Ces mêmes phénomènes reparaissent sous une autre forme dans unordre <strong>de</strong> faits déjà signalés. Ce sont les impressions <strong>de</strong> personnes qui, à<strong>la</strong> suite d'acci<strong>de</strong>nts, ont pu échapper à <strong>la</strong> mort. Par exemple, <strong>de</strong>s noyéssauvés avant l'asphyxie complète <strong>et</strong> d'autres qui ont fait <strong>de</strong>s chutesgraves. Beaucoup racontent qu'entre le moment où ils sont tombés <strong>et</strong>celui où ils ont perdu connaissance, tout le spectacle <strong>de</strong> leur vie s'estdéroulé dans leur cerveau d'une façon automatique, en tableauxsuccessifs <strong>et</strong> rétrogra<strong>de</strong>s, avec une rapidité vertigineuse, accompagné dusentiment moral du bien <strong>et</strong> du mal ainsi que <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience <strong>de</strong>sresponsabilités encourues.Th. Ribot, le chef du positivisme français, dans son ouvrage <strong>sur</strong> lesMa<strong>la</strong>dies <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire, a cité <strong>de</strong> nombreux faits établissant <strong>la</strong>possibilité du réveil spontané, automatique, <strong>de</strong> toutes les scènes ouimages qui peuplent <strong>la</strong> mémoire, particulièrement en cas d'acci<strong>de</strong>nt.Rappelons, à ce suj<strong>et</strong>, le cas <strong>de</strong> l'amiral Beaufort, extrait du Journal <strong>de</strong>mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Paris 4 . Il était tombé à <strong>la</strong> mer <strong>et</strong> perdit pendant <strong>de</strong>uxminutes le sentiment <strong>de</strong> sa conscience physique. Ce temps suffit à saconscience transcendantale pour résumer toute sa vie terrestre entableaux raccourcis, d'une n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é prodigieuse. Tous ses actes, y comprisleurs causes, leurs circonstances contingentes <strong>et</strong> leurs eff<strong>et</strong>s, défilèrentdans sa pensée. Voici un cas <strong>de</strong> même nature rapporté par M. Cottin,aéronaute :«Dans sa <strong>de</strong>rnière ascension, le ballon le Montgolfier emportait M. Perron,prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l'Académie d'aérostation, comme capitaine, <strong>et</strong> F. Cottin, agentadministratif <strong>de</strong> l'Association scientifique française.Parti d'un bond, le ballon était à 4 h 24 à 700 mètres ; c'est alors qu'il creva <strong>et</strong> semit à <strong>de</strong>scendre plus vite qu'il n'était monté, <strong>et</strong> il s'engouffra à 4 h 27 dans <strong>la</strong>maison n°20 <strong>de</strong> l'impasse Chevalier, à Saint-Ouen. Après avoir j<strong>et</strong>é tout ce qui4 Voir plus haut, chap. XI.


RENOVATION DE LA MEMOIRE 149pouvait compliquer l'acci<strong>de</strong>nt, nous dit M. Cottin 5 , «une espèce <strong>de</strong> quiétu<strong>de</strong>,d'inertie peut-être, s'empara <strong>de</strong> moi ; mille souvenirs lointains se pressent, seheurtent <strong>de</strong>vant mon imagination ; puis les choses s'accentuent <strong>et</strong> le panorama <strong>de</strong>ma vie vient se dérouler <strong>de</strong>vant mon esprit attentif. Tout est précis : les châteauxen Espagne, les déceptions, <strong>la</strong> lutte pour l'existence, <strong>et</strong> tout ce<strong>la</strong> dansl'encadrement inexorable imposé par <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée... Qui croirait, par exemple, que jeme suis revu, à vingt ans, sergent au 22° <strong>de</strong> ligne, sac au dos <strong>et</strong> chantant <strong>sur</strong> <strong>la</strong>route. En moins <strong>de</strong> trois minutes, j'ai vu toute ma vie défiler <strong>de</strong>vant ma mémoire.»Ces phénomènes peuvent s'expliquer par un commencementd'extériorisation. Dans c<strong>et</strong> état, comme dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'espace, <strong>la</strong>subconscience s'unit à <strong>la</strong> conscience normale <strong>et</strong> reconstitue <strong>la</strong> conscienc<strong>et</strong>otale, <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> du moi. Pour un instant, l'association <strong>de</strong>s idées <strong>et</strong> <strong>de</strong>sfaits se reforme ; <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong>s souvenirs se ressou<strong>de</strong>. <strong>Le</strong> même résultatpeut être obtenu par l'expérimentation ; mais alors le suj<strong>et</strong>, dans sarecherche, doit être aidé par une volonté supérieure à <strong>la</strong> sienne enpuissance, qui s'associe à lui <strong>et</strong> stimule ses efforts. Dans les phénomènes<strong>de</strong> <strong>la</strong> transe, ce rôle est rempli, soit par l'esprit gui<strong>de</strong>, soit par lemagnétiseur, dont <strong>la</strong> pensée agit <strong>sur</strong> le suj<strong>et</strong> comme un levier.<strong>Le</strong>s <strong>de</strong>ux volontés, combinées, superposées, acquièrent alors uneintensité <strong>de</strong> vibrations qui m<strong>et</strong> en branle les couches les plus profon<strong>de</strong>s<strong>et</strong> les plus voilées du subconscient.** *Un autre point essentiel doit r<strong>et</strong>enir notre attention : c'est le fait, établipar toute <strong>la</strong> science physiologique, qu'il existe une corré<strong>la</strong>tion étroiteentre le physique <strong>et</strong> le mental <strong>de</strong> l'homme. A chaque action physiquecorrespond un acte psychique, <strong>et</strong> réciproquement. Tous <strong>de</strong>uxs'enregistrent à <strong>la</strong> fois dans le souvenir subconscient ; <strong>de</strong> telle sorte quel'un ne peut être évoqué sans que l'autre <strong>sur</strong>gisse aussitôt. C<strong>et</strong>teconcordance s'applique aux moindres faits <strong>de</strong> notre existence intégrale,aussi bien pour le présent que pour les épiso<strong>de</strong>s <strong>de</strong> notre passé le plusancien.La compréhension <strong>de</strong> ce phénomène, peu intelligible pour lesmatérialistes, nous est facilitée par <strong>la</strong> connaissance du périsprit, ouenveloppe fluidique <strong>de</strong> l'âme. C'est en lui, <strong>et</strong> non dans l'organisme5 Extrait <strong>de</strong> le Spiritisme <strong>et</strong> l'Anarchie, par J. Bouvery, page 405.


150 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEphysique, composé <strong>de</strong> matière fluente, sans cesse variable dans sescellules constitutives, que se gravent toutes nos impressions.<strong>Le</strong> périsprit est l'instrument <strong>de</strong> précision qui note avec une fidélitéabsolue les moindres variations <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité. Toutes les volitions<strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée, tous les actes <strong>de</strong> l'intelligence ont en lui leur répercussion.<strong>Le</strong>urs mouvements, leurs états vibratoires distincts y <strong>la</strong>issent <strong>de</strong>s tracessuccessives <strong>et</strong> superposées. Certains expérimentateurs ont comparé cemo<strong>de</strong> d'enregistrement à un cinématographe vivant, <strong>sur</strong> lequel se fixentsuccessivement nos acquisitions <strong>et</strong> nos souvenirs. Il se déroulerait parune sorte <strong>de</strong> déclenchement ou <strong>de</strong> secousse, causé soit par l'action d'unesuggestion étrangère, soit par une auto-suggestion, ou bien par suite d'unacci<strong>de</strong>nt, comme nous l'avons dit plus haut.Déjà l'influence <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée <strong>sur</strong> le corps nous est révélée par <strong>de</strong>sphénomènes observables à chaque instant en nous-mêmes <strong>et</strong> autour <strong>de</strong>nous. La peur paralyse les mouvements ; l'étonnement, <strong>la</strong> honte, <strong>la</strong>crainte provoquent <strong>la</strong> pâleur ou <strong>la</strong> rougeur ; l'angoisse nous serre lecoeur, le chagrin profond fait couler nos <strong>la</strong>rmes <strong>et</strong> peut amener à <strong>la</strong>longue une dépression vitale. Ce sont là autant <strong>de</strong> preuves manifestes <strong>de</strong>l'action puissante du mental <strong>sur</strong> l'enveloppe matérielle.L'hypnotisme, en développant <strong>la</strong> sensibilité <strong>de</strong> l'être, nous démontred'une manière encore plus n<strong>et</strong>te c<strong>et</strong>te action réflexe <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée. Nousl'avons vu : <strong>la</strong> suggestion d'une brûlure peut produire chez un suj<strong>et</strong>autant <strong>de</strong> désordres que <strong>la</strong> brûlure elle-même. On provoque à volontél'apparition <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ies, <strong>de</strong> stigmates, <strong>et</strong>c. 6 .Si <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>la</strong> volonté peuvent exercer une telle action <strong>sur</strong> <strong>la</strong>matière corporelle, on comprendra que c<strong>et</strong>te action s'accroisse encore <strong>et</strong>produise <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s plus intenses lorsqu'elle s'appliquera à <strong>la</strong> matièrefluidique, impondérable, dont le périsprit est formé. Moins <strong>de</strong>nse, moinscompacte que <strong>la</strong> matière physique, elle obéira avec beaucoup plus <strong>de</strong>souplesse aux moindres volitions <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée. C'est en vertu <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te loique les Esprits peuvent apparaître sous une <strong>de</strong>s formes revêtues par euxdans le passé, avec tous les attributs <strong>de</strong> leur personnalité évanouie. Illeur suffit <strong>de</strong> penser fortement à une phase quelconque <strong>de</strong> leursexistences, pour se montrer aux voyants tels qu'ils étaient à l'époqueévoquée dans leur mémoire. Et pour peu que <strong>la</strong> force psychique6 Voir Dans l'Invisible, chap. XX.


RENOVATION DE LA MEMOIRE 151nécessaire leur soit fournie par un ou plusieurs médiums, lesmatérialisations <strong>de</strong>viennent possibles.M. le colonel <strong>de</strong> Rochas, dans ses expériences, en réussissant à isolerle corps fluidique, a démontré qu'il était le siège <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité <strong>et</strong> <strong>de</strong>ssouvenirs 7 . L'hypnotisme <strong>et</strong> <strong>la</strong> physiologie combinés nous perm<strong>et</strong>tentdésormais d'étudier l'action <strong>de</strong> l'âme dégagée <strong>de</strong> son enveloppe grossière<strong>et</strong> unie à son corps subtil. Bientôt, ils nous fourniront les moyensd'éluci<strong>de</strong>r les plus délicats problèmes <strong>de</strong> l'être. L'expérimentationpsychique contient <strong>la</strong> clef <strong>de</strong> tous les phénomènes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie ; elle estappelée à rénover entièrement <strong>la</strong> science mo<strong>de</strong>rne, en j<strong>et</strong>ant une vivelumière <strong>sur</strong> un grand nombre <strong>de</strong> questions restées obscures jusqu'ici.Nous allons voir maintenant, dans les phénomènes hypnotiques <strong>et</strong>particulièrement dans <strong>la</strong> transe, que les impressions, enregistrées par lecorps fluidique d'une manière indélébile, forment d'étroites associations.<strong>Le</strong>s impressions physiques sont reliées aux impressions morales <strong>et</strong>intellectuelles, <strong>de</strong> telle façon que l'on ne peut faire appel aux unes sansvoir renaître les autres. <strong>Le</strong>ur réapparition est toujours simultanée.C<strong>et</strong>te corré<strong>la</strong>tion étroite du physique <strong>et</strong> du moral, dans son applicationaux souvenirs gravés en nous, est démontrée par <strong>de</strong> nombreusesexpériences. Citons d'abord celles <strong>de</strong> savants positivistes qui, malgréleurs préventions à l'endroit <strong>de</strong> toute théorie nouvelle, <strong>la</strong> confirment àleur insu :M. Pierre Jan<strong>et</strong>, professeur <strong>de</strong> physiologie à <strong>la</strong> Sorbonne, expose lesfaits suivants 8 . Il expérimente <strong>sur</strong> son suj<strong>et</strong> Rose, endormi :«Je suggère à Rose que nous ne sommes plus en 1888, mais en 1886, au moisd'avril, pour constater simplement <strong>de</strong>s modifications <strong>de</strong> sensibilité qui pourraientse produire. Mais, voici un acci<strong>de</strong>nt bien étrange. Elle gémit, se p<strong>la</strong>int d'êtrefatiguée <strong>et</strong> <strong>de</strong> ne pouvoir marcher. «Eh bien, qu'avez-vous donc ? - Oh ! rien...dans ma situation ! ! - Quelle situation ?» Elle me répond d'un geste ; son ventres'était subitement gonflé <strong>et</strong> tendu par un accès subit <strong>de</strong> tympanite hystérique. Jel'avais, sans le vouloir, ramenée à une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa vie pendant <strong>la</strong>quelle elle étaitenceinte.Des étu<strong>de</strong>s plus intéressantes furent faites par ce moyen <strong>sur</strong> Marie ; j'ai pu, en <strong>la</strong>ramenant successivement à différentes pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> son existence, constater tousles états divers <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité par lesquels elle a passé, <strong>et</strong> les causes <strong>de</strong> toutes lesmodifications. Ainsi, elle est maintenant complètement aveugle <strong>de</strong> l'oeil gauche <strong>et</strong>7 Voir A. <strong>de</strong> Rochas, l'Extériorisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité.8 P. Jan<strong>et</strong>, l'Automatisme psychologique, page 160.


152 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEprétend être ainsi <strong>de</strong>puis sa naissance. Si on <strong>la</strong> ramène à l'âge <strong>de</strong> 7 ans, on constatequ'elle est encore anesthésique <strong>de</strong> l'oeil gauche ; mais si on lui suggère <strong>de</strong> n'avoirque 6 ans, on s'aperçoit qu'elle voit bien <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux yeux <strong>et</strong> on peut déterminerl'époque <strong>et</strong> les circonstances bien curieuses dans lesquelles elle a perdu <strong>la</strong>sensibilité <strong>de</strong> l'oeil gauche. La mémoire a réalisé automatiquement un état <strong>de</strong>santé dont le suj<strong>et</strong> croyait n'avoir conservé aucun souvenir.»** *La possibilité <strong>de</strong> réveiller dans <strong>la</strong> conscience d'un suj<strong>et</strong> en transe lessouvenirs oubliés <strong>de</strong> son enfance nous conduit logiquement à <strong>la</strong>rénovation <strong>de</strong>s souvenirs antérieurs à <strong>la</strong> naissance. C<strong>et</strong> ordre <strong>de</strong> faits aété signalé pour <strong>la</strong> première fois au Congrès spirite <strong>de</strong> Paris, en 1900,par <strong>de</strong>s expérimentateurs espagnols. Voici un extrait <strong>de</strong> rapport, lu dans<strong>la</strong> séance du 25 septembre 9 :«<strong>Le</strong> médium étant profondément endormi au moyen <strong>de</strong> passes magnétiques,Fernan<strong>de</strong>z Co<strong>la</strong>vida, prési<strong>de</strong>nt du groupe <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s psychiques <strong>de</strong> Barcelone, luicommanda <strong>de</strong> dire ce qu'il avait fait <strong>la</strong> veille, l'avant-veille, une semaine, un mois,un an auparavant, <strong>et</strong> successivement, il le fit remonter jusqu'à son enfance, qu'il luifit expliquer dans tous les détails.Toujours poussé par <strong>la</strong> même volonté, le médium raconta sa vie dans l'espace, <strong>la</strong>mort <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>rnière incarnation <strong>et</strong>, continuellement stimulé, il arriva jusqu'à quatreincarnations, dont <strong>la</strong> plus ancienne était une existence tout à fait sauvage. Achaque existence, les traits du médium changeaient d'expression. Pour le ramenerà son état habituel, on le fit revenir graduellement jusqu'à son existence actuelle,puis on le réveil<strong>la</strong>.Quelque temps après, à l'improviste, dans un but <strong>de</strong> contrôle, l'expérimentateurfit magnétiser le même suj<strong>et</strong> par une autre personne, en lui suggérant que sesprécé<strong>de</strong>nts récits étaient imaginaires. Malgré c<strong>et</strong>te suggestion, le médiumreproduisit <strong>la</strong> série <strong>de</strong>s quatre existences, comme il l'avait fait auparavant. <strong>Le</strong>réveil <strong>de</strong>s souvenirs, leur enchaînement furent i<strong>de</strong>ntiques aux résultats obtenusdans <strong>la</strong> première expérience.Dans <strong>la</strong> même séance <strong>de</strong> ce Congrès, Esteva Marata, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l'Union spirite<strong>de</strong> Catalogne, déc<strong>la</strong>re avoir obtenu <strong>de</strong>s faits analogues, par les mêmes procédés, enexpérimentant <strong>sur</strong> sa propre épouse, en état <strong>de</strong> sommeil magnétique. A propos d'unmessage donné par un Esprit <strong>et</strong> ayant trait à l'une <strong>de</strong>s vies passées du suj<strong>et</strong>, il putréveiller dans <strong>la</strong> conscience obscure <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier les traces <strong>de</strong> ses existencesantérieures.»9 Voir Compte rendu du Congrès spirite <strong>et</strong> spiritualiste <strong>de</strong> 1900. <strong>Le</strong>ymarie, éditeur, pages 349-350.


RENOVATION DE LA MEMOIRE 153Depuis lors, ces expériences ont été tentées dans beaucoup <strong>de</strong> centresd'étu<strong>de</strong>s. On a obtenu ainsi <strong>de</strong> nombreuses indications <strong>sur</strong> le fait <strong>de</strong>s viessuccessives <strong>de</strong> l'âme. Ces expériences se multiplieront probablement <strong>de</strong>jour en jour. Remarquons cependant qu'elles nécessitent une gran<strong>de</strong>pru<strong>de</strong>nce. <strong>Le</strong>s erreurs, les frau<strong>de</strong>s sont faciles ; <strong>de</strong>s dangers sont àcraindre. L'expérimentateur doit choisir <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s très sensibles <strong>et</strong> biendéveloppés. Il doit être assisté d'un Esprit assez puissant pour écartertoutes les influences étrangères, toutes les causes <strong>de</strong> trouble <strong>et</strong> préserverle médium <strong>de</strong>s acci<strong>de</strong>nts possibles, dont le plus grave serait ledégagement compl<strong>et</strong>, irrémédiable, l'impossibilité <strong>de</strong> contraindre l'esprità réintégrer le corps, ce qui occasionnerait <strong>la</strong> séparation définitive, <strong>la</strong>mort.Il faut <strong>sur</strong>tout se m<strong>et</strong>tre en gar<strong>de</strong> contre les excès <strong>de</strong> l'auto-suggestion<strong>et</strong> n'accepter les récits <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s que dans <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e où ils peuvent êtrevérifiés, contrôlés ; exiger d'eux <strong>de</strong>s noms, <strong>de</strong>s dates, <strong>de</strong>s points <strong>de</strong>repère, en un mot un ensemble <strong>de</strong> preuves présentant un caractèrevraiment positif <strong>et</strong> scientifique. Il serait bon d'imiter <strong>sur</strong> ce pointl'exemple donné par <strong>la</strong> Société <strong>de</strong>s Recherches psychiques <strong>de</strong> Londres,<strong>et</strong> d'adopter <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s précises <strong>et</strong> rigoureuses, par exemple celles quiont procuré à ses travaux <strong>sur</strong> <strong>la</strong> télépathie une gran<strong>de</strong> autorité.<strong>Le</strong> défaut <strong>de</strong> précaution, l'inobservation <strong>de</strong>s règles les plusélémentaires <strong>de</strong> l'expérimentation ont fait <strong>de</strong>s incorporations d'HélèneSmith un cas obscur <strong>et</strong> plein <strong>de</strong> difficultés. Toutefois, au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong>confusion <strong>de</strong>s faits signalés par Th. Flournoy, professeur à l'Université<strong>de</strong> Genève, nous croyons <strong>de</strong>voir r<strong>et</strong>enir le phénomène <strong>de</strong> <strong>la</strong> princessehindoue Simandini.<strong>Le</strong> médium en transe reproduit les scènes d'une <strong>de</strong> ses existences,vécue dans l'In<strong>de</strong>, au douzième siècle. En c<strong>et</strong> état, elle se sertfréquemment <strong>de</strong> mots sanscrits, <strong>la</strong>ngue qu'elle ignore à l'état normal. Elledonne <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s personnages historiques hindous <strong>de</strong>s indicationsintrouvables dans aucun ouvrage usuel, <strong>et</strong> dont le professeur, après bien<strong>de</strong>s recherches, découvre <strong>la</strong> confirmation dans une oeuvre <strong>de</strong> Marlès,historien peu connu <strong>et</strong> tout à fait hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> portée du suj<strong>et</strong>. HélèneSmith, dans le sommeil somnambulique, prend une attitu<strong>de</strong>impressionnante. Voici ce qu'en dit M. Flournoy, dans un livre qui a euun grand r<strong>et</strong>entissement 10 :10 Th. Flournoy, Des In<strong>de</strong>s à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète Mars, pages 271-272.


154 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE«Il y a dans tout son être, dans l'expression <strong>de</strong> sa physionomie, dans sesmouvements, dans son timbre <strong>de</strong> voix lorsqu'elle parle ou chante en hindou, unegrâce paresseuse, un abandon, une douceur mé<strong>la</strong>ncolique, un quelque chose <strong>de</strong><strong>la</strong>ngoureux <strong>et</strong> <strong>de</strong> charmeur qui répond à merveille au caractère <strong>de</strong> l'Orient.Toute <strong>la</strong> mimique d'Hélène si diverse <strong>et</strong> ce parler exotique ont un tel cach<strong>et</strong>d'originalité, d'aisance, <strong>de</strong> naturel, qu'on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> avec stupéfaction d'où vient àc<strong>et</strong>te fille <strong>de</strong>s rives du Léman, sans éducation artistique ni connaissances spéciales<strong>de</strong> l'Orient, une perfection <strong>de</strong> jeu à <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> meilleure actrice n'atteindrait sansdoute qu'au prix d'étu<strong>de</strong>s prolongées ou d'un séjour au bord du Gange.»Quant à l'écriture <strong>et</strong> au <strong>la</strong>ngage hindous, employés par Hélène, M.Flournoy ajoute que, dans ses recherches pour en expliquer, chez elle, <strong>la</strong>connaissance, «toutes les pistes qu'il a pu découvrir étaient fausses».Nous avons observé nous-même, pendant plusieurs années, <strong>de</strong>s cassemb<strong>la</strong>bles à celui d'Hélène Smith. Un <strong>de</strong>s médiums du groupe dontnous dirigions les travaux reproduisait dans <strong>la</strong> transe, sous l'influence <strong>de</strong>l'Esprit gui<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> ses différentes existences. D'abord, cefurent celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie actuelle, dans sa pério<strong>de</strong> enfantine, avec <strong>de</strong>sexpressions caractéristiques <strong>et</strong> <strong>de</strong>s émotions juvéniles. Puis vinrent <strong>de</strong>sépiso<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vies reculées, avec <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong> physionomie, <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s,<strong>de</strong>s mouvements, <strong>de</strong>s réminiscences d'expressions du moyen âge, tout unensemble <strong>de</strong> détails psychologiques <strong>et</strong> automatiques très différents <strong>de</strong>shabitu<strong>de</strong>s actuelles <strong>de</strong> <strong>la</strong> dame, fort honorable <strong>et</strong> incapable d'aucunesimu<strong>la</strong>tion, par <strong>la</strong>quelle nous obtenions ces étranges phénomènes.** *<strong>Le</strong> colonel du génie A. <strong>de</strong> Rochas, ancien administrateur <strong>de</strong> l'ÉcolePolytechnique, s'est beaucoup occupé <strong>de</strong> ce genre d'expérimentations.Malgré les objections qu'elles peuvent faire naître, nous croyons <strong>de</strong>voirre<strong>la</strong>ter quelques-unes <strong>de</strong> ses expériences <strong>et</strong> voici pourquoi :D'abord, nous r<strong>et</strong>rouvons dans tous les faits du même ordre provoquéspar M. <strong>de</strong> Rochas, c<strong>et</strong>te corré<strong>la</strong>tion du physique <strong>et</strong> du mental, signaléeplus haut, <strong>et</strong> qui semble être l'expression d'une loi. <strong>Le</strong>s réminiscencesantérieures à <strong>la</strong> naissance produisent, <strong>sur</strong> l'organisme <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>sendormis, <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s matériels constatés par tous les assistants, dontplusieurs sont <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins. Or, tout en tenant compte du rôle que peutjouer, dans ces expériences, l'imagination <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s, tout en faisant <strong>la</strong>part <strong>de</strong>s arabesques qu'elle bro<strong>de</strong> autour du fait principal, il est d'autantplus difficile d'attribuer ces eff<strong>et</strong>s à <strong>la</strong> seule fantaisie <strong>de</strong> ces suj<strong>et</strong>s que,


RENOVATION DE LA MEMOIRE 155suivant les propres expressions du colonel, «on est parfaitement sûr <strong>de</strong>leur bonne foi <strong>et</strong> que leurs révé<strong>la</strong>tions sont accompagnées <strong>de</strong> caractèressomatiques paraissant prouver, d'une manière absolue, leur réalité 11 .»Nous <strong>la</strong>issons <strong>la</strong> parole au colonel <strong>de</strong> Rochas :«Depuis longtemps on savait que, dans certaines circonstances, notammentquand on est près <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, <strong>de</strong>s souvenirs <strong>de</strong>puis longtemps oubliés se succè<strong>de</strong>nt,avec une rapidité extrême, dans l'esprit <strong>de</strong> quelques personnes, comme si ondérou<strong>la</strong>it <strong>de</strong>vant leurs yeux les tableaux <strong>de</strong> leur vie entière.J'ai déterminé expérimentalement un phénomène analogue <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>smagnétisés ; avec c<strong>et</strong>te différence qu'au lieu <strong>de</strong> rappeler <strong>de</strong> simples souvenirs, jefais prendre à ces suj<strong>et</strong>s les états d'âme correspondant aux âges auxquels je lesramène, avec oubli <strong>de</strong> tout ce qui est postérieur à c<strong>et</strong> âge. Ces transformationss'opèrent à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> passes longitudinales, qui ont pour eff<strong>et</strong> ordinairel'approfondissement du sommeil magnétique. <strong>Le</strong>s changements <strong>de</strong> personnalité, sion peut appeler ainsi les étapes diverses d'un même individu, se succè<strong>de</strong>ntinvariablement selon l'ordre <strong>de</strong>s temps, en al<strong>la</strong>nt vers le passé quand on se sert <strong>de</strong>passes longitudinales, pour revenir dans le même ordre vers le présent quand on arecours à <strong>de</strong>s passes transversales ou réveil<strong>la</strong>ntes. Tant que le suj<strong>et</strong> n'est pasrevenu à son état normal, il présente l'insensibilité cutanée. On peut précipiter lestransformations en s'aidant <strong>de</strong> <strong>la</strong> suggestion, mais il faut toujours parcourir lesmêmes phases <strong>et</strong> ne pas aller trop vite, sans quoi on provoque les p<strong>la</strong>intes du suj<strong>et</strong>,qui dit qu'on le torture <strong>et</strong> qu'il ne peut vous suivre.Lors <strong>de</strong> mes premiers essais, je m'arrêtais au moment où le suj<strong>et</strong>, ramené à sapremière enfance, ne savait plus me répondre ; je pensais qu'on ne pouvait allerau-<strong>de</strong>là. Un jour cependant j'essaie d'approfondir encore le sommeil en continuantles passes, <strong>et</strong> grand fut mon étonnement quand, en interrogeant le dormeur, je m<strong>et</strong>rouvai en présence d'une autre personnalité, se disant être l'âme d'un mort ayantporté tel nom <strong>et</strong> vécu dans tel pays. Dès lors, une nouvelle voie paraissaitindiquée : continuant les passes dans le même sens, je fis revivre le mort <strong>et</strong>parcourir à ce ressuscité toute sa vie précé<strong>de</strong>nte en remontant le cours du temps.Ici encore ce n'étaient pas <strong>de</strong> simples souvenirs que je réveil<strong>la</strong>is, mais <strong>de</strong>s étatsd'âme successifs que je faisais réapparaître.A me<strong>sur</strong>e que mes expériences se répétaient, ce voyage dans le passés'effectuait <strong>de</strong> plus en plus rapi<strong>de</strong>ment, tout en passant exactement par les mêmesphases, <strong>de</strong> sorte que je pus ainsi remonter à plusieurs existences antérieures sanstrop <strong>de</strong> fatigue pour le patient <strong>et</strong> pour moi. Tous les suj<strong>et</strong>s, quelles que fussentleurs opinions à l'état <strong>de</strong> veille, donnaient le spectacle d'une série d'individualités,<strong>de</strong> moins en moins avancées moralement à me<strong>sur</strong>e qu'on remontait le cours <strong>de</strong>sâges ; dans chaque existence, on expiait, par une sorte <strong>de</strong> peine du talion, les11 Revue Spirite, janvier 1907, page 41. Voir aussi l'ouvrage du colonel <strong>de</strong> Rochas <strong>sur</strong> les Viessuccessives, Chacornac, édit., 1911.


156 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEfautes <strong>de</strong> l'existence précé<strong>de</strong>nte ; <strong>et</strong> le temps qui séparait <strong>de</strong>ux incarnationss'écou<strong>la</strong>it dans un milieu plus ou moins lumineux, suivant l'état d'avancement <strong>de</strong>l'individu.Des passes réveil<strong>la</strong>ntes ramenaient progressivement le suj<strong>et</strong> à son état normal,en parcourant les mêmes étapes exactement dans l'ordre inverse.Quand j'eus constaté par moi-même <strong>et</strong> par d'autres expérimentateurs opérantdans d'autres villes, avec d'autres suj<strong>et</strong>s, qu'il n'y avait pas là <strong>de</strong> simples rêvespouvant provenir <strong>de</strong> causes fortuites, mais une série <strong>de</strong> phénomènes se présentantd'une façon régulière avec tous les caractères apparents d'une vision dans le passéou dans l'avenir, je mis tous mes soins à rechercher si c<strong>et</strong>te vision correspondait à<strong>la</strong> réalité.»<strong>Le</strong> résultat <strong>de</strong>s enquêtes poursuivies par le colonel <strong>de</strong> Rochas l'amèneà conclure en ces termes 12 :«Il est certain qu'au moyen d'opérations magnétiques, on peut ramenerprogressivement <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s sensitifs à <strong>de</strong>s époques antérieures <strong>de</strong> leur vieactuelle, avec les particu<strong>la</strong>rités intellectuelles <strong>et</strong> physiologiques, caractéristiques<strong>de</strong> ces époques, <strong>et</strong> ce<strong>la</strong> jusqu'au moment <strong>de</strong> leur naissance. Ce ne sont pas <strong>de</strong>ssouvenirs qu'on éveille ; ce sont les états successifs <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité qu'onévoque ; ces évocations se produisent toujours dans le même ordre <strong>et</strong> à travers unesuccession <strong>de</strong> léthargies <strong>et</strong> d'états somnambuliques.Il est certain qu'en continuant ces opérations magnétiques au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>la</strong>naissance <strong>et</strong> sans avoir besoin <strong>de</strong> recourir à <strong>de</strong>s suggestions, on fait passer le suj<strong>et</strong>par <strong>de</strong>s états analogues correspondant à <strong>de</strong>s incarnations précé<strong>de</strong>ntes <strong>et</strong> auxintervalles qui séparent ces incarnations. <strong>Le</strong> processus est le même à travers <strong>de</strong>ssuccessions <strong>de</strong> léthargies <strong>et</strong> d'états somnambuliques.»Répétons-le, les concordances existant entre les faits constatés par <strong>de</strong>ssavants matérialistes, hostiles au principe <strong>de</strong>s vies successives, tels quePierre Jan<strong>et</strong>, le docteur Pitre, le docteur Burot, <strong>et</strong>c., <strong>et</strong> ceux re<strong>la</strong>tés par lecolonel <strong>de</strong> Rochas nous le démontrent, il y a là autre chose que <strong>de</strong>s rêvesou <strong>de</strong>s romans subliminaux, mais bien plutôt une loi <strong>de</strong> corré<strong>la</strong>tion quimérite une étu<strong>de</strong> attentive <strong>et</strong> soutenue. C'est pourquoi il nous a parunécessaire d'insister <strong>sur</strong> ces faits.En premier lieu, il convient <strong>de</strong> mentionner une série d'expériencesfaites à Paris avec Laurent V..., jeune homme <strong>de</strong> 20 ans, qui habitaitl'Ecole Polytechnique <strong>et</strong> préparait sa licence <strong>de</strong> philosophie. <strong>Le</strong>srésultats en ont été publiés en 1895 dans les Annales <strong>de</strong>s Sciencespsychiques. M. <strong>de</strong> Rochas les a résumés ainsi 13 :12 A. <strong>de</strong> Rochas, les Vies successives, page 497.13 Mémoire lu à l'Académie <strong>de</strong>lphinale, le 19 novembre 1904, par A. <strong>de</strong> Rochas.


RENOVATION DE LA MEMOIRE 157«Ayant constaté qu'il était sensitif, il avait voulu se rendre compte par lui-même<strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s physiologiques <strong>et</strong> psychologiques qu'on pouvait obtenir à l'ai<strong>de</strong> dumagnétisme. Je m'aperçus par hasard qu'en l'endormant au moyen <strong>de</strong> passeslongitudinales, je le ramenais à <strong>de</strong>s états <strong>de</strong> conscience <strong>et</strong> <strong>de</strong> développementintellectuel correspondant à <strong>de</strong>s âges <strong>de</strong> moins en moins avancés ; ainsi, il<strong>de</strong>venait successivement un élève <strong>de</strong> rhétorique, <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> troisième, <strong>et</strong>c., nesachant plus rien <strong>de</strong> ce qu'on enseignait dans les c<strong>la</strong>sses supérieures. Je finis parl'amener au moment où il apprenait à lire, <strong>et</strong> il me donna <strong>sur</strong> sa maîtresse d'école <strong>et</strong>ses p<strong>et</strong>its camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s détails qu'il avait complètement oubliés pendant <strong>la</strong> veille,mais dont sa mère me confirma l'exactitu<strong>de</strong>.En alternant les passes endormantes <strong>et</strong> les passes réveil<strong>la</strong>ntes, je lui faisaisremonter ou <strong>de</strong>scendre à mon gré le cours <strong>de</strong> sa vie.»Avec les faits suivants, le cercle <strong>de</strong>s phénomènes va s'é<strong>la</strong>rgir. <strong>Le</strong>colonel ajoute :«Tout récemment, j'ai trouvé à Grenoble <strong>et</strong> Voiron trois suj<strong>et</strong>s possédant <strong>de</strong>sfacultés semb<strong>la</strong>bles, dont j'ai pu également vérifier <strong>la</strong> réalité. Ayant eu l'idée <strong>de</strong>continuer les passes endormantes, après les avoir amenés à leur plus tendreenfance, <strong>et</strong> les passes réveil<strong>la</strong>ntes après les avoir ramenés à leur âge actuel, je fustrès étonné <strong>de</strong> les entendre décrire successivement les principaux événements <strong>de</strong>leurs existences passées <strong>et</strong> leur état entre <strong>de</strong>ux vies. <strong>Le</strong>s indications, qui nevariaient jamais, étaient tellement précises que j'ai pu faire <strong>de</strong>s recherches. J'aiconstaté ainsi que les noms <strong>de</strong> lieux <strong>et</strong> les noms <strong>de</strong> familles qui entraient dansleurs récits existaient réellement, bien qu'ils n'en eussent aucun souvenir à l'état <strong>de</strong>veille ; mais je n'ai pu trouver dans les actes <strong>de</strong> l'état civil aucune trace <strong>de</strong>spersonnages obscurs qu'ils auraient vécus.»Nous empruntons d'autres détails complémentaires à une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> M.<strong>de</strong> Rochas, plus étendue que <strong>la</strong> précé<strong>de</strong>nte 14 :«Ces suj<strong>et</strong>s ne se connaissaient pas. L'une, nommée Joséphine, a 18 ans <strong>et</strong>habite Voiron ; elle n'est pas mariée. L'autre, Eugénie, a 35 ans, <strong>et</strong> habiteGrenoble ; elle est veuve, a <strong>de</strong>ux enfants <strong>et</strong> possè<strong>de</strong> une nature apathique, trèsfranche <strong>et</strong> peu curieuse. Toutes <strong>de</strong>ux ont une bonne santé <strong>et</strong> une conduiterégulière. Connaissant leurs familles, j'ai pu vérifier l'exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> leursrévé<strong>la</strong>tions rétrospectives dans une foule <strong>de</strong> détails qui n'auraient aucun intérêtpour le lecteur. J'en citerai seulement quelques-uns re<strong>la</strong>tifs à Eugénie, afin d'endonner une idée ; ils sont extraits <strong>de</strong>s procès-verbaux <strong>de</strong> nos séances avec ledocteur Bordier, directeur <strong>de</strong> l'Ecole <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Grenoble :Endormie, je <strong>la</strong> ramène <strong>de</strong> quelques années en arrière. Je vois une <strong>la</strong>rme perler àses yeux. Elle me dit qu'elle a vingt ans <strong>et</strong> qu'elle vient <strong>de</strong> perdre un enfant.... Continuation <strong>de</strong>s passes. Sursaut brusque avec cri d'effroi ; elle a vuapparaître à côté d'elle les fantômes <strong>de</strong> sa grand-mère <strong>et</strong> d'une <strong>de</strong> ses tantes, mortes14 Voir A. <strong>de</strong> Rochas, les Vies successives, Chacornac, édit., 1911, 68-75.


158 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>de</strong>puis peu. (C<strong>et</strong>te apparition, qui a eu lieu à l'âge auquel je l'ai ramenée, lui avaitfait une très profon<strong>de</strong> impression.)... La voici maintenant à 11 ans. Elle va faire sa première communion ; ses plusgros péchés sont d'avoir quelquefois désobéi à sa grand-maman <strong>et</strong> <strong>sur</strong>tout d'avoirpris un sou dans <strong>la</strong> poche <strong>de</strong> son papa ; elle a eu bien honte <strong>et</strong> lui en a <strong>de</strong>mandépardon.... A 9 ans. - Sa mère est morte <strong>de</strong>puis huit jours ; elle a beaucoup <strong>de</strong> chagrin.Son père vient <strong>de</strong> lui faire quitter Vinay, où il est teinturier, pour l'envoyer àGrenoble chez son grand-père, afin d'y apprendre <strong>la</strong> couture.A 6 ans. - Elle est à l'école <strong>de</strong> Vinay <strong>et</strong> sait déjà bien écrire.A 4 ans. - Elle gar<strong>de</strong> sa p<strong>et</strong>ite soeur quand elle n'est pas à l'école. Ellecommence à faire <strong>de</strong>s barres <strong>et</strong> à écrire quelques l<strong>et</strong>tres.Des passes transversales, en <strong>la</strong> réveil<strong>la</strong>nt, <strong>la</strong> font passer exactement par lesmêmes phases <strong>et</strong> les mêmes états d'âme.»<strong>Le</strong> colonel expérimente ce qu'il appelle «l'instinct <strong>de</strong> <strong>la</strong> pu<strong>de</strong>ur», àdifférentes phases du sommeil ; il soulève légèrement <strong>la</strong> robe d'Eugénie,qui <strong>la</strong> rabat chaque fois avec vivacité ou lui donne <strong>de</strong>s tapes. «Toutep<strong>et</strong>ite, elle ne réagit plus contre c<strong>et</strong> attouchement ; sa pu<strong>de</strong>ur n'est pasencore éveillée.»«Joséphine, à Voiron, a présenté les mêmes phénomènes re<strong>la</strong>tivement àl'écriture à différents âges. (Suivent cinq spécimens montrant le progrès <strong>de</strong> soninstruction <strong>de</strong> 4 à 18 ans.)Jusqu'à présent, nous avons marché <strong>sur</strong> un terrain ferme ; nous avons observéun phénomène physiologique difficilement explicable, mais que <strong>de</strong>s expériences <strong>et</strong><strong>de</strong>s vérifications nombreuses perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> considérer comme certain. Nous allonsmaintenant entrevoir <strong>de</strong>s horizons nouveaux.Nous avons <strong>la</strong>issé Eugénie à l'état <strong>de</strong> tout p<strong>et</strong>it enfant al<strong>la</strong>ité par sa mère. Enapprofondissant davantage son sommeil, je déterminai un changement <strong>de</strong>personnalité. Elle n'était plus vivante ; elle flottait dans une <strong>de</strong>mi-obscurité,n'ayant ni pensée, ni besoins, ni communication avec personne. Puis <strong>de</strong>s souvenirsencore plus lointains.Elle avait été auparavant une p<strong>et</strong>ite fille, morte très jeune, d'une fièvreoccasionnée par <strong>la</strong> <strong>de</strong>ntition ; elle voit ses parents en <strong>la</strong>rmes autour <strong>de</strong> son corps,dont elle s'est dégagée très vite.Je procédai ensuite au réveil, par <strong>de</strong>s passes transversales. En se réveil<strong>la</strong>nt, elleparcourt en sens inverse toutes les phases signalées précé<strong>de</strong>mment <strong>et</strong> me donne <strong>de</strong>nouveaux détails provoqués par mes <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s. - Quelque temps avant sa <strong>de</strong>rnièreincarnation, elle a senti qu'elle <strong>de</strong>vait revivre dans une certaine famille ; elle s'estrapprochée <strong>de</strong> celle qui <strong>de</strong>vait être sa mère <strong>et</strong> qui venait <strong>de</strong> concevoir... Elle estentrée, peu à peu, «par bouffées» dans le p<strong>et</strong>it corps. Jusqu'à sept ans, elle a vécu,en partie, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ce corps charnel qu'elle voyait, aux premiers mois <strong>de</strong> savie, comme si elle était p<strong>la</strong>cée à l'extérieur. Elle ne distinguait pas bien alors les


RENOVATION DE LA MEMOIRE 159obj<strong>et</strong>s matériels qui l'entouraient, mais, en revanche, elle avait <strong>la</strong> perceptiond'Esprits flottant autour d'elle. <strong>Le</strong>s uns, très bril<strong>la</strong>nts, <strong>la</strong> protégeaient contred'autres, sombres <strong>et</strong> malfaisants, qui cherchaient à influencer son corps physique ;quand ces <strong>de</strong>rniers y parvenaient, ils provoquaient ces accès <strong>de</strong> rage que lesmamans appellent <strong>de</strong>s caprices.»Suivent <strong>de</strong> longs détails, fort intéressants d'ailleurs, <strong>sur</strong> d'autresexistences <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité qui fut en <strong>de</strong>rnier lieu Joséphine ; <strong>et</strong> M. <strong>de</strong>Rochas termine ainsi :«Il est, du reste, fort difficile <strong>de</strong> concevoir comment <strong>de</strong>s actions mécaniques,comme celles <strong>de</strong>s passes, déterminent le phénomène <strong>de</strong> <strong>la</strong> régression <strong>de</strong> <strong>la</strong>mémoire d'une façon absolument certaine jusqu'à un moment déterminé, <strong>et</strong> queces actions, continuées exactement <strong>de</strong> <strong>la</strong> même manière, changent brusquement, àce moment-<strong>la</strong>, leur eff<strong>et</strong> pour ne plus donner naissance qu'à <strong>de</strong>s hallucinations.»Nous n'ajouterons rien à ces commentaires, dans <strong>la</strong> crainte <strong>de</strong> lesaffaiblir. Nous préférons passer sans transition à une autre séried'expériences <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Rochas, faites à Aix-en-Provence, expériencesre<strong>la</strong>tées, séance par séance, dans les Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques <strong>de</strong>juill<strong>et</strong> 1905 15 :<strong>Le</strong> suj<strong>et</strong> est une jeune fille <strong>de</strong> 18 ans, jouissant d'une parfaite santé <strong>et</strong> n'ayantjamais entendu parler <strong>de</strong> magnétisme ni <strong>de</strong> spiritisme. Mlle Marie Mayo est <strong>la</strong> filled'un ingénieur français, mort en Orient. Elle a été élevée à Beyrouth, où elle étaitconfiée aux soins <strong>de</strong> domestiques indigènes ; elle y apprenait à lire <strong>et</strong> à écrire enarabe. Puis elle a été ramenée en France <strong>et</strong> habite Aix avec une tante.<strong>Le</strong>s séances avaient pour témoins le docteur Bertrand, ancien maire d'Aix,mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille, <strong>et</strong> M. Lacoste, ingénieur, à qui on doit <strong>la</strong> rédaction <strong>de</strong> <strong>la</strong>plupart <strong>de</strong>s procès-verbaux. Ces séances furent très nombreuses. L'énumération<strong>de</strong>s faits remplit 50 pages <strong>de</strong>s Annales. <strong>Le</strong>s premières expériences, entreprises aucours <strong>de</strong> décembre 1904, portent <strong>sur</strong> <strong>la</strong> rénovation <strong>de</strong>s souvenirs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie actuelle.<strong>Le</strong> suj<strong>et</strong>, plongé dans l'hypnose par le colonel, recule par <strong>de</strong>grés dans le passé <strong>et</strong>revit les scènes <strong>de</strong> son enfance. Elle donne, à ses différents âges, <strong>de</strong>s spécimens <strong>de</strong>son écriture, que l'on peut contrôler. A 8 ans, elle écrit en arabe <strong>et</strong> trace <strong>de</strong>scaractères qu'elle a oubliés <strong>de</strong>puis.On obtient ensuite <strong>la</strong> rénovation <strong>de</strong>s vies antérieures. Alternativement,remontant <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong> ses existences, ou bien <strong>la</strong> re<strong>de</strong>scendant pour revenir versl'époque actuelle, sous l'empire <strong>de</strong>s procédés magnétiques que nous avonsindiqués, le suj<strong>et</strong> passe <strong>et</strong> repasse par les mêmes étapes, dans le même ordre, soitdirect, soit rétrogra<strong>de</strong>, avec une lenteur, dit le colonel, «qui rend les explorationsdifficiles au-<strong>de</strong>là d'un certain nombre <strong>de</strong> vies <strong>et</strong> <strong>de</strong> personnalités».La simu<strong>la</strong>tion n'est pas possible. Mayo traverse les différents états hypnotiques<strong>et</strong>, à chacun d'eux, elle manifeste les symptômes qui le caractérisent. A plusieurs15 Voir aussi son livre les Vies successives, pages 123-162.


160 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEreprises, le docteur Bertrand constate <strong>la</strong> catalepsie, <strong>la</strong> contracture, l'insensibilitécomplète. Mayo passe <strong>la</strong> main <strong>sur</strong> une bougie sans <strong>la</strong> sentir. «Elle ne sentabsolument pas l'ammoniaque. Ses yeux ne réagissent pas à <strong>la</strong> lumière ; <strong>la</strong> pupillen'est pas impressionnée par une <strong>la</strong>mpe ou une bougie avancée brusquement tropprès <strong>de</strong> son oeil ou reculée rapi<strong>de</strong>ment 16 .» En revanche, <strong>la</strong> sensibilité à distanceest très accentuée, ce qui démontre, en toute évi<strong>de</strong>nce, le phénomène <strong>de</strong>l'extériorisation. Citons les procès-verbaux :«Je fais remonter à Mayo le cours <strong>de</strong>s années ; elle va ainsi jusqu'à l'époque <strong>de</strong>sa naissance. En <strong>la</strong> poussant plus loin, elle se rappelle qu'elle a déjà vécu ; qu'elles'appe<strong>la</strong>it Line ; qu'elle est morte noyée, puis, qu'elle s'est élevée dans l'air ; qu'elley a vu <strong>de</strong>s êtres lumineux, mais qu'il ne lui avait pas été permis <strong>de</strong> leur parler. Au<strong>de</strong>là<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> Line, elle se r<strong>et</strong>rouve encore dans l'erraticité, mais dans un étatassez pénible, parce que, auparavant, elle avait été un homme «pas bon».Dans c<strong>et</strong>te incarnation, elle s'appe<strong>la</strong>it Charles Mauville. Elle débute dans <strong>la</strong> viepublique comme employé <strong>de</strong> bureau, à Paris. On se battait alors constamment dansles rues. Lui-même a tué du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> y prenait p<strong>la</strong>isir ; il était méchant. Oncoupait <strong>de</strong>s têtes <strong>sur</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce.A 50 ans, il a quitté le bureau, est ma<strong>la</strong><strong>de</strong> (Mayo tousse) <strong>et</strong> ne tar<strong>de</strong> pas àmourir. Il peut suivre son enterrement <strong>et</strong> entendre les gens dire qu'il «a trop fait <strong>la</strong>noce». Il reste pendant quelque temps attaché à son corps. Il souffre, estmalheureux. Enfin, il passe dans le corps <strong>de</strong> Line.Autres séances reconstituant l'existence <strong>de</strong> Line, <strong>la</strong> Br<strong>et</strong>onne : «Je ralentis lespasses quand j'arrive à l'époque <strong>de</strong> sa mort ; <strong>la</strong> respiration <strong>de</strong>vient alorsentrecoupée le corps se ba<strong>la</strong>nce comme porté par les vagues <strong>et</strong> elle présente <strong>de</strong>ssuffocations.»Séance du 29 décembre 1904. - M. <strong>de</strong> Rochas comman<strong>de</strong> : «Re<strong>de</strong>viens Line...au moment où elle s'est noyée.» Aussitôt, Mayo fait un brusque mouvement <strong>sur</strong>son fauteuil ; elle se r<strong>et</strong>ourne <strong>sur</strong> le côté droit, <strong>la</strong> figure dans ses mains <strong>et</strong> resteainsi quelques secon<strong>de</strong>s. On dirait une première phase <strong>de</strong> l'acte qui s'accomplitvolontairement, car si Line meurt noyée, c'est une noya<strong>de</strong> volontaire, un suici<strong>de</strong>,ce qui donne à <strong>la</strong> scène un aspect tout particulier, bien différent d'une noya<strong>de</strong>involontaire.Puis Mayo revient brusquement du côté gauche. <strong>Le</strong>s mouvements respiratoiresse précipitent <strong>et</strong> <strong>de</strong>viennent difficiles ; <strong>la</strong> poitrine se soulève avec effort <strong>et</strong>irrégulièrement ; <strong>la</strong> figure exprime l'anxiété, l'angoisse ; les yeux sont effarés. Ellefait <strong>de</strong> véritables mouvements <strong>de</strong> déglutition, comme si elle ava<strong>la</strong>it <strong>de</strong> l'eau, maismalgré elle, car on voit qu'elle résiste. Elle pousse à ce moment quelques crisinarticulés ; elle se tord plutôt qu'elle ne se débat <strong>et</strong> sa figure exprime une si réellesouffrance que M. <strong>de</strong> Rochas lui ordonne <strong>de</strong> vieillir <strong>de</strong> quelques heures. Puis il lui<strong>de</strong>man<strong>de</strong> :«T'es-tu débattue longtemps ? - Oui.16 Annales <strong>de</strong>s sciences psychiques, juill<strong>et</strong> 1905, page 391.


RENOVATION DE LA MEMOIRE 161Est-ce une mauvaise mort ? - Oui.Où es-tu ? - Dans le gris.»30 décembre 1904. - Existence <strong>de</strong> Ch. Mauville. Mayo r<strong>et</strong>race une <strong>de</strong>s phases<strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die qui l'emporte. Elle semble éprouver toutes les caractéristiques <strong>de</strong>sma<strong>la</strong>dies <strong>de</strong> poitrine : oppression, quintes <strong>de</strong> toux pénibles. Elle meurt <strong>et</strong> assiste àson convoi :«Y avait-il beaucoup <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière ton cercueil ? - Non.Que disait-on <strong>de</strong> toi ? Pas <strong>de</strong> bien n'est-ce pas ? On rappe<strong>la</strong>it que tu avais été unméchant homme ? - (Après hésitation <strong>et</strong> tout bas.) - Oui.»Elle est ensuite dans le «noir» ; le colonel le lui fait traverser rapi<strong>de</strong>ment, elle seréincarne en Br<strong>et</strong>agne. Elle se voit enfant, puis jeune fille, elle a 16 ans <strong>et</strong> neconnaît pas encore son futur mari ; à 18 ans, elle le rencontre, l'épouse peu après <strong>et</strong><strong>de</strong>vient mère. Ici, nous assistons à une scène d'accouchement d'un réalismefrappant 17 . <strong>Le</strong> suj<strong>et</strong> se renverse <strong>sur</strong> son fauteuil, ses membres se raidissent, safigure se contracte, <strong>et</strong> ses souffrances paraissent si intenses que le colonel luiordonne <strong>de</strong> passer rapi<strong>de</strong>ment.Elle a 22 ans, elle a perdu son mari dans un naufrage <strong>et</strong> son p<strong>et</strong>it enfant estmort. Désespérée, elle se noie. C<strong>et</strong> épiso<strong>de</strong>, qu'elle a déjà reproduit dans une autreséance, est si douloureux, que le colonel lui prescrit <strong>de</strong> passer outre, ce qu'elle fait,mais non sans éprouver une violente secousse. Dans le «gris» où elle se voitensuite, elle ne souffre pas, comme nous l'avons dit, alors qu'elle avait souffertdans le «noir», après <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Ch. Mauville. Elle se réincarne dans sa familleactuelle <strong>et</strong> est ramenée à son âge présent. <strong>Le</strong> changement a lieu au moyen <strong>de</strong>passes magnétiques transversales.31 décembre 1904. - «Je me propose dans c<strong>et</strong>te séance d'obtenir quelquesnouveaux détails <strong>sur</strong> <strong>la</strong> personnalité <strong>de</strong> Charles Mauville <strong>et</strong> <strong>de</strong> tâcher <strong>de</strong> pousserMayo jusqu'à une vie précé<strong>de</strong>nte. J'approfondis, en conséquence, rapi<strong>de</strong>ment lesommeil au moyen <strong>de</strong> passes longitudinales jusqu'à l'enfance <strong>de</strong> Mauville. Aumoment où je l'interroge, il a 5 ans ; son père est contremaître dans unemanufacture, sa mère est vêtue <strong>de</strong> noir <strong>et</strong> porte un bonn<strong>et</strong>. Je continue àapprofondir le sommeil.Avant sa naissance, il est dans le «noir», il souffre. Auparavant, il a été unedame dont le mari était gentilhomme, attaché à <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> Louis XIV ; elles'appe<strong>la</strong>it Ma<strong>de</strong>leine <strong>de</strong> Saint-Marc.Enquête <strong>sur</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te dame. Elle a connu Mlle <strong>de</strong> La Vallière, qui lui étaitsympathique : elle ne connaît presque pas Mme <strong>de</strong> Montespan. Mme <strong>de</strong>Maintenon lui dép<strong>la</strong>ît.«On dit que le Roi l'a épousée secrètement ? - Peuh ! c'est tout simplement samaîtresse.Et le Roi, comment le trouvez-vous ? - C'est un orgueilleux.Connaissez-vous M. Scarron ? - Dieu ! qu'il était <strong>la</strong>id.17 C<strong>et</strong> inci<strong>de</strong>nt ne lui sera pas, naturellement, révélé au réveil.


162 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEAvez-vous vu jouer M. <strong>de</strong> Molière ? - Oui, mais je ne l'aime pas beaucoup.Connaissez-vous M. Corneille ? - C'est un sauvage.Et M. Racine ? - Je connais <strong>sur</strong>tout ses oeuvres ; je les aime beaucoup.»Je lui propose <strong>de</strong> <strong>la</strong> faire vieillir, pour qu'elle voie ce qui lui arrivera plus tard.Elle s'y refuse absolument. C'est en vain que je comman<strong>de</strong> avec autorité ; je neparviens à vaincre sa résistance qu'au moyen d'énergiques passes transversales,auxquelles elle cherche à se dérober par tous les moyens.Au moment où je m'arrête, elle a 40 ans ; elle a quitté <strong>la</strong> cour ; elle tousse <strong>et</strong> sesent ma<strong>la</strong><strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> poitrine. Je <strong>la</strong> fais parler <strong>sur</strong> son caractère ; elle avoue qu'elle estégoïste <strong>et</strong> jalouse, <strong>sur</strong>tout <strong>de</strong>s jolies femmes.A 45 ans, elle se meurt phtisique. J'assiste à une courte agonie <strong>et</strong> elle entre dansle noir.»Arrêtons-nous un instant, pour considérer l'ensemble <strong>de</strong> ces faits,rechercher les garanties d'authenticité qu'ils présentent <strong>et</strong> en dégager lesenseignements.Une chose nous frappe tout d'abord : c'est, dans chaque vie rénovée, <strong>la</strong>répétition constante, au cours <strong>de</strong> séances multiples, <strong>de</strong>s mêmesévénements, dans le même ordre, soit ascendant, soit <strong>de</strong>scendant, d'unefaçon spontanée, sans hésitation, erreur ni confusion 18 .Puis c<strong>et</strong>te constatation unanime <strong>de</strong>s expérimentateurs, en Espagne, àGenève, Grenoble, Aix, <strong>et</strong>c., constatation que j'ai pu faire moi-même,chaque fois que j'ai observé <strong>de</strong>s phénomènes <strong>de</strong> ce genre : à chaqueexistence nouvelle qui se déroule, l'attitu<strong>de</strong>, le geste, le <strong>la</strong>ngage du suj<strong>et</strong>changent ; l'expression du regard diffère, <strong>de</strong>venant plus dure, à me<strong>sur</strong>equ'on recule dans l'ordre <strong>de</strong>s temps. On assiste à l'exhumation d'unensemble <strong>de</strong> vues, <strong>de</strong> préjugés, <strong>de</strong> croyances en rapport avec l'époque <strong>et</strong>le milieu où c<strong>et</strong>te existence s'est accomplie. Quand le suj<strong>et</strong> est unefemme <strong>et</strong> qu'il passe par une incarnation masculine, <strong>la</strong> physionomie esttout autre ; <strong>la</strong> voix est plus forte, le ton plus élevé, les allures affectentune certaine brusquerie. <strong>Le</strong>s différences ne sont pas moins accuséeslorsqu'on traverse une pério<strong>de</strong> enfantine.<strong>Le</strong>s états physiques <strong>et</strong> mentaux s'enchaînent, se relient toujours dansune étroite connexité, se complétant les uns par les autres <strong>et</strong> restantinséparables. Chaque souvenir évoqué, chaque scène revécue, mobilis<strong>et</strong>out un cortège <strong>de</strong> sensations <strong>et</strong> d'impressions, riantes ou pénibles,18 Un autre expérimentateur, M. A. Bouvier, dit (Paix universelle <strong>de</strong> Lyon, 15 septembre 1906) :«Chaque fois que le suj<strong>et</strong> repasse une même vie, quelles que soient les précautions prises pourle tromper ou le faire tromper, il reste toujours <strong>la</strong> même individualité, avec son caractèrepersonnel, redressant au besoin les erreurs <strong>de</strong> ceux qui l'interrogent.»


RENOVATION DE LA MEMOIRE 163comiques ou poignantes, suivant les cas, mais parfaitement adéquates à<strong>la</strong> situation. La loi <strong>de</strong> corré<strong>la</strong>tion constatée par Pierre Jan<strong>et</strong>, Th. Ribot,<strong>et</strong>c., se r<strong>et</strong>rouve <strong>et</strong> se manifeste ici dans toute sa rigueur, avec uneprécision mécanique, aussi bien en ce qui a trait aux scènes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieprésente que pour celles se rattachant aux vies antérieures. A elle seule,c<strong>et</strong>te corré<strong>la</strong>tion constante suffirait à as<strong>sur</strong>er à ces <strong>de</strong>ux ordres <strong>de</strong>souvenirs le même caractère <strong>de</strong> probabilité. <strong>Le</strong>s souvenirs <strong>de</strong> l'existenceactuelle dans ses phases primaires, effacés <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire normale dusuj<strong>et</strong>, ayant pu être vérifiés exacts, ce qui est une preuve d'authenticitépour les uns <strong>de</strong>vient également une forte présomption en faveur <strong>de</strong>sautres.D'autre part, les suj<strong>et</strong>s ont reproduit avec une fidélité absolue, avecune vivacité d'impressions <strong>et</strong> <strong>de</strong> sensations nullement factices, <strong>de</strong>sscènes aussi émouvantes que compliquées : asphyxie par immersion,agonies causées par <strong>la</strong> phtisie au plus haut <strong>de</strong>gré, cas <strong>de</strong> grossesse suivid'accouchement, avec toute <strong>la</strong> série <strong>de</strong>s phénomènes physiques qui s'yrattachent : suffocations, douleurs, <strong>et</strong>c..Or, ces suj<strong>et</strong>s, presque tous <strong>de</strong>s jeunes filles <strong>de</strong> 16 à 18 ans, sont trèstimi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> leur nature <strong>et</strong> peu expertes en matière scientifique. De l'aveumême <strong>de</strong>s expérimentateurs, dont l'un est mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille <strong>de</strong>Mayo, leur incapacité <strong>de</strong> simuler ces scènes est notoire. Elles nepossè<strong>de</strong>nt aucune connaissance en physiologie ou en pathologie <strong>et</strong> n'ontété témoins, dans leur présente existence, d'aucun inci<strong>de</strong>nt susceptible <strong>de</strong>leur fournir <strong>de</strong>s indications <strong>et</strong> <strong>de</strong>s enseignements <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s faits <strong>de</strong> c<strong>et</strong>ordre 19 .Toutes ces considérations nous portent à écarter les soupçons <strong>de</strong>frau<strong>de</strong>, <strong>de</strong> supercherie ou l'hypothèse d'un simple jeu <strong>de</strong> l'imagination.Quel talent, quel art, quelle perfection d'attitu<strong>de</strong>, <strong>de</strong> geste <strong>et</strong> d'accentne faudrait-il pas dépenser d'une façon soutenue, au cours <strong>de</strong> tant <strong>de</strong>séances, pour imaginer <strong>et</strong> simuler <strong>de</strong>s scènes aussi réalistes, parfoisdramatiques, en présence d'expérimentateurs habiles à démasquerl'imposture, <strong>de</strong> praticiens toujours en gar<strong>de</strong> contre l'erreur ou <strong>la</strong>fourberie ? Un tel rôle ne saurait être attribué à <strong>de</strong> jeunes personnes nepossédant aucune expérience <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, n'ayant reçu qu'une instructionfort restreinte, voire élémentaire.19 C<strong>et</strong>te opinion a été émise en ma présence, lors <strong>de</strong> mon passage à Aix, par MM. Lacoste <strong>et</strong> ledocteur Bertrand.


164 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEAutre chose : dans l'enchaînement <strong>de</strong> ces récits, dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong>sêtres qui sont en cause, dans les péripéties <strong>de</strong> leurs existences, nousr<strong>et</strong>rouvons sans cesse <strong>la</strong> confirmation <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te haute loi <strong>de</strong> causalité ou<strong>de</strong> conséquence <strong>de</strong>s actes qui régit le mon<strong>de</strong> moral. Certes on ne peutpas voir là un refl<strong>et</strong> <strong>de</strong>s opinions <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s, puisque ceux-ci nepossè<strong>de</strong>nt aucune notion <strong>sur</strong> ce point, le milieu où ils ont vécu,l'éducation reçue ne les ayant nullement préparés à <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong>svies successives, comme l'attestent les observateurs 20 .Evi<strong>de</strong>mment, beaucoup <strong>de</strong> sceptiques penseront que ces faits sontencore trop peu nombreux pour qu'on puisse en dégager une théorieferme <strong>et</strong> <strong>de</strong>s conclusions définitives. On dira qu'il convient d'attendrepour ce<strong>la</strong> une accumu<strong>la</strong>tion plus considérable <strong>de</strong> preuves <strong>et</strong> <strong>de</strong>témoignages. On nous objectera peut-être maintes expériences d'alluressuspectes, où abon<strong>de</strong>nt les anachronismes, les contradictions, les faitsapocryphes. Il se dégage <strong>de</strong> ces récits fantaisistes <strong>la</strong> forte impression que<strong>de</strong>s observateurs bénévoles ont pu être joués, mystifiés. Mais en quoi lesexpériences sérieuses en seraient-elles amoindries ? <strong>Le</strong>s abus, les erreursqui se produisent ça <strong>et</strong> là ne sauraient atteindre les étu<strong>de</strong>s poursuiviesavec une métho<strong>de</strong> précise <strong>et</strong> un rigoureux esprit <strong>de</strong> contrôle.Somme toute, nous estimons pour notre part que les faits re<strong>la</strong>tés plushaut, joints à beaucoup d'autres <strong>de</strong> même nature qu'il serait superflud'énumérer ici, sont suffisants pour établir l'existence, à <strong>la</strong> base <strong>de</strong>l'édifice du moi, d'une sorte <strong>de</strong> crypte où s'entasse une immense réserve<strong>de</strong> connaissances <strong>et</strong> <strong>de</strong> souvenirs. <strong>Le</strong> long passé <strong>de</strong> l'être y a <strong>la</strong>issé sestraces ineffaçables qui, seules, pourront nous dire le secr<strong>et</strong> <strong>de</strong>s origines<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'évolution, le mystère profond <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature humaine.Il est, dit Herbert Spencer, <strong>de</strong>ux processus <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong>conscience : l'assimi<strong>la</strong>tion <strong>et</strong> le souvenir. Mais, il faut bien lereconnaître, <strong>la</strong> conscience normale dont il parle n'est qu'une conscienceprécaire <strong>et</strong> restreinte. Elle vacille aux bords <strong>de</strong>s abîmes <strong>de</strong> l'âme commeune f<strong>la</strong>mme intermittente, éc<strong>la</strong>irant un mon<strong>de</strong> caché où sommeillent <strong>de</strong>sforces, <strong>de</strong>s images, où s'accumulent les impressions recueillies <strong>de</strong>puis lepoint initial <strong>de</strong> l'être.Et tout ce<strong>la</strong>, caché pendant <strong>la</strong> vie sous les voiles <strong>de</strong> <strong>la</strong> chair, se révèledans <strong>la</strong> transe, sort <strong>de</strong> l'ombre avec d'autant plus <strong>de</strong> n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é que l'âme estplus dégagée <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière <strong>et</strong> plus évoluée.20 Voir à ce suj<strong>et</strong> A. <strong>de</strong> Rochas, les Vies successives, page 501.


RENOVATION DE LA MEMOIRE 165** *Quant aux réserves faites par le colonel <strong>de</strong> Rochas à propos <strong>de</strong>sinexactitu<strong>de</strong>s relevées par lui dans les récits <strong>de</strong>s hypnotisés, au cours <strong>de</strong>ses enquêtes, nous <strong>de</strong>vons ajouter une chose : il n'y a rien d'étonnant à ceque <strong>de</strong>s erreurs aient pu se produire, étant donné l'état mental <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s<strong>et</strong> <strong>la</strong> quantité d'éléments connus <strong>et</strong> inconnus - à l'heure présente - quientrent en jeu dans ces phénomènes si nouveaux pour <strong>la</strong> science. Ceuxcipourraient être attribués à trois causes différentes, soit à <strong>de</strong>sréminiscences directes <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s, soit à <strong>de</strong>s visions ou encore à <strong>de</strong>ssuggestions d'origine extérieure. Pour le premier cas, remarquons-le,dans toutes les expériences ayant pour but <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en vibration lesforces animiques, l'être ressemble à un foyer qui s'allume <strong>et</strong> s'avive, <strong>et</strong>,dans son activité, proj<strong>et</strong>te <strong>de</strong>s vapeurs, <strong>de</strong>s fumées qui voilent <strong>de</strong> temps àautre <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme intérieure. Parfois, chez <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s peu évolués, peuexercés, les souvenirs normaux, les impressions récentes se mêlerontdonc à <strong>de</strong>s réminiscences plus lointaines. L'habil<strong>et</strong>é <strong>de</strong>sexpérimentateurs consistera à faire <strong>la</strong> part <strong>de</strong> ces éléments troub<strong>la</strong>nts, àdissiper ces brumes <strong>et</strong> ces ombres, pour rendre au fait central sonimportance <strong>et</strong> son éc<strong>la</strong>t.On pourrait encore voir là les résultats <strong>de</strong> suggestions exercées par lesmagnétiseurs ou par <strong>de</strong>s personnalités étrangères. Voici ce que dit, <strong>sur</strong> cepoint, le colonel <strong>de</strong> Rochas 21 :«Ces suggestions ne viennent certainement pas <strong>de</strong> moi, qui ai non seulementévité tout ce qui pouvait m<strong>et</strong>tre le suj<strong>et</strong> <strong>sur</strong> une voie déterminée, mais qui aisouvent cherché en vain à l'égarer par <strong>de</strong>s suggestions différentes. Il en a été <strong>de</strong>même pour les autres expérimentateurs qui se sont livrés à c<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong>.Sont-elles l'eff<strong>et</strong> d'idées qui, suivant l'expression popu<strong>la</strong>ire, «sont dans l'air» <strong>et</strong>qui agissent plus fortement <strong>sur</strong> l'esprit du suj<strong>et</strong> dégagé <strong>de</strong>s liens du corps ? Ce<strong>la</strong>pourrait bien être dans une certaine me<strong>sur</strong>e, car on a remarqué que toutes lesrévé<strong>la</strong>tions <strong>de</strong>s extatiques se ressentent plus ou moins du milieu dans lequel ils ontvécu.Sont-elles dues à <strong>de</strong>s entités invisibles qui, vou<strong>la</strong>nt répandre parmi les hommes<strong>la</strong> croyance aux incarnations successives, procè<strong>de</strong>nt comme <strong>la</strong> Morale en action, àl'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ites histoires sous <strong>de</strong>s noms supposés, pour éviter les revendicationsentre vivants ?»21 Annales <strong>de</strong>s sciences psychiques, janvier 1906, page 22.


166 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>Le</strong>s Invisibles, consultés <strong>sur</strong> <strong>la</strong> même question par <strong>la</strong> voiemédiumnique, ont répondu 22 :«Lorsque le suj<strong>et</strong> n'est pas suffisamment dégagé pour lire en lui-même l'histoire<strong>de</strong> son passé, il arrive que nous procédons par tableaux successifs, reproduisant àsa vue ses propres existences. Ce sont bien alors <strong>de</strong>s visions, <strong>et</strong> c'est pourquoi ellesne sauraient être toujours exactes.Nous pouvons vous initier à votre passé, sans toutefois préciser les dates <strong>et</strong> leslieux. N'oubliez pas que, dégagés <strong>de</strong>s conventions terrestres, il n'y a plus pournous ni temps ni espace. Vivant en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ces limites, nous comm<strong>et</strong>tonsfacilement <strong>de</strong>s erreurs en tout ce qui s'y rattache. Nous considérons tout ce<strong>la</strong>comme <strong>de</strong> très p<strong>et</strong>ites choses <strong>et</strong> nous préférons vous entr<strong>et</strong>enir <strong>de</strong> vos actes bonsou mauvais <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs conséquences. Si quelques dates, si quelques noms ne ser<strong>et</strong>rouvent pas dans vos archives, vous en concluez que tout est faux. Erreurprofon<strong>de</strong> <strong>de</strong> votre jugement ! <strong>Le</strong>s difficultés sont gran<strong>de</strong>s pour vous donner <strong>de</strong>sconnaissances aussi précises que vous l'exigez. Mais, croyez-nous, ne vous <strong>la</strong>ssezpas dans vos recherches. C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> est <strong>la</strong> plus noble <strong>de</strong> toutes. Ne sentez-vouspas que répandre <strong>la</strong> lumière est beau ? Cependant, <strong>sur</strong> votre p<strong>la</strong>nète, hé<strong>la</strong>s ! il sepassera encore bien du temps avant que les masses comprennent vers quelle auroreelles doivent aller !»Il serait facile d'ajouter un grand nombre <strong>de</strong> faits se rattachant aumême ordre <strong>de</strong> recherches.<strong>Le</strong> prince Adam Wiszniewski, rue du Débarcadère, 7, à Paris, nouscommunique <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion suivante. Il <strong>la</strong> doit aux témoins eux-mêmes, dontquelques-uns vivent encore <strong>et</strong> n'ont consenti à être désignés que par <strong>de</strong>sinitiales :«<strong>Le</strong> prince Galitzin, le marquis <strong>de</strong> B..., le comte <strong>de</strong> R... étaient réunis, pendantl'été <strong>de</strong> 1862, aux eaux <strong>de</strong> Hombourg.Un soir, après avoir dîné très tard, ils se promenaient dans le parc du Casino ; ilsy aperçurent une pauvresse couchée <strong>sur</strong> un banc. L'ayant abordée <strong>et</strong> interrogée, ilsl'invitèrent à venir souper à l'hôtel. Après qu'elle eut soupé avec un grand appétit,le prince Galitzin, qui était magnétiseur, eut l'idée <strong>de</strong> l'endormir. Après <strong>de</strong>nombreuses passes, il y réussit. Quel ne fut pas l'étonnement <strong>de</strong>s personnesprésentes lorsque, profondément endormie, celle qui, dans <strong>la</strong> veille, ne s'exprimaitqu'en un mauvais dialecte allemand, se mit à parler très correctement en français,racontant qu'elle s'était réincarnée pauvrement, par punition, pour avoir commis uncrime dans sa vie précé<strong>de</strong>nte, au dix-huitième siècle. Elle habitait alors un châteauen Br<strong>et</strong>agne, au bord <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer. Ayant pris un amant, elle voulut se débarrasser <strong>de</strong>son mari <strong>et</strong> le précipita à <strong>la</strong> mer du haut d'un rocher. Elle désigna le lieu du crimeavec une gran<strong>de</strong> précision.22 Communication obtenue dans un groupe du Havre, en juin 1907.


RENOVATION DE LA MEMOIRE 167Grâce à ses indications, le prince Galitzin <strong>et</strong> le marquis <strong>de</strong> B... purent, plus tard,se rendre en Br<strong>et</strong>agne, dans les Côtes-du-Nord, séparément, <strong>et</strong> se livrer à <strong>de</strong>uxenquêtes, dont les résultats furent i<strong>de</strong>ntiques. Ayant questionné nombre <strong>de</strong>personnes, ils ne purent recueillir d'abord aucun renseignement. Ils trouvèrentenfin <strong>de</strong> vieux paysans qui se rappelèrent avoir entendu raconter, par leurs parents,l'histoire d'une jeune <strong>et</strong> belle châte<strong>la</strong>ine qui avait fait périr son époux en leprécipitant à <strong>la</strong> mer. Tout ce que <strong>la</strong> pauvre femme <strong>de</strong> Hombourg avait dit dansl'état somnambulique fut reconnu exact.<strong>Le</strong> prince Galitzin, à son r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> France, repassant à Hombourg, interrogea lecommissaire <strong>de</strong> police au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te femme. Ce fonctionnaire lui déc<strong>la</strong>ra qu'elleétait dépourvue <strong>de</strong> toute instruction, ne par<strong>la</strong>it qu'un vulgaire dialecte allemand <strong>et</strong>ne vivait que <strong>de</strong>s mesquines ressources d'une femme à soldats.»On le voit, <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s vies successives, enseignée par les gran<strong>de</strong>sécoles philosophiques du passé <strong>et</strong>, <strong>de</strong> nos jours, par le spiritualismekardéciste, reçoit, par les travaux <strong>de</strong>s savants <strong>et</strong> <strong>de</strong>s chercheurs, d'unefaçon tantôt directe, tantôt indirecte, <strong>de</strong> nouveaux <strong>et</strong> nombreux appoints.Grâce à l'expérimentation, les profon<strong>de</strong>urs les plus cachées <strong>de</strong> l'âmehumaine s'entrouvrent, <strong>et</strong> notre propre histoire semble se reconstituer <strong>de</strong><strong>la</strong> même manière que <strong>la</strong> géologie a pu reconstituer l'histoire du globe, enfouil<strong>la</strong>nt ses puissantes assises.La question reste encore pendante, il est vrai. On doit apporter uneextrême réserve dans les conclusions. Cependant, malgré les obscuritésqui subsistent, nous avons considéré comme un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> publier cesfaits <strong>et</strong> ces expériences, afin d'attirer <strong>sur</strong> eux l'attention <strong>de</strong>s penseurs <strong>et</strong><strong>de</strong> provoquer <strong>de</strong> nouvelles investigations. C'est à ce prix que <strong>la</strong> lumièrese fera peu à peu, complète, <strong>sur</strong> ce problème, comme elle s'est faite <strong>sur</strong>tant d'autres.** *En principe, nous l'avons dit, l'oubli <strong>de</strong>s existences antérieures est une<strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong> <strong>la</strong> réincarnation. Toutefois, c<strong>et</strong> oubli n'est pasabsolu. Chez beaucoup <strong>de</strong> personnes, le passé se r<strong>et</strong>rouve sous <strong>la</strong> formed'impressions, sinon <strong>de</strong> souvenirs précis. Ces impressions influencentparfois nos actes ; ce sont celles qui ne proviennent ni <strong>de</strong> l'éducation, nidu milieu, ni <strong>de</strong> l'hérédité. Dans le nombre, on peut c<strong>la</strong>sser lessympathies <strong>et</strong> les antipathies soudaines, les intuitions rapi<strong>de</strong>s, les idéesinnées. Il suffit <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre en nous-mêmes, <strong>de</strong> nous étudier avecattention, pour r<strong>et</strong>rouver dans nos goûts, nos tendances, dans les traits <strong>de</strong>notre caractère, <strong>de</strong> nombreux vestiges <strong>de</strong> ce passé. Malheureusement,


168 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEtrop peu, parmi nous, se livrent à c<strong>et</strong> examen d'une façon méthodique <strong>et</strong>attentive.Il y a plus. On peut citer, à toutes les époques <strong>de</strong> l'histoire, un certainnombre d'hommes qui, grâce à <strong>de</strong>s dispositions exceptionnelles <strong>de</strong> leurorganisme psychique, ont conservé <strong>de</strong>s souvenirs <strong>de</strong> leurs vies passées.Pour eux, <strong>la</strong> pluralité <strong>de</strong>s existences n'est pas une théorie ; c'est un faitdirectement perçu.<strong>Le</strong> témoignage <strong>de</strong> ces hommes revêt une importance considérable, ence sens qu'ils occupaient, dans <strong>la</strong> société <strong>de</strong> leur temps, une hautesituation ; presque tous, esprits supérieurs, ont exercé <strong>sur</strong> leur époqueune gran<strong>de</strong> influence. La faculté, très rare, dont ils jouissaient était, sansdoute, le résultat d'une immense évolution. La valeur d'un témoignageétant en rapport direct avec l'intelligence <strong>et</strong> l'intégrité du témoin, on nesaurait passer sous silence les affirmations <strong>de</strong> ces hommes, dontquelques-uns ont porté <strong>la</strong> couronne du génie.C'est un fait bien connu que Pythagore se rappe<strong>la</strong>it au moins trois <strong>de</strong>ses existences <strong>et</strong> les noms qu'il portait dans chacune d'elles 23 : ildéc<strong>la</strong>rait avoir été Hermotime, Euphorbe <strong>et</strong> l'un <strong>de</strong>s Argonautes. Julien,dit l'Apostat, tant calomnié par les chrétiens, mais qui fut, en réalité, une<strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s figures <strong>de</strong> l'histoire romaine, se rappe<strong>la</strong>it avoir étéAlexandre <strong>de</strong> Macédoine. Empédocle affirmait que, quant à lui, «il sesouvenait même d'avoir été successivement garçon <strong>et</strong> fille 24 ».D'après Her<strong>de</strong>r (Dialogues <strong>sur</strong> <strong>la</strong> Métempsycose), on doit ajouter à cesnoms ceux <strong>de</strong> Yarchas <strong>et</strong> d'Apollonius <strong>de</strong> Thyane.Au moyen âge, nous r<strong>et</strong>rouvons c<strong>et</strong>te faculté chez Jérôme Cardan.Parmi les mo<strong>de</strong>rnes, Lamartine déc<strong>la</strong>re, dans son Voyage en Orient,avoir eu <strong>de</strong>s réminiscences très n<strong>et</strong>tes d'un passé lointain. Voici sontémoignage :«Je n'avais en Judée ni Bible ni bagage à <strong>la</strong> main ; personne pour me donner lenom <strong>de</strong>s lieux <strong>et</strong> le nom antique <strong>de</strong>s vallées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s montagnes. Pourtant jereconnus <strong>de</strong> suite <strong>la</strong> vallée <strong>de</strong> Térébinthe <strong>et</strong> le champ <strong>de</strong> bataille <strong>de</strong> Saül. Quandnous fûmes au couvent, les Pères me confirmèrent l'exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> mes prévisions.Mes compagnons ne pouvaient le croire. De même à Séphora, j'avais désigné dudoigt <strong>et</strong> nommé par son nom une colline <strong>sur</strong>montée d'un château ruiné, comme lelieu probable <strong>de</strong> <strong>la</strong> naissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vierge. <strong>Le</strong> len<strong>de</strong>main, au pied d'une montagneari<strong>de</strong>, je reconnus le tombeau <strong>de</strong>s Macchabées <strong>et</strong> je disais vrai sans le savoir.23 Hérodote, Hist., t. II, chap. CXXIII ; Diogène Laerce, Vie <strong>de</strong> Pythagore.24 Fragment, vers. 11-12. Diogène Laerce, Vie d'Empédocle.


RENOVATION DE LA MEMOIRE 169Excepté les vallées du Liban, je n'ai presque jamais rencontré en Judée un lieu ouune chose qui ne fût pour moi comme un souvenir. Avons-nous donc vécu <strong>de</strong>uxfois ou mille fois ? Notre mémoire n'est-elle qu'une image ternie que le souffle <strong>de</strong>Dieu ravive ?»Chez Lamartine, <strong>la</strong> conception <strong>de</strong>s vies multiples <strong>de</strong> l'être était si vive,qu'il se proposait d'en faire l'idée maîtresse, l'inspiratrice par excellence<strong>de</strong> ses oeuvres. La Chute d'un ange était, dans sa pensée, le premieranneau, <strong>et</strong> Jocelyn le <strong>de</strong>rnier d'une série d'ouvrages qui <strong>de</strong>vaient serattacher les uns aux autres <strong>et</strong> r<strong>et</strong>racer l'histoire <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux âmespoursuivant, à travers les temps, leur évolution douloureuse. <strong>Le</strong>sagitations <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie politique ne lui <strong>la</strong>issèrent pas le loisir <strong>de</strong> relier entreeux les anneaux épars <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te chaîne <strong>de</strong> chefs-d'oeuvre 25 .Joseph Méry était pénétré <strong>de</strong>s mêmes idées. <strong>Le</strong> Journal littéraire, du25 novembre 1864, disait <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong> son vivant :«Il a <strong>de</strong>s théories singulières, qui sont pour lui <strong>de</strong>s convictions. Ainsi il croitfermement qu'il a vécu plusieurs fois ; il se rappelle les moindres circonstances <strong>de</strong>ses existences antérieures, <strong>et</strong> il les détaille avec une verve <strong>de</strong> certitu<strong>de</strong> quis'impose comme une autorité. Ainsi, il a été l'un <strong>de</strong>s amis <strong>de</strong> Virgile <strong>et</strong> d'Horace ;il a connu Auguste <strong>et</strong> Germanicus ; il a fait <strong>la</strong> guerre dans les Gaules <strong>et</strong> enGermanie. Il était général <strong>et</strong> il commandait les troupes romaines lorsqu'elles onttraversé le Rhin. Il reconnaît dans les montagnes <strong>de</strong>s sites où il a campé ; dans lesvallées, <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> bataille où il a combattu autrefois. Il s'appe<strong>la</strong>it alorsMinius. Ici se p<strong>la</strong>ce un épiso<strong>de</strong> qui semble bien établir que ces souvenirs ne sontpas simplement <strong>de</strong>s mirages <strong>de</strong> son imagination.Un jour, dans sa vie présente, il était à Rome <strong>et</strong> il visitait <strong>la</strong> bibliothèque duVatican. Il y fut reçu par <strong>de</strong> jeunes hommes, <strong>de</strong>s novices en longues robes brunes,qui se mirent à lui parler le <strong>la</strong>tin le plus pur. Méry était bon <strong>la</strong>tiniste en tout ce quitient à <strong>la</strong> théorie <strong>et</strong> aux choses écrites, mais il n'avait pas encore essayé <strong>de</strong> causerfamilièrement dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> Juvénal. En entendant ces Romains d'aujourd'hui,en admirant ce magnifique idiome, si bien harmonisé avec les moeurs <strong>de</strong> l'époqueoù il était en usage, avec les monuments, il lui semb<strong>la</strong> qu'un voile tombait <strong>de</strong> sesyeux, <strong>et</strong> que lui-même avait conversé, en d'autres temps, avec <strong>de</strong>s amis qui seservaient <strong>de</strong> ce <strong>la</strong>ngage divin. Des phrases toutes faites <strong>et</strong> irréprochables tombaient<strong>de</strong> ses lèvres ; il trouva immédiatement l'élégance <strong>et</strong> <strong>la</strong> correction ; il par<strong>la</strong> <strong>la</strong>tin,enfin, comme il parle français. Tout ce<strong>la</strong> ne pouvait se faire sans un apprentissage,<strong>et</strong>, s'il n'eût pas été un suj<strong>et</strong> d'Auguste, s'il n'eût pas traversé ce siècle <strong>de</strong> toutes lessplen<strong>de</strong>urs, il ne se serait pas improvisé une science impossible à acquérir enquelques heures.»25 Voir P<strong>et</strong>it <strong>de</strong> Julleville, Histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> littérature française, t. VII.


170 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>Le</strong> Journal littéraire, toujours au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> Méry, reprend : «Son autre passage<strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre a été aux In<strong>de</strong>s : voilà pourquoi, quand il a publié <strong>la</strong> Guerre du Nizan,il n'est pas un <strong>de</strong> ses lecteurs qui ait douté qu'il n'eût habité longtemps l'Asie. Ses<strong>de</strong>scriptions sont si vivantes, ses tableaux sont si originaux, il fait toucher du doigtles moindres détails. Il est impossible qu'il n'ait pas vu ce qu'il raconte ; le cach<strong>et</strong><strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité est là.Il prétend être entré dans ce pays avec l'expédition musulmane, en 1035. Il y avécu cinquante ans, il y a passé <strong>de</strong> beaux jours <strong>et</strong> il s'y est fixé pour ne plus ensortir. Là, il était encore poète, mais moins l<strong>et</strong>tré qu'à Rome <strong>et</strong> à Paris. Guerrierd'abord, rêveur ensuite, il a gardé dans son âme les images saisissantes <strong>de</strong>s bords<strong>de</strong> <strong>la</strong> rivière sacrée <strong>et</strong> <strong>de</strong>s sites hindous. Il avait plusieurs <strong>de</strong>meures à <strong>la</strong> ville <strong>et</strong> à <strong>la</strong>campagne, il a prié dans le temple <strong>de</strong>s Eléphants, il a connu <strong>la</strong> civilisation avancée<strong>de</strong> Java, il a vu les splendi<strong>de</strong>s ruines qu'il signale <strong>et</strong> que l'on connaît encore si peu.Il faut l'entendre raconter ses poèmes, car ce sont <strong>de</strong> vrais poèmes que cessouvenirs à <strong>la</strong> Swe<strong>de</strong>nborg. Il est très sérieux, n'en doutez pas. Ce n'est pas unemystification arrangée aux dépens <strong>de</strong> ses auditeurs. C'est une réalité dont ilparvient à vous convaincre.»Paul Stapfer, dans son livre intitulé : Victor Hugo à Guernesey,raconte ses entr<strong>et</strong>iens avec le grand poète. Celui-ci lui disait sa croyanceaux vies successives. Il croyait avoir été Eschyle, Juvénal, <strong>et</strong>c.. Il fautreconnaître que ces propos ne brillent pas par un excès <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>stie <strong>et</strong>manquent un peu <strong>de</strong> preuves démonstratives.<strong>Le</strong> philosophe subtil <strong>et</strong> profond que fut Amiel écrivait : «Quand jepense aux intuitions <strong>de</strong> toutes sortes que j'ai eues <strong>de</strong>puis monadolescence, il me semble que j'ai vécu bien <strong>de</strong>s douzaines <strong>et</strong> presque<strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> vies. Toute individualité caractérise ce mon<strong>de</strong>idéalement en moi ou plutôt me forme momentanément à son image.C'est ainsi que j'ai été mathématicien, musicien, moine, enfant, mère,<strong>et</strong>c.. Dans ces états <strong>de</strong> sympathie universelle, j'ai même été animal <strong>et</strong>p<strong>la</strong>nte.»Théophile Gautier, Alexandre Dumas, Ponson du Terrail <strong>et</strong> beaucoupd'autres écrivains mo<strong>de</strong>rnes partageaient ces convictions. GustaveF<strong>la</strong>ubert, dans sa Correspondance (Tome II, page 165), écrit ceci : «Jesuis sûr d'avoir été sous l'empire romain directeur <strong>de</strong> quelque troupe <strong>de</strong>comédiens ambu<strong>la</strong>nts... <strong>et</strong>, en relisant les comédies <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ute, il merevient comme <strong>de</strong>s souvenirs.»** *


RENOVATION DE LA MEMOIRE 171Aux réminiscences d'hommes, illustres pour <strong>la</strong> plupart, il faut ajoutercelles d'un grand nombre d'enfants.Ici, le phénomène s'explique aisément. L'adaptation <strong>de</strong>s senspsychiques à l'organisme matériel, à partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> naissance, s'opèrelentement <strong>et</strong> graduellement. Elle n'est complète que vers <strong>la</strong> septièmeannée ; plus tard encore chez certains individus.Jusqu'à c<strong>et</strong>te époque, l'esprit <strong>de</strong> l'enfant, flottant autour <strong>de</strong> sonenveloppe, vit encore, dans une certaine me<strong>sur</strong>e, <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'espace. Iljouit <strong>de</strong> perceptions, <strong>de</strong> visions qui impressionnent parfois <strong>de</strong> lueursfugitives le cerveau physique. C'est ainsi qu'on a pu recueillir <strong>de</strong>certaines bouches juvéniles <strong>de</strong>s allusions à <strong>de</strong>s vies antérieures, <strong>de</strong>s<strong>de</strong>scriptions <strong>de</strong> scènes <strong>et</strong> <strong>de</strong> personnages n'ayant aucun rapport avec <strong>la</strong>vie actuelle <strong>de</strong> ces jeunes êtres.Ces visions, ces réminiscences s'évanouissent généralement vers l'âgeadulte, lorsque l'âme <strong>de</strong> l'enfant est entrée en pleine possession <strong>de</strong> sesorganes terrestres. Alors, c'est en vain qu'on l'interroge <strong>sur</strong> ces souvenirsfugaces. Toute transmission <strong>de</strong>s vibrations périspritales a cessé ; <strong>la</strong>conscience profon<strong>de</strong> est <strong>de</strong>venue mu<strong>et</strong>te.On n'a pas prêté jusqu'ici à ces révé<strong>la</strong>tions toute l'attention qu'ellesméritent. <strong>Le</strong>s parents, rendus inqui<strong>et</strong>s par <strong>de</strong>s manifestations considéréescomme étranges <strong>et</strong> anormales, plutôt que <strong>de</strong> les provoquer, cherchent aucontraire, à en empêcher le r<strong>et</strong>our. La science perd ainsi d'utilesindications. Si l'enfant, lorsqu'il s'essaie à traduire, dans son <strong>la</strong>ngagepénible <strong>et</strong> confus, les vibrations fugitives <strong>de</strong> son cerveau psychique, étaitencouragé, interrogé, au lieu d'être rebuté, ridiculisé, on pourrait obtenir<strong>sur</strong> le passé <strong>de</strong>s éc<strong>la</strong>ircies présentant un certain intérêt, tandis qu'ellessont actuellement perdues dans <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s cas.En Orient, où <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s vies successives est partout répandue, onattache plus d'importance à ces réminiscences. Elles y sont recueillies,contrôlées dans <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e du possible <strong>et</strong>, souvent, reconnues exactes. Envoici une preuve entre mille :Une correspondance <strong>de</strong> Sim<strong>la</strong> (In<strong>de</strong>s Orientales) au Daily Mail 26 rapporte qu'unjeune enfant, né dans le district, est considéré comme <strong>la</strong> réincarnation <strong>de</strong> feu M.Tucker, <strong>sur</strong>intendant <strong>de</strong> <strong>la</strong> contrée, assassiné en 1894 par <strong>de</strong>s «discoïts». L'enfantse souvient <strong>de</strong>s moindres inci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> sa précé<strong>de</strong>nte vie. Il a voulu se transporter à26 Reproduit par le Matin <strong>et</strong> Paris-Nouvelles du 8 juill<strong>et</strong> 1903, sous le titre : Une réincarnation,correspondance <strong>de</strong> Londres, 7 juill<strong>et</strong>.


172 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEdivers endroits familiers à M. Tucker. A <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce du meurtre, il s'est mis à trembler<strong>et</strong> a donné tous les signes <strong>de</strong> <strong>la</strong> terreur. «Ces faits sont assez communs à Burma -ajoute le journal - où les réincarnés se souvenant <strong>de</strong> leur passé s'appellent <strong>de</strong>s winsas.»M. C. <strong>de</strong> Lagrange, consul <strong>de</strong> France, écrivait <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vera-Cruz(Mexique) à <strong>la</strong> Revue Spirite, le 14 juill<strong>et</strong> 1880 27 :«Il y a <strong>de</strong>ux ans, nous avions, à <strong>la</strong> Vera-Cruz, un enfant <strong>de</strong> 7 ans qui possédait<strong>la</strong> faculté <strong>de</strong> médium guérisseur. Plusieurs personnes furent guéries, soit parl'apposition <strong>de</strong> ses p<strong>et</strong>ites mains, soit à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> remè<strong>de</strong>s végétaux dont il donnait<strong>la</strong> rec<strong>et</strong>te <strong>et</strong> qu'il affirmait connaître. Lorsqu'on lui <strong>de</strong>mandait où il avait appris ceschoses, il répondait que, lorsqu'il était grand, il était mé<strong>de</strong>cin. C<strong>et</strong> enfant a donc lesouvenir d'une existence antérieure.Il par<strong>la</strong>it avec difficulté. Son nom était Jules Alphonse, né à <strong>la</strong> Vera-Cruz. C<strong>et</strong>te<strong>sur</strong>prenante faculté s'est développée en lui à l'âge <strong>de</strong> 4 ans. Bien <strong>de</strong>s personnes,incrédules d'abord, en ont été frappées <strong>et</strong> sont aujourd'hui convaincues. Lorsqu'ilest seul avec ses parents. Il leur redit souvent : «Père, il ne faut pas croire que jeresterai longtemps avec toi ; je ne suis ici que pour quelques années, puisqu'il fautque j'aille là-bas.» Et si on lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> : «Mais où veux-tu aller ? - Loin d'ici,répond-il, <strong>et</strong> où l'on est mieux qu'ici.»C<strong>et</strong> enfant est très sobre, grand dans toutes ses actions, perspicace <strong>et</strong> trèsobéissant.» - Depuis ce temps l'enfant est mort.<strong>Le</strong> Banner of light, <strong>de</strong> Boston, du 15 octobre 1892, publiait <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tionsuivante <strong>de</strong> l'honorable Isaac G. Forster, insérée également par le GlobeDemocrat, <strong>de</strong> Saint-Louis, 20 septembre 1892, le Brooklyn Eagle <strong>et</strong> leMilwaukee Sentinel, du 25 septembre 1892 :Il y a douze ans, j'habitais le comté d'Effingham (Illinois) <strong>et</strong> j'y perdis uneenfant, Maria, au moment où elle entrait dans <strong>la</strong> puberté. L'année suivante, j'al<strong>la</strong>ime fixer au Dakota. J'y eus, il y a neuf ans, une nouvelle p<strong>et</strong>ite fille, que nousavons appelée Nellie. Depuis qu'elle fut en âge <strong>de</strong> parler, elle prétendit qu'elle nese nommait pas Nellie, mais Maria ; que c'était le vrai nom que nous lui donnionsautrefois.Je r<strong>et</strong>ournai <strong>de</strong>rnièrement dans le comté d'Effingham pour y régler quelquesaffaires <strong>et</strong> j'emmenai Nellie avec moi. Elle reconnut notre ancienne <strong>de</strong>meure <strong>et</strong>bien <strong>de</strong>s personnes qu'elle n'avait jamais vues, mais que ma première fille, Maria,connaissait fort bien.A un mille se trouve <strong>la</strong> maison d'école que Maria fréquentait. Nellie, qui nel'avait jamais vue, en fit une <strong>de</strong>scription exacte <strong>et</strong> m'exprima le désir <strong>de</strong> <strong>la</strong> revoir.Je l'y conduisis <strong>et</strong>, une fois là, elle se dirigea directement vers le pupitre que sasoeur occupait, me disant : «Ce pupitre est le mien !»27 Repue Spirite, 1880, page 361.


RENOVATION DE LA MEMOIRE 173<strong>Le</strong> Journal <strong>de</strong>s Débats du 11 avril 1912, dans son feuill<strong>et</strong>onscientifique signé Henri <strong>de</strong> Varigny, cite un cas semb<strong>la</strong>ble emprunté àl'ouvrage <strong>de</strong> M. Fielding Hall, lequel s'est livré à <strong>de</strong> longues recherches<strong>sur</strong> c<strong>et</strong>te question :«Il y a environ un <strong>de</strong>mi-siècle, <strong>de</strong>ux enfants, un garçon <strong>et</strong> une fille, étaient nésle même jour, dans le même vil<strong>la</strong>ge, en Birmanie. Plus tard, on les maria, <strong>et</strong> aprèsavoir formé une famille <strong>et</strong> pratiqué toutes les vertus, ils moururent le même jour.Des temps troublés <strong>sur</strong>vinrent, <strong>et</strong> <strong>de</strong>ux jeunes gens, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux sexes, durent fuirle vil<strong>la</strong>ge où le premier épiso<strong>de</strong> s'était déroulé ; ils allèrent s'établir ailleurs <strong>et</strong>eurent <strong>de</strong>ux fils jumeaux qui, au lieu <strong>de</strong> s'appeler par leurs noms propres, sedonnaient entre eux les noms du couple vertueux <strong>et</strong> du défunt dont il a été parlé.<strong>Le</strong>s parents s'en étonnèrent, mais bientôt ils comprirent. Pour eux, le couplevertueux s'était réincarné dans leurs enfants. On voulut faire <strong>la</strong> preuve. Onconduisit ceux-ci au vil<strong>la</strong>ge où ils étaient nés. Ils reconnurent tout : routes,maisons, gens, jusqu'aux vêtements du couple, conservés sans qu'on dise pourquelle raison. L'un se rappe<strong>la</strong> avoir emprunté <strong>de</strong>ux roupies à une personne. Cellecivivait encore ; elle confirma le fait.M. Fielding Hall, qui a vu les <strong>de</strong>ux enfants alors qu'ils avaient 6 ans, trouvait àl'un une apparence plus féminine ; celui-ci hébergerait l'âme <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme défunte.Avant <strong>la</strong> réincarnation, disent-ils, ils ont vécu quelque temps sans corps, dans lesbranches d'arbres. Mais ces souvenirs lointains <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> moins en moins n<strong>et</strong>s<strong>et</strong> s'effacent peu à peu.»C<strong>et</strong>te perception <strong>de</strong>s vies antérieures se r<strong>et</strong>rouve aussi,exceptionnellement, chez quelques adultes.<strong>Le</strong> docteur Gaston Durville, dans Psychic Magazine, numéro <strong>de</strong>janvier à avril 1914, rapporte un cas remarquable <strong>de</strong> rénovation <strong>de</strong>ssouvenirs à l'état <strong>de</strong> veille. Mme Laure Raynaud, connue à Paris pour sesguérisons au moyen du magnétisme, affirmait, <strong>de</strong>puis longtemps, qu'ellese souvenait d'une autre vie passée en un lieu qu'elle dépeignait <strong>et</strong> qu'elledisait r<strong>et</strong>rouver un jour. Elle déc<strong>la</strong>rait avoir vécu dans <strong>de</strong>s conditionsn<strong>et</strong>tement déterminées (sexe, rang social, nationalité, <strong>et</strong>c.) <strong>et</strong> s'êtredésincarnée, il y a un certain nombre d'années, à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> telle ma<strong>la</strong>die.Des témoignages précis furent recueillis à ce suj<strong>et</strong>.Mme Raynaud, partie en Italie en mars 1913, reconnut le pays où elleavait vécu. Elle parcourut les environs <strong>de</strong> Gênes <strong>et</strong> r<strong>et</strong>rouva sonhabitation comme elle l'avait décrite. «Grâce au concours <strong>de</strong> M. Ca<strong>la</strong>ure,un psychiste érudit <strong>de</strong> Gênes, nous r<strong>et</strong>rouvâmes, dit le docteur, dans lesregistres <strong>de</strong> <strong>la</strong> paroisse San Francesco d'Albaro, un acte <strong>de</strong> décès qui futcelui <strong>de</strong> Mme Raynaud, n° 1. Toutes les déc<strong>la</strong>rations faites par elle il y a


174 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEplusieurs années, sexe, condition sociale, nationalité, âge <strong>et</strong> cause <strong>de</strong>décès, <strong>et</strong>c. se trouvèrent confirmées.»** *<strong>Le</strong>s témoignages provenant du mon<strong>de</strong> invisible sont aussi abondantsque variés. Non seulement <strong>de</strong>s Esprits, en grand nombre, affirment dansleurs messages avoir vécu plusieurs fois <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre ; mais il en est quiannoncent à l'avance leur réincarnation. Ils désignent leur futur sexe <strong>et</strong>l'époque <strong>de</strong> leur naissance ; ils fournissent <strong>de</strong>s indices <strong>sur</strong> leursapparences physiques ou leurs dispositions morales, qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong>les reconnaître à leur r<strong>et</strong>our en ce mon<strong>de</strong> ; ils prédisent ou énoncent <strong>de</strong>sparticu<strong>la</strong>rités <strong>de</strong> leur existence prochaine, que l'on a pu vérifier.La revue Filosofia <strong>de</strong>l<strong>la</strong> Scienza, <strong>de</strong> Palerme, numéro <strong>de</strong> janvier 1911,publie <strong>sur</strong> un cas <strong>de</strong> réincarnation un récit du plus haut intérêt, que nousrésumons ci-après. C'est le chef <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille dans <strong>la</strong>quelle lesévénements se sont passés, le docteur Carmelo Samona, <strong>de</strong> Palerme, quiparle :«Nous avons perdu, le 15 mars 1910, une fill<strong>et</strong>te que ma femme <strong>et</strong> moiadorions ; chez ma compagne, le désespoir fut tel que je craignis un moment poursa raison. Trois jours après <strong>la</strong> mort d'Alexandrine, ma femme eut un rêve où ellecrut voir l'enfant lui dire : «Mère, ne pleure plus, je ne t'ai pas abandonnée ; je neme suis pas éloignée <strong>de</strong> toi : au contraire, je te reviendrai comme enfant.»Trois jours plus tard, répétition <strong>de</strong> ce même rêve. La pauvre mère, dont rien nepouvait atténuer <strong>la</strong> douleur, <strong>et</strong> qui n'avait, à c<strong>et</strong>te époque, aucune notion <strong>de</strong>sthéories du spiritualisme mo<strong>de</strong>rne, ne puisait dans ces rêves qu'une nouvelle raisond'attiser sa peine. Un matin qu'elle se <strong>la</strong>mentait comme <strong>de</strong> coutume, trois coupssecs se firent entendre à <strong>la</strong> porte <strong>de</strong> <strong>la</strong> chambre où nous nous trouvions. Croyant àl'arrivée <strong>de</strong> ma soeur, mes enfants, qui étaient avec nous, allèrent ouvrir <strong>la</strong> porte endisant : «Tante Catherine, entrez.» Notre <strong>sur</strong>prise, à tous, fut gran<strong>de</strong> en constatantqu'il n'y avait personne <strong>de</strong>rrière c<strong>et</strong>te porte, ni dans <strong>la</strong> pièce qui <strong>la</strong> précédait. C'estalors que nous résolûmes <strong>de</strong> commencer <strong>de</strong>s séances <strong>de</strong> typtologie, dans l'espoirque, par ce moyen peut-être, nous aurions quelques éc<strong>la</strong>ircissements <strong>sur</strong> le faitmystérieux <strong>de</strong>s rêves <strong>et</strong> <strong>de</strong>s coups qui nous préoccupaient tant ; nous continuâmes,d'ailleurs, nos expériences pendant trois mois avec une gran<strong>de</strong> régu<strong>la</strong>rité.Dès notre première séance, <strong>de</strong>ux entités se manifestèrent : l'une disait être masoeur, l'autre, notre chère disparue. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière confirma, par <strong>la</strong> table, sonapparition dans les <strong>de</strong>ux rêves <strong>de</strong> ma femme <strong>et</strong> révé<strong>la</strong> que les coups frappésl'avaient été par elle. Elle répéta encore à sa mère : «Ne te désole plus, car jenaîtrai <strong>de</strong> nouveau par toi <strong>et</strong> avant Noël.» La prédiction était accueillie par nousavec d'autant plus d'incrédulité qu'un acci<strong>de</strong>nt suivi d'opération (le 21 novembre


RENOVATION DE LA MEMOIRE 1751909) rendait invraisemb<strong>la</strong>ble toute nouvelle grossesse chez ma femme. Etcependant, le 10 avril, un premier soupçon <strong>de</strong> grossesse se révé<strong>la</strong> chez elle. <strong>Le</strong> 4mai suivant, notre fille se manifesta encore par <strong>la</strong> table <strong>et</strong> nous donna un nouve<strong>la</strong>vertissement : «Mère, il y en a une autre en toi.» Comme nous ne comprenionspas c<strong>et</strong>te phrase, l'autre entité qui, paraît-il, accompagnait toujours notre fille, <strong>la</strong>confirma en <strong>la</strong> commentant ainsi : «La p<strong>et</strong>ite ne se trompe pas : un autre être sedéveloppe en toi, ma chère Adèle.»<strong>Le</strong>s communications qui suivirent ratifièrent toutes ces déc<strong>la</strong>rations <strong>et</strong> lesprécisèrent même, en annonçant que les enfants à naître seraient <strong>de</strong>s filles ; quel'une d'elles ressemblerait à Alexandrine <strong>et</strong> serait même un peu plus belle qu'ellene l'était antérieurement. Malgré l'incrédulité persistante <strong>de</strong> ma femme, les chosesparurent prendre <strong>la</strong> tournure annoncée, car au mois d'août, le docteur Cordaro,accoucheur réputé, pronostiqua <strong>la</strong> grossesse gémel<strong>la</strong>ire.Et le 22 novembre 1910, ma femme donna le jour à <strong>de</strong>ux fill<strong>et</strong>tes, sansressemb<strong>la</strong>nce entre elles, l'une, toutefois, reproduisant <strong>sur</strong> ses traits lesparticu<strong>la</strong>rités physiques bien spéciales qui caractérisaient <strong>la</strong> physionomied'Alexandrine, c'est-à-dire une hyperhémie <strong>de</strong> l'oeil gauche, une légère séborrhée<strong>de</strong> l'oreille droite, enfin une dissymétrie peu marquée <strong>de</strong> <strong>la</strong> face. Et, à l'appui <strong>de</strong>ses déc<strong>la</strong>rations, le docteur Carmelo Samona apporte les attestations <strong>de</strong> sa soeurSamona Gardini, du professeur Wigley, <strong>de</strong> Mme Mercantini, du marquis Natoli, <strong>de</strong><strong>la</strong> princesse Niscomi, du comte di Ranchileile qui, tous, avaient été tenus aucourant, au fur <strong>et</strong> à me<strong>sur</strong>e qu'elles se produisaient, <strong>de</strong>s communications obtenuesdans <strong>la</strong> famille du docteur Carmelo Samona.Depuis <strong>la</strong> naissance <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te enfant, <strong>de</strong>ux ans <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi se sont écoulés <strong>et</strong> ledocteur Carmona écrit à Filosofia <strong>de</strong>l<strong>la</strong> Scienza que <strong>la</strong> ressemb<strong>la</strong>nced'Alexandrine II° avec Alexandrine I° n'a fait que se confirmer, non seulement auphysique, mais <strong>sur</strong>tout au moral. Mêmes attitu<strong>de</strong>s <strong>et</strong> jeux calmes, mêmes formes<strong>de</strong> caresses à sa mère ; mêmes terreurs enfantines exprimées dans les mêmestermes, même tendance irrésistible à se servir <strong>de</strong> <strong>la</strong> main gauche, même façond'écorcher les noms <strong>de</strong> ceux qui l'entourent. Comme Alexandrine I°, elle ouvrel'armoire aux chaus<strong>sur</strong>es toutes les fois qu'elle peut pénétrer dans <strong>la</strong> chambre où cemeuble se trouve, se chausse un pied, <strong>et</strong> se promène triomphalement dans <strong>la</strong>chambre. En un mot, elle refait <strong>de</strong> façon absolument i<strong>de</strong>ntique l'existence à l'âgecorrespondant d'Alexandrine I°.On ne remarque rien <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>ble chez Maria Pace, sa soeur jumelle.On comprend tout l'intérêt que présente une observation <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ordre,suivie pendant <strong>de</strong>s années par un investigateur <strong>de</strong> <strong>la</strong> valeur du docteurCarmona 28 .M. Th. Jaffeux, avocat à <strong>la</strong> Cour d'appel <strong>de</strong> Paris, nous communiquaitle fait suivant (5 mars 1911) :28 Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques, juill<strong>et</strong> 1913, n° 7, pages 196 <strong>et</strong> suivantes.


176 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE«Depuis le commencement <strong>de</strong> 1908, j'avais comme esprit gui<strong>de</strong> une femme quej'avais connue dans mon enfance, <strong>et</strong> dont toutes les communications présentaientun caractère <strong>de</strong> précision rare : noms, adresses, soins médicaux, prédictionsd'ordre familial, <strong>et</strong>c.. Au mois <strong>de</strong> juin 1909, je transmis à c<strong>et</strong>te Entité, <strong>de</strong> <strong>la</strong> part duPère Henri, directeur spirituel du groupe, le conseil <strong>de</strong> ne pas prolongerindéfiniment un séjour stationnaire dans l'espace. L'Entité me répondit, à c<strong>et</strong>teépoque : «J'ai l'intention <strong>de</strong> me réincarner ; j'aurai successivement troisincarnations très brèves». Vers le mois d'octobre 1909, elle m'a annoncéspontanément qu'elle al<strong>la</strong>it se réincarner dans ma famille <strong>et</strong> elle m'a désigné le lieu<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te réincarnation : un vil<strong>la</strong>ge du département d'Eure-<strong>et</strong>-Loir. J'y avais, eneff<strong>et</strong>, une cousine enceinte à ce moment. Je posai alors <strong>la</strong> question suivante : «Aquel signe pourra-t-on vous reconnaître ? - R. : J'aurai une cicatrice <strong>de</strong> 2centimètres <strong>sur</strong> le côté droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> tête.» <strong>Le</strong> 15 novembre, <strong>la</strong> même Entitém'annonça qu'elle cesserait <strong>de</strong> venir au mois <strong>de</strong> janvier suivant <strong>et</strong> serait remp<strong>la</strong>céepar un autre Esprit. Je songeai dès ce moment à donner à c<strong>et</strong>te preuve toute saportée <strong>et</strong> rien ne m'eût été plus facile, après avoir fait constater officiellement <strong>la</strong>prédiction, <strong>de</strong> faire dresser un certificat médical à <strong>la</strong> naissance <strong>de</strong> l'enfant.Malheureusement je me trouvais en présence d'une famille qui manifestait unehostilité farouche contre le spiritisme ; j'étais désarmé. Au mois <strong>de</strong> janvier 1910,l'enfant naquit avec une cicatrice <strong>de</strong> 2 centimètres <strong>sur</strong> le côté droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> tête. Il a, àl'heure actuelle, 14 mois.»M. Warcollier, ingénieur chimiste à Paris, rapporte le fait suivant dans<strong>la</strong> Revue scientifique <strong>et</strong> morale <strong>de</strong> février 1920 :«Mme B..., appartenant à une famille aristocratique d'opinions royalistes, me futprésentée par une personne <strong>de</strong> ma famille, Mme Viroux. Elle avait perdu pendant<strong>la</strong> guerre un fils qu'elle aimait particulièrement ; il lui reste encore d'autres enfants,dont une fille mariée dont il sera question plus loin. <strong>Le</strong>s détails re<strong>la</strong>tifs à ce cassont connus <strong>de</strong> tous les amis <strong>de</strong> Mme B... qui en avaient été informés au cours <strong>de</strong>sévénements. Engagé volontaire au début <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre, son fils gagna rapi<strong>de</strong>mentles galons <strong>de</strong> sous-lieutenant <strong>et</strong> fut tué pendant une attaque. La mère eut un rêvedans lequel elle vit l'endroit précis, un remb<strong>la</strong>i <strong>de</strong> chemin <strong>de</strong> fer, où le corps <strong>de</strong> sonfils était enseveli. Grâce à ce rêve, elle r<strong>et</strong>rouva <strong>la</strong> dépouille <strong>de</strong> son enfant <strong>et</strong> <strong>la</strong> fitinhumer dans le cim<strong>et</strong>ière du vil<strong>la</strong>ge voisin.Quelques mois après, elle eut un autre rêve <strong>et</strong> vit son fils qui lui disait :«Maman, ne pleure pas, je vais revenir, pas chez toi, mais chez ma soeur.» Elle necomprit pas le sens <strong>de</strong> ces paroles ; mais sa fille eut un rêve semb<strong>la</strong>ble, dans lequelelle vit son frère, re<strong>de</strong>venu enfant, qui jouait dans sa propre chambre. Ni l'une nil'autre ne pensait ni ne croyait à <strong>la</strong> réincarnation. La fille <strong>de</strong> Mme B..., n'ayantjamais eu d'enfants, se déso<strong>la</strong>it à ce suj<strong>et</strong>. Mais peu après elle <strong>de</strong>vint enceinte.La nuit qui précéda <strong>la</strong> naissance, Mme B... revit son fils en rêve. Il lui par<strong>la</strong>encore <strong>de</strong> son r<strong>et</strong>our <strong>et</strong> lui montra un bébé nouveau-né ayant <strong>de</strong>s cheveux noirsqu'elle reconnut parfaitement lorsqu'elle le reçut entre ses mains quelques heuresplus tard. Mme B... est persuadée, par mille détails psychologiques <strong>et</strong> par <strong>de</strong>


RENOVATION DE LA MEMOIRE 177curieux traits <strong>de</strong> caractère, que c<strong>et</strong> enfant est bien son fils réincarné <strong>et</strong> cependantelle affirme qu'elle n'était pas auparavant réincarnationiste. Catholique <strong>de</strong>naissance <strong>et</strong> par son rang, tout en sympathisant avec le clergé elle avoue qu'elleétait absolument sceptique, voire peut-être athée <strong>et</strong> n'avait jamais fréquenté ni lesspirites ni les théosophes.»** *Nous avons indiqué dans ce chapitre les causes physiques <strong>de</strong> l'oubli<strong>de</strong>s vies antérieures. En le terminant, ne convient-il pas <strong>de</strong> nous p<strong>la</strong>cer àun autre point <strong>de</strong> vue <strong>et</strong> <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si c<strong>et</strong> oubli ne se justifie paspar une nécessité d'ordre moral ? <strong>Le</strong> souvenir du passé ne nous paraît pasdésirable pour <strong>la</strong> majorité <strong>de</strong>s hommes, faibles «roseaux pensants»qu'agite le souffle <strong>de</strong>s passions. Au contraire, il semble indispensable àleur avancement que les vies d'autrefois soient momentanément effacées<strong>de</strong> leur mémoire.La persistance <strong>de</strong>s souvenirs entraînerait <strong>la</strong> persistance <strong>de</strong>s idéeserronées, <strong>de</strong>s préjugés <strong>de</strong> caste, <strong>de</strong> temps <strong>et</strong> <strong>de</strong> milieu, en un mot, <strong>de</strong> toutun héritage mental, <strong>de</strong> tout un ensemble <strong>de</strong> vues <strong>et</strong> <strong>de</strong> choses que nousaurions d'autant plus <strong>de</strong> peine à modifier, à transformer, qu'il serait plusvivant en nous. Il y aurait là bien <strong>de</strong>s entraves à notre éducation, à nosprogrès ; notre jugement se trouverait souvent faussé dès <strong>la</strong> naissance.L'oubli, au contraire, en nous perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> profiter plus <strong>la</strong>rgement <strong>de</strong>sétats différents que nous procure une nouvelle vie, nous ai<strong>de</strong> àreconstruire notre personnalité <strong>sur</strong> un p<strong>la</strong>n meilleur ; nos facultés <strong>et</strong>notre expérience y gagnent en étendue <strong>et</strong> en profon<strong>de</strong>ur.Autre considération, plus grave encore : <strong>la</strong> connaissance d'un passétaré, souillé, comme ce doit être le cas pour beaucoup d'entre nous, seraitun lourd far<strong>de</strong>au à porter. Il faut une volonté fortement trempée pourvoir sans vertige se dérouler une longue suite <strong>de</strong> fautes, <strong>de</strong> défail<strong>la</strong>nces,d'actes honteux, <strong>de</strong> crimes peut-être, pour en peser les conséquences <strong>et</strong>se résigner à les subir. La plupart <strong>de</strong>s hommes actuels sont incapablesd'un tel effort. <strong>Le</strong> souvenir <strong>de</strong>s vies antérieures ne peut être profitablequ'à l'esprit assez évolué, assez maître <strong>de</strong> lui-même pour en supporter lepoids sans faiblir, assez détaché <strong>de</strong>s choses humaines pour contempleravec sérénité le spectacle <strong>de</strong> son histoire, revivre les peines endurées, lesinjustices souffertes, les trahisons <strong>de</strong> ceux qu'il a aimés. C'est undouloureux privilège <strong>de</strong> connaître le passé évanoui, passé <strong>de</strong> sang <strong>et</strong> <strong>de</strong>


178 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>la</strong>rmes, <strong>et</strong> c'est aussi une cause <strong>de</strong> tortures morales, <strong>de</strong> déchirementsintérieurs.<strong>Le</strong>s visions qui s'y rattachent seraient, dans <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s cas, unesource <strong>de</strong> cruels soucis pour l'âme faible, aux prises avec sa <strong>de</strong>stinée. Sinos vies précé<strong>de</strong>ntes ont été heureuses, <strong>la</strong> comparaison entre les joiesqu'elles nous donnaient <strong>et</strong> les amertumes du présent rendrait celles-ciinsupportables. Furent-elles coupables ? L'attente perpétuelle <strong>de</strong>s mauxqu'elles entraîneraient paralyserait notre action, rendrait notre existencestérile. La persistance <strong>de</strong>s remords, <strong>la</strong> lenteur <strong>de</strong> notre évolution nousferaient croire que <strong>la</strong> perfection est irréalisable !Combien <strong>de</strong> choses ne voudrions-nous pas effacer <strong>de</strong> notre vieactuelle, qui sont autant d'obstacles à notre paix intérieure, autantd'entraves à notre liberté ! Que serait-ce donc si <strong>la</strong> perspective <strong>de</strong>ssiècles parcourus se dérou<strong>la</strong>it sans cesse, dans tous ses détails, <strong>de</strong>vantnotre regard ! Ce qu'il importe d'apporter avec soi, ce sont les fruitsutiles du passé, c'est-à-dire les capacités acquises ; c'est là l'instrument<strong>de</strong> travail, le moyen d'action <strong>de</strong> l'esprit. C'est aussi tout ce qui constituele caractère, l'ensemble <strong>de</strong>s qualités <strong>et</strong> <strong>de</strong>s défauts, <strong>de</strong>s goûts <strong>et</strong> <strong>de</strong>saspirations, tout ce qui débor<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience profon<strong>de</strong> dans <strong>la</strong>conscience normale.La connaissance intégrale <strong>de</strong>s vies écoulées présenterait <strong>de</strong>sinconvénients redoutables, non seulement pour l'individu, mais aussipour <strong>la</strong> collectivité. Elle introduirait dans <strong>la</strong> vie sociale <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong>discor<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s ferments <strong>de</strong> haine qui aggraveraient <strong>la</strong> situation <strong>de</strong>l'humanité <strong>et</strong> entraveraient tout progrès moral. Tous les criminels <strong>de</strong>l'Histoire, réincarnés pour expier, seraient démasqués ; les hontes, lestrahisons, les perfidies, les iniquités <strong>de</strong> tous les siècles seraient <strong>de</strong>nouveau étalées sous nos yeux. <strong>Le</strong> passé accusateur, connu <strong>de</strong> tous,re<strong>de</strong>viendrait une cause <strong>de</strong> profon<strong>de</strong> division <strong>et</strong> <strong>de</strong> vives souffrances.L'homme, revenu ici-bas pour agir, développer ses facultés, conquérir<strong>de</strong> nouveaux mérites, doit regar<strong>de</strong>r en avant <strong>et</strong> non en arrière. L'avenirs'ouvre <strong>de</strong>vant lui, plein d'espérance <strong>et</strong> <strong>de</strong> promesses ; <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> loi luicomman<strong>de</strong> d'avancer résolument <strong>et</strong>, pour lui rendre <strong>la</strong> marche plus facile,pour le délivrer <strong>de</strong> tout lien, <strong>de</strong> tout far<strong>de</strong>au, elle étend un voile <strong>sur</strong> sonpassé. Remercions <strong>la</strong> Puissance infinie qui, en nous allégeant du bagageécrasant <strong>de</strong>s souvenirs, nous a rendu l'ascension plus aisée, <strong>la</strong> réparationmoins amère.


RENOVATION DE LA MEMOIRE 179Parfois on nous objecte qu'il serait injuste d'être puni pour <strong>de</strong>s fautesoubliées, comme si l'oubli effaçait <strong>la</strong> faute ! On nous dit 29 , par exemple :«Une justice qui se trame dans le secr<strong>et</strong>, <strong>et</strong> que nous ne pouvons pasjuger nous-mêmes, doit être considérée comme une iniquité.»Mais d'abord, est-ce que tout n'est pas un secr<strong>et</strong> pour nous ? <strong>Le</strong> brind'herbe qui pousse, le vent qui souffle, <strong>la</strong> vie qui s'agite, l'astre qui glissedans <strong>la</strong> nuit silencieuse, tout est mystère. Si nous ne <strong>de</strong>vons croirequ'aux choses bien comprises, à quoi croirons-nous ?Si un criminel, condamné par les lois humaines, tombe ma<strong>la</strong><strong>de</strong> <strong>et</strong> perd<strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> ses actions - nous avons vu que les cas d'amnésie ne sontpas rares - s'en suit-il que sa responsabilité s'évanouit en même tempsque ses souvenirs ? Aucune puissance ne peut faire que le passé n'ait pasété.Dans beaucoup <strong>de</strong> cas, il serait plus atroce <strong>de</strong> savoir que d'ignorer.Quand l'esprit dont les vies lointaines furent coupables quitte <strong>la</strong> terre <strong>et</strong>que les mauvais souvenirs se réveillent pour lui, lorsqu'il voit se dresser<strong>de</strong>s ombres vengeresses, regr<strong>et</strong>te-t-il le temps <strong>de</strong> l'oubli ? accuse-t-ilDieu <strong>de</strong> lui avoir ôté, avec <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> ses fautes, <strong>la</strong> perspective <strong>de</strong>sépreuves qu'elles entraînent ?Qu'il nous suffise donc <strong>de</strong> connaître le but <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, <strong>de</strong> savoir que <strong>la</strong>divine justice gouverne le mon<strong>de</strong>. Chacun est à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce qu'il s'est faite <strong>et</strong>rien n'arrive qui ne soit mérité. N'avons-nous pas notre conscience pourgui<strong>de</strong>, <strong>et</strong> les enseignements <strong>de</strong> génies célestes ne brillent-ils pas d'un viféc<strong>la</strong>t dans notre nuit intellectuelle ?Mais l'esprit humain flotte à tous les vents du doute <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong>contradiction. Tantôt il trouve que tout est bien <strong>et</strong> il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>nouvelles puissances <strong>de</strong> vie ; tantôt il maudit l'existence <strong>et</strong> réc<strong>la</strong>me lenéant. La justice éternelle peut-elle conformer ses p<strong>la</strong>ns à nos vuesmobiles <strong>et</strong> changeantes ? Poser <strong>la</strong> question, c'est <strong>la</strong> résoudre. La justicen'est éternelle que parce qu'elle est immuable. Dans le cas qui nousoccupe, elle est l'harmonie parfaite s'établissant entre <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> nosactions <strong>et</strong> <strong>la</strong> fatalité <strong>de</strong> leurs conséquences. L'oubli temporaire <strong>de</strong> nosfautes n'entrave pas leur eff<strong>et</strong>. L'ignorance du passé est nécessaire, afinque toute l'activité <strong>de</strong> l'homme se porte vers le présent <strong>et</strong> vers l'avenir,29 Journal <strong>de</strong> Charleroi, 18 février 1899. C'est ce qu'objectait déjà, au quatrième siècle, Enée <strong>de</strong>Gaza, dans son Théophraste.


180 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEafin qu'il se soum<strong>et</strong>te à <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> l'effort <strong>et</strong> se conforme aux conditions dumilieu où il renaît.** *Pendant le sommeil, l'âme agit, pense, erre. Parfois elle remonte aumon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s causes <strong>et</strong> r<strong>et</strong>rouve <strong>la</strong> notion <strong>de</strong>s vies écoulées. De même queles étoiles brillent seulement pendant <strong>la</strong> nuit, <strong>de</strong> même notre présent doitse voiler d'ombre pour que les lueurs du passé s'allument à l'horizon <strong>de</strong><strong>la</strong> conscience.La vie dans <strong>la</strong> chair, c'est le sommeil <strong>de</strong> l'âme ; c'est le rêve, triste oujoyeux. Pendant qu'il dure, nous oublions les rêves précé<strong>de</strong>nts, c'est-àdireles incarnations passées. Cependant, c'est toujours <strong>la</strong> mêmeindividualité qui persiste sous ses <strong>de</strong>ux formes d'existence. Dans sonévolution, elle traverse alternativement <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> contraction <strong>et</strong> <strong>de</strong>di<strong>la</strong>tation, d'ombre <strong>et</strong> <strong>de</strong> lumière. La personnalité se restreint ous'épanouit dans ces <strong>de</strong>ux états successifs, comme elle se perd <strong>et</strong> seressaisit à travers les alternatives du sommeil <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> veille, jusqu'à ceque l'âme, parvenue à l'apogée intellectuel <strong>et</strong> moral, ait fini pour toujours<strong>de</strong> rêver.Il est en chacun <strong>de</strong> nous un livre mystérieux où tout s'inscrit encaractères ineffaçables. Ferme à nos yeux pendant <strong>la</strong> vie terrestre, ils'ouvre dans l'espace ; l'esprit avancé en parcourt à son gré les pages. Il ytrouve <strong>de</strong>s enseignements, <strong>de</strong>s impressions <strong>et</strong> <strong>de</strong>s sensations quel'homme matériel a peine à comprendre.Ce livre, le subconscient <strong>de</strong>s psychistes, est ce que nous appelons lepérisprit. Plus celui-ci s'épure, plus les souvenirs se précisent. Nos vies,une à une, émergent <strong>de</strong> l'ombre <strong>et</strong> défilent <strong>de</strong>vant nous, pour nousaccuser ou nous glorifier. <strong>Le</strong>s moindres faits, actes, pensées, tout reparaît<strong>et</strong> s'impose à notre attention. Alors l'esprit contemple <strong>la</strong> réalitéredoutable ; il me<strong>sur</strong>e son <strong>de</strong>gré d'élévation ; sa conscience prononcesans recours. Qu'elles sont douces à l'âme, à c<strong>et</strong>te heure, les bonnesactions accomplies, les oeuvres <strong>de</strong> sacrifice ! Mais lour<strong>de</strong>s sont lesdéfail<strong>la</strong>nces, les oeuvres d'égoïsme <strong>et</strong> d'iniquité !Pendant l'incarnation, nous <strong>de</strong>vons le rappeler, <strong>la</strong> matière couvre lepérisprit <strong>de</strong> son épais manteau ; elle comprime, éteint ses radiations ; <strong>de</strong>là, l'oubli. Délivré <strong>de</strong> ce lien, l'esprit élevé r<strong>et</strong>rouve <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> samémoire. L'esprit inférieur ne se souvient guère que <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>rnière


RENOVATION DE LA MEMOIRE 181existence. C'est l'essentiel pour lui, puisqu'elle est <strong>la</strong> somme <strong>de</strong>s progrèsacquis, <strong>la</strong> synthèse <strong>de</strong> tout son passé ; par elle, il peut me<strong>sur</strong>er sasituation. Ceux dont <strong>la</strong> pensée ne s'est pas imprégnée, <strong>sur</strong> notre mon<strong>de</strong>,<strong>de</strong> <strong>la</strong> notion <strong>de</strong>s préexistences, ignorent longtemps leurs vies premières,les plus éloignées. De là l'affirmation <strong>de</strong> nombreux Esprits, en certainspays, que <strong>la</strong> réincarnation n'est pas une loi. Ceux-là n'ont pas interrogéles profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> leur être ; ils n'ont pas ouvert le livre fatidique où toutest gravé. Ils conservent les préjugés du milieu terrestre où ils ont vécu,<strong>et</strong> ces préjugés, au lieu <strong>de</strong> les inciter à c<strong>et</strong>te recherche, les en détournentplutôt.<strong>Le</strong>s Esprits supérieurs, par un sentiment <strong>de</strong> charité, connaissant <strong>la</strong>faiblesse <strong>de</strong> ces âmes, jugeant que <strong>la</strong> connaissance du passé ne leur estpas encore nécessaire, évitent d'attirer <strong>sur</strong> ce point leur attention, afin <strong>de</strong>leur épargner <strong>la</strong> vue <strong>de</strong> pénibles tableaux. Mais un jour vient où, sous lessuggestions d'en haut, leur volonté s'éveille <strong>et</strong> fouille ces replis cachés <strong>de</strong><strong>la</strong> mémoire. Alors, les vies antérieures leur apparaissent comme unmirage lointain. Un temps viendra où, <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> ces chosesétant plus répandue, tous les esprits terrestres, initiés par une forteéducation à <strong>la</strong> loi <strong>de</strong>s renaissances, verront le passé se dérouler <strong>de</strong>vanteux aussitôt après <strong>la</strong> mort <strong>et</strong> même, en certains cas, pendant c<strong>et</strong>te vie. Ilsauront acquis <strong>la</strong> force morale nécessaire pour affronter ce spectacle sansfaiblir.Pour les âmes épurées, le souvenir est constant. L'esprit élevé a lepouvoir <strong>de</strong> revivre à volonté dans le passé, <strong>de</strong> voir le présent avec sesconséquences <strong>et</strong> <strong>de</strong> pénétrer dans le mystérieux avenir, dont lesprofon<strong>de</strong>urs s'illuminent par instants, pour lui, <strong>de</strong> rapi<strong>de</strong>s éc<strong>la</strong>irs, pourreplonger ensuite dans le sombre inconnu.XV. - LES VIES SUCCESSIVES. - LES ENFANTSPRODIGES ET L'HEREDITE.On peut considérer certaines manifestations précoces du génie commeautant <strong>de</strong> preuves <strong>de</strong>s préexistences, en ce sens qu'elles sont unerévé<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s travaux accomplis par l'âme en d'autres cycles antérieurs.<strong>Le</strong>s phénomènes <strong>de</strong> ce genre dont parle l'Histoire ne peuvent pas être<strong>de</strong>s faits sans lien, sans attache avec le passé, se produisant au hasard,


182 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEdans le vi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s temps <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'espace. Ils démontrent, au contraire, que leprincipe organisateur <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie en nous est un être qui arrive en ce mon<strong>de</strong>avec tout un passé <strong>de</strong> travail <strong>et</strong> d'évolution, résultat d'un p<strong>la</strong>n tracé <strong>et</strong>d'un but poursuivi au cours <strong>de</strong> ses existences successives.Chaque incarnation trouve dans l'âme qui réédite sa vie une cultureparticulière, <strong>de</strong>s aptitu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s acquisitions mentales qui expliquent safacilité <strong>de</strong> travail <strong>et</strong> sa puissance d'assimi<strong>la</strong>tion. C'est pourquoi P<strong>la</strong>tondisait : «Apprendre, c'est se ressouvenir !»La loi <strong>de</strong> l'hérédité vient souvent entraver, dans une certaine me<strong>sur</strong>e,ces manifestations <strong>de</strong> l'individualité, car l'esprit ne façonne sonenveloppe qu'au moyen <strong>de</strong>s éléments mis à sa disposition par c<strong>et</strong>tehérédité. Cependant, en dépit <strong>de</strong>s difficultés matérielles, on voit seproduire chez certains êtres, dès l'âge le plus tendre, <strong>de</strong>s facultéstellement supérieures <strong>et</strong> sans aucun rapport avec celles <strong>de</strong> leursascendants, qu'on ne peut, malgré toutes les subtilités <strong>de</strong> <strong>la</strong> casuistiquematérialiste, les rattacher à aucune cause immédiate <strong>et</strong> connue.On a souvent cité le cas <strong>de</strong> Mozart, exécutant une sonate <strong>sur</strong> le piano à4 ans <strong>et</strong>, à 8 ans, composant un opéra. Paganini <strong>et</strong> Térésa Mi<strong>la</strong>nollo, toutenfants, jouaient du violon <strong>de</strong> façon merveilleuse. Liszt, Be<strong>et</strong>hoven,Rubinstein se faisaient app<strong>la</strong>udir à 10 ans. Michel-Ange, Salvator Rosase révélèrent tout à coup avec <strong>de</strong>s talents improvisés. Pascal, à 12 ans,découvrit <strong>la</strong> géométrie p<strong>la</strong>ne, <strong>et</strong> Rembrandt, avant <strong>de</strong> savoir lire,<strong>de</strong>ssinait comme un grand maître 1 .Napoléon se fit remarquer par son aptitu<strong>de</strong> prématurée pour <strong>la</strong> guerre.Dès sa première jeunesse, il ne jouait pas au p<strong>et</strong>it soldat comme lesenfants <strong>de</strong> son âge, mais avec une métho<strong>de</strong> extraordinaire, qu'il semb<strong>la</strong>itpuiser en lui-même.<strong>Le</strong> seizième siècle nous a <strong>la</strong>issé le souvenir d'un prodigieux polyglotte,Jacques Chrichton, que Scaliger dénommait un «génie monstrueux». Ilétait Ecossais <strong>et</strong>, à 15 ans, discutait en <strong>la</strong>tin, en grec, en hébreu, en arabe<strong>sur</strong> n'importe quelle question. Dès 14 ans, il avait conquis le gra<strong>de</strong> <strong>de</strong>maître.Henri <strong>de</strong> Heinecken, né à Lübeck en 1721, par<strong>la</strong> presque en naissant.A 2 ans, il savait trois <strong>la</strong>ngues. Il apprit à écrire en quelques jours <strong>et</strong>s'exerça bientôt à prononcer <strong>de</strong> p<strong>et</strong>its discours. A 2 ans <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi, il subitun examen <strong>sur</strong> <strong>la</strong> géographie <strong>et</strong> l'histoire, ancienne <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne. Il ne1 Voir C. Lombroso, l'Homme <strong>de</strong> génie, traduction française.


LES ENFANTS PRODIGES ET L'HEREDITE 183vivait que du <strong>la</strong>it <strong>de</strong> sa nourrice ; on voulut le sevrer, il dépérit <strong>et</strong>s'éteignit à Lübeck le 27 juin 1725, dans le cours <strong>de</strong> sa cinquième année,en affirmant ses espérances en l'autre vie. «Il était, disent les Mémoires<strong>de</strong> Trévoux, délicat, infirme, souvent ma<strong>la</strong><strong>de</strong>.» Ce jeune phénomène eut<strong>la</strong> pleine conscience <strong>de</strong> sa fin prochaine. Il en par<strong>la</strong>it avec une sérénitéau moins aussi admirable que sa science prématurée, <strong>et</strong> il voulutconsoler ses parents en leur adressant <strong>de</strong>s encouragements tirés <strong>de</strong> leurscommunes croyances.L'histoire <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers siècles signale un grand nombre <strong>de</strong> ces enfantsprodiges.<strong>Le</strong> jeune Van <strong>de</strong> Kerkhove, <strong>de</strong> Bruges, mourut à 10 ans <strong>et</strong> 11 mois, le12 août 1873, en <strong>la</strong>issant 350 p<strong>et</strong>its tableaux <strong>de</strong> maître, dont quelquesuns,dit Adolphe Sir<strong>et</strong>, membre <strong>de</strong> l'Académie royale <strong>de</strong>s sciences,l<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> beaux arts <strong>de</strong> Belgique, «auraient pu être signés <strong>de</strong>s noms <strong>de</strong>Diaz, Salvator Rosa, Corot, Van Goyen, <strong>et</strong>c.».Un autre enfant, William Hamilton, étudiait l'hébreu à 3 ans, <strong>et</strong>, à 7ans, il possédait <strong>de</strong>s connaissances plus étendues que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>scandidats à l'agrégation. «Je le vois encore, disait un <strong>de</strong> ses parents,répondre à une question <strong>de</strong> mathématique ardue, puis s'éloigner entrottinant, traînant après lui sa p<strong>et</strong>ite charr<strong>et</strong>te.» A 13 ans, il connaissaitdouze <strong>la</strong>ngues. A 18 ans, il étonnait tous les gens <strong>de</strong> son entourage, aupoint qu'un astronome ir<strong>la</strong>ndais disait <strong>de</strong> lui : «Je ne dis pas qu'il sera,mais qu'il est déjà le premier mathématicien <strong>de</strong> son temps.»En ce moment, l'Italie s'honore <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r un linguiste phénoménal,M. Tromb<strong>et</strong>ti, qui <strong>sur</strong>passe <strong>de</strong> beaucoup ses anciens compatriotes, lecélèbre Pic <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mirandole <strong>et</strong> le prodigieux Mezzofanti, ce cardinal quidiscourait en soixante-dix <strong>la</strong>ngues.Tromb<strong>et</strong>ti est né d'une famille <strong>de</strong> Bolonais pauvres <strong>et</strong> complètementignorants. Il apprit, tout seul, à l'école primaire, le français <strong>et</strong> l'alleman<strong>de</strong>t, au bout <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mois, il lisait Voltaire <strong>et</strong> Go<strong>et</strong>he. Il apprit l'arabe rienqu'en lisant une vie d'Abd-el-Ka<strong>de</strong>r dans c<strong>et</strong>te <strong>la</strong>ngue. Un Persan, <strong>de</strong>passage à Bologne, lui enseigna sa <strong>la</strong>ngue en quelques semaines. A 12ans, il apprit seul <strong>et</strong> simultanément le <strong>la</strong>tin, le grec <strong>et</strong> l'hébreu. Depuis i<strong>la</strong> étudié presque toutes les <strong>la</strong>ngues vivantes ou mortes ; ses amis as<strong>sur</strong>entqu'il connaît aujourd'hui environ trois cents dialectes orientaux. <strong>Le</strong> roid'Italie l'a nommé professeur <strong>de</strong> philologie à l'Université <strong>de</strong> Bologne.


184 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEAu Congrès international <strong>de</strong> psychologie <strong>de</strong> Paris, en 1900, M. Ch.Rich<strong>et</strong>, <strong>de</strong> l'Académie <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine, présenta en assemblée générale,toutes sections réunies, un enfant espagnol <strong>de</strong> 3 ans <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi, nomméPepito Arrio<strong>la</strong>, qui jouait <strong>et</strong> improvisait <strong>sur</strong> le piano <strong>de</strong>s airs variés, trèsriches comme sonorité. Nous reproduisons <strong>la</strong> communication faite parM. Ch. Rich<strong>et</strong> aux congressistes, à <strong>la</strong> séance du 21 août 1900, au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong>c<strong>et</strong> enfant, avant l'audition musicale 2 :Voici ce que raconte sa mère <strong>sur</strong> <strong>la</strong> manière dont, pour <strong>la</strong> première fois, elles'aperçut <strong>de</strong>s dons musicaux extraordinaires du jeune Pepito. - «L'enfant avait àpeu près <strong>de</strong>ux ans <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi lorsque je découvris pour <strong>la</strong> première fois, <strong>et</strong> par hasard,ses aptitu<strong>de</strong>s musicales. A c<strong>et</strong>te époque, un musicien <strong>de</strong> mes amis m'adressa unesienne composition, <strong>et</strong> je me mis à <strong>la</strong> jouer au piano assez fréquemment ; il estprobable que l'enfant y faisait attention ; mais je ne m'en aperçus pas. Or, unmatin, j'entends jouer dans une chambre voisine ce même air, mais avec tantd'autorité <strong>et</strong> <strong>de</strong> justesse, que je voulus savoir qui se perm<strong>et</strong>tait <strong>de</strong> jouer ainsi dupiano chez moi. J'entrai dans le salon, <strong>et</strong> je vis mon p<strong>et</strong>it garçon qui était seul <strong>et</strong>jouait c<strong>et</strong> air. Il était assis <strong>sur</strong> un siège élevé, où il s'était mis tout seul, <strong>et</strong>, en mevoyant, il se mit à rire <strong>et</strong> me dit : «Coco, mama.» Je crus qu'il y avait là un miraclevéritable.» - A partir <strong>de</strong> ce moment, le p<strong>et</strong>it Pepito se mit à jouer, sans que sa mèrelui donnât <strong>de</strong> leçons, tantôt les airs qu'elle jouait elle-même <strong>de</strong>vant lui au piano,tantôt <strong>de</strong>s airs qu'il inventait.Bientôt il fut assez habile pour pouvoir, le 4 décembre 1899, c'est-à-dire n'ayantpas encore 3 ans, jouer <strong>de</strong>vant un assez nombreux auditoire <strong>de</strong> critiques <strong>et</strong> <strong>de</strong>musiciens ; le 26 décembre, c'est-à-dire âgé <strong>de</strong> 3 ans <strong>et</strong> 12 jours, il joua au Pa<strong>la</strong>isRoyal <strong>de</strong> Madrid, <strong>de</strong>vant le roi <strong>et</strong> <strong>la</strong> reine-mère, six compositions musicales <strong>de</strong> soninvention, qui ont été notées.Il ne sait pas lire, qu'il s'agisse <strong>de</strong> musique ou d'alphab<strong>et</strong>. Il n'a pas <strong>de</strong> talentspécial pour le <strong>de</strong>ssin ; mais il s'amuse parfois à écrire <strong>de</strong>s airs musicaux. Bienentendu, c<strong>et</strong>te écriture n'a aucun sens. Mais il est assez amusant <strong>de</strong> le voir prendreun p<strong>et</strong>it papier, faire en tête du papier un griffonnage (qui signifie, paraît-il, <strong>la</strong>nature du morceau, sonate, ou habanera, ou valse, <strong>et</strong>c.), puis, au-<strong>de</strong>ssous, figurer<strong>de</strong>s lignes noires qui, as<strong>sur</strong>e-t-il, sont <strong>de</strong>s notes. Il regar<strong>de</strong> ce papier avecsatisfaction, le m<strong>et</strong> <strong>sur</strong> le piano, <strong>et</strong> dit : «Je vais jouer ce<strong>la</strong>» <strong>et</strong> en eff<strong>et</strong>, ayant<strong>de</strong>vant les yeux ce papier informe, il improvise d'une manière étonnante.A vrai dire, ce qu'il y a en lui <strong>de</strong> plus stupéfiant, ce n'est ni le doigté, nil'harmonie, ni l'agilité, mais l'expression. Il a une richesse d'expression étonnante.Qu'il s'agisse d'un morceau triste, ou gai, ou martial, ou énergique, l'expression estsaisissante. Souvent même c<strong>et</strong>te expression est si forte, si tragique, dans certainsairs mé<strong>la</strong>ncoliques ou funèbres, qu'on a <strong>la</strong> sensation que Pepito ne peut pas, avec2 Voir Revue scientifique du 6 octobre 1900, page 432, <strong>et</strong> Compte-rendu officiel du Congrès <strong>de</strong>Psychologie, 1900, F. Alcan, page 93.


LES ENFANTS PRODIGES ET L'HEREDITE 185son doigté imparfait, exprimer toutes les idées musicales qui frémissent en lui : <strong>de</strong>sorte que j'oserais presque dire qu'il est bien plus grand musicien qu'il ne paraitl'être...Non seulement il joue les morceaux qu'il vient d'entendre jouer au piano, maisencore il peut jouer au piano les airs chantés qu'il a entendus. C'est merveille <strong>de</strong> levoir alors trouver, imaginer, reconstituer les accords <strong>de</strong> <strong>la</strong> basse <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'harmonie,comme pourrait le faire un musicien habile.Depuis lors, le jeune artiste a poursuivi le cours <strong>de</strong> ses succèsgrandissants. Devenu violoniste incomparable, il a étonné le mon<strong>de</strong>musical par son précoce talent. Il a déjà joué dans plusieurs grandsconcerts à <strong>Le</strong>ipzig <strong>et</strong> a donné <strong>de</strong>s représentations musicales àPétersbourg 3 .Ajoutons à c<strong>et</strong>te liste le nom <strong>de</strong> Willy Ferreros, qui, à l'âge <strong>de</strong> 4 ans <strong>et</strong><strong>de</strong>mi, dirigeait avec maestria l'orchestre <strong>de</strong>s Folies-Bergères, à Paris,puis celui du Casino <strong>de</strong> Lyon. Voici ce qu'en dit, dans son numéro du 18février 1911, <strong>la</strong> revue Comoedia : «C'est un tout p<strong>et</strong>it bonhomme quiporte déjà gail<strong>la</strong>r<strong>de</strong>ment l'habit noir, <strong>la</strong> culotte <strong>de</strong> satin, le gil<strong>et</strong> b<strong>la</strong>nc <strong>et</strong>les souliers vernis. La bagu<strong>et</strong>te en main, il dirige avec une n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é, unesûr<strong>et</strong>é, une précision incomparables, un orchestre <strong>de</strong> quatre-vingtsmusiciens, attentif au moindre détail, soucieux <strong>de</strong>s nuances, scrupuleuxobservateur du rythme...»L'Intransigeant du 22 juin 1911 ajoute qu'il excelle dans <strong>la</strong> direction<strong>de</strong>s Symphonies <strong>de</strong> Haydn, <strong>la</strong> marche <strong>de</strong> Tannhauser <strong>et</strong> <strong>la</strong> Dansed'Anitra, <strong>de</strong> Grieg.Citons encore le Soir, <strong>de</strong> Bruxelles 4 , dans son énumération <strong>de</strong>quelques enfants remarquables d'outre-mer :L'Université <strong>de</strong> <strong>la</strong> Nouvelle-Orléans vient <strong>de</strong> délivrer un certificat médical à unétudiant âgé <strong>de</strong> 5 ans <strong>et</strong> nommé Willie Gwin. <strong>Le</strong>s examinateurs ont ensuite déc<strong>la</strong>réen séance publique que le jeune escu<strong>la</strong>pe était le plus savant ostéologue auquel ilseussent jamais délivré un certificat.A ce propos, les journaux transat<strong>la</strong>ntiques publièrent une liste <strong>de</strong> leurs enfantsprodiges. L'un d'eux, à peine âgé <strong>de</strong> 11 ans, a fondé un journal, appelé The SunnyHome, qui, dès le troisième numéro, tirait déjà à 20.000 exemp<strong>la</strong>ires.Parmi les prédicateurs célèbres <strong>de</strong>s Etats-Unis, on cite le jeune Dennis Mahan,<strong>de</strong> Montana, qui dès l'âge <strong>de</strong> 6 ans étonna les fidèles par sa profon<strong>de</strong> connaissance<strong>de</strong>s Ecritures <strong>et</strong> par l'éloquence <strong>de</strong> son verbe.3 Prof. Ch. Rich<strong>et</strong>, Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques, avril 1908, page 98.4 Numéro du 25 juill<strong>et</strong> 1900.


186 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEOn peut ajouter à c<strong>et</strong>te liste le nom du fameux ingénieur suédois Ericson qui, àl'âge <strong>de</strong> 12 ans, était inspecteur au grand canal maritime <strong>de</strong> Suez <strong>et</strong> avait 600ouvriers sous ses ordres.** *Reprenons le problème <strong>de</strong>s enfants prodiges <strong>et</strong> examinons-le sous sesdifférents aspects. D'abord, <strong>de</strong>ux hypothèses ont été proposées pourl'expliquer : l'hérédité <strong>et</strong> <strong>la</strong> médiumnité.L'hérédité, nul ne l'ignore, est <strong>la</strong> transmission <strong>de</strong>s propriétés d'unindividu à ses <strong>de</strong>scendants. <strong>Le</strong>s influences héréditaires sontconsidérables, aux <strong>de</strong>ux points <strong>de</strong> vue physique <strong>et</strong> psychique. Latransmission <strong>de</strong>s parents aux enfants du tempérament, <strong>de</strong>s traits, ducaractère <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'intelligence, est très sensible chez certaines personnes.Nous r<strong>et</strong>rouvons en nous, à différents titres, non seulement lesparticu<strong>la</strong>rités organiques <strong>de</strong> nos générateurs directs ou <strong>de</strong> nos ancêtres,mais encore leurs qualités ou leurs défauts. Dans l'homme actuel revittoute <strong>la</strong> mystérieuse lignée d'êtres dont il résume les efforts sécu<strong>la</strong>iresvers une vie plus haute <strong>et</strong> plus pleine.Mais, à côté <strong>de</strong>s analogies, il y a <strong>de</strong>s divergences plus considérablesencore. <strong>Le</strong>s membres d'une même famille, tout en présentant <strong>de</strong>sressemb<strong>la</strong>nces, <strong>de</strong>s traits communs, offrent aussi parfois <strong>de</strong>s différencestrès tranchées. <strong>Le</strong> fait peut être constaté partout, autour <strong>de</strong> nous, danschaque famille, parmi <strong>de</strong>s frères <strong>et</strong> <strong>de</strong>s soeurs, <strong>et</strong> même chez <strong>de</strong>sjumeaux. Beaucoup <strong>de</strong> ceux-ci, semb<strong>la</strong>bles, au physique, dans leurspremières années, au point qu'on peut difficilement les distinguer l'un <strong>de</strong>l'autre, présentent au cours <strong>de</strong> leur développement <strong>de</strong>s différencessensibles <strong>de</strong> traits, <strong>de</strong> caractère <strong>et</strong> d'intelligence.Pour expliquer ces dissemb<strong>la</strong>nces, il faudra donc faire intervenir unfacteur nouveau dans <strong>la</strong> solution du problème ; ce seront les antériorités<strong>de</strong> l'être qui lui ont permis d'accroître ses facultés, <strong>de</strong> vies en vies, <strong>de</strong> seconstituer une individualité portant en elle son cach<strong>et</strong> d'originalité <strong>et</strong> sesaptitu<strong>de</strong>s propres. C<strong>et</strong>te loi <strong>de</strong>s renaissances, seule, pourra nous fairecomprendre comment certains esprits en s'incarnant montrent, dès leurspremières années, ces facilités <strong>de</strong> travail <strong>et</strong> d'assimi<strong>la</strong>tion quicaractérisent les enfants prodiges. Ce sont là les résultats d'immenses<strong>la</strong>beurs qui ont familiarisé ces esprits avec les arts ou les sciences où ilsexcellent. De longues recherches, <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s exercices sécu<strong>la</strong>iresont <strong>la</strong>issé dans leur enveloppe périspritale <strong>de</strong>s empreintes profon<strong>de</strong>s,


LES ENFANTS PRODIGES ET L'HEREDITE 187créant une sorte d'automatisme psychologique. Chez les musiciensnotamment, c<strong>et</strong>te faculté se manifeste <strong>de</strong> bonne heure par <strong>de</strong>s procédésd'exécution qui étonnent les plus indifférents <strong>et</strong> ren<strong>de</strong>nt perplexes <strong>de</strong>ssavants comme le professeur Ch. Rich<strong>et</strong>.Il existe chez ces jeunes suj<strong>et</strong>s <strong>de</strong>s réserves considérables <strong>de</strong>connaissances emmagasinées dans <strong>la</strong> conscience profon<strong>de</strong> <strong>et</strong> qui, <strong>de</strong> là,débor<strong>de</strong>nt dans <strong>la</strong> conscience physique, <strong>de</strong> façon à produire cesmanifestations précoces du talent <strong>et</strong> du génie. Tout en paraissantanormales, elles ne sont cependant que <strong>la</strong> conséquence du <strong>la</strong>beur <strong>et</strong> <strong>de</strong>sefforts poursuivis à travers les temps. C'est c<strong>et</strong>te réserve, ce capitalin<strong>de</strong>structible <strong>de</strong> l'être que F. Myers appelle <strong>la</strong> conscience subliminale <strong>et</strong>que l'on r<strong>et</strong>rouve en chacun <strong>de</strong> nous. Elle se révèle non seulement dansle sens artistique, scientifique ou littéraire, mais encore par toutes lesacquisitions <strong>de</strong> l'esprit, aussi bien dans l'ordre moral que dans l'ordreintellectuel. La conception du bien, du juste, <strong>la</strong> notion du <strong>de</strong>voir sontbeaucoup plus vives chez certains individus <strong>et</strong> dans certaines races quechez d'autres. Elles ne résultent pas seulement <strong>de</strong> l'éducation présente,comme on peut le reconnaître par une observation attentive <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>sdans leurs impulsions spontanées, mais d'un fonds personnel qu'ilsapportent en naissant. L'éducation développe ces germes natifs, leurperm<strong>et</strong> <strong>de</strong> s'épanouir <strong>et</strong> <strong>de</strong> produire tous leurs fruits. Seule, elle nepourrait inculquer aussi profondément aux nouveaux venus ces notionssupérieures qui dominent toute leur existence. On le constatejournellement chez les races inférieures, réfractaires à certaines idéesmorales <strong>et</strong> <strong>sur</strong> qui l'éducation a peu <strong>de</strong> prise.<strong>Le</strong>s antériorités expliquent encore ces anomalies étranges d'êtres aucaractère sauvage, indiscipliné, malfaisant, apparaissant tout à coup dans<strong>de</strong>s milieux honnêtes <strong>et</strong> policés. On a vu <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong> bonne famillecomm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong>s vols, allumer <strong>de</strong>s incendies, accomplir <strong>de</strong>s forfaits avecune audace <strong>et</strong> une habil<strong>et</strong>é consommées, subir <strong>de</strong>s condamnations <strong>et</strong>déshonorer le nom qu'ils portaient. On cite chez d'autres enfants <strong>de</strong>sactes <strong>de</strong> férocité sanguinaire, que rien n'explique dans leur entourage nileur ascendance. Des adolescents, par exemple, tuent les animauxdomestiques qui leur tombent sous <strong>la</strong> main, après les avoir torturés avecune cruauté raffinée.Dans un sens opposé, on peut constater <strong>de</strong>s cas <strong>de</strong> dévouement,extraordinaires pour l'âge ; <strong>de</strong>s sauv<strong>et</strong>ages sont effectués avec réflexion


188 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>et</strong> décision par <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong> l0 ans <strong>et</strong> au-<strong>de</strong>ssous. Ces suj<strong>et</strong>s, commeles précé<strong>de</strong>nts, semblent apporter en ce mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s dispositionsparticulières qu'on ne r<strong>et</strong>rouve pas chez leurs parents. De même qu'onvoit <strong>de</strong>s anges <strong>de</strong> pur<strong>et</strong>é <strong>et</strong> <strong>de</strong> douceur naître <strong>et</strong> grandir en <strong>de</strong>s milieuxgrossiers <strong>et</strong> dépravés, <strong>de</strong> même on rencontre <strong>de</strong>s voleurs <strong>et</strong> <strong>de</strong>s assassinsdans <strong>de</strong>s familles vertueuses ; <strong>et</strong> dans les <strong>de</strong>ux cas ces anomalies seprésentent en <strong>de</strong>s conditions telles qu'aucun précé<strong>de</strong>nt atavique ne peutdonner le mot <strong>de</strong> l'énigme.Tous ces phénomènes, dans leur variété infinie, trouvent leurexplication dans le passé <strong>de</strong> l'âme, dans les nombreuses vies humainesqu'elle a parcourues. Chacun apporte en naissant les fruits <strong>de</strong> sonévolution, l'intuition <strong>de</strong> ce qu'il a appris, les aptitu<strong>de</strong>s acquises dans lesdivers domaines <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'oeuvre sociale : dans l'art, <strong>la</strong>science, le commerce, l'industrie, <strong>la</strong> navigation, <strong>la</strong> guerre, <strong>et</strong>c., l'habil<strong>et</strong>épour telle chose plutôt que pour telle autre, selon que son activité s'estdéjà exercée dans un sens particulier.L'esprit est apte aux étu<strong>de</strong>s les plus diverses. Mais dans le cours limité<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie terrestre, par l'eff<strong>et</strong> <strong>de</strong>s conditions d'ambiance, par suite <strong>de</strong>sexigences matérielles <strong>et</strong> sociales, il ne s'applique généralement qu'àl'étu<strong>de</strong> d'un nombre restreint <strong>de</strong> questions. Et dès que sa volonté s'estorientée vers l'un <strong>de</strong>s domaines <strong>de</strong> <strong>la</strong> vaste connaissance, par le fait <strong>de</strong>ses tendances <strong>et</strong> <strong>de</strong>s notions accumulées en lui, sa supériorité en ce sensse <strong>de</strong>ssine, s'accuse <strong>de</strong> plus en plus ; elle se répercute d'existence enexistence, se révé<strong>la</strong>nt, à chaque r<strong>et</strong>our dans le champ terrestre, par <strong>de</strong>smanifestations toujours plus précoces <strong>et</strong> plus accentuées. De là, lesenfants prodiges <strong>et</strong>, dans un ordre plus effacé, les vocations, lesprédispositions natives. De là, le talent, le génie, qui sont le résultatd'efforts persévérants <strong>et</strong> continus vers un objectif déterminé.Cependant, l'âme étant appelée à abor<strong>de</strong>r toutes les formes <strong>de</strong> <strong>la</strong>connaissance <strong>et</strong> non à se restreindre à quelques-unes, <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong>stages successifs se démontre par le fait seul <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi d'undéveloppement sans limites. De même que <strong>la</strong> preuve <strong>de</strong>s vies antérieuress'établit par les acquisitions réalisées avant <strong>la</strong> naissance, <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong>svies futures s'impose comme conséquence <strong>de</strong> nos actes actuels, c<strong>et</strong>teconséquence, pour se dérouler, exigeant <strong>de</strong>s conditions <strong>et</strong> <strong>de</strong>s milieux enharmonie avec l'état <strong>de</strong>s âmes. Nous avons <strong>de</strong>rrière nous tout un infini <strong>de</strong>réminiscences <strong>et</strong> <strong>de</strong> souvenirs ; <strong>de</strong>vant nous un autre infini <strong>de</strong> promesses


LES ENFANTS PRODIGES ET L'HEREDITE 189<strong>et</strong> d'espérances. Mais, <strong>de</strong> toute c<strong>et</strong>te splen<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> vie, <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>shommes ne voient <strong>et</strong> ne veulent voir que ce fragment chétif <strong>de</strong>l'existence actuelle, existence d'un jour qu'ils croient sans précé<strong>de</strong>nt <strong>et</strong>sans len<strong>de</strong>main. De là <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée philosophique <strong>et</strong> <strong>de</strong>l'action morale à notre époque.<strong>Le</strong> travail antérieur effectué par chaque esprit peut être facilementcalculé, me<strong>sur</strong>é par <strong>la</strong> rapidité avec <strong>la</strong>quelle il exécute <strong>de</strong> nouveau untravail semb<strong>la</strong>ble <strong>sur</strong> un même suj<strong>et</strong>, ou bien par <strong>la</strong> promptitu<strong>de</strong> qu'il m<strong>et</strong>à s'assimiler les éléments d'une science quelconque. A ce point <strong>de</strong> vue, <strong>la</strong>différence entre les individus est tellement considérable qu'elle resteraitincompréhensible sans c<strong>et</strong>te donnée <strong>de</strong>s existences antérieures. Deuxpersonnes également intelligentes, étudiant un même suj<strong>et</strong>, ne sel'assimileront pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> même façon ; l'une en saisira à première vue lesmoindres éléments, l'autre ne s'en pénétrera que par un lent travail <strong>et</strong> uneapplication soutenue. C'est que l'une a déjà connu ces matières <strong>et</strong> n'a qu'àse ressouvenir, tandis que l'autre se trouve pour <strong>la</strong> première fois en face<strong>de</strong> ces questions. Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> <strong>la</strong> facilité qu'ont certainespersonnes à accepter telle vérité, tel principe, tel point d'une doctrinepolitique ou religieuse, tandis que d'autres ne se <strong>la</strong>issent convaincre qu'à<strong>la</strong> longue, à force d'arguments. Pour les uns, c'est là une chose familièreà leur esprit, tandis qu'elle est nouvelle pour d'autres. <strong>Le</strong>s mêmesconsidérations s'appliquent, nous l'avons vu, à <strong>la</strong> variété si gran<strong>de</strong> <strong>de</strong>scaractères <strong>et</strong> <strong>de</strong>s dispositions morales. Sans <strong>la</strong> donnée <strong>de</strong>s préexistences,<strong>la</strong> diversité sans bornes <strong>de</strong>s intelligences <strong>et</strong> <strong>de</strong>s consciences resterait unproblème insoluble, <strong>et</strong> <strong>la</strong> liaison <strong>de</strong>s différents éléments du moi en untout harmonieux <strong>de</strong>viendrait un phénomène sans cause.<strong>Le</strong> génie, disions-nous, ne s'explique pas par l'hérédité ; pas davantagepar les conditions du milieu. Si l'hérédité pouvait produire le génie, ilserait beaucoup plus fréquent. La plupart <strong>de</strong>s hommes célèbres eurent<strong>de</strong>s ascendants d'intelligence médiocre <strong>et</strong> leur <strong>de</strong>scendance leur futnotoirement inférieure. <strong>Le</strong> Christ, Socrate, Jeanne d'Arc sont nés <strong>de</strong>familles obscures. Des savants illustres sont sortis <strong>de</strong>s milieux les plusvulgaires, par exemple Bacon, Copernic, Galvani, Kepler, Hume, Kant,Locke, Malebranche, Réaumur, Spinoza, Lap<strong>la</strong>ce, <strong>et</strong>c.. J. J. Rousseau,fils d'un horloger, se passionne pour <strong>la</strong> philosophie <strong>et</strong> les l<strong>et</strong>tres dans <strong>la</strong>boutique <strong>de</strong> son père ; d'Alembert, enfant trouvé, fut ramassé, pendantune nuit d'hiver, <strong>sur</strong> le seuil d'une église <strong>et</strong> élevé par <strong>la</strong> femme d'un


190 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEvitrier. Ni l'ascendance, ni le milieu n'expliquent les conceptionsgéniales <strong>de</strong> Shakespeare.<strong>Le</strong>s faits ne sont pas moins significatifs, lorsque nous considérons <strong>la</strong><strong>de</strong>scendance <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> génie. <strong>Le</strong>ur puissance intellectuelledisparaît avec eux ; on ne <strong>la</strong> r<strong>et</strong>rouve pas chez leurs enfants. <strong>Le</strong>s filsconnus <strong>de</strong> tel grand poète, <strong>de</strong> tel grand mathématicien, sont incapables<strong>de</strong>s oeuvres les plus élémentaires dans ces <strong>de</strong>ux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> travaux. Parmiles hommes illustres, <strong>la</strong> plupart ont eu <strong>de</strong>s fils stupi<strong>de</strong>s ou indignes.Périclès engendra <strong>de</strong>ux sots tels que Paral<strong>la</strong>s <strong>et</strong> Xantippe. Desdissemb<strong>la</strong>nces d'autre nature, mais aussi accentuées, se r<strong>et</strong>rouvent chezAristippe <strong>et</strong> son fils Lysimaque, chez Thucydi<strong>de</strong> <strong>et</strong> Milésias. Sophocle,Aristarque, Thémistocle ne furent pas mieux partagés dans leurs enfants.Quel contraste entre Germanicus <strong>et</strong> Caligu<strong>la</strong>, entre Cicéron <strong>et</strong> son fils,Vespasien <strong>et</strong> Domitien, Marc Aurèle <strong>et</strong> Commo<strong>de</strong> ! Et <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong>Charlemagne, d'Henri IV, <strong>de</strong> Pierre le Grand, <strong>de</strong> Go<strong>et</strong>he, <strong>de</strong> Napoléon,que peut-on dire ?Il est <strong>de</strong>s cas cependant où le talent, <strong>la</strong> mémoire, l'imagination, les plushautes facultés <strong>de</strong> l'esprit, semblent héréditaires. Ces ressemb<strong>la</strong>ncespsychiques entre parents <strong>et</strong> enfants s'expliquent par l'attraction <strong>et</strong> <strong>la</strong>sympathie. Ce sont <strong>de</strong>s esprits simi<strong>la</strong>ires, attirés les uns vers les autrespar <strong>de</strong>s penchants analogues <strong>et</strong> que d'anciens rapports ont unis.Generans generat sibi simule. En ce qui concerne les aptitu<strong>de</strong>smusicales, on peut constater ce fait dans les cas <strong>de</strong> Mozart <strong>et</strong> du jeunePepito. Mais ces <strong>de</strong>ux personnages dépassent <strong>de</strong> haut leurs ascendants.Mozart trône parmi les siens comme un soleil parmi d'obscures p<strong>la</strong>nètes.<strong>Le</strong>s capacités musicales <strong>de</strong> sa famille ne suffisent pas à nous fairecomprendre qu'à 4 ans il ait pu révéler <strong>de</strong>s connaissances que personnene lui avait encore enseignées, <strong>et</strong> montrer une science profon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s lois<strong>de</strong> l'harmonie. Lui seul est <strong>de</strong>venu célèbre ; tous les autres Mozart sontrestés ignorés. Evi<strong>de</strong>mment, quand ces hautes intelligences le peuvent,afin <strong>de</strong> manifester plus librement leurs facultés, elles choisissent, pour seréincarner, un milieu où leurs goûts sont partagés <strong>et</strong> où les organismesmatériels sont, <strong>de</strong> génération en génération, exercés dans le sens qu'ilspoursuivent. Ce<strong>la</strong> se rencontre particulièrement parmi les grandsmusiciens, pour qui <strong>de</strong>s conditions spéciales <strong>de</strong> sensation <strong>et</strong> <strong>de</strong>perception sont indispensables. Mais, dans <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s cas, le génieapparaît au sein d'une famille, sans précé<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> sans successeur, dans


LES ENFANTS PRODIGES ET L'HEREDITE 191l'enchaînement <strong>de</strong>s générations. <strong>Le</strong>s grands génies moralisateurs, lesfondateurs <strong>de</strong> religion : Lao-Tsé, le Bouddha, Zarathustra, le Christ,Mahom<strong>et</strong>, appartiennent à c<strong>et</strong>te c<strong>la</strong>sse d'esprits. C'est aussi le cas pources puissantes intelligences qui portèrent ici-bas les noms immortels <strong>de</strong>P<strong>la</strong>ton, Dante, Newton, G. Bruno, <strong>et</strong>c..Si les exceptions bril<strong>la</strong>ntes ou funestes, créées dans une famille parl'apparition d'un homme <strong>de</strong> génie ou d'un criminel, étaient <strong>de</strong> simples casd'atavisme, on r<strong>et</strong>rouverait dans <strong>la</strong> généalogie familiale l'ancêtre qui sert<strong>de</strong> modèle, <strong>de</strong> type primitif à c<strong>et</strong>te manifestation. Or ce n'est presquejamais le cas, ni dans un sens ni dans l'autre. On pourrait nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rcomment nous concilierons ces dissemb<strong>la</strong>nces avec <strong>la</strong> loi <strong>de</strong>s attractions<strong>et</strong> <strong>de</strong>s similitu<strong>de</strong>s, qui semble prési<strong>de</strong>r au rapprochement <strong>de</strong>s âmes. Lapénétration dans certaines familles d'êtres sensiblement supérieurs ouinférieurs, qui y viennent donner ou recevoir <strong>de</strong>s enseignements, exercerou subir <strong>de</strong>s influences nouvelles, est facilement explicable. Elle peutrésulter <strong>de</strong> l'enchaînement <strong>de</strong> <strong>de</strong>stinées communes qui, <strong>sur</strong> certainspoints, se rejoignent <strong>et</strong> s'en<strong>la</strong>cent comme une conséquence d'affectionsou <strong>de</strong> haines échangées dans le passé, forces également attractives quiréunissent les âmes <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns successifs, dans <strong>la</strong> vaste spirale <strong>de</strong> leurévolution.** *Pourrait-on expliquer par <strong>la</strong> médiumnité les phénomènes signalés plushaut ? Quelques-uns l'on tenté. Nous-même, dans un précé<strong>de</strong>nt ouvrage 5 ,avons reconnu que le génie doit beaucoup à l'inspiration, <strong>et</strong> celle-ci estune <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> <strong>la</strong> médiumnité. Mais nous ajoutions que, dans les casoù c<strong>et</strong>te faculté spéciale s'accusait n<strong>et</strong>tement, on ne pouvait considérerl'homme <strong>de</strong> génie comme un simple instrument, ce qu'est avant tout lemédium proprement dit. <strong>Le</strong> génie, disions-nous, est <strong>sur</strong>tout un acquis dupassé, le résultat <strong>de</strong> patientes étu<strong>de</strong>s sécu<strong>la</strong>ires, d'une lente <strong>et</strong>douloureuse initiation. Ces antécé<strong>de</strong>nts ont développé chez l'être uneprofon<strong>de</strong> sensibilité qui l'ouvre aux influences élevées.Il y a une différence sensible entre les manifestations intellectuelles<strong>de</strong>s enfants prodiges <strong>et</strong> <strong>la</strong> médiumnité prise dans son sens général. Cellecia un caractère intermittent, passager, anormal. <strong>Le</strong> médium ne peut5 Voir Dans l'Invisible : La Médiumnité glorieuse.


192 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEexercer sa faculté à toute heure ; il lui faut <strong>de</strong>s conditions spéciales,parfois difficiles à réunir ; tandis que les enfants prodiges peuventutiliser leurs talents à tout moment, d'une façon permanente, commenous le ferions nous-mêmes <strong>de</strong> nos propres acquisitions mentales.Si nous analysons avec soin les cas signalés, nous reconnaîtrons que legénie <strong>de</strong>s jeunes prodiges leur est bien personnel ; l'application en estréglée par leur propre volonté. <strong>Le</strong>urs oeuvres, tout originales <strong>et</strong>étonnantes qu'elles paraissent, se ressentent toujours <strong>de</strong> leur âge <strong>et</strong> n'ontpas le caractère qu'elles revêtiraient, si elles émanaient d'une hauteintelligence étrangère. Il y a dans leur façon <strong>de</strong> travailler <strong>et</strong> d'agir <strong>de</strong>srecherches, <strong>de</strong>s hésitations, <strong>de</strong>s tâtonnements, qui ne se produiraient pass'ils étaient les instruments passifs d'une volonté supérieure <strong>et</strong> occulte.C'est ce que nous constatons chez Pepito notamment, <strong>sur</strong> le cas duquelnous nous sommes étendu.On pourrait adm<strong>et</strong>tre d'ailleurs que, chez certains individus, ces <strong>de</strong>uxcauses : l'acquis personnel <strong>et</strong> l'inspiration extérieure, se combinent, secomplètent l'une par l'autre. La doctrine <strong>de</strong> <strong>la</strong> réincarnation n'en seraitpas affaiblie pour ce<strong>la</strong>.C'est toujours à elle qu'il faut recourir lorsqu'on abor<strong>de</strong> par quelquecôté le problème <strong>de</strong>s inégalités. <strong>Le</strong>s âmes humaines sont plus ou moinsdéveloppées suivant leur âge <strong>et</strong> <strong>sur</strong>tout suivant l'emploi qu'elles ont faitdu temps vécu. Nous n'avons pas tous été <strong>la</strong>ncés à <strong>la</strong> même heure dans l<strong>et</strong>ourbillon <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Nous n'avons pas tous marché du même pas, déroulé<strong>de</strong> <strong>la</strong> même façon le chapel<strong>et</strong> <strong>de</strong> nos existences. Nous parcourons uneroute infinie ; <strong>de</strong> là vient que nos situations <strong>et</strong> nos valeurs respectivesnous semblent si différentes ; mais le but est le même pour tous. Sous lefou<strong>et</strong> <strong>de</strong>s épreuves, sous l'aiguillon <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur, tous montent, touss'élèvent. L'âme n'est pas faite <strong>de</strong> toutes pièces, elle se fait ; elle seconstruit elle-même à travers les temps. Ses facultés, ses qualités, sonavoir intellectuel <strong>et</strong> moral, loin <strong>de</strong> se perdre, se capitalisent, s'accroissent<strong>de</strong> siècle en siècle. Par <strong>la</strong> réincarnation, chacun vient, pour en poursuivrel'exécution, reprendre <strong>la</strong> tâche d'hier, c<strong>et</strong>te tâche <strong>de</strong> perfectionnementinterrompue par <strong>la</strong> mort. De là, <strong>la</strong> supériorité éc<strong>la</strong>tante <strong>de</strong> certaines âmesqui ont beaucoup vécu, beaucoup acquis, beaucoup travaillé. De là, cesêtres extraordinaires qui apparaissent ça <strong>et</strong> là dans l'Histoire <strong>et</strong> proj<strong>et</strong>tent<strong>de</strong> vives lueurs <strong>sur</strong> <strong>la</strong> route <strong>de</strong> l'humanité. <strong>Le</strong>ur supériorité n'est faite que<strong>de</strong> l'expérience <strong>et</strong> <strong>de</strong>s <strong>la</strong>beurs accumulés.


LES ENFANTS PRODIGES ET L'HEREDITE 193Considérée sous c<strong>et</strong>te lumière, <strong>la</strong> marche <strong>de</strong> l'humanité revêt uncaractère grandiose. Elle se dégage lentement <strong>de</strong> l'obscurité <strong>de</strong>s âges,émerge <strong>de</strong>s ténèbres <strong>de</strong> l'ignorance <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> barbarie, <strong>et</strong> avance à pasme<strong>sur</strong>és au milieu <strong>de</strong>s obstacles <strong>et</strong> <strong>de</strong>s tempêtes. Elle gravit <strong>la</strong> voie âpre,<strong>et</strong>, à chaque détour <strong>de</strong> sa route, entrevoit mieux les gran<strong>de</strong>s cimes, lessomm<strong>et</strong>s lumineux où trônent <strong>la</strong> sagesse, <strong>la</strong> spiritualité, l'amour.Et c<strong>et</strong>te marche collective est aussi <strong>la</strong> marche individuelle, celle <strong>de</strong>chacun <strong>de</strong> nous. Car c<strong>et</strong>te humanité, c'est nous-mêmes ; ce sont lesmêmes êtres qui, après un temps <strong>de</strong> repos dans l'espace, reviennent <strong>de</strong>siècle en siècle, jusqu'à ce qu'ils soient mûrs pour une société meilleure,pour un mon<strong>de</strong> plus beau. Nous étions parmi les générations écoulées <strong>et</strong>nous serons parmi les générations à venir. En réalité, nous ne formonsqu'une immense famille humaine en marche pour réaliser le p<strong>la</strong>n divinécrit en elle, le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> ses magnifiques <strong>de</strong>stinées.Pour qui veut y prêter attention, tout un passé vit <strong>et</strong> tressaille en nous.Si l'Histoire, si toutes les choses anciennes ont tant d'attrait à nos yeux,si elles éveillent en nos âmes tant d'impressions profon<strong>de</strong>s, parfoisdouloureuses, si nous nous sentons vivre <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s hommesd'autrefois, souffrir <strong>de</strong> leurs maux, c'est parce que c<strong>et</strong>te histoire est <strong>la</strong>notre. L'empressement mis par nous à étudier, à recueillir l'oeuvre <strong>de</strong>saïeux, les impulsions soudaines qui nous portent vers telle cause ou tellecroyance, n'ont pas d'autre raison d'être. Lorsque nous parcourons lesannales <strong>de</strong>s siècles, nous passionnant pour certaines époques, quand toutnotre être s'anime <strong>et</strong> vibre aux souvenirs héroïques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce ou <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gaule, du moyen âge, <strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Révolution, c'est le passé quisort <strong>de</strong> l'ombre, s'anime <strong>et</strong> revit. A travers <strong>la</strong> trame tissée par les siècles,nous r<strong>et</strong>rouvons les propres angoisses, les aspirations, les déchirements<strong>de</strong> notre être. <strong>Le</strong> souvenir en est momentanément voilé en nous ; mais sinous interrogions notre subconscience, nous entendrions sortir <strong>de</strong> sesprofon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong>s voix tantôt vagues <strong>et</strong> confuses, tantôt éc<strong>la</strong>tantes. Cesvoix nous parleraient <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s épopées, <strong>de</strong> migrations d'hommes, <strong>de</strong>chevauchées furieuses qui passent comme <strong>de</strong>s ouragans, emportant toutdans <strong>la</strong> nuit <strong>et</strong> dans <strong>la</strong> mort. Elles nous entr<strong>et</strong>iendraient aussi <strong>de</strong>s vieshumbles, effacées, <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes silencieuses, <strong>de</strong>s souffrances oubliées, <strong>de</strong>sheures lour<strong>de</strong>s <strong>et</strong> monotones passées à méditer, à oeuvrer, à prier dans lesilence <strong>de</strong>s cloîtres ou <strong>la</strong> vulgarité <strong>de</strong>s existences pauvres <strong>et</strong> désolées.


194 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEA certaines heures, tout un mon<strong>de</strong> obscur, confus, mystérieux, seréveille <strong>et</strong> vibre en nous, un mon<strong>de</strong> dont les bruissements, les rumeursnous émeuvent <strong>et</strong> nous enivrent. C'est <strong>la</strong> voix du passé ; elle parle dans<strong>la</strong> transe somnambulique <strong>et</strong> nous raconte les vicissitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> notre pauvreâme, errant à travers le mon<strong>de</strong>. Elle nous dit que notre moi actuel est fait<strong>de</strong> nombreuses personnalités qui se r<strong>et</strong>rouvent en lui comme les affluentsdans un fleuve, que notre principe <strong>de</strong> vie a animé bien <strong>de</strong>s formes, dont<strong>la</strong> poussière repose là-bas parmi les débris <strong>de</strong>s empires, sous les vestiges<strong>de</strong>s civilisations mortes. Toutes ces existences ont <strong>la</strong>issé au plus profond<strong>de</strong> nous-mêmes <strong>de</strong>s traces, <strong>de</strong>s souvenirs, <strong>de</strong>s impressions ineffaçables.L'homme qui s'étudie <strong>et</strong> s'observe sent qu'il a vécu <strong>et</strong> revivra ; il hérite<strong>de</strong> lui-même, récoltant dans le présent ce qu'il a semé autrefois, <strong>et</strong>semant pour l'avenir.Ainsi s'affirment <strong>la</strong> beauté <strong>et</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te conception <strong>de</strong>s viessuccessives, qui vient compléter <strong>la</strong> loi d'évolution entrevue par <strong>la</strong>science. S'exerçant à <strong>la</strong> fois dans tous les domaines, elle répartit à chacunsuivant ses oeuvres <strong>et</strong> nous montre, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout, c<strong>et</strong>te majestueuseloi du progrès qui régit l'univers <strong>et</strong> entraîne <strong>la</strong> vie vers <strong>de</strong>s états toujoursplus beaux, toujours meilleurs.XVI. - LES VIES SUCCESSIVES. - OBJECTIONS ETCRITIQUES.Nous avons répondu aux objections que fait naître tout d'abord dans <strong>la</strong>pensée l'oubli <strong>de</strong>s vies antérieures. Il nous reste à en réfuter d'autres, d'uncaractère soit philosophique, soit religieux, que les représentants <strong>de</strong>sEglises opposent volontiers à <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s réincarnations.En premier lieu, nous dit-on, c<strong>et</strong>te doctrine est insuffisante au point <strong>de</strong>vue moral. En ouvrant à l'homme d'aussi vastes perspectives <strong>sur</strong> l'avenir,en lui <strong>la</strong>issant <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> tout réparer dans ses existences futures,elle l'encourage au vice <strong>et</strong> à l'indolence ; elle n'offre pas un stimu<strong>la</strong>ntassez puissant <strong>et</strong> assez actuel pour <strong>la</strong> pratique du bien ; pour toutes cesraisons, elle est moins efficace que <strong>la</strong> crainte d'un châtiment éterne<strong>la</strong>près <strong>la</strong> mort.


OBJECTIONS ET CRITIQUES 195Nous l'avons vu : <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong>s peines éternelles n'est, dans <strong>la</strong> penséemême <strong>de</strong> l'Église 1 , qu'un épouvantail <strong>de</strong>stiné à effrayer les méchants.Mais <strong>la</strong> menace <strong>de</strong> l'enfer, <strong>la</strong> crainte <strong>de</strong>s supplices, efficace aux temps <strong>de</strong>foi aveugle, ne r<strong>et</strong>ient plus personne aujourd'hui. Elle est, au fond, uneimpiété envers Dieu, dont elle fait un Etre cruel, punissant sans nécessité<strong>et</strong> sans but d'amélioration.A sa p<strong>la</strong>ce, <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s réincarnations nous montre <strong>la</strong> véritable loi<strong>de</strong> nos <strong>de</strong>stinées <strong>et</strong>, avec elle, <strong>la</strong> réalisation du progrès <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> justicedans l'Univers. En nous faisant connaître les causes antérieures <strong>de</strong> nosmaux, elle m<strong>et</strong> fin à c<strong>et</strong>te conception inique du péché originel, d'après<strong>la</strong>quelle toute <strong>la</strong> <strong>de</strong>scendance d'Adam, c'est-à-dire l'humanité entière,porterait <strong>la</strong> peine <strong>de</strong>s défail<strong>la</strong>nces du premier homme. C'est pourquoi soninfluence morale sera plus profon<strong>de</strong> que celle <strong>de</strong>s fables enfantines <strong>de</strong>l'enfer <strong>et</strong> du paradis. Elle opposera un frein aux passions, en nousmontrant les conséquences <strong>de</strong> nos actes rejaillissant <strong>sur</strong> notre vieprésente <strong>et</strong> <strong>sur</strong> nos vies futures, y semant <strong>de</strong>s germes <strong>de</strong> douleur ou <strong>de</strong>félicité. En nous apprenant que l'âme est d'autant plus malheureusequ'elle est plus imparfaite <strong>et</strong> plus coupable, elle stimulera nos effortsvers le bien. Il est vrai que c<strong>et</strong>te doctrine est inflexible, mais du moinselle sait proportionner le châtiment à <strong>la</strong> faute, <strong>et</strong>, après <strong>la</strong> réparation, ellenous parle <strong>de</strong> relèvement <strong>et</strong> d'espérance. Tandis que le croyantorthodoxe, imbu <strong>de</strong> l'idée que <strong>la</strong> confession <strong>et</strong> l'absolution effacent sespéchés, se berce d'un vain espoir <strong>et</strong> se prépare <strong>de</strong>s déceptions dans l'Au<strong>de</strong>là,l'homme éc<strong>la</strong>iré <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>rtés nouvelles apprend à rectifier saconduite, à se tenir <strong>sur</strong> ses gar<strong>de</strong>s, à préparer soigneusement l'avenir.Une autre objection consiste à dire : Si nous sommes convaincus quenos maux sont mérités, qu'ils sont une conséquence <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> justice,une telle croyance aura pour eff<strong>et</strong> d'éteindre en nous toute pitié, toutecompassion pour les souffrances d'autrui ; nous nous sentirons moinsportés à secourir, à consoler nos semb<strong>la</strong>bles ; nous <strong>la</strong>isserons un librecours à leurs épreuves, puisqu'elles doivent être pour eux une expiationnécessaire <strong>et</strong> un moyen d'avancement. C<strong>et</strong>te objection n'est quespécieuse ; elle émane d'une source intéressée.Considérons d'abord <strong>la</strong> question au point <strong>de</strong> vue social ; nousl'envisagerons ensuite dans le sens individuel. <strong>Le</strong> spiritualisme mo<strong>de</strong>rnenous enseigne que les hommes sont solidaires les uns <strong>de</strong>s autres, unis par1 Voir Christianisme <strong>et</strong> Spiritisme, passim.


196 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEun sort commun. <strong>Le</strong>s imperfections sociales dont nous souffrons tous,plus ou moins, sont le résultat <strong>de</strong> nos errements collectifs dans le passé.Chacun <strong>de</strong> nous porte sa part <strong>de</strong> responsabilité <strong>et</strong> a le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> travaillerà l'amélioration du sort général. L'éducation <strong>de</strong>s âmes humaines lesoblige à tour <strong>de</strong> rôle à occuper <strong>de</strong>s situations diverses. Toutes doiventalternativement subir l'épreuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> richesse <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> pauvr<strong>et</strong>é, <strong>de</strong>l'infortune, <strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur.Devant les misères <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> qui ne l'atteignent pas, l'égoïste sedésintéresse <strong>et</strong> dit : Après moi le déluge ! Il croit échapper par <strong>la</strong> mort àl'action <strong>de</strong>s lois terrestres <strong>et</strong> aux convulsions <strong>de</strong>s sociétés. Avec <strong>la</strong>réincarnation, le point <strong>de</strong> vue change. Il faudra revenir encore <strong>et</strong> subir lesmaux que nous comptions léguer aux autres. Toutes les passions, toutesles iniquités que nous aurons tolérées, encouragées, entr<strong>et</strong>enues, soit parfaiblesse, soit par intérêt, se redresseront contre nous. Ce milieu social,pour l'amélioration duquel nous n'aurons rien fait, nous ressaisira <strong>de</strong>toute <strong>la</strong> force <strong>de</strong> son étreinte. Qui a écrasé, exploité les autres, seraexploité, écrasé à son tour. Qui a semé <strong>la</strong> division, <strong>la</strong> haine, en subira leseff<strong>et</strong>s. L'orgueilleux sera méprisé <strong>et</strong> le spoliateur dépouillé. Celui qui afait souffrir souffrira. Si vous voulez as<strong>sur</strong>er votre propre avenir,travaillez donc dès maintenant à perfectionner, à rendre meilleur lemilieu où vous <strong>de</strong>vez renaître ; songez à vous améliorer vous-mêmes.Voilà pour les misères collectives qui doivent être vaincues par l'effort<strong>de</strong> tous. Celui qui, pouvant ai<strong>de</strong>r ses semb<strong>la</strong>bles, néglige <strong>de</strong> le faire,manque à <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> solidarité.Quant aux maux individuels, nous dirons, en nous p<strong>la</strong>çant à un autrepoint <strong>de</strong> vue : Nous ne sommes pas juges <strong>de</strong> <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e précise oùcommence <strong>et</strong> où finit l'expiation. Savons-nous même dans quels cas il ya expiation ? Beaucoup d'âmes, sans être coupables, mais avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong>progresser, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt une vie d'épreuves pour évoluer plus rapi<strong>de</strong>ment.L'ai<strong>de</strong> que nous <strong>de</strong>vons à ces âmes peut être une <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> leur<strong>de</strong>stinée comme <strong>de</strong> <strong>la</strong> nôtre, <strong>et</strong> il est possible que nous soyons p<strong>la</strong>cés à<strong>de</strong>ssein <strong>sur</strong> leur chemin, pour les sou<strong>la</strong>ger, les éc<strong>la</strong>irer, les réconforter.Tout bien, tout mal accompli revenant vers sa source avec ses eff<strong>et</strong>s,c'est toujours un mauvais calcul <strong>de</strong> notre part que <strong>de</strong> négliger <strong>la</strong> moindreoccasion <strong>de</strong> nous rendre utiles <strong>et</strong> serviables.«Hors <strong>la</strong> charité point <strong>de</strong> salut», a dit Al<strong>la</strong>n Kar<strong>de</strong>c. C'est là le préceptepar excellence <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale spirite. Partout où <strong>la</strong> souffrance s'éveille, elle


OBJECTIONS ET CRITIQUES 197doit rencontrer <strong>de</strong>s coeurs compatissants, prêts à secourir <strong>et</strong> à consoler.La charité est <strong>la</strong> plus belle <strong>de</strong>s vertus ; elle seule ouvre l'accès <strong>de</strong>smon<strong>de</strong>s heureux.** *Beaucoup <strong>de</strong> personnes pour qui <strong>la</strong> vie a été ru<strong>de</strong> <strong>et</strong> difficiles'épouvantent à <strong>la</strong> perspective <strong>de</strong> <strong>la</strong> renouveler indéfiniment. C<strong>et</strong>telongue <strong>et</strong> pénible ascension à travers les temps <strong>et</strong> parmi les mon<strong>de</strong>sremplit d'effroi ceux qui, pris <strong>de</strong> <strong>la</strong>ssitu<strong>de</strong>, escomptent un reposimmédiat <strong>et</strong> un bonheur sans fin. Il est certain qu'il faut avoir l'âm<strong>et</strong>rempée pour contempler sans vertige ces perspectives immenses. Laconception catholique était plus séduisante pour les âmes timi<strong>de</strong>s, pourles esprits paresseux qui, d'après elle, avaient peu d'efforts à faire pourgagner le salut. La vision <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée est formidable. Il faut <strong>de</strong>s espritsvigoureux pour <strong>la</strong> considérer sans faiblir, pour r<strong>et</strong>rouver dans <strong>la</strong> notiondu <strong>de</strong>stin le stimu<strong>la</strong>nt nécessaire, <strong>la</strong> compensation aux p<strong>et</strong>ites habitu<strong>de</strong>sconfessionnelles, le calme <strong>et</strong> <strong>la</strong> sérénité <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée.Un bonheur qu'il faut conquérir au prix <strong>de</strong> tant d'efforts effraye plusqu'il n'attire les âmes humaines, encore faibles pour <strong>la</strong> plupart, <strong>et</strong>inconscientes <strong>de</strong> leur magnifique avenir. Mais <strong>la</strong> vérité doit passer avanttout ! Il ne peut être question ici <strong>de</strong> nos convenances personnelles. Laloi, qu'elle p<strong>la</strong>ise ou non, est <strong>la</strong> loi ! C'est à nous d'y adapter nos vues <strong>et</strong>nos actes, <strong>et</strong> non à elle à se plier à nos exigences.La mort ne peut transformer un esprit inférieur en esprit élevé. Noussommes, dans l'Au-<strong>de</strong>là comme ici-bas, ce que nous nous sommes faits,intellectuellement <strong>et</strong> moralement. Toutes les manifestations spirites ledémontrent. Cependant, on nous dit que, seules, les âmes parfaitespénétreront aux célestes royaumes, <strong>et</strong>, d'autre part, on resserre nosmoyens <strong>de</strong> perfectionnement dans le cercle d'une vie éphémère. Peut-onvaincre ses passions, redresser son caractère au cours d'une seule vie ? Siquelques-uns y ont réussi, que penser <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s êtres ignorants <strong>et</strong>vicieux qui peuplent notre p<strong>la</strong>nète ? Est-il admissible que leur évolutionse borne à ce court passage <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre ? Et ceux qui se sont renduscoupables <strong>de</strong> grands crimes, où trouveront-ils les conditions nécessairesà <strong>la</strong> réparation ? Si ce n'est dans les réincarnations ultérieures, nousr<strong>et</strong>omberions forcément dans l'ornière <strong>de</strong> l'enfer. Mais un enfer éternelest aussi impossible qu'un éternel paradis. Car il n'est pas d'acte si


198 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEElouable <strong>et</strong> il n'est pas <strong>de</strong> crime si affreux qui entraînent une éternité <strong>de</strong>récompenses ou <strong>de</strong> châtiments !Il suffit <strong>de</strong> considérer l'oeuvre <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>puis l'origine <strong>de</strong>s temps,pour constater partout c<strong>et</strong>te lente <strong>et</strong> tranquille évolution <strong>de</strong>s êtres <strong>et</strong> <strong>de</strong>schoses, qui convient si bien à <strong>la</strong> Puissance éternelle <strong>et</strong> que proc<strong>la</strong>menttoutes les voix <strong>de</strong> l'Univers. L'âme humaine n'échappe pas à c<strong>et</strong>te règlesouveraine. Elle est <strong>la</strong> synthèse, le couronnement <strong>de</strong> ce prodigieuxeffort, le <strong>de</strong>rnier anneau <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaîne qui se déroule <strong>de</strong>puis les bas-fonds<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>et</strong> couvre le globe entier. N'est-ce pas en l'homme que serésume toute l'évolution <strong>de</strong>s règnes inférieurs <strong>et</strong> qu'apparaît avec éc<strong>la</strong>t leprincipe sacré <strong>de</strong> perfectibilité ? Ce principe n'est-il pas son essencemême <strong>et</strong> comme le sceau divin apposé <strong>sur</strong> sa nature ? Et, s'il en est ainsi,comment adm<strong>et</strong>tre que l'intelligence humaine puisse être p<strong>la</strong>cée en<strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s lois imposantes, émanées <strong>de</strong> <strong>la</strong> source première <strong>de</strong>sIntelligences ?<strong>Le</strong> flot <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie qui roule à travers les âges pour aboutir à l'êtrehumain <strong>et</strong> qui, dans sa course, est dirigé par c<strong>et</strong>te règle grandiose <strong>de</strong>l'évolution, peut-il aboutir à l'immobilité ? <strong>Le</strong> principe du progrès estécrit partout : dans <strong>la</strong> nature <strong>et</strong> dans l'histoire. Tout le mouvement qu'ilimprime aux forces en action <strong>sur</strong> notre mon<strong>de</strong> aboutit à l'homme, <strong>et</strong> l'onvoudrait que <strong>la</strong> partie essentielle <strong>de</strong> l'homme, son moi, sa conscience,échappât à c<strong>et</strong>te loi <strong>de</strong> continuité <strong>et</strong> <strong>de</strong> progression ? Non ! <strong>la</strong> logique,sans parler <strong>de</strong>s faits, nous le démontre : notre existence ne peut êtreisolée. <strong>Le</strong> drame <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie ne peut se composer d'un seul acte ; il lui fautune suite, un prolongement, par lesquels s'expliquent <strong>et</strong> s'éc<strong>la</strong>irent lesincohérences apparentes <strong>et</strong> les obscurités du présent ; il faut unenchaînement d'existences, solidaires les unes <strong>de</strong>s autres, <strong>et</strong> faisantressortir le p<strong>la</strong>n, l'économie qui prési<strong>de</strong>nt aux <strong>de</strong>stinées <strong>de</strong>s êtreshumains.En résulte-t-il que nous soyons condamnés à un <strong>la</strong>beur pénible <strong>et</strong>incessant ? La loi d'ascension recule-t-elle indéfiniment <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>paix <strong>et</strong> <strong>de</strong> repos ? Nullement. A l'issue <strong>de</strong> chaque vie terrestre, l'âmerécolte le fruit <strong>de</strong>s expériences acquises ; elle replie ses forces <strong>et</strong> sesfacultés vers <strong>la</strong> vie intérieure <strong>et</strong> subjective. Elle procè<strong>de</strong> à l'inventaire <strong>de</strong>son oeuvre terrestre, s'en assimile les parties utiles <strong>et</strong> en rej<strong>et</strong>te l'élémentstérile. C'est <strong>la</strong> première occupation <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là, le travail parexcellence <strong>de</strong> récapitu<strong>la</strong>tion <strong>et</strong> d'analyse. <strong>Le</strong> recueillement entre les


OBJECTIONS ET CRITIQUES 199pério<strong>de</strong>s d'activité terrestre est nécessaire, <strong>et</strong> tout être qui suit <strong>la</strong> voienormale en bénéficie à son tour.Nous disions recueillement, car, en réalité, l'esprit, à l'état libre, neconnaît guère le repos. L'activité est sa nature même. Ne le voyons-nouspas dans le sommeil ? <strong>Le</strong>s organes matériels <strong>de</strong> transmission, seuls,ressentent <strong>la</strong> fatigue <strong>et</strong> périclitent peu à peu. Dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'espace, cesentraves sont presque inconnues ; l'esprit peut se consacrer, sans gêne <strong>et</strong>sans contrainte, jusqu'à l'heure <strong>de</strong> <strong>la</strong> réincarnation, aux missions qui luisont dévolues.Son r<strong>et</strong>our à <strong>la</strong> vie terrestre est pour lui comme un rajeunissement. Achaque renaissance, l'âme se reconstitue une sorte <strong>de</strong> virginité. L'oublidu passé, comme un Léthé bienfaisant <strong>et</strong> réparateur, refait d'elle un êtreneuf, qui recommence l'ascension vitale avec plus d'ar<strong>de</strong>ur. Chaque vieréalise un progrès, chaque progrès augmente <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong> l'âme <strong>et</strong> <strong>la</strong>rapproche <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong> perfection. C<strong>et</strong>te loi nous montre <strong>la</strong> vie éternelledans son ampleur. Tous nous avons un idéal à réaliser : <strong>la</strong> beautésuprême <strong>et</strong> le suprême bonheur. Nous nous acheminons vers c<strong>et</strong> idéalplus ou moins rapi<strong>de</strong>ment, suivant l'impulsion <strong>de</strong> nos é<strong>la</strong>ns <strong>et</strong> l'intensité<strong>de</strong> nos désirs. Notre volonté <strong>et</strong> notre conscience, refl<strong>et</strong>s vivants <strong>de</strong> <strong>la</strong>norme universelle, sont nos seuls arbitres. Chaque existence humaineconditionne <strong>la</strong> suivante. <strong>Le</strong>ur ensemble constitue <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>de</strong>stinée, c'est-à-dire <strong>la</strong> communion avec l'infini.** *On nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> souvent : comment l'expiation, le rachat <strong>de</strong>s fautespassées, peuvent-ils être méritoires <strong>et</strong> féconds pour l'esprit réincarné,puisque, oublieux <strong>et</strong> inconscient <strong>de</strong>s causes qui l'oppriment, il ignoreprésentement le but <strong>et</strong> <strong>la</strong> raison d'être <strong>de</strong> ses épreuves ?Nous avons vu que <strong>la</strong> souffrance n'est pas forcément une expiation.Toute <strong>la</strong> nature souffre ; tout ce qui vit : <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte, l'animal <strong>et</strong> l'homme,est soumis à <strong>la</strong> douleur. La souffrance est <strong>sur</strong>tout un moyen d'évolution,d'éducation. Mais dans le cas proposé, il faut rappeler qu'une distinctiondoit être établie entre l'inconscience actuelle <strong>et</strong> <strong>la</strong> conscience virtuelle <strong>de</strong><strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée dans l'esprit réincarné.Lorsque l'Esprit a compris, dans <strong>la</strong> lumière intense <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là,qu'une vie d'épreuves lui était absolument nécessaire pour effacer lesrésultats fâcheux <strong>de</strong> ses précé<strong>de</strong>ntes existences, ce même Esprit, dans un


200 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEmouvement <strong>de</strong> pleine intelligence <strong>et</strong> <strong>de</strong> pleine liberté, a spontanémentchoisi ou accepté sa réincarnation future avec toutes les conséquencesqu'elle entraîne, y compris l'oubli du passé, qui suit l'acte <strong>de</strong>réincarnation. C<strong>et</strong>te vue initiale, c<strong>la</strong>ire <strong>et</strong> totale, <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée, aumoment précis où l'esprit accepte <strong>la</strong> renaissance, suffit amplement àétablir <strong>la</strong> conscience, <strong>la</strong> responsabilité <strong>et</strong> le mérite <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te nouvelle vie.Il en gar<strong>de</strong> ici-bas l'intuition voilée, l'instinct assoupi, que <strong>la</strong> moindreréminiscence, le moindre rêve suffisent à réveiller <strong>et</strong> à faire revivre. C'estpar ce lien invisible, mais réel <strong>et</strong> puissant, que <strong>la</strong> vie présente se rattacheà <strong>la</strong> vie antérieure du même être <strong>et</strong> constitue l'unité morale <strong>et</strong> <strong>la</strong> logiqueimp<strong>la</strong>cable <strong>de</strong> son <strong>de</strong>stin. Nous l'avons démontré, si nous ne noussouvenons pas du passé, c'est que, le plus souvent, nous ne faisons rienpour réveiller ces souvenirs endormis. Mais l'ordre <strong>de</strong>s choses n'ensubsiste pas moins ; aucun anneau <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaîne magnétique <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>de</strong>stinée n'est oblitéré, encore moins rompu.L'homme d'un âge mûr ne se souvient plus <strong>de</strong>s détails <strong>de</strong> sa primejeunesse ; ce<strong>la</strong> l'empêche-t-il d'être l'enfant d'autrefois <strong>et</strong> d'en réaliser lespromesses ? <strong>Le</strong> grand artiste qui, au soir d'un jour <strong>la</strong>borieux, cè<strong>de</strong> à <strong>la</strong>fatigue <strong>et</strong> s'endort ne gar<strong>de</strong>-t-il pas, durant son sommeil, le p<strong>la</strong>n virtuel,<strong>la</strong> vision intime <strong>de</strong> l'oeuvre qu'il va reprendre <strong>et</strong> continuer dès sonréveil ? Il en est ainsi <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>stinée. Elle aussi est un <strong>la</strong>beur constant,entrecoupé plusieurs fois dans son cours par <strong>de</strong>s sommeils qui sont enréalité <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> formes différentes, illuminés par <strong>de</strong>s rêves <strong>de</strong>lumière <strong>et</strong> <strong>de</strong> beauté !La vie <strong>de</strong> l'homme est un drame logique <strong>et</strong> harmonieux dont les scènes<strong>et</strong> les décors changent, varient à l'infini, mais ne s'écartent jamais un seulinstant <strong>de</strong> l'unité du but ni <strong>de</strong> l'harmonie <strong>de</strong> l'ensemble. C'est seulement ànotre r<strong>et</strong>our dans le mon<strong>de</strong> invisible que nous comprendrons <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong>chaque scène, l'enchaînement <strong>de</strong>s actes, l'incomparable harmonie du toutdans ses rapports avec <strong>la</strong> vie <strong>et</strong> l'unité universelle.Suivons donc avec foi <strong>et</strong> confiance <strong>la</strong> ligne tracée par un doigtinfaillible. Allons à nos fins, comme les fleuves vont à <strong>la</strong> mer enfécondant <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> en réfléchissant le ciel.** *Deux objections se présentent encore : «Si <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong> <strong>la</strong>réincarnation était vraie - dit Jacques Brieu, dans le Moniteur <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s


OBJECTIONS ET CRITIQUES 201psychiques, - le progrès moral <strong>de</strong>vrait être sensible <strong>de</strong>puis lecommencement <strong>de</strong>s temps historiques. Or, il en est tout autrement. <strong>Le</strong>shommes d'aujourd'hui sont aussi égoïstes, aussi violents, aussi cruels <strong>et</strong>aussi féroces qu'ils l'étaient il y a <strong>de</strong>ux mille ans.»C<strong>et</strong>te appréciation est excessive. Même en <strong>la</strong> considérant commeexacte, elle ne prouve rien contre <strong>la</strong> réincarnation. <strong>Le</strong>s hommes lesmeilleurs, nous le savons, ceux qui, après une suite d'existences, ontatteint un certain <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> perfection, poursuivent leur évolution <strong>sur</strong> <strong>de</strong>smon<strong>de</strong>s plus avancés <strong>et</strong> ne reviennent <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre qu'exceptionnellement,en qualité <strong>de</strong> missionnaires. D'autre part, <strong>de</strong>s contingents d'esprits, venus<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ns inférieurs, s'ajoutent chaque jour à <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion du globe.Comment, dans ces conditions, s'étonner que le niveau moral s'élève troppeu ?Secon<strong>de</strong> objection : <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s vies successives, en se répandantdans l'humanité, amène <strong>de</strong>s abus inévitables. N'en est-il pas ainsi <strong>de</strong>toutes choses au sein d'un mon<strong>de</strong> peu avancé, dont <strong>la</strong> tendance est <strong>de</strong>corrompre, <strong>de</strong> dénaturer les enseignements les plus sublimes, <strong>de</strong> lesaccommo<strong>de</strong>r à ses goûts, à ses passions, à ses bas intérêts ?Il est certain que l'orgueil humain peut trouver là d'amplessatisfactions, <strong>et</strong>, les Esprits moqueurs ou <strong>la</strong> suggestion aidant, on assisteparfois aux révé<strong>la</strong>tions les plus burlesques. De même que beaucoup <strong>de</strong>gens ont <strong>la</strong> prétention <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre d'une illustre lignée, <strong>de</strong> même, parmiles théosophes <strong>et</strong> les spirites, on rencontre maint croyant bénévoleconvaincu d'avoir été tel ou tel personnage célèbre du passé.«De nos jours - dit Myers 2 - Anna Kingsford <strong>et</strong> Edward Mait<strong>la</strong>ndprétendaient n'avoir été rien moins que <strong>la</strong> vierge Marie <strong>et</strong> saint Jean-Baptiste.»Pour mon compte personnel, je connais, <strong>de</strong> par le mon<strong>de</strong>, une dizaine<strong>de</strong> personnes qui affirment avoir été Jeanne d'Arc. On n'en finirait pas,s'il fal<strong>la</strong>it énumérer tous les cas <strong>de</strong> ce genre. Il y a pourtant là une partpossible <strong>de</strong> vérité. Mais comment <strong>la</strong> distinguerons-nous <strong>de</strong>s erreurs ? Ilfaut, en ces matières, se livrer à une analyse attentive <strong>et</strong> passer cesrévé<strong>la</strong>tions au crible d'une critique rigoureuse ; rechercher d'abord sinotre individualité présente <strong>de</strong>s traits frappants <strong>de</strong> ressemb<strong>la</strong>nce avec <strong>la</strong>personne désignée ; puis réc<strong>la</strong>mer, <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong>s Esprits révé<strong>la</strong>teurs, <strong>de</strong>spreuves d'i<strong>de</strong>ntité touchant ces personnalités du passé <strong>et</strong> l'indication <strong>de</strong>2 La personnalité humaine, page 331.


202 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEdétails <strong>et</strong> <strong>de</strong> faits inconnus, dont <strong>la</strong> vérification soit possibleultérieurement.Remarquons que ces abus, comme tant d'autres, ne tiennent pas à <strong>la</strong>nature <strong>de</strong> <strong>la</strong> cause incriminée, mais bien à l'infériorité du milieu où elleagit. Ces abus, fruits <strong>de</strong> l'ignorance <strong>et</strong> d'un faux jugement, s'atténueront<strong>et</strong> disparaîtront avec le temps, grâce à une éducation plus forte <strong>et</strong> pluspratique.** *Une <strong>de</strong>rnière difficulté subsiste encore : c'est celle qui résulte <strong>de</strong> <strong>la</strong>contradiction apparente <strong>de</strong>s enseignements spirites au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong>réincarnation. Dans les pays anglo-saxons, elle fut longtemps passéesous silence dans les messages <strong>de</strong>s Esprits ; plusieurs même <strong>la</strong> nièrent, <strong>et</strong>ce fut là un argument capital pour les adversaires du spiritisme.Nous avons déjà répondu en partie à c<strong>et</strong>te objection. Nous disions plushaut que c<strong>et</strong>te anomalie s'expliquait par <strong>la</strong> nécessité où se trouvaient lesEsprits <strong>de</strong> ménager, au début, <strong>de</strong>s préjugés religieux très invétérés encertains milieux. Plusieurs points <strong>de</strong> <strong>la</strong> doctrine ont été volontairement<strong>la</strong>issés dans l'ombre dans les pays protestants, plus hostiles à <strong>la</strong>réincarnation, pour être divulgués par <strong>la</strong> suite, à <strong>de</strong>s moments jugés plusopportuns. En eff<strong>et</strong>, après c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> silence, nous voyons lesaffirmations spirites en faveur <strong>de</strong>s vies successives, se produireaujourd'hui dans les pays d'outre-mer avec <strong>la</strong> même intensité que dansles pays <strong>la</strong>tins. Il y a eu gradation <strong>sur</strong> quelques points <strong>de</strong>l'enseignement ; il n'y a pas eu contradiction.<strong>Le</strong>s négations émanent presque toujours d'Esprits trop peu avancéspour savoir <strong>et</strong> pouvoir lire en eux-mêmes <strong>et</strong> discerner l'avenir qui lesattend. Nous savons que ces âmes subissent <strong>la</strong> réincarnation sans <strong>la</strong>prévoir <strong>et</strong>, l'heure venue, sont plongées dans <strong>la</strong> vie matérielle commedans un sommeil anesthésique.<strong>Le</strong>s préjugés <strong>de</strong> race <strong>et</strong> <strong>de</strong> religion, qui ont exercé <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre uneinfluence considérable <strong>sur</strong> ces esprits, persistent encore en eux dansl'autre vie. Tandis que l'entité élevée peut aisément s'en affranchir à <strong>la</strong>mort, les moins avancées y restent longtemps soumises.Dans le nouveau continent, les préjugés <strong>de</strong> couleur ont fait considérer<strong>la</strong> loi <strong>de</strong>s renaissances sous un tout autre aspect que dans l'ancien mon<strong>de</strong>,où <strong>de</strong> vieilles traditions orientales <strong>et</strong> celtiques en avaient déposé le


OBJECTIONS ET CRITIQUES 203germe en beaucoup d'âmes. Elle y paraissait tout d'abord si choquante,elle y soulevait tant <strong>de</strong> répulsion, que les Esprits directeurs dumouvement crurent plus sage <strong>de</strong> temporiser. Ils <strong>la</strong>issèrent d'abord l'idéese répandre dans <strong>de</strong>s milieux mieux préparés pour, <strong>de</strong> là, gagner lescentres réfractaires par <strong>de</strong>s voies différentes, visibles <strong>et</strong> occultes, <strong>et</strong> s'yinfiltrer lentement, comme ce<strong>la</strong> a lieu à l'heure où nous sommes.L'éducation protestante ne <strong>la</strong>isse dans <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong>s croyantsorthodoxes aucune p<strong>la</strong>ce à <strong>la</strong> notion <strong>de</strong>s vies successives. D'après elle,l'âme, à <strong>la</strong> mort, est jugée <strong>et</strong> fixée définitivement, soit au paradis, soitdans l'enfer. Pour les catholiques, il existe un terme moyen : c'est lepurgatoire, milieu imprécis, non circonscrit, où l'âme doit expier sesfautes <strong>et</strong> se purifier par <strong>de</strong>s moyens mal définis. C<strong>et</strong>te conception est unacheminement vers l'idée <strong>de</strong>s renaissances terrestres. <strong>Le</strong> catholique peutainsi relier les anciennes croyances aux nouvelles, tandis que leprotestant orthodoxe se trouve dans <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> faire table rase <strong>et</strong>d'édifier dans son enten<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>s doctrines absolument différentes <strong>de</strong>celles qui lui ont été suggérées par sa religion. De là, l'hostilité que leprincipe <strong>de</strong>s vies multiples a rencontrée tout d'abord dans les pays anglosaxons,ralliés au protestantisme ; <strong>de</strong> là, les préjugés qui persistent,même après <strong>la</strong> mort, chez une certaine catégorie d'Esprits.Nous l'avons vu : une réaction se produit peu à peu, à l'heure présente.La croyance aux vies successives gagne chaque jour un peu plus <strong>de</strong>terrain dans les pays protestants, à me<strong>sur</strong>e que l'idée <strong>de</strong> l'enfer perd touteinfluence. Elle compte déjà en Angl<strong>et</strong>erre <strong>et</strong> en Amérique <strong>de</strong> nombreuxpartisans. <strong>Le</strong>s principaux organes spirites <strong>de</strong> ces pays l'ont adoptée outout au moins <strong>la</strong> discutent avec une impartialité <strong>de</strong> bon aloi. <strong>Le</strong>stémoignages <strong>de</strong>s Esprits en sa faveur, si rares au début, se multiplientaujourd'hui. En voici quelques exemples :Un important ouvrage a été publié en 1905, à New York, sous le titre :The Widow's Mite, dans lequel le principe <strong>de</strong>s réincarnations est accepté.L'auteur, M. Funck, est, dit J. Colville, dans Light, «un homme trèsconnu <strong>et</strong> hautement respecté dans les centres littéraires américains,comme le plus ancien associé <strong>de</strong> <strong>la</strong> firme Funck and Wagnalls, quipublie le fameux Standard Dictionary, dont l'autorité est reconnuepartout où l'on parle ang<strong>la</strong>is.»


204 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEDans c<strong>et</strong> ouvrage, l'auteur expose d'abord les conditionsd'expérimentation qui sont rigoureuses, puis, il passe en revue lescommunications <strong>de</strong> l'esprit gui<strong>de</strong> Amos. Celui-ci dit un jour :Il y a ici un Esprit lumineux que je vous présente ce soir. Il vient vousrenseigner au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Réincarnation, qui a fait l'obj<strong>et</strong> d'une <strong>de</strong> vos questions.C'est un Esprit très élevé, que nous considérons comme un instructeur pour nousmêmes,<strong>et</strong> il vient <strong>sur</strong> nos instances. Vous vous rappelez que les questions quevous avez posées déjà, dans plusieurs soirées, n'avaient pas reçu <strong>de</strong> réponsesatisfaisante. C'est pour ce<strong>la</strong> que nous avons eu recours à lui <strong>et</strong> il a consenti àvenir. Je regr<strong>et</strong>te vivement que le professeur Hyslop soit absent, car il avait poséplusieurs questions à ce suj<strong>et</strong>, l'autre soir.Une voix beaucoup plus forte que <strong>la</strong> précé<strong>de</strong>nte <strong>et</strong> qui en diffère absolumentprend ainsi <strong>la</strong> parole : «Mes amis, <strong>la</strong> Réincarnation est <strong>la</strong> loi du développement <strong>de</strong>l'esprit, dans <strong>la</strong> voie <strong>de</strong> son progrès (<strong>et</strong> nous <strong>de</strong>vons tous progresser, lentement ilest vrai, avec <strong>de</strong>s temps d'arrêt, plus ou moins prolongés, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te croissance<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> longs siècles).»Stainton Moses, alias Oxon, professeur à l'Université d'Oxford, qui futle médium idéal parce qu'il était <strong>de</strong> haute culture <strong>et</strong> d'une moralitéexemp<strong>la</strong>ire <strong>et</strong> l'instigateur du mouvement spiritualiste en Angl<strong>et</strong>erre, areçu <strong>et</strong> reproduit l'affirmation <strong>de</strong>s vies successives dans sesEnseignements spiritualistes (page 51).L'enfant, lui dit-on, ne peut acquérir l'amour <strong>et</strong> <strong>la</strong> science que par l'éducationacquise par une nouvelle vie terrestre. Une telle expérience est nécessaire <strong>et</strong> <strong>de</strong>nombreux esprits choisissent un r<strong>et</strong>our à <strong>la</strong> terre, afin <strong>de</strong> gagner ce qui leurmanque.Frédéric Myers, dans son magistral ouvrage : <strong>la</strong> Personnalitéhumaine ; sa <strong>sur</strong>vivance (édition ang<strong>la</strong>ise), chapitre X, paragraphe 1011,exprime une opinion analogue :Notre nouvelle connaissance «en psychisme», en confirmant <strong>la</strong> penséeancienne, confirme aussi, pour le christianisme, les récits <strong>de</strong>s apparitions du Christaprès <strong>la</strong> mort <strong>et</strong> nous fait entrevoir <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> <strong>la</strong> réincarnation bienfaisanted'Esprits qui ont déjà atteint un niveau plus élevé que celui <strong>de</strong> l'homme.Page 329 : La doctrine <strong>de</strong> <strong>la</strong> réincarnation ne renferme rien qui soit contraire à<strong>la</strong> meilleure raison <strong>et</strong> aux instincts les plus élevés <strong>de</strong> l'homme. Il n'est certes pasfacile d'établir une théorie posant <strong>la</strong> création directe d'Esprits à <strong>de</strong>s phasesd'avancement aussi diverses que celles dans lesquelles ces Esprits entrent dans <strong>la</strong>vie terrestre sous forme d'hommes mortels ; il doit exister une certaine continuité,une certaine forme <strong>de</strong> passé spirituel. Pour le moment, nous ne possédons aucunepreuve en faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong> réincarnation.Myers ne connaissait pas les expériences récentes dont nous parlonsau chapitre XIV ; cependant (page 407), il affirme encore «l'évolution


OBJECTIONS ET CRITIQUES 205graduelle (<strong>de</strong>s âmes) à nombreuses étapes, à <strong>la</strong>quelle il est impossibled'assigner une limite».Plus récemment, les <strong>Le</strong>ttres du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Esprits, <strong>de</strong> LordCarlingford, publiées en Angl<strong>et</strong>erre, adm<strong>et</strong>tent les réincarnations commeune conséquence nécessaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi d'évolution.La doctrine <strong>de</strong>s vies successives, disons-nous, se glisse un peu partouten ce moment, <strong>de</strong> l'autre côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> Manche. Nous y voyons unphilosophe, comme le professeur Taggart, l'adopter <strong>de</strong> préférence auxautres doctrines spiritualistes <strong>et</strong> déc<strong>la</strong>rer, comme l'avait fait Hume avantlui, «qu'elle est <strong>la</strong> seule apportant <strong>de</strong>s vues raisonnables <strong>sur</strong>l'immortalité».Enfin, dans son discours d'ouverture comme prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> Soci<strong>et</strong>y forPsychical Research, le Rev. W. Boyd-Carpenter, évêque <strong>de</strong> Ripon, le 23mai 1912, <strong>de</strong>vant un auditoire nombreux <strong>et</strong> distingué, a fait ressortirl'utilité <strong>de</strong>s recherches psychiques pour obtenir une connaissance pluscomplète du moi humain <strong>et</strong> préciser les conditions <strong>de</strong> son évolution.«L'intérêt <strong>de</strong> ce discours, disent les Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques <strong>de</strong>mai 1912, rési<strong>de</strong> spécialement en ceci : qu'on y voit un haut dignitaire <strong>de</strong>l'Eglise anglicane affirmer, comme certains Pères <strong>de</strong> l'Eglise, <strong>la</strong>préexistence <strong>de</strong> l'âme, adhérer à <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong> l'évolution <strong>et</strong> <strong>de</strong>sexistences multiples.»XVII. - LES VIES SUCCESSIVES. - PREUVESHISTORIQUES.Notre étu<strong>de</strong> serait incomplète si nous ne j<strong>et</strong>ions un regard rapi<strong>de</strong> <strong>sur</strong> lerôle qu'a joué dans l'histoire <strong>la</strong> croyance aux vies successives.C<strong>et</strong>te doctrine domine toute l'antiquité. On <strong>la</strong> r<strong>et</strong>rouve au coeur <strong>de</strong>sgran<strong>de</strong>s religions <strong>de</strong> l'Orient <strong>et</strong> dans les oeuvres philosophiques les pluspures <strong>et</strong> les plus élevées. Elle a guidé dans leur marche les civilisationsdu passé <strong>et</strong> s'est perpétuée d'âge en âge. Malgré les persécutions <strong>et</strong> leséclipses temporaires, elle reparaît <strong>et</strong> persiste à travers les siècles en touspays.De l'In<strong>de</strong>, elle s'est répandue <strong>sur</strong> le mon<strong>de</strong>. Bien avant que fussentapparus les grands révé<strong>la</strong>teurs <strong>de</strong>s temps historiques, elle était formuléedans les Védas <strong>et</strong> notamment dans <strong>la</strong> Bhagavad Gita. <strong>Le</strong> Brahmanisme


206 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>et</strong> le Bouddhisme s'en inspirèrent, <strong>et</strong>, aujourd'hui encore, six centsmillions d'Asiatiques - le double <strong>de</strong> ce que représentent toutes lesconfessions chrétiennes réunies - croient à <strong>la</strong> pluralité <strong>de</strong>s existences.<strong>Le</strong> Japon nous a montré, <strong>de</strong>puis peu, ce que peuvent chez un peuple <strong>de</strong>telles croyances. <strong>Le</strong> magnifique courage, l'esprit <strong>de</strong> sacrifice quemontrent les Japonais en face <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, leur impassibilité <strong>de</strong>vant <strong>la</strong>douleur, toutes ces qualités maîtresses qui firent l'étonnement du mon<strong>de</strong>en <strong>de</strong>s circonstances mémorables, n'ont pas d'autres sources.Après <strong>la</strong> bataille <strong>de</strong> Tsoushima, nous apprend le Journal, dans unescène <strong>de</strong> mé<strong>la</strong>ncolie grandiose, <strong>de</strong>vant l'armée assemblée au cim<strong>et</strong>ièred'Aoyama, à Tokyo, l'amiral Togo par<strong>la</strong> au nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> nation <strong>et</strong> haranguales morts en termes pathétiques. Il <strong>de</strong>manda aux âmes <strong>de</strong> ces héros <strong>de</strong>«protéger <strong>la</strong> marine japonaise, <strong>de</strong> hanter les navires <strong>et</strong> <strong>de</strong> se réincarnerdans les nouveaux équipages 1 ».Si, avec le professeur Izoul<strong>et</strong>, commentant, au Collège <strong>de</strong> France,l'oeuvre <strong>de</strong> l'auteur américain Alf. Mahan <strong>sur</strong> l'Extrême-Orient, nousadm<strong>et</strong>tons que <strong>la</strong> vraie civilisation est dans l'idéal spirituel <strong>et</strong> que, sanslui, les peuples tombent dans <strong>la</strong> corruption <strong>et</strong> <strong>la</strong> déca<strong>de</strong>nce, il faudra bienle reconnaître : le Japon est appelé à un grand avenir.Revenons à l'antiquité. L'Egypte <strong>et</strong> <strong>la</strong> Grèce adoptèrent c<strong>et</strong>te mêmedoctrine. Sous un symbolisme plus ou moins obscur, partout se cachel'universelle palingénésie.L'ancienne croyance <strong>de</strong>s Egyptiens nous est révélée par lesinscriptions <strong>de</strong>s monuments <strong>et</strong> par les livres d'Hermès : «Prise à l'origine,nous dit M. <strong>de</strong> Vogüé, <strong>la</strong> doctrine égyptienne nous présente le voyageaux terres divines comme une série d'épreuves, au sortir <strong>de</strong>squelless'opère l'ascension dans <strong>la</strong> lumière.» Mais <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong>s loisprofon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée était réservée aux seuls a<strong>de</strong>ptes 2 . Dans son livrerécent : <strong>la</strong> Vie <strong>et</strong> <strong>la</strong> Mort, A. Dastre s'exprime ainsi 3 :«En Egypte, <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s transmigrations était représentée par <strong>de</strong>s imageshiératiques saisissantes. Chaque être avait son double. A <strong>la</strong> naissance, l'Egyptienest reproduit en <strong>de</strong>ux figures. Pendant <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> veille, les <strong>de</strong>ux personnages seconfon<strong>de</strong>nt en un seul ; mais dans le sommeil, tandis que l'un se repose <strong>et</strong> répare1 Voir le Journal du 12 décembre 1907, article <strong>de</strong> M Ludovic Nau<strong>de</strong>au, témoin <strong>de</strong> <strong>la</strong> cérémonie.Voir aussi Yamato Damachi ou l'Ame japonaise <strong>et</strong> le livre du professeur américain Hearn,engagé dans une Université japonaise : Kakoro ou l'idée <strong>de</strong> <strong>la</strong> préexistence.2 Voir Après <strong>la</strong> Mort : La doctrine secrète, l'Egypte, page 39.3 Cité d'après P. C. Revel, le Hasard, sa loi <strong>et</strong> ses conséquences, page 193.


PREUVES HISTORIQUES 207ses organes, l'autre s'é<strong>la</strong>nce dans le pays <strong>de</strong>s rêves. Toutefois, c<strong>et</strong>te séparation n'estpas complète ; elle ne le sera qu'à <strong>la</strong> mort, ou plutôt c'est c<strong>et</strong>te séparation complètequi sera <strong>la</strong> mort même. Plus tard, ce double actif pourra venir vivifier un autrecorps terrestre <strong>et</strong> accomplir ainsi une nouvelle existence semb<strong>la</strong>ble.»En Grèce, on r<strong>et</strong>rouve <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s vies successives dans les poèmesorphiques. C'était <strong>la</strong> croyance <strong>de</strong> Pythagore, <strong>de</strong> Socrate, <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton,d'Apollonius <strong>et</strong> d'Empédocle. Sous le nom <strong>de</strong> métempsycose 4 , ils enparlent souvent, dans leurs oeuvres, en termes voilés, car ils étaient liés,pour <strong>la</strong> plupart, par le serment initiatique. Cependant, l'affirmation en estprécise dans le <strong>de</strong>rnier livre <strong>de</strong> <strong>la</strong> République, dans Phèdre, le Timée <strong>et</strong>le Phédon :«Il est certain que les vivants naissent <strong>de</strong>s morts, que les âmes <strong>de</strong>s mortsrenaissent encore.» (Phèdre.)«L'âme est plus vieille que le corps. <strong>Le</strong>s âmes renaissent sans cesse du Hadès,pour revenir à <strong>la</strong> vie actuelle.» (Phédon.)La réincarnation était célébrée en Egypte dans les mystères d'Isis, <strong>et</strong> enGrèce, dans ceux d'Eleusis, sous le nom <strong>de</strong> mystère <strong>de</strong> Perséphone. <strong>Le</strong>sinitiés seuls participaient aux cérémonies.<strong>Le</strong> mythe <strong>de</strong> Perséphone était <strong>la</strong> représentation dramatique <strong>de</strong>srenaissances, l'histoire <strong>de</strong> l'âme humaine, passée, présente <strong>et</strong> future, sa<strong>de</strong>scente dans <strong>la</strong> matière, sa captivité en <strong>de</strong>s corps d'emprunt, sa réascensionpar étapes successives. <strong>Le</strong>s fêtes éleusiniennes duraient troisjours <strong>et</strong> traduisaient, dans une émouvante trilogie, les alternances <strong>de</strong> <strong>la</strong>double vie, terrestre <strong>et</strong> céleste. Au terme <strong>de</strong> ces initiations solennelles,les a<strong>de</strong>ptes étaient sacrés 5 .Presque tous les grands hommes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce furent <strong>de</strong>s initiés, <strong>de</strong>sfervents <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> déesse. C'est dans ses enseignements secr<strong>et</strong>s qu'ilspuisèrent l'inspiration du génie, les formes sublimes <strong>de</strong> l'art <strong>et</strong> lespréceptes <strong>de</strong> <strong>la</strong> divine sagesse. Quant au peuple, on ne lui présentait que4 <strong>Le</strong> vulgaire ne peut voir aujourd'hui dans <strong>la</strong> métempsycose que le passage <strong>de</strong> l'âme humainedans le corps d'êtres inférieurs. Dans l'In<strong>de</strong>, en Egypte <strong>et</strong> en Grèce, elle était considérée d'unefaçon plus générale, comme <strong>la</strong> transmigration <strong>de</strong>s âmes en d'autres corps humains. Noussommes portés à croire que <strong>la</strong> <strong>de</strong>scente <strong>de</strong> l'âme dans un corps inférieur à l'humanité n'était,comme l'idée <strong>de</strong> l'enfer dans le catholicisme, qu'un épouvantail <strong>de</strong>stiné, dans <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong>sanciens, à effrayer les méchants. Toute rétrogradation <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te sorte serait contraire à <strong>la</strong>justice, à <strong>la</strong> logique, à <strong>la</strong> vérité. Elle est, d'ailleurs, rendue impossible par le fait que ledéveloppement <strong>de</strong> l'organisme fluidique ou périsprit ne perm<strong>et</strong>trait plus à l'être humain <strong>de</strong>s'adapter aux conditions <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie animale.5 Voir Ed. Schuré, Sanctuaires d'Orient, pages 254 <strong>et</strong> suivantes.


208 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>de</strong>s symboles. Mais, sous <strong>la</strong> transparence <strong>de</strong>s mythes, <strong>la</strong> vérité initiatiqueapparaissait, comme à travers l'écorce <strong>de</strong> l'arbre transsu<strong>de</strong> <strong>la</strong> sève <strong>de</strong> vie.La gran<strong>de</strong> doctrine était connue du mon<strong>de</strong> romain. Ovi<strong>de</strong>, Virgile,Cicéron, dans leurs oeuvres impérissables, y font <strong>de</strong> fréquentesallusions. Virgile, dans l'Enéi<strong>de</strong> 6 , as<strong>sur</strong>e que l'âme, en plongeant dans leLéthé, perd le souvenir <strong>de</strong> ses existences passées.L'école d'Alexandrie lui donna un vif éc<strong>la</strong>t, par les oeuvres <strong>de</strong> Philon,Plotin, Ammonius Sacchas, Porphyre, Jamblique, <strong>et</strong>c.. Plotin dit, enpar<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s dieux : «Ils as<strong>sur</strong>ent à chacun le corps qui lui convient <strong>et</strong> quiest en harmonie avec ses antécé<strong>de</strong>nts, selon ses existences successives.»<strong>Le</strong>s livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux : le Zohar, <strong>la</strong> Kabbale, le Talmud,affirment également <strong>la</strong> préexistence <strong>et</strong>, sous le nom <strong>de</strong> ré<strong>sur</strong>rection, <strong>la</strong>réincarnation. C'était <strong>la</strong> croyance <strong>de</strong>s Pharisiens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Esséniens 7 .L'Ancien <strong>et</strong> le Nouveau Testament, au milieu <strong>de</strong> textes obscurs oualtérés, en portent encore <strong>de</strong>s traces nombreuses ; par exemple, danscertains passages <strong>de</strong> Jérémie <strong>et</strong> <strong>de</strong> Job, puis dans le cas <strong>de</strong> Jean-Baptiste,qui fut Elie, dans celui <strong>de</strong> l'aveugle-né <strong>et</strong> dans l'entr<strong>et</strong>ien secr<strong>et</strong> <strong>de</strong> Jésusavec Nicodème.On lit dans Matthieu 8 : «Je vous le dis en vérité, entre les enfants <strong>de</strong>s femmes, iln'y en a point <strong>de</strong> plus grand que Jean-Baptiste. Et si vous voulez entendre, il estlui-même Elie qui doit venir. Que celui l'enten<strong>de</strong>, qui a <strong>de</strong>s oreilles pour entendre.»Un autre jour, les disciples du Christ l'interrogèrent disant 9 : Pourquoi donc lesScribes disent-ils «qu'il faut d'abord qu'Elie revienne ?» Jésus leur répondit : «Ilest vrai qu'Elie doit venir d'abord <strong>et</strong> rétablir toutes choses ; mais je vous dis qu'Elieest déjà venu, mais ils ne l'ont point reconnu <strong>et</strong> lui ont fait ce qu'ils ont voulu.»Alors les disciples comprirent que c'était <strong>de</strong> Jean-Baptiste qu'il avait parlé.Un jour, Jésus <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à ses disciples ce que l'on dit <strong>de</strong> lui dans le peuple.Ceux-ci répon<strong>de</strong>nt 10 : «<strong>Le</strong>s uns disent que tu es Jean-Baptiste ; d'autres, Elie ;d'autres, Jérémie, ou quelqu'un <strong>de</strong>s anciens prophètes revenu au mon<strong>de</strong>.» Jésus,loin <strong>de</strong> les dissua<strong>de</strong>r, comme s'ils eussent débité <strong>de</strong>s choses imaginaires, secontente d'ajouter : «Et vous, qui croyez-vous que je suis ?» Quand il rencontre6 Enéi<strong>de</strong>, VI, 713 <strong>et</strong> suivantes.7 On lit dans le Zohar, II, fol. 99 : «Toutes les âmes sont suj<strong>et</strong>tes à <strong>la</strong> révolution (métempsycose,aleen b'gilgu<strong>la</strong>h), mais les hommes ne connaissent pas les voies <strong>de</strong> Dieu, ce qui est heureux.»Josèphe (Antiq. XVIII, I, paragraphe 3) dit que le vertueux aura le pouvoir <strong>de</strong> ressusciter <strong>et</strong> <strong>de</strong>vivre à nouveau.8 Matthieu, XI, 9, 14, 15.9 Matthieu, XVII, 10 à 15.10 Id., XVI, 13, 14 ; Marc, VIII, 28.


PREUVES HISTORIQUES 209l'aveugle-né, ses disciples lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt si c<strong>et</strong> homme est né aveugle à cause <strong>de</strong>spéchés <strong>de</strong> ses parents ou <strong>de</strong>s péchés qu'il a commis avant <strong>de</strong> naître. Ils croyaientdonc à <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> <strong>la</strong> réincarnation <strong>et</strong> à <strong>la</strong> préexistence possible <strong>de</strong> l'âme. <strong>Le</strong>ur<strong>la</strong>ngage ferait même croire que c<strong>et</strong>te idée était répandue dans le peuple, <strong>et</strong> Jésussemble l'autoriser, au lieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> combattre. Il parle <strong>de</strong>s nombreuses <strong>de</strong>meures dontse compose <strong>la</strong> maison du Père, <strong>et</strong> Origène, commentant ces paroles, ajoute : «<strong>Le</strong>Seigneur fait allusion aux stations différentes que les âmes doivent occuper, aprèsqu'elles ont été dépouillées <strong>de</strong> leurs corps actuels, <strong>et</strong> qu'elles en ont revêtu <strong>de</strong>nouveaux.»<strong>Le</strong> christianisme primitif possédait donc le vrai sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée.Mais avec les subtilités <strong>de</strong> <strong>la</strong> théologie byzantine, le sens caché disparutpeu à peu ; <strong>la</strong> vertu secrète <strong>de</strong>s rites initiatiques s'évanouit comme unsubtil parfum. La sco<strong>la</strong>stique étouffa <strong>la</strong> première révé<strong>la</strong>tion sous le poids<strong>de</strong>s syllogismes, ou <strong>la</strong> ruina par son argumentation spécieuse.Cependant, les premiers Pères <strong>de</strong> l'Eglise <strong>et</strong>, entre tous, Origène <strong>et</strong>saint Clément d'Alexandrie, se prononcèrent en faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong>transmigration <strong>de</strong>s âmes. Saint Jérôme <strong>et</strong> Ruffinus (<strong>Le</strong>ttre à Anastase)affirment qu'elle était enseignée comme vérité traditionnelle à un certainnombre d'initiés.Dans son oeuvre capitale : Des Principes, livre I°, Origène passe enrevue les nombreux arguments qui montrent, dans <strong>la</strong> préexistence <strong>et</strong> <strong>la</strong><strong>sur</strong>vivance <strong>de</strong>s âmes en d'autres corps, le correctif nécessaire à l'inégalité<strong>de</strong>s conditions humaines. Il se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quel est le total <strong>de</strong>s étapesparcourues par son âme dans ses pérégrinations à travers l'infini, quelssont les progrès accomplis à chacune <strong>de</strong> ses stations, les circonstances <strong>de</strong>c<strong>et</strong> immense voyage <strong>et</strong> <strong>la</strong> nature particulière <strong>de</strong> ses rési<strong>de</strong>nces.Saint Grégoire <strong>de</strong> Nysse dit «qu'il y a nécessité <strong>de</strong> nature pour l'âmeimmortelle d'être guérie <strong>et</strong> purifiée, <strong>et</strong> que, si elle ne l'a pas été par sa vi<strong>et</strong>errestre, <strong>la</strong> guérison s'opère par les vies futures <strong>et</strong> subséquentes».Toutefois, c<strong>et</strong>te haute doctrine ne pouvait se concilier avec certainsdogmes <strong>et</strong> articles <strong>de</strong> foi, armes puissantes pour l'Église, tels que <strong>la</strong>pré<strong>de</strong>stination, les peines éternelles <strong>et</strong> le jugement <strong>de</strong>rnier. Avec elle, lecatholicisme eût dû faire une plus <strong>la</strong>rge p<strong>la</strong>ce à <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> l'esprithumain, appelé dans ses vies successives à s'élever par ses propresefforts <strong>et</strong> non pas seulement par une grâce d'en haut.Aussi, ce fut un acte gros <strong>de</strong> conséquences funestes que <strong>la</strong>condamnation <strong>de</strong>s vues d'Origène <strong>et</strong> <strong>de</strong>s théories gnostiques par leConcile <strong>de</strong> Constantinople, en 553. Elle entraîna le discrédit <strong>et</strong> le rej<strong>et</strong>du principe <strong>de</strong>s réincarnations. On vit s'édifier alors, à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce d'une


210 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEconception simple <strong>et</strong> c<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée, compréhensible aux plushumbles intelligences, conciliant <strong>la</strong> justice divine avec l'inégalité <strong>de</strong>sconditions <strong>et</strong> <strong>la</strong> souffrance humaines, tout un ensemble <strong>de</strong> dogmes quifirent l'obscurité complète <strong>sur</strong> le problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, révoltèrent <strong>la</strong> raison<strong>et</strong>, finalement, éloignèrent l'homme <strong>de</strong> Dieu.La doctrine <strong>de</strong>s vies successives reparaît encore, à différentes époques,dans le mon<strong>de</strong> chrétien, sous <strong>la</strong> forme <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s hérésies <strong>et</strong> <strong>de</strong>s écolessecrètes, mais elle fut souvent noyée dans le sang ou étouffée sous <strong>la</strong>cendre <strong>de</strong>s bûchers.Au moyen âge, elle s'éclipse presque entièrement <strong>et</strong> cesse d'influencerle développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée occi<strong>de</strong>ntale, au grand détriment <strong>de</strong> celleci.De là les erreurs <strong>et</strong> <strong>la</strong> confusion <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te sombre époque, le fanatismeétroit, <strong>la</strong> persécution cruelle, <strong>la</strong> geôle <strong>de</strong> l'esprit humain. Une sorte <strong>de</strong>nuit intellectuelle se fit <strong>sur</strong> l'Europe.Pourtant, <strong>de</strong> loin en loin, comme un éc<strong>la</strong>ir, <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> pensée illumineencore, par une inspiration d'en haut, quelques belles âmes intuitives.Elle reste, pour les penseurs d'élite, <strong>la</strong> seule explication possible <strong>de</strong> cequi était <strong>de</strong>venu, pour <strong>la</strong> masse, le profond mystère <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie.Non seulement les trouvères, dans leurs poèmes <strong>et</strong> leurs chants, yfaisaient <strong>de</strong> discrètes allusions, mais <strong>de</strong> puissants esprits, commeBonaventura <strong>et</strong> Dante Alighieri, <strong>la</strong> mentionnent d'une façon formelle.Ozanam, l'écrivain catholique, reconnaît que le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> <strong>la</strong> DivineComédie suit <strong>de</strong> très près les gran<strong>de</strong>s lignes <strong>de</strong> l'initiation antique, basée,nous l'avons vu, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> pluralité <strong>de</strong>s existences. <strong>Le</strong> cardinal Nico<strong>la</strong>s <strong>de</strong>Cuza soutint, en plein Vatican, <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong> <strong>la</strong> pluralité <strong>de</strong>s vies <strong>et</strong> <strong>de</strong>smon<strong>de</strong>s habités, avec l'assentiment du pape Eugène IV.Thomas Moore, Paracelse, Jacob Boehme, Giordano Bruno,Campanel<strong>la</strong> affirmèrent ou enseignèrent <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> synthèse, souvent àleurs dépens. Van Helmont, dans De Revolutione animarum, expose, en<strong>de</strong>ux cents problèmes, tous les arguments en faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong> réincarnation<strong>de</strong>s âmes.Ces hautes intelligences ne sont-elles pas comparables aux somm<strong>et</strong>s<strong>de</strong>s montagnes, à ces cimes g<strong>la</strong>cées <strong>de</strong>s Alpes, qui sont les premières àrecevoir les feux du jour, à refléter les rayons du soleil, <strong>et</strong> qui lesconservent encore lorsque le reste <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre est déjà plongé dans <strong>la</strong>nuit ?


PREUVES HISTORIQUES 211L'is<strong>la</strong>misme lui-même, <strong>sur</strong>tout dans le nouveau Coran, fait une p<strong>la</strong>ceimportante aux idées palingénésiques 11 .La philosophie, dans nos <strong>de</strong>rniers siècles, s'en est enfin enrichie.Cudworth <strong>et</strong> Hume les considèrent comme <strong>la</strong> théorie <strong>la</strong> plus rationnelle<strong>de</strong> l'immortalité. Dans <strong>Le</strong>ssing, Her<strong>de</strong>r, Hegel, Schelling, Fichte le jeune,elles sont discutées avec élévation.Mazzini, apostrophant les évêques dans son ouvrage Dal Concilio aDio, dit :«Nous croyons en une série indéfinie <strong>de</strong> réincarnations <strong>de</strong> l'âme, <strong>de</strong> vie en vie,<strong>de</strong> mon<strong>de</strong> en mon<strong>de</strong>, dont chacune constitue un progrès <strong>sur</strong> celle qui l'a précédée ;nous pouvons recommencer le stage parcouru lorsque nous n'avons pas mérité <strong>de</strong>passer à un <strong>de</strong>gré supérieur ; mais nous ne pouvons ni rétrogra<strong>de</strong>r ni périrspirituellement.»** *Reportons-nous maintenant aux origines <strong>de</strong> notre race <strong>et</strong> nous verronsl'idée <strong>de</strong>s vies successives p<strong>la</strong>ner <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre <strong>de</strong>s Gaules : elle vibre dansles accents <strong>de</strong>s bar<strong>de</strong>s ; elle bruit dans <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> voix <strong>de</strong>s forêts : «Je mesuis agité dans cent mon<strong>de</strong>s, j'ai vécu dans cent cercles.» (Chantbardique : Barddas cad God<strong>de</strong>u.)C'est <strong>la</strong> tradition nationale par excellence ; elle inspirait à nos pères lemépris <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, l'héroïsme dans les combats. Elle doit être chère àtous ceux qui se sentent rattachés par le coeur ou par le sang à c<strong>et</strong>te raceceltique, mobile, enthousiaste, généreuse, passionnée pour <strong>la</strong> justice,toujours prête à lutter pour les gran<strong>de</strong>s causes.«Dans les combats contre les Romains - dit d'Arbois <strong>de</strong> Jubainville,professeur au Collège <strong>de</strong> France - les Drui<strong>de</strong>s restaient immobilescomme <strong>de</strong>s statues, recevant <strong>de</strong>s bles<strong>sur</strong>es sans fuir ni se défendre. Ils sesavaient immortels <strong>et</strong> comptaient trouver, dans une autre partie dumon<strong>de</strong>, un corps nouveau <strong>et</strong> toujours jeune 12 .<strong>Le</strong>s Drui<strong>de</strong>s n'étaient pas seulement <strong>de</strong>s hommes braves, c'étaientaussi <strong>de</strong> profonds savants 13 . <strong>Le</strong>ur culte était celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, célébrésous <strong>la</strong> voûte sombre <strong>de</strong>s chênes ou <strong>sur</strong> les fa<strong>la</strong>ises battues <strong>de</strong>s tempêtes.11 Voir Surate II, v. 26 du Coran ; Surate VII, v. 55 ; Surate XVII, v. 52 ; Surate XIV, v. 25.12 Voir Tacite : Ab excessu Augusti, livre XVI, c. 30.13 C'est ce qu'affirmait César dans ses Commentaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong>s Gaules, liv. VI, chap.XIX, édition <strong>Le</strong>merre, 1819.


212 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>Le</strong>s Tria<strong>de</strong>s proc<strong>la</strong>ment l'évolution <strong>de</strong>s âmes, parties d'anoufn, l'abîme,montant lentement <strong>la</strong> longue spirale <strong>de</strong>s existences (abred), pouratteindre, après bien <strong>de</strong>s morts <strong>et</strong> <strong>de</strong>s renaissances, gwynfyd, le cercle <strong>de</strong><strong>la</strong> félicité.<strong>Le</strong>s Tria<strong>de</strong>s sont le plus merveilleux monument qui nous reste <strong>de</strong>l'antique sagesse <strong>de</strong>s bar<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Drui<strong>de</strong>s ; elles ouvrent <strong>de</strong>sperspectives sans bornes au regard étonné du chercheur. Nous n'enciterons que trois, celles qui se rapportent plus directement à notre suj<strong>et</strong>,les Tria<strong>de</strong>s 19, 21 <strong>et</strong> 36 14 :19. «Trois conditions indispensables pour arriver à <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> (science <strong>et</strong>vertu) : transmigrer dans abred, transmigrer dans gwynfyd, <strong>et</strong> se ressouvenir <strong>de</strong>toutes choses passées jusque dans anoufn.»21. «Trois moyens efficaces <strong>de</strong> Dieu, dans abred (cercle <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>sp<strong>la</strong>nétaires), pour dominer le mal <strong>et</strong> <strong>sur</strong>monter son opposition par rapport auxcercles <strong>de</strong> gwynfyd (cercle <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s heureux) : <strong>la</strong> nécessité, <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> <strong>la</strong>mémoire <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort.»36. «<strong>Le</strong>s trois puissances (fon<strong>de</strong>ments) <strong>de</strong> <strong>la</strong> science <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse : <strong>la</strong>transmigration complète par tous les états <strong>de</strong>s êtres ; le souvenir <strong>de</strong> chaqu<strong>et</strong>ransmigration <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses inci<strong>de</strong>nts ; le pouvoir <strong>de</strong> passer à volonté <strong>de</strong> nouveau parun état quelconque en vue <strong>de</strong> l'expérience <strong>et</strong> du jugement. Et ce<strong>la</strong> sera obtenu dansle cercle <strong>de</strong> gwynfyd.»Certains auteurs ont cru comprendre, d'après les textes bardiques, queles vies ultérieures <strong>de</strong> l'âme se poursuivaient exclusivement <strong>sur</strong> les autresmon<strong>de</strong>s. Voici <strong>de</strong>ux cas démontrant que les Gaulois adm<strong>et</strong>taient aussi <strong>la</strong>réincarnation <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre. Nous les puisons dans le Cours <strong>de</strong> littératureceltique, <strong>de</strong> M. d'A. <strong>de</strong> Jubainville 15 :Find Mac Cumail, le célèbre héros ir<strong>la</strong>ndais, renaît en Mongân, fils <strong>de</strong> Fiachna,reine d'Ulster, en 603, <strong>et</strong>, plus tard, lui succè<strong>de</strong>. <strong>Le</strong>s Annales <strong>de</strong> Tigernach fixent<strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Find en l'an 273 <strong>de</strong> notre ère, à <strong>la</strong> bataille d'Athbrea. «Une secon<strong>de</strong>naissance, dit d'A. <strong>de</strong> Jubainville, lui donne une vie nouvelle <strong>et</strong> un trône enIr<strong>la</strong>n<strong>de</strong>.»<strong>Le</strong>s Celtes pratiquaient aussi l'évocation <strong>de</strong>s défunts. Une contestation s'étaitélevée entre Mongân <strong>et</strong> Forgoll au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort du roi Fothad, dont il avait étéle témoin ocu<strong>la</strong>ire, <strong>et</strong> du lieu où ce roi avait perdu <strong>la</strong> vie : «Il évoqua, dit le même14 <strong>Le</strong>s Tria<strong>de</strong>s, publiées par Ed. Williams, d'après l'original gallois <strong>et</strong> <strong>la</strong> traduction d'EdwardDarydd. Voir Gatien Arnoult, Philosophie gauloise, t. I°.15 Tome I, pages 266, 267. Voir aussi H. D'Arbois <strong>de</strong> Jubainville, les Drui<strong>de</strong>s <strong>et</strong> les dieuxceltiques, pages 137 à 140. Livre <strong>de</strong> <strong>Le</strong>inster, page 41 ; Annales <strong>de</strong> Tigernach, publiées parWhitley Stokes ; Revue Celtique, tome XVII, page 21 ; Annales <strong>de</strong>s quatre maîtres, édition O.Donovan, tome I, 118, 119.


PREUVES HISTORIQUES 213auteur, du royaume <strong>de</strong>s morts, Cailté, compagnon <strong>de</strong> ses combats. Au moment oùle troisième jour al<strong>la</strong>it expirer, le témoignage <strong>de</strong> Cailté fournit <strong>la</strong> preuve queMongân avait dit vrai.»L'autre fait <strong>de</strong> réincarnation remonte à une époque beaucoup plus ancienne.Quelque temps avant notre ère, Eochaid Airem, roi suprême d'Ir<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, avaitépousé Etâin, fille d'Etar. Etâin était déjà née en pays celtique, plusieurs sièclesauparavant. Dans c<strong>et</strong>te vie antérieure, elle fut fille d'Aillil <strong>et</strong> épouse <strong>de</strong> Mi<strong>de</strong>r,déifié après sa mort pour ses exploits.Il est probable que l'on r<strong>et</strong>rouverait dans l'histoire <strong>de</strong>s temps celtiques <strong>de</strong>nombreux cas <strong>de</strong> réincarnation ; mais on le sait, les Drui<strong>de</strong>s ne confiaient rien àl'écriture <strong>et</strong> se contentaient <strong>de</strong> l'enseignement oral. <strong>Le</strong>s documents re<strong>la</strong>tifs à leurscience <strong>et</strong> à leur philosophie sont rares <strong>et</strong> <strong>de</strong> date re<strong>la</strong>tivement récente.La doctrine celtique, après <strong>de</strong>s siècles d'oubli, a reparu dans <strong>la</strong> Francemo<strong>de</strong>rne. Elle a été reconstituée ou soutenue par toute une pléia<strong>de</strong> <strong>de</strong>bril<strong>la</strong>nts écrivains : Ch. Bonn<strong>et</strong>, Dupont <strong>de</strong> Nemours, Bal<strong>la</strong>nche, JeanReynaud, Henri Martin, Pierre <strong>Le</strong>roux, Fourier, Esquiros, Michel<strong>et</strong>,Victor Hugo, F<strong>la</strong>mmarion, Pezzani, Fauv<strong>et</strong>y, Strada, <strong>et</strong>c..«Naître, mourir, renaître <strong>et</strong> progresser sans cesse, telle est <strong>la</strong> loi», a ditAl<strong>la</strong>n Kar<strong>de</strong>c. Grâce à lui, grâce à l'école spirite dont il est le fondateur,<strong>la</strong> croyance aux vies successives <strong>de</strong> l'âme s'est vulgarisée, répandue danstout l'Occi<strong>de</strong>nt, où elle compte aujourd'hui <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> partisans. <strong>Le</strong>témoignage <strong>de</strong>s Esprits est venu lui donner une sanction définitive. Al'exception <strong>de</strong> quelques âmes peu évoluées pour qui le passé est encoreenveloppé <strong>de</strong> ténèbres, tous, dans les messages recueillis en notre pays,affirment <strong>la</strong> pluralité <strong>de</strong>s existences <strong>et</strong> le progrès indéfini <strong>de</strong>s êtres.La vie terrestre, disent-ils en substance, n'est qu'un entraînement, unepréparation à <strong>la</strong> vie éternelle. Limitée à une seule existence, dans sonéphémère durée, elle ne saurait répondre à un aussi vaste obj<strong>et</strong>. <strong>Le</strong>sréincarnations sont les étapes <strong>de</strong> <strong>la</strong> voie que toutes les âmes parcourentdans leur ascension ; c'est l'échelle mystérieuse qui, <strong>de</strong>s régionsobscures, par tous les mon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> forme, nous conduit au royaume <strong>de</strong><strong>la</strong> lumière. Nos existences se déroulent à travers les siècles ; ellespassent, se succè<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> se renouvellent. A chacune d'elles, nous <strong>la</strong>issonsun peu du mal qui est en nous. <strong>Le</strong>ntement, nous avançons, nouspénétrons plus avant dans <strong>la</strong> voie sacrée, jusqu'à ce que nous ayonsacquis les mérites qui nous ouvriront l'accès <strong>de</strong>s cercles supérieurs, d'oùrayonnent éternellement <strong>la</strong> Beauté, <strong>la</strong> Sagesse, <strong>la</strong> Vérité, l'Amour.** *


214 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEL'étu<strong>de</strong> attentive <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s peuples ne nous montre passeulement le caractère universel <strong>de</strong> <strong>la</strong> doctrine palingénésique. Elle nousperm<strong>et</strong> encore <strong>de</strong> suivre l'enchaînement grandiose <strong>de</strong>s causes <strong>et</strong> <strong>de</strong>seff<strong>et</strong>s qui se répercutent, à travers les temps, dans l'ordre social. Nous yvoyons <strong>sur</strong>tout que ces eff<strong>et</strong>s renaissent d'eux-mêmes <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ournent à leurprincipe ; ils enserrent les individus <strong>et</strong> les nations dans le réseau d'uneloi inéluctable.A ce point <strong>de</strong> vue, les leçons du passé sont saisissantes. <strong>Le</strong> témoignage<strong>de</strong>s siècles est empreint d'un caractère <strong>de</strong> majesté qui frappe l'homme leplus indifférent ; il nous démontre l'irrésistible force du droit. Tout lemal accompli, le sang versé, les <strong>la</strong>rmes répandues r<strong>et</strong>ombent tôt ou tard,fatalement, <strong>sur</strong> leurs auteurs : individus ou collectivités. <strong>Le</strong>s mêmes faitscoupables, les mêmes erreurs entraînent les mêmes conséquencesnéfastes. Tant que les hommes persistent à vivre hostiles les uns auxautres, à s'opprimer, à se déchirer, les oeuvres <strong>de</strong> sang <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil sepoursuivent, l'humanité souffre jusqu'au plus profond <strong>de</strong> ses entrailles. Ilest <strong>de</strong>s expiations collectives, comme il est <strong>de</strong>s réparations individuelles.A travers les temps, une immanente justice s'exerce ; elle fait épanouirles éléments <strong>de</strong> déca<strong>de</strong>nce <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction, les germes <strong>de</strong> mort, que lesnations sèment dans leur propre sein chaque fois qu'elles violent les loissupérieures.Si nous j<strong>et</strong>ons nos regards <strong>sur</strong> l'histoire du mon<strong>de</strong>, nous verrons que <strong>la</strong>jeunesse <strong>de</strong> l'humanité, comme celle <strong>de</strong> l'individu, a ses pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong>troubles, d'égarements, d'expériences douloureuses. A travers ses pagesse déroule le cortège <strong>de</strong>s misères obligées. <strong>Le</strong>s chutes profon<strong>de</strong>s yalternent avec les é<strong>la</strong>ns, les triomphes avec les reculs.Des civilisations précaires signalent les premiers âges. <strong>Le</strong>s plus grandsempires s'écroulent les uns après les autres dans <strong>la</strong> mêlée <strong>de</strong>s passions.L'Egypte, Ninive, Babylone, l'empire <strong>de</strong>s Perses sont tombés. Rome <strong>et</strong>Byzance, rongées par <strong>la</strong> corruption, s'effondrent sous <strong>la</strong> poussée <strong>de</strong>sbarbares.Après <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> Cent ans <strong>et</strong> le supplice <strong>de</strong> Jeanne d'Arc,l'Angl<strong>et</strong>erre est frappée par une terrible guerre civile, celle <strong>de</strong>s Deux-Roses : York <strong>et</strong> Lancastre, qui <strong>la</strong> conduit à <strong>de</strong>ux doigts <strong>de</strong> sa perte.Qu'est <strong>de</strong>venue l'Espagne, responsable <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> supplices <strong>et</strong>d'égorgements, l'Espagne avec ses conquistadores <strong>et</strong> son Saint-Office ?


PREUVES HISTORIQUES 215Où est aujourd'hui ce vaste empire <strong>sur</strong> lequel le soleil ne se couchaitjamais ?Voyez les Habsbourg, héritiers du Saint-Empire <strong>et</strong>, peut-être,réincarnations <strong>de</strong>s bourreaux <strong>de</strong>s Hussites ! La maison d'Autriche a étéfrappée dans tous ses membres : Maximilien est fusillé, Rodolphe tombeau milieu d'une orgie ; l'impératrice Elisab<strong>et</strong>h est assassinée ; puis vientle tour <strong>de</strong> François-Ferdinand. <strong>Le</strong> vieil empereur, à <strong>la</strong> tête chenue, resteseul au milieu <strong>de</strong>s débris <strong>de</strong> sa famille, <strong>et</strong>, finalement avec <strong>la</strong> guerre, c'est<strong>la</strong> défaite, <strong>la</strong> ruine <strong>et</strong> <strong>la</strong> dislocation complète <strong>de</strong> ses Etats.Où sont, aujourd'hui, tous ces empires fondés par le fer <strong>et</strong> par le sang,celui <strong>de</strong>s Califes, celui <strong>de</strong>s Mongols, celui <strong>de</strong>s Carlovingiens, celui <strong>de</strong>Charles-Quint ? Napoléon l'a dit : tout se paye ! Et lui-même a payé. LaFrance a payé avec lui. L'empire <strong>de</strong> Napoléon a passé comme unmétéore !Arrêtons-nous un instant <strong>sur</strong> c<strong>et</strong>te prodigieuse <strong>de</strong>stinée, qui, aprèsavoir j<strong>et</strong>é, dans sa trajectoire à travers le mon<strong>de</strong>, un fulgurant éc<strong>la</strong>t, vas'éteindre misérablement <strong>sur</strong> un rocher <strong>de</strong> l'At<strong>la</strong>ntique. Elle est bienconnue <strong>de</strong> tous, c<strong>et</strong>te vie, <strong>et</strong> par conséquent, mieux que toute autre, elledoit servir d'exemple. Ainsi que le dit Ma<strong>et</strong>erlinck, on peut y constaterune chose : ce sont les trois plus gran<strong>de</strong>s iniquités commises parNapoléon qui ont été les trois causes principales <strong>de</strong> sa chute :«Ce fut d'abord l'assassinat du duc d'Enghien, condamné par ordre, sansjugement <strong>et</strong> sans preuves, <strong>et</strong> exécuté dans les fossés <strong>de</strong> Vincennes : assassinat quisema autour du dictateur <strong>de</strong>s haines désormais imp<strong>la</strong>cables, <strong>et</strong> un désir <strong>de</strong>vengeance qui ne désarma plus. Ce fut ensuite l'odieux gu<strong>et</strong>-apens <strong>de</strong> Bayonne, oùil attira par <strong>de</strong> basses intrigues, pour les dépouiller <strong>de</strong> leur couronne héréditaire,les débonnaires <strong>et</strong> trop confiants Bourbons d'Espagne, l'horrible guerre quis'ensuivit, ou s'engloutirent trois cent mille hommes, toute l'énergie, toute <strong>la</strong>moralité, <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> partie du prestige, presque toutes les certitu<strong>de</strong>s, presqu<strong>et</strong>ous les dévouements <strong>et</strong> toutes les <strong>de</strong>stinées heureuses <strong>de</strong> l'Empire. Ce fut enfinl'effroyable <strong>et</strong> inexcusable campagne <strong>de</strong> Russie, qui aboutit au désastre définitif <strong>de</strong>sa fortune, dans les g<strong>la</strong>ces <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bérézina <strong>et</strong> les neiges <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pologne 16 .»L'histoire diplomatique <strong>de</strong> l'Europe, <strong>de</strong>puis cinquante ans, n'échappepas à ces règles. <strong>Le</strong>s fautes contre l'équité ont été frappées dans leursauteurs, comme par une invisible main.La Russie, après le déchirement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pologne, prêta son appui moral à<strong>la</strong> Prusse pour l'invasion <strong>de</strong>s duchés danois, «un <strong>de</strong>s plus grands crimes16 Ma<strong>et</strong>erlink, le Temple enseveli, page 35.


216 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>de</strong> piraterie, dit un historien, qui ait été commis dans les tempsmo<strong>de</strong>rnes». Elle en fut punie, d'abord par <strong>la</strong> Prusse elle-même, qui, en1877, au Congrès <strong>de</strong> Berlin, <strong>la</strong> dépossédait <strong>de</strong> tous les avantagesremportés <strong>sur</strong> <strong>la</strong> Turquie ; puis, plus cruellement encore, par les revers<strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> Mandchourie <strong>et</strong> leur répercussion prolongée dans toutl'empire <strong>de</strong>s tzars qui aboutit en <strong>de</strong>rnier lieu à <strong>la</strong> révolution sang<strong>la</strong>nte <strong>et</strong>au chaos bolcheviste.Au cours <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers siècles, l'Angl<strong>et</strong>erre a souvent poursuivi unepolitique froi<strong>de</strong> <strong>et</strong> égoïste. Après <strong>la</strong> guerre du Transvaal, elle s'estr<strong>et</strong>rouvée affaiblie, touchant peut-être à ces temps prédits, en termessaisissants, par sir Robert : «L'habil<strong>et</strong>é <strong>de</strong> nos hommes d'Etat lesimmortalisera s'ils adoucissent pour nous c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>scente, <strong>de</strong> manière àl'empêcher <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir une chute ; s'ils <strong>la</strong> conduisent <strong>de</strong> manière à <strong>la</strong> faireressembler à <strong>la</strong> Hol<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, plutôt qu'à Carthage <strong>et</strong> à Venise.»<strong>Le</strong> détachement <strong>de</strong> l'Ir<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, <strong>de</strong> l'Egypte, <strong>la</strong> révolte <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s sontvenus, <strong>de</strong>puis lors, confirmer ces prévisions.Tel sera le sort <strong>de</strong> toutes les nations qui furent gran<strong>de</strong>s par leursphilosophes <strong>et</strong> leurs penseurs <strong>et</strong> qui ont eu <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> rem<strong>et</strong>tre leur<strong>de</strong>stinée aux mains <strong>de</strong> politiciens trop avi<strong>de</strong>s.N'insistons pas <strong>sur</strong> ces faits. N'avons-nous pas vu se dérouler sous nosyeux, <strong>de</strong> 1914 à 1918, le drame immense, le drame vengeur, qui a <strong>la</strong>issél'Allemagne vaincue, punie <strong>de</strong> son orgueil <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses crimes ?En même temps, il faut reconnaître que <strong>la</strong> France recevait une leçonterrible, due peut-être à <strong>la</strong> légèr<strong>et</strong>é, à l'imprévoyance, au sensualismed'un grand nombre <strong>de</strong> ses enfants ; mais, avec <strong>la</strong> victoire, elle r<strong>et</strong>rouvaitson prestige dans le mon<strong>de</strong>. Ainsi s'affirmait une fois <strong>de</strong> plus <strong>la</strong> hautemission, le rôle provi<strong>de</strong>ntiel qui lui semblent dévolus <strong>et</strong> qui consistent àproc<strong>la</strong>mer <strong>et</strong> à défendre, par toutes les formes du verbe <strong>et</strong> par l'épée, ledroit, <strong>la</strong> vérité, <strong>la</strong> justice !L'Allemagne <strong>et</strong> l'Autriche, rivées dans un pacte <strong>et</strong> une complicitéfarouches, avaient rêvé l'hégémonie <strong>de</strong> l'Europe <strong>et</strong> <strong>la</strong> domination dumon<strong>de</strong> : l'une <strong>sur</strong> l'Orient, l'autre <strong>sur</strong> l'Occi<strong>de</strong>nt. Dans <strong>la</strong> poursuite <strong>de</strong>leur but, elles ont foulé aux pieds les engagements les plus solennels, parexemple envers <strong>la</strong> Belgique ; elles n'ont pas reculé <strong>de</strong>vant les forfaits lesplus odieux. Quel a été le résultat ? Après quatre ans d'une lutteacharnée, les empires centraux ont roulé dans l'abîme. L'Autriche n'est


PREUVES HISTORIQUES 217plus qu'un fantôme <strong>de</strong> nation, l'Allemagne amoindrie, ruinée, est enproie aux luttes intestines <strong>et</strong> à tous les maux économiques.N'est-ce pas <strong>la</strong> répercussion <strong>de</strong>s événements <strong>de</strong> 1870-71 ? A leur tourles Germains ont dû connaître <strong>la</strong> défaite <strong>et</strong> l'anarchie.Jamais peut-être, dans aucune guerre, <strong>la</strong> lutte <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux principes n'a étéplus évi<strong>de</strong>nte. D'un côté <strong>la</strong> force brutale, <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'autre le droit <strong>et</strong> <strong>la</strong> liberté.Et ce qui prouve que Dieu ne se désintéresse pas du sort <strong>de</strong> notre p<strong>et</strong>itglobe : c'est que le droit a vaincu ! On peut dire que, comme les Grecs àMarathon <strong>et</strong> à Sa<strong>la</strong>mine, les soldats <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marne <strong>et</strong> <strong>de</strong> Verdun, soutenuspar les puissances invisibles, ont préservé l'humanité du joug du sabre <strong>et</strong>sauvé <strong>la</strong> civilisation 17 . Tel sera le jugement impartial <strong>de</strong> l'histoire !Oui, l'histoire est un grand enseignement. Nous pouvons lire dans sesprofon<strong>de</strong>urs l'action d'une loi puissante. A travers <strong>la</strong> succession <strong>de</strong>sévénements, parfois, nous sentons passer comme un souffle <strong>sur</strong>humain ;au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong>s siècles, par instants, nous voyons luire comme<strong>de</strong>s éc<strong>la</strong>irs, les radiations d'une pensée éternelle.Pour les peuples comme pour les individus, il est une justice. En cequi concerne les peuples, nous venons <strong>de</strong> <strong>la</strong> voir se manifester dansl'enchaînement <strong>de</strong>s faits. Pour l'individu, il n'en est pas <strong>de</strong> même. On nesaurait suivre sa marche, <strong>sur</strong>tout lorsque son action, au lieu d'êtreimmédiate, ne s'exerce qu'à longue échéance. La réincarnation, <strong>la</strong>re<strong>de</strong>scente dans <strong>la</strong> chair, le sombre capuchon <strong>de</strong> matière qui s'abat <strong>sur</strong>l'âme <strong>et</strong> fait l'oubli, nous cachent <strong>la</strong> succession <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>s causes.Mais nous l'avons vu, particulièrement dans les phénomènes <strong>de</strong> <strong>la</strong> transe,dès que nous pouvons soulever le voile étendu <strong>sur</strong> le passé, <strong>et</strong> lire ce quiest gravé au fond <strong>de</strong> l'être humain, alors, dans l'adversité qui le frappe,dans les gran<strong>de</strong>s douleurs, les revers, les afflictions poignantes, noussommes contraints <strong>de</strong> reconnaître l'action d'une cause antérieure, d'unecause morale, <strong>et</strong> <strong>de</strong> nous incliner <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> majesté <strong>de</strong>s lois qui prési<strong>de</strong>ntaux <strong>de</strong>stinées <strong>de</strong>s âmes, <strong>de</strong>s sociétés <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s !** *<strong>Le</strong> p<strong>la</strong>n se déroule en ses lignes formidables : Dieu envoie àl'humanité ses messies, ses révé<strong>la</strong>teurs, visibles <strong>et</strong> invisibles, ses gui<strong>de</strong>s,ses éducateurs <strong>de</strong> tous ordres. Mais l'homme, libre dans sa pensée, dans17 Voir mon livre, le Mon<strong>de</strong> invisible <strong>et</strong> <strong>la</strong> Guerre, passim.


218 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEsa conscience, les écoute ou les renie. L'homme est libre ; lesincohérences sociales sont son oeuvre. Il j<strong>et</strong>te sa note confuse dans leconcert universel ; mais c<strong>et</strong>te note discordante ne parvient pas toujours àdominer l'harmonie <strong>de</strong>s siècles.<strong>Le</strong>s génies, envoyés d'en haut, brillent comme <strong>de</strong>s f<strong>la</strong>mbeaux dans <strong>la</strong>nuit noire. Sans remonter à <strong>la</strong> plus haute antiquité, sans parler <strong>de</strong>sHermès, <strong>de</strong>s Zoroastre, <strong>de</strong>s Krishna, dès l'aurore <strong>de</strong>s temps chrétiens,nous voyons se dresser <strong>la</strong> stature énorme <strong>de</strong>s prophètes, géants quidominent encore l'Histoire. Ce sont eux, en eff<strong>et</strong>, qui préparèrent lesvoies au christianisme, <strong>la</strong> religion maîtresse, dont naîtra plus tard, àl'évolution <strong>de</strong>s temps, <strong>la</strong> fraternité universelle. Puis nous voyons leChrist, l'homme <strong>de</strong> douleur, l'homme d'amour, dont <strong>la</strong> pensée rayonned'une beauté impérissable, le drame du Golgotha, <strong>la</strong> ruine <strong>de</strong> Jérusalem,<strong>la</strong> dispersion <strong>de</strong>s Juifs.De ce côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer bleue, l'épanouissement du génie grec, foyerd'éducation, splen<strong>de</strong>ur d'art <strong>et</strong> <strong>de</strong> science, où l'humanité viendras'éc<strong>la</strong>irer. Enfin, <strong>la</strong> puissance romaine, qui apprendra au mon<strong>de</strong> le droit,<strong>la</strong> discipline, <strong>la</strong> vie sociale.Ensuite reviennent les âges <strong>de</strong> sombre ignorance, mille ans <strong>de</strong>barbarie, le remous <strong>de</strong>s invasions, l'émergence <strong>de</strong>s éléments farouchesdans <strong>la</strong> civilisation, l'abaissement du niveau intellectuel, <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong> <strong>la</strong>pensée. Mais Gutenberg, Christophe Colomb, Luther apparaissent. <strong>Le</strong>scathédrales gothiques s'élèvent ; <strong>de</strong>s continents inconnus se révèlent, <strong>la</strong>religion se discipline. Grâce à l'imprimerie, l'idée nouvelle se répandra<strong>sur</strong> tous les points du mon<strong>de</strong>. Après <strong>la</strong> Réforme viendra <strong>la</strong> Renaissance,puis les Révolutions !Et voici qu'après bien <strong>de</strong>s vicissitu<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>s luttes, en dépit <strong>de</strong>spersécutions religieuses, <strong>de</strong>s tyrannies civiles <strong>et</strong> <strong>de</strong>s inquisitions, <strong>la</strong>pensée s'émancipe. <strong>Le</strong> problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie qui, avec les conceptions d'uneEglise <strong>de</strong>venue fanatique <strong>et</strong> aveugle, restait impénétrable, ce problèmeva s'éc<strong>la</strong>irer <strong>de</strong> nouveau. Comme une étoile <strong>sur</strong> <strong>la</strong> mer brumeuse, <strong>la</strong>gran<strong>de</strong> loi reparaît. <strong>Le</strong> mon<strong>de</strong> va renaître à <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'esprit. L'existencehumaine ne sera plus une impasse obscure, mais une route <strong>la</strong>rgementouverte <strong>sur</strong> l'avenir.** *


PREUVES HISTORIQUES 219<strong>Le</strong>s lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'histoire se complètent <strong>et</strong> s'affirment dansleur unité imposante. Une loi circu<strong>la</strong>ire prési<strong>de</strong> à l'évolution <strong>de</strong>s êtres <strong>et</strong><strong>de</strong>s choses ; elle régit <strong>la</strong> marche <strong>de</strong>s siècles <strong>et</strong> celle <strong>de</strong>s humanités.Chaque <strong>de</strong>stinée gravite dans un cercle immense, chaque vie décrit uneorbe. Toute l'ascension humaine se divise en cycles, en spirales, qui vonts'agrandissant <strong>de</strong> façon à prendre un sens <strong>de</strong> plus en plus universel.De même que <strong>la</strong> nature se renouvelle sans cesse en ses ré<strong>sur</strong>rections,<strong>de</strong>puis les métamorphoses <strong>de</strong>s insectes jusqu'à <strong>la</strong> naissance <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong>smon<strong>de</strong>s, ainsi les collectivités humaines naissent, se développent <strong>et</strong>meurent en leurs formes successives. Mais elles ne meurent que pourrenaître <strong>et</strong> croître en perfections, en institutions, arts <strong>et</strong> sciences, cultes <strong>et</strong>doctrines.Aux heures <strong>de</strong> crise <strong>et</strong> d'égarement, <strong>de</strong>s envoyés viennent rétablir lesvérités obscurcies <strong>et</strong> rem<strong>et</strong>tre l'humanité dans sa voie. Et malgré l'envol<strong>de</strong>s meilleures âmes humaines vers les sphères supérieures, lescivilisations terrestres s'amen<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> les sociétés évoluent. En dépit <strong>de</strong>smaux inhérents à notre p<strong>la</strong>nète, malgré les besoins multiples qui nousoppriment, le témoignage <strong>de</strong>s siècles nous le dit : dans leur ascensionsécu<strong>la</strong>ire, les intelligences s'affinent, les coeurs <strong>de</strong>viennent plussensibles ; l'humanité, dans son ensemble, monte lentement. Dèsaujourd'hui, elle aspire à <strong>la</strong> paix dans <strong>la</strong> solidarité.A chaque renaissance, l'individu replonge dans <strong>la</strong> masse. L'âme, en seréincarnant, prend un masque nouveau. Ses personnalités antérieuress'effacent pour un temps. Cependant, à travers les siècles, on reconnaîtcertaines gran<strong>de</strong>s figures du passé. On r<strong>et</strong>rouve Krishna dans le Christ<strong>et</strong>, dans un ordre moins élevé, Virgile en Lamartine, Vercingétorix enDesaix, César en Napoléon.Dans telle mendiante aux traits altiers, au regard impérieux, accroupie<strong>sur</strong> un fumier aux portes <strong>de</strong> Rome, couverte d'ulcères <strong>et</strong> tendant <strong>la</strong> mainaux passants, on aurait pu reconnaître, au siècle <strong>de</strong>rnier, Messaline,d'après les indications <strong>de</strong>s Esprits.Combien d'autres âmes coupables vivent autour <strong>de</strong> nous, cachées en<strong>de</strong>s corps difformes, en proie à <strong>de</strong>s maux, à <strong>de</strong>s infirmités qu'elles ontpréparés, moulés elles-mêmes en quelque sorte, par leurs pensées, parleurs actes d'autrefois. <strong>Le</strong> docteur Pascal nous le dit :«L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s vies antérieures <strong>de</strong> certains hommes, particulièrement frappés, arévélé d'étranges secr<strong>et</strong>s : ici, une trahison causant un massacre est punie, <strong>de</strong>ssiècles plus tard, par une vie douloureuse dès l'enfance <strong>et</strong> par une infirmité portant


220 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEen elle le sceau <strong>de</strong> son origine - <strong>la</strong> mutité : les lèvres qui trahirent ne peuvent plusparler ; là, un inquisiteur r<strong>et</strong>ourne à l'incarnation avec un corps ma<strong>la</strong><strong>de</strong> dès le basâge, dans un milieu familial éminemment hostile <strong>et</strong> avec <strong>de</strong>s intuitions n<strong>et</strong>tes <strong>de</strong>cruauté passée : les souffrances physiques <strong>et</strong> morales les plus aiguës lepoursuivent sans répit 18 .»Ces cas sont plus nombreux qu'on ne le suppose. Il faut voir en euxl'application d'une inflexible règle. Tous nos actes, suivant leur nature,se traduisent par un accroissement ou une diminution <strong>de</strong> liberté. De là,pour les coupables, <strong>la</strong> renaissance en <strong>de</strong>s enveloppes misérables, prisons<strong>de</strong> l'âme, images <strong>et</strong> répercussion <strong>de</strong> leur passé.Ni les problèmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie individuelle, ni ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie sociale nes'expliquent sans c<strong>et</strong>te loi <strong>de</strong>s renaissances. Tout le mystère <strong>de</strong> l'être estlà. Par elle, notre passé s'éc<strong>la</strong>ire <strong>et</strong> l'avenir s'agrandit. Notre personnalitérevêt une ampleur inattendue. Nous comprenons que nous ne sommespas apparus d'hier dans l'univers, comme beaucoup le croient encore ;bien au contraire, notre point d'origine, notre première naissance reculedans <strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s temps. Nous nous sentons reliés à c<strong>et</strong>te humanitépar mille liens, tissés lentement à travers les siècles ; son histoire est <strong>la</strong>nôtre ; nous avons voyagé avec elle <strong>sur</strong> l'océan <strong>de</strong>s âges, affronté lesmêmes périls, subi les mêmes revers. L'oubli <strong>de</strong> ces choses n'est qu<strong>et</strong>emporaire. Un jour, tout un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> souvenirs se réveillera en nous.<strong>Le</strong> passé, l'avenir, l'Histoire tout entière, prendront à nos yeux uncaractère nouveau, un intérêt profond. Notre admiration s'accroîtra pour<strong>de</strong>s <strong>de</strong>stinées si vastes. <strong>Le</strong>s lois divines nous paraîtront plus gran<strong>de</strong>s,plus sublimes. Et <strong>la</strong> vie elle-même <strong>de</strong>viendra belle <strong>et</strong> désirable, malgréses épreuves, malgré ses maux !XVIII. - JUSTICE ET RESPONSABILITE. LEPROBLEME DU MAL.La loi <strong>de</strong>s renaissances, avons-nous dit, régit <strong>la</strong> vie universelle. Avecun peu d'attention, nous pourrions lire dans toute <strong>la</strong> nature, comme en unlivre, le mystère <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> ré<strong>sur</strong>rection.<strong>Le</strong>s saisons se succè<strong>de</strong>nt dans leur rythme imposant. L'hiver, c'est lesommeil <strong>de</strong>s choses ; le printemps en est le réveil. <strong>Le</strong> jour alterne avec <strong>la</strong>18 Docteur Th. Pascal, les Lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> Destinée, page 208.


JUSTICE ET RESPONSABILITE 221nuit ; le repos suit <strong>la</strong> veille ; l'esprit remonte vers les régions supérieures,pour re<strong>de</strong>scendre ensuite <strong>et</strong> reprendre, avec plus <strong>de</strong> forces, <strong>la</strong> tâcheinterrompue.<strong>Le</strong>s transformations <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'animal ne sont pas moinssignificatives. La p<strong>la</strong>nte meurt pour renaître à chaque r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> <strong>la</strong> sève ;tout se fane pour refleurir. La <strong>la</strong>rve, <strong>la</strong> chrysali<strong>de</strong>, le papillon, sont autantd'exemples qui reproduisent, avec plus ou moins <strong>de</strong> fidélité, les phasesalternantes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie immortelle.Comment l'homme, seul, pourrait-il être p<strong>la</strong>cé en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te loi ?Alors que tout est relié par <strong>de</strong>s liens puissants <strong>et</strong> nombreux, commentadm<strong>et</strong>tre que notre vie soit comme un point j<strong>et</strong>é, sans attaches, dans lestourbillons du temps <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'espace ? Rien avant, rien après ! Non,l'homme, comme toutes choses, est soumis à <strong>la</strong> loi éternelle. Tout ce quia vécu revivra sous d'autres formes, pour évoluer <strong>et</strong> se perfectionner. Lanature ne nous fait mourir que pour nous faire revivre. Déjà, par suite durenouvellement périodique <strong>de</strong>s molécules <strong>de</strong> notre corps, dispersées <strong>et</strong>rapportées par les courants vitaux, par <strong>la</strong> nutrition <strong>et</strong> <strong>la</strong> déperditionquotidiennes, nous habitons nombre d'enveloppes différentes en uneseule vie. N'est-il pas logique d'adm<strong>et</strong>tre que nous en habiterons d'autresencore dans l'avenir ?La succession <strong>de</strong>s existences s'offre donc à nous comme une oeuvre <strong>de</strong>capitalisation <strong>et</strong> d'amélioration. Après chaque vie terrestre, l'âmemoissonne <strong>et</strong> recueille, dans son corps fluidique, les expériences <strong>et</strong> lesfruits <strong>de</strong> l'existence écoulée. Tous ses progrès se reflètent dans c<strong>et</strong>teforme subtile dont elle est inséparable, dans ce corps éthéré, luci<strong>de</strong>,transparent, qui, s'épurant avec elle, <strong>de</strong>vient l'instrument merveilleux, <strong>la</strong>harpe qui vibre à tous les souffles <strong>de</strong> l'infini.Ainsi l'être psychique se r<strong>et</strong>rouve dans toutes les phases <strong>de</strong> sonascension, tel qu'il s'est fait lui-même. Aucune noble aspiration n'eststérile ; aucun sacrifice n'est vain. Et dans l'oeuvre immense, tous sontassociés, <strong>de</strong>puis l'âme <strong>la</strong> plus obscure jusqu'au plus radieux génie. Unechaîne sans fin relie les êtres dans <strong>la</strong> majestueuse unité du Cosmos. C'estune effusion <strong>de</strong> lumière <strong>et</strong> d'amour qui, <strong>de</strong>s somm<strong>et</strong>s divins, ruisselle <strong>et</strong>s'épand <strong>sur</strong> tous, pour les régénérer <strong>et</strong> les fécon<strong>de</strong>r. Elle réunit toutes lesâmes dans une communion universelle <strong>et</strong> éternelle, en vertu d'unprincipe qui est <strong>la</strong> plus magnifique révé<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes.** *


222 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEL'âme doit conquérir, un à un, tous les éléments, tous les attributs <strong>de</strong>sa gran<strong>de</strong>ur, <strong>de</strong> sa puissance, <strong>de</strong> sa félicité. Et pour ce<strong>la</strong> il lui fautl'obstacle, <strong>la</strong> nature résistante, hostile même, <strong>la</strong> matière adverse, dont lesexigences <strong>et</strong> les ru<strong>de</strong>s leçons provoquent ses efforts <strong>et</strong> forment sonexpérience. De là aussi, dans les étapes inférieures <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, <strong>la</strong> nécessité<strong>de</strong>s épreuves <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur, afin que sa sensibilité s'éveille <strong>et</strong> qu'enmême temps s'exerce son libre choix <strong>et</strong> grandissent sa volonté <strong>et</strong> saconscience. Il faut <strong>la</strong> lutte pour rendre le triomphe possible <strong>et</strong> faire <strong>sur</strong>girle héros. Sans l'iniquité, l'arbitraire, <strong>la</strong> trahison, pourrait-on souffrir <strong>et</strong>mourir pour <strong>la</strong> justice ?Il faut <strong>la</strong> souffrance physique <strong>et</strong> l'angoisse morale pour que l'esprits'affine, se débarrasse <strong>de</strong> ses particules grossières, pour que <strong>la</strong> faibleétincelle qui couve dans les profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> l'inconscience se change enune pure <strong>et</strong> ar<strong>de</strong>nte f<strong>la</strong>mme, en une conscience rayonnante, centre <strong>de</strong>volonté, d'énergie <strong>et</strong> <strong>de</strong> vertu.On ne connaît, on ne goûte <strong>et</strong> apprécie vraiment que les biens acquispar soi-même, lentement, péniblement. L'âme, créée parfaite comme levoudraient certains penseurs, serait incapable d'apprécier <strong>et</strong> même <strong>de</strong>comprendre sa perfection, son bonheur. Sans termes <strong>de</strong> comparaison,sans échanges possibles avec ses semb<strong>la</strong>bles, parfaits comme elle, sansbut à son activité, elle serait condamnée à l'inaction, à l'inertie, ce quiserait le pire <strong>de</strong>s états. Car vivre, pour l'esprit, c'est agir, c'est grandir,c'est conquérir toujours <strong>de</strong> nouveaux titres, <strong>de</strong> nouveaux mérites, unep<strong>la</strong>ce toujours plus haute dans <strong>la</strong> hiérarchie lumineuse <strong>et</strong> infinie. Et pourmériter, il faut avoir pâti, lutté, souffert. Pour goûter l'abondance, il fautavoir connu <strong>la</strong> privation. Pour apprécier <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté <strong>de</strong>s jours, il faut avoirtraversé l'ombre <strong>de</strong>s nuits. La douleur est <strong>la</strong> condition <strong>de</strong> <strong>la</strong> joie <strong>et</strong> le prix<strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu. Et <strong>la</strong> vertu est le bien le plus précieux qu'il y ait dansl'univers.Construire son moi, son individualité, à travers mille <strong>et</strong> mille vies,accomplies <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>s <strong>et</strong>, sous <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> nosfrères aînés, <strong>de</strong> nos amis <strong>de</strong> l'espace, esca<strong>la</strong><strong>de</strong>r les chemins du ciel,s'é<strong>la</strong>ncer toujours plus haut, se faire un champ d'action toujours plus<strong>la</strong>rge, proportionné à l'oeuvre accomplie ou rêvée, <strong>de</strong>venir un <strong>de</strong>s acteursdu drame divin, un <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> Dieu dans l'Oeuvre éternelle ; travaillerpour l'univers, comme l'univers travaille pour nous, voilà le secr<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>de</strong>stinée !


JUSTICE ET RESPONSABILITE 223Ainsi l'âme monte <strong>de</strong> sphère en sphère, <strong>de</strong> cercle en cercle, unie auxêtres qu'elle a aimés ; elle va, poursuivant ses pérégrinations, à <strong>la</strong>recherche <strong>de</strong>s perfections divines. Parvenue aux régions supérieures, elleest affranchie <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi <strong>de</strong>s renaissances. La réincarnation n'est plus uneobligation pour elle, mais seulement un acte <strong>de</strong> sa volonté,l'accomplissement d'une mission, une oeuvre <strong>de</strong> sacrifice.Quand il a atteint les hauteurs suprêmes, l'esprit se dit parfois : «Jesuis libre ; j'ai brisé pour jamais les fers qui m'enchaînaient aux mon<strong>de</strong>smatériels. J'ai acquis <strong>la</strong> science, l'énergie, l'amour. Mais ce que j'aiacquis, je veux le partager avec mes frères, les hommes, <strong>et</strong> pour ce<strong>la</strong>,j'irai <strong>de</strong> nouveau vivre parmi eux ; j'irai leur offrir ce qu'il y a <strong>de</strong> meilleuren moi ; je reprendrai un corps <strong>de</strong> chair. Je re<strong>de</strong>scendrai vers ceux quipeinent, vers ceux qui souffrent, vers ceux qui ignorent, pour les ai<strong>de</strong>r,les consoler, les éc<strong>la</strong>irer !» Et alors, nous avons Lao-tseu ; nous avons leBouddha ; nous avons Socrate ; nous avons le Christ ; en un mot, toutesles gran<strong>de</strong>s âmes qui ont donné leur vie pour l'humanité !** *Résumons-nous. Au cours <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong>, nous avons démontrél'importance <strong>de</strong> <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s réincarnations. Nous avons vu là une <strong>de</strong>sbases essentielles <strong>sur</strong> lesquelles repose le nouveau spiritualisme. Saportée est immense. Elle explique l'inégalité <strong>de</strong>s conditions humaines, <strong>la</strong>variété infinie <strong>de</strong>s aptitu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s facultés, <strong>de</strong>s caractères. Elle dissipe lestroub<strong>la</strong>nts mystères <strong>et</strong> les contradictions <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie ; elle résout leproblème du mal. Par elle, l'ordre succè<strong>de</strong> au désordre ; <strong>la</strong> lumière se faitau sein du chaos ; les injustices disparaissent, les iniquités apparentes dusort s'évanouissent, pour faire p<strong>la</strong>ce à <strong>la</strong> loi forte <strong>et</strong> majestueuse <strong>de</strong> <strong>la</strong>répercussion <strong>de</strong>s actes <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs conséquences. Et c<strong>et</strong>te loi d'immanentejustice qui gouverne les mon<strong>de</strong>s, Dieu l'a inscrite au fond <strong>de</strong>s choses <strong>et</strong>dans <strong>la</strong> conscience humaine.La doctrine <strong>de</strong>s réincarnations rapproche les hommes plus que touteautre croyance, en leur apprenant leur communauté d'origines <strong>et</strong> <strong>de</strong> fins,en leur montrant <strong>la</strong> solidarité qui les relie tous dans le passé, dans leprésent, dans l'avenir. Elle leur dit qu'il n'y a parmi eux ni déshérités, nifavorisés ; chacun est fils <strong>de</strong> ses oeuvres, maître <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée. Nossouffrances sont les conséquences du passé ou bien l'école austère oùs'apprennent les hautes vertus <strong>et</strong> les grands <strong>de</strong>voirs.


224 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEENous parcourrons toutes les étapes <strong>de</strong> <strong>la</strong> route immense. Nouspasserons tour à tour par toutes les conditions sociales, pour acquérir lesqualités inhérentes à ces milieux. Ainsi, c<strong>et</strong>te solidarité qui nous liecompense dans une harmonie finale <strong>la</strong> variété infinie <strong>de</strong>s êtres, résultant<strong>de</strong> l'inégalité <strong>de</strong> leurs efforts <strong>et</strong> aussi <strong>de</strong>s nécessités <strong>de</strong> leur évolution.Avec elle, plus d'envie, plus <strong>de</strong> mépris, plus <strong>de</strong> haine ! <strong>Le</strong>s plus p<strong>et</strong>itsd'entre nous ont été grands peut-être, <strong>et</strong> les plus grands renaîtront p<strong>et</strong>its,s'ils abusent <strong>de</strong> leur supériorité. Chacun à son tour, à <strong>la</strong> joie comme à <strong>la</strong>peine ! De là, <strong>la</strong> vraie confraternité <strong>de</strong>s âmes. Nous nous sentons tousunis à jamais <strong>sur</strong> les <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> notre ascension collective ; nousapprenons à nous ai<strong>de</strong>r, à nous soutenir, à nous tendre <strong>la</strong> main !A travers les cycles du temps, tous se perfectionnent <strong>et</strong> s'élèvent. <strong>Le</strong>scriminels du passé <strong>de</strong>viendront les sages <strong>de</strong> l'avenir. Une heure viendraoù nos défauts seront effacés, où nos vices, où nos p<strong>la</strong>ies morales serontguéris. <strong>Le</strong>s âmes frivoles <strong>de</strong>viendront sérieuses ; les intelligencesobscures s'illumineront. Toutes les forces du mal qui vibrent en nous seseront transformées en forces du bien. De l'être faible, indifférent, ferméà toutes les gran<strong>de</strong>s pensées, sortira, à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong>s âges, un espritpuissant, qui réunira toutes les connaissances, toutes les qualités, <strong>et</strong><strong>de</strong>viendra apte à réaliser les plus sublimes choses.Ce sera l'oeuvre <strong>de</strong>s existences accumulées. Il en faudra un bien grandnombre sans doute pour opérer un tel changement, pour dépouillerl'écorce <strong>de</strong> nos imperfections, faire disparaître les aspérités <strong>de</strong> noscaractères ; transformer les âmes <strong>de</strong> ténèbres en âmes <strong>de</strong> lumière ! Maisrien n'est puissant <strong>et</strong> durable qui n'a pris le temps nécessaire pourgermer, sortir <strong>de</strong> l'ombre, monter vers le ciel. L'arbre, <strong>la</strong> forêt, lescouches du sol, les astres <strong>et</strong> les mon<strong>de</strong>s nous le disent dans leur profond<strong>la</strong>ngage. Nulle semence ne se perd ; nul effort n'est inutile. La tige nedonne sa feuille <strong>et</strong> son fruit qu'à l'heure dite. La vie n'éclôt <strong>sur</strong> les terres<strong>de</strong> l'espace qu'après d'immenses pério<strong>de</strong>s géologiques.Voyez ces diamants splendi<strong>de</strong>s qui ornent <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong>s femmes <strong>et</strong>étincellent <strong>de</strong> mille feux. Combien <strong>de</strong> métamorphoses n'ont-ils pas eu àsubir pour acquérir c<strong>et</strong>te pur<strong>et</strong>é incomparable, c<strong>et</strong> éc<strong>la</strong>t fulgurant ?Quelle lente incubation au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière obscure !Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> l'entité humaine. Pour se dépouiller <strong>de</strong> seséléments grossiers <strong>et</strong> acquérir tout son éc<strong>la</strong>t, il lui faut <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>sd'évolution plus vastes encore, <strong>de</strong> lentes incubations dans <strong>la</strong> chair.


JUSTICE ET RESPONSABILITE 225C'est ici, dans ce travail <strong>de</strong> perfectionnement, qu'apparaît l'utilité,l'importance <strong>de</strong>s vies d'épreuves, <strong>de</strong>s vies mo<strong>de</strong>stes <strong>et</strong> effacées, <strong>de</strong>sexistences <strong>de</strong> <strong>la</strong>beur <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir, pour vaincre les passions farouches,l'orgueil <strong>et</strong> l'égoïsme, pour guérir les p<strong>la</strong>ies morales. A ce point <strong>de</strong> vue,le rôle <strong>de</strong>s humbles, <strong>de</strong>s p<strong>et</strong>its en ce mon<strong>de</strong>, les tâches dédaignées serévèlent à nos yeux dans toute leur gran<strong>de</strong>ur : nous comprenons mieux <strong>la</strong>nécessité du r<strong>et</strong>our dans <strong>la</strong> chair pour se rach<strong>et</strong>er <strong>et</strong> pour s'épurer.** *En résolvant le problème du mal, le nouveau spiritualisme montre unefois <strong>de</strong> plus sa supériorité <strong>sur</strong> les autres doctrines.Pour les matérialistes évolutionnistes, le mal <strong>et</strong> <strong>la</strong> douleur sontconstants, universels. Partout, disent Taine, Soury, Ni<strong>et</strong>zsche, Haeckel,nous voyons le mal s'épanouir <strong>et</strong> toujours le mal régnera dans l'humanité.Cependant, ajoutent-ils, avec le progrès le mal <strong>de</strong>viendra moins fréquent,mais il sera plus douloureux, parce que notre sensibilité physique <strong>et</strong>morale ira croissant. Et il faudra toujours souffrir <strong>et</strong> pleurer, sans espoir,sans conso<strong>la</strong>tion, par exemple dans le cas d'une catastrophe, à leurs yeuxirréparable, comme <strong>la</strong> mort d'un être chéri. Par conséquent, le mall'emportera toujours <strong>sur</strong> le bien.Certaines doctrines religieuses ne sont pas beaucoup plus conso<strong>la</strong>ntes.D'après le catholicisme, le mal semble aussi prédominer dans l'univers <strong>et</strong>Satan paraît bien plus puissant que Dieu. L'enfer, selon <strong>la</strong> parolefatidique, se peuple constamment <strong>de</strong> foules innombrables, tandis que leparadis est le partage <strong>de</strong> rares élus. Pour le croyant orthodoxe, <strong>la</strong> perte, <strong>la</strong>séparation <strong>de</strong>s êtres qu'il a aimés est presque aussi définitive que pour lematérialiste. Il n'y a jamais pour lui certitu<strong>de</strong> complète <strong>de</strong> les r<strong>et</strong>rouver,<strong>de</strong> les rejoindre un jour.Avec le nouveau spiritualisme, <strong>la</strong> question prend un tout autre aspect.<strong>Le</strong> mal n'est plus que l'état transitoire <strong>de</strong> l'être en voie d'évolution vers lebien. <strong>Le</strong> mal, c'est <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong> l'infériorité <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>s individus ;c'est aussi, nous l'avons vu, <strong>la</strong> sanction du passé. Toute échelle comporte<strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés. Nos vies terrestres représentent les bas <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> notreéternelle ascension.Tout, autour <strong>de</strong> nous, démontre l'infériorité <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète que noushabitons. Très inclinée <strong>sur</strong> son axe, sa situation astronomique est <strong>la</strong>cause <strong>de</strong> perturbations fréquentes <strong>et</strong> <strong>de</strong> brusques changements <strong>de</strong>


226 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEtempérature : tempêtes, raz <strong>de</strong> marée, convulsions sismiques, chaleurstorri<strong>de</strong>s, froids rigoureux. L'humanité terrestre, pour subsister, estcondamnée à un pénible <strong>la</strong>beur. Des millions d'hommes, courbés sousleur tâche, ne connaissent ni le repos ni le bien-être. Or, il existe <strong>de</strong>srapports étroits entre l'ordre physique <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s <strong>et</strong> l'état moral <strong>de</strong>ssociétés qui les peuplent. <strong>Le</strong>s mon<strong>de</strong>s imparfaits comme <strong>la</strong> Terre sontréservés, en général, aux âmes encore peu évoluées.Toutefois, notre séjour en ce milieu n'est que temporaire <strong>et</strong>subordonné aux exigences <strong>de</strong> notre éducation psychique. D'autresmon<strong>de</strong>s, mieux partagés sous tous les rapports, nous atten<strong>de</strong>nt. <strong>Le</strong> mal,<strong>la</strong> douleur, <strong>la</strong> souffrance, attributs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie terrestre, ont leur rôle obligé.C'est le fou<strong>et</strong>, l'éperon qui nous stimulent <strong>et</strong> nous portent en avant.<strong>Le</strong> mal, à ce point <strong>de</strong> vue, n'a plus qu'un caractère re<strong>la</strong>tif <strong>et</strong> passager ;c'est <strong>la</strong> condition <strong>de</strong> l'âme encore enfant qui s'essaie à <strong>la</strong> vie. Par le faitmême <strong>de</strong>s progrès accomplis, il s'atténue peu à peu, disparaît, s'évanouità me<strong>sur</strong>e que l'âme monte les échelons conduisant à <strong>la</strong> puissance, à <strong>la</strong>vertu, à <strong>la</strong> sagesse !Alors, <strong>la</strong> justice se révèle dans l'univers. Il n'y a plus d'élus ni <strong>de</strong>réprouvés. Tous subissent <strong>la</strong> conséquence <strong>de</strong> leurs actes, mais tousréparent, rachètent <strong>et</strong> se relèvent tôt ou tard, pour évoluer <strong>de</strong>puis lesmon<strong>de</strong>s obscurs <strong>et</strong> matériels jusqu'à <strong>la</strong> lumière divine. Toutes les âmesaimantes se r<strong>et</strong>rouvent, se rejoignent dans leur ascension, pour coopérerensemble à <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> oeuvre <strong>et</strong> participer à <strong>la</strong> communion universelle.Il n'y a donc pas <strong>de</strong> mal réel, <strong>de</strong> mal absolu dans l'univers, maispartout <strong>la</strong> réalisation lente <strong>et</strong> progressive d'un idéal supérieur ; partoutl'action d'une force, d'une puissance, d'une cause qui, tout en nous<strong>la</strong>issant libres, nous attire <strong>et</strong> nous entraîne vers un état meilleur. Partoutle grand <strong>la</strong>beur <strong>de</strong>s êtres travail<strong>la</strong>nt à développer en eux, au prixd'immenses efforts, <strong>la</strong> sensibilité, le sentiment, <strong>la</strong> volonté, l'amour !** *Insistons <strong>sur</strong> <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> justice, qui est capitale : capitale, car c'est unbesoin, une nécessité impérieuse pour tous <strong>de</strong> savoir que <strong>la</strong> justice n'estpas un vain mot, qu'il y a une sanction à tous les <strong>de</strong>voirs <strong>et</strong> <strong>de</strong>scompensations pour toutes douleurs. Aucun système ne peut satisfairenotre raison, notre conscience, s'il ne réalise <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> justice danstoute son ampleur. C<strong>et</strong>te notion est gravée en nous ; elle est <strong>la</strong> loi <strong>de</strong>


JUSTICE ET RESPONSABILITE 227l'âme <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'univers, <strong>et</strong> c'est pour l'avoir méconnue que tant <strong>de</strong> doctriness'affaiblissent <strong>et</strong> s'éteignent, à l'heure présente, autour <strong>de</strong> nous.Or <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s vies successives est un resplendissement <strong>de</strong> l'idée <strong>de</strong>justice. Elle lui donne un relief, un éc<strong>la</strong>t incomparables. Toutes nos viessont solidaires les unes <strong>de</strong>s autres <strong>et</strong> s'enchaînent rigoureusement. Nosactes <strong>et</strong> leurs conséquences constituent une succession d'éléments qui serattachent les uns aux autres par <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion étroite <strong>de</strong> cause à eff<strong>et</strong>. Nousen subissons constamment en nous-mêmes, dans notre être intérieurcomme dans les conditions extérieures <strong>de</strong> notre vie, les résultatsinévitables. Notre volonté agissante est une cause génératrice d'eff<strong>et</strong>splus ou moins lointains, bons ou mauvais, qui r<strong>et</strong>ombent <strong>sur</strong> nous <strong>et</strong>forment <strong>la</strong> trame <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>stins.<strong>Le</strong> christianisme, renonçant à ce mon<strong>de</strong>, rej<strong>et</strong>ait le bonheur <strong>et</strong> <strong>la</strong>justice dans l'Au-<strong>de</strong>là. Et si ses enseignements pouvaient suffire auxsimples <strong>et</strong> aux croyants, il <strong>de</strong>venait facile aux sceptiques habiles <strong>de</strong> sedispenser <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice, en prétextant que son règne n'était pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre.Mais avec <strong>la</strong> preuve <strong>de</strong>s vies successives, il en est tout autrement. Lajustice n'est plus reléguée dans un domaine chimérique <strong>et</strong> inconnu. C'estici même ; c'est en nous <strong>et</strong> autour <strong>de</strong> nous qu'elle exerce son empire.L'homme doit réparer <strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n physique le mal qu'il a accompli <strong>sur</strong> cemême p<strong>la</strong>n. Il re<strong>de</strong>scend dans le creus<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, dans le milieu mêmeoù il s'est rendu coupable, près <strong>de</strong> ceux qu'il a trompés, spoliés,dépouillés, subir les conséquences <strong>de</strong> ses agissements antérieurs.Avec le principe <strong>de</strong>s renaissances, l'idée <strong>de</strong> justice se précise <strong>et</strong> sevérifie. La loi morale, <strong>la</strong> loi du Bien se révèle dans toute son harmonie.L'homme le comprend enfin : c<strong>et</strong>te vie n'est qu'un anneau <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>chaîne <strong>de</strong> ses existences ; tout ce qu'il sème, il le récoltera tôt ou tard.Dès lors, il n'est plus possible <strong>de</strong> méconnaître nos <strong>de</strong>voirs ni d'élu<strong>de</strong>r nosresponsabilités. En ceci, comme en tout, le len<strong>de</strong>main <strong>de</strong>vient le produit<strong>de</strong> <strong>la</strong> veille. Sous l'apparente confusion <strong>de</strong>s faits, nous découvrons lesrapports qui les lient. Au lieu d'être asservis à une <strong>de</strong>stinée inflexibledont <strong>la</strong> cause nous serait extérieure, nous en <strong>de</strong>venons les maîtres <strong>et</strong> lesauteurs. Bien loin d'être dominé par le sort, l'homme le domine <strong>et</strong> le crée,par sa volonté <strong>et</strong> ses actes. L'idéal <strong>de</strong> justice n'est plus rej<strong>et</strong>é dans unmon<strong>de</strong> transcendantal ; nous pouvons en définir les termes dans chaquevie humaine renouvelée, dans son rapport avec les lois universelles, dansle domaine <strong>de</strong>s choses réelles <strong>et</strong> tangibles.


228 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEC<strong>et</strong>te gran<strong>de</strong> lumière se fait précisément à l'heure où les vieillescroyances s'affaissent sous le poids du temps, où tous les systèmes selézar<strong>de</strong>nt, où les dieux du passé se voilent <strong>et</strong> s'éloignent. Depuislongtemps, <strong>la</strong> pensée humaine, anxieuse, tâtonne dans <strong>la</strong> nuit à <strong>la</strong>recherche du nouvel édifice moral qui doit l'abriter. Et voici que <strong>la</strong>doctrine <strong>de</strong>s renaissances vient lui offrir l'idéal nécessaire à toute sociétéen marche <strong>et</strong>, en même temps, le correctif indispensable aux appétitsviolents, aux ambitions déme<strong>sur</strong>ées, à l'avidité <strong>de</strong>s richesses, <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ces,<strong>de</strong>s honneurs, une digue au débor<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> sensualisme qui menace <strong>de</strong>nous submerger.Avec elle, l'homme apprend à supporter sans amertume <strong>et</strong> sans révolteles existences douloureuses, indispensables à sa purification. Il apprendà se soum<strong>et</strong>tre aux inégalités naturelles <strong>et</strong> passagères qui sont le résultat<strong>de</strong> <strong>la</strong> loi d'évolution, à dédaigner les divisions factices <strong>et</strong> malsaines,provenant <strong>de</strong>s préjugés <strong>de</strong> castes, <strong>de</strong> religions ou <strong>de</strong> races. Ces préjugéss'évanouissent entièrement le jour où l'on sait que tout esprit, dans sesvies ascendantes, doit passer par les milieux les plus divers.Grâce à <strong>la</strong> notion <strong>de</strong>s vies successives, en même temps que lesresponsabilités individuelles, celles <strong>de</strong>s collectivités nous apparaissentplus distinctes. Il y a chez nos contemporains une tendance à rej<strong>et</strong>er lepoids <strong>de</strong>s difficultés présentes <strong>sur</strong> les générations à venir. Persuadésqu'ils ne reviendront plus <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre, ils <strong>la</strong>issent à nos successeurs lesoin <strong>de</strong> résoudre les problèmes épineux <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie politique <strong>et</strong> sociale.Avec <strong>la</strong> loi <strong>de</strong>s <strong>de</strong>stinées, <strong>la</strong> question change aussitôt d'aspect. Nonseulement le mal que nous aurons accompli r<strong>et</strong>ombera <strong>sur</strong> nous <strong>et</strong> nous<strong>de</strong>vrons payer nos <strong>de</strong>ttes jusqu'à <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière obole, mais l'état social quenous aurons contribué à perpétuer avec ses vices, ses iniquités, nousreprendra dans son lourd engrenage à notre r<strong>et</strong>our <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre, <strong>et</strong> noussouffrirons <strong>de</strong> toutes ses imperfections. C<strong>et</strong>te société, à <strong>la</strong>quelle nousaurons beaucoup <strong>de</strong>mandé <strong>et</strong> peu donné, re<strong>de</strong>viendra <strong>de</strong> nouveau notresociété, société marâtre pour ses fils égoïstes <strong>et</strong> ingrats.Au cours <strong>de</strong> nos étapes terrestres, tantôt puissants ou faibles,dirigeants ou dirigés, nous sentirons souvent r<strong>et</strong>omber <strong>sur</strong> nous le poids<strong>de</strong>s injustices que nous aurons <strong>la</strong>issé perpétuer. Et n'oublions pas unechose. <strong>Le</strong>s existences obscures, les vies humbles <strong>et</strong> effacées seront <strong>de</strong>beaucoup les plus nombreuses pour chacun <strong>de</strong> nous, aussi longtemps queles hommes possédant l'aisance, l'éducation, l'instruction ne


JUSTICE ET RESPONSABILITE 229représenteront qu'une minorité dans l'ensemble <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions duglobe.Mais quand <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> doctrine sera <strong>de</strong>venue <strong>la</strong> base <strong>de</strong> l'éducationhumaine <strong>et</strong> le partage <strong>de</strong> tous, quand <strong>la</strong> preuve <strong>de</strong>s vies successivesapparaîtra à tous les yeux, alors, les plus instruits, les plus réfléchis,développant en eux les intuitions du passé, comprendront qu'ils ont vécudans tous les milieux sociaux, <strong>et</strong> ils en éprouveront plus <strong>de</strong> tolérance <strong>et</strong><strong>de</strong> bienveil<strong>la</strong>nce envers les p<strong>et</strong>its. Ils sentiront qu'il y a moins <strong>de</strong>méchanc<strong>et</strong>é <strong>et</strong> d'aigreur que <strong>de</strong> souffrance révoltée dans l'âme <strong>de</strong>sdéshérités, <strong>et</strong> quel parti admirable ils peuvent tirer <strong>de</strong> leur propreexpérience, en répandant autour d'eux <strong>la</strong> lumière, l'espérance, <strong>la</strong>conso<strong>la</strong>tion.Alors l'intérêt, le bien personnel <strong>de</strong>viendra le bien <strong>de</strong> tous. Chacun sesentira porté à coopérer plus activement à l'amélioration <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te société,au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle il faudra renaître pour progresser avec elle <strong>et</strong> avancervers l'avenir.** *L'heure présente est encore une heure <strong>de</strong> luttes : lutte <strong>de</strong>s nations pour<strong>la</strong> conquête du globe, lutte <strong>de</strong> c<strong>la</strong>sses pour <strong>la</strong> conquête du bien-être <strong>et</strong> dupouvoir. Autour <strong>de</strong> nous s'agitent <strong>de</strong>s forces aveugles <strong>et</strong> profon<strong>de</strong>s,forces qui s'ignoraient hier <strong>et</strong> qui, aujourd'hui, s'organisent <strong>et</strong> entrent enaction. Une société agonise ; une autre naît. L'idéal du passé s'effondre.Quel sera celui <strong>de</strong> <strong>de</strong>main ?Une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> transition s'est ouverte ; une phase différente <strong>de</strong>l'évolution humaine est commencée, phase obscure, pleine, à <strong>la</strong> fois, <strong>de</strong>promesses <strong>et</strong> <strong>de</strong> menaces. Dans l'âme <strong>de</strong>s générations qui montent,reposent les germes <strong>de</strong> floraisons nouvelles : fleurs du mal ou fleurs dubien ?Beaucoup s'a<strong>la</strong>rment ; beaucoup s'épouvantent. Ne doutons pas <strong>de</strong>l'avenir <strong>de</strong> l'humanité, <strong>de</strong> son ascension vers <strong>la</strong> lumière, <strong>et</strong> répandonsautour <strong>de</strong> nous, avec un courage <strong>et</strong> une persévérance in<strong>la</strong>ssables, lesvérités qui as<strong>sur</strong>ent les len<strong>de</strong>mains <strong>et</strong> font les sociétés fortes <strong>et</strong>heureuses.<strong>Le</strong>s défectuosités <strong>de</strong> notre organisation sociale proviennent <strong>sur</strong>tout <strong>de</strong>ceci : nos légis<strong>la</strong>teurs, dans leurs conceptions étroites, n'embrassent quel'horizon d'une vie matérielle. Ne comprenant pas le but évolutif <strong>de</strong>


230 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEl'existence <strong>et</strong> l'enchaînement <strong>de</strong> nos vies terrestres, ils ont établi un état<strong>de</strong> choses incompatible avec les fins réelles <strong>de</strong> l'homme <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> société.La conquête du pouvoir par le grand nombre n'est pas faite pouré<strong>la</strong>rgir ce point <strong>de</strong> vue. <strong>Le</strong> peuple suit l'instinct sourd qui le pousse.Incapable <strong>de</strong> me<strong>sur</strong>er le mérite <strong>et</strong> <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong> ses représentants, il port<strong>et</strong>rop souvent au pouvoir ceux qui épousent ses passions <strong>et</strong> partagent sacécité. L'éducation popu<strong>la</strong>ire est à refaire entièrement ; car, seul,l'homme éc<strong>la</strong>iré pourra col<strong>la</strong>borer avec intelligence, courage <strong>et</strong>conscience à <strong>la</strong> rénovation sociale.Dans les revendications actuelles, on spécule beaucoup trop <strong>sur</strong> <strong>la</strong>notion <strong>de</strong> droit ; on <strong>sur</strong>excite les appétits, on exalte les esprits. On oublieque le droit est inséparable du <strong>de</strong>voir <strong>et</strong> même qu'il n'en est que <strong>la</strong>résultante. De là, une rupture d'équilibre, une interversion <strong>de</strong>s rapports,<strong>de</strong> cause à eff<strong>et</strong>, c'est-à-dire du <strong>de</strong>voir au droit dans <strong>la</strong> répartition <strong>de</strong>savantages sociaux, ce qui constitue une cause permanente <strong>de</strong> division <strong>et</strong><strong>de</strong> haine entre les hommes. L'individu qui envisage seulement son intérêtpropre <strong>et</strong> son droit personnel est encore p<strong>la</strong>cé bien bas <strong>sur</strong> l'échelled'évolution.Ainsi que l'a dit Godin, le fondateur du familistère <strong>de</strong> Guise : «<strong>Le</strong> droitest fait avec du <strong>de</strong>voir accompli». <strong>Le</strong>s services rendus à l'humanité étant<strong>la</strong> cause, le droit <strong>de</strong>vient l'eff<strong>et</strong>. Dans une société bien organisée, chaquecitoyen se c<strong>la</strong>ssera d'après sa valeur personnelle, son <strong>de</strong>gré d'évolution <strong>et</strong>dans <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong> son apport social.L'individu ne doit occuper qu'une situation méritée. Son droit est enproportion égale avec sa capacité pour le bien. Telle est <strong>la</strong> règle, telle est<strong>la</strong> base <strong>de</strong> l'ordre universel, <strong>et</strong> aussi longtemps que l'ordre social n'ensera pas le décalque, l'image fidèle, il sera précaire <strong>et</strong> instable.En vertu <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te règle, chaque membre d'une collectivité, au lieu <strong>de</strong>revendiquer <strong>de</strong>s droits fictifs, doit s'efforcer <strong>de</strong> s'en rendre digne enaccroissant sa valeur propre <strong>et</strong> sa participation à l'oeuvre commune.L'idéal social se transforme, le sens <strong>de</strong> l'harmonie se développe, lechamp <strong>de</strong> l'altruisme s'é<strong>la</strong>rgit.Mais, dans l'état actuel <strong>de</strong>s choses, au sein d'une société où fermententtant <strong>de</strong> passions, où s'agitent tant <strong>de</strong> forces brutales, au milieu d'unecivilisation faite d'égoïsme <strong>et</strong> <strong>de</strong> convoitise, d'incohérence <strong>et</strong> <strong>de</strong> mauvaisvouloir, <strong>de</strong> sensualité <strong>et</strong> <strong>de</strong> souffrance, bien <strong>de</strong>s convulsions sont àcraindre.


JUSTICE ET RESPONSABILITE 231Parfois, on entend monter le flot grondant. La p<strong>la</strong>inte <strong>de</strong> ceux quisouffrent se change en cris <strong>de</strong> colère. <strong>Le</strong>s foules se comptent. Desintérêts sécu<strong>la</strong>ires sont menacés. Mais une foi nouvelle se lève, illuminéepar un rayon d'en haut <strong>et</strong> appuyée <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s faits, <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s preuves sensibles.Elle dit à tous : «Soyez unis, car vous êtes frères, frères ici-bas, frèresdans l'immortalité. Travaillez en commun à rendre plus douces lesconditions <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie sociale, plus faciles vos tâches <strong>de</strong> <strong>de</strong>main. Travaillezà augmenter les trésors <strong>de</strong> savoir, <strong>de</strong> sagesse, <strong>de</strong> puissance qui sontl'héritage <strong>de</strong> l'humanité. <strong>Le</strong> bonheur n'est pas dans <strong>la</strong> lutte, dans <strong>la</strong>vengeance ; il est dans l'union <strong>de</strong>s coeurs <strong>et</strong> <strong>de</strong>s volontés !»XIX. - LA LOI DES DESTINEES.La preuve <strong>de</strong>s vies successives étant faite, le chemin <strong>de</strong> l'existence s<strong>et</strong>rouve déb<strong>la</strong>yé, <strong>la</strong> route ferme <strong>et</strong> sûre, tracée. L'âme voit c<strong>la</strong>irement sa<strong>de</strong>stinée, qui est l'ascension vers <strong>la</strong> sagesse <strong>la</strong> plus haute, vers <strong>la</strong> lumière<strong>la</strong> plus vive. L'équité gouverne le mon<strong>de</strong> ; notre bonheur est entre nosmains. L'Univers ne peut plus faillir, son but étant <strong>la</strong> beauté, ses moyens,<strong>la</strong> justice <strong>et</strong> l'amour. Dès lors, toute crainte chimérique, toute terreur <strong>de</strong>l'Au-<strong>de</strong>là s'évanouit. Au lieu <strong>de</strong> redouter l'avenir, l'homme goûte <strong>la</strong> joie<strong>de</strong>s certitu<strong>de</strong>s éternelles. Avec <strong>la</strong> confiance aux len<strong>de</strong>mains, ses forcesredoublent ; son effort vers le bien en sera centuplé.Pourtant une question se pose encore : par quels ressorts secr<strong>et</strong>sl'action <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice s'exerce-t-elle dans l'enchaînement <strong>de</strong> nosexistences ?Remarquons tout d'abord que le fonctionnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice humainene nous offre rien <strong>de</strong> comparable à <strong>la</strong> loi divine <strong>de</strong>s <strong>de</strong>stinées. Celle-cis'accomplit d'elle-même, sans intervention extérieure, aussi bien pour lesindividus que pour les collectivités. Ce que nous appelons le mal,l'offense, <strong>la</strong> trahison, le meurtre, détermine chez les coupables un étatd'âme qui les livre aux coups du sort, dans une me<strong>sur</strong>e proportionnelle à<strong>la</strong> gravité <strong>de</strong> leurs actes.C<strong>et</strong>te loi immuable est, avant tout, une loi d'équilibre. Elle établitl'ordre dans le mon<strong>de</strong> moral <strong>de</strong> <strong>la</strong> même manière que les lois <strong>de</strong> <strong>la</strong>gravitation <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> pesanteur as<strong>sur</strong>ent l'ordre <strong>et</strong> l'équilibre dans le mon<strong>de</strong>physique. Son mécanisme est à <strong>la</strong> fois simple <strong>et</strong> grand. Tout mal serachète par <strong>la</strong> douleur. Ce que l'homme accomplit en accord avec <strong>la</strong> loi


232 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEdu bien lui procure <strong>la</strong> quiétu<strong>de</strong> <strong>et</strong> contribue à son élévation ; toutevio<strong>la</strong>tion provoque <strong>la</strong> souffrance. Celle-ci poursuit son oeuvreintérieure ; elle fouille aux profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> l'être ; elle m<strong>et</strong> à jour lestrésors <strong>de</strong> sagesse <strong>et</strong> <strong>de</strong> beauté qu'il contient <strong>et</strong>, en même temps, enélimine les germes malsains. Elle prolongera son action <strong>et</strong> reviendra à <strong>la</strong>charge aussi longtemps qu'il le faudra, jusqu'à ce qu'il s'épanouisse dansle bien <strong>et</strong> vibre à l'unisson <strong>de</strong>s forces divines. Mais, dans <strong>la</strong> poursuite <strong>de</strong>c<strong>et</strong>te oeuvre grandiose, <strong>de</strong>s compensations seront réservées à l'âme. Desjoies, <strong>de</strong>s affections, <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> repos <strong>et</strong> <strong>de</strong> bonheur alternerontdans le chapel<strong>et</strong> <strong>de</strong> ses vies avec les existences <strong>de</strong> lutte, <strong>de</strong> rachat <strong>et</strong> <strong>de</strong>réparation. Ainsi tout est ménagé, disposé avec un art, une science, unebonté infinis dans l'oeuvre provi<strong>de</strong>ntielle.Au début <strong>de</strong> sa course, dans son ignorance <strong>et</strong> sa faiblesse, l'hommeméconnaît <strong>et</strong> transgresse souvent <strong>la</strong> loi. De là, les épreuves, lesinfirmités, les servitu<strong>de</strong>s matérielles. Mais dès qu'il s'éc<strong>la</strong>ire, dès qu'i<strong>la</strong>pprend à m<strong>et</strong>tre les actes <strong>de</strong> sa vie en harmonie avec <strong>la</strong> règleuniverselle, par ce<strong>la</strong> même, il offre <strong>de</strong> moins en moins prise à l'adversité.Nos pensées <strong>et</strong> nos actes se traduisent en mouvements vibratoires, <strong>et</strong>leur foyer d'émission, par <strong>la</strong> répétition fréquente <strong>de</strong> ces mêmes actes <strong>et</strong>pensées, se transforme peu à peu en un générateur puissant pour le bienou pour le mal. L'être se c<strong>la</strong>sse ainsi lui-même, par <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s énergiesdont il <strong>de</strong>vient le centre rayonnant. Mais tandis que les forces du bien semultiplient par elles-mêmes <strong>et</strong> grandissent sans cesse, les forces du malse détruisent par leurs propres eff<strong>et</strong>s, car ces eff<strong>et</strong>s reviennent vers leurcause, vers leur centre d'émission <strong>et</strong> se traduisent toujours enconséquences douloureuses. <strong>Le</strong> méchant, comme tous les êtres, étantsoumis à l'impulsion évolutive, voit par là s'accroître forcément sasensibilité. <strong>Le</strong>s vibrations <strong>de</strong> ses actes, <strong>de</strong> ses pensées mauvaises, aprèsavoir effectué leur trajectoire, reviennent tôt ou tard vers lui, l'oppriment<strong>et</strong> l'acculent à <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> se réformer.Ce phénomène pourrait s'expliquer scientifiquement par <strong>la</strong> corré<strong>la</strong>tion<strong>de</strong>s forces, par c<strong>et</strong>te sorte <strong>de</strong> synchronisme vibratoire qui ramèn<strong>et</strong>oujours l'eff<strong>et</strong> à sa cause. Nous en avons une démonstration dans ce faitbien connu : en temps d'épidémie, <strong>de</strong> contagion, ce sont <strong>sur</strong>tout lespersonnes dont les forces vitales s'harmonisent avec les causes morbi<strong>de</strong>sen action qui sont frappées, tandis que les individus doués d'une volontéferme <strong>et</strong> exempts <strong>de</strong> crainte restent généralement in<strong>de</strong>mnes.


LA LOI DES DESTINEES 233Il en est <strong>de</strong> même dans l'ordre moral. <strong>Le</strong>s pensées <strong>de</strong> haine <strong>et</strong> <strong>de</strong>vengeance, les désirs <strong>de</strong> nuire, venus du <strong>de</strong>hors, ne peuvent agir <strong>sur</strong> nous<strong>et</strong> nous influencer, qu'à <strong>la</strong> condition d'y rencontrer <strong>de</strong>s éléments quivibrent à l'unisson <strong>de</strong> ces pensées, <strong>de</strong> ces désirs. S'il n'existe rien en nous<strong>de</strong> simi<strong>la</strong>ire, ces forces mauvaises glissent sans nous pénétrer ; ellesr<strong>et</strong>ournent vers celui qui les a proj<strong>et</strong>ées, pour le frapper à son tour, soitdans le présent, soit dans l'avenir, lorsque <strong>de</strong>s circonstancesparticulières, les feront rentrer dans le courant <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée.** *La loi <strong>de</strong> répercussion <strong>de</strong>s actes a donc quelque chose <strong>de</strong> mécanique,d'automatique en apparence. Pourtant, lorsqu'elle entraîne <strong>de</strong> duresexpiations, <strong>de</strong>s réparations douloureuses, <strong>de</strong> grands Esprits interviennentpour en régler l'exercice <strong>et</strong> accélérer <strong>la</strong> marche <strong>de</strong>s âmes en voied'évolution. <strong>Le</strong>ur influence se fait <strong>sur</strong>tout sentir à l'heure <strong>de</strong> <strong>la</strong>réincarnation, afin <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r ces âmes dans leur choix, en déterminantles conditions <strong>et</strong> les milieux favorables à <strong>la</strong> guérison <strong>de</strong> leurs ma<strong>la</strong>diesmorales <strong>et</strong> au rachat <strong>de</strong>s fautes antérieures.Nous savons qu'il n'est pas d'éducation complète sans <strong>la</strong> douleur. Ennous p<strong>la</strong>çant à ce point <strong>de</strong> vue, il faut nous gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> voir dans lesépreuves <strong>et</strong> les maux <strong>de</strong> l'humanité <strong>la</strong> conséquence exclusive <strong>de</strong> fautespassées. Tous ceux qui souffrent ne sont pas forcément <strong>de</strong>s coupables envoie d'expiation. Beaucoup sont simplement <strong>de</strong>s esprits avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong>progrès, qui ont choisi <strong>de</strong>s vies pénibles <strong>et</strong> <strong>la</strong>borieuses pour r<strong>et</strong>irer lebénéfice moral s'attachant à toute peine endurée.Cependant, en thèse générale, c'est du choc, c'est du conflit <strong>de</strong> l'êtreinférieur qui s'ignore encore, avec <strong>la</strong> loi d'harmonie, que naît le mal, <strong>la</strong>souffrance. C'est par le r<strong>et</strong>our graduel <strong>et</strong> volontaire du même être dansc<strong>et</strong>te harmonie que se rétablit le bien, c'est-à-dire l'équilibre moral. Danstoute pensée, dans toute oeuvre, il y a action <strong>et</strong> réaction, <strong>et</strong> celle-ci esttoujours proportionnelle en intensité à l'action réalisée. Aussi pouvonsnousdire : l'être récolte exactement ce qu'il a semé.Il le récolte en eff<strong>et</strong>, puisque, par son action continue, il modifie sapropre nature, il affine ou matérialise son enveloppe fluidique, levéhicule <strong>de</strong> l'âme, l'instrument qui sert à toutes ses manifestations <strong>et</strong> <strong>sur</strong>lequel se modèle le corps physique à chaque renaissance.


234 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEENous l'avons vu précé<strong>de</strong>mment, notre situation dans l'Au-<strong>de</strong>là résulte<strong>de</strong>s actions répétées que nos pensées <strong>et</strong> notre volonté exercentconstamment <strong>sur</strong> le périsprit. Suivant leur nature <strong>et</strong> leur objectif, elles l<strong>et</strong>ransforment peu à peu en un organisme subtil <strong>et</strong> radiant, ouvert aux plushautes perceptions, aux sensations les plus délicates <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'espace,capable <strong>de</strong> vibrer harmoniquement avec les esprits élevés <strong>et</strong> <strong>de</strong> participeraux joies <strong>et</strong> aux impressions <strong>de</strong> l'infini. Dans le sens inverse, elles enferont une forme opaque, grossière, enchaînée à <strong>la</strong> terre par samatérialité même <strong>et</strong> condamnée à rester confinée dans les basses régions.C<strong>et</strong>te action continue <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté, exercée à <strong>la</strong> suite<strong>de</strong>s siècles <strong>et</strong> <strong>de</strong>s existences <strong>sur</strong> le périsprit, nous fait comprendrecomment se créent <strong>et</strong> se développent nos aptitu<strong>de</strong>s physiques, aussi bienque nos facultés intellectuelles <strong>et</strong> nos qualités morales.Nos aptitu<strong>de</strong>s pour chaque genre <strong>de</strong> travail, notre habil<strong>et</strong>é, notre<strong>de</strong>xtérité en toutes choses sont le résultat d'innombrables actionsmécaniques accumulées <strong>et</strong> enregistrées par le corps subtil, <strong>de</strong> même qu<strong>et</strong>ous les souvenirs <strong>et</strong> les acquis mentaux sont gravés dans <strong>la</strong> conscienceprofon<strong>de</strong>. A <strong>la</strong> renaissance, ces aptitu<strong>de</strong>s sont transmises, par unenouvelle éducation, <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience externe aux organes matériels.Ainsi s'explique l'habil<strong>et</strong>é consommée <strong>et</strong> presque native <strong>de</strong> certainsmusiciens <strong>et</strong>, en général, <strong>de</strong> tous ceux qui montrent dans un domainequelconque, une supériorité d'exécution qui <strong>sur</strong>prend à première vue.Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s facultés <strong>et</strong> <strong>de</strong>s vertus, <strong>de</strong> toutes les richesses <strong>de</strong>l'âme acquises à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong>s temps. <strong>Le</strong> génie est un long <strong>et</strong> immenseeffort dans l'ordre intellectuel, <strong>et</strong> <strong>la</strong> saint<strong>et</strong>é a été conquise par une luttesécu<strong>la</strong>ire contre les passions <strong>et</strong> les attractions inférieures.Avec un peu d'attention nous pourrions étudier <strong>et</strong> suivre en nous leprocessus <strong>de</strong> notre évolution morale. Chaque fois que nousaccomplissons une bonne action, un acte généreux, une oeuvre <strong>de</strong>charité, <strong>de</strong> dévouement, à chaque sacrifice du moi, ne sentons-nous pasune sorte <strong>de</strong> di<strong>la</strong>tation intérieure ? Quelque chose semble s'épanouir ennous. Une f<strong>la</strong>mme s'allume ou s'avive aux profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> l'être.C<strong>et</strong>te sensation n'est pas illusoire. L'esprit s'éc<strong>la</strong>ire à chaque penséealtruiste, à chaque é<strong>la</strong>n <strong>de</strong> solidarité <strong>et</strong> <strong>de</strong> pur amour. Si ces pensées <strong>et</strong>ces actes se répètent, se multiplient, s'accumulent, l'homme se trouvecomme transformé à l'issue <strong>de</strong> son existence terrestre. L'âme <strong>et</strong> sonenveloppe fluidique auront acquis un pouvoir <strong>de</strong> radiation plus intense.


LA LOI DES DESTINEES 235Dans le sens contraire, toute pensée mauvaise, tout acte coupable,toute fâcheuse habitu<strong>de</strong> provoque un resserrement, une contraction <strong>de</strong>l'être psychique, dont les éléments se con<strong>de</strong>nsent, s'enténèbrent, sechargent <strong>de</strong> flui<strong>de</strong>s grossiers.<strong>Le</strong>s actes violents, <strong>la</strong> cruauté, le meurtre, le suici<strong>de</strong>, produisent dansl'organisme du coupable un trouble, un ébranlement prolongé, qui serépercute <strong>de</strong> renaissance en renaissance <strong>sur</strong> le corps matériel <strong>et</strong> se traduiten ma<strong>la</strong>dies nerveuses, en tics, convulsions, <strong>et</strong> même en difformités, eninfirmités, en cas <strong>de</strong> folie, suivant <strong>la</strong> gravité <strong>de</strong>s causes <strong>et</strong> <strong>la</strong> puissance<strong>de</strong>s forces en action. Tout manquement à <strong>la</strong> loi entraîne unamoindrissement, un ma<strong>la</strong>ise, une privation <strong>de</strong> liberté.<strong>Le</strong>s vies impures, <strong>la</strong> luxure, l'ivrognerie, <strong>la</strong> débauche, nous ramènenten <strong>de</strong>s corps débiles, dépourvus <strong>de</strong> vigueur, <strong>de</strong> santé, <strong>de</strong> beauté. L'êtrehumain qui abuse <strong>de</strong> ses forces vitales se condamne lui-même à unavenir misérable, à <strong>de</strong>s infirmités plus ou moins cruelles.Tantôt <strong>la</strong> réparation s'effectue en une longue vie <strong>de</strong> souffrances,nécessaire pour détruire en nous les causes du mal, ou bien en uneexistence courte <strong>et</strong> difficile, close par une mort tragique. Une attractionmystérieuse rassemble parfois les coupables <strong>de</strong> fort loin <strong>sur</strong> un pointdonné, pour les frapper en commun. Citons comme exemples lescatastrophes célèbres, les grands sinistres, les morts collectives, tels quel'incendie du bazar <strong>de</strong> <strong>la</strong> Charité, l'explosion <strong>de</strong> Courrières, celle <strong>de</strong>l'Iéna, le naufrage du Titanic <strong>et</strong> <strong>de</strong> tant d'autres navires.Ainsi s'expliquent les brèves existences. Elles sont le complément <strong>de</strong>vies précé<strong>de</strong>ntes, trop tôt closes, abrégées prématurément, soit par <strong>de</strong>sexcès, <strong>de</strong>s abus ou par toute autre cause morale, <strong>et</strong> qui, normalement,auraient dû se prolonger.Il faut se gar<strong>de</strong>r d'assimiler à ces cas les morts d'enfants en bas âge. Lacourte vie d'un enfant peut être une épreuve pour les parents, commepour l'esprit qui veut s'incarner. En général, c'est simplement une entréemanquée <strong>sur</strong> le théâtre <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, soit pour <strong>de</strong>s causes physiques, soit parun défaut d'adaptation entre les flui<strong>de</strong>s. Dans ce cas, <strong>la</strong> tentatived'incarnation se renouvelle peu après dans le même milieu ; elle sereproduit jusqu'à réussite complète, ou bien, si les difficultés sontin<strong>sur</strong>montables, elle s'effectue dans un milieu plus favorable.** *


236 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEToutes ces considérations le démontrent : pour as<strong>sur</strong>er l'épurationfluidique <strong>et</strong> le bon état moral <strong>de</strong> l'être, il y a une discipline <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée àétablir, une hygiène <strong>de</strong> l'âme à suivre, comme il y a une hygiènephysique à observer pour maintenir <strong>la</strong> santé du corps.D'après c<strong>et</strong>te action constante <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté <strong>sur</strong> lepérisprit, on voit que <strong>la</strong> rétribution est absolument parfaite. Chacunrecueille le fruit impérissable <strong>de</strong> ses oeuvres passées <strong>et</strong> présentes. Il lerecueille, non pas par l'eff<strong>et</strong> d'une cause extérieure, mais par unenchaînement qui relie en nous-mêmes <strong>la</strong> peine à <strong>la</strong> joie, l'effort ausuccès, <strong>la</strong> faute au châtiment. C'est donc dans l'intimité secrète <strong>de</strong> nospensées <strong>et</strong> le grand jour <strong>de</strong> nos actes qu'il faut chercher <strong>la</strong> causeefficiente <strong>de</strong> notre situation présente <strong>et</strong> à venir.Nous sommes p<strong>la</strong>cés suivant nos mérites dans le milieu où nosantécé<strong>de</strong>nts nous appellent. Si nous nous trouvons malheureux, c'estparce que nous ne sommes pas assez parfaits pour jouir d'un meilleursort. Mais notre <strong>de</strong>stinée s'améliorera dès que nous saurons faire naîtreen nous plus <strong>de</strong> désintéressement, <strong>de</strong> justice <strong>et</strong> d'amour. L'être doitperfectionner, embellir sans cesse sa nature intime, augmenter sa valeurpropre, construire l'édifice <strong>de</strong> sa conscience : tel est le but <strong>de</strong> sonévolution.Chacun <strong>de</strong> nous possè<strong>de</strong> ce génie particulier que les Drui<strong>de</strong>sappe<strong>la</strong>ient l'awen, c'est-à-dire l'aptitu<strong>de</strong> primordiale <strong>de</strong> tout être àréaliser une <strong>de</strong>s formes spéciales <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée divine. Dieu a déposé aufond <strong>de</strong> l'âme les germes <strong>de</strong> facultés puissantes <strong>et</strong> variées ; toutefois, ilest une <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> son génie qu'elle est appelée à développer par<strong>de</strong>ssustoutes les autres, par un travail constant, jusqu'à ce qu'elle l'aitporté à son point d'excellence. Ces formes sont innombrables. Ce sontles aspects multiples <strong>de</strong> l'intelligence, <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> beautééternelles : <strong>la</strong> musique, <strong>la</strong> poésie, l'éloquence, le don d'invention, <strong>la</strong>prévision <strong>de</strong> l'avenir <strong>et</strong> <strong>de</strong>s choses cachées, <strong>la</strong> science ou <strong>la</strong> force, <strong>la</strong>bonté, le don d'éducation, le pouvoir <strong>de</strong> guérir, <strong>et</strong>c..En proj<strong>et</strong>ant l'entité humaine, <strong>la</strong> pensée divine l'imprègne plusparticulièrement d'une <strong>de</strong> ces forces <strong>et</strong> par ce<strong>la</strong> même lui assigne un rôlespécial dans le vaste concert universel.<strong>Le</strong>s missions <strong>de</strong> l'être, sa <strong>de</strong>stinée, son action dans l'évolution généralese préciseront <strong>de</strong> plus en plus dans le sens <strong>de</strong> ses aptitu<strong>de</strong>s propres,aptitu<strong>de</strong>s d'abord <strong>la</strong>tentes <strong>et</strong> confuses au début <strong>de</strong> sa course, mais qui


LA LOI DES DESTINEES 237vont s'éveiller, grandir, s'accentuer, à me<strong>sur</strong>e qu'il parcourra <strong>la</strong> spiraleimmense. <strong>Le</strong>s intuitions, les inspirations qu'il recevra d'en hautrépondront à ce côté spécial <strong>de</strong> son caractère. Selon ses besoins <strong>et</strong> sesappels, c'est sous c<strong>et</strong>te forme qu'il percevra, au fond <strong>de</strong> lui-même, <strong>la</strong>mélodie divine.Ainsi Dieu, <strong>de</strong> <strong>la</strong> variété infinie <strong>de</strong>s contrastes sait faire jaillirl'harmonie, aussi bien dans <strong>la</strong> nature qu'au sein <strong>de</strong>s humanités.Et si l'âme abuse <strong>de</strong> ces dons, si elle les applique aux oeuvres du mal,si elle en conçoit <strong>de</strong> <strong>la</strong> vanité ou <strong>de</strong> l'orgueil, il lui faudra, commeexpiation, renaître en <strong>de</strong>s organismes impuissants à les manifester. Ellevivra, génie méconnu, humilié, parmi les hommes, assez longtemps pourque <strong>la</strong> douleur ait triomphé <strong>de</strong>s excès <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité <strong>et</strong> lui ait permis<strong>de</strong> reprendre son essor sublime, sa course, un moment interrompue, versl'idéal.** *Ames humaines qui parcourez ces pages, élevez vos pensées <strong>et</strong> vosrésolutions à <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong>s tâches qui vous échoient. <strong>Le</strong>s routes <strong>de</strong>l'infini s'ouvrent <strong>de</strong>vant vous, semées <strong>de</strong> merveilles inépuisables. Enquelque point que votre essor vous porte, partout <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s d'étu<strong>de</strong> vousatten<strong>de</strong>nt, avec <strong>de</strong>s sources intarissables <strong>de</strong> joies <strong>et</strong> <strong>de</strong>s éblouissements<strong>de</strong> lumière <strong>et</strong> <strong>de</strong> beauté. Partout <strong>et</strong> toujours, <strong>de</strong>s horizons insoupçonnéssuccé<strong>de</strong>ront aux horizons parcourus.Tout est beauté dans l'oeuvre divine. Dans votre ascension, il vous estréservé d'en goûter les aspects innombrables, souriants ou terribles,<strong>de</strong>puis <strong>la</strong> fleur délicate jusqu'aux astres f<strong>la</strong>mboyants, d'assister auxéclosions <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>s humanités. En même temps, vous sentirezse développer votre compréhension <strong>de</strong>s choses célestes <strong>et</strong> s'accroîtrevotre désir ar<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> pénétrer Dieu, <strong>de</strong> plonger en lui, dans sa lumière,dans son amour ; en Dieu, notre source, notre essence, notre vie !L'intelligence humaine ne saurait décrire les avenirs pressentis, lesascensions entrevues. Notre esprit, enfermé dans un corps d'argile, dansles liens d'un organisme périssable, ne peut y trouver les ressourcesnécessaires pour exprimer ces splen<strong>de</strong>urs ; l'expression restera toujoursau-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s réalités. L'âme, dans ses intuitions profon<strong>de</strong>s, a <strong>la</strong>sensation <strong>de</strong>s choses infinies dont elle participe <strong>et</strong> auxquelles elle aspire.Sa <strong>de</strong>stinée est d'en vivre <strong>et</strong> d'en jouir dans une me<strong>sur</strong>e croissante. Mais


238 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEelle chercherait en vain à les exprimer avec les balbutiements d'unefaible <strong>la</strong>ngue humaine ; en vain elle s'ingénierait à traduire les choseséternelles dans le pauvre <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre. La parole est impuissante,mais <strong>la</strong> conscience évoluée perçoit les subtiles radiations <strong>de</strong> <strong>la</strong> viesupérieure.Un jour viendra où l'âme agrandie dominera le temps <strong>et</strong> l'espace. Unsiècle ne sera plus pour elle qu'un instant dans <strong>la</strong> durée <strong>et</strong>, d'un éc<strong>la</strong>ir <strong>de</strong>sa pensée, elle franchira les abîmes du ciel. Son organisme subtil, affinépar <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> vies, vibrera à tous les souffles, à toutes les voies, àtous les appels <strong>de</strong> l'immensité. Sa mémoire plongera aux âges évanouis.Elle pourra revivre à volonté tout ce qu'elle aura vécu, appeler à elle ourejoindre les âmes chéries qui auront partagé ses joies <strong>et</strong> ses douleurs.Car toutes les affections du passé se r<strong>et</strong>rouvent <strong>et</strong> se relient dans <strong>la</strong> vie<strong>de</strong> l'espace ; <strong>de</strong> nouvelles amitiés se nouent <strong>et</strong>, <strong>de</strong> proche en proche, unecommunion plus puissante rassemble les êtres dans une unité <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong>sentiment <strong>et</strong> d'action.Crois, aime, espère, homme, mon frère, puis... agis ! Applique-toi àfaire passer dans ton oeuvre les refl<strong>et</strong>s <strong>et</strong> les espérances <strong>de</strong> ta pensée, lesaspirations <strong>de</strong> ton coeur, les joies <strong>et</strong> les certitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> ton âme immortelle.Communique ta foi aux intelligences qui t'entourent <strong>et</strong> partagent ta vie,afin qu'elles te secon<strong>de</strong>nt dans ta tâche <strong>et</strong> que, par toute <strong>la</strong> terre, un effortpuissant soulève le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong>s oppressions matérielles, triomphe <strong>de</strong>spassions grossières, ouvre une <strong>la</strong>rge issue aux envolées <strong>de</strong> l'esprit.Bientôt une science jeune <strong>et</strong> renouvelée - non plus <strong>la</strong> science <strong>de</strong>spréjugés, <strong>de</strong>s routines, <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s étroites <strong>et</strong> vieillies, mais unescience ouverte à toutes les recherches, à toutes les investigations, <strong>la</strong>science <strong>de</strong> l'invisible <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là - viendra fécon<strong>de</strong>r l'enseignement,éc<strong>la</strong>irer <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée, fortifier <strong>la</strong> conscience. La foi en <strong>la</strong> <strong>sur</strong>vivances'édifiera sous <strong>de</strong>s formes plus belles, appuyées <strong>sur</strong> le roc <strong>de</strong> l'expérience<strong>et</strong> défiant toute critique.Un art plus idéaliste <strong>et</strong> plus pur, éc<strong>la</strong>iré <strong>de</strong>s lumières qui ne s'éteignentpas, image <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie radieuse, refl<strong>et</strong> du ciel entrevu, viendra réjouir <strong>et</strong>vivifier l'esprit <strong>et</strong> les sens.Et il en sera <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s religions, <strong>de</strong>s croyances, <strong>de</strong>s systèmes. Dansl'essor <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée pour s'élever <strong>de</strong>s vérités d'ordre re<strong>la</strong>tif aux véritésd'ordre supérieur, ils arriveront à se rapprocher, à se joindre, à se fondre,pour faire <strong>de</strong>s croyances multiples du passé, hostiles ou mortes, une foi


LA LOI DES DESTINEES 239vivante qui réunira l'humanité dans un même é<strong>la</strong>n d'adoration <strong>et</strong> <strong>de</strong>prière.Travaille <strong>de</strong> toutes les puissances <strong>de</strong> ton être à préparer c<strong>et</strong>teévolution. Il faut que l'activité humaine se porte avec plus d'intensitévers les routes <strong>de</strong> l'esprit. Après l'humanité physique, il faut créerl'humanité morale ; après les corps, les âmes ! Ce qui a été conquis enénergies matérielles, en forces extérieures, a été perdu en connaissancesprofon<strong>de</strong>s, en révé<strong>la</strong>tions du sens intime. L'homme a triomphé du mon<strong>de</strong>visible ; ses trouées pratiquées dans l'univers physique sont immenses ; illui reste à conquérir le mon<strong>de</strong> intérieur, à connaître sa propre nature <strong>et</strong> lesecr<strong>et</strong> <strong>de</strong> son splendi<strong>de</strong> avenir.Ne discute donc pas, mais agis. La discussion est vaine ; <strong>la</strong> critique,stérile. Mais l'action peut être gran<strong>de</strong>, si elle consiste à te grandir toimême,en agrandissant les autres, à faire ton être meilleur <strong>et</strong> plus beau.Car, n'oublie pas que tu travailles pour toi en travail<strong>la</strong>nt pour tous, ent'associant à <strong>la</strong> tâche commune. L'univers, comme ton âme, serenouvelle, se perpétue <strong>et</strong> s'embellit sans cesse par le travail <strong>et</strong> parl'échange. Et Dieu, en perfectionnant son ouvrage, en jouit comme tujouis du tien en l'embellissant. Ton oeuvre <strong>la</strong> plus belle, c'est toi-même.Par tes efforts constants, tu peux faire <strong>de</strong> ton intelligence, <strong>de</strong> taconscience, une oeuvre admirable, dont tu jouiras indéfiniment. Chacune<strong>de</strong> tes vies est un creus<strong>et</strong> fécond d'où tu dois sortir apte à <strong>de</strong>s tâches, à<strong>de</strong>s missions toujours plus hautes, appropriées à tes forces, <strong>et</strong> dontchacune sera ta récompense <strong>et</strong> ta joie.Ainsi, <strong>de</strong> tes mains, jour par jour, tu façonnes ta <strong>de</strong>stinée. Tu renaîtrasdans les formes que tes désirs construisent, que tes oeuvres enfantent,jusqu'à ce que tes désirs <strong>et</strong> tes appels aient préparé pour toi <strong>de</strong>s formes <strong>et</strong><strong>de</strong>s organismes supérieurs à ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre. Tu renaîtras dans lesmilieux que tu aimes, près <strong>de</strong>s êtres chéris qui, déjà, ont été associés àtes travaux, à tes vies, <strong>et</strong> qui revivront avec toi <strong>et</strong> pour toi, comme turevivras avec eux <strong>et</strong> pour eux.Puis ton évolution terrestre achevée, lorsque tu auras exalté tesfacultés <strong>et</strong> tes forces à un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> puissance suffisant, quand tu aurasvidé <strong>la</strong> coupe <strong>de</strong>s souffrances, <strong>de</strong>s amertumes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s félicités que nousoffre ce mon<strong>de</strong>, creusé ses sciences <strong>et</strong> ses croyances, communié avectous les aspects du génie humain, alors tu monteras avec tes aimés versd'autres mon<strong>de</strong>s plus beaux, mon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> paix <strong>et</strong> d'harmonie.


240 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEEt, ta <strong>de</strong>rnière enveloppe humaine r<strong>et</strong>ournée aux poussières terrestres,ton essence épurée parvenue aux régions spirituelles, ton souvenir <strong>et</strong> tonoeuvre soutiendront encore les hommes, tes frères, dans leurs luttes <strong>et</strong>leurs épreuves, <strong>et</strong> tu pourras te dire avec <strong>la</strong> joie d'une consciencesereine : Mon passage <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre n'aura pas été stérile ; mes effortsn'auront pas été vains.


LA VOLONTE 241TROISIEME PARTIE-LES PUISSANCES DE L'AME.XX. - LA VOLONTE.L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'être, à <strong>la</strong>quelle nous avons consacré <strong>la</strong> première partie <strong>de</strong>c<strong>et</strong> ouvrage, nous a <strong>la</strong>issé entrevoir le puissant réseau <strong>de</strong>s forces, <strong>de</strong>sénergies cachées en nous. Elle nous a montré que tout notre avenir, dansson développement illimité, y est contenu en germe. <strong>Le</strong>s causes dubonheur ne se trouvent pas en <strong>de</strong>s lieux déterminés <strong>de</strong> l'espace ; ellessont en nous, dans les profon<strong>de</strong>urs mystérieuses <strong>de</strong> l'âme.C'est ce que confirment toutes les gran<strong>de</strong>s doctrines :«<strong>Le</strong> royaume <strong>de</strong>s cieux est au-<strong>de</strong>dans <strong>de</strong> vous», a dit le Christ.La même pensée est exprimée sous une autre forme dans les Védas :«Tu portes en toi un ami sublime que tu ne connais pas.»La sagesse persane n'est pas moins affirmative : «Vous vivez au milieu<strong>de</strong> magasins pleins <strong>de</strong> richesses <strong>et</strong> vous mourez <strong>de</strong> faim à <strong>la</strong> porte.»(Suffis Ferdousis.)Tous les grands enseignements concor<strong>de</strong>nt <strong>sur</strong> ce point : c'est dans <strong>la</strong>vie intérieure, dans l'éclosion <strong>de</strong> nos pouvoirs, <strong>de</strong> nos facultés, <strong>de</strong> nosvertus qu'est <strong>la</strong> source <strong>de</strong> félicités futures.Regardons attentivement au fond <strong>de</strong> nous-mêmes ; fermons notreenten<strong>de</strong>ment aux choses externes <strong>et</strong>, après avoir habitué nos senspsychiques à l'obscurité <strong>et</strong> au silence, nous verrons <strong>sur</strong>gir <strong>de</strong>s lumièresinattendues, nous entendrons <strong>de</strong>s voix fortifiantes <strong>et</strong> conso<strong>la</strong>trices. Maisil est peu d'hommes qui sachent lire en eux, explorer ces r<strong>et</strong>raites oùdorment <strong>de</strong>s trésors inestimables. Nous dépensons notre vie en chosesbanales, oiseuses ; nous parcourons le chemin <strong>de</strong> l'existence sans riensavoir <strong>de</strong> nous-mêmes, <strong>de</strong> ces richesses psychiques dont <strong>la</strong> mise envaleur nous procurerait <strong>de</strong>s jouissances sans nombre.Il y a dans toute âme humaine <strong>de</strong>ux centres ou plutôt <strong>de</strong>ux sphèresd'action <strong>et</strong> d'expression : l'une, extérieure à l'autre, manifeste <strong>la</strong>personnalité, le moi, avec ses passions, ses faiblesses, sa mobilité, son


242 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEinsuffisance. Aussi longtemps qu'elle règle notre conduite, c'est <strong>la</strong> vieinférieure, semée d'épreuves <strong>et</strong> <strong>de</strong> maux.L'autre, intérieure, profon<strong>de</strong>, immuable, est à <strong>la</strong> fois le siège <strong>de</strong> <strong>la</strong>conscience, <strong>la</strong> source <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie spirituelle, le temple <strong>de</strong> Dieu en nous.C'est seulement lorsque ce centre d'action domine l'autre, lorsque sesimpulsions nous dirigent, que se révèlent nos puissances cachées <strong>et</strong> quel'esprit s'affirme dans son éc<strong>la</strong>t <strong>et</strong> sa beauté. C'est par lui que nous noustenons en communion avec «ce Père qui <strong>de</strong>meure en nous», suivant <strong>la</strong>parole du Christ, ce Père qui est le foyer <strong>de</strong> tout amour, le principe <strong>de</strong>toutes les gran<strong>de</strong>s actions.Par l'un, nous nous perpétuons dans les mon<strong>de</strong>s matériels où tout estinfériorité, incertitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> douleur ; par l'autre, nous accédons aux mon<strong>de</strong>scélestes, où tout est paix, sérénité, gran<strong>de</strong>ur. Ce n'est que par <strong>la</strong>manifestation croissante <strong>de</strong> l'esprit divin en nous que nous parvenons àvaincre le moi égoïste, <strong>et</strong> à nous associer pleinement à l'oeuvreuniverselle <strong>et</strong> éternelle, à nous créer une vie heureuse <strong>et</strong> parfaite.Par quel moyen m<strong>et</strong>trons-nous en mouvement ces puissancesintérieures <strong>et</strong> les orienterons-nous vers un haut idéal ? Par <strong>la</strong> volonté !L'usage persistant, tenace, <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te faculté maîtresse nous perm<strong>et</strong>tra <strong>de</strong>modifier notre nature, <strong>de</strong> vaincre tous les obstacles, <strong>de</strong> dominer <strong>la</strong>matière, <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort.C'est par <strong>la</strong> volonté que nous dirigeons nos pensées vers un but précis.Chez <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s hommes, les pensées flottent sans cesse. <strong>Le</strong>urmobilité constante, leur variété infinie <strong>la</strong>issent peu <strong>de</strong> prise auxinfluences supérieures. Il faut savoir se concentrer, m<strong>et</strong>tre son moi enaccord avec <strong>la</strong> pensée divine. Alors se produit <strong>la</strong> fécondation <strong>de</strong> l'âmehumaine par l'Esprit divin qui l'enveloppe, <strong>la</strong> pénètre, <strong>la</strong> rend apte àréaliser <strong>de</strong> nobles tâches, <strong>la</strong> prépare à c<strong>et</strong>te vie <strong>de</strong> l'espace dont elleentrevoit, dès ce mon<strong>de</strong>, les splen<strong>de</strong>urs affaiblies. <strong>Le</strong>s Esprits élevés sevoient <strong>et</strong> s'enten<strong>de</strong>nt penser. <strong>Le</strong>urs pensées sont <strong>de</strong>s harmoniespénétrantes, tandis que les nôtres ne sont trop souvent que discordance <strong>et</strong>confusion. Apprenons donc à nous servir <strong>de</strong> notre volonté <strong>et</strong>, par elle, àunir nos pensées à tout ce qui est grand, à l'harmonie universelle, dontles vibrations emplissent l'espace <strong>et</strong> bercent les mon<strong>de</strong>s.** *


LA VOLONTE 243La volonté est le plus grand <strong>de</strong> tous les pouvoirs. Dans son action, elleest comparable à un aimant. La volonté <strong>de</strong> vivre, <strong>de</strong> développer en soi <strong>la</strong>vie, attire à nous <strong>de</strong> nouvelles ressources vitales. C'est là le secr<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong>loi d'évolution. La volonté peut agir avec intensité <strong>sur</strong> le corps fluidique,activer ses vibrations <strong>et</strong>, par là, l'approprier à un mo<strong>de</strong> toujours plusélevé <strong>de</strong> sensations, le préparer à un plus haut <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> l'existence.<strong>Le</strong> principe d'évolution n'est pas dans <strong>la</strong> matière ; il est dans <strong>la</strong>volonté, dont l'action s'étend à l'ordre invisible <strong>de</strong>s choses comme àl'ordre visible <strong>et</strong> matériel. Celui-ci n'est qu'une conséquence <strong>de</strong> celui-là.<strong>Le</strong> principe supérieur, le moteur <strong>de</strong> l'existence, c'est <strong>la</strong> volonté. Lavolonté divine est le grand moteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie universelle.Ce qui importe par-<strong>de</strong>ssus tout, c'est <strong>de</strong> comprendre que nous pouvonstout réaliser dans le domaine psychique. Aucune force ne reste stérilelorsqu'elle s'exerce d'une façon constante en vue d'un but conforme audroit <strong>et</strong> à <strong>la</strong> justice. C'est le cas pour <strong>la</strong> volonté ; elle peut agir égalementdans le sommeil <strong>et</strong> dans <strong>la</strong> veille, car l'âme vail<strong>la</strong>nte qui s'est fixée unbut, le recherche avec ténacité dans l'une comme dans l'autre <strong>de</strong>s phases<strong>de</strong> sa vie <strong>et</strong> détermine ainsi un courant puissant qui mine lentement,silencieusement tous les obstacles.Et il en est pour <strong>la</strong> préservation comme pour l'action. La volonté, <strong>la</strong>confiance, l'optimisme sont autant <strong>de</strong> forces préservatrices, autant <strong>de</strong>remparts opposés en nous à toute cause <strong>de</strong> trouble, <strong>de</strong> perturbation,intérieure <strong>et</strong> extérieure. Elles suffisent parfois, à elles seules, à détournerle mal, tandis que le découragement, <strong>la</strong> crainte, <strong>la</strong> mauvaise humeur,nous désarment, nous livrent à lui sans défense. <strong>Le</strong> fait seul <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>ren face ce que nous appelons le mal, le danger, <strong>la</strong> douleur, <strong>la</strong> résolution<strong>de</strong> les affronter, <strong>de</strong> les vaincre, en diminue l'importance <strong>et</strong> l'eff<strong>et</strong>.<strong>Le</strong>s Américains, sous le nom <strong>de</strong> mind-cure (cure mentale) ou sciencechrétienne, ont appliqué c<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> à <strong>la</strong> thérapeutique, <strong>et</strong> on ne peutnier que les résultats atteints soient considérables. C<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> serésume dans <strong>la</strong> formule suivante : «<strong>Le</strong> pessimisme rend faible ;l'optimisme rend fort.» Elle consiste dans une élimination graduelle <strong>de</strong>l'égoïsme, dans l'union complète avec <strong>la</strong> Volonté suprême, source <strong>de</strong>sforces infinies. <strong>Le</strong>s cas <strong>de</strong> guérison sont nombreux <strong>et</strong> s'appuient <strong>sur</strong> <strong>de</strong>stémoignages irrécusables 1 .1 Voir W. James, recteur <strong>de</strong> l'Université Harvard, l'Expérience religieuse, pages 86, 87.Traduction française d'Abauzit.


244 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEECe fut là, du reste, dans tous les temps <strong>et</strong> sous <strong>de</strong>s formes diverses, leprincipe <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé physique <strong>et</strong> morale.Dans l'ordre physique, par exemple, on ne détruit pas les infusoires,les infiniment p<strong>et</strong>its qui vivent <strong>et</strong> se multiplient en nous ; mais on sefortifie afin <strong>de</strong> leur <strong>la</strong>isser moins <strong>de</strong> prise. De même, dans l'ordre moral,on n'éloigne pas toujours les vicissitu<strong>de</strong>s du sort ; mais on peut se rendreassez fort pour les supporter allègrement ; on s'élève au-<strong>de</strong>ssus d'ellespar un effort mental ; on les domine, on les asservit <strong>de</strong> telle façonqu'elles per<strong>de</strong>nt tout caractère menaçant pour se transformer enauxiliaires <strong>de</strong> notre progrès <strong>et</strong> <strong>de</strong> notre bien.Nous avons démontré ailleurs, en nous appuyant <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s faits récents,le pouvoir <strong>de</strong> l'âme <strong>sur</strong> le corps dans <strong>la</strong> suggestion <strong>et</strong> l'auto-suggestion 2 .Nous rappellerons seulement quelques autres exemples encore plusconcluants :Louise Lateau, <strong>la</strong> stigmatisée <strong>de</strong> Bois-d'Haine - dont le cas fut étudiépar une commission <strong>de</strong> l'Académie <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Belgique - enméditant <strong>sur</strong> <strong>la</strong> passion du Christ, se faisait saigner à volonté, <strong>de</strong>s pieds,<strong>de</strong>s mains <strong>et</strong> du côté gauche. L'hémorragie durait pendant plusieursheures 3 .Pierre Jan<strong>et</strong> a observé <strong>de</strong>s cas analogues à <strong>la</strong> Salpêtrière, à Paris. Uneextatique présentait <strong>de</strong>s stigmates aux pieds alors que ceux-ci étaientenfermés dans un appareil 4 .Louis Vivé, dans ses crises, se donnait l'ordre <strong>de</strong> saigner à <strong>de</strong>s heuresdéterminées <strong>et</strong> le phénomène se produisait avec exactitu<strong>de</strong>.<strong>Le</strong> même ordre <strong>de</strong> faits se r<strong>et</strong>rouve en certains rêves, ainsi que dans lesphénomènes dits noevi ou marques <strong>de</strong> naissance 5 . Dans tous lesdomaines <strong>de</strong> l'observation, nous rencontrons <strong>la</strong> preuve que <strong>la</strong> volontéimpressionne <strong>la</strong> matière <strong>et</strong> peut l'asservir à ses <strong>de</strong>sseins. C<strong>et</strong>te loi semanifeste avec plus d'intensité encore dans le champ <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie invisible.C'est en vertu <strong>de</strong>s mêmes règles que les Esprits créent les formes <strong>et</strong> lesattributs qui nous perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> les reconnaître dans les séances <strong>de</strong>matérialisation.2 Voir Après <strong>la</strong> mort, chapitre XXXII. La volonté <strong>et</strong> les flui<strong>de</strong>s. Dans l'Invisible, chapitre XV.3 Docteur Warlomont, Louise Lateau, <strong>la</strong> stigmatisée <strong>de</strong> Bois-d'Haine. Bruxelles, 1873.4 P. Jan<strong>et</strong>, Une extatique. Bull<strong>et</strong>in <strong>de</strong> l'Institut psychologique, juill<strong>et</strong>, août, septembre 1901.5 Voir, entre autres, le Bull<strong>et</strong>in <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société psychique <strong>de</strong> Marseille, octobre 1903.


LA VOLONTE 245Par <strong>la</strong> volonté créatrice <strong>de</strong>s grands Esprits <strong>et</strong>, par-<strong>de</strong>ssus tout, <strong>de</strong>l'Esprit divin, toute une vie merveilleuse se développe <strong>et</strong> s'étage, <strong>de</strong><strong>de</strong>grés en <strong>de</strong>grés, à l'infini, dans les profon<strong>de</strong>urs du ciel, vieincomparablement supérieure à toutes les féeries enfantées par l'arthumain, <strong>et</strong> d'autant plus parfaite qu'elle se rapproche davantage <strong>de</strong> Dieu.Si l'homme connaissait l'étendue <strong>de</strong>s ressources qui germent en lui, ilen serait peut être ébloui ; mais, au lieu <strong>de</strong> se croire faible <strong>et</strong> <strong>de</strong> craindrel'avenir, il comprendrait sa force ; il sentirait qu'il peut lui-même créerc<strong>et</strong> avenir.Chaque âme est un foyer <strong>de</strong> vibrations que <strong>la</strong> volonté active. Unesociété est un groupement <strong>de</strong> volontés qui, lorsqu'elles sont unies,dirigées vers un même but, constituent un centre <strong>de</strong> forces irrésistibles.<strong>Le</strong>s humanités sont <strong>de</strong>s foyers plus puissants encore qui vibrent à traversl'immensité.Par l'éducation <strong>et</strong> l'entraînement <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté, certains peuplesarrivent à <strong>de</strong>s résultats qui semblent tenir du prodige.L'énergie mentale, <strong>la</strong> vigueur d'esprit <strong>de</strong>s Japonais, leur mépris <strong>de</strong> <strong>la</strong>douleur, leur impassibilité <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> mort, ont fait l'étonnement <strong>de</strong>sOcci<strong>de</strong>ntaux <strong>et</strong> ont été pour ceux-ci une sorte <strong>de</strong> révé<strong>la</strong>tion. <strong>Le</strong> Japonaisest habitué dès l'enfance à dominer ses impressions, à ne rien <strong>la</strong>issertrahir <strong>de</strong>s ennuis, <strong>de</strong>s déceptions, <strong>de</strong>s souffrances qu'il endure, à resterimpénétrable, à ne jamais se p<strong>la</strong>indre, jamais s'emporter, à faire toujoursbon visage à mauvaise fortune.Une telle éducation trempe les courages <strong>et</strong> as<strong>sur</strong>e le succès en touteschoses. Dans <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> tragédie <strong>de</strong> l'existence <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'histoire, l'héroïsmejoue le rôle capital, <strong>et</strong> c'est <strong>la</strong> volonté qui fait les héros.C<strong>et</strong> état d'esprit n'est pas spécial aux Japonais. <strong>Le</strong>s Hindous, au moyen<strong>de</strong> ce qu'ils appellent le hâtha-yoga ou exercice <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté, arriventaussi à supprimer en eux le sentiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur physique.On peut juger par là combien l'éducation mentale <strong>et</strong> l'objectif <strong>de</strong>sAsiatiques sont différents <strong>de</strong>s nôtres. Tout, chez eux, tend à développerl'homme intérieur, sa volonté, sa conscience, en vue <strong>de</strong>s vastes cyclesd'évolution qui lui sont ouverts, tandis que l'Européen adopte <strong>de</strong>préférence comme objectif les biens immédiats, limités par le cercle <strong>de</strong> <strong>la</strong>vie présente. <strong>Le</strong>s buts à atteindre, dans les <strong>de</strong>ux cas, sont divergents, <strong>et</strong>c<strong>et</strong>te divergence résulte d'une conception essentiellement différente durôle <strong>de</strong> l'être dans l'univers. Longtemps, les Asiatiques ont considéré


246 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEavec un étonnement mêlé <strong>de</strong> pitié notre agitation fébrile, notreengouement pour <strong>de</strong>s choses contingentes <strong>et</strong> sans len<strong>de</strong>main, notreignorance <strong>de</strong>s choses stables, profon<strong>de</strong>s, in<strong>de</strong>structibles, qui constituent<strong>la</strong> véritable force <strong>de</strong> l'homme. De là le contraste frappant qu'offrent lescivilisations <strong>de</strong> l'Orient <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'Occi<strong>de</strong>nt. La supériorité appartientévi<strong>de</strong>mment à celle qui embrasse le plus vaste horizon <strong>et</strong> s'inspire <strong>de</strong>svéritables lois <strong>de</strong> l'âme <strong>et</strong> <strong>de</strong> son avenir. Elle a pu paraître arriérée auxobservateurs superficiels, aussi longtemps que les <strong>de</strong>ux civilisations ontévolué parallèlement sans trop se heurter. Mais, <strong>de</strong>puis que les nécessités<strong>de</strong> l'existence <strong>et</strong> <strong>la</strong> pression croissante <strong>de</strong>s peuples d'Occi<strong>de</strong>nt ont forcéles Asiatiques à entrer dans le courant <strong>de</strong>s progrès mo<strong>de</strong>rnes - <strong>et</strong> c'est lecas pour les Japonais - on a pu voir que les qualités éminentes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>terace, en se manifestant dans le domaine matériel, pouvaient égalementleur as<strong>sur</strong>er <strong>la</strong> suprématie. Si c<strong>et</strong> état <strong>de</strong> choses s'accentue, comme c'est àcraindre, si le Japon réussit à entraîner avec lui tout l'Extrême-Orient, ilest possible que <strong>la</strong> domination du mon<strong>de</strong> change d'axe <strong>et</strong> passe d'unerace à l'autre, <strong>sur</strong>tout si l'Europe persiste à se désintéresser <strong>de</strong> ce quiconstitue le plus haut objectif <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie humaine <strong>et</strong> à se contenter d'unidéal inférieur <strong>et</strong> quasi barbare.Même en restreignant le champ <strong>de</strong> nos observations à <strong>la</strong> seule raceb<strong>la</strong>nche, nous <strong>de</strong>vons constater que, là aussi, les nations à volonté plusferme, plus tenace, prennent peu à peu le <strong>de</strong>ssus <strong>sur</strong> les autres. C'est lecas pour les peuples anglo-saxons. Nous voyons ce qu'a pu réaliserl'Angl<strong>et</strong>erre, dans <strong>la</strong> poursuite, à travers les siècles, <strong>de</strong> son p<strong>la</strong>n d'action.L'Allemagne, elle-même, avec son esprit <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>, a su maintenir sacohésion, malgré ses revers. L'Amérique du Nord se fait également unep<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> plus en plus prépondérante dans le concert <strong>de</strong>s peuples.La France, par contre, est, en général, une nation à volontéchangeante. Nous passons d'une idée à une autre, avec une extrêmemobilité, <strong>et</strong> ce travers n'est pas étranger aux vicissitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> notrehistoire. <strong>Le</strong>s premiers é<strong>la</strong>ns sont, chez nous, admirables ; l'enthousiasmeest vibrant. Mais si nous entreprenons facilement une oeuvre, nousl'abandonnons parfois assez vite, alors que déjà elle s'édifie en pensée <strong>et</strong>que les éléments <strong>de</strong> réussite se groupent en silence autour d'elle. Aussi lemon<strong>de</strong> présente <strong>de</strong> nombreuses traces à <strong>de</strong>mi effacées <strong>de</strong> notre actionpassagère, <strong>de</strong> nos efforts trop tôt suspendus.


LA VOLONTE 247<strong>Le</strong> pessimisme <strong>et</strong> le matérialisme, qui se répan<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> plus en plusparmi nous, ten<strong>de</strong>nt encore à amoindrir les qualités généreuses <strong>de</strong> notrerace que <strong>la</strong> guerre avait réveillées. <strong>Le</strong>s ressources profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'espritnational s'atrophient, faute d'une éducation forte <strong>et</strong> d'un idéal élevé.Apprenons donc à nous créer une volonté puissante. Fortifions autour<strong>de</strong> nous les esprits <strong>et</strong> les coeurs, si nous ne voulons pas voir notre paysvoué à une déca<strong>de</strong>nce irrémédiable.** *Vouloir c'est pouvoir ! La puissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté est sans limites.L'homme conscient <strong>de</strong> lui-même, <strong>de</strong> ses ressources <strong>la</strong>tentes, sent croîtreses forces en raison <strong>de</strong> ses efforts. Il sait que tout ce qu'il désire <strong>de</strong> bien<strong>et</strong> <strong>de</strong> bon doit s'accomplir tôt ou tard, inévitablement, soit dans leprésent, soit dans <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> ses existences, lorsque sa pensée s'accor<strong>de</strong>avec <strong>la</strong> loi divine. Et c'est en ce<strong>la</strong> que se vérifie <strong>la</strong> parole céleste : «Lafoi transporte les montagnes.»N'est-il pas conso<strong>la</strong>nt <strong>et</strong> beau <strong>de</strong> pouvoir se dire : Je suis uneintelligence <strong>et</strong> une volonté libres ; je me suis fait moi-même,inconsciemment, à travers les âges ; j'ai édifié lentement monindividualité <strong>et</strong> ma liberté, <strong>et</strong> maintenant je connais <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> <strong>la</strong>force qui sont en moi. Je m'appuierai <strong>sur</strong> elles ; je ne les <strong>la</strong>isserai pas sevoiler d'un seul doute, même un seul instant, <strong>et</strong>, par elles, avec l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>Dieu <strong>et</strong> <strong>de</strong> mes frères <strong>de</strong> l'espace, je m'élèverai au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> toutes lesdifficultés ; je vaincrai le mal en moi ; je me détacherai <strong>de</strong> tout ce quim'enchaîne aux choses grossières, pour prendre mon essor vers lesmon<strong>de</strong>s heureux.Je vois c<strong>la</strong>irement <strong>la</strong> route qui se déroule <strong>et</strong> que je suis appelé àparcourir ; elle se poursuit à travers l'étendue <strong>et</strong> n'a pas <strong>de</strong> fin. Mais pourme conduire dans c<strong>et</strong>te route infinie, j'ai un gui<strong>de</strong> sûr : c'est <strong>la</strong>compréhension <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong> progrès <strong>et</strong> d'amour qui régit touteschoses. J'ai appris à me connaître, à croire en moi <strong>et</strong> en Dieu. Par là, jepossè<strong>de</strong> <strong>la</strong> clé <strong>de</strong> toute élévation. Et dans c<strong>et</strong>te voie immense qui s'ouvre<strong>de</strong>vant mes pas, je me tiendrai ferme, inébran<strong>la</strong>ble, dans ma volonté <strong>de</strong>grandir <strong>et</strong> <strong>de</strong> m'élever plus haut <strong>et</strong>, avec le secours <strong>de</strong> mon intelligence,qui est fille <strong>de</strong> Dieu, j'attirerai à moi toutes les richesses morales <strong>et</strong>participerai à toutes les merveilles du Cosmos.


248 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEMa volonté me crie : En avant, toujours en avant ; toujours plus <strong>de</strong>connaissance, plus <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong> vie divine ! Et par elle, je conquerrai c<strong>et</strong>teplénitu<strong>de</strong> d'existence, je me construirai une personnalité meilleure, plusrayonnante <strong>et</strong> plus aimante. Je suis sorti pour toujours <strong>de</strong> l'état inférieur<strong>de</strong> l'être ignorant, inconscient <strong>de</strong> sa valeur <strong>et</strong> <strong>de</strong> son pouvoir ; jem'affirme dans l'indépendance <strong>et</strong> <strong>la</strong> dignité <strong>de</strong> ma conscience <strong>et</strong> tends <strong>la</strong>main à tous mes frères en leur disant :Réveillez-vous <strong>de</strong> votre lourd sommeil ; déchirez le voile matériel quivous enveloppe. Apprenez à vous connaître, à connaître les puissancesqui sont en vous <strong>et</strong> à les utiliser. Toutes les voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, toutes lesvoix <strong>de</strong> l'espace vous crient : «<strong>Le</strong>vez-vous <strong>et</strong> marchez ! hâtez-vous pour<strong>la</strong> conquête <strong>de</strong> vos <strong>de</strong>stinées !»A vous tous qui ployez sous le poids <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, qui, vous croyant seuls<strong>et</strong> faibles, vous <strong>la</strong>issez aller à <strong>la</strong> tristesse, au désespoir, ou qui aspirez aunéant, je viens dire : Il n'y a pas <strong>de</strong> néant ; <strong>la</strong> mort est une nouvellenaissance, un acheminement vers <strong>de</strong> nouvelles tâches, <strong>de</strong> nouveauxtravaux, <strong>de</strong> nouvelles moissons. La vie est une communion universelle <strong>et</strong>éternelle qui relie Dieu à tous ses enfants.A vous tous qui vous croyez usés par les souffrances <strong>et</strong> les déceptions,pauvres êtres affligés coeurs <strong>de</strong>sséchés par l'âpre vent <strong>de</strong>s épreuves,esprits froissés, déchirés par <strong>la</strong> roue <strong>de</strong> fer <strong>de</strong> l'adversité, je viens dire : Iln'est pas d'âme incapable <strong>de</strong> renaissances <strong>et</strong> <strong>de</strong> floraisons nouvelles.Vous n'avez qu'à vouloir <strong>et</strong> vous sentirez s'éveiller en vous <strong>de</strong>s forcesinconnues. Croyez en vous, à votre rajeunissement en <strong>de</strong> nouvelles vies ;croyez à vos <strong>de</strong>stinées immortelles. Croyez en Dieu, soleil <strong>de</strong>s soleils,foyer immense dont une étincelle brille en vous <strong>et</strong> peut allumer unear<strong>de</strong>nte <strong>et</strong> généreuse f<strong>la</strong>mme !Sachez que tout homme peut être bon <strong>et</strong> heureux ; pour le <strong>de</strong>venir, ilsuffit qu'il le veuille avec énergie <strong>et</strong> continuité. C<strong>et</strong>te conception mentale<strong>de</strong> l'être, mûrie dans l'obscurité <strong>de</strong>s existences douloureuses, préparéepar <strong>la</strong> lente évolution <strong>de</strong>s âges, s'épanouira dans <strong>la</strong> lumière <strong>de</strong>s viessupérieures, <strong>et</strong> tous acquerront c<strong>et</strong>te magnifique individualité qui nousest réservée.Dirigez sans cesse votre pensée vers c<strong>et</strong>te vérité, que vous pouvez<strong>de</strong>venir ce que vous voudrez être, <strong>et</strong> sachez vouloir être toujours plusgrands <strong>et</strong> meilleurs. C'est là <strong>la</strong> notion du progrès éternel <strong>et</strong> le moyen <strong>de</strong>le réaliser ; c'est là le secr<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> force mentale d'où découlent toutes les


LA VOLONTE 249forces magnétiques <strong>et</strong> psychiques. Quand vous aurez acquis c<strong>et</strong>temaîtrise <strong>sur</strong> vous-mêmes, vous n'aurez plus à redouter ni les reculs, niles chutes, ni les ma<strong>la</strong>dies, ni <strong>la</strong> mort ; vous aurez fait <strong>de</strong> votre moiintérieur <strong>et</strong> fragile une individualité haute, stable, puissante !XXI. - LA CONSCIENCE, LE SENS INTIME.Nos étu<strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>ntes nous l'ont démontré : l'âme est une émanation,une parcelle <strong>de</strong> l'Absolu. Ses vies ont pour but <strong>la</strong> manifestationgrandissante <strong>de</strong> ce qu'il y a <strong>de</strong> divin en elle, l'accroissement <strong>de</strong> l'empirequ'elle est appelée à exercer au-<strong>de</strong>dans <strong>et</strong> au <strong>de</strong>hors, à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses sens<strong>et</strong> <strong>de</strong> ses énergies <strong>la</strong>tentes.On peut atteindre ce résultat par <strong>de</strong>s procédés divers, par <strong>la</strong> science ou<strong>la</strong> méditation, par le travail ou l'entraînement moral. <strong>Le</strong> meilleur procédéconsiste à utiliser tous ces mo<strong>de</strong>s d'application, à les compléter les unspar les autres. Mais le plus efficace <strong>de</strong> tous est encore l'examen intérieur,l'introspection. Ajoutons-y l'affranchissement <strong>de</strong>s liens matériels, <strong>la</strong>ferme volonté <strong>de</strong> s'améliorer, l'union avec Dieu, en esprit <strong>et</strong> en vérité, <strong>et</strong>nous verrons que toute religion véritable, toute philosophie profon<strong>de</strong>trouve là sa source <strong>et</strong> se résume en ces formules. <strong>Le</strong> reste, doctrines,formes cultuelles, rites <strong>et</strong> pratiques, n'est que le vêtement extérieur quicache aux yeux <strong>de</strong>s foules l'âme <strong>de</strong>s religions.Victor Hugo écrivait dans le Post-scriptum <strong>de</strong> ma vie : «C'est au<strong>de</strong>dans<strong>de</strong> soi qu'il faut regar<strong>de</strong>r le <strong>de</strong>hors... En nous penchant <strong>sur</strong> cepuits, notre esprit, nous y apercevons, à une distance d'abîme, dans uncercle étroit, le mon<strong>de</strong> immense.»Emerson le disait également : «L'âme est supérieure à ce qu'on peutsavoir d'elle <strong>et</strong> plus sage qu'aucune <strong>de</strong> ses oeuvres.»L'âme se relie, par ses profon<strong>de</strong>urs, à <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> Ame universelle <strong>et</strong>éternelle, dont elle est comme une vibration. C<strong>et</strong>te origine, c<strong>et</strong>teparticipation à <strong>la</strong> divine nature expliquent les besoins irrésistibles <strong>de</strong>l'esprit évolué : besoin d'infini, <strong>de</strong> justice, <strong>de</strong> lumière, besoin <strong>de</strong> son<strong>de</strong>rtous les mystères, d'étancher sa soif aux sources vives <strong>et</strong> intarissablesdont il pressent l'existence, mais qu'il ne parvient pas à découvrir dans lep<strong>la</strong>n <strong>de</strong> ses vies terrestres.De là proviennent nos aspirations les plus hautes, notre désir <strong>de</strong> savoir,jamais satisfait, notre sentiment du beau <strong>et</strong> du bien ; <strong>de</strong> là les lueurs


250 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEsoudaines qui illuminent <strong>de</strong> temps à autre les ténèbres <strong>de</strong> l'existence, <strong>et</strong>ces pressentiments, c<strong>et</strong>te prévision <strong>de</strong> l'avenir, éc<strong>la</strong>irs fugitifs dansl'abîme du temps, qui luisent parfois pour certaines intelligences.Au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face du moi, <strong>sur</strong>face agitée par les désirs, lesespérances <strong>et</strong> les craintes, est le sanctuaire où trône <strong>la</strong> Conscienceintégrale, calme, paisible, sereine, le principe <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sagesse <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong>Raison, dont <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s hommes n'ont connaissance que par <strong>de</strong>sour<strong>de</strong>s impulsions ou par <strong>de</strong> vagues refl<strong>et</strong>s entrevus.Tout le secr<strong>et</strong> du bonheur, <strong>de</strong> <strong>la</strong> perfection est dans l'i<strong>de</strong>ntification,dans <strong>la</strong> fusion en nous <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux p<strong>la</strong>ns ou foyers psychiques. La cause<strong>de</strong> tous nos maux, <strong>de</strong> toutes nos misères morales est dans leuropposition.Dans <strong>la</strong> Critique <strong>de</strong> <strong>la</strong> Raison pure, le grand philosophe <strong>de</strong>Koenigsberg a démontré que <strong>la</strong> raison humaine, c'est-à-dire c<strong>et</strong>te raison<strong>de</strong> <strong>sur</strong>face dont nous parlons, ne pouvait, d'elle-même, rien saisir, rienprouver <strong>de</strong> ce qui touche aux réalités du mon<strong>de</strong> transcendantal, auxsources <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, à l'esprit, à l'âme, à Dieu. C<strong>et</strong>te argumentation aboutitlogiquement <strong>et</strong> nécessairement à c<strong>et</strong>te conséquence, qu'il existe en nousun principe, une raison plus profon<strong>de</strong> qui, au moyen <strong>de</strong> <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tionintérieure, nous initie aux vérités <strong>et</strong> aux lois du mon<strong>de</strong> spirituel.William James le reconnaît en ces termes : «<strong>Le</strong> Moi conscient ne faitqu'un avec un Moi plus grand d'où lui vient <strong>la</strong> délivrance 1 .» Et plusloin :<strong>Le</strong>s prolongements du moi conscient s'éten<strong>de</strong>nt bien au-<strong>de</strong>là du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong>sensation <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison. Pour autant que nos tendances vers l'idéal ont leur originedans c<strong>et</strong> au-<strong>de</strong>là, nous y sommes enracinés plus profondément que dans le mon<strong>de</strong>visible.La conscience est donc, comme le dit W. James, le centre <strong>de</strong> <strong>la</strong>personnalité, centre permanent, in<strong>de</strong>structible, qui persiste <strong>et</strong> semaintient à travers toutes les transformations <strong>de</strong> l'individu. Laconscience est non seulement <strong>la</strong> faculté <strong>de</strong> percevoir, mais encore lesentiment que nous avons <strong>de</strong> vivre, d'agir, <strong>de</strong> penser, <strong>de</strong> vouloir. Elle estune <strong>et</strong> indivisible. La pluralité <strong>de</strong> ses états ne prouve rien, nous l'avonsvu, contre c<strong>et</strong>te unité. Ces états sont successifs, comme les perceptionsqui s'y rattachent, <strong>et</strong> non simultanés. Pour démontrer qu'il existe en nousplusieurs centres autonomes <strong>de</strong> conscience, il faudrait prouver aussi qu'il1 W. James, l'Expérience religieuse, pages 421 <strong>et</strong> 429.


LA CONSCIENCE, LE SENS INTIME 251y a <strong>de</strong>s actions <strong>et</strong> <strong>de</strong>s perceptions simultanées <strong>et</strong> différentes ; mais ce<strong>la</strong>n'est pas <strong>et</strong> ne peut pas être.Toutefois, <strong>la</strong> conscience, dans son unité, présente, nous le savons,plusieurs p<strong>la</strong>ns, plusieurs aspects. Physique, elle se confond avec ce que<strong>la</strong> science appelle le sensorium, c'est-à-dire <strong>la</strong> faculté <strong>de</strong> concentrer lessensations extérieures, <strong>de</strong> les coordonner, <strong>de</strong> les définir, d'en saisir lescauses <strong>et</strong> d'en déterminer les eff<strong>et</strong>s. Peu à peu, par le fait même <strong>de</strong>l'évolution, ces sensations se multiplient <strong>et</strong> s'affinent <strong>et</strong> <strong>la</strong> conscienceintellectuelle s'éveille. Désormais, son développement n'aura plus <strong>de</strong>bornes, puisqu'elle pourra embrasser toutes les manifestations <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieinfinie. Alors écloront le sentiment <strong>et</strong> le jugement, <strong>et</strong> l'âme se percevraelle-même. Elle <strong>de</strong>viendra à <strong>la</strong> fois suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> obj<strong>et</strong>. Dans <strong>la</strong> multiplicité <strong>et</strong><strong>la</strong> variété <strong>de</strong> ses opérations mentales, elle aura toujours conscience <strong>de</strong> cequ'elle pense <strong>et</strong> veut.<strong>Le</strong> moi s'affirme <strong>et</strong> grandit <strong>et</strong> <strong>la</strong> personnalité se complète par <strong>la</strong>manifestation <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience morale ou spirituelle. La faculté <strong>de</strong>percevoir les eff<strong>et</strong>s du mon<strong>de</strong> sensible s'exercera sous <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s plusélevés. Elle <strong>de</strong>viendra <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> ressentir les vibrations du mon<strong>de</strong>moral, d'en discerner les causes <strong>et</strong> les lois.C'est par ses sens intérieurs que l'être humain perçoit les faits <strong>et</strong> lesvérités d'ordre transcendantal. <strong>Le</strong>s sens physiques sont trompeurs ; ils nedistinguent que l'apparence <strong>de</strong>s choses <strong>et</strong> ne seraient rien sans cesensorium qui groupe, centralise leurs perceptions <strong>et</strong> les transm<strong>et</strong> àl'âme ; celle-ci enregistre le tout <strong>et</strong> en dégage l'eff<strong>et</strong> utile. Mais au<strong>de</strong>ssous<strong>de</strong> ce sensorium <strong>de</strong> <strong>sur</strong>face, il en est un autre plus caché, quidiscerne les règles <strong>et</strong> les choses du mon<strong>de</strong> métaphysique. C'est ce sensprofond, méconnu, inutilisé par <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s hommes, que certainsexpérimentateurs ont désigné sous le nom <strong>de</strong> conscience subliminale.La plupart <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s découvertes n'ont été que <strong>la</strong> confirmation, dansl'ordre physique, <strong>de</strong>s idées perçues par l'intuition ou le sens intime. Parexemple, Newton avait conçu <strong>de</strong>puis longtemps <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong> l'attractionuniverselle, lorsque <strong>la</strong> chute d'une pomme vint en faire à ses sensmatériels <strong>la</strong> démonstration objective.De même qu'il existe en nous un organisme <strong>et</strong> un sensorium physiquesqui nous m<strong>et</strong>tent en rapport avec les êtres <strong>et</strong> les choses du p<strong>la</strong>n matériel,<strong>de</strong> même il est un sens spirituel à l'ai<strong>de</strong> duquel certains hommespénètrent, dès maintenant, dans le domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie invisible. Après <strong>la</strong>


252 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEmort, dès que le voile <strong>de</strong> <strong>la</strong> chair sera tombé, ce sens <strong>de</strong>viendra le centreunique <strong>de</strong> nos perceptions.C'est dans l'extension <strong>et</strong> <strong>la</strong> libération croissantes <strong>de</strong> ce sens spirituelqu'est <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> notre évolution psychique, <strong>la</strong> rénovation <strong>de</strong> l'être, lesecr<strong>et</strong> <strong>de</strong> son illumination intérieure <strong>et</strong> progressive. Par lui nous nousdétachons du re<strong>la</strong>tif <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'illusoire, <strong>de</strong> toutes les contingencesmatérielles, pour nous attacher <strong>de</strong> plus en plus à l'immuable <strong>et</strong> à l'absolu.Aussi, <strong>la</strong> science expérimentale sera-t-elle toujours insuffisante,malgré les avantages qu'elle offre <strong>et</strong> les conquêtes qu'elle réalise, si ellen'est complétée par l'intuition, par c<strong>et</strong>te sorte <strong>de</strong> divination intérieure quinous fait découvrir les vérités essentielles. Il est une merveille <strong>sur</strong>passanttoutes celles du <strong>de</strong>hors ; c<strong>et</strong>te merveille, c'est nous-mêmes ; c'est cemiroir caché dans l'homme <strong>et</strong> qui réfléchit tout l'univers.Ceux qui s'absorbent dans l'étu<strong>de</strong> exclusive <strong>de</strong>s phénomènes, dans <strong>la</strong>poursuite <strong>de</strong>s formes changeantes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s faits extérieurs, cherchentsouvent bien loin c<strong>et</strong>te certitu<strong>de</strong>, ce critérium qui est en eux. Ilsnégligent d'écouter les voix intimes, <strong>de</strong> consulter les facultésd'enten<strong>de</strong>ment qui se développent <strong>et</strong> s'affinent dans l'étu<strong>de</strong> silencieuse <strong>et</strong>recueillie. C'est pourquoi les choses <strong>de</strong> l'invisible, <strong>de</strong> l'impalpable, dudivin, imperceptibles pour tant <strong>de</strong> savants, sont perçues quelquefois par<strong>de</strong>s ignorants. <strong>Le</strong> plus beau livre est en nous-mêmes. L'infini s'y révèle.Heureux celui qui peut y lire !Tout ce domaine reste fermé au positiviste, qui dédaigne <strong>la</strong> seule clef,le seul instrument à l'ai<strong>de</strong> duquel on puisse y pénétrer. Il s'évertue àexpérimenter, au moyen <strong>de</strong> ses sens physiques <strong>et</strong> d'instruments matériels,ce qui échappe à toute me<strong>sur</strong>e objective. Aussi, l'homme <strong>de</strong>s sensextérieurs raisonne-t-il du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong>s êtres métaphysiques comme unsourd raisonne <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> mélodie, <strong>et</strong> un aveugle, <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong>l'optique. Mais que le sens intime s'éveille <strong>et</strong> s'illumine en lui ; alors,comparée à c<strong>et</strong>te lumière qui l'inon<strong>de</strong>, <strong>la</strong> science terrestre, si gran<strong>de</strong> à sesyeux auparavant, se rap<strong>et</strong>issera aussitôt.L'éminent psychologue américain William James, recteur <strong>de</strong>l'Université Harvard 2 , le déc<strong>la</strong>rait en ces termes :Je puis me m<strong>et</strong>tre dans l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'homme <strong>de</strong> science, <strong>et</strong> me représentervivement qu'il n'existe rien en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensation <strong>et</strong> <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière. Maisje ne puis le faire sans entendre une admonition intérieure : «Fantasmagorie que2 W. James, l'Expérience religieuse, page 436.


LA CONSCIENCE, LE SENS INTIME 253tout ce<strong>la</strong> !» Toute l'expérience humaine, dans sa vivante réalité, me pousseirrésistiblement à sortir <strong>de</strong>s étroites limites où prétend nous enfermer <strong>la</strong> science.<strong>Le</strong> mon<strong>de</strong> réel est autrement constitué, bien plus riche <strong>et</strong> plus complexe que celui<strong>de</strong> <strong>la</strong> science.Après Myers <strong>et</strong> Flournoy, dont nous avons cité les opinions, W. Jamesétablit à son tour que <strong>la</strong> psychologie officielle ne peut plus méconnaîtreces seuils <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience profon<strong>de</strong>, p<strong>la</strong>cés au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> <strong>la</strong> consciencenormale. Il le dit formellement 3 :Notre conscience normale n'est qu'un type particulier <strong>de</strong> conscience, séparé,comme par une fine membrane, <strong>de</strong> plusieurs autres qui atten<strong>de</strong>nt le momentfavorable pour entrer en jeu. Nous pouvons traverser <strong>la</strong> vie sans soupçonner leurexistence ; mais, en présence du stimu<strong>la</strong>nt convenable, ils apparaissent réels <strong>et</strong>compl<strong>et</strong>s.Et plus loin :Quand un homme tend consciemment vers un idéal c'est en général vers quelquechose <strong>de</strong> vague <strong>et</strong> d'imprécis. Et cependant, tout au fond <strong>de</strong> son organisme il existe<strong>de</strong>s forces qui grandissent <strong>et</strong> vont dans un sens déterminé ; les faibles effortsqu'éc<strong>la</strong>ire sa conscience suscitent <strong>de</strong>s efforts subconscients, alliés vigoureux quitravaillent dans l'ombre ; mais ces forces organiques convergent vers un résultatqui souvent n'est pas le même, <strong>et</strong> qui est toujours mieux déterminé que l'idéalconçu, médité, voulu par <strong>la</strong> conscience c<strong>la</strong>ire.Tout ceci le confirme : <strong>la</strong> cause initiale, le principe <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensationn'est pas dans le corps, mais dans l'âme. <strong>Le</strong>s sens physiques ne sont que<strong>la</strong> manifestation extérieure <strong>et</strong> grossière, le prolongement, à <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face <strong>de</strong>l'être, <strong>de</strong>s sens intimes <strong>et</strong> cachés.<strong>Le</strong> Chicago Chronicle, <strong>de</strong> décembre 1905, rapporte un casextraordinaire <strong>de</strong> manifestation du sixième sens. Il s'agit d'une jeune fille<strong>de</strong> 17 ans, aveugle <strong>et</strong> sour<strong>de</strong>-mu<strong>et</strong>te <strong>de</strong>puis l'âge <strong>de</strong> 6 ans, <strong>et</strong> chez<strong>la</strong>quelle s'est développée, <strong>de</strong>puis c<strong>et</strong>te époque, une faculté nouvelle :El<strong>la</strong> Hopkins appartient à une bonne famille d'Utica, N. Y.. Il y a trois ans, ellefut p<strong>la</strong>cée par ses parents dans une institution <strong>de</strong> New-York <strong>de</strong>stinée à l'instruction<strong>de</strong>s sourds-mu<strong>et</strong>s. Comme aux autres enfants <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te maison, on lui apprit à lire, àentendre <strong>et</strong> à s'exprimer au moyen <strong>de</strong>s doigts.Non seulement El<strong>la</strong> s'est appropriée rapi<strong>de</strong>ment ce <strong>la</strong>ngage, mais elle en estarrivée à percevoir ce qui se passe autour d'elle aussi aisément que si elle jouissait<strong>de</strong> ses sens normaux. Elle sait qui entre <strong>et</strong> sort, si c'est une personne <strong>de</strong>connaissance ou un étranger. Elle suit <strong>et</strong> saisit <strong>la</strong> conversation tenue à voix bassedans <strong>la</strong> pièce où elle se trouve, <strong>et</strong>, <strong>sur</strong> votre <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, <strong>la</strong> r<strong>et</strong>race fidèlement parécrit. Il ne s'agit pas d'une lecture <strong>de</strong> pensée directe, puisque <strong>la</strong> jeune fille ne3 W. James, l'Expérience religieuse, page 329 <strong>et</strong> aussi 178.


254 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEcomprend <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong>s personnes présentes que lorsqu'elles lui donnent uneexpression vocale.Mais c<strong>et</strong>te faculté a <strong>de</strong>s intermittences <strong>et</strong> se montre parfois sous d'autres aspects.La mémoire d'El<strong>la</strong> est <strong>de</strong>s plus remarquables. Ce qu'elle a une fois appris - <strong>et</strong>elle apprend vite - n'est jamais oublié. Assise <strong>de</strong>vant sa machine à écrire, les yeuxfixés - comme s'ils voyaient - avec un intérêt intense <strong>sur</strong> les touches <strong>de</strong>l'instrument, dont elle se sert avec une extrême précision, elle a toute l'apparenced'une jeune femme intelligente, en pleine possession <strong>de</strong> ses facultés normales. <strong>Le</strong>syeux sont c<strong>la</strong>irs <strong>et</strong> expressifs, <strong>la</strong> physionomie animée <strong>et</strong> changeante. On ne sedouterait nullement qu'El<strong>la</strong> est aveugle, sour<strong>de</strong> <strong>et</strong> mu<strong>et</strong>te.<strong>Le</strong> directeur <strong>de</strong> l'institution, M. Currier, est habitué, il faut croire, à l'éclosion <strong>de</strong>facultés anormales chez ces pauvres affligés, puisqu'il ne paraît pas étonné du cas<strong>de</strong> <strong>la</strong> jeune fille. «Nous sommes tous, dit-il, conscients <strong>de</strong> certaines choses, sans lesecours apparent <strong>de</strong>s sens ordinaires... Ceux qui sont privés <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou trois <strong>de</strong> cessens <strong>et</strong> forcés <strong>de</strong> compter <strong>sur</strong> le développement d'autres facultés pour lesremp<strong>la</strong>cer voient naturellement celles-ci grandir <strong>et</strong> se fortifier.»Il y a dans <strong>la</strong> même c<strong>la</strong>sse qu'El<strong>la</strong> <strong>de</strong>ux autres jeunes filles également aveugles,sour<strong>de</strong>s <strong>et</strong> mu<strong>et</strong>tes, qui possè<strong>de</strong>nt aussi ce «sixième sens», quoique à un <strong>de</strong>grémoindre. C'est p<strong>la</strong>isir, paraît-il, <strong>de</strong> les voir toutes trois échanger rapi<strong>de</strong>ment le vol<strong>de</strong> leurs pensées, ayant à peine besoin du contact léger <strong>de</strong> leurs doigts sensitifs.A l'énumération <strong>de</strong> ces faits, nous ajouterons un témoignage <strong>de</strong> hautevaleur, celui du professeur César Lombroso, <strong>de</strong> l'Université <strong>de</strong> Turin. Ilécrivait dans <strong>la</strong> revue italienne Aréna (juin 1907) :En 1891 j'eus à me débattre, dans ma pratique médicale, contre l'un <strong>de</strong>sphénomènes les plus curieux qui se soient jamais présentés à moi. J'eus à soigner<strong>la</strong> fille d'un haut fonctionnaire <strong>de</strong> ma ville natale ; c<strong>et</strong>te personne fut soudainatteinte, à l'époque <strong>de</strong> <strong>la</strong> puberté, d'un violent accès d'hystérie, avecaccompagnement <strong>de</strong> symptômes dont ni <strong>la</strong> pathologie, ni <strong>la</strong> physiologie nepouvaient donner l'explication. Par moments, ses yeux perdaient totalement <strong>la</strong>faculté <strong>de</strong> voir, <strong>et</strong> en revanche <strong>la</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> voyait par les oreilles. Elle était capable<strong>de</strong> lire, les yeux bandés, quelques lignes d'imprimerie qu'on présentait à sonoreille. Lorsqu'on p<strong>la</strong>çait une loupe entre son oreille <strong>et</strong> <strong>la</strong> lumière so<strong>la</strong>ire, elleéprouvait comme une brûlure <strong>de</strong>s yeux ; elle s'écriait qu'on vou<strong>la</strong>it l'aveugler...Bien que ces faits ne fussent pas nouveaux, ils n'en étaient pas moins singuliers.J'avoue que, du moins, ils me paraissaient inexplicables par les théoriesphysiologiques <strong>et</strong> pathologiques établies jusqu'alors. Une seule chose meparaissait bien c<strong>la</strong>ire, c'est que c<strong>et</strong> état m<strong>et</strong>tait en action, chez une personneentièrement normale auparavant, <strong>de</strong>s forces singulières en rapport avec <strong>de</strong>s sensinconnus.


LA CONSCIENCE, LE SENS INTIME 255Voici un autre exemple <strong>de</strong> développement <strong>de</strong>s sens psychiques, <strong>sur</strong>lequel nous appelons toute l'attention du lecteur. La personne dont nousallons parler est considérée comme une <strong>de</strong>s merveilles <strong>de</strong> notre époque 4 .Helen Keller est aussi une jeune fille aveugle, sour<strong>de</strong> <strong>et</strong> mu<strong>et</strong>te. Elle ne possè<strong>de</strong>donc en apparence que le sens du toucher pour communiquer avec le mon<strong>de</strong>extérieur. Et cependant elle peut s'entr<strong>et</strong>enir en trois <strong>la</strong>ngues avec ses visiteurs ;son bagage intellectuel est considérable ; elle possè<strong>de</strong> un sens esthétique qui luiperm<strong>et</strong> <strong>de</strong> jouir <strong>de</strong>s oeuvres d'art <strong>et</strong> <strong>de</strong>s harmonies <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature. Par le simplecontact <strong>de</strong>s mains, elle discerne le caractère <strong>et</strong> <strong>la</strong> disposition d'esprit <strong>de</strong>s gensqu'elle rencontre. Du bout <strong>de</strong>s doigts elle cueille <strong>la</strong> parole <strong>sur</strong> les lèvres <strong>et</strong> lit dansles livres en palpant les caractères gaufrés spécialement imprimés pour elle. Elles'élève à <strong>la</strong> conception <strong>de</strong>s choses les plus abstraites <strong>et</strong> sa conscience s'illumine <strong>de</strong>c<strong>la</strong>rtés qu'elle puise dans les profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> son âme.Ecoutons ce qu'en dit Mme Ma<strong>et</strong>erlinck, après <strong>la</strong> visite qu'elle lui fit àWrentham (Amérique) :Helen Keller est un être si supérieur, on voit sa raison si équilibrée, si puissante<strong>et</strong> si saine, son intelligence si c<strong>la</strong>ire <strong>et</strong> si belle, qu'aussitôt le problème se renverse.On ne songe plus à être compris, on voudrait comprendre.Helen possè<strong>de</strong> à fond l'algèbre, les mathématiques, quelque peu d'astronomie, le<strong>la</strong>tin <strong>et</strong> le grec : elle lit Molière <strong>et</strong> Anatole France <strong>et</strong> s'exprime dans leur <strong>la</strong>ngue ;elle s'assimile Go<strong>et</strong>he, Schiller, Heine en allemand, Shakespeare, RudyardKipling, Wells en ang<strong>la</strong>is, <strong>et</strong> elle écrit elle-même en philosophe, en psychologue <strong>et</strong>en poète.Son biographe Gérard Harry as<strong>sur</strong>e que l'intensité <strong>de</strong> ses perceptionslui confère les aptitu<strong>de</strong>s d'une liseuse <strong>de</strong> pensée.Evi<strong>de</strong>mment on se trouve là en présence d'un être très évolué, revenu<strong>sur</strong> <strong>la</strong> scène du mon<strong>de</strong> avec tout l'acquis <strong>de</strong>s siècles parcourus.<strong>Le</strong> cas d'Helen prouve que <strong>de</strong>rrière les organes atrophiésmomentanément, existe une conscience <strong>de</strong>puis longtemps familiariséeavec les notions du mon<strong>de</strong> extérieur. Il y a là à <strong>la</strong> fois une démonstration<strong>de</strong>s vies antérieures <strong>de</strong> l'âme <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'existence <strong>de</strong> ses sens propres,indépendants <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière, dominant celle-ci <strong>et</strong> <strong>sur</strong>vivant à toutedésagrégation corporelle.Pour développer, affiner <strong>la</strong> perception d'une façon générale, il fautd'abord éveiller le sens intime, le sens spirituel. La médiumnité nousdémontre qu'il est <strong>de</strong>s êtres humains beaucoup mieux doués, sous lerapport <strong>de</strong> <strong>la</strong> vision <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'audition intérieures, que certains Esprits4 Voir l'ouvrage <strong>de</strong> Gérard Harry <strong>sur</strong> Helen Keller. - Librairie Larousse, avec préface <strong>de</strong> MmeMa<strong>et</strong>erlinck.


256 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEvivant dans l'espace <strong>et</strong> dont les perceptions sont extrêmement limitées,par suite <strong>de</strong> l'insuffisance <strong>de</strong> leur évolution.Plus les pensées <strong>et</strong> les actes sont purs <strong>et</strong> désintéressés, en un mot, plus<strong>la</strong> vie spirituelle est intense <strong>et</strong> prédomine <strong>sur</strong> <strong>la</strong> vie physique, plus lessens intérieurs s'accroissent. <strong>Le</strong> voile qui nous cache le mon<strong>de</strong> fluidiques'amincit, <strong>de</strong>vient transparent <strong>et</strong>, <strong>de</strong>rrière lui, l'âme perçoit unmerveilleux ensemble d'harmonies <strong>et</strong> <strong>de</strong> beautés. En même temps, elle<strong>de</strong>vient plus apte à recueillir <strong>et</strong> à transm<strong>et</strong>tre les révé<strong>la</strong>tions, lesinspirations <strong>de</strong>s Etres supérieurs, car le développement <strong>de</strong>s sens internescoïnci<strong>de</strong> généralement avec une extension <strong>de</strong>s facultés <strong>de</strong> l'esprit, avecune attirance plus énergique <strong>de</strong>s radiations éthérées.Chaque p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> l'Univers, chaque cercle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie correspond à unnombre <strong>de</strong> vibrations qui s'accentuent <strong>et</strong> <strong>de</strong>viennent plus rapi<strong>de</strong>s, plussubtiles, à me<strong>sur</strong>e qu'elles se rapprochent <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie parfaite. <strong>Le</strong>s êtresdoués d'une faible puissance <strong>de</strong> radiation ne peuvent percevoir lesformes <strong>de</strong> vie qui leur sont supérieures. Mais tout esprit est capabled'obtenir, par l'entraînement <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'éducation <strong>de</strong>s sensintimes, une puissance <strong>de</strong> vibration qui lui perm<strong>et</strong> d'agir <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>nstrès étendus. Nous trouvons une preuve <strong>de</strong> l'intensité <strong>de</strong> ce mo<strong>de</strong>d'émission mentale dans ce fait qu'on a vu <strong>de</strong>s mourants, ou <strong>de</strong>spersonnes en danger <strong>de</strong> mort, impressionner télépathiquement, à <strong>de</strong>gran<strong>de</strong>s distances, plusieurs suj<strong>et</strong>s à <strong>la</strong> fois 5 .En réalité, chacun <strong>de</strong> nous pourrait, s'il le vou<strong>la</strong>it, communiquer àtoute heure avec le mon<strong>de</strong> invisible. Nous sommes esprits : par <strong>la</strong>volonté, nous pouvons comman<strong>de</strong>r à <strong>la</strong> matière <strong>et</strong> nous dégager <strong>de</strong> sesliens pour vivre dans une sphère plus libre, <strong>la</strong> sphère <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie superconsciente.Pour ce<strong>la</strong>, une chose est nécessaire, se spiritualiser, revenir à<strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'esprit par une concentration parfaite <strong>de</strong> nos forces intérieures.Alors nous nous trouvons face à face avec un ordre <strong>de</strong> choses que nil'instinct, ni l'expérience, ni même <strong>la</strong> raison ne peuvent saisir.L'âme, dans son expansion, peut briser <strong>la</strong> muraille <strong>de</strong> chair quil'enserre <strong>et</strong> communier par ses sens propres avec les mon<strong>de</strong>s supérieurs<strong>et</strong> divins. C'est ce qu'ont pu faire les voyants <strong>et</strong> les vrais saints, lesgrands mystiques <strong>de</strong> tous les temps <strong>et</strong> <strong>de</strong> toutes les religions 6 .*5 Voir Annales <strong>de</strong>s Sciences psychiques, octobre 1906, pages 611, 613.6 W. James, l'Expérience religieuse, pages 325, 355, 358.


LA CONSCIENCE, LE SENS INTIME 257* *La médiumnité, sous ses formes si variées, est aussi <strong>la</strong> résultante d'unentraînement psychique, qui perm<strong>et</strong> aux sens <strong>de</strong> l'âme d'entrer en action,<strong>de</strong> se substituer, pour un moment, aux sens physiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> percevoir cequi est imperceptible pour les autres hommes. Elle se caractérise <strong>et</strong> sedéveloppe suivant les aptitu<strong>de</strong>s qu'a le sens intime à prédominer d'unefaçon ou <strong>de</strong> l'autre <strong>et</strong> à se manifester par l'une <strong>de</strong>s voies habituelles <strong>de</strong> <strong>la</strong>sensation. L'Esprit désirant se communiquer reconnaît à première vue lesens organique qui, chez le médium, lui servira d'intermédiaire <strong>et</strong> il agit<strong>sur</strong> ce point. Tantôt c'est <strong>la</strong> parole, ou bien l'écriture par l'actionmécanique <strong>de</strong> <strong>la</strong> main ; c'est le cerveau, quand il s'agit <strong>de</strong> <strong>la</strong> médiumnitéintuitive. Dans les incorporations temporaires, c'est <strong>la</strong> possession pleine<strong>et</strong> entière <strong>et</strong> l'adaptation <strong>de</strong>s sens spirituels du possesseur aux sensphysiques du suj<strong>et</strong>.La faculté <strong>la</strong> plus commune est <strong>la</strong> c<strong>la</strong>irvoyance, c'est-à-dire <strong>la</strong>perception, les yeux étant fermés, <strong>de</strong> ce qui se passe au loin, soit dans l<strong>et</strong>emps, soit dans l'espace, dans le passé comme dans l'avenir. C'est <strong>la</strong>pénétration <strong>de</strong> l'esprit du c<strong>la</strong>irvoyant dans les milieux fluidiques, oùs'enregistrent les faits accomplis <strong>et</strong> où s'é<strong>la</strong>borent les p<strong>la</strong>ns <strong>de</strong>s chosesfutures. <strong>Le</strong> plus souvent, <strong>la</strong> c<strong>la</strong>irvoyance s'exerce inconsciemment, sansaucune préparation. Dans ce cas, elle résulte <strong>de</strong> l'évolution naturelle dupercipient ; mais on peut aussi <strong>la</strong> provoquer, <strong>de</strong> même que <strong>la</strong> visionspirite. A ce suj<strong>et</strong>, le colonel <strong>de</strong> Rochas s'exprime comme suit 7 :Mireille me dépeignait ainsi les eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> mes magnétisations <strong>sur</strong> elle :«Quand je suis éveillée, mon âme est enchaînée dans mon corps, <strong>et</strong> je suiscomme une personne qui, enfermée au rez-<strong>de</strong>-chaussée d'une tour, ne voit lemon<strong>de</strong> extérieur qu'à travers les cinq fenêtres <strong>de</strong>s sens, qui ont chacune <strong>de</strong>s verres<strong>de</strong> couleurs différentes. Quand vous me magnétisez, vous me délivrez peu à peu <strong>de</strong>mes chaînes, <strong>et</strong> mon âme, qui aspire toujours à s'élever, s'engage dans l'escalier <strong>de</strong><strong>la</strong> tour, escalier sans fenêtre, <strong>et</strong> je ne vois plus que vous qui me gui<strong>de</strong>z jusqu'aumoment où je débouche <strong>sur</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>te forme supérieure. Là, ma vue s'étend danstoutes les directions avec un sens unique très aiguisé, qui me m<strong>et</strong> en rapport avec<strong>de</strong>s obj<strong>et</strong>s qu'il ne pouvait percevoir à travers les vitres <strong>et</strong> <strong>la</strong> tour.»On peut acquérir aussi <strong>la</strong> c<strong>la</strong>iraudience, l'audition <strong>de</strong>s voix intérieures,mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> communication possible avec les Esprits. Une autremanifestation <strong>de</strong>s sens intimes est <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong>s événements enregistrés,photographiés, en quelque sorte, dans l'ambiance d'un obj<strong>et</strong> antique ou7 A. <strong>de</strong> Rochas, les Vies successives, page 499.


258 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEmo<strong>de</strong>rne. Par exemple, un débris d'arme, une médaille, un fragment <strong>de</strong>sarcophage, une pierre provenant d'une ruine, évoqueront, dans l'âme duvoyant, toute une suite d'images se rattachant aux temps <strong>et</strong> aux lieuxauxquels ces obj<strong>et</strong>s ont appartenu. C'est ce qu'on a appelé <strong>la</strong>psychométrie.Ajoutons encore les rêves symboliques, les rêves prémonitoires <strong>et</strong>même les pressentiments obscurs qui nous avertissent d'un dangerinsoupçonné.Beaucoup <strong>de</strong> personnes, avons-nous dit, ont, sans le savoir, <strong>la</strong>possibilité <strong>de</strong> communiquer par le sens intime avec leurs amis <strong>de</strong>l'espace. De ce nombre sont les âmes vraiment religieuses, c'est-à-direidéalisées, chez qui les épreuves, les souffrances, un long entraînementmoral ont affiné les sens subtils, les ont rendus plus sensibles auxvibrations <strong>de</strong>s pensées extérieures. Souvent, <strong>de</strong>s âmes humaines endétresse se sont adressées à moi pour solliciter <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s avis, <strong>de</strong>sconseils, <strong>de</strong>s indications qu'il ne m'était pas possible <strong>de</strong> leur procurer. Jeleur recommandais alors l'expérience suivante, qui, parfois, réussissait.Repliez-vous <strong>sur</strong> vous-même, leur disais-je, dans l'isolement <strong>et</strong> lesilence. Elevez vos pensées vers Dieu ; appelez votre esprit protecteur,ce gui<strong>de</strong> tuté<strong>la</strong>ire que <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce attache à nos pas dans le voyage <strong>de</strong><strong>la</strong> vie. Interrogez-le <strong>sur</strong> les questions qui vous préoccupent, à <strong>la</strong>condition qu'elles soient dignes <strong>de</strong> lui, dégagées <strong>de</strong> tout bas intérêt ;puis, atten<strong>de</strong>z ! écoutez attentivement en vous-mêmes <strong>et</strong>, au bout d'uninstant, dans les profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> votre conscience, vous entendrezcomme l'écho affaibli d'une voix lointaine, ou plutôt vous percevrez lesvibrations d'une pensée mystérieuse, qui chassera vos doutes, dissiperavos angoisses, vous bercera, vous consolera.C'est là, en eff<strong>et</strong>, une <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> <strong>la</strong> médiumnité <strong>et</strong> non <strong>de</strong>s moinsbelles. Tous peuvent l'obtenir <strong>et</strong> participer à c<strong>et</strong>te communion <strong>de</strong>svivants <strong>et</strong> <strong>de</strong>s morts qui est appelée à s'étendre un jour à l'humanitéentière.On peut même, par ce procédé, correspondre avec le p<strong>la</strong>n divin. En<strong>de</strong>s circonstances difficiles <strong>de</strong> ma vie, lorsque j'hésitais entre lesrésolutions contraires au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> tâche qui m'a été confiée <strong>de</strong> répandreles vérités conso<strong>la</strong>trices du néo-spiritualisme, faisant appel à l'Entitésuprême, j'entendais toujours r<strong>et</strong>entir en moi une voix grave <strong>et</strong> solennellequi me dictait mon <strong>de</strong>voir. C<strong>la</strong>ire <strong>et</strong> distincte pourtant, c<strong>et</strong>te voix


LA CONSCIENCE, LE SENS INTIME 259semb<strong>la</strong>it provenir d'un point très éloigné. Son accent <strong>de</strong> tendresse m<strong>et</strong>ouchait jusqu'aux <strong>la</strong>rmes.** *L'intuition n'est donc, le plus souvent, qu'une <strong>de</strong>s formes employéespar les habitants du mon<strong>de</strong> invisible pour nous transm<strong>et</strong>tre leursavertissements, leurs instructions. D'autres fois, elle sera <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion <strong>de</strong><strong>la</strong> conscience profon<strong>de</strong> à <strong>la</strong> conscience normale. Dans le premier cas,elle peut être considérée comme une inspiration. Par <strong>la</strong> médiumnité,l'Esprit infuse ses idées dans l'enten<strong>de</strong>ment du transm<strong>et</strong>teur. Celui-cifournira l'expression, <strong>la</strong> forme, le <strong>la</strong>ngage <strong>et</strong>, dans <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong> sondéveloppement cérébral, l'Esprit trouvera en lui <strong>de</strong>s moyens plus oumoins sûrs <strong>et</strong> abondants pour communiquer sa pensée dans toute sonétendue <strong>et</strong> son éc<strong>la</strong>t.La pensée <strong>de</strong> l'Esprit agissant est une en son principe d'émission, maiselle varie dans ses manifestations, suivant l'état plus ou moins parfait <strong>de</strong>sinstruments qu'elle emploie. Chaque médium marque <strong>de</strong> l'empreinte <strong>de</strong>sa personnalité l'inspiration qui lui vient <strong>de</strong> plus haut. Plus l'intellect dusuj<strong>et</strong> est cultivé <strong>et</strong> spiritualisé, plus les instincts matériels sontcomprimés en lui, <strong>et</strong> plus <strong>la</strong> pensée supérieure sera transmise avec pur<strong>et</strong>é<strong>et</strong> fidélité.La <strong>la</strong>rge nappe d'un fleuve ne peut s'écouler à travers un étroit canal ;<strong>de</strong> même l'Esprit inspirateur ne réussira à transm<strong>et</strong>tre par l'organisme dumédium que celles <strong>de</strong> ses conceptions qui y trouveront une issuepréparée. Par un grand effort mental, sous l'excitation d'une forceextérieure, le médium pourra exprimer <strong>de</strong>s conceptions au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sonpropre savoir ; mais, dans l'expression <strong>de</strong>s idées suggérées, on r<strong>et</strong>rouverases termes favoris, ses tournures <strong>de</strong> phrases habituelles, quoique lestimu<strong>la</strong>nt qu'il subit prête, pour un instant, plus d'ampleur <strong>et</strong> d'élévationà son <strong>la</strong>ngage.Nous voyons par là quelles difficultés, quels obstacles l'organismehumain oppose à <strong>la</strong> transmission fidèle <strong>et</strong> entière <strong>de</strong>s conceptions <strong>de</strong>l'âme, <strong>et</strong> combien un long entraînement, une éducation prolongée sontnécessaires pour l'assouplir <strong>et</strong> l'adapter aux besoins <strong>de</strong> l'intelligence quile meut. Et ceci ne s'applique pas seulement à l'Esprit désincarné quiveut se manifester à l'ai<strong>de</strong> d'un intermédiaire mortel, mais aussi à l'âmeincarnée elle-même, dont les conceptions profon<strong>de</strong>s ne parviennent


260 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEjamais à se faire jour dans leur plénitu<strong>de</strong> <strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n terrestre, commel'affirment tous les hommes <strong>de</strong> génie <strong>et</strong>, particulièrement, lescompositeurs <strong>et</strong> les poètes.Au premier <strong>de</strong>gré, l'inspiration est consciente ; mais, dès que l'action<strong>de</strong> l'Esprit s'accentue, le médium se trouve sous l'influence d'une forcequi le fait agir indépendamment <strong>de</strong> sa volonté. Ou bien, une sorte <strong>de</strong>pesanteur l'envahit ; ses yeux se voilent <strong>et</strong> il perd conscience <strong>de</strong> luimêmepour passer sous une domination invisible. Dans ce cas, lemédium n'est plus qu'un instrument, un appareil <strong>de</strong> réception <strong>et</strong> <strong>de</strong>transmission. Comme une machine obéit au courant électrique quil'actionne, le médium obéit alors au courant <strong>de</strong> pensées qui l'envahit.Dans l'exercice <strong>de</strong> <strong>la</strong> médiumnité intuitive, à l'état <strong>de</strong> veille, beaucoupse découragent <strong>de</strong>vant l'impossibilité <strong>de</strong> distinguer les idées qui noussont propres <strong>de</strong> celles qui nous sont suggérées. Il est cependant facile,croyons-nous, <strong>de</strong> reconnaître les idées <strong>de</strong> provenance étrangère. Ellesjaillissent spontanément, à l'improviste, comme <strong>de</strong>s lueurs subitesémanant d'un foyer inconnu ; tandis que nos idées personnelles, cellesqui proviennent <strong>de</strong> notre fonds, sont toujours à notre disposition <strong>et</strong>occupent, d'une façon permanente, notre intellect. Non seulement lesidées inspirées <strong>sur</strong>gissent comme par enchantement, mais elles sesuivent, s'enchaînent d'elles-mêmes <strong>et</strong> s'expriment avec rapidité, parfoisd'une manière fébrile.Presque tous les auteurs, écrivains, orateurs, poètes, sont médiums àcertains moments : ils ont l'intuition d'une assistance occulte qui lesinspire <strong>et</strong> participe à leurs travaux. Ils l'avouent eux-mêmes aux heuresd'épanchement.Thomas Paine écrivait :Il n'est personne qui, s'étant occupé <strong>de</strong>s progrès <strong>de</strong> l'esprit humain, n'ait faitc<strong>et</strong>te observation qu'il y a <strong>de</strong>ux c<strong>la</strong>sses bien distinctes <strong>de</strong> ce qu'on nomme Idées ouPensées : celles qui sont produites en nous-mêmes par <strong>la</strong> réflexion <strong>et</strong> celles qui seprécipitent d'elles-mêmes dans notre esprit. Je me suis fait une règle <strong>de</strong> toujoursaccueillir avec politesse ces visiteurs inattendus <strong>et</strong> <strong>de</strong> rechercher avec tout le soindont j'étais capable s'ils méritaient mon attention. Je déc<strong>la</strong>re que c'est à ces hôtesétrangers que je dois toutes les connaissances que je possè<strong>de</strong>.Emerson parle en ces termes du phénomène <strong>de</strong> l'inspiration :<strong>Le</strong>s pensées ne me viennent pas successivement, comme dans un problème <strong>de</strong>mathématiques, mais elles pénètrent d'elles-mêmes dans mon intellect, semb<strong>la</strong>blesà un éc<strong>la</strong>ir qui brille dans les ténèbres <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit. La vérité m'arrive, non par leraisonnement, mais par intuition.


LA CONSCIENCE, LE SENS INTIME 261La rapidité avec <strong>la</strong>quelle Walter Scott, le bar<strong>de</strong> d'Aven, écrivait sesromans était un suj<strong>et</strong> d'étonnement pour ses contemporains. Voicil'explication qu'il en donne lui-même :Vingt fois je me suis mis à l'ouvrage, ayant composé le cadre, <strong>et</strong> jamais <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieje ne l'ai suivi. - Mes doigts travaillent indépendants <strong>de</strong> ma pensée ; - c'est ainsiqu'après avoir écrit le second volume <strong>de</strong> Woodstock, je n'avais pas <strong>la</strong> moindre idéeque l'histoire se déroulerait en une catastrophe dans le troisième volume.Par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> l'Antiquaire, il dit encore :J'ai un p<strong>la</strong>n général ; mais, aussitôt que je prendrai <strong>la</strong> plume, elle courra assezvite <strong>sur</strong> le papier, à tel point que souvent je suis tenté <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>isser aller toute seule,pour voir si elle n'écrira pas aussi bien qu'avec l'assistance <strong>de</strong> ma pensée.Novalis, dont les Fragments <strong>et</strong> les Disciples <strong>de</strong> Saïs <strong>de</strong>meurerontparmi les plus puissants efforts <strong>de</strong> l'esprit humain, écrivait :Il semble à l'homme qu'il soit engagé dans une conversation <strong>et</strong> que quelque êtreinconnu <strong>et</strong> spirituel le détermine d'une manière merveilleuse à développer lespensées les plus évi<strong>de</strong>ntes. C<strong>et</strong> être doit être supérieur <strong>et</strong> homogène, parce qu'il s<strong>et</strong>ient en rapport avec l'homme d'une façon qui n'est pas possible à un être soumisaux phénomènes.Rappelons aussi <strong>la</strong> célèbre inspiration <strong>de</strong> Jean-Jacques Rousseau,décrite par lui-même :J'al<strong>la</strong>is voir Di<strong>de</strong>rot, alors prisonnier à Vincennes ; j'avais dans ma poche unMercure <strong>de</strong> France, que je me mis à feuill<strong>et</strong>er le long du chemin. Je tombe <strong>sur</strong> <strong>la</strong>question <strong>de</strong> l'Académie <strong>de</strong> Dijon qui a donné lieu à mon premier écrit. Si jamaisquelque chose a ressemblé à une inspiration subite, c'est le mouvement qui se fiten moi à c<strong>et</strong>te lecture : tout à coup, je me sens l'esprit ébloui <strong>de</strong> mille lumières ;<strong>de</strong>s foules d'idées vives se présentent à <strong>la</strong> fois, avec une force <strong>et</strong> une confiance quime j<strong>et</strong>tent dans un trouble inexprimable. Je sens ma tête prise par unétourdissement semb<strong>la</strong>ble à l'ivresse. Une violente palpitation m'oppresse, soulèvema poitrine ; ne pouvant plus respirer en marchant, je me <strong>la</strong>isse tomber sous un<strong>de</strong>s arbres <strong>de</strong> l'avenue, <strong>et</strong> j'y passe une <strong>de</strong>mi-heure dans une telle agitation qu'enme relevant j'aperçois tout le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> ma veste mouillé <strong>de</strong> mes <strong>la</strong>rmes, sans avoirsenti que j'en répandais. Oh ! si j'avais jamais pu écrire le quart <strong>de</strong> ce que j'ai vu <strong>et</strong>éprouvé sous c<strong>et</strong> arbre, avec quelle c<strong>la</strong>rté j'aurais fait voir toutes les contradictionsdu système social ; avec quelle force j'aurais exposé tous les abus <strong>de</strong> nosinstitutions ; avec quelle simplicité j'aurais démontré que l'homme est bonnaturellement... Tout ce que j'ai pu r<strong>et</strong>enir <strong>de</strong> ces foules <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s vérités qui,dans un quart d'heure, m'illuminèrent, a été facilement épars dans mes troisprincipaux écrits : savoir, ce premier discours, celui <strong>de</strong> l'Inégalité <strong>et</strong> le Traité <strong>de</strong>l'éducation... Tout le reste a été perdu.<strong>Le</strong> cas d'inspiration médiumnique le plus extraordinaire, peut-être, <strong>de</strong>stemps mo<strong>de</strong>rnes est celui d'Andrews Jackson Davis, appelé aussi le


262 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE«voyant <strong>de</strong> Poughkeepsie». Ce personnage apparaît à l'aurore du néospiritualismeaméricain comme une sorte d'apôtre d'un relief puissant.Grâce à une faculté restée sans rivale, il a pu exercer une influenceirrésistible <strong>sur</strong> son époque <strong>et</strong> <strong>sur</strong> son pays.Nous empruntons les détails suivants à l'ouvrage <strong>de</strong> Mme EmmaHardinge, intitulé : Spiritualisme mo<strong>de</strong>rne américain :A l'âge <strong>de</strong> 15 ans, le jeune Davis <strong>de</strong>vint d'abord célèbre à New-York <strong>et</strong> dans leConnecticut pour son habil<strong>et</strong>é à diagnostiquer les ma<strong>la</strong>dies <strong>et</strong> à prescrire <strong>de</strong>sremè<strong>de</strong>s, grâce à une étonnante faculté <strong>de</strong> c<strong>la</strong>irvoyance. <strong>Le</strong> jeune guérisseurpossédait un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> culture intuitive qui compensait son absence totaled'éducation, <strong>et</strong> une aisance mondaine qu'on n'aurait pu attendre <strong>de</strong> sa très humbleorigine, car il était le fils <strong>et</strong> l'apprenti d'un pauvre cordonnier du pays.L'humble rang, les moyens limités <strong>de</strong> ses parents avaient privé le jeune Davis <strong>de</strong>toute chance <strong>de</strong> culture, sauf pendant cinq mois, où il avait fréquenté l'école duvil<strong>la</strong>ge <strong>et</strong> les ru<strong>de</strong>s paysans <strong>de</strong>s districts arriérés. Davis avait 18 ans quand i<strong>la</strong>nnonça qu'il al<strong>la</strong>it être l'instrument d'une phase nouvelle <strong>et</strong> étonnante <strong>de</strong> pouvoirspirituel, commençant par une série <strong>de</strong> conférences appelées à produire un eff<strong>et</strong>considérable <strong>sur</strong> le mon<strong>de</strong> scientifique <strong>et</strong> <strong>sur</strong> les opinions religieuses <strong>de</strong>l'humanité.En exécution <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te prophétie, M. Davis commença le cours <strong>de</strong> sesconférences, auxquelles assistaient <strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong> haute situation ou <strong>de</strong>connaissances étendues en littérature <strong>et</strong> en science. C'est ainsi que fut produit levaste entassement <strong>de</strong> connaissances littéraires, scientifiques, philosophiques <strong>et</strong>historiques, intitulé : Divines Révé<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> <strong>la</strong> Nature. <strong>Le</strong> caractère merveilleux<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te oeuvre, émanant d'une personne si complètement incapable <strong>de</strong> <strong>la</strong> produiredans les circonstances ordinaires, excita le plus profond étonnement dans toutesles c<strong>la</strong>sses <strong>de</strong> <strong>la</strong> société.<strong>Le</strong>s Révé<strong>la</strong>tions furent bientôt suivies <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong> Harmonie, <strong>de</strong> l'Age présent<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie intérieure. D'autres volumineuses productions encore, jointes auxconférences <strong>de</strong> Davis, à ses travaux d'éditeur, aux associations qu'il groupa <strong>et</strong> à sa<strong>la</strong>rge influence personnelle, ont réalisé une révolution complète aux Etats-Unisdans les esprits d'une c<strong>la</strong>sse nombreuse <strong>de</strong> penseurs appelés les avocats <strong>de</strong> <strong>la</strong>philosophie harmonique ; <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te révolution doit incontestablement son origine aupauvre garçon cordonnier.Des milliers <strong>de</strong> personnes, qui l'ont vu dans ses examens médicaux ou dans sesexposés scientifiques, témoignent <strong>de</strong> l'étonnante élévation d'esprit possédée par M.Davis dans son état anormal. Ses manuscrits furent souvent soumis àl'investigation <strong>de</strong>s plus hautes intelligences du pays, qui s'as<strong>sur</strong>èrent, <strong>de</strong> <strong>la</strong> façon <strong>la</strong>plus approfondie, <strong>de</strong> l'impossibilité qu'il ait jamais pu acquérir les connaissancesdont il faisait preuve dans son état médiumnique. <strong>Le</strong> résultat le plus c<strong>la</strong>ir <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie<strong>de</strong> ce personnage phénoménal fut <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion que l'âme <strong>de</strong> l'homme pouvaitcommuniquer spirituellement avec les Esprits <strong>de</strong> l'autre mon<strong>de</strong>, comme avec ceux


LA CONSCIENCE, LE SENS INTIME 263<strong>de</strong> celui-ci, <strong>et</strong> travailler à acquérir <strong>de</strong>s connaissances s'étendant bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>la</strong>sphère terrestre.** *Nous avons parlé inci<strong>de</strong>mment <strong>de</strong> <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> à suivre pour ledéveloppement <strong>de</strong>s sens psychiques. Elle consiste à s'isoler à certainesheures du jour ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, à suspendre l'activité <strong>de</strong>s sens extérieurs, àécarter <strong>de</strong> soi les images <strong>et</strong> les bruits <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie du <strong>de</strong>hors. La chose estpossible même dans les conditions sociales les plus humbles, au sein <strong>de</strong>soccupations les plus vulgaires. Il faut, pour ainsi dire, se replier <strong>sur</strong> soimême<strong>et</strong>, dans le calme <strong>et</strong> le recueillement <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée, faire un effortmental pour voir <strong>et</strong> lire dans le grand livre mystérieux qui est en nous. Aces moments, écartez <strong>de</strong> votre esprit tout ce qui est passager, terrestre,changeant. <strong>Le</strong>s préoccupations d'ordre matériel créent <strong>de</strong>s courantsvibratoires horizontaux qui font obstacle aux radiations éthérées <strong>et</strong>restreignent nos perceptions. Au contraire, <strong>la</strong> méditation, <strong>la</strong>contemp<strong>la</strong>tion, l'effort constant vers le bien <strong>et</strong> le beau forment <strong>de</strong>scourants ascensionnels qui établissent le rapport avec les p<strong>la</strong>nssupérieurs <strong>et</strong> facilitent <strong>la</strong> pénétration en nous <strong>de</strong>s effluves divins. Par c<strong>et</strong>exercice répété <strong>et</strong> prolongé, l'être intérieur se trouve peu à peu illuminé,fécondé, régénéré. C<strong>et</strong>te oeuvre d'entraînement est longue <strong>et</strong> difficile ;elle nécessite parfois plus d'une existence. Aussi n'est-il jamais trop tôtpour l'entreprendre. Ses bons eff<strong>et</strong>s ne tar<strong>de</strong>ront pas à se faire sentir.Tout ce que vous perdrez en sensations d'ordre inférieur, vous legagnerez en perceptions supra-terrestres, en équilibre mental <strong>et</strong> moral, enjoies <strong>de</strong> l'esprit. Votre sens intime acquerra une délicatesse, une acuitéextraordinaires ; vous arriverez à communiquer un jour avec les plushautes sphères spirituelles. Ces pouvoirs, les religions ont cherché à lesconstituer au moyen <strong>de</strong> <strong>la</strong> communion <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière. Mais <strong>la</strong> prière enusage dans les églises, ensemble <strong>de</strong> formules apprises <strong>et</strong> répétéesmécaniquement, pendant <strong>de</strong>s heures entières, est impuissante à donner àl'âme l'essor nécessaire, à établir le lien fluidique, le fil conducteur parlequel le rapport s'établira. Il faut un appel, un é<strong>la</strong>n plus vigoureux, uneconcentration, un recueillement plus profonds. C'est pour ce<strong>la</strong> que nousavons toujours préconisé <strong>la</strong> prière improvisée, le cri <strong>de</strong> l'âme qui, dans safoi <strong>et</strong> son amour, s'é<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> toutes les forces accumulées en elle versl'obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> son désir.


264 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEAu lieu <strong>de</strong> convier, au moyen <strong>de</strong> l'évocation, les Esprits célestes à<strong>de</strong>scendre vers nous, on apprendra ainsi à se dégager soi-même <strong>et</strong> àmonter vers eux.Toutefois, certaines précautions sont nécessaires. <strong>Le</strong> mon<strong>de</strong> invisibleest peuplé d'entités <strong>de</strong> tous ordres, <strong>et</strong> celui qui y pénètre doit possé<strong>de</strong>rune perfection suffisante, être inspiré par <strong>de</strong>s sentiments assez élevéspour le m<strong>et</strong>tre à l'abri <strong>de</strong> toutes les suggestions du mal. Tout au moins,doit-il être conduit dans ses recherches par un gui<strong>de</strong> sûr <strong>et</strong> éc<strong>la</strong>iré. C'estpar le progrès moral que l'on obtient l'autorité, l'énergie nécessaires pourcomman<strong>de</strong>r aux esprits légers <strong>et</strong> arriérés qui fourmillent autour <strong>de</strong> nous.La pleine possession <strong>de</strong> soi-même, <strong>la</strong> connaissance profon<strong>de</strong> <strong>et</strong>tranquille <strong>de</strong>s lois éternelles nous préservent <strong>de</strong>s dangers, <strong>de</strong>s pièges, <strong>de</strong>sillusions <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là ; elles nous procurent les moyens <strong>de</strong> contrôler lesforces en action <strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n occulte.XXII. - LE LIBRE ARBITRE.La liberté est <strong>la</strong> condition nécessaire <strong>de</strong> l'âme humaine, qui, sans elle,ne pourrait édifier sa <strong>de</strong>stinée. C'est en vain que les philosophes <strong>et</strong> lesthéologiens ont argumenté à perte <strong>de</strong> vue <strong>sur</strong> c<strong>et</strong>te question. Ils l'ontobscurcie à l'envi par leurs théories, leurs sophismes, vouant l'humanitéà <strong>la</strong> servitu<strong>de</strong>, au lieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> conduire vers <strong>la</strong> lumière libératrice. La notionest simple <strong>et</strong> c<strong>la</strong>ire. <strong>Le</strong>s Drui<strong>de</strong>s l'avaient formulée dès les premierstemps <strong>de</strong> notre histoire. Elle est exprimée en ces termes, dans lesTria<strong>de</strong>s : «Il y a trois unités primitives : Dieu, <strong>la</strong> lumière <strong>et</strong> <strong>la</strong> liberté.»Tout d'abord, à première vue, <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> l'homme paraît bienrestreinte au milieu du cercle <strong>de</strong> fatalités qui l'enserre : nécessitésphysiques, conditions sociales, intérêts ou instincts. Mais, en considérant<strong>la</strong> question <strong>de</strong> plus près, on voit que c<strong>et</strong>te liberté est toujours suffisantepour perm<strong>et</strong>tre à l'âme <strong>de</strong> briser ce cercle <strong>et</strong> d'échapper aux forcesoppressives.La liberté <strong>et</strong> <strong>la</strong> responsabilité sont corré<strong>la</strong>tives chez l'être <strong>et</strong>augmentent avec son élévation. C'est <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong> l'homme quifait sa dignité <strong>et</strong> sa moralité ; sans elle, il ne serait qu'une machineaveugle, un jou<strong>et</strong> <strong>de</strong>s forces ambiantes. La notion <strong>de</strong> moralité estinséparable <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> liberté.


LE LIBRE ARBITRE 265La responsabilité est établie par le témoignage <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience, quinous approuve ou nous blâme suivant <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> nos actes. Lasensation du remords est une preuve plus démonstrative que tous lesarguments philosophiques. Pour tout esprit quelque peu évolué, <strong>la</strong> loi du<strong>de</strong>voir brille comme un phare à travers <strong>la</strong> brume <strong>de</strong>s passions <strong>et</strong> <strong>de</strong>sintérêts. Aussi, voyons-nous tous les jours <strong>de</strong>s hommes, dans lessituations les plus humbles <strong>et</strong> les plus difficiles, accepter <strong>de</strong> duresépreuves plutôt que <strong>de</strong> s'abaisser à comm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong>s actes indignes.Si <strong>la</strong> liberté humaine est restreinte, elle est du moins en voie <strong>de</strong>perpétuel développement, car le progrès n'est pas autre chose quel'extension du libre arbitre dans l'individu <strong>et</strong> dans <strong>la</strong> collectivité. La lutteentre <strong>la</strong> matière <strong>et</strong> l'esprit a précisément pour but <strong>de</strong> libérer celui-ci, dansune me<strong>sur</strong>e croissante, du joug <strong>de</strong>s forces aveugles. L'intelligence <strong>et</strong> <strong>la</strong>volonté arrivent à prédominer peu à peu <strong>sur</strong> ce qui représente à nos yeux<strong>la</strong> fatalité. <strong>Le</strong> libre arbitre est donc un épanouissement <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience. Pour être libre, il faut vouloir l'être <strong>et</strong> faire effortpour le <strong>de</strong>venir, en s'affranchissant <strong>de</strong>s servitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'ignorance <strong>et</strong> <strong>de</strong>sbasses passions, en substituant l'empire <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison à celui <strong>de</strong>ssensations <strong>et</strong> <strong>de</strong>s instincts.Ce<strong>la</strong> ne peut s'obtenir que par une éducation <strong>et</strong> un entraînementprolongés <strong>de</strong>s facultés humaines : libération physique par <strong>la</strong> limitation<strong>de</strong>s appétits ; libération intellectuelle par <strong>la</strong> conquête <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité ;libération morale par <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu. C'est là l'oeuvre <strong>de</strong>ssiècles. Mais à tous les <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> son ascension, dans <strong>la</strong> répartition <strong>de</strong>sbiens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s maux <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, à côté <strong>de</strong> l'enchaînement <strong>de</strong>s causes, sanspréjudice <strong>de</strong>s <strong>de</strong>stinées que notre passé nous inflige, il y a toujours unep<strong>la</strong>ce pour <strong>la</strong> libre volonté <strong>de</strong> l'homme.** *Comment concilier notre libre arbitre avec <strong>la</strong> prescience divine ?Devant <strong>la</strong> connaissance anticipée que Dieu a <strong>de</strong> toutes choses, peut-onvraiment affirmer <strong>la</strong> liberté humaine ? Question complexe <strong>et</strong> ardue enapparence, qui a fait couler <strong>de</strong>s flots d'encre, <strong>et</strong> dont <strong>la</strong> solution estcependant <strong>de</strong>s plus simples. Mais l'homme n'aime pas les chosessimples. Il préfère l'obscur, le compliqué <strong>et</strong> n'accepte <strong>la</strong> vérité qu'aprèsavoir épuisé toutes les formes <strong>de</strong> l'erreur.


266 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEDieu, dont <strong>la</strong> science infinie embrasse toutes choses, connaît <strong>la</strong> nature<strong>de</strong> chaque homme <strong>et</strong> les impulsions, les tendances d'après lesquelles ilpourra se déterminer. Nous-mêmes, connaissant le caractère d'unepersonne, nous pourrions facilement prévoir dans quel sens, en tellecirconstance donnée, elle se déci<strong>de</strong>ra, soit d'après l'intérêt, soit d'après le<strong>de</strong>voir. Une résolution ne peut naître <strong>de</strong> rien. Elle est forcément reliée àune série <strong>de</strong> causes <strong>et</strong> d'eff<strong>et</strong>s antérieurs dont elle dérive <strong>et</strong> quil'expliquent. Dieu, connaissant chaque âme dans ses moindres replis,peut donc rigoureusement, avec certitu<strong>de</strong>, déduire <strong>de</strong> <strong>la</strong> connaissancequ'il a <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te âme, <strong>et</strong> <strong>de</strong>s conditions où elle est appelée à agir, lesdéterminations que, librement, elle prendra.Remarquons que <strong>la</strong> prévision <strong>de</strong> nos actes ne les fait pas naître. SiDieu ne pouvait prévoir nos résolutions, elles n'en auraient pas moinsleur libre cours.C'est ainsi que <strong>la</strong> liberté humaine <strong>et</strong> <strong>la</strong> prévoyance divine seréconcilient <strong>et</strong> se combinent, quand on considère le problème aux c<strong>la</strong>rtés<strong>de</strong> <strong>la</strong> raison.<strong>Le</strong> cercle dans lequel s'exerce <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> l'homme est, d'ailleurs,trop restreint pour qu'il puisse, en aucun cas, entraver l'action divine,dont les eff<strong>et</strong>s se déroulent dans l'immensité sans bornes. <strong>Le</strong> faibleinsecte perdu dans un coin <strong>de</strong> jardin ne saurait, en dérangeant lesquelques atomes à sa portée, troubler l'harmonie <strong>de</strong> l'ensemble <strong>et</strong>entraver l'oeuvre du divin Jardinier.** *La question du libre arbitre a une importance capitale <strong>et</strong> <strong>de</strong> gravesconséquences pour l'ordre social tout entier, par son action <strong>et</strong> sarépercussion <strong>sur</strong> l'éducation, <strong>la</strong> moralité, <strong>la</strong> justice, <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion, <strong>et</strong>c..Elle a déterminé <strong>de</strong>ux courants opposés d'opinions : les négateurs dulibre arbitre <strong>et</strong> ceux qui l'adm<strong>et</strong>tent avec restriction.<strong>Le</strong>s arguments <strong>de</strong>s fatalistes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s déterministes se résument ainsi :«L'homme est soumis aux impulsions <strong>de</strong> sa nature, qui le dominent <strong>et</strong>l'obligent à vouloir, à se déterminer dans un sens plutôt que dans unautre. Par suite, il n'est pas libre.»L'école opposée, celle qui adm<strong>et</strong> <strong>la</strong> libre volonté <strong>de</strong> l'homme, en face<strong>de</strong> ce système négatif élève <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong>s causes indéterminantes. Sonplus bril<strong>la</strong>nt représentant, à notre époque, fut Ch. Renouvier.


LE LIBRE ARBITRE 267<strong>Le</strong>s vues <strong>de</strong> ce philosophe ont été confirmées plus récemment par lesbeaux travaux <strong>de</strong> Wundt <strong>sur</strong> l'aperception, d'Alfred Fouillée <strong>sur</strong> l'idéeforce <strong>et</strong> <strong>de</strong> Boutroux <strong>sur</strong> <strong>la</strong> contingence <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi naturelle.<strong>Le</strong>s éléments que <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion néo-spiritualiste nous apporte <strong>sur</strong> <strong>la</strong>nature <strong>et</strong> le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> l'être donnent à <strong>la</strong> théorie du libre arbitre unesanction définitive. Ils viennent arracher <strong>la</strong> conscience mo<strong>de</strong>rne àl'influence délétère du matérialisme <strong>et</strong> orienter <strong>la</strong> pensée vers uneconception <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée, qui aura pour eff<strong>et</strong>, comme le disait C. duPrel, <strong>de</strong> rajeunir <strong>la</strong> vie intérieure <strong>de</strong> <strong>la</strong> civilisation.Jusqu'ici, aussi bien au point <strong>de</strong> vue théologique que déterministe, <strong>la</strong>question était restée à peu près insoluble. Il ne pouvait en être autrement,puisque chacun <strong>de</strong> ces systèmes partait <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te donnée inexacte quel'être humain a une seule existence terrestre à parcourir. Il en est atoutautrement si l'on é<strong>la</strong>rgit le cercle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>et</strong> si l'on considère leproblème à <strong>la</strong> lumière que proj<strong>et</strong>te <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s renaissances. Ainsi,chaque être conquiert sa propre liberté au cours <strong>de</strong> l'évolution qu'il doitaccomplir.Suppléée d'abord par l'instinct, qui disparaît peu à peu pour faire p<strong>la</strong>ceà <strong>la</strong> raison, notre liberté est très limitée dans nos étapes inférieures <strong>et</strong>dans toute <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> notre éducation première. Elle prend uneextension considérable dès que l'esprit a acquis <strong>la</strong> compréhension <strong>de</strong> <strong>la</strong>loi. Et toujours, à tous les <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> son ascension, à l'heure <strong>de</strong>srésolutions importantes, il sera assisté, guidé, conseillé par <strong>de</strong>sIntelligences supérieures, par <strong>de</strong>s Esprits plus grands <strong>et</strong> plus éc<strong>la</strong>irés quelui.<strong>Le</strong> libre arbitre, <strong>la</strong> libre volonté <strong>de</strong> l'esprit s'exercent <strong>sur</strong>tout à l'heure<strong>de</strong>s réincarnations. En choisissant telle famille, tel milieu social, il saitd'avance quelles sont les épreuves qui l'atten<strong>de</strong>nt, mais il comprendégalement <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> ces épreuves pour développer ses qualités,atténuer ses défauts, dépouiller ses préjugés <strong>et</strong> ses vices. Ces épreuvespeuvent être aussi <strong>la</strong> conséquence d'un passé néfaste qu'il faut réparer, <strong>et</strong>il les accepte avec résignation, avec confiance, car il sait que ses grandsfrères <strong>de</strong> l'espace ne l'abandonnent pas aux heures difficiles.L'avenir lui apparaît alors, non pas dans ses détails, mais dans sestraits les plus sail<strong>la</strong>nts, c'est-à-dire dans <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e où c<strong>et</strong> avenir est <strong>la</strong>résultante d'actes antérieurs. Ces faits représentent <strong>la</strong> part <strong>de</strong> fatalité ou<strong>la</strong> «pré<strong>de</strong>stination» que certains hommes sont portés à voir en toute vie.


268 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEECe sont simplement, nous l'avons vu, les eff<strong>et</strong>s ou les réactions <strong>de</strong> causeséloignées. En réalité, rien n'est fatal <strong>et</strong>, quel que soit le poids <strong>de</strong>sresponsabilités encourues, on peut toujours atténuer, modifier son sortpar <strong>de</strong>s oeuvres <strong>de</strong> dévouement, <strong>de</strong> bonté, <strong>de</strong> charité, par un longsacrifice au <strong>de</strong>voir.** *<strong>Le</strong> problème du libre arbitre a, disions-nous, une gran<strong>de</strong> importance aupoint <strong>de</strong> vue juridique. Tout en tenant compte du droit <strong>de</strong> répression <strong>et</strong><strong>de</strong> préservation sociale, il est très difficile <strong>de</strong> préciser, dans tous les casrelevant <strong>de</strong>s tribunaux, l'étendue <strong>de</strong>s responsabilités individuelles. On nepourrait le faire qu'en établissant le <strong>de</strong>gré d'évolution <strong>de</strong>s coupables. <strong>Le</strong>néo-spiritualisme nous en fournirait peut-être les moyens. Mais <strong>la</strong> justicehumaine, peu versée en ces matières, reste aveugle <strong>et</strong> imparfaite dans sesdécisions <strong>et</strong> ses arrêts.Souvent le méchant, le coupable, n'est en réalité qu'un esprit jeune <strong>et</strong>ignorant, chez qui <strong>la</strong> raison n'a pas eu le temps <strong>de</strong> mûrir. «<strong>Le</strong> crime, a ditDuclos, est toujours le résultat d'un faux jugement.» C'est pourquoi lespénalités infligées <strong>de</strong>vraient être établies <strong>de</strong> façon à contraindre lecondamné à rentrer en lui-même, à s'instruire, à s'éc<strong>la</strong>irer, à s'amen<strong>de</strong>r.La société doit corriger sans passion <strong>et</strong> sans haine, sinon, elle se ren<strong>de</strong>lle-même coupable.Nous l'avons démontré, les âmes sont équivalentes à leur point <strong>de</strong>départ. Elles sont différentes par leurs <strong>de</strong>grés infinis d'avancement : lesunes, jeunes ; les autres vieilles, <strong>et</strong>, par suite, diversement développéesen moralité <strong>et</strong> en sagesse, suivant leur âge. Il serait injuste <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r àl'esprit enfant <strong>de</strong>s mérites égaux à ceux qu'on peut attendre d'un espritayant beaucoup vu, beaucoup appris. De là, une très gran<strong>de</strong>différenciation dans les responsabilités.L'être n'est vraiment mûr pour <strong>la</strong> liberté que le jour où les loisuniverselles, extérieures à lui, sont <strong>de</strong>venues intérieures <strong>et</strong> conscientespar le fait même <strong>de</strong> son évolution. <strong>Le</strong> jour où il s'est pénétré <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi <strong>et</strong>en a fait <strong>la</strong> règle <strong>de</strong> ses actions, il a atteint le point moral où l'homme sepossè<strong>de</strong>, se domine <strong>et</strong> se gouverne lui-même. Dès lors, il n'a plus besoin<strong>de</strong> <strong>la</strong> contrainte <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'autorité sociales pour se diriger. Et il en est <strong>de</strong> <strong>la</strong>collectivité comme <strong>de</strong> l'individu. Un peuple n'est vraiment libre, digne<strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté, que s'il a appris à obéir à c<strong>et</strong>te loi intérieure, loi morale,


LE LIBRE ARBITRE 269éternelle <strong>et</strong> universelle, qui n'émane ni du pouvoir d'une caste ni <strong>de</strong> <strong>la</strong>volonté <strong>de</strong>s foules, mais d'une Puissance plus haute. Sans <strong>la</strong> disciplinemorale que chacun doit s'imposer, les libertés publiques ne sont qu'unleurre. On a l'apparence, on n'a pas les moeurs d'un peuple libre. Lasociété reste exposée, par <strong>la</strong> violence <strong>de</strong> ses passions <strong>et</strong> l'intensité <strong>de</strong> sesappétits, à toutes les complications, à tous les désordres.Tout ce qui se hausse vers <strong>la</strong> lumière se hausse vers <strong>la</strong> liberté. Celle-cis'épanouit, pleine <strong>et</strong> entière, dans <strong>la</strong> vie supérieure. L'âme subit d'autantplus le poids <strong>de</strong>s fatalités matérielles qu'elle est plus arriérée <strong>et</strong> plusinconsciente ; elle est d'autant plus libre qu'elle s'élève davantage <strong>et</strong> serapproche du divin. Dans son état d'ignorance, il est heureux pour elled'être soumise à une direction. Mais, <strong>de</strong>venue sage <strong>et</strong> parfaite, elle jouit<strong>de</strong> sa liberté dans <strong>la</strong> lumière divine.En thèse générale, tout homme parvenu à l'état <strong>de</strong> raison est libre <strong>et</strong>responsable, dans <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong> son avancement. Je <strong>la</strong>isse <strong>de</strong> côté les casoù, sous l'empire d'une cause quelconque, physique ou morale, ma<strong>la</strong>dieou obsession, l'homme a perdu l'usage <strong>de</strong> ses facultés. On ne peutméconnaître que le physique exerce parfois une gran<strong>de</strong> influence <strong>sur</strong> lemoral. Cependant, dans <strong>la</strong> lutte engagée entre eux, les âmes fortestriomphent toujours. Socrate disait qu'il avait senti germer en lui lesinstincts les plus pervers <strong>et</strong> qu'il les avait domptés. Il y avait chez cephilosophe <strong>de</strong>ux courants <strong>de</strong> forces contraires : l'un, orienté vers le mal ;l'autre, vers le bien, <strong>et</strong> c'est ce <strong>de</strong>rnier qui l'emportait.Il est aussi <strong>de</strong>s causes secrètes qui, souvent, agissent <strong>sur</strong> nous. Parfoisl'intuition vient combattre le raisonnement. Des impulsions profon<strong>de</strong>sparties <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience nous déterminent dans un sens non prévu. Cecin'est pas une négation du libre arbitre ; c'est l'action <strong>de</strong> l'âme dans saplénitu<strong>de</strong>, intervenant dans le cours <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>stinées. Ou bien, ce seral'influence <strong>de</strong> nos gui<strong>de</strong>s invisibles qui s'exerce, ou encore l'interventiond'une Intelligence qui, voyant <strong>de</strong> plus loin <strong>et</strong> <strong>de</strong> plus haut, cherche ànous arracher aux contingences inférieures <strong>et</strong> à nous porter vers lesaltitu<strong>de</strong>s. Mais, dans tous ces cas, c'est notre volonté seule qui rej<strong>et</strong>te ouaccepte <strong>et</strong> déci<strong>de</strong> en <strong>de</strong>rnier ressort.En résumé, au lieu <strong>de</strong> nier ou d'affirmer le libre arbitre, suivant l'écolephilosophique à <strong>la</strong>quelle on se rattache, il serait plus exact <strong>de</strong> dire :L'homme est l'artisan <strong>de</strong> sa libération. Il n'atteint l'état compl<strong>et</strong> <strong>de</strong> libertéque par <strong>la</strong> culture intérieure <strong>et</strong> <strong>la</strong> mise en valeur <strong>de</strong> ses puissances


270 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEcachées. <strong>Le</strong>s obstacles accumulés <strong>sur</strong> sa route ne sont, au fond, que <strong>de</strong>smoyens <strong>de</strong> le contraindre à sortir <strong>de</strong> son indifférence <strong>et</strong> à utiliser sesforces <strong>la</strong>tentes. Toutes les difficultés matérielles peuvent être vaincues.Nous sommes tous solidaires, <strong>et</strong> <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> nous se relie à<strong>la</strong> liberté <strong>de</strong>s autres. En se libérant <strong>de</strong>s passions <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'ignorance, chaquehomme libère ses semb<strong>la</strong>bles. Tout ce qui contribue à dissiper <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong>l'intelligence <strong>et</strong> à faire reculer le mal rend l'humanité plus libre, plusconsciente d'elle-même, <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>voirs <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses pouvoirs.Elevons-nous donc à <strong>la</strong> conscience <strong>de</strong> notre rôle <strong>et</strong> <strong>de</strong> notre but, <strong>et</strong>nous serons libres. As<strong>sur</strong>ons par nos efforts, nos enseignements <strong>et</strong> nosexemples, le triomphe <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté ainsi que du bien <strong>et</strong>, au lieu <strong>de</strong>former <strong>de</strong>s êtres passifs courbés sous le joug <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière, en proie àl'incertitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> à l'inertie, nous aurons façonné <strong>de</strong>s âmes vraiment libres,affranchies <strong>de</strong>s chaînes <strong>de</strong> <strong>la</strong> fatalité <strong>et</strong> p<strong>la</strong>nant <strong>sur</strong> le mon<strong>de</strong> par <strong>la</strong>supériorité <strong>de</strong>s qualités acquises.XXIII. - LA PENSEE.La pensée est créatrice. De même que <strong>la</strong> pensée éternelle proj<strong>et</strong>te sanscesse dans l'espace les germes <strong>de</strong>s êtres <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> même celle <strong>de</strong>l'écrivain, <strong>de</strong> l'orateur, du poète, <strong>de</strong> l'artiste fait jaillir une incessantefloraison d'idées, d'oeuvres, <strong>de</strong> conceptions, qui vont influencer,impressionner, en bien ou en mal, suivant leur nature, l'immense foulehumaine.C'est pourquoi <strong>la</strong> mission <strong>de</strong>s ouvriers <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée est à <strong>la</strong> foisgran<strong>de</strong>, redoutable <strong>et</strong> sacrée.Gran<strong>de</strong> <strong>et</strong> sacrée, car <strong>la</strong> pensée dissipe les ombres du chemin, résoutles énigmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>et</strong> trace <strong>la</strong> route <strong>de</strong> l'humanité ; c'est sa f<strong>la</strong>mme quiréchauffe les âmes <strong>et</strong> embellit les déserts <strong>de</strong> l'existence. Redoutableaussi, puisque ses eff<strong>et</strong>s sont puissants pour <strong>la</strong> <strong>de</strong>scente comme pourl'ascension.Tôt ou tard, tout produit <strong>de</strong> l'esprit revient vers son auteur avec sesconséquences, entraînant pour celui-ci, selon le cas, <strong>la</strong> souffrance, unamoindrissement, une privation <strong>de</strong> liberté, ou bien <strong>de</strong>s satisfactionsintimes, une di<strong>la</strong>tation, une élévation <strong>de</strong> son être.La vie présente est, on le sait, un simple épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> notre longuehistoire, un fragment <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> chaîne qui se déroule, pour tous, à


LA PENSEE 271travers l'immensité. Et, constamment, r<strong>et</strong>ombent <strong>sur</strong> nous, en brumes ouen rayons, les résultats <strong>de</strong> nos oeuvres. L'âme humaine parcourt sa voie,entourée d'une atmosphère radieuse ou sombre, peuplée <strong>de</strong>s créations <strong>de</strong>sa pensée. Et c'est là, dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'espace, sa gloire ou sa honte.** *Pour donner à <strong>la</strong> pensée toute sa force <strong>et</strong> son ampleur, rien n'est plusefficace que <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong>s grands problèmes. Pour bien exprimer, ilfaut sentir puissamment ; pour goûter les sensations hautes <strong>et</strong> profon<strong>de</strong>s,il faut remonter à <strong>la</strong> source d'où découle toute vie, toute harmonie, toutebeauté.Ce qu'il y a <strong>de</strong> noble <strong>et</strong> d'élevé dans le domaine <strong>de</strong> l'intelligence émaned'une cause éternelle, vivante <strong>et</strong> pensante. Plus l'essor <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée versc<strong>et</strong>te cause est grand, plus haut elle p<strong>la</strong>ne, plus radieuses aussi sont lesc<strong>la</strong>rtés entrevues, plus enivrantes les joies ressenties, plus puissantes lesforces acquises, plus géniales les inspirations ! Après chaque essor, <strong>la</strong>pensée re<strong>de</strong>scend, vivifiée, éc<strong>la</strong>irée, dans le champ terrestre, pourreprendre <strong>la</strong> tâche par <strong>la</strong>quelle elle grandira encore, car c'est le travailqui fait l'intelligence, comme c'est l'intelligence qui fait <strong>la</strong> beauté, <strong>la</strong>splen<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> l'oeuvre accomplie.Elève ton regard, ô penseur, ô poète ! j<strong>et</strong>te ton cri d'appel, d'aspiration,<strong>de</strong> prière ! Devant <strong>la</strong> mer aux refl<strong>et</strong>s changeants, à <strong>la</strong> vue <strong>de</strong> b<strong>la</strong>nchescimes lointaines ou <strong>de</strong> l'infini étoilé, n'as-tu jamais éprouvé ces heuresd'extase <strong>et</strong> d'ivresse où l'âme se sent plongée dans un rêve divin, oùl'inspiration arrive, puissante, comme un éc<strong>la</strong>ir, rapi<strong>de</strong> messager du ciel à<strong>la</strong> terre ?Prête l'oreille ! n'as-tu jamais entendu, au fond <strong>de</strong> ton être, vibrer cesharmonies confuses, ces rumeurs du mon<strong>de</strong> invisible, voix <strong>de</strong> l'ombrequi bercent ta pensée <strong>et</strong> <strong>la</strong> préparent aux intuitions suprêmes ?En tout poète, artiste, écrivain, il est <strong>de</strong>s germes <strong>de</strong> médiumnité,inconscients, insoupçonnés <strong>et</strong> qui ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt qu'à éclore ; par eux,l'ouvrier <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée entre en rapport avec <strong>la</strong> source inépuisable <strong>et</strong>reçoit sa part <strong>de</strong> révé<strong>la</strong>tion. C<strong>et</strong>te révé<strong>la</strong>tion d'esthétique appropriée à sanature, à son genre <strong>de</strong> talent, il a pour mission <strong>de</strong> l'exprimer en <strong>de</strong>soeuvres qui feront pénétrer dans l'âme <strong>de</strong>s foules une vibration <strong>de</strong>sforces divines, une radiation <strong>de</strong>s vérités éternelles.


272 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEC'est dans <strong>la</strong> communion fréquente <strong>et</strong> consciente avec le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>sEsprits que les génies <strong>de</strong> l'avenir puiseront les éléments <strong>de</strong> leurs oeuvres.Dès aujourd'hui, <strong>la</strong> pénétration <strong>de</strong>s secr<strong>et</strong>s <strong>de</strong> sa double vie vient offrir àl'homme <strong>de</strong>s secours <strong>et</strong> <strong>de</strong>s lumières que les religions défail<strong>la</strong>ntes nesauraient plus lui procurer. Dans tous les domaines, l'idée spirite vafécon<strong>de</strong>r <strong>la</strong> pensée en travail.La science lui <strong>de</strong>vra une rénovation complète <strong>de</strong> ses théories <strong>et</strong> <strong>de</strong> sesmétho<strong>de</strong>s. Elle lui <strong>de</strong>vra <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> forces incalcu<strong>la</strong>bles <strong>et</strong> <strong>la</strong>conquête <strong>de</strong> l'univers occulte. La philosophie y gagnera uneconnaissance plus étendue <strong>et</strong> plus précise <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité humaine.Celle-ci, dans <strong>la</strong> transe <strong>et</strong> l'extériorisation, est comme une crypte quis'ouvre, remplie <strong>de</strong> choses étranges, <strong>et</strong> où se cache <strong>la</strong> clé du mystère <strong>de</strong>l'être.<strong>Le</strong>s religions <strong>de</strong> l'avenir trouveront dans le spiritisme les preuves <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>sur</strong>vivance <strong>et</strong> les règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie dans l'Au-<strong>de</strong>là, en même temps que leprincipe d'une union étroite <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux humanités, visible <strong>et</strong> invisible,dans leur ascension vers le Père commun. L'art, sous toutes ses formes, ydécouvrira <strong>de</strong>s sources inépuisables d'inspiration <strong>et</strong> d'émotion.L'homme du peuple, aux heures <strong>de</strong> <strong>la</strong>ssitu<strong>de</strong>, y puisera le couragemoral. Il comprendra que l'âme peut grandir aussi bien par le <strong>la</strong>beurhumble que par l'oeuvre altière <strong>et</strong> qu'aucun <strong>de</strong>voir n'est négligeable ; quel'envie est soeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine <strong>et</strong> que, souvent, on est moins heureux dansle luxe que dans <strong>la</strong> médiocrité. <strong>Le</strong> puissant y apprendra <strong>la</strong> bonté, avec lesentiment <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te solidarité qui nous relie tous à travers nos vies <strong>et</strong> peutnous contraindre à revenir p<strong>et</strong>its pour acquérir les vertus mo<strong>de</strong>stes.<strong>Le</strong> sceptique y trouvera <strong>la</strong> foi ; le découragé, les longs espoirs <strong>et</strong> lesviriles résolutions ; tous ceux qui souffrent, l'idée profon<strong>de</strong> qu'une loi <strong>de</strong>justice prési<strong>de</strong> à toutes choses ; qu'il n'y a pas, en aucun domaine, d'eff<strong>et</strong>sans cause, pas d'enfantement sans douleur, pas <strong>de</strong> victoire sans combat,pas <strong>de</strong> triomphe sans ru<strong>de</strong>s efforts, mais qu'au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout règne uneparfaite <strong>et</strong> majestueuse sanction, <strong>et</strong> que nul n'est abandonné <strong>de</strong> Dieu,dont il est parcelle.Ainsi s'opérera, lentement, <strong>la</strong> rénovation <strong>de</strong> l'humanité, si jeuneencore, si ignorante d'elle-même, mais dont le désir se porte peu à peuvers <strong>la</strong> compréhension <strong>de</strong> sa tâche <strong>et</strong> <strong>de</strong> son but, en même temps ques'agrandit son champ d'exploration <strong>et</strong> <strong>la</strong> perspective d'un avenir sans fin.Et bientôt voici qu'elle avance, plus consciente d'elle-même <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa


LA PENSEE 273force, consciente <strong>de</strong> sa magnifique <strong>de</strong>stinée. A chaque étape franchie,voyant <strong>et</strong> vou<strong>la</strong>nt davantage, sentant briller <strong>et</strong> s'aviver le foyer qui est enelle, elle voit aussi les ténèbres reculer, les sombres énigmes du mon<strong>de</strong>se fondre <strong>et</strong> se résoudre, <strong>et</strong> le chemin s'éc<strong>la</strong>irer d'un rayon puissant. Avecles ombres s'évanouissent peu à peu les préjugés, les terreurs vaines ; lescontradictions apparentes <strong>de</strong> l'univers se dissipent, <strong>et</strong> l'harmonie se faiten toutes choses. Alors <strong>la</strong> confiance <strong>et</strong> l'allégresse pénètrent dans cesâmes, l'homme sent grandir sa pensée <strong>et</strong> son coeur. Et il avance <strong>de</strong>nouveau, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> route <strong>de</strong>s âges, vers le terme <strong>de</strong> son oeuvre ; mais sonoeuvre n'a pas <strong>de</strong> terme. Car chaque fois que l'humanité se hausse versun idéal nouveau, elle croit avoir atteint l'idéal suprême, alors qu'elle n'aatteint, en réalité, que <strong>la</strong> croyance ou le système correspondant à son<strong>de</strong>gré d'évolution. Mais chaque fois aussi, <strong>de</strong> ses é<strong>la</strong>ns, <strong>de</strong> ses succès,découlent pour elle <strong>de</strong>s félicités <strong>et</strong> <strong>de</strong>s forces nouvelles, <strong>et</strong> elle trouve <strong>la</strong>récompense <strong>de</strong> ses <strong>la</strong>beurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses angoisses dans le <strong>la</strong>beur même, dans<strong>la</strong> joie <strong>de</strong> vivre <strong>et</strong> <strong>de</strong> progresser, qui est <strong>la</strong> loi <strong>de</strong>s êtres, dans unecommunion plus intime avec l'Univers, dans une possession un peu plusentière du Bien <strong>et</strong> du Beau.** *O écrivains, artistes, poètes, vous dont le nombre s'accroît tous lesjours, dont les productions se multiplient <strong>et</strong> montent comme un flotgrandissant, souvent belles par <strong>la</strong> forme, mais faibles par le fond,superficielles <strong>et</strong> matérielles, que <strong>de</strong> talent ne dépensez-vous pas pour <strong>de</strong>scauses médiocres ! Que d'efforts gaspillés ou mis au service <strong>de</strong> passionsmalsaines, <strong>de</strong> voluptés inférieures <strong>et</strong> d'intérêts vils !Alors que <strong>de</strong> vastes <strong>et</strong> magnifiques horizons se déploient, que le livremerveilleux <strong>de</strong> l'univers <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'âme s'ouvre, tout grand, <strong>de</strong>vant vous <strong>et</strong>que le Génie <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée vous convie à <strong>de</strong> nobles taches, à <strong>de</strong>s oeuvrespleines <strong>de</strong> sève, fécon<strong>de</strong>s pour l'avancement <strong>de</strong> l'humanité, vous vouscomp<strong>la</strong>isez trop souvent à <strong>de</strong> puériles <strong>et</strong> stériles étu<strong>de</strong>s, à <strong>de</strong>s travaux où<strong>la</strong> conscience s'étiole, où l'intelligence s'affaisse <strong>et</strong> s'a<strong>la</strong>nguit dans leculte exagéré <strong>de</strong>s sens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s impurs instincts.Qui <strong>de</strong> vous dira l'épopée <strong>de</strong> l'âme, luttant pour <strong>la</strong> conquête <strong>de</strong> ses<strong>de</strong>stinées dans le cycle immense <strong>de</strong>s âges <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s ; ses douleurs <strong>et</strong>ses joies, ses chutes <strong>et</strong> ses relèvements, <strong>la</strong> <strong>de</strong>scente dans les gouffres <strong>de</strong>vie, les coups d'aile dans <strong>la</strong> lumière, les immo<strong>la</strong>tions, les holocaustes qui


274 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEsont un rachat, les missions ré<strong>de</strong>mptrices, <strong>la</strong> participation grandissanteaux conceptions divines !Qui dira aussi les puissantes harmonies <strong>de</strong> l'univers, harpe gigantesquevibrant sous <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong> Dieu, le chant <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s, le rythme éternelqui berce <strong>la</strong> genèse <strong>de</strong>s astres <strong>et</strong> <strong>de</strong>s humanités !Ou bien <strong>la</strong> lente é<strong>la</strong>boration, <strong>la</strong> douloureuse gestation <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscienceà travers les sta<strong>de</strong>s inférieurs, <strong>la</strong> construction <strong>la</strong>borieuse d'uneindividualité, d'un être moral ! Qui dira <strong>la</strong> conquête <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, toujoursplus pleine, plus <strong>la</strong>rge, plus sereine, plus éc<strong>la</strong>irée <strong>de</strong>s rayons d'en haut, <strong>la</strong>marche <strong>de</strong> somm<strong>et</strong> en somm<strong>et</strong>, à <strong>la</strong> poursuite du bonheur, <strong>de</strong> <strong>la</strong>puissance <strong>et</strong> du pur amour ? Qui chantera l'oeuvre <strong>de</strong> l'homme, lutteurimmortel, élevant à travers ses doutes, ses déchirements, ses angoisses <strong>et</strong>ses <strong>la</strong>rmes, l'édifice harmonique <strong>et</strong> sublime <strong>de</strong> sa personnalité pensante<strong>et</strong> consciente ? Toujours en avant, toujours plus loin, toujours plus haut !On répondra : nous ne savons. Et l'on <strong>de</strong>man<strong>de</strong> : qui nous enseigneraces choses ?Qui ? <strong>Le</strong>s voix intérieures <strong>et</strong> les voix <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là ! Apprenez à ouvrir,à feuill<strong>et</strong>er, à lire le livre caché en vous, le livre <strong>de</strong>s métamorphoses <strong>de</strong>l'être. Il vous dira ce que vous avez été <strong>et</strong> ce que vous serez. Il vousapprendra le plus grand <strong>de</strong>s mystères, <strong>la</strong> création du soi par l'effortconstant, l'action souveraine qui, dans <strong>la</strong> pensée silencieuse, fait germerl'oeuvre <strong>et</strong>, suivant vos aptitu<strong>de</strong>s, votre genre <strong>de</strong> talent, vous fera peindreles plus belles toiles, sculpter les plus idéales formes, composer lessymphonies les plus harmonieuses, écrire les plus belles pages, réaliserles plus beaux poèmes.Tout est là, en vous, autour <strong>de</strong> vous ! Tout parle, tout vibre, le visible<strong>et</strong> l'invisible, tout chante <strong>et</strong> célèbre <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> vivre, l'ivresse <strong>de</strong> penser,<strong>de</strong> créer, <strong>de</strong> s'associer à l'oeuvre universelle. Splen<strong>de</strong>urs <strong>de</strong>s mers <strong>et</strong> duciel étoilé, majesté <strong>de</strong>s cimes, parfums <strong>de</strong>s fleurs, effluves <strong>et</strong> rayons,bruits mystérieux <strong>de</strong>s forêts, mélodies <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'espace, voix <strong>de</strong>l'invisible qui parlent dans le silence du soir, voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience, écho<strong>de</strong> <strong>la</strong> voix divine, tout est enseignement <strong>et</strong> révé<strong>la</strong>tion pour qui sait voir,écouter, comprendre, penser, agir !Puis, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout, <strong>la</strong> Vision Suprême, <strong>la</strong> vision sans formes, <strong>la</strong>Pensée incréée, vérité totale, harmonie finale <strong>de</strong>s essences <strong>et</strong> <strong>de</strong>s lois,qui, <strong>de</strong>puis le fond <strong>de</strong> notre être, jusqu'à <strong>la</strong> plus lointaine étoile, relie tout<strong>et</strong> tous dans son unité resplendissante. Et <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong> vie, qui s'étage <strong>et</strong>


LA PENSEE 275se déroule dans l'infini, échelle <strong>de</strong>s puissances spirituelles qui portent àDieu les appels <strong>de</strong> l'homme par <strong>la</strong> prière <strong>et</strong> à l'homme <strong>la</strong> réponse <strong>de</strong> Dieupar l'inspiration.Et maintenant, une question <strong>de</strong>rnière. Pourquoi, au milieu <strong>de</strong>l'immense <strong>la</strong>beur <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'abondante production intellectuelle quicaractérisent notre époque, trouve-t-on si peu d'oeuvres fortes <strong>et</strong> <strong>de</strong>conceptions géniales ? Parce que nous avons cessé <strong>de</strong> voir les chosesdivines par les yeux <strong>de</strong> l'âme ! Parce que nous avons cessé <strong>de</strong> croire <strong>et</strong>d'aimer !Remontons donc aux sources célestes <strong>et</strong> éternelles : c'est le seulremè<strong>de</strong> à notre anémie morale. Tournons notre pensée vers les chosessolennelles <strong>et</strong> profon<strong>de</strong>s. Que <strong>la</strong> science s'éc<strong>la</strong>ire <strong>et</strong> se complète par lesintuitions <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience <strong>et</strong> les facultés supérieures <strong>de</strong> l'esprit. <strong>Le</strong>spiritualisme mo<strong>de</strong>rne nous y ai<strong>de</strong>ra.XXIV. - LA DISCIPLINE DE LA PENSEE ET LAREFORME DU CARACTERE.La pensée est créatrice, disions-nous. Elle n'agit pas seulement autour<strong>de</strong> nous, influençant nos semb<strong>la</strong>bles en bien ou en mal ; elle agit <strong>sur</strong>touten nous. Elle génère nos paroles, nos actions <strong>et</strong>, par elle, nousconstruisons chaque jour l'édifice, grandiose ou misérable, <strong>de</strong> notre vie,présente <strong>et</strong> à venir. Nous façonnons notre âme <strong>et</strong> son enveloppe par nospensées ; celles-ci produisent <strong>de</strong>s formes, <strong>de</strong>s images qui s'imprimentdans <strong>la</strong> matière subtile dont le corps fluidique est composé. Ainsi, peu àpeu, notre être se peuple <strong>de</strong> formes frivoles ou austères, gracieuses outerribles, grossières ou sublimes ; l'âme s'ennoblit, se pare <strong>de</strong> beauté, ouse fait une atmosphère <strong>de</strong> <strong>la</strong>i<strong>de</strong>ur.Il n'est pas <strong>de</strong> suj<strong>et</strong> plus important que l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée, <strong>de</strong> sespouvoirs, <strong>de</strong> son action. Elle est <strong>la</strong> cause initiale <strong>de</strong> notre élévation ou <strong>de</strong>notre abaissement ; elle prépare toutes les découvertes <strong>de</strong> <strong>la</strong> science,toutes les merveilles <strong>de</strong> l'art, mais aussi toutes les misères <strong>et</strong> toutes leshontes <strong>de</strong> l'humanité. Suivant l'impulsion donnée, elle fon<strong>de</strong> ou détruitles institutions comme les empires, les caractères comme lesconsciences. L'homme n'est grand, l'homme ne vaut que par sa pensée ;par elle ses oeuvres rayonnent <strong>et</strong> se perpétuent à travers les siècles.


276 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>Le</strong> spiritualisme expérimental, beaucoup mieux que toutes lesdoctrines antérieures, nous perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> saisir, <strong>de</strong> comprendre toute <strong>la</strong> force<strong>de</strong> projection <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée. Elle est le principe <strong>de</strong> <strong>la</strong> communionuniverselle. Nous <strong>la</strong> voyons agir dans le phénomène spirite, qu'ellefacilite ou entrave ; son rôle dans les séances d'expérimentation esttoujours considérable. La télépathie nous a démontré que les âmespeuvent s'impressionner, s'influencer à toutes distances. C'est le moyendont se servent les humanités <strong>de</strong> l'espace pour communiquer entre elles àtravers les immensités sidérales. Dans tout le champ <strong>de</strong>s activitésso<strong>la</strong>ires, dans tous les domaines du mon<strong>de</strong> visible ou invisible, l'action<strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée est souveraine. Elle ne l'est pas moins, répétons-le, en nousmêmes<strong>et</strong> <strong>sur</strong> nous-mêmes, modifiant constamment notre nature intime.<strong>Le</strong>s vibrations <strong>de</strong> nos pensées, <strong>de</strong> nos paroles, en se renouve<strong>la</strong>nt dansun sens uniforme, chassent <strong>de</strong> notre enveloppe les éléments qui nepeuvent vibrer en harmonie avec elles ; elles attirent <strong>de</strong>s élémentssimi<strong>la</strong>ires qui accentuent les tendances <strong>de</strong> l'être. Une oeuvre, souventinconsciente, s'é<strong>la</strong>bore ; mille ouvriers mystérieux travaillent dansl'ombre ; aux profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> l'âme, toute une <strong>de</strong>stinée s'ébauche ; danssa gangue, le diamant caché s'épure ou se ternit.Si nous méditons <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s élevés, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> sagesse, le <strong>de</strong>voir, lesacrifice, notre être s'imprègne peu à peu <strong>de</strong>s qualités <strong>de</strong> notre pensée.Voilà pourquoi <strong>la</strong> prière improvisée, ar<strong>de</strong>nte, l'é<strong>la</strong>n <strong>de</strong> l'âme vers lespuissances infinies, a tant <strong>de</strong> vertu. Dans ce dialogue solennel <strong>de</strong> l'êtreavec sa cause, l'influx d'en haut nous envahit <strong>et</strong> <strong>de</strong>s sens nouveauxs'éveillent. La compréhension, <strong>la</strong> conscience <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie s'augmente <strong>et</strong> noussentons, mieux qu'on ne peut l'exprimer, <strong>la</strong> gravité <strong>et</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> <strong>la</strong>plus humble <strong>de</strong>s existences. La prière, <strong>la</strong> communion par <strong>la</strong> pensée avecl'univers spirituel <strong>et</strong> divin, c'est l'effort <strong>de</strong> l'âme vers <strong>la</strong> beauté <strong>et</strong> <strong>la</strong> véritééternelles ; c'est l'entrée pour un instant dans les sphères <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie réelle<strong>et</strong> supérieure, celle qui n'a pas <strong>de</strong> terme.Si, au contraire, notre pensée est inspirée par <strong>de</strong> mauvais désirs, par <strong>la</strong>passion, <strong>la</strong> jalousie, <strong>la</strong> haine, les images qu'elle enfante se succè<strong>de</strong>nt,s'accumulent dans notre corps fluidique <strong>et</strong> l'enténèbrent. Ainsi, nouspouvons, à volonté, faire en nous <strong>la</strong> lumière ou l'ombre. C'est cequ'affirment tant <strong>de</strong> communications d'outre-tombe.Nous sommes ce que nous pensons, à <strong>la</strong> condition <strong>de</strong> penser avecforce, volonté, persistance. Mais presque toujours nos pensées passent


LA DISCIPLINE DE LA PENSEE 277constamment d'un suj<strong>et</strong> à un autre. Nous pensons rarement par nousmêmes,nous reflétons les mille pensées incohérentes du milieu où nousvivons. Peu d'hommes savent vivre <strong>de</strong> leur propre pensée, puiser auxsources profon<strong>de</strong>s, à ce grand réservoir d'inspirations que chacun porteen soi, mais que <strong>la</strong> plupart ignorent. Aussi se font-ils une enveloppepeuplée <strong>de</strong>s formes les plus disparates. <strong>Le</strong>ur esprit est comme une<strong>de</strong>meure ouverte à tous les passants. <strong>Le</strong>s rayons du bien <strong>et</strong> les ombres dumal s'y confon<strong>de</strong>nt en un perpétuel chaos. C'est l'incessant combat <strong>de</strong> <strong>la</strong>passion <strong>et</strong> du <strong>de</strong>voir, où, presque toujours, <strong>la</strong> passion l'emporte. Avanttout, il faut apprendre à contrôler nos pensées, à les discipliner, à leurimprimer une direction précise, un but noble <strong>et</strong> digne.<strong>Le</strong> contrôle <strong>de</strong>s pensées entraîne le contrôle <strong>de</strong>s actes, car si les unessont bonnes, les autres le seront également, <strong>et</strong> toute notre conduite s<strong>et</strong>rouvera réglée par un enchaînement harmonique. Tandis que si nosactes sont bons <strong>et</strong> nos pensées mauvaises, il ne peut y avoir là qu'unefausse apparence du bien, <strong>et</strong> nous continuerons à porter en nous un foyermalfaisant, dont les influences se répandront tôt ou tard, fatalement, <strong>sur</strong>notre vie.Parfois nous remarquons une contradiction frappante entre lespensées, les écrits <strong>et</strong> les actions <strong>de</strong> certains hommes, <strong>et</strong> nous sommesportés, par c<strong>et</strong>te contradiction même, à douter <strong>de</strong> leur bonne foi, <strong>de</strong> leursincérité. Ce n'est là souvent qu'une fausse interprétation <strong>de</strong> notre part.<strong>Le</strong>s actes <strong>de</strong> ces hommes résultent <strong>de</strong> l'impulsion sour<strong>de</strong> <strong>de</strong>s pensées <strong>et</strong><strong>de</strong>s forces qu'ils ont accumulées en eux dans le passé. <strong>Le</strong>urs aspirationsprésentes, plus élevées, leurs pensées, plus généreuses, seront réaliséesen actes dans l'avenir. Ainsi tout s'accor<strong>de</strong> <strong>et</strong> s'explique, quand onconsidère les choses au point <strong>de</strong> vue é<strong>la</strong>rgi <strong>de</strong> l'évolution ; tandis qu<strong>et</strong>out reste obscur, incompréhensible, contradictoire, avec <strong>la</strong> théorie d'unevie unique pour chacun <strong>de</strong> nous.** *Il est bon <strong>de</strong> vivre en contact par <strong>la</strong> pensée avec les écrivains <strong>de</strong> génie,avec les auteurs véritablement grands <strong>de</strong> tous les temps <strong>et</strong> <strong>de</strong> tous lespays, en lisant, en méditant leurs oeuvres, en imprégnant tout notre être<strong>de</strong> <strong>la</strong> substance <strong>de</strong> leur âme. <strong>Le</strong>s radiations <strong>de</strong> leurs pensées éveilleronten nous <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s semb<strong>la</strong>bles <strong>et</strong> amèneront à <strong>la</strong> longue <strong>de</strong>s modifications<strong>de</strong> notre caractère par <strong>la</strong> nature même <strong>de</strong>s impressions ressenties.


278 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEIl faut choisir nos lectures avec soin, puis les mûrir <strong>et</strong> s'en assimiler <strong>la</strong>quintessence. En général, on lit trop, on lit hâtivement, <strong>et</strong> l'on ne méditepas. Il serait préférable <strong>de</strong> lire moins <strong>et</strong> <strong>de</strong> réfléchir davantage à ce qu'ona lu. C'est un sûr moyen <strong>de</strong> fortifier notre intelligence, <strong>de</strong> recueillir lesfruits <strong>de</strong> sagesse <strong>et</strong> <strong>de</strong> beauté que peuvent contenir nos lectures. En ce<strong>la</strong>,comme en toutes choses, le beau attire <strong>et</strong> génère le beau, <strong>de</strong> même que <strong>la</strong>bonté attire le bonheur, <strong>et</strong> le mal <strong>la</strong> souffrance.L'étu<strong>de</strong> silencieuse <strong>et</strong> recueillie est toujours fécon<strong>de</strong> pour ledéveloppement <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée C'est dans le silence que s'é<strong>la</strong>borent lesoeuvres fortes. La parole est bril<strong>la</strong>nte, mais elle dégénère trop souvent enpropos stériles, parfois malfaisants ; par là, <strong>la</strong> pensée s'affaiblit <strong>et</strong> l'âmese vi<strong>de</strong>. Tandis que dans <strong>la</strong> méditation, l'esprit se concentre ; il se tournevers le côté grave <strong>et</strong> solennel <strong>de</strong>s choses ; <strong>la</strong> lumière du mon<strong>de</strong> spirituelle baigne <strong>de</strong> ses on<strong>de</strong>s. Il y a autour du penseur <strong>de</strong> grands Etresinvisibles qui ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt qu'à l'inspirer ; c'est dans le <strong>de</strong>mi-jour <strong>de</strong>sheures tranquilles, ou bien sous <strong>la</strong> lumière discrète <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>mpe <strong>de</strong> travailqu'ils peuvent le mieux entrer en communication avec lui. Partout <strong>et</strong>toujours, une vie occulte se mêle à notre vie.Evitons les discussions bruyantes, les paroles vaines, les lecturesfrivoles. Soyons sobres <strong>de</strong> journaux. La lecture <strong>de</strong>s journaux, en nousfaisant passer sans cesse d'un suj<strong>et</strong> à un autre, rend l'esprit encore plusinstable. Nous vivons à une époque d'anémie intellectuelle, qui estcausée par <strong>la</strong> rar<strong>et</strong>é <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s sérieuses, par <strong>la</strong> recherche abusive du motpour le mot, <strong>de</strong> <strong>la</strong> forme enjolivée <strong>et</strong> vi<strong>de</strong>, <strong>et</strong> <strong>sur</strong>tout par l'insuffisance<strong>de</strong>s éducateurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse. Attachons-nous à <strong>de</strong>s oeuvres plussubstantielles, à tout ce qui peut nous éc<strong>la</strong>irer <strong>sur</strong> les lois profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong>vie <strong>et</strong> faciliter notre évolution. Peu à peu s'édifieront en nous uneintelligence, une conscience plus fortes, <strong>et</strong> notre corps fluidiques'illuminera <strong>de</strong>s refl<strong>et</strong>s d'une pensée haute <strong>et</strong> pure.Nous l'avons dit, l'âme recèle <strong>de</strong>s profon<strong>de</strong>urs où <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong>scendrarement, parce que mille obj<strong>et</strong>s extérieurs l'occupent sans cesse. Sa<strong>sur</strong>face, comme celle d'une mer, en est souvent agitée ; mais au-<strong>de</strong>ssouss'éten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s régions que les orages n'atteignent pas. Là, dorment cespuissances cachées, qui atten<strong>de</strong>nt notre appel pour émerger <strong>et</strong> apparaître.L'appel se fait rarement entendre, <strong>et</strong> l'homme s'agite dans son indigence,ignorant <strong>de</strong>s trésors inappréciables qui reposent en lui.


LA DISCIPLINE DE LA PENSEE 279Il faut le choc <strong>de</strong>s épreuves, les heures tristes <strong>et</strong> désolées, pour lui fairecomprendre <strong>la</strong> fragilité <strong>de</strong>s choses extérieures <strong>et</strong> le conduire vers <strong>la</strong>recherche <strong>de</strong> soi-même, vers <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> ses véritables richessesspirituelles.C'est pourquoi les gran<strong>de</strong>s âmes <strong>de</strong>viennent d'autant plus nobles <strong>et</strong>plus belles que leurs douleurs sont plus vives. A chaque nouveaumalheur qui les frappe, elles ont <strong>la</strong> sensation <strong>de</strong> s'être rapprochées unpeu plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> perfection, <strong>et</strong>, à c<strong>et</strong>te pensée, elleséprouvent comme une volupté amère. Une étoile nouvelle s'est levéedans le ciel <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>stinée, une étoile dont les rayons tremb<strong>la</strong>ntspénètrent au sanctuaire <strong>de</strong> leur conscience, en éc<strong>la</strong>irent les replis cachés.Chez les intelligences <strong>de</strong> haute culture, le malheur sème : chaquedouleur est un sillon où lève une moisson <strong>de</strong> vertu <strong>et</strong> <strong>de</strong> beauté.A certaines heures <strong>de</strong> notre vie, à <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> notre mère, àl'écroulement d'une espérance ar<strong>de</strong>mment caressée, à <strong>la</strong> perte d'unefemme, d'un enfant aimés, chaque fois que se brise un <strong>de</strong>s liens qui nousattachaient à ce mon<strong>de</strong>, une voix mystérieuse s'élève dans lesprofon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> notre âme, voix solennelle qui nous parle <strong>de</strong> mille loisplus augustes, plus vénérables que celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre, <strong>et</strong> tout un mon<strong>de</strong>idéal s'entrouvre. Mais les bruits du <strong>de</strong>hors l'ont bientôt étouffée, <strong>et</strong> l'êtrehumain r<strong>et</strong>ombe presque toujours dans ses doutes, ses hésitations, dans<strong>la</strong> p<strong>la</strong>te vulgarité <strong>de</strong> son existence.** *Il n'est pas <strong>de</strong> progrès possible sans une observation attentive <strong>de</strong> soimême.Il faut <strong>sur</strong>veiller tous nos actes impulsifs, afin d'arriver à savoirdans quel sens nous <strong>de</strong>vons porter nos efforts pour nous améliorer.D'abord, régler <strong>la</strong> vie physique, réduire les besoins matériels aunécessaire afin d'as<strong>sur</strong>er <strong>la</strong> santé du corps, c<strong>et</strong> instrument indispensable<strong>de</strong> notre rôle terrestre. Puis, discipliner ses impressions, ses émotions ;s'exercer à les dominer, à les utiliser comme <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> notreperfectionnement moral. Apprendre <strong>sur</strong>tout à s'oublier, à faire lesacrifice du moi, à nous dégager <strong>de</strong> tout sentiment d'égoïsme. On n'estvraiment heureux en ce mon<strong>de</strong> que dans <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e où l'on sait s'oublier.Il ne suffit pas <strong>de</strong> croire <strong>et</strong> <strong>de</strong> savoir, il faut vivre sa croyance, c'est-àdirefaire pénétrer dans <strong>la</strong> pratique quotidienne <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie les principessupérieurs que nous avons adoptés. Il faut s'habituer à communier par <strong>la</strong>


280 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEpensée <strong>et</strong> par le coeur avec les Esprits éminents qui en ont été lesrévé<strong>la</strong>teurs, avec toutes les âmes d'élite qui ont servi <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>s àl'humanité, vivre avec eux dans une intimité <strong>de</strong> chaque jour, nousinspirer <strong>de</strong> leurs vues <strong>et</strong> ressentir leur influence par c<strong>et</strong>te perceptionintime que développent nos rapports avec le mon<strong>de</strong> invisible.Parmi ces gran<strong>de</strong>s âmes, il est bon d'en choisir une comme exemple, <strong>la</strong>plus digne <strong>de</strong> notre admiration, <strong>et</strong> dans toutes les circonstances difficiles,dans tous les cas où notre conscience oscille entre <strong>de</strong>ux partis à prendre,nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qu'elle aurait résolu <strong>et</strong> agir dans le même sens.Ainsi, nous nous construirons peu à peu, d'après ce modèle, un idéalmoral qui se reflétera dans tous nos actes. Tout homme, dans l'humbleréalité <strong>de</strong> chaque jour, peut se mo<strong>de</strong>ler une conscience sublime. L'oeuvreest lente <strong>et</strong> difficile, mais les siècles nous sont donnés pour l'accomplir.Concentrons donc souvent nos pensées, pour les ramener, par <strong>la</strong>volonté, vers l'idéal rêvé. Méditons <strong>sur</strong> lui chaque jour, à une heurechoisie, le matin <strong>de</strong> préférence, lorsque tout est calme <strong>et</strong> repose encoreautour <strong>de</strong> nous, à ce moment que le poète appelle «l'heure divine»,quand <strong>la</strong> nature, fraîche <strong>et</strong> reposée, s'éveille aux c<strong>la</strong>rtés <strong>de</strong> l'aube. Auxheures matinales, l'âme, par <strong>la</strong> prière <strong>et</strong> <strong>la</strong> méditation, s'élève d'un plusfacile é<strong>la</strong>n jusqu'à ces hauteurs d'où l'on voit <strong>et</strong> comprend que tout - <strong>la</strong>vie, les actes, les pensées - tout est lié à quelque chose <strong>de</strong> grand <strong>et</strong>d'éternel <strong>et</strong> que nous habitons un mon<strong>de</strong> où <strong>de</strong>s puissances invisiblesvivent <strong>et</strong> travaillent avec nous. Dans <strong>la</strong> vie <strong>la</strong> plus simple, dans <strong>la</strong> tâche<strong>la</strong> plus mo<strong>de</strong>ste, dans l'existence <strong>la</strong> plus effacée, se montrent alors <strong>de</strong>scôtés profonds, une réserve d'idéal, <strong>de</strong>s sources possibles <strong>de</strong> beauté.Chaque âme peut se faire, par ses pensées, une atmosphère spirituelleaussi belle, aussi resplendissante que dans les paysages les plusenchanteurs ; <strong>et</strong> dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>meure <strong>la</strong> plus chétive, dans le logis le plusmisérable, il y a <strong>de</strong>s ouvertures vers Dieu <strong>et</strong> vers l'infini !** *Dans toutes nos re<strong>la</strong>tions sociales, dans nos rapports avec nossemb<strong>la</strong>bles, il faut constamment se rappeler ceci : les hommes sont <strong>de</strong>svoyageurs en marche, occupant <strong>de</strong>s points divers <strong>sur</strong> l'échelled'évolution que nous gravissons tous. Par conséquent, nous ne <strong>de</strong>vonsrien exiger, rien attendre d'eux qui ne soit en rapport avec leur <strong>de</strong>gréd'avancement.


LA DISCIPLINE DE LA PENSEE 281A tous nous <strong>de</strong>vons <strong>la</strong> tolérance, <strong>la</strong> bienveil<strong>la</strong>nce <strong>et</strong> même le pardon ;car si l'on nous cause du préjudice, si l'on nous raille <strong>et</strong> nous offense,c'est presque toujours par suite du manque <strong>de</strong> compréhension <strong>et</strong> <strong>de</strong>savoir qui résulte d'un développement insuffisant. Dieu ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> auxhommes que ce qu'ils ont pu acquérir par leurs lents <strong>et</strong> pénibles travaux.Nous n'avons pas le droit d'en exiger davantage. N'avons-nous pas étésemb<strong>la</strong>bles aux plus arriérés d'entre eux ? Si chacun <strong>de</strong> nous pouvait liredans son passé ce qu'il a été, ce qu'il a fait, combien nous serions plusindulgents pour les fautes d'autrui ! Parfois encore, nous avons besoin <strong>de</strong><strong>la</strong> même indulgence que nous leur <strong>de</strong>vons. Soyons sévères pour nousmêmes<strong>et</strong> tolérants pour les autres. Instruisons-les, éc<strong>la</strong>irons-les,guidons-les avec douceur : c'est là ce que <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> solidarité nouscomman<strong>de</strong>.Enfin, il faut savoir supporter toutes choses avec patience <strong>et</strong> sérénité.Quels que soient les agissements <strong>de</strong> nos semb<strong>la</strong>bles envers nous, nous ne<strong>de</strong>vons en concevoir aucune animosité, aucun ressentiment ; mais, aucontraire, faire servir toutes les causes d'ennui ou d'affliction à notrepropre éducation morale. Nul revers ne pourrait nous atteindre, si, parnos vies antérieures <strong>et</strong> coupables, nous n'avions <strong>la</strong>issé prise à l'adversité.Voilà ce qu'il faut souvent se dire. Nous arriverons ainsi à accepter sansamertume toutes les épreuves, en les considérant comme une réparationdu passé, ou comme un moyen <strong>de</strong> perfectionnement.De <strong>de</strong>gré en <strong>de</strong>gré, nous parviendrons ainsi à ce calme d'esprit, à c<strong>et</strong>tepossession <strong>de</strong> soi-même, à c<strong>et</strong>te confiance absolue en l'avenir, quidonnent <strong>la</strong> force, <strong>la</strong> quiétu<strong>de</strong>, <strong>la</strong> satisfaction intime <strong>et</strong> nous perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong>rester fermes au milieu <strong>de</strong>s plus dures vicissitu<strong>de</strong>s.Quand l'âge est venu, les illusions, les vaines espérances tombentcomme <strong>de</strong>s feuilles mortes ; mais les hautes vérités n'en apparaissent queplus bril<strong>la</strong>ntes, comme les étoiles dans le ciel d'hiver, à travers lesbranches dépouillées <strong>de</strong> nos jardins.Il importe peu alors que <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée ne nous ait offert aucune gloire,aucun sourire, aucun rayon <strong>de</strong> joie, si elle a enrichi notre âme d'une vertu<strong>de</strong> plus, d'un peu <strong>de</strong> beauté morale. <strong>Le</strong>s vies obscures <strong>et</strong> tourmentéessont parfois les plus fécon<strong>de</strong>s, tandis que les vies éc<strong>la</strong>tantes nous riventtrop souvent <strong>et</strong> pour longtemps à <strong>la</strong> chaîne redoutable <strong>de</strong>sresponsabilités.


282 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>Le</strong> bonheur n'est pas dans les choses extérieures ou les hasards du<strong>de</strong>hors, mais seulement en nous-mêmes, dans <strong>la</strong> vie intérieure que noussavons nous faire. Qu'importe que le ciel soit noir <strong>sur</strong> nos têtes <strong>et</strong> leshommes mauvais autour <strong>de</strong> nous, si nous avons <strong>la</strong> lumière au front, <strong>la</strong>joie du bien <strong>et</strong> <strong>la</strong> liberté morale au coeur. Mais si j'ai honte <strong>de</strong> moimême,si le mal a envahi ma pensée, si le crime <strong>et</strong> <strong>la</strong> trahison habitent enmoi toutes les faveurs, toutes les félicités <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre ne me rendront pas<strong>la</strong> paix silencieuse <strong>et</strong> <strong>la</strong> joie <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience. <strong>Le</strong> sage, dès ce mon<strong>de</strong>, secrée en lui-même un refuge as<strong>sur</strong>é, un lieu sacré, une r<strong>et</strong>raite profon<strong>de</strong>,où ne parviennent pas les discor<strong>de</strong>s <strong>et</strong> les contradictions du <strong>de</strong>hors. Demême, dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l'espace, <strong>la</strong> sanction du <strong>de</strong>voir <strong>et</strong> <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong> <strong>la</strong>justice sont d'ordre tout intime. Chaque âme porte en soi sa c<strong>la</strong>rté ou sonombre, son paradis ou son enfer. Mais souvenons-nous qu'il n'est riend'irréparable : <strong>la</strong> situation présente <strong>de</strong> l'esprit inférieur n'est qu'un pointpresque imperceptible dans l'immensité <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>stinées.XXV. - L'AMOUR.L'amour, tel qu'on l'entend communément <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre, est unsentiment, une impulsion <strong>de</strong> l'être qui le porte vers un autre être avec ledésir <strong>de</strong> s'unir à lui. Mais, en réalité, l'amour revêt <strong>de</strong>s formes infinies,<strong>de</strong>puis les plus vulgaires jusqu'aux plus sublimes. Principe <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieuniverselle, il procure à l'âme, dans ses manifestations les plus hautes <strong>et</strong>les plus pures, c<strong>et</strong>te intensité <strong>de</strong> radiation qui réchauffe, vivifie tout cequi l'entoure ; c'est par lui qu'elle se sent reliée étroitement à <strong>la</strong> Puissancedivine, foyer ar<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> toute vie, <strong>de</strong> tout amour.Par-<strong>de</strong>ssus tout, Dieu est amour ; c'est par amour qu'il a créé les êtres,pour les associer à ses joies, à son oeuvre. L'amour est un sacrifice ;Dieu a puisé en lui <strong>la</strong> vie pour <strong>la</strong> donner aux âmes. En même temps quel'effusion vitale, elles recevaient le principe affectif <strong>de</strong>stiné à germer <strong>et</strong> às'épanouir en elles, par l'épreuve <strong>de</strong>s siècles, jusqu'à ce qu'elles aientappris à se donner à leur tour, c'est-à-dire à se dévouer, à se sacrifierpour les autres. Ainsi, loin <strong>de</strong> s'amoindrir, elles grandissent encore,s'ennoblissent <strong>et</strong> se rapprochent du foyer suprême.L'amour est une force inépuisable ; il se renouvelle sans cesse <strong>et</strong>enrichit à <strong>la</strong> fois celui qui donne <strong>et</strong> celui qui reçoit. C'est par l'amour,soleil <strong>de</strong>s âmes, que Dieu agit le plus efficacement dans le mon<strong>de</strong> ; par


L'AMOUR 283là, il attire à lui tous les pauvres êtres attardés dans les bas-fonds <strong>de</strong> <strong>la</strong>passion, les esprits captifs dans <strong>la</strong> matière ; il les élève <strong>et</strong> les entraînedans <strong>la</strong> spirale <strong>de</strong> l'ascension infinie vers les splen<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> <strong>la</strong> lumière <strong>et</strong><strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté.L'amour conjugal, l'amour maternel, l'amour filial ou fraternel, l'amourdu pays, <strong>de</strong> <strong>la</strong> race, <strong>de</strong> l'humanité, sont <strong>de</strong>s réfractions, <strong>de</strong>s rayons brisés<strong>de</strong> l'amour divin, qui embrasse, pénètre tous les êtres <strong>et</strong>, en se diffusanten eux, fait éclore <strong>et</strong> fleurir mille formes variées, mille splendi<strong>de</strong>sfloraisons d'amour.Jusqu'aux profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> l'abîme <strong>de</strong> vie, les radiations <strong>de</strong> l'amourdivin se glissent <strong>et</strong> vont allumer chez les êtres les plus rudimentaires, parl'attachement à <strong>la</strong> compagne <strong>et</strong> aux p<strong>et</strong>its, les premières lueurs qui, dansce milieu d'égoïsme féroce, seront comme l'aube indécise <strong>et</strong> <strong>la</strong> promessed'une vie plus haute.C'est l'appel <strong>de</strong> l'être à l'être, c'est l'amour qui provoquera, au fond <strong>de</strong>sâmes embryonnaires, les premiers éveils <strong>de</strong> l'altruisme, <strong>de</strong> <strong>la</strong> pitié, <strong>de</strong> <strong>la</strong>bonté. Plus haut dans l'échelle évolutive, il initiera l'être humain auxpremières félicités, aux seules sensations <strong>de</strong> bonheur parfait qu'il lui soitdonné <strong>de</strong> goûter <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre, sensations plus fortes <strong>et</strong> plus douces qu<strong>et</strong>outes les joies physiques, <strong>et</strong> connues seulement <strong>de</strong>s âmes qui saventvéritablement aimer.Ainsi, d'étapes en étapes, sous l'influence <strong>et</strong> le rayonnement <strong>de</strong>l'amour, l'âme se développera, grandira, verra s'é<strong>la</strong>rgir le cercle <strong>de</strong> sessensations. <strong>Le</strong>ntement, ce qui n'était en elle que passion, désir charnel,s'épurera, se transformera en un sentiment noble <strong>et</strong> désintéressé.L'attachement à un seul ou à quelques-uns <strong>de</strong>viendra l'attachement àtous, à <strong>la</strong> famille, à <strong>la</strong> patrie, à l'humanité. Et l'âme acquerra <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong><strong>de</strong> son développement lorsqu'elle sera apte à comprendre <strong>la</strong> vie céleste,qui est tout amour, <strong>et</strong> à y participer.L'amour est plus fort que <strong>la</strong> haine, plus fort que <strong>la</strong> mort. Si le Christ aété le plus grand <strong>de</strong>s missionnaires <strong>et</strong> <strong>de</strong>s prophètes, s'il a pris tantd'empire <strong>sur</strong> les hommes, c'est qu'il portait en lui un refl<strong>et</strong> plus puissant<strong>de</strong> l'amour divin. Jésus a passé peu <strong>de</strong> temps <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre ; trois annéesd'évangélisation lui ont suffi pour s'emparer <strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong>s nations. Cen'est ni par <strong>la</strong> science, ni par l'art oratoire qu'il a séduit, captivé lesfoules, c'est par l'amour. Et <strong>de</strong>puis sa mort, son amour est resté dans lemon<strong>de</strong> comme un foyer toujours vivant, toujours brû<strong>la</strong>nt. Voilà


284 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEpourquoi, malgré les erreurs <strong>et</strong> les fautes <strong>de</strong> ses représentants, malgrétant <strong>de</strong> sang versé par eux, tant <strong>de</strong> f<strong>la</strong>mmes allumées, tant <strong>de</strong> voilesétendus <strong>sur</strong> son enseignement, le Christianisme est resté <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong><strong>de</strong>s religions. Il a discipliné, façonné l'âme humaine, adouci l'humeurfarouche <strong>de</strong>s barbares, arraché <strong>de</strong>s races entières au sensualisme ou à <strong>la</strong>bestialité.<strong>Le</strong> Christ n'est pas l'unique exemple à proposer. D'une façon générale,on peut, <strong>sur</strong> notre sphère, constater qu'il se dégage <strong>de</strong>s âmes éminentes<strong>de</strong>s radiations, <strong>de</strong>s effluves régénérateurs, qui constituent comme uneatmosphère <strong>de</strong> paix, une sorte <strong>de</strong> protection, <strong>de</strong> préservation, <strong>de</strong>provi<strong>de</strong>nce particulière. Tous ceux qui vivent sous c<strong>et</strong>te bienfaisanteinfluence morale ressentent un calme, un repos d'esprit, une sorte <strong>de</strong>sérénité qui donne un avant-goût <strong>de</strong>s quiétu<strong>de</strong>s célestes. C<strong>et</strong>te sensationest plus accusée encore dans les séances spirites dirigées <strong>et</strong> inspirées par<strong>de</strong>s âmes supérieures ; souvent nous l'avons éprouvée nous-même, enprésence <strong>de</strong>s entités qui présidaient aux travaux <strong>de</strong> notre groupe <strong>de</strong>Tours 1 .Ces impressions se r<strong>et</strong>rouvent <strong>de</strong> plus en plus vives à me<strong>sur</strong>e qu'ons'éloigne <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns inférieurs, où règnent les impulsions égoïstes <strong>et</strong>fatales, <strong>et</strong> qu'on gravit les <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> <strong>la</strong> glorieuse hiérarchie spirituellepour se rapprocher du foyer divin. On peut constater ainsi, par uneexpérience qui vient compléter nos intuitions, que chaque âme est unsystème <strong>de</strong> forces <strong>et</strong> un générateur d'amour, dont <strong>la</strong> puissance d'actions'accroît avec l'élévation.Par là, s'expliquent encore <strong>et</strong> s'affirment <strong>la</strong> solidarité <strong>et</strong> <strong>la</strong> fraternitéuniverselles. Un jour, quand <strong>la</strong> véritable notion <strong>de</strong> l'être se dégagera <strong>de</strong>sdoutes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s incertitu<strong>de</strong>s qui obsè<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> pensée humaine, oncomprendra c<strong>et</strong>te gran<strong>de</strong> fraternité reliant les âmes. On sentira que toutessont enveloppées par le magnétisme divin, par le grand souffle d'amourqui emplit les espaces.A part ce lien puissant, les âmes constituent aussi <strong>de</strong>s groupementsséparés, <strong>de</strong>s familles, qui se sont formées peu à peu à travers les siècles,par <strong>la</strong> communauté <strong>de</strong>s joies <strong>et</strong> <strong>de</strong>s douleurs éprouvées. La véritablefamille est celle <strong>de</strong> l'espace ; celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre n'en est qu'une image, uneréduction affaiblie, comme le sont les choses <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> comparées àcelles du ciel. La vraie famille se compose <strong>de</strong>s esprits qui ont gravi1 Voir Dans l'Invisible, chapitre XIX.


L'AMOUR 285ensemble les ru<strong>de</strong>s sentiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée <strong>et</strong> sont faits pour secomprendre <strong>et</strong> pour s'aimer.Qui pourrait décrire les sentiments intimes <strong>et</strong> tendres qui unissent cesêtres, les joies ineffables nées <strong>de</strong> <strong>la</strong> fusion <strong>de</strong>s intelligences <strong>et</strong> <strong>de</strong>sconsciences, l'union fluidique <strong>de</strong>s âmes sous le sourire <strong>de</strong> Dieu ?Ces groupements spirituels sont les milieux bénis où toutes lespassions terrestres s'apaisent, où les égoïsmes s'évanouissent, où lescoeurs se di<strong>la</strong>tent, où viennent se r<strong>et</strong>remper <strong>et</strong> se consoler tous ceux quiont souffert, lorsque, délivrés par <strong>la</strong> mort, ils rejoignent les bien-aimésréunis pour fêter leur r<strong>et</strong>our.Qui pourra peindre les extases que procure aux âmes épurées,parvenues aux somm<strong>et</strong>s <strong>de</strong> lumière, l'effusion en elles <strong>de</strong> l'amour divin ?Et les fiançailles célestes par lesquelles <strong>de</strong>ux esprits se lient pour jamaisau sein <strong>de</strong>s familles <strong>de</strong> l'espace, assemblées pour consacrer, par un ritesolennel, c<strong>et</strong>te union symbolique <strong>et</strong> in<strong>de</strong>structible ? C'est là l'hyménéevéritable, celui <strong>de</strong>s âmes soeurs que Dieu réunit par un fil d'or pourl'éternité. Par ces fêtes <strong>de</strong> l'amour, les esprits qui ont appris à se rendrelibres <strong>et</strong> à user <strong>de</strong> leur liberté fusionnent dans un même flui<strong>de</strong>, sous leregard ému <strong>de</strong> leurs frères. Ils se suivront désormais dans leurspérégrinations à travers les mon<strong>de</strong>s ; ils marcheront <strong>la</strong> main dans <strong>la</strong>main, souriant au malheur <strong>et</strong> puisant dans leur commune tendresse <strong>la</strong>force <strong>de</strong> supporter tous les revers, toutes les amertumes du sort.Quelquefois, séparés par les renaissances, ils conserveront l'intuitionsecrète que leur isolement n'est que passager : après les épreuves <strong>de</strong> <strong>la</strong>séparation, ils entrevoient l'ivresse du r<strong>et</strong>our au seuil <strong>de</strong>s immensités.Parmi ceux qui marchent ici-bas solitaires, attristés, courbés sous lefar<strong>de</strong>au <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, il en est qui gar<strong>de</strong>nt au fond du coeur le vaguesouvenir <strong>de</strong> leur famille spirituelle. Ceux-là souffrent cruellement <strong>de</strong> <strong>la</strong>nostalgie <strong>de</strong>s espaces <strong>et</strong> du céleste amour, <strong>et</strong> rien, parmi les joies <strong>de</strong> <strong>la</strong>terre, ne peut les distraire <strong>et</strong> les consoler. <strong>Le</strong>ur pensée va souvent, dans<strong>la</strong> veille <strong>et</strong> plus encore dans le sommeil, rejoindre les êtres chéris qui lesatten<strong>de</strong>nt dans <strong>la</strong> paix sereine <strong>de</strong>s Au-<strong>de</strong>là. <strong>Le</strong> sentiment profond <strong>de</strong>scompensations attendues explique leur force morale dans <strong>la</strong> lutte <strong>et</strong> leuraspiration vers un mon<strong>de</strong> meilleur. Et l'espérance sème <strong>de</strong> fleurs austèresles sentiers déserts qu'ils parcourent.** *


286 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEToute <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong> l'âme se résume en trois mots : vouloir, savoir,aimer !Vouloir, c'est-à-dire faire converger toute son activité, toute sonénergie vers le but à atteindre ; développer sa volonté <strong>et</strong> apprendre à <strong>la</strong>diriger.Savoir, parce que, sans l'étu<strong>de</strong> approfondie, sans <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong>schoses <strong>et</strong> <strong>de</strong>s lois, <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>la</strong> volonté peuvent s'égarer au milieu <strong>de</strong>sforces qu'elles cherchent à conquérir <strong>et</strong> <strong>de</strong>s éléments qu'elles aspirent àcomman<strong>de</strong>r.Mais, par-<strong>de</strong>ssus tout, il faut aimer, car, sans l'amour, <strong>la</strong> volonté <strong>et</strong> <strong>la</strong>science seraient incomplètes <strong>et</strong>, souvent, stériles. L'amour les éc<strong>la</strong>ire, lesfécon<strong>de</strong>, centuple leurs ressources. Il ne s'agit pas ici <strong>de</strong> l'amour quicontemple sans agir, mais <strong>de</strong> celui qui s'emploie à répandre le bien <strong>et</strong> <strong>la</strong>vérité dans le mon<strong>de</strong>. La vie terrestre est un conflit entre les forces dumal <strong>et</strong> celles du bien. <strong>Le</strong> <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> toute âme virile est <strong>de</strong> prendre part aucombat, d'y apporter tous ses é<strong>la</strong>ns, tous ses moyens d'action, <strong>de</strong> lutterpour les autres, pour tous ceux qui s'agitent encore dans <strong>la</strong> voie obscure.<strong>Le</strong> plus noble usage que l'on puisse faire <strong>de</strong> ses facultés, c'est <strong>de</strong>travailler à agrandir, à développer dans le sens du bien <strong>et</strong> du beau c<strong>et</strong>tecivilisation, c<strong>et</strong>te société humaine, qui a ses p<strong>la</strong>ies <strong>et</strong> ses <strong>la</strong>i<strong>de</strong>urs, sansdoute, mais qui est riche d'espérances <strong>et</strong> <strong>de</strong> magnifiques promesses. Cespromesses se transformeront en réalités vivantes, le jour où l'humanitéaura appris à communier, par <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong> par le coeur, avec le foyerd'amour qui est <strong>la</strong> splen<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Dieu.Aimons donc <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong> notre coeur ; aimons jusqu'ausacrifice, comme Jeanne d'Arc a aimé <strong>la</strong> France, comme le Christ a aimél'humanité ; <strong>et</strong> tous ceux qui nous entourent subiront notre influence, ilsse sentiront naître à une nouvelle vie.O homme, recherche autour <strong>de</strong> toi les p<strong>la</strong>ies à panser, les maux àguérir, les afflictions à consoler. E<strong>la</strong>rgis les intelligences ; ramène lescoeurs égarés ; associe les forces <strong>et</strong> les âmes. Travaille à bâtir <strong>la</strong> hautecité <strong>de</strong> paix <strong>et</strong> d'harmonie qui sera <strong>la</strong> cité d'amour, <strong>la</strong> cité <strong>de</strong> Dieu !Ec<strong>la</strong>ire, relève, purifie ! Et qu'importe si l'on se rit <strong>de</strong> toi ; qu'importe sil'ingratitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>la</strong> méchanc<strong>et</strong>é se dressent <strong>sur</strong> ton chemin. Celui qui aimene recule pas pour si peu. Même s'il ne récolte que <strong>de</strong>s épines <strong>et</strong> <strong>de</strong>sronces, il poursuit son oeuvre, parce que son <strong>de</strong>voir est là. Il sait quel'abnégation nous grandit.


L'AMOUR 287Et puis, le sacrifice, lui aussi, a ses joies ; accompli avec amour, iltransforme les pleurs en sourires, il fait naître en nous <strong>de</strong>s allégressesinconnues <strong>de</strong> l'égoïste <strong>et</strong> du méchant. Pour celui qui sait aimer, leschoses les plus banales prennent <strong>de</strong> l'intérêt : tout semble s'illuminer ;mille sensations nouvelles s'éveillent en lui.Il faut à <strong>la</strong> sagesse <strong>et</strong> à <strong>la</strong> science <strong>de</strong> longs efforts, une lente <strong>et</strong> pénibleascension pour nous conduire aux altitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée. L'amour <strong>et</strong> lesacrifice y parviennent d'un seul bond, d'un seul coup d'aile. Dans leuré<strong>la</strong>n, ils conquièrent <strong>la</strong> patience, le courage, <strong>la</strong> bienveil<strong>la</strong>nce, toutes lesvertus fortes <strong>et</strong> douces. L'amour affine l'intelligence, é<strong>la</strong>rgit le coeur, <strong>et</strong>c'est à <strong>la</strong> somme d'amour accumulée en nous que nous pouvons me<strong>sur</strong>erle chemin que nous avons fait vers Dieu.** *A toutes les interrogations <strong>de</strong> l'homme, à ses hésitations, à ses craintes,à ses b<strong>la</strong>sphèmes, une gran<strong>de</strong> voix, puissante <strong>et</strong> mystérieuse, répond :«Apprends à aimer !» L'amour est le somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> tout, le but <strong>de</strong> tout, <strong>la</strong> fin<strong>de</strong> tout. De ce somm<strong>et</strong> se déploie <strong>et</strong> s'étend sans cesse, <strong>sur</strong> l'univers,l'immense réseau d'amour, tissé d'or <strong>et</strong> <strong>de</strong> lumière. Aimer est le secr<strong>et</strong> dubonheur. D'un seul mot, l'amour résout tous les problèmes, dissipe toutesles obscurités. L'amour sauvera le mon<strong>de</strong> ; sa chaleur fera fondre lesg<strong>la</strong>ces du doute, <strong>de</strong> l'égoïsme, <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine ; il attendrira les coeurs lesplus durs, les plus réfractaires.Même en ses dérivés magnifiques, l'amour est toujours un effort vers<strong>la</strong> beauté. Il n'est pas jusqu'à l'amour sexuel, celui <strong>de</strong> l'homme <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong>femme qui, tout matériel qu'il paraisse, ne puisse s'auréoler d'idéal <strong>et</strong> <strong>de</strong>poésie, perdre tout caractère vulgaire, s'il s'y mêle un sentimentd'esthétique <strong>et</strong> une pensée supérieure. Et ceci dépend <strong>sur</strong>tout <strong>de</strong> <strong>la</strong>femme. Celle qui aime sent <strong>et</strong> voit <strong>de</strong>s choses que l'homme ne peutconnaître. Elle possè<strong>de</strong> en son coeur d'inépuisables réserves d'amour,une sorte d'intuition qui peut donner une idée <strong>de</strong> l'amour éternel.La femme est toujours par quelque côté soeur du mystère, <strong>et</strong> <strong>la</strong> partie<strong>de</strong> son être qui touche à l'infini semble avoir plus d'étendue que cheznous. Quand l'homme répond comme elle aux appels <strong>de</strong> l'invisible,quand leur amour est exempt <strong>de</strong> tout désir brutal, s'ils ne font plus qu'unpar l'esprit comme par le corps, alors, dans l'étreinte <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux êtres, sepénétrant, se complétant pour transm<strong>et</strong>tre <strong>la</strong> vie, passera comme un


288 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEéc<strong>la</strong>ir, comme une f<strong>la</strong>mme, le refl<strong>et</strong> <strong>de</strong> plus hautes félicités entrevues.Pourtant les joies <strong>de</strong> l'amour terrestre sont fugitives <strong>et</strong> mêléesd'amertumes. Elles ne vont pas sans déceptions, sans reculs <strong>et</strong> sanschutes. Dieu seul est l'amour dans sa plénitu<strong>de</strong>. Il est le brasier ar<strong>de</strong>nt <strong>et</strong>,en même temps, l'abîme <strong>de</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> lumière, d'où émanent <strong>et</strong> versqui remontent, éternellement, les chauds effluves <strong>de</strong> tous les astres, lestendresses passionnées <strong>de</strong> tous les coeurs <strong>de</strong> femmes, <strong>de</strong> mères,d'épouses, les affections viriles <strong>de</strong> tous les coeurs d'hommes. Dieugénère <strong>et</strong> appelle l'amour, car il est <strong>la</strong> Beauté infinie, parfaite, <strong>et</strong> lepropre <strong>de</strong> <strong>la</strong> beauté est <strong>de</strong> provoquer l'amour.Qui donc, en un jour d'été, quand le soleil rayonne, alors quel'immense coupole azurée se déroule <strong>sur</strong> nos têtes <strong>et</strong> que, <strong>de</strong>s prairies <strong>et</strong><strong>de</strong>s bois, <strong>de</strong>s monts <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer, monte l'adoration, <strong>la</strong> prière mu<strong>et</strong>te <strong>de</strong>sêtres <strong>et</strong> <strong>de</strong>s choses, qui donc n'a ressenti ces radiations d'amouremplissant l'infini ?Il faut n'avoir jamais ouvert son âme à ces subtiles influences pour lesignorer ou les nier. Trop d'âmes terrestres, il est vrai, restenthermétiquement fermées aux choses divines. Ou bien, si elles enressentent les harmonies <strong>et</strong> les beautés, elles en cachent soigneusementle secr<strong>et</strong> en elles-mêmes. Elles semblent avoir honte d'avouer ce qu'ellesconnaissent ou éprouvent <strong>de</strong> plus grand <strong>et</strong> <strong>de</strong> meilleur.Mais tentez l'expérience ! ouvrez votre être intérieur, ouvrez lesfenêtres <strong>de</strong> <strong>la</strong> prison <strong>de</strong> l'âme aux effluves <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie universelle <strong>et</strong>,soudain, c<strong>et</strong>te prison s'emplira <strong>de</strong> c<strong>la</strong>rtés, <strong>de</strong> mélodies ; tout un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>lumière pénétrera en vous. Votre âme ravie connaîtra <strong>de</strong>s extases, <strong>de</strong>sfélicités qui ne peuvent se décrire ; elle comprendra qu'il y a autour d'elleun océan d'amour, <strong>de</strong> force <strong>et</strong> <strong>de</strong> vie divine, dans lequel elle est plongée<strong>et</strong> qu'il lui suffit <strong>de</strong> le vouloir pour être baignée par ses on<strong>de</strong>srégénératrices. Elle sentira dans l'univers une Puissance souveraine <strong>et</strong>merveilleuse qui nous aime, nous enveloppe, nous soutient, qui veille <strong>sur</strong>nous comme un avare <strong>sur</strong> un joyau précieux, <strong>et</strong> qu'en l'invoquant, en luiadressant un ar<strong>de</strong>nt appel, elle sera pénétrée aussitôt <strong>de</strong> sa présence <strong>et</strong> <strong>de</strong>son amour. Ces choses se sentent, mais s'expriment difficilement ; seulspeuvent les comprendre ceux qui les ont goûtées. Cependant touspeuvent arriver à les connaître, à les possé<strong>de</strong>r, en éveil<strong>la</strong>nt le divin eneux ; il n'est pas d'homme si ténébreux, si méchant qui, dans une heure


L'AMOUR 289d'abandon <strong>et</strong> <strong>de</strong> souffrance, ne voie s'ouvrir l'issue par où un peu <strong>de</strong> <strong>la</strong>c<strong>la</strong>rté <strong>de</strong>s choses supérieures, un peu d'amour ne filtre jusqu'à lui.Il suffit d'avoir éprouvé une seule fois ces impressions pour ne plus lesoublier. Et quand le soir <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie est venu, avec ses désenchantements,quand les ombres crépuscu<strong>la</strong>ires s'appesantissent <strong>sur</strong> nous, alors cessensations puissantes se réveillent avec <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> toutes les joiesressenties. Et ce souvenir <strong>de</strong>s heures où nous avons vraiment aimé,comme une rosée délicieuse, <strong>de</strong>scend <strong>sur</strong> nos âmes <strong>de</strong>sséchées par l'âprevent <strong>de</strong>s épreuves <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur.XXVI. - LA DOULEUR.Tout ce qui vit souffre ici-bas : <strong>la</strong> nature, l'animal <strong>et</strong> l'homme. Etcependant l'amour est <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> l'univers, <strong>et</strong> c'est par amour que Dieu aformé les êtres. Contradiction formidable, en apparence, problèmeangoissant, qui a troublé tant <strong>de</strong> penseurs <strong>et</strong> les a portés au doute <strong>et</strong> aupessimisme !L'animal est assuj<strong>et</strong>ti à <strong>la</strong> lutte ar<strong>de</strong>nte pour <strong>la</strong> vie. Parmi les herbes <strong>de</strong><strong>la</strong> prairie, sous le feuil<strong>la</strong>ge <strong>et</strong> <strong>la</strong> ramure <strong>de</strong>s bois, dans les airs, au sein<strong>de</strong>s eaux, partout, se déroulent <strong>de</strong>s drames ignorés. Dans nos cités, sepoursuit sans cesse l'hécatombe <strong>de</strong> pauvres bêtes inoffensives, sacrifiéesà nos besoins, ou livrées dans les <strong>la</strong>boratoires, au supplice <strong>de</strong> <strong>la</strong>vivisection.Quant à l'humanité, son histoire n'est qu'un long martyrologe. Atravers les temps, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s siècles, roule <strong>la</strong> triste mélopée <strong>de</strong>ssouffrances humaines ; <strong>la</strong> p<strong>la</strong>inte <strong>de</strong>s malheureux monte avec uneintensité déchirante qui a <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>rité d'une vague.La douleur suit chacun <strong>de</strong> nos pas ; elle nous gu<strong>et</strong>te à tous les détoursdu chemin. Et <strong>de</strong>vant ce sphinx qui le fixe <strong>de</strong> son regard étrange,l'homme se pose l'éternelle question : Pourquoi <strong>la</strong> douleur ?Est-elle, en ce qui le concerne, une punition, une expiation, comme ledisent quelques-uns ? Est-elle <strong>la</strong> réparation du passé, le rachat <strong>de</strong>s fautescommises ?Au fond, <strong>la</strong> douleur n'est qu'une loi d'équilibre <strong>et</strong> d'éducation. Sansdoute, les fautes du passé r<strong>et</strong>ombent <strong>sur</strong> nous <strong>de</strong> tout leur poids <strong>et</strong>déterminent les conditions <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>stinée. La souffrance n'est souventque le contre-coup <strong>de</strong>s vio<strong>la</strong>tions commises envers l'ordre éternel ; mais,


290 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEétant le partage <strong>de</strong> tous, elle doit être considérée comme une nécessitéd'ordre général, comme un agent <strong>de</strong> développement, une condition duprogrès. Tous les êtres doivent <strong>la</strong> subir à leur tour. Son action estbienfaisante pour qui sait <strong>la</strong> comprendre. Mais seuls peuvent <strong>la</strong>comprendre ceux qui ont ressenti ses eff<strong>et</strong>s puissants. C'est à eux <strong>sur</strong>toutque j'adresse ces pages, à tous ceux qui souffrent, ont souffert ou sontdignes <strong>de</strong> souffrir !** *La douleur <strong>et</strong> le p<strong>la</strong>isir sont les <strong>de</strong>ux formes extrêmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensation.Pour supprimer l'une ou l'autre, il faudrait supprimer <strong>la</strong> sensibilité. Ellessont donc inséparables, en principe, <strong>et</strong> toutes <strong>de</strong>ux nécessaires àl'éducation <strong>de</strong> l'être qui, dans son évolution, doit épuiser toutes lesformes illimitées du p<strong>la</strong>isir comme <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur.La douleur physique produit <strong>de</strong>s sensations ; <strong>la</strong> souffrance morale, <strong>de</strong>ssentiments. Mais, ainsi que nous l'avons vu plus haut, dans le sensoriumintime, sensation <strong>et</strong> sentiment se confon<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> ne font qu'un.<strong>Le</strong> p<strong>la</strong>isir <strong>et</strong> <strong>la</strong> douleur rési<strong>de</strong>nt donc bien moins dans les chosesextérieures qu'en nous-mêmes. Et c'est pourquoi il appartient à chacun<strong>de</strong> nous, en rég<strong>la</strong>nt ses sensations, en disciplinant ses sentiments, <strong>de</strong>comman<strong>de</strong>r aux unes <strong>et</strong> aux autres <strong>et</strong> d'en limiter les eff<strong>et</strong>s. Epictètedisait : «<strong>Le</strong>s choses ne sont que ce que nous nous figurons qu'elles sont.»Ainsi, par <strong>la</strong> volonté, nous pouvons dompter, vaincre <strong>la</strong> douleur, ou toutau moins <strong>la</strong> r<strong>et</strong>ourner à notre profit, en faire un instrument d'élévation.L'idée que nous nous faisons du bonheur <strong>et</strong> du malheur, <strong>de</strong> <strong>la</strong> joie <strong>et</strong> <strong>de</strong><strong>la</strong> peine, varie à l'infini, suivant l'évolution individuelle. L'âme pure,bonne, sage, ne peut être heureuse <strong>de</strong> <strong>la</strong> même manière que l'âmevulgaire. Ce qui charme l'une <strong>la</strong>isse l'autre indifférente. A me<strong>sur</strong>e quel'on monte, l'aspect <strong>de</strong>s choses change. Comme l'enfant, en grandissant,dédaigne les jeux qui le captivaient autrefois, l'âme qui s'élève recherche<strong>de</strong>s satisfactions <strong>de</strong> plus en plus nobles, graves <strong>et</strong> profon<strong>de</strong>s. L'esprit quijuge <strong>de</strong> haut <strong>et</strong> considère le but grandiose <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie trouvera plus <strong>de</strong>félicité, <strong>de</strong> paix sereine dans une belle pensée, une bonne oeuvre, un acte<strong>de</strong> vertu <strong>et</strong> même dans le malheur qui purifie que dans tous les biensmatériels <strong>et</strong> dans l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong>s gloires terrestres, car ceux-ci nous troublent,nous corrompent, nous grisent d'une ivresse menteuse.


LA DOULEUR 291Il est assez difficile <strong>de</strong> faire entendre aux hommes que <strong>la</strong> souffranceest bonne. Chacun voudrait refaire <strong>et</strong> embellir <strong>la</strong> vie à son gré, <strong>la</strong> parer<strong>de</strong> tous les agréments, sans songer qu'il n'y a pas <strong>de</strong> bien sans peine, pasd'ascension sans efforts.La tendance générale consiste à s'enfermer dans le cercle étroit <strong>de</strong>l'individualisme, du chacun pour soi ; par là l'homme se rap<strong>et</strong>isse ; ilréduit à d'étroites limites tout ce qui en lui est grand, <strong>de</strong>stiné à s'étendre,à se di<strong>la</strong>ter, à prendre l'essor : <strong>la</strong> pensée, <strong>la</strong> conscience, toute son âme enun mot. Or, les jouissances, les p<strong>la</strong>isirs, l'oisiv<strong>et</strong>é stérile, ne font queresserrer encore ces limites, rendre plus étroits notre vie <strong>et</strong> notre coeur.Pour briser ce cercle, pour que toutes les vertus cachées s'épanchent au<strong>de</strong>hors,il faut <strong>la</strong> douleur. <strong>Le</strong> malheur, les épreuves font jaillir en nous lessources d'une vie inconnue <strong>et</strong> plus belle. La tristesse, <strong>la</strong> souffrance nousfont voir, entendre, sentir mille choses, délicates ou puissantes, quel'homme heureux ou l'homme vulgaire ne peuvent percevoir. <strong>Le</strong> mon<strong>de</strong>matériel s'obscurcit ; un autre se <strong>de</strong>ssine, vaguement d'abord, mais qui<strong>de</strong>viendra <strong>de</strong> plus en plus distinct, à me<strong>sur</strong>e que notre regard se détache<strong>de</strong>s choses inférieures <strong>et</strong> plonge dans l'illimité.<strong>Le</strong> génie n'est pas seulement le résultat <strong>de</strong> travaux sécu<strong>la</strong>ires ; c'estaussi l'apothéose, le couronnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance. D'Homère au Dante,à Camoëns, au Tasse, à Milton, <strong>et</strong>, après eux, tous les grands hommesont souffert. La douleur a fait vibrer leurs âmes ; elle leur a inspiré c<strong>et</strong>tenoblesse <strong>de</strong> sentiment, c<strong>et</strong>te intensité d'émotion qu'ils ont su rendre avecles accents du génie <strong>et</strong> qui les ont immortalisés. L'âme ne chante jamaismieux que dans <strong>la</strong> douleur. Quand celle-ci touche aux profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong>l'être, elle en fait jaillir ces cris éloquents, ces appels puissants quiémeuvent <strong>et</strong> entraînent les foules.Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> tous les héros, <strong>de</strong> tous les grands caractères, <strong>de</strong>scoeurs généreux, <strong>de</strong>s esprits les plus éminents. <strong>Le</strong>ur élévation se me<strong>sur</strong>eà <strong>la</strong> somme <strong>de</strong>s souffrances endurées. Devant <strong>la</strong> douleur <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort, l'âmedu héros, du martyr se révèle dans sa beauté touchante, dans sa gran<strong>de</strong>urtragique qui confine parfois au sublime, <strong>et</strong> l'auréole d'une lumièreinextinguible.Supprimez <strong>la</strong> douleur <strong>et</strong> vous supprimez du même coup ce qui est leplus digne d'admiration en ce mon<strong>de</strong>, c'est-à-dire le courage <strong>de</strong> <strong>la</strong>supporter. <strong>Le</strong> plus noble enseignement que l'on puisse proposer auxhommes, n'est-ce pas <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> ceux qui ont souffert <strong>et</strong> sont morts


292 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEpour <strong>la</strong> vérité <strong>et</strong> <strong>la</strong> justice ? Y a-t-il chose plus auguste, plus vénérableque leurs tombes ? Rien n'égale <strong>la</strong> puissance morale qui s'en dégage. <strong>Le</strong>sâmes qui donnèrent <strong>de</strong> tels exemples grandissent à nos yeux avec lessiècles <strong>et</strong> paraissent <strong>de</strong> loin plus imposantes encore. Elles sont commeautant <strong>de</strong> sources <strong>de</strong> force <strong>et</strong> <strong>de</strong> beauté où viennent se r<strong>et</strong>remper lesgénérations. A travers le temps <strong>et</strong> l'espace, leur rayonnement, comme <strong>la</strong>lumière <strong>de</strong>s astres, s'étend encore <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre. <strong>Le</strong>ur mort a enfanté <strong>la</strong> vie,<strong>et</strong> leur souvenir, comme un subtil arôme, va j<strong>et</strong>er partout <strong>la</strong> semence <strong>de</strong>senthousiasmes futurs.Elles nous l'ont appris, ces âmes, c'est par le dévouement, par lessouffrances dignement supportées qu'on gravit les chemins du ciel. Etl'histoire du mon<strong>de</strong> n'est pas autre chose que le sacre <strong>de</strong> l'esprit par <strong>la</strong>douleur. Sans elle, il ne peut y avoir <strong>de</strong> vertu complète ni <strong>de</strong> gloireimpérissable.Il faut souffrir pour acquérir <strong>et</strong> pour conquérir. <strong>Le</strong>s actes <strong>de</strong> sacrificeaccroissent les radiations psychiques. Il y a comme une traînéelumineuse qui suit, dans l'espace, les esprits <strong>de</strong>s héros <strong>et</strong> <strong>de</strong>s martyrs.Ceux qui n'ont pas souffert ne peuvent guère comprendre ces choses,car, chez eux, <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face <strong>de</strong> l'être, seule, est défrichée, mise en valeur.<strong>Le</strong>urs sentiments n'ont pas d'ampleur ; leur coeur, pas d'effusion ; leurpensée n'embrasse que <strong>de</strong>s horizons étroits. Il faut les infortunes, lesangoisses, pour donner à l'âme son velouté, sa beauté morale, pouréveiller ses sens endormis. La vie douloureuse est un a<strong>la</strong>mbic où sedistillent les êtres pour <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s meilleurs. La forme comme le coeur,tout s'embellit d'avoir souffert. Il y a, dès c<strong>et</strong>te vie, quelque chose <strong>de</strong>grave <strong>et</strong> d'attendri <strong>sur</strong> les visages que les <strong>la</strong>rmes ont souvent trempés. Ilsprennent une expression <strong>de</strong> beauté austère, une sorte <strong>de</strong> majesté quiimpressionne <strong>et</strong> séduit.Michel-Ange avait adopté pour règle <strong>de</strong> conduite les préceptessuivants : «Rentre en toi-même <strong>et</strong> fais comme le sculpteur fait à l'oeuvrequ'il veut rendre belle ; r<strong>et</strong>ranche tout ce qui est superflu, rends n<strong>et</strong> cequi est obscur, porte <strong>la</strong> lumière partout <strong>et</strong> ne cesse <strong>de</strong> ciseler ta proprestatue.»Maxime sublime, qui contient le principe <strong>de</strong> tout perfectionnementintime. Notre âme est notre oeuvre, en eff<strong>et</strong>, oeuvre capitale <strong>et</strong> fécon<strong>de</strong>,qui dépasse en gran<strong>de</strong>ur toutes les manifestations partielles <strong>de</strong> l'art, <strong>de</strong> <strong>la</strong>science, du génie.


LA DOULEUR 293Toutefois, les difficultés <strong>de</strong> l'exécution sont en rapport avec <strong>la</strong>splen<strong>de</strong>ur du but. Et <strong>de</strong>vant c<strong>et</strong>te pénible tâche <strong>de</strong> <strong>la</strong> réforme intérieure,du combat incessant livré à <strong>la</strong> passion, à <strong>la</strong> matière, combien <strong>de</strong> foisl'artisan ne se décourage-t-il pas ? Combien <strong>de</strong> fois n'abandonne-t-il pasle ciseau ? C'est alors que Dieu lui envoie une ai<strong>de</strong>, <strong>la</strong> douleur ! Ellefouille hardiment dans ces profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience que l'ouvrierhésitant <strong>et</strong> malhabile ne pouvait ou ne savait atteindre ; elle en creuse lesreplis, en modèle les contours ; elle élimine ou détruit ce qui était inutileou mauvais.Et du marbre froid, sans forme, sans beauté, <strong>de</strong> <strong>la</strong> statue <strong>la</strong>i<strong>de</strong> <strong>et</strong>grossière que nos mains avaient à peine ébauchée, elle fera <strong>sur</strong>gir, avecle temps, <strong>la</strong> statue vivante, le chef d'oeuvre incomparable, les formesharmoniques <strong>et</strong> suaves <strong>de</strong> <strong>la</strong> divine Psyché !** *La douleur ne frappe donc pas seulement les coupables. Sur notremon<strong>de</strong>, l'honnête homme souffre autant que le méchant. Et ce<strong>la</strong>s'explique. D'abord, l'âme vertueuse étant plus évoluée, est plus sensible.De plus, elle aime souvent <strong>et</strong> recherche <strong>la</strong> douleur, en connaissant tout leprix.Il en est encore, parmi ces âmes, qui ne viennent pas pour autre chose,ici-bas, que pour donner à tous l'exemple <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur dans <strong>la</strong>souffrance. Ce sont <strong>de</strong>s missionnaires, elles aussi, <strong>et</strong> leur mission n'estpas moins belle <strong>et</strong> touchante que celle <strong>de</strong>s grands révé<strong>la</strong>teurs. On lesrencontre dans tous les temps <strong>et</strong> elles occupent tous les p<strong>la</strong>ns <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie.Elles sont <strong>de</strong>bout <strong>sur</strong> les somm<strong>et</strong>s resplendissants <strong>de</strong> l'Histoire <strong>et</strong> on lesr<strong>et</strong>rouve, humbles <strong>et</strong> cachées, parmi les foules.Nous admirons le Christ, Socrate, Antigone, Jeanne d'Arc ; maiscombien <strong>de</strong> victimes obscures du <strong>de</strong>voir ou <strong>de</strong> l'amour tombent chaquejour, <strong>sur</strong> lesquelles se font le silence <strong>et</strong> l'oubli. <strong>Le</strong>urs exemples ne sontpourtant pas perdus : ils illuminent toute <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s quelques hommes quien sont témoins.Pour être pleine <strong>et</strong> fécon<strong>de</strong>, il n'est pas indispensable qu'une vie soitparsemée <strong>de</strong> ces grands actes <strong>de</strong> sacrifice ni couronnée par une mort qui<strong>la</strong> sacre aux yeux <strong>de</strong> tous. Telle existence morne <strong>et</strong> triste, en apparence,incolore <strong>et</strong> effacée, n'est au fond qu'un effort continuel, une lutte <strong>de</strong> tousles instants contre le malheur <strong>et</strong> <strong>la</strong> souffrance. Nous ne sommes pas


294 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEjuges <strong>de</strong> tout ce qui se passe dans le secr<strong>et</strong> <strong>de</strong>s âmes ; beaucoup, parpu<strong>de</strong>ur, cachent <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ies douloureuses, <strong>de</strong>s maux cruels, qui lesrendraient aussi intéressantes à nos yeux que les martyrs les pluscélèbres. Par le combat incessant qu'elles poursuivent contre <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée,elles sont gran<strong>de</strong>s <strong>et</strong> héroïques aussi, ces âmes ! <strong>Le</strong>urs triomphes restentignorés, mais tous les trésors d'énergie, <strong>de</strong> passion généreuse, <strong>de</strong>patience ou d'amour qu'elles ont accumulés dans c<strong>et</strong> effort <strong>de</strong> chaquejour leur constitueront un capital <strong>de</strong> force, <strong>de</strong> beauté morale, qui peut lesrendre, dans l'Au-<strong>de</strong>là, les égales <strong>de</strong>s plus nobles figures <strong>de</strong> l'Histoire.Dans l'atelier auguste où se forgent les âmes, le génie <strong>et</strong> <strong>la</strong> gloire nesuffisent pas à les faire vraiment belles. Toujours, pour leur donner le<strong>de</strong>rnier trait sublime, il a fallu <strong>la</strong> douleur. Si certaines existencesobscures sont <strong>de</strong>venues aussi saintes <strong>et</strong> aussi sacrées que <strong>de</strong>sdévouements célèbres, c'est que chez elles <strong>la</strong> souffrance fut continue. Cen'est pas seulement une fois, dans telle circonstance ou à l'heure <strong>de</strong> <strong>la</strong>mort, que <strong>la</strong> douleur les a élevées au-<strong>de</strong>ssus d'elles-mêmes <strong>et</strong> proposéesà l'admiration <strong>de</strong>s siècles ; c'est parce que toute leur vie fut uneimmo<strong>la</strong>tion constante.Et c<strong>et</strong>te oeuvre d'épuration lente, ce long défilé <strong>de</strong>s heuresdouloureuses, c<strong>et</strong> affinage mystérieux <strong>de</strong>s êtres qui se préparent ainsiaux ultimes ascensions, force l'admiration <strong>de</strong>s Esprits eux-mêmes. C'estce spectacle touchant qui leur inspire <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> renaître parmi nous,afin <strong>de</strong> souffrir <strong>et</strong> <strong>de</strong> mourir encore pour tout ce qui est grand, pour toutce qu'ils aiment, <strong>et</strong>, par ce nouveau sacrifice, rendre plus vif leur propreéc<strong>la</strong>t.** *Après ces considérations d'ordre général, reprenons <strong>la</strong> question dansses éléments primaires.La douleur physique est, le plus souvent, un avertissement <strong>de</strong> <strong>la</strong>nature, qui cherche à nous préserver <strong>de</strong>s excès. Sans elle, nousabuserions <strong>de</strong> nos organes au point <strong>de</strong> les détruire avant l'heure.Lorsqu'un mal dangereux se glisse en nous, qu'adviendrait-il si nous n'enressentions pas aussitôt les eff<strong>et</strong>s désagréables ? Il gagnerait <strong>de</strong> procheen proche, nous envahirait <strong>et</strong> tarirait en nous les sources <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie.Et même lorsque, persistant à méconnaître les avis répétés <strong>de</strong> <strong>la</strong>nature, nous <strong>la</strong>issons <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die se développer en nous, celle-ci peut être


LA DOULEUR 295encore un bienfait si, causée par nos abus <strong>et</strong> nos vices, elle nous apprendà les détester <strong>et</strong> à nous en corriger. Il faut souffrir pour se connaître <strong>et</strong>pour bien connaître <strong>la</strong> vie.Epictète, que nous aimons à citer, disait encore : «C'est un faux<strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> prétendre que <strong>la</strong> santé est un bien, <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die un mal. Userbien <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé est un bien ; en user mal est un mal. User bien <strong>de</strong> <strong>la</strong>ma<strong>la</strong>die, c'est un bien ; en user mal est un mal. On tire le bien <strong>de</strong> tout, <strong>et</strong><strong>de</strong> <strong>la</strong> mort même.»Aux âmes faibles, <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die vient apprendre <strong>la</strong> patience, <strong>la</strong> sagesse, legouvernement <strong>de</strong> soi-même. Aux âmes fortes, elle peut offrir <strong>de</strong>scompensations d'idéal, en <strong>la</strong>issant à l'esprit le libre essor <strong>de</strong> sesaspirations, au point d'oublier les souffrances physiques.L'action <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur n'est pas moins efficace pour les collectivitésque pour les individus. N'est-ce pas grâce à elle que se sont constituésles premiers groupements humains ? N'est-ce pas <strong>la</strong> menace <strong>de</strong>s fauves,<strong>de</strong> <strong>la</strong> faim, <strong>de</strong>s fléaux qui contraint l'homme à rechercher son semb<strong>la</strong>blepour s'associer à lui ? Et <strong>de</strong> leur vie commune, <strong>de</strong> leurs communessouffrances, <strong>de</strong> leur intelligence <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur <strong>la</strong>beur est sortie toute <strong>la</strong>civilisation, avec ses arts, ses sciences, son industrie !La douleur physique, pourrait-on dire encore, résulte <strong>de</strong> <strong>la</strong>disproportion entre notre faiblesse corporelle <strong>et</strong> l'ensemble <strong>de</strong>s forces quinous entourent, forces colossales <strong>et</strong> fécon<strong>de</strong>s qui sont autant <strong>de</strong>manifestations <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie universelle. Nous ne pouvons nous en assimilerqu'une infime partie ; mais en agissant <strong>sur</strong> nous, elles travaillent àaccroître, à é<strong>la</strong>rgir sans cesse <strong>la</strong> sphère <strong>de</strong> notre activité <strong>et</strong> <strong>la</strong> gamme <strong>de</strong>nos sensations. <strong>Le</strong>ur action <strong>sur</strong> le corps organique se répercute <strong>sur</strong> <strong>la</strong>forme fluidique ; elle contribue à l'enrichir, à <strong>la</strong> di<strong>la</strong>ter, à <strong>la</strong> rendre plusimpressionnable, en un mot apte à <strong>de</strong>s perfectionnements nouveaux.La souffrance, par son action chimique, a toujours un résultat utile,mais ce résultat varie à l'infini suivant les individus <strong>et</strong> leur étatd'avancement. En affinant notre enveloppe matérielle, elle donne plus <strong>de</strong>force à l'être intérieur, plus <strong>de</strong> facilité à se détacher <strong>de</strong>s choses terrestres.Chez d'autres, plus évolués, elle agira dans le sens moral. La douleur estcomme une aile prêtée à l'âme asservie à <strong>la</strong> chair, pour l'ai<strong>de</strong>r à s'endégager <strong>et</strong> à s'élever plus haut.** *


296 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE<strong>Le</strong> premier mouvement <strong>de</strong> l'homme malheureux est <strong>de</strong> se révolter sousles coups du sort. Mais, plus tard, quand l'esprit a gravi les pentes <strong>et</strong> qu'ilcontemple l'âpre chemin parcouru, le défilé mouvant <strong>de</strong> ses existences,c'est avec un attendrissement joyeux qu'il se souvient <strong>de</strong>s épreuves, <strong>de</strong>stribu<strong>la</strong>tions à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>squelles il a pu gagner le faîte.Si, aux heures d'épreuves, nous savions observer le travail intérieur,l'action mystérieuse <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur en nous, en notre moi, en notreconscience, nous comprendrions mieux son oeuvre sublime d'éducation<strong>et</strong> <strong>de</strong> perfectionnement. Nous verrions qu'elle frappe toujours à l'endroitsensible. La main qui dirige le ciseau est celle d'un artiste incomparable ;elle ne se <strong>la</strong>sse pas d'agir jusqu'à ce que les angles <strong>de</strong> notre caractèresoient arrondis, polis, usés. Pour ce<strong>la</strong>, elle reviendra à <strong>la</strong> charge aussilongtemps qu'il sera nécessaire. Et sous les coups <strong>de</strong> marteau répétés, ilfaudra bien que <strong>la</strong> morgue, <strong>la</strong> personnalité excessive tombent chez celuici; il faudra que <strong>la</strong> mollesse, l'apathie, l'indifférence disparaissent cheztel autre ; <strong>la</strong> dur<strong>et</strong>é, <strong>la</strong> colère, <strong>la</strong> fureur chez un troisième. Pour tous, elleaura <strong>de</strong>s procédés différents, variés à l'infini suivant les individus, maischez tous, elle agira avec efficacité, <strong>de</strong> façon à faire naître ou àdévelopper <strong>la</strong> sensibilité <strong>la</strong> délicatesse, <strong>la</strong> bonté, <strong>la</strong> tendresse, à fairesortir <strong>de</strong>s déchirements <strong>et</strong> <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes quelque qualité inconnue quidormait silencieuse au fond <strong>de</strong> l'être, ou bien telle noblesse nouvelle,parure <strong>de</strong> l'âme, acquise pour jamais.Et plus celle-ci monte, grandit, se fait belle, plus <strong>la</strong> douleur sespiritualise <strong>et</strong> <strong>de</strong>vient subtile. Aux méchants il faut <strong>de</strong>s épreuvesnombreuses, comme <strong>sur</strong> l'arbre il faut beaucoup <strong>de</strong> fleurs pour produirequelques fruits. Mais plus l'être humain se perfectionne, plus les fruits <strong>de</strong><strong>la</strong> douleur <strong>de</strong>viennent admirables en lui. Aux âmes frustes, maldégrossies, incombent les souffrances physiques, les douleurs violentes ;aux égoïstes, aux avares écherront les pertes <strong>de</strong> fortune, les noiresinquiétu<strong>de</strong>s, les tourments <strong>de</strong> l'esprit. Puis aux êtres délicats, aux mères,aux amantes, aux épouses, les tortures cachées, les bles<strong>sur</strong>es du coeur.Aux nobles penseurs, aux inspirés, <strong>la</strong> douleur subtile <strong>et</strong> profon<strong>de</strong> qui faitjaillir le cri sublime, l'éc<strong>la</strong>ir du génie !Oui, <strong>de</strong>rrière <strong>la</strong> douleur, il y a quelqu'un d'invisible qui conduit sonaction <strong>et</strong> <strong>la</strong> règle suivant les besoins <strong>de</strong> chacun, avec un art, une sagesseinfinis, travail<strong>la</strong>nt ainsi à augmenter notre beauté intérieure, jamais


LA DOULEUR 297achevée, toujours poursuivie, <strong>de</strong> lumière en lumière, <strong>de</strong> vertu en vertu,jusqu'à ce que nous soyons <strong>de</strong>venus <strong>de</strong>s esprits célestes.Si étonnant que ce<strong>la</strong> puisse paraître à première vue, <strong>la</strong> douleur n'estqu'un moyen <strong>de</strong> <strong>la</strong> Puissance infinie pour nous attirer à elle <strong>et</strong>, en mêm<strong>et</strong>emps, nous faire accé<strong>de</strong>r plus rapi<strong>de</strong>ment au bonheur spirituel, le seuldurable. C'est donc bien par amour pour nous que Dieu nous envoie <strong>la</strong>souffrance. Il nous frappe, il nous corrige comme <strong>la</strong> mère corrige sonenfant pour le redresser <strong>et</strong> le rendre meilleur. Il travaille sans cesse àassouplir, à purifier, à embellir nos âmes, parce qu'elles ne peuvent êtrevraiment <strong>et</strong> complètement heureuses que dans <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong> leursperfections.Et pour ce<strong>la</strong>, <strong>sur</strong> c<strong>et</strong>te terre d'apprentissage, Dieu a mis, à côté <strong>de</strong> joiesrares <strong>et</strong> fugitives, <strong>de</strong>s douleurs fréquentes <strong>et</strong> prolongées, afin <strong>de</strong> nousfaire sentir que notre mon<strong>de</strong> est un lieu <strong>de</strong> passage <strong>et</strong> non un but.Jouissances <strong>et</strong> souffrances, p<strong>la</strong>isirs <strong>et</strong> douleurs, Dieu a réparti ces chosesdans l'existence comme un grand artiste qui, <strong>sur</strong> sa toile, a uni les ombres<strong>et</strong> les c<strong>la</strong>rtés pour produire un chef-d'oeuvre.** *La souffrance chez les animaux est déjà un travail d'évolution pour leprincipe <strong>de</strong> vie qui est en eux ; ils acquièrent par là les premiersrudiments <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience. Et il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> l'être humain dansses réincarnations successives. Si, dès ses premières étapes terrestres,l'âme vivait exempte <strong>de</strong> maux, elle resterait inerte, passive, ignorante <strong>de</strong>schoses profon<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>s forces morales qui gisent en elle.Notre but est en avant ; notre <strong>de</strong>stinée est <strong>de</strong> marcher vers ce but, sansnous attar<strong>de</strong>r en chemin. Or, les bonheurs <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> nousimmobilisent ; on s'y attar<strong>de</strong> ; on s'y oublie. Mais quand nous nousattardons outre me<strong>sur</strong>e, <strong>la</strong> douleur vient qui nous pousse en avant.Dès que s'ouvre pour nous une source <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isirs, par exemple dans <strong>la</strong>jeunesse, l'amour, le mariage, <strong>et</strong> que nous nous oublions dansl'enchantement <strong>de</strong>s heures bénies, il est bien rare que, peu après, unecirconstance imprévue ne <strong>sur</strong>vienne, <strong>et</strong> l'aiguillon se fait sentir.A me<strong>sur</strong>e que nous avançons dans <strong>la</strong> vie, les joies diminuent <strong>et</strong> lesdouleurs augmentent. <strong>Le</strong> corps <strong>de</strong>vient plus pesant, le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong>s ansplus lourd. Presque toujours, l'existence commence dans le bonheur <strong>et</strong>finit dans <strong>la</strong> tristesse. <strong>Le</strong> déclin amène pour <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s hommes <strong>la</strong>


298 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEpério<strong>de</strong> morose <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieillesse, avec ses <strong>la</strong>ssitu<strong>de</strong>s, ses infirmités, sesabandons. <strong>Le</strong>s lumières s'éteignent, les sympathies, les conso<strong>la</strong>tions ser<strong>et</strong>irent ; les rêves, les espérances s'évanouissent. <strong>Le</strong>s fosses se creusent,<strong>de</strong> plus en plus nombreuses, autour <strong>de</strong> nous. Alors s'ouvrent <strong>de</strong> longuesheures d'immobilité, d'inaction, <strong>de</strong> souffrance. Elles nous obligent àrentrer en nous-mêmes, à passer souvent en revue les actes <strong>et</strong> lessouvenirs <strong>de</strong> notre vie. C'est là une épreuve nécessaire, afin que l'âme,avant <strong>de</strong> quitter son enveloppe, acquière c<strong>et</strong>te maturité, ce jugement,c<strong>et</strong>te c<strong>la</strong>irvoyance <strong>de</strong>s choses qui seront le couronnement <strong>de</strong> sa carrièr<strong>et</strong>errestre. Aussi, lorsque nous maudissons les heures en apparencestériles <strong>et</strong> désolées <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieillesse infirme, solitaire, nous méconnaissonsun <strong>de</strong>s plus grands bienfaits que <strong>la</strong> nature nous offre. Nous oublions que<strong>la</strong> vieillesse douloureuse est le creus<strong>et</strong> où se complètent les épurations.A ce moment <strong>de</strong> l'existence, les rayons <strong>et</strong> les forces que, durant lesannées <strong>de</strong> jeunesse <strong>et</strong> <strong>de</strong> virilité, nous dispersions <strong>de</strong> toutes parts dansnotre activité <strong>et</strong> notre exubérance, se concentrent, convergent vers lesprofon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> l'être, attisant <strong>la</strong> conscience <strong>et</strong> procurant à l'homme plus<strong>de</strong> sagesse <strong>et</strong> <strong>de</strong> maturité. Peu à peu, l'harmonie se fait entre nos pensées<strong>et</strong> les radiations extérieures ; <strong>la</strong> mélodie intime s'accor<strong>de</strong> avec <strong>la</strong> mélodiedivine.Il y a alors, dans <strong>la</strong> vieillesse résignée, plus <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> <strong>de</strong> beautésereine que dans l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse <strong>et</strong> <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong> l'âge mûr. Sousl'action du temps, ce qu'il y a <strong>de</strong> profond, d'immuable en nous se dégage,<strong>et</strong> le front <strong>de</strong> certains vieil<strong>la</strong>rds s'auréole <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>rtés <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là.A tous ceux qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt : Pourquoi <strong>la</strong> douleur ? je réponds :Pourquoi polir <strong>la</strong> pierre, sculpter le marbre, fondre le vitrail, marteler lefer ? C'est afin <strong>de</strong> bâtir <strong>et</strong> d'orner le temple magnifique, plein <strong>de</strong> rayons,<strong>de</strong> vibrations, d'hymnes, <strong>de</strong> parfums, où tous les arts se combinent pourexprimer le divin, préparer l'apothéose <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée consciente, célébrer<strong>la</strong> libération <strong>de</strong> l'esprit !Et voyez le résultat obtenu ! De ce qui était en nous éléments épars,matériaux informes <strong>et</strong> parfois même, chez le vicieux <strong>et</strong> le déchu, ruines<strong>et</strong> débris, <strong>la</strong> douleur a dressé, construit dans le coeur <strong>de</strong> l'homme un autelsplendi<strong>de</strong> à <strong>la</strong> Beauté morale, à <strong>la</strong> Vérité éternelle.La statue, dans ses formes idéales <strong>et</strong> parfaites, est enfouie, cachée dansle bloc grossier. Quand l'homme n'a pas l'énergie, le savoir, <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong>frapper, alors, avons-nous dit, vient <strong>la</strong> douleur. Elle prend le marteau, le


LA DOULEUR 299ciseau <strong>et</strong> peu à peu, à coups violents, ou bien sous le lent <strong>et</strong> persistanttravail du burin, <strong>la</strong> statue vivante se <strong>de</strong>ssine en ses contours souples <strong>et</strong>merveilleux ; sous le quartz brisé, l'émerau<strong>de</strong> étincelle !Oui, pour que <strong>la</strong> forme se dégage dans ses lignes pures <strong>et</strong> délicates,que l'esprit triomphe <strong>de</strong> <strong>la</strong> substance, que <strong>la</strong> pensée jaillisse en é<strong>la</strong>nssublimes <strong>et</strong> que le poète trouve ses accents immortels, le musicien sessuaves accords, il faut dans nos coeurs l'aiguillon <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée, les<strong>de</strong>uils <strong>et</strong> les pleurs, l'ingratitu<strong>de</strong>, les trahisons <strong>de</strong> l'amitié <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'amour,les angoisses <strong>et</strong> les déchirements ; il faut les cercueils chéris qui<strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt sous <strong>la</strong> terre, <strong>la</strong> jeunesse qui s'enfuit, <strong>la</strong> vieillesse g<strong>la</strong>cée quimonte, les déceptions, les tristesses amères qui se succè<strong>de</strong>nt. Il faut àl'homme <strong>de</strong>s souffrances comme au fruit <strong>de</strong> <strong>la</strong> vigne le pressoir qui enextrait <strong>la</strong> liqueur exquise !** *Considérons encore le problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>ssanctions pénales.On a reproché à Al<strong>la</strong>n Kar<strong>de</strong>c d'avoir trop insisté dans ses oeuvres <strong>sur</strong>l'idée du châtiment <strong>et</strong> d'expiation. Celle-ci a soulevé <strong>de</strong> nombreusescritiques. Elle donne, nous dit-on, une fausse notion <strong>de</strong> l'action divine ;elle entraîne un luxe <strong>de</strong> punitions incompatibles avec <strong>la</strong> suprême Bonté.Ce jugement résulte d'un examen trop superficiel <strong>de</strong>s ouvrages dugrand initiateur. L'idée, l'expression <strong>de</strong> châtiment, excessive peut-être sion s'attache à certains passages isolés, mal interprétés dans beaucoup <strong>de</strong>cas, s'atténue <strong>et</strong> s'efface lorsqu'on étudie l'oeuvre entière.C'est <strong>sur</strong>tout dans <strong>la</strong> conscience, nous le savons, qu'est <strong>la</strong> sanction dubien <strong>et</strong> du mal. Elle enregistre minutieusement tous nos actes <strong>et</strong>, tôt outard, <strong>de</strong>vient un juge sévère pour le coupable, qui, par suite <strong>de</strong> sonévolution, finit toujours par entendre sa voix <strong>et</strong> subir ses arrêts. Pourl'esprit, les souvenirs du passé s'unissent au présent dans l'espace <strong>et</strong>forment un tout inséparable. Il vit en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> durée, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>slimites du temps <strong>et</strong> souffre aussi vivement <strong>de</strong>s fautes lointaines que <strong>de</strong>splus récentes. Aussi <strong>de</strong>man<strong>de</strong>-t-il souvent une réincarnation rapi<strong>de</strong> <strong>et</strong>douloureuse, qui rachètera le passé, tout en faisant trêve à ses souvenirsobsédants.Avec <strong>la</strong> différence <strong>de</strong> p<strong>la</strong>n, <strong>la</strong> souffrance changera d'aspect. Sur terre,elle <strong>de</strong>viendra à <strong>la</strong> fois physique <strong>et</strong> morale <strong>et</strong> constituera un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>


300 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEréparation. Elle plongera le coupable dans sa f<strong>la</strong>mme pour le purifier ;elle reforgera dans le <strong>la</strong>minoir <strong>de</strong> l'épreuve l'âme déformée par le mal.Ainsi, chacun <strong>de</strong> nous a pu ou pourra effacer son passé, les tristes pagesdu début <strong>de</strong> son histoire, les fautes graves, commises lorsqu'il n'étaitqu'un esprit ignorant ou fougueux. Par <strong>la</strong> souffrance nous apprendronsl'humilité, en même temps que l'indulgence <strong>et</strong> <strong>la</strong> compassion pour tousceux qui succombent autour <strong>de</strong> nous sous <strong>la</strong> poussée <strong>de</strong>s instinctsinférieurs, comme ce<strong>la</strong> nous est arrivé à nous-mêmes, tant <strong>de</strong> fois, jadis.Ce n'est donc pas par vengeance que <strong>la</strong> loi nous frappe, mais parcequ'il est bon <strong>et</strong> profitable <strong>de</strong> souffrir, puisque <strong>la</strong> souffrance nous libèreen donnant satisfaction à <strong>la</strong> conscience, dont elle exécute le verdict.Tout se rachète <strong>et</strong> se répare par <strong>la</strong> douleur. Nous l'avons vu, il y a unart profond dans les procédés qu'elle m<strong>et</strong> en oeuvre pour façonner l'âmehumaine <strong>et</strong>, lorsqu'elle est égarée, <strong>la</strong> ramener dans l'ordre sublime <strong>de</strong>schoses.On a souvent parlé d'une loi du talion. En réalité, <strong>la</strong> réparation ne seprésente pas toujours sous <strong>la</strong> même forme que <strong>la</strong> faute commise. <strong>Le</strong>sconditions sociales, l'évolution historique s'y opposent. En même tempsque les supplices du moyen âge, bien <strong>de</strong>s fléaux ont disparu. Cependant<strong>la</strong> somme <strong>de</strong>s souffrances humaines, sous leurs formes variées,innombrables, se représente toujours proportionnée à <strong>la</strong> cause qui lesproduit. En vain <strong>de</strong>s progrès se réalisent, <strong>la</strong> civilisation s'étend, l'hygiène<strong>et</strong> le bien être se développent. Des ma<strong>la</strong>dies nouvelles apparaissent <strong>et</strong>l'homme est impuissant à les guérir. Il faut reconnaître en ce<strong>la</strong> <strong>la</strong>manifestation <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te loi supérieure d'équilibre dont nous avons parlé.La douleur sera nécessaire tant que l'homme n'aura pas mis sa pensée <strong>et</strong>ses actes en harmonie avec les lois éternelles ; elle cessera <strong>de</strong> se fairesentir dès que l'accord sera établi. Tous nos maux viennent <strong>de</strong> ce quenous agissons dans un sens opposé au courant <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie divine ; si nousrentrons dans ce courant, <strong>la</strong> douleur disparaît avec les causes qui l'ontfait naître.Longtemps encore, l'humanité terrestre, ignorante <strong>de</strong>s lois supérieures,inconsciente du <strong>de</strong>venir <strong>et</strong> du <strong>de</strong>voir, aura besoin <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur, pour <strong>la</strong>stimuler dans sa voie, pour transformer ce qui prédomine en elle, lesinstincts primitifs <strong>et</strong> grossiers, en sentiments purs <strong>et</strong> généreux.Longtemps l'homme <strong>de</strong>vra passer par l'initiation amère pour arriver à <strong>la</strong>connaissance <strong>de</strong> lui-même <strong>et</strong> <strong>de</strong> son but. Il ne songe présentement qu'à


LA DOULEUR 301appliquer ses facultés <strong>et</strong> son énergie à combattre <strong>la</strong> souffrance <strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>nphysique, à augmenter le bien-être <strong>et</strong> <strong>la</strong> richesse, à rendre plus agréablesles conditions <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie matérielle. Mais ce sera en vain. <strong>Le</strong>s souffrancespourront varier, se dép<strong>la</strong>cer, changer d'aspect, <strong>la</strong> douleur n'en persisterapas moins, tant que l'égoïsme <strong>et</strong> l'intérêt régiront les sociétés terrestres,tant que <strong>la</strong> pensée se détournera <strong>de</strong>s choses profon<strong>de</strong>s, tant que <strong>la</strong> fleur<strong>de</strong> l'âme ne sera pas épanouie.Toutes les doctrines économiques <strong>et</strong> sociales seront impuissantes àréformer le mon<strong>de</strong>, à pallier les maux <strong>de</strong> l'Humanité, parce que leur baseest trop étroite <strong>et</strong> qu'elles p<strong>la</strong>cent dans l'unique vie présente <strong>la</strong> raisond'être, le but <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> tous nos efforts. Pour éteindre le malsocial, il faut élever l'âme humaine à <strong>la</strong> conscience <strong>de</strong> son rôle, lui fairecomprendre que son sort dépend d'elle seule, <strong>et</strong> que sa félicité seratoujours proportionnelle à l'étendue <strong>de</strong> ses triomphes <strong>sur</strong> elle-même <strong>et</strong> <strong>de</strong>son dévouement pour les autres.Alors <strong>la</strong> question sociale sera résolue par <strong>la</strong> substitution <strong>de</strong> l'altruismeau personnalisme exclusif <strong>et</strong> étroit. <strong>Le</strong>s hommes se sentiront frères,frères <strong>et</strong> égaux <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> loi divine qui répartit à chacun les biens <strong>et</strong> lesmaux nécessaires à son évolution, les moyens <strong>de</strong> se vaincre <strong>et</strong> <strong>de</strong> hâterson ascension. Dès ce jour, seulement, <strong>la</strong> douleur verra diminuer sonempire. Fruit <strong>de</strong> l'ignorance <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'infériorité, fruit <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine, <strong>de</strong>l'envie, <strong>de</strong> l'égoïsme, <strong>de</strong> toutes les passions animales qui s'agitent encoreau fond <strong>de</strong> l'être humain, elle s'évanouira avec les causes qui <strong>la</strong>produisent, grâce à une éducation plus haute, à <strong>la</strong> réalisation en nous <strong>de</strong><strong>la</strong> beauté morale, <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'amour.<strong>Le</strong> mal moral est dans l'âme seule, dans ses dissonances avecl'harmonie divine. Mais, à me<strong>sur</strong>e qu'elle monte vers une c<strong>la</strong>rté plusvive, vers une vérité plus <strong>la</strong>rge, vers une sagesse plus parfaite, les causes<strong>de</strong> souffrances s'atténuent, en même temps que se dissipent ses vainesambitions, ses désirs matériels. Et d'étapes en étapes, <strong>de</strong> vies en vies, ellepénètre dans <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> lumière <strong>et</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> paix, où le mal est inconnu,où le bien, seul, règne !** *Bien souvent, j'ai entendu dire par certaines personnes dont l'existencefut pénible <strong>et</strong> semée d'épreuves : «Je ne voudrais pas renaître en une vienouvelle ; je ne veux pas revenir <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre.» Quand on a beaucoup


302 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEsouffert, que l'on a été violemment secoué par les orages <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>, ilest très légitime d'aspirer au repos. Je comprends qu'une âme accabléerecule à <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong> recommencer c<strong>et</strong>te bataille <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, où elle a revu<strong>de</strong>s bles<strong>sur</strong>es qui saignent encore. Mais <strong>la</strong> loi est inexorable. Pourmonter plus haut dans <strong>la</strong> hiérarchie <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s, il faut avoir <strong>la</strong>issé icibastout l'encombrant bagage <strong>de</strong>s goûts, <strong>de</strong>s appétits qui nous attache à <strong>la</strong>terre. Ces liens, nous les emportons trop souvent avec nous dans l'Au<strong>de</strong>là<strong>et</strong> ce sont eux qui nous r<strong>et</strong>iennent dans les basses régions. Parfois,nous nous croyons capables <strong>et</strong> dignes <strong>de</strong> gagner les altitu<strong>de</strong>s <strong>et</strong>, à notreinsu, mille chaînes nous rivent encore à c<strong>et</strong>te p<strong>la</strong>nète inférieure. Nous necomprenons ni l'amour dans sa sublime essence, ni le sacrifice tel qu'onle pratique dans ces humanités épurées où l'on ne vit plus pour soi oupour quelques-uns, mais pour tous. Or, ceux qui sont mûrs pour une tellevie peuvent seuls <strong>la</strong> possé<strong>de</strong>r. Pour s'en rendre dignes, il faudra doncre<strong>de</strong>scendre encore dans le creus<strong>et</strong>, dans <strong>la</strong> fournaise où fondront commecire les dur<strong>et</strong>és <strong>de</strong> notre coeur. Et lorsque les scories <strong>de</strong> notre âme aurontété rej<strong>et</strong>ées, éliminées, quand notre essence sera <strong>de</strong>venue exempted'alliage, alors Dieu nous appellera à une vie plus haute, à une tâche plusbelle.Par-<strong>de</strong>ssus tout, il faut me<strong>sur</strong>er à leur juste valeur les soucis, lestristesses <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>. Pour nous, ce sont choses bien cruelles ; maiscomme tout ce<strong>la</strong> se rap<strong>et</strong>isse <strong>et</strong> s'efface si on le considère à distance, sil'esprit, s'élevant au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s détails <strong>de</strong> l'existence, embrasse d'un <strong>la</strong>rgeregard les perspectives <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée. Celui-là seul saura peser, me<strong>sur</strong>erces choses, dont <strong>la</strong> pensée son<strong>de</strong> sans trouble les <strong>de</strong>ux océans <strong>de</strong> l'espace<strong>et</strong> du temps : l'immensité <strong>et</strong> l'éternité !O vous tous qui vous p<strong>la</strong>ignez amèrement <strong>de</strong>s déceptions, <strong>de</strong>s p<strong>et</strong>itesmisères, <strong>de</strong>s tribu<strong>la</strong>tions dont toute existence est semée <strong>et</strong> qui voussentez envahis par <strong>la</strong> <strong>la</strong>ssitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> le découragement, si vous voulezr<strong>et</strong>rouver <strong>la</strong> résolution, le courage perdus, si vous voulez apprendre àbraver allègrement <strong>la</strong> mauvaise fortune, à supporter, résignés, le sort quivous échoit, j<strong>et</strong>ez un regard attentif autour <strong>de</strong> vous. Considérez lesdouleurs trop ignorées <strong>de</strong>s p<strong>et</strong>its, <strong>de</strong>s déshérités, les souffrances <strong>de</strong>milliers d'êtres qui sont hommes comme vous ; considérez ces afflictionssans nombre : aveugles privés du rayon qui gui<strong>de</strong> <strong>et</strong> réjouit, paralytiques,impotents, corps que l'existence a tordus, ankylosés, brisés, qui pâtissent<strong>de</strong> maux héréditaires ! Et ceux qui manquent du nécessaire, <strong>sur</strong> qui


LA DOULEUR 303l'hiver souffle, g<strong>la</strong>cial ! Songez à toutes ces vies mornes, obscures,souffr<strong>et</strong>euses ; comparez vos maux trop souvent imaginaires aux tortures<strong>de</strong> vos frères <strong>de</strong> douleurs, <strong>et</strong> vous vous estimerez moins malheureux ;vous reprendrez patience <strong>et</strong> courage <strong>et</strong>, <strong>de</strong> votre coeur, <strong>de</strong>scendra <strong>sur</strong> <strong>la</strong>foule <strong>de</strong>s humains, <strong>sur</strong> tous ces pèlerins <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie qui se traînent accablés<strong>sur</strong> le chemin ari<strong>de</strong>, le sentiment d'une pitié sans bornes <strong>et</strong> d'un immenseamour !XXVII. - REVELATION PAR LA DOULEUR.C'est <strong>sur</strong>tout <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> souffrance que se montre <strong>la</strong> nécessité,l'efficacité d'une croyance robuste, puissamment assise à <strong>la</strong> fois <strong>sur</strong> <strong>la</strong>raison, le sentiment <strong>et</strong> les faits, <strong>et</strong> qui explique l'énigme <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, leproblème <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur.Quelles conso<strong>la</strong>tions le matérialisme <strong>et</strong> l'athéisme peuvent-ils offrir àl'homme atteint d'un mal incurable ? Que diront-ils pour calmer lesdésespoirs, préparer l'âme <strong>de</strong> celui qui va mourir ? Quel <strong>la</strong>ngag<strong>et</strong>iendront-ils au père, à <strong>la</strong> mère agenouillés <strong>de</strong>vant le berceau d'un enfantmort, à tous ceux qui voient <strong>de</strong>scendre sous <strong>la</strong> terre les cercueils <strong>de</strong>sêtres chéris ? Ici se montrent toute <strong>la</strong> pauvr<strong>et</strong>é, toute l'insuffisance <strong>de</strong>sdoctrines du néant.La douleur n'est pas seulement le critérium par excellence <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, lejuge qui pèse les caractères, les consciences <strong>et</strong> me<strong>sur</strong>e <strong>la</strong> véritablegran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> l'homme. Elle est aussi un procédé infaillible pourreconnaître <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong>s théories philosophiques <strong>et</strong> <strong>de</strong>s doctrinesreligieuses. La meilleure sera évi<strong>de</strong>mment celle qui nous réconforte,celle qui dit pourquoi les <strong>la</strong>rmes sont le lot <strong>de</strong> l'humanité <strong>et</strong> fournit lesmoyens <strong>de</strong> les étancher. Par <strong>la</strong> douleur, on découvre plus sûrement lefoyer d'où émane le plus beau, le plus doux rayon <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité, celui quine s'éteint pas.Si l'univers n'est qu'un champ clos ouvert aux forces capricieuses <strong>et</strong>aveugles <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, une odieuse fatalité qui nous broie ; s'il n'y a en luini conscience, ni justice, ni bonté, alors <strong>la</strong> douleur n'a pas <strong>de</strong> sens, pasd'utilité ; elle ne comporte pas <strong>de</strong> conso<strong>la</strong>tions. Il n'y a plus qu'à imposersilence à notre coeur brisé, car il serait puéril <strong>et</strong> vain d'importuner leshommes <strong>et</strong> le ciel <strong>de</strong> nos p<strong>la</strong>intes !


304 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEPour tous ceux dont <strong>la</strong> vie est limitée par les horizons étroits dumatérialisme, le problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur est insoluble ; il n'est pasd'espérance pour celui qui souffre.N'est-ce pas vraiment chose étrange que l'impuissance <strong>de</strong> tant <strong>de</strong>sages, <strong>de</strong> philosophes, <strong>de</strong> penseurs, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s milliers d'années, àexpliquer <strong>et</strong> à consoler <strong>la</strong> douleur, à nous <strong>la</strong> faire accepter lorsqu'elle estinévitable ? <strong>Le</strong>s uns l'ont niée, ce qui est puéril. D'autres ont conseillé <strong>de</strong>l'oublier, <strong>de</strong> s'en distraire, ce qui est vain, ce qui est lâche quand il s'agit<strong>de</strong> <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> ceux que nous avons aimés. En général, on nous a appris à<strong>la</strong> redouter, à <strong>la</strong> craindre, à <strong>la</strong> détester. Bien peu l'ont comprise ; bien peul'ont expliquée !Aussi, autour <strong>de</strong> nous, dans les rapports <strong>de</strong> chaque jour, combien sont<strong>de</strong>venues pauvres, banales, enfantines, les paroles <strong>de</strong> sympathie, lestentatives <strong>de</strong> conso<strong>la</strong>tion prodiguées à ceux que le malheur a touchés.Quels froids propos <strong>sur</strong> les lèvres, quelle absence <strong>de</strong> chaleur <strong>et</strong> <strong>de</strong>lumière dans les pensées <strong>et</strong> dans les coeurs ! Quelle faiblesse, quel vi<strong>de</strong>dans les procédés employés pour réconforter les âmes en<strong>de</strong>uillées,procédés qui aggravent plutôt <strong>et</strong> redoublent leurs maux, leur tristesse.Tout ce<strong>la</strong> résulte uniquement <strong>de</strong> l'obscurité qui règne <strong>sur</strong> le problème <strong>de</strong><strong>la</strong> douleur, <strong>de</strong>s fausses données répandues dans les esprits par lesdoctrines négatives <strong>et</strong> certaines philosophies spiritualistes. En eff<strong>et</strong>, c'estle propre <strong>de</strong>s théories erronées <strong>de</strong> décourager, d'accabler, d'assombrirl'âme aux heures difficiles, au lieu <strong>de</strong> lui procurer les moyens <strong>de</strong> faireface au <strong>de</strong>stin avec une ferme résolution.Et les religions, pourrait-on me dire ? Oui, sans doute, les religions onttrouvé <strong>de</strong>s secours spirituels pour les âmes en détresse ; cependant lesconso<strong>la</strong>tions qu'elles offrent reposent <strong>sur</strong> une conception trop étroite dubut <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>et</strong> <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée. Nous l'avons suffisammentdémontré pour n'avoir pas à y revenir.<strong>Le</strong>s religions chrétiennes, <strong>sur</strong>tout, ont compris le rôle grandiose <strong>de</strong> <strong>la</strong>souffrance, mais elles en ont exagéré, dénaturé le sens. <strong>Le</strong> paganismeexprimait <strong>la</strong> joie ; ses dieux se couronnaient <strong>de</strong> fleurs, <strong>et</strong> présidaient auxfêtes. Pourtant, les stoïciens <strong>et</strong>, avec eux, certaines écoles secrètesconsidéraient déjà <strong>la</strong> douleur comme un élément indispensable à l'ordredu mon<strong>de</strong>. <strong>Le</strong> christianisme, lui, l'a glorifiée, déifiée en <strong>la</strong> personne <strong>de</strong>Jésus. Devant <strong>la</strong> croix du Calvaire, l'humanité a trouvé <strong>la</strong> sienne moinslour<strong>de</strong>. <strong>Le</strong> souvenir du grand supplicié a aidé les hommes à souffrir <strong>et</strong> à


REVELATION PAR LA DOULEUR 305mourir. Toutefois, en poussant les choses à l'extrême, le christianisme adonné à <strong>la</strong> vie, à <strong>la</strong> mort, à <strong>la</strong> religion, à Dieu <strong>de</strong>s aspects lugubres,parfois terrifiants. Il est nécessaire <strong>de</strong> réagir <strong>et</strong> <strong>de</strong> rem<strong>et</strong>tre les choses aupoint, car en raison même <strong>de</strong>s excès <strong>de</strong>s religions, celles-ci voients'amoindrir chaque jour leur empire. <strong>Le</strong> matérialisme gagne peu à peu l<strong>et</strong>errain qu'elles ont perdu ; <strong>la</strong> conscience popu<strong>la</strong>ire s'obscurcit ; <strong>la</strong> notiondu <strong>de</strong>voir s'effondre, faute d'une doctrine adaptée aux nécessités dutemps <strong>et</strong> aux besoins <strong>de</strong> l'évolution humaine.C'est pourquoi nous dirons aux prêtres <strong>de</strong> toutes les religions :«E<strong>la</strong>rgissez le cadre <strong>de</strong> vos enseignements ; donnez à l'homme unenotion plus étendue, <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>stins, une vue plus c<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là, uneidée plus haute du but à atteindre. Faites-lui comprendre que son oeuvreconsiste à construire lui-même, avec l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur, sa conscience,sa personnalité morale, <strong>et</strong> ce<strong>la</strong> à travers l'infini <strong>de</strong>s temps <strong>et</strong> <strong>de</strong>s espaces.Si, à l'heure présente, votre influence s'affaiblit, si votre puissance estébranlée, ce n'est pas à cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale que vous enseignez. C'est parsuite <strong>de</strong> l'insuffisance <strong>de</strong> votre conception <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, qui ne montre pasn<strong>et</strong>tement <strong>la</strong> justice dans les lois <strong>et</strong> dans les choses <strong>et</strong>, par conséquent, nemontre pas Dieu. Vos théologies ont enfermé <strong>la</strong> pensée dans un cerclequi l'étouffe ; elles lui ont fixé une base trop restreinte <strong>et</strong>, <strong>sur</strong> c<strong>et</strong>te base,tout l'édifice chancelle <strong>et</strong> menace <strong>de</strong> s'écrouler. Cessez <strong>de</strong> discuter <strong>sur</strong><strong>de</strong>s textes <strong>et</strong> d'opprimer les consciences ; sortez <strong>de</strong>s cryptes où vous avezenfermé l'esprit ; marchez <strong>et</strong> agissez !»Une nouvelle doctrine se lève, grandit, s'étend, qui ai<strong>de</strong>ra <strong>la</strong> pensée àaccomplir son oeuvre <strong>de</strong> transformation. Ce nouveau spiritualismecontient toutes les ressources nécessaires pour consoler les afflictions,enrichir <strong>la</strong> philosophie, régénérer les religions, s'attirer à <strong>la</strong> foisl'affection du plus humble disciple <strong>et</strong> le respect du plus fier génie.Il peut satisfaire les plus nobles é<strong>la</strong>ns <strong>de</strong> l'intelligence <strong>et</strong> les aspirationsdu coeur. Et, en même temps, il explique <strong>la</strong> faiblesse humaine, le côtéobscur, tourmenté <strong>de</strong> l'âme inférieure livrée aux passions <strong>et</strong> il lui procureles moyens <strong>de</strong> s'élever à <strong>la</strong> connaissance <strong>et</strong> à <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong>.Enfin, il constitue le remè<strong>de</strong> moral le plus puissant contre <strong>la</strong> douleur.Dans l'explication qu'il en donne, dans les conso<strong>la</strong>tions qu'il vient offrirà l'infortune, se trouve <strong>la</strong> preuve <strong>la</strong> plus évi<strong>de</strong>nte, <strong>la</strong> plus touchante <strong>de</strong>son caractère véridique <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa solidité inébran<strong>la</strong>ble.


306 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEMieux que toute autre doctrine philosophique ou religieuse, il nousrévèle le grand rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance <strong>et</strong> nous apprend à l'accepter. Enfaisant d'elle un procédé éducatif ou réparateur, il nous montre <strong>la</strong> justice<strong>et</strong> l'amour divins intervenant jusque dans nos épreuves <strong>et</strong> dans nos maux.Au lieu <strong>de</strong> ces désespérés que les doctrines négatives font <strong>de</strong> nous, aulieu <strong>de</strong> ces déchus, <strong>de</strong> ces réprouvés, ou <strong>de</strong> ces maudits, le spiritismenous montre dans les malheureux, <strong>de</strong>s apprentis, <strong>de</strong>s néophytes que <strong>la</strong>douleur éc<strong>la</strong>ire, initie, <strong>de</strong>s candidats à <strong>la</strong> perfection <strong>et</strong> au bonheur.En donnant à <strong>la</strong> vie un but infini, le nouveau spiritualisme vient <strong>de</strong>nous offrir une raison <strong>de</strong> vivre <strong>et</strong> <strong>de</strong> souffrir qui mérite vraiment que l'onvive <strong>et</strong> que l'on souffre, en un mot, un objectif digne <strong>de</strong> l'âme <strong>et</strong> digne <strong>de</strong>Dieu. Dans le désordre apparent <strong>et</strong> <strong>la</strong> confusion <strong>de</strong>s choses, il nousmontre l'ordre qui, lentement, s'ébauche <strong>et</strong> se réalise, le futur quis'é<strong>la</strong>bore dans le présent <strong>et</strong>, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout, le déploiement d'uneimmense <strong>et</strong> divine harmonie.Et voyez les conséquences <strong>de</strong> c<strong>et</strong> enseignement. La douleur perd soncaractère effrayant ; elle n'est plus un ennemi, un monstre redouté ; c'estun ai<strong>de</strong>, un auxiliaire, <strong>et</strong> son rôle est provi<strong>de</strong>ntiel. Elle purifie, grandit,refond l'être dans sa f<strong>la</strong>mme ; elle le revêt d'une beauté qu'on ne luiconnaissait pas. L'homme, d'abord étonné, inqui<strong>et</strong> à son aspect, apprendà <strong>la</strong> connaître, à l'apprécier, à se familiariser avec elle ; il finit presquepar l'aimer. Certaines âmes héroïques, au lieu <strong>de</strong> s'en détourner, <strong>de</strong> <strong>la</strong>fuir, iront à elle pour s'y plonger librement <strong>et</strong> s'y régénérer.La <strong>de</strong>stinée, étant illimitée, nous ménage <strong>de</strong>s possibilités toujoursnouvelles d'amélioration. La souffrance n'est qu'un correctif à nos abus,à nos erreurs, un stimu<strong>la</strong>nt dans notre marche. Ainsi les lois souverainesse montrent parfaitement justes <strong>et</strong> bonnes. Elles n'infligent à personne<strong>de</strong>s peines inutiles ou imméritées. L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'univers moral nousremplit d'admiration pour <strong>la</strong> Puissance qui, au moyen <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur,transforme peu à peu les forces du mal en forces du bien, fait sortir duvice <strong>la</strong> vertu, <strong>de</strong> l'égoïsme l'amour !Dès lors, as<strong>sur</strong>é du résultat <strong>de</strong> ses efforts, l'homme accepte aveccourage les épreuves inévitables. La vieillesse peut venir, <strong>la</strong> vie décroître<strong>et</strong> rouler <strong>sur</strong> <strong>la</strong> pente rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s ans, sa foi l'ai<strong>de</strong> à traverser les pério<strong>de</strong>sacci<strong>de</strong>ntées <strong>et</strong> les heures tristes <strong>de</strong> l'existence. A me<strong>sur</strong>e que celle-cidécline <strong>et</strong> s'enveloppe <strong>de</strong> brume, <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> lumière <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là se faitplus vive <strong>et</strong> le sentiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice, <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonté, <strong>de</strong> l'amour qui


REVELATION PAR LA DOULEUR 307prési<strong>de</strong>nt à <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong> tous les êtres, <strong>de</strong>vient pour lui une force auxheures <strong>de</strong> <strong>la</strong>ssitu<strong>de</strong> ; elle lui rend plus facile <strong>la</strong> préparation au départ.** *Pour le matérialiste <strong>et</strong> même pour beaucoup <strong>de</strong> croyants, le décès <strong>de</strong>sêtres aimés creuse entre eux <strong>et</strong> nous un abîme que rien ne peut combler,abîme d'ombre <strong>et</strong> <strong>de</strong> nuit où ne brille aucun rayon, aucune espérance. <strong>Le</strong>protestant, incertain <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>stinée, ne prie même pas pour ses morts.<strong>Le</strong> catholique, non moins anxieux, peut redouter pour les siens lejugement qui sépare à jamais les élus <strong>de</strong>s réprouvés.Mais voici <strong>la</strong> doctrine nouvelle avec ses certitu<strong>de</strong>s inébran<strong>la</strong>bles. Pourceux qui l'ont adoptée, <strong>la</strong> mort, comme <strong>la</strong> douleur, sera sans effroi.Chaque tombe qui se creuse est un portique <strong>de</strong> délivrance, une issueouverte vers les libres espaces ; chaque ami qui disparaît va préparer <strong>la</strong><strong>de</strong>meure future, jalonner <strong>la</strong> route à suivre <strong>sur</strong> <strong>la</strong>quelle nous nousrejoignons tous. La séparation n'est même qu'apparente. Nous savonsque ces âmes ne nous ont pas quittés sans r<strong>et</strong>our ; une communion intimepeut encore s'établir d'elles à nous. Si leurs manifestations, dans l'ordresensible, rencontrent <strong>de</strong>s obstacles, nous pourrons du moinscorrespondre avec elles par <strong>la</strong> pensée.Vous connaissez <strong>la</strong> loi télépathique. Il n'est pas <strong>de</strong> cri, pas <strong>de</strong> <strong>la</strong>rme,pas d'appel d'amour qui n'ait sa répercussion <strong>et</strong> sa réponse. Solidaritéadmirable <strong>de</strong>s âmes pour qui nous prions <strong>et</strong> qui prient pour nous,échanges <strong>de</strong> pensées vibrantes <strong>et</strong> d'appels régénérateurs qui traversentl'espace, pénètrent les coeurs angoissés <strong>de</strong> radiations, <strong>de</strong> force <strong>et</strong>d'espérance <strong>et</strong> ne manquent jamais le but !Vous croyiez souffrir seul, mais non : près <strong>de</strong> vous, autour <strong>de</strong> vous <strong>et</strong>jusque dans l'étendue sans bornes, il est <strong>de</strong>s êtres qui vibrent <strong>de</strong> votresouffrance <strong>et</strong> participent à votre douleur. Ne <strong>la</strong> ren<strong>de</strong>z pas trop vive, afin<strong>de</strong> les épargner eux-mêmes.A <strong>la</strong> peine, à <strong>la</strong> tristesse humaine, Dieu a donné pour compagne <strong>la</strong>sympathie céleste. Et c<strong>et</strong>te sympathie prend souvent <strong>la</strong> forme d'un êtreaimé qui, dans les jours d'épreuves, <strong>de</strong>scend, plein <strong>de</strong> sollicitu<strong>de</strong>, <strong>et</strong>recueille chacune <strong>de</strong> nos douleurs pour nous en faire une couronne <strong>de</strong>lumière dans l'espace.Combien d'époux, <strong>de</strong> fiancés, d'amants, séparés par <strong>la</strong> mort, viventdans une union nouvelle, plus étroite <strong>et</strong> plus intime. Aux heures


308 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEd'affliction, l'esprit d'un père, d'une mère, tous les amis du ciel sepenchent vers nous <strong>et</strong> baignent nos fronts <strong>de</strong> leurs flui<strong>de</strong>s doux <strong>et</strong>affectueux ; ils enveloppent nos coeurs <strong>de</strong> chau<strong>de</strong>s palpitations d'amour.Comment se <strong>la</strong>isser aller au mal ou au désespoir en présence <strong>de</strong> telstémoins, en songeant qu'ils voient nos soucis, lisent nos pensées, qu'ilsnous atten<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> s'apprêtent à nous recevoir au seuil <strong>de</strong> l'immensité !En quittant <strong>la</strong> terre, nous les r<strong>et</strong>rouverons tous <strong>et</strong>, avec eux, un bienplus grand nombre d'esprits amis que nous avions oubliés durant notre<strong>de</strong>rnier séjour terrestre, <strong>la</strong> foule <strong>de</strong> ceux qui partagèrent nos vies passées<strong>et</strong> composent notre famille spirituelle.Tous nos compagnons du grand voyage éternel se grouperont pournous accueillir, non pas comme <strong>de</strong> pâles ombres, <strong>de</strong> vagues fantômesanimés d'une vie indécise, mais dans <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> toutes leurs facultésaccrues ; comme <strong>de</strong>s êtres actifs, s'intéressant encore aux choses <strong>de</strong> <strong>la</strong>terre, participant à l'oeuvre universelle, coopérant à nos efforts, à nostravaux, à nos proj<strong>et</strong>s.<strong>Le</strong>s liens du passé se renoueront avec une force nouvelle. L'amour,l'amitié, <strong>la</strong> paternité, ébauchés autrefois, en <strong>de</strong> multiples existences, secimenteront par <strong>de</strong>s engagements nouveaux pris en vue <strong>de</strong> l'avenir, afind'augmenter sans cesse <strong>et</strong> d'élever à leur suprême puissance lessentiments qui nous unissent tous. Et les tristesses <strong>de</strong>s séparationspassagères, l'éloignement apparent <strong>de</strong>s âmes causé par <strong>la</strong> mort, tout sefondra en <strong>de</strong>s effusions <strong>de</strong> bonheur, dans le ravissement <strong>de</strong>s r<strong>et</strong>ours <strong>et</strong><strong>de</strong>s réunions ineffables.N'ajoutez donc aucune foi aux sombres doctrines qui vous parlent <strong>de</strong>lois d'airain ou bien <strong>de</strong> condamnation, d'enfer <strong>et</strong> <strong>de</strong> paradis éloignant lesuns <strong>de</strong>s autres, <strong>et</strong> pour toujours, ceux qui se sont aimés.Il n'est pas d'abîme que l'amour ne puisse combler. Dieu, tout amour,n'a pu condamner à s'éteindre le sentiment le plus beau, le plus noble <strong>de</strong>tous ceux qui vibrent au coeur <strong>de</strong> l'homme. L'amour est immortel commel'âme elle-même.Aux heures <strong>de</strong> souffrance, d'angoisse, d'accablement, recueillez-vous<strong>et</strong>, d'un appel ar<strong>de</strong>nt, attirez à vous ces Etres qui furent, comme nous,<strong>de</strong>s hommes <strong>et</strong> qui sont maintenant <strong>de</strong>s esprits célestes, <strong>et</strong> <strong>de</strong>s forcesinconnues pénétreront en vous ; elles vous ai<strong>de</strong>ront à supporter vosmisères <strong>et</strong> vos maux.


REVELATION PAR LA DOULEUR 309Hommes, pauvres voyageurs qui gravissez péniblement <strong>la</strong> montéedouloureuse <strong>de</strong> l'existence, sachez que partout, <strong>sur</strong> notre route, <strong>de</strong>s êtresinvisibles, puissants <strong>et</strong> bons, cheminent à nos côtés. Aux passagesdifficiles, leurs flui<strong>de</strong>s secourables soutiennent notre marchechance<strong>la</strong>nte. Ouvrez-leur vos âmes ; m<strong>et</strong>tez vos pensées en accord avecleurs pensées <strong>et</strong> aussitôt vous sentirez <strong>la</strong> joie <strong>de</strong> leur présence ; uneatmosphère <strong>de</strong> paix <strong>et</strong> <strong>de</strong> bénédiction vous enveloppera ; <strong>de</strong> suavesconso<strong>la</strong>tions <strong>de</strong>scendront en vous.** *Au milieu <strong>de</strong>s épreuves, les vérités que nous venons <strong>de</strong> rappeler nenous dispensent pas <strong>de</strong>s émotions <strong>et</strong> <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes ; ce serait contre nature.Du moins, elles nous apprennent à ne pas murmurer, à ne pas resteraccablés sous les coups <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur. Elles écartent <strong>de</strong> nous ces funestespensées <strong>de</strong> révolte, <strong>de</strong> désespoir ou <strong>de</strong> suici<strong>de</strong> qui hantent souvent lecerveau <strong>de</strong>s néantistes. Si nous continuons à pleurer, c'est sans amertume<strong>et</strong> sans b<strong>la</strong>sphème.Même lorsqu'il s'agit du suici<strong>de</strong> <strong>de</strong> jeunes hommes emportés parl'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> leurs passions, <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> douleur immense d'une mère, lenouveau spiritualisme ne reste pas sans ressources. Il verse encorel'espérance aux coeurs désolés. Il leur procure par <strong>la</strong> prière, par <strong>la</strong> penséear<strong>de</strong>nte, <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> sou<strong>la</strong>ger ces âmes qui flottent dans les ténèbresspirituelles entre <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> l'espace, ou restent confinées, par leursflui<strong>de</strong>s grossiers, dans les milieux où elles ont vécu. Il atténue leur peineen leur disant qu'il n'est rien d'irréparable, rien <strong>de</strong> définitif dans le mal ;toute évolution entravée reprend son cours quand le coupable a payé sa<strong>de</strong>tte à <strong>la</strong> justice.Partout <strong>et</strong> en tout, c<strong>et</strong>te doctrine nous offre une base, un point d'appuid'où l'âme peut prendre son essor vers l'avenir <strong>et</strong> se consoler <strong>de</strong>s chosesprésentes par <strong>la</strong> perspective <strong>de</strong>s choses futures. La confiance, <strong>la</strong> foi ennos <strong>de</strong>stins proj<strong>et</strong>te <strong>de</strong>vant nous une lumière qui éc<strong>la</strong>ire le sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie,nous fixe le <strong>de</strong>voir, é<strong>la</strong>rgit notre sphère d'action <strong>et</strong> nous apprend à agirpour les autres. Nous sentons qu'il y a dans l'univers une force, unepuissance, une sagesse incomparables ; mais aussi que nous faisonsnous-mêmes partie <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te force <strong>et</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te puissance dont noussommes issus.


310 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEENous comprenons que les vues <strong>de</strong> Dieu <strong>sur</strong> nous, son p<strong>la</strong>n, son oeuvre,son but, tout a son principe <strong>et</strong> sa source dans son amour. En touteschoses, Dieu veut notre bien <strong>et</strong> le poursuit par <strong>de</strong>s voies tantôt c<strong>la</strong>ires,tantôt mystérieuses, mais constamment appropriées à nos besoins. S'ilnous sépare <strong>de</strong> ceux que nous aimons, c'est pour nous faire r<strong>et</strong>rouverplus vives les joies du r<strong>et</strong>our. S'il perm<strong>et</strong> pour nous les déceptions, lesabandons, les ma<strong>la</strong>dies, les revers, c'est afin <strong>de</strong> nous obliger à détachernos regards <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> à les élever vers lui, à rechercher <strong>de</strong>s joiessupérieures à toutes celles que nous pouvons goûter en ce mon<strong>de</strong>.L'Univers est justice <strong>et</strong> amour ; dans <strong>la</strong> spirale infinie <strong>de</strong>s ascensions,<strong>la</strong> somme <strong>de</strong>s souffrances, divine alchimie, se change là-haut en flots <strong>de</strong>lumière <strong>et</strong> en gerbes <strong>de</strong> félicité.Avez-vous remarqué, au fond <strong>de</strong> certaines douleurs, comme unesaveur particulière <strong>et</strong> si nouvelle que l'on ne peut s'empêcher d'yreconnaître une intervention bienfaisante ? Quelquefois l'âme frappéevoit briller une c<strong>la</strong>rté inconnue, d'autant plus vive que le désastre estplus grand. D'un seul coup, <strong>la</strong> douleur l'enlève à <strong>de</strong>s hauteurs telles qu'ilfaudrait vingt années d'étu<strong>de</strong>s <strong>et</strong> d'efforts pour les atteindre.Je ne puis résister au désir <strong>de</strong> citer <strong>de</strong>ux exemples, parmi beaucoupd'autres qui me sont connus. Il s'agit <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux hommes, <strong>de</strong>venus <strong>de</strong>puismes amis, pères <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux jeunes filles charmantes qui étaient toute leurjoie en ce mon<strong>de</strong>, <strong>et</strong> que <strong>la</strong> mort enleva brutalement en quelques jours.L'un était officier général dans <strong>la</strong> région <strong>de</strong> l'Est. Sa fille aînée possédaittous les dons <strong>de</strong> l'intelligence <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> beauté. D'un caractère sérieux, elledédaignait volontiers les p<strong>la</strong>isirs <strong>de</strong> son âge <strong>et</strong> partageait les travaux <strong>de</strong>son père, écrivain militaire <strong>et</strong> publiciste <strong>de</strong> talent. Aussi lui avait-il vouéune affection qui al<strong>la</strong>it jusqu'au culte. En peu <strong>de</strong> temps, une ma<strong>la</strong>die sansremè<strong>de</strong> enlevait <strong>la</strong> jeune fille à <strong>la</strong> tendresse <strong>de</strong>s siens. Dans ses papiers,on trouva un cahier <strong>de</strong> notes portant ce titre : «A mon père quand je neserai plus !» Quoique jouissant d'une santé parfaite au moment où ell<strong>et</strong>raçait ces pages, elle avait le pressentiment <strong>de</strong> sa mort prochaine <strong>et</strong>adressait à son père <strong>de</strong>s conso<strong>la</strong>tions touchantes. Grâce à un livre qu'ildécouvrit dans le bureau <strong>de</strong> son enfant, nous entrâmes en rapport. Peu àpeu, en procédant avec métho<strong>de</strong> <strong>et</strong> persistance, il <strong>de</strong>vint médium voyant,<strong>et</strong> aujourd'hui il a non seulement <strong>la</strong> faveur d'être initié aux mystères <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>sur</strong>vivance, mais aussi celle <strong>de</strong> revoir souvent sa fille près <strong>de</strong> lui <strong>et</strong> <strong>de</strong>recevoir les témoignages <strong>de</strong> son amour. L'esprit d'Yvonne se


REVELATION PAR LA DOULEUR 311communiquait également à son fiancé <strong>et</strong> à un <strong>de</strong> ses cousins, sousofficierdans le régiment que commandait alors son père. Cesmanifestations se complétaient <strong>et</strong> se contrô<strong>la</strong>ient les unes par les autres,<strong>et</strong> étaient encore perçues par <strong>de</strong>ux animaux familiers, ainsi que l'attestentles l<strong>et</strong>tres du général 1 .<strong>Le</strong> <strong>de</strong>uxième cas, visé ici, est celui <strong>de</strong> M. Debrus, négociant àValence, dont l'unique enfant, Rose, née après <strong>de</strong> nombreuses années <strong>de</strong>mariage, était tendrement aimée. Toutes les espérances du père <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong>mère reposaient <strong>sur</strong> c<strong>et</strong>te tête chérie. Mais, à 12 ans, l'enfant fut frappéebrusquement d'une méningite aiguë qui l'emporta. <strong>Le</strong> désespoir <strong>de</strong>sparents fut inexprimable <strong>et</strong> l'idée du suici<strong>de</strong> hanta plus d'une fois l'espritdu pauvre père. Il se ressaisit cependant, ayant quelque connaissance duspiritisme, <strong>et</strong> eut aussi <strong>la</strong> joie <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir médium. Aujourd'hui, ilcommunique sans intermédiaire, librement <strong>et</strong> sûrement, avec sa fille.Celle-ci intervient fréquemment dans <strong>la</strong> vie intime <strong>de</strong>s siens <strong>et</strong> produitparfois autour d'eux <strong>de</strong>s phénomènes lumineux d'une gran<strong>de</strong> intensité.<strong>Le</strong>s uns comme les autres savaient peu <strong>de</strong> choses <strong>de</strong> l'Au-<strong>de</strong>là <strong>et</strong>vivaient dans une indifférence coupable à l'endroit <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> <strong>la</strong>vie future <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée. Maintenant, tout s'est éc<strong>la</strong>iré à leurs yeux.Après avoir souffert, ils ont été consolés <strong>et</strong> ils consolent les autres à leurtour, travail<strong>la</strong>nt à répandre <strong>la</strong> vérité autour d'eux, impressionnant tousceux qui les approchent, par <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong> leurs vues <strong>et</strong> <strong>la</strong> ferm<strong>et</strong>é <strong>de</strong>leurs convictions. <strong>Le</strong>urs enfants sont revenus vers eux, transfigurés <strong>et</strong>rayonnants. Et ils sont arrivés à comprendre pourquoi Dieu les avaitséparés <strong>et</strong> comment il leur ménage une vie commune dans <strong>la</strong> lumière <strong>et</strong>dans <strong>la</strong> paix <strong>de</strong>s espaces. Voilà l'oeuvre <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur !** *Pour le matérialiste, disions-nous, il n'est pas d'explication à l'énigmedu mon<strong>de</strong>, ni au problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur. Toute <strong>la</strong> magnifique évolution<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, toutes les formes d'existence <strong>et</strong> <strong>de</strong> beauté, lentementdéveloppées au cours <strong>de</strong>s siècles, tout ce<strong>la</strong> à ses yeux est dû au capriced'un hasard aveugle <strong>et</strong> n'a d'autre issue que le néant. A <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s temps,il en sera <strong>de</strong> l'humanité comme si elle n'avait jamais existé. Tous sesefforts pour s'élever à un état supérieur, toutes ses p<strong>la</strong>intes, ses1 Ces l<strong>et</strong>tres sont publiées dans ma brochure l'Au-<strong>de</strong>là <strong>et</strong> <strong>la</strong> Survivance <strong>de</strong> l'Etre, pages 23 <strong>et</strong>suivantes.


312 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEsouffrances, ses misères accumulées, tout s'évanouira comme une ombre,tout aura été inutile <strong>et</strong> vain.Mais au lieu <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te théorie <strong>de</strong> <strong>la</strong> stérilité <strong>et</strong> du désespoir, nous quiavons <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie future <strong>et</strong> du mon<strong>de</strong> spirituel, nous voyonsdans l'univers l'immense <strong>la</strong>boratoire où s'affine <strong>et</strong> s'épure l'âme humaine,à travers <strong>de</strong>s existences alternativement célestes <strong>et</strong> terrestres. Celles-cin'ont qu'un but : l'éducation <strong>de</strong>s intelligences associées aux corps. Lamatière est un instrument <strong>de</strong> progrès. Ce que nous appelons le mal, <strong>la</strong>douleur, n'est qu'un moyen d'élévation.<strong>Le</strong> moi est chose haïssable, a-t-on dit. Cependant, qu'on me perm<strong>et</strong>teun aveu. Chaque fois que l'ange <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur m'a touché <strong>de</strong> son aile, j'aisenti frémir en moi <strong>de</strong>s puissances inconnues ; j'ai entendu <strong>de</strong>s voixintérieures chanter le cantique éternel <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> lumière. Etmaintenant, après avoir participé à tous les maux <strong>de</strong> mes compagnons <strong>de</strong>route, je bénis <strong>la</strong> souffrance ; elle a façonné mon être ; elle m'a procuréun jugement plus sûr, un sentiment plus précis <strong>de</strong>s hautes véritéséternelles. Ma vie fut plus d'une fois secouée par le malheur, comme lechêne par l'orage ; mais il n'est pas une épreuve qui ne m'ait appris à meconnaître un peu plus, à me possé<strong>de</strong>r davantage.Voici venir <strong>la</strong> vieillesse. <strong>Le</strong> terme <strong>de</strong> mon oeuvre approche. Aprèscinquante années d'étu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> travail, <strong>de</strong> méditation, d'expériences, ilm'est doux <strong>de</strong> pouvoir affirmer à tous ceux qui souffrent, à tous lesaffligés <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>, qu'il est dans l'univers une justice infaillible. Rienn'est perdu <strong>de</strong> nos maux ; il n'y a pas <strong>de</strong> peine sans compensation, pas <strong>de</strong><strong>la</strong>beur sans profit. Nous marchons tous, à travers les vicissitu<strong>de</strong>s <strong>et</strong> les<strong>la</strong>rmes, vers un but grandiose, fixé par Dieu, <strong>et</strong> nous avons à nos côtésun gui<strong>de</strong> sûr, un conseiller invisible pour nous soutenir <strong>et</strong> nous consoler.Homme, mon frère, apprends à souffrir, car <strong>la</strong> douleur est sainte ! Elleest le plus noble agent <strong>de</strong> <strong>la</strong> perfection. Pénétrante <strong>et</strong> fécon<strong>de</strong>, elle estindispensable à <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> quiconque ne veut pas rester pétrifié dansl'égoïsme <strong>et</strong> l'indifférence. C'est une vérité philosophique que Dieuenvoie <strong>la</strong> souffrance à ceux qu'il aime : «Je suis esc<strong>la</strong>ve, estropié, disaitEpictète, un autre Irus en pauvr<strong>et</strong>é <strong>et</strong> en misère <strong>et</strong>, cependant, aimé <strong>de</strong>sDieux.»Apprends à souffrir ! Je ne te dirai pas : recherche <strong>la</strong> douleur. Maisquand elle se dresse, inévitable, <strong>sur</strong> ton chemin, accueille-<strong>la</strong> comme uneamie, apprends à <strong>la</strong> connaître, à apprécier sa beauté austère, à saisir ses


REVELATION PAR LA DOULEUR 313secr<strong>et</strong>s enseignements. Etudie son oeuvre cachée ; au lieu <strong>de</strong> te révoltercontre elle ou bien <strong>de</strong> rester accablé, inerte <strong>et</strong> veule sous son action,associe ta volonté, ta pensée au but qu'elle se fixe ; cherche à r<strong>et</strong>irer <strong>de</strong>son passage dans ta vie tout le produit qu'elle peut offrir à ton esprit <strong>et</strong> àton coeur.Efforce-toi d'être à ton tour un exemple pour les autres ; par tonattitu<strong>de</strong> dans <strong>la</strong> souffrance, ton acceptation volontaire <strong>et</strong> courageuse, taconfiance en l'avenir, rends-<strong>la</strong> plus acceptable aux yeux d'autrui.En un mot, fais <strong>la</strong> douleur plus belle. L'harmonie <strong>et</strong> <strong>la</strong> beauté sont <strong>de</strong>slois universelles <strong>et</strong>, dans c<strong>et</strong> ensemble, <strong>la</strong> douleur a son rôle esthétique.Il serait puéril <strong>de</strong> maugréer contre c<strong>et</strong> élément nécessaire à <strong>la</strong> beauté dumon<strong>de</strong>. Relevons-<strong>la</strong> plutôt par <strong>de</strong>s vues <strong>et</strong> <strong>de</strong>s espérances plus hautes !Voyons en elle le suprême remè<strong>de</strong> à tous les vices, à toutes lesdéchéances, à toutes les chutes !Vous tous qui ployez sous le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> vos épreuves ou qui pleurezdans le silence, quoi qu'il advienne, ne désespérez jamais. Souvenezvousque rien n'arrive en vain ni sans cause. Presque toutes nos douleursviennent <strong>de</strong> nous-mêmes, <strong>de</strong> notre passé, <strong>et</strong> elles nous ouvrent leschemins du ciel. La souffrance est une initiatrice. Elle nous révèle lesens grave, le sérieux imposant <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Celle-ci n'est pas une comédiefrivole, mais plutôt une tragédie poignante ; c'est <strong>la</strong> lutte pour <strong>la</strong>conquête <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie spirituelle, <strong>et</strong> dans c<strong>et</strong>te lutte, ce qu'il y a <strong>de</strong> plusgrand, c'est <strong>la</strong> résignation, <strong>la</strong> patience, <strong>la</strong> ferm<strong>et</strong>é, l'héroïsme. Au fond,les légen<strong>de</strong>s allégoriques <strong>de</strong> Prométhée, <strong>de</strong>s Argonautes, <strong>de</strong>sNiebelungen, les mystères sacrés <strong>de</strong> l'Orient n'ont pas d'autre sens.Un instinct profond nous fait admirer ceux dont l'existence n'est qu'uncombat perpétuel contre <strong>la</strong> douleur, un effort constant pour gravir lespentes abruptes qui conduisent aux cimes vierges, aux trésors inviolés.Et nous n'admirons pas seulement l'héroïsme au grand jour, les actionsqui provoquent l'enthousiasme <strong>de</strong>s foules, mais aussi <strong>la</strong> lutte obscure <strong>et</strong>cachée contre les privations, <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, <strong>la</strong> misère, tout ce qui détache<strong>de</strong>s liens matériels <strong>et</strong> <strong>de</strong>s choses qui passent.Tendre les volontés ; tremper les caractères pour le combat <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie ;développer <strong>la</strong> force <strong>de</strong> résistance ; écarter <strong>de</strong> l'âme <strong>de</strong> l'enfant tout ce quipeut l'amollir ; élever l'idéal à un niveau supérieur <strong>de</strong> force <strong>et</strong> <strong>de</strong>gran<strong>de</strong>ur : voilà ce que l'éducation mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong>vrait adopter pour objectifessentiel. Mais, à notre époque, on s'est déshabitué <strong>de</strong>s luttes morales,


314 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEpour rechercher les p<strong>la</strong>isirs du corps <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'esprit. Aussi <strong>la</strong> sensualiténous débor<strong>de</strong>, les caractères s'affaissent, <strong>la</strong> déca<strong>de</strong>nce sociale s'accentue.En haut les coeurs, les pensées, les volontés ! Ouvrons nos âmes auxgrands souffles <strong>de</strong> l'espace ! <strong>Le</strong>vons nos regards vers l'avenir sanslimites ; rappelons-nous que c<strong>et</strong> avenir nous appartient : notre tâche est<strong>de</strong> le conquérir.Nous vivons en <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong> crise. Pour que les intelligencess'ouvrent aux vérités nouvelles, pour que les coeurs parlent, <strong>de</strong>savertissements éc<strong>la</strong>tants sont nécessaires. Il faut les dures leçons <strong>de</strong>l'adversité. Nous avons connu <strong>de</strong>s jours sombres <strong>et</strong> <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>sdifficiles. <strong>Le</strong> malheur doit rapprocher les hommes. Ils ne se sententvraiment frères que par <strong>la</strong> douleur.Il semble que notre nation suive une route bordée <strong>de</strong> précipices.L'alcoolisme, l'immoralité, le suici<strong>de</strong>, le crime, exercent leurs ravages. Achaque instant, <strong>de</strong>s scandales éc<strong>la</strong>tent, éveil<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s curiosités malsaines,remuant <strong>la</strong> vase où fermentent les corruptions. La pensée rampe sanss'élever. L'âme <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, qui fut souvent l'initiatrice <strong>de</strong>s peuples, leurgui<strong>de</strong> dans <strong>la</strong> voie sacrée, c<strong>et</strong>te gran<strong>de</strong> âme souffre <strong>de</strong> se sentir vivredans un corps vicié.O âme vivante <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, sépare-toi <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te enveloppe gangrenée,évoque les grands souvenirs, les hautes pensées, les sublimesinspirations <strong>de</strong> ton génie ! Car ton génie n'est pas mort ; il sommeille.Demain, il se réveillera !La décomposition précè<strong>de</strong> le renouvellement. De <strong>la</strong> fermentationsociale peut sortir une autre vie, plus pure <strong>et</strong> plus belle. Sous l'influx <strong>de</strong>l'idée nouvelle, <strong>la</strong> France r<strong>et</strong>rouvera <strong>la</strong> croyance <strong>et</strong> <strong>la</strong> confiance. Elle serelèvera plus gran<strong>de</strong> <strong>et</strong> plus forte pour accomplir son oeuvre en cemon<strong>de</strong> !


PROFESSION DE FOI DU XX° SIECLE 315PROFESSION DE FOI DU XX° SIECLE.Au point d'évolution où <strong>la</strong> pensée humaine est parvenue ; considérant,du haut <strong>de</strong>s systèmes philosophiques <strong>et</strong> religieux, le problèmeformidable <strong>de</strong> l'être, <strong>de</strong> l'univers <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée, en quels termespourrait-on résumer les notions acquises ; en un mot, que pourrait être leCredo philosophique du vingtième siècle ?J'ai déjà essayé <strong>de</strong> résumer, dans Après <strong>la</strong> mort, en guise <strong>de</strong>conclusion, les principes essentiels du spiritualisme mo<strong>de</strong>rne. Si nousreprenons ce travail sous une autre forme, en adoptant pour base, commel'a fait Descartes, <strong>la</strong> notion même <strong>de</strong> l'être pensant, mais en <strong>la</strong>développant <strong>et</strong> en l'é<strong>la</strong>rgissant, nous pourrons dire :I. - <strong>Le</strong> premier principe <strong>de</strong> <strong>la</strong> connaissance, c'est l'idée d'Etre(Intelligence <strong>et</strong> Vie). L'idée d'être s'impose : Je suis ! C<strong>et</strong>te affirmationest indiscutable. On ne peut douter <strong>de</strong> soi-même. Mais, seule, c<strong>et</strong>te idéene peut se suffire ; elle doit se compléter par l'idée d'action <strong>et</strong> <strong>de</strong> vieprogressive : Je suis <strong>et</strong> je veux être, toujours plus <strong>et</strong> mieux !L'Etre, en son moi conscient : l'âme, est <strong>la</strong> seule unité vivante, <strong>la</strong> seulemona<strong>de</strong> indivisible <strong>et</strong> in<strong>de</strong>structible <strong>de</strong> substance simple, qu'on cherchevainement dans <strong>la</strong> matière, car elle n'existe qu'en nous-mêmes. L'âmereste invariable en son unité, à travers les mille <strong>et</strong> mille formes, les millecorps <strong>de</strong> chair qu'elle construit <strong>et</strong> anime, pour les besoins <strong>de</strong> sonévolution éternelle ; elle est toujours différente par les qualités acquises<strong>et</strong> les progrès réalisés, <strong>de</strong> plus en plus consciente <strong>et</strong> libre, dans <strong>la</strong>spirale infinie <strong>de</strong> ses existences p<strong>la</strong>nétaires <strong>et</strong> célestes.II. - Cependant, l'âme ne s'appartient qu'à moitié. Pour l'autre moitié,elle appartient à l'univers, au tout dont elle est partie. C'est pourquoielle ne peut se connaître entièrement qu'en étudiant l'univers.La poursuite <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te double connaissance est <strong>la</strong> raison même <strong>et</strong>l'obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> sa vie, <strong>de</strong> toutes ses vies, <strong>la</strong> mort n'étant que le renouvellement<strong>de</strong>s forces vitales nécessaires à une nouvelle étape en avant.III. - L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'univers démontre, tout d'abord, qu'une actionsupérieure, intelligente, souveraine, gouverne le mon<strong>de</strong>.<strong>Le</strong> caractère essentiel <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te action, par le fait même qu'elle seperpétue, c'est <strong>la</strong> durée. Par <strong>la</strong> nécessité d'être absolue, c<strong>et</strong>te durée nesaurait comporter <strong>de</strong> limites : d'où l'éternité.


316 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEIV. - L'éternité, vivante <strong>et</strong> agissante, implique l'être éternel <strong>et</strong> infini :Dieu, cause première, principe générateur, source <strong>de</strong> tous les êtres.Nous disons éternel <strong>et</strong> infini, car l'illimité dans <strong>la</strong> durée entraînemathématiquement l'illimité dans l'étendue.V. - L'action infinie est liée aux nécessités <strong>de</strong> <strong>la</strong> durée. Or, là où il y aliaison, re<strong>la</strong>tion, il y a Loi.La loi <strong>de</strong> l'univers, c'est <strong>la</strong> conservation, c'est l'ordre <strong>et</strong> l'harmonie.De l'ordre découle le bien ; <strong>de</strong> l'harmonie découle <strong>la</strong> beauté.<strong>Le</strong> but le plus élevé <strong>de</strong> l'univers, c'est <strong>la</strong> Beauté sous tous ses aspects :matériel, intellectuel, moral. La Justice <strong>et</strong> l'Amour sont ses moyens. LaBeauté, dans son essence, est donc inséparable du Bien <strong>et</strong> tous <strong>de</strong>ux, parleur union étroite constituent l'absolue Vérité, <strong>la</strong> suprême Intelligence,<strong>la</strong> Perfection !VI. - <strong>Le</strong> but <strong>de</strong> l'âme, dans son évolution, est d'atteindre <strong>et</strong> <strong>de</strong> réaliser,en elle <strong>et</strong> autour d'elle, à travers les temps <strong>et</strong> les stations ascendantes <strong>de</strong>l'univers, par l'épanouissement <strong>de</strong>s puissances qu'elle possè<strong>de</strong> en germe,c<strong>et</strong>te notion éternelle du Beau <strong>et</strong> du Bien, qu'exprime l'idée <strong>de</strong> Dieu,l'idée même <strong>de</strong> perfection.VII. - De <strong>la</strong> loi d'ascension bien entendue découle l'explication <strong>de</strong>tous les problèmes <strong>de</strong> l'être : l'évolution <strong>de</strong> l'âme, qui reçoit d'abord, par<strong>la</strong> transmission atavique, toutes ses qualités ancestrales, puis lesdéveloppe par son action propre pour y ajouter <strong>de</strong>s qualités nouvelles ;<strong>la</strong> liberté re<strong>la</strong>tive <strong>de</strong> l'être re<strong>la</strong>tif dans l'Etre absolu ; <strong>la</strong> lente formation<strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience humaine à travers les siècles <strong>et</strong> ses accroissementssuccessifs dans les infinis <strong>de</strong> l'avenir ; l'unité d'essence <strong>et</strong> <strong>la</strong> solidaritééternelle <strong>de</strong>s âmes dans leur marche à <strong>la</strong> conquête <strong>de</strong>s hauts somm<strong>et</strong>s.FIN


TEMOIGNAGES SCIENTIFIQUES 317TEMOIGNAGES SCIENTIFIQUESOpinion <strong>de</strong> Sir William CROOKES, le célèbre physicien ang<strong>la</strong>is quia découvert le thallium, fait connaître l'état radiant, inventé leradiomètre, expérimenté les rayons cathodiques <strong>et</strong> facilité l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>srayons X (tubes <strong>de</strong> Crookes) :«M'étant as<strong>sur</strong>é <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong>s phénomènes spirites, ce serait unelâch<strong>et</strong>é morale <strong>de</strong> leur refuser mon témoignage.»Après six ans d'expériences <strong>sur</strong> le spiritisme, six années pendantlesquelles il a imaginé <strong>de</strong> nombreux appareils <strong>de</strong>stinés soit à perm<strong>et</strong>treun contrôle scientifique, soit à enregistrer les phénomènes, WilliamCrookes écrivit, à propos <strong>de</strong>s faits spirites :«Je ne dis pas que ce<strong>la</strong> est possible : je dis que ce<strong>la</strong> est.»Opinion <strong>de</strong> Sir Oliver LODGE, autre grand physicien ang<strong>la</strong>is, dontles travaux, dans le domaine <strong>de</strong> l'électricité, notamment <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong>sions, sont connus dans le mon<strong>de</strong> entier :«Par<strong>la</strong>nt pour mon compte <strong>et</strong> avec tout le sentiment <strong>de</strong> maresponsabilité, j'ai à constater que, comme résultat <strong>de</strong> mon investigationdans le psychisme, j'ai à <strong>la</strong> longue <strong>et</strong> tout à fait graduellement acquis <strong>la</strong>conviction <strong>et</strong> suis maintenant convaincu, après plus <strong>de</strong> vingt annéesd'étu<strong>de</strong>s, non seulement que <strong>la</strong> persistance <strong>de</strong> l'existence personnelle estun fait, mais qu'une communication peut occasionnellement, mais avecdifficulté <strong>et</strong> dans les conditions spéciales, nous parvenir à traversl'espace. Ce suj<strong>et</strong> n'est pas <strong>de</strong> ceux qui perm<strong>et</strong>tent une conclusion facile ;les preuves ne peuvent être acquises que par ceux qui y consacrent dutemps <strong>et</strong> une sérieuse étu<strong>de</strong>.»Poursuivant ses recherches, le même savant, qui est à <strong>la</strong> fois Recteur<strong>de</strong> l'Université <strong>de</strong> Birmingham <strong>et</strong> membre <strong>de</strong> l'académie Royale, écrivaitencore :«Je m'affirme spirite parce que j'ai eu à accepter les phénomènescomme <strong>de</strong>s réalités.»Opinion du professeur LOMBROSO, <strong>de</strong> l'Université <strong>de</strong> Turin,l'illustre criminaliste italien qui combattit longtemps les théories spirites,mais qui consentit à les étudier :


318 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEE«Je suis forcé <strong>de</strong> formuler ma conviction que les phénomènes spiritessont d'une importance énorme <strong>et</strong> qu'il est du <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> <strong>la</strong> science <strong>de</strong>diriger son attention, sans dé<strong>la</strong>i, <strong>sur</strong> ces manifestations.»Ce savant émit encore ce témoignage précis :«On traite le spiritisme <strong>de</strong> supercherie, ce qui dispense <strong>de</strong> réfléchir. Jesuis confus d'avoir combattu <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong>s phénomènes spirites.»Opinion du naturaliste Russel WALLACE, émule <strong>de</strong> Darwin <strong>et</strong>prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société ang<strong>la</strong>ise d'Anthropologie :«J'étais un matérialiste si compl<strong>et</strong> <strong>et</strong> si convaincu qu'il ne pouvait yavoir dans mon esprit aucune p<strong>la</strong>ce pour une existence spirituelle. Maisles faits sont <strong>de</strong>s choses opiniâtres <strong>et</strong> les faits me vainquirent. <strong>Le</strong>sphénomènes spirites sont aussi prouvés que les faits <strong>de</strong> toutes lesautres sciences.»Opinion <strong>de</strong> Camille FLAMMARION, le célèbre astronomefrançais : «Je n'hésite pas à dire que celui qui déc<strong>la</strong>re les phénomènesspirites contraires à <strong>la</strong> science ne sait pas <strong>de</strong> quoi il parle. En eff<strong>et</strong>, dans<strong>la</strong> nature il n'y a rien d'occulte, <strong>de</strong> <strong>sur</strong>naturel, il y a <strong>de</strong> l'inconnu ; maisl'inconnu d'hier <strong>de</strong>vient <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong> <strong>de</strong>main.»Dans le troisième volume <strong>de</strong> son gros ouvrage <strong>la</strong> Mort <strong>et</strong> son mystère,il conclut en ces termes : «L'âme <strong>sur</strong>vit à l'organisme physique <strong>et</strong> peut semanifester après <strong>la</strong> mort» (page 387).


319TABLE DES MATIERESINTRODUCTION .................................................................................... 3PREMIERE PARTIE - LE PROBLEME DE L'ETRE........................... 15I. - L'EVOLUTION DE LA PENSEE.....................................................................15II. - LE CRITERIUM DE LA DOCTRINE DES ESPRITS. ..................................22III. - NATURE DE L'ETRE. ...................................................................................43IV. - LA PERSONNALITE INTEGRALE. ............................................................49V. - L'AME ET LES DIFFERENTS ETATS DU SOMMEIL. ..............................58VI. - DEGAGEMENT ET EXTERIORISATION ; PROJECTIONSTELEPATHIQUES. ................................................................................................70VII. - MANIFESTATIONS APRES LE DECES....................................................77VIII. - ETATS VIBRATOIRES DE L'AME. LA MEMOIRE. ..............................85IX. - EVOLUTION ET FINALITE DE L'AME. ....................................................90X. - LA MORT. .......................................................................................................99XI. - LA VIE DANS L'AU-DELA........................................................................113XII. - LES MISSIONS, LA VIE SUPERIEURE. .................................................121DEUXIEME PARTIE - LE PROBLEME DE LA DESTINEE. .......... 127XIII. - LES VIES SUCCESSIVES. - LA REINCARNATION ET SESLOIS. .....................................................................................................................127XIV. - LES VIES SUCCESSIVES. - PREUVES EXPERIMENTALES. -RENOVATION DE LA MEMOIRE. ...................................................................143XV. - LES VIES SUCCESSIVES. - LES ENFANTS PRODIGES ETL'HEREDITE.........................................................................................................183XVI. - LES VIES SUCCESSIVES. - OBJECTIONS ET CRITIQUES. ..............196XVII. - LES VIES SUCCESSIVES. - PREUVES HISTORIQUES.....................207XVIII. - JUSTICE ET RESPONSABILITE. LE PROBLEME DU MAL. ..........222XIX. - LA LOI DES DESTINEES........................................................................232TROISIEME PARTIE - LES PUISSANCES DE L'AME. .................. 243XX. - LA VOLONTE............................................................................................243XXI. - LA CONSCIENCE, LE SENS INTIME....................................................251


320 LE PROBLEME DE L'ETRE ET DE LA DESTINEEXXII. - LE LIBRE ARBITRE...............................................................................266XXIII. - LA PENSEE. ...........................................................................................272XXIV. - LA DISCIPLINE DE LA PENSEE ET LA REFORME DUCARACTERE........................................................................................................277XXV. - L'AMOUR. ...............................................................................................284XXVI. - LA DOULEUR........................................................................................291XXVII. - REVELATION PAR LA DOULEUR. ..................................................305PROFESSION DE FOI DU XX° SIECLE. .......................................... 317TEMOIGNAGES SCIENTIFIQUES ................................................... 319TABLE DES MATIERES .................................................................... 321

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