INTERVIEWEntretien avec Philippe LAURENT, maire <strong>de</strong> Sceaux,auteur du Rapport sur les cadres A dans la FPT,adopté par le conseil supérieur <strong>de</strong> la FPT le 4 février 2009.«Renforcer la spécificité du statut<strong>de</strong>s cadres dirigeants territoriaux.»<strong>DG</strong> IDF : Quelle est la genèse <strong>de</strong> ce rapport ?Quelles motivations vous ont conduit à le proposerau CSFPT ?Philipe Laurent : Ce rapport est surtout le fruit <strong>de</strong> plusieursvolontés. D’abord, le Conseil supérieur a affirmé <strong>de</strong>puis2002 sa capacité d’auto-saisine, en produisant plus <strong>de</strong> 20rapports sur différents sujets. Nous souhaitions aussi montrerque le CSFPT était l’organe <strong>de</strong> toute la fonction publiqueterritoriale, <strong>de</strong>puis la catégorie C jusqu’aux A+. Parailleurs, nous connaissions les difficultés rencontrées parl’encadrement supérieur, et notamment le danger que <strong>de</strong>scarrières insuffisamment attractives ne viennent dissua<strong>de</strong>rles cadres <strong>de</strong> rester au sein <strong>de</strong> la FPT, les privant ainsi <strong>de</strong> capacitésindispensable <strong>de</strong> maîtrise d’ouvrage. L’importanceet l’activité <strong>de</strong>s associations professionnelles <strong>de</strong> cadres territoriauxméritait également d’être prises en compte et relayéesdans un document tel que celui-ci.<strong>DG</strong> IDF : Vous dressez le constat d’un sentiment<strong>de</strong> malaise chez les cadres territoriaux ?Quelles en sont les causes majeures ?P.L : Sans doute, les mêmes causes que le malaise que ressententaujourd’hui nombre d’élus locaux. Ce qui manque :une vraie reconnaissance <strong>de</strong> leur rôle dans la société actuelle,<strong>de</strong>s compétences avec lesquelles ils l’exercent, <strong>de</strong> leur capacitéà incarner aux côtés <strong>de</strong> l’Etat l’intérêt général. Plusspécifiquement, la perspective raisonnable <strong>de</strong> mener une carrièrecomplète au sein <strong>de</strong> la fonction publique territoriale,avec un aboutissement digne <strong>de</strong>s responsabilités exercées.De ce point <strong>de</strong> vue, d’ailleurs, l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> certains élus, quiprivilégient systématiquement le recrutement <strong>de</strong> fonctionnairesd’Etat aux postes <strong>de</strong> direction, est en lui-même unecause assez profon<strong>de</strong> et traumatisante <strong>de</strong> malaise au sein <strong>de</strong>la FPT... Mais on ne peut ignorer, pourtant, que le cadre dirigeant<strong>de</strong> collectivité locale est «différent» <strong>de</strong> ses homologues<strong>de</strong> l’Etat, dans sa relation au service public, dans sesmo<strong>de</strong>s opératoires, dans sa relation aux élus… Cela doitcontribuer à renforcer la spécificité du statut <strong>de</strong>s cadres dirigeantsterritoriaux.<strong>DG</strong> IDF : Quelles solutions suggérez-vouspour y remédier ?P.L : Les solutions sont multiples. Elles relèvent d’abord duchamp statutaire, par exemple pour les ingénieurs à qui ilfaut pouvoir proposer un débouché au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> carrièreactuelle, ou encore pour débloquer la situation <strong>de</strong>s directeursterritoriaux. Elles concernent l’amélioration <strong>de</strong> la fin<strong>de</strong> détachement dans un emploi fonctionnel. Elles se situentaussi dans une adaptation <strong>de</strong> la formation continue. Des propositionssont également formulées concernant une définitionplus précise du rôle <strong>de</strong> direction générale par rapport àl’exécutif élu <strong>de</strong> la collectivité. Plus généralement, un travaild’échange, <strong>de</strong> connaissance et d’information encoreplus large semble indispensable pour mieux cerner cette catégorieA+. A cet égard, l’existence d’un lieu « national » seraitapproprié.<strong>DG</strong> IDF : Le maire que vous êtes et vos collègues élusont-ils un rôle à jouer, voire <strong>de</strong>s comportements àchanger ?P.L : Sans aucun doute. Il est étonnant <strong>de</strong> constater combiencertains élus exécutifs <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s collectivités considèrentque seul un haut fonctionnaire d’Etat peut être leur principalcollaborateur. C’est d’ailleurs une attitu<strong>de</strong> qui crée un véritablemalaise et <strong>de</strong>s interrogations profon<strong>de</strong>s chez <strong>de</strong> nombreuxjeunes administrateurs et ingénieurs territoriaux. Cesinterrogations portent également sur la conception que lesmêmes élus ont du rôle d’une collectivité territoriale en<strong>France</strong> : simple prolongement <strong>de</strong> l’Etat, ou organe politiqueautonome. En outre, le refus sénatorial, lors <strong>de</strong> la discussion<strong>de</strong> ce qui est <strong>de</strong>venu la loi <strong>de</strong> février 2007, <strong>de</strong> créer un centrenational <strong>de</strong> gestion, seul cadre dans lequel pourrait vérita-24 ILE-DE-FRANCE LA REVUE DES <strong>DG</strong>S DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES D’ÎLE-DE-FRANCE N°16/AVRIL 2009
INTERVIEWblement s’organiser ces catégories peu nombreuses, a étémal perçu car interprété comme un désintérêt <strong>de</strong>s élus pourles cadres dirigeants. J’ajoute que pèse aussi la relative incapacité<strong>de</strong>s élus à s’organiser pour qu’existe un collège employeurstructuré, à même <strong>de</strong> faire entendre ses spécificitéset <strong>de</strong> négocier <strong>de</strong> vrais accords avec les professionnels.Pour autant, notez que le rapport a été rédigé à l’initiative <strong>de</strong>membres du collège employeur du CSFPT. Les cadres territoriauxsouhaitent <strong>de</strong>s élus pleinement engagés dans leurmandat sur leur territoire, qui fassent confiance à leur savoirfaire,à leur expertise et à leur loyauté.<strong>DG</strong> IDF : Quel message avez-vous envie d’adresseraux <strong>DG</strong>S qui ont le « blues » dans l’exercice <strong>de</strong> leurfonction sensible aux côtés <strong>de</strong>s maires et <strong>de</strong>s élus?P.L : D’abord d’en parler franchement avec leur « patron »,parce que la solution se trouve le plus souvent dans une redéfinition<strong>de</strong>s objectifs et <strong>de</strong>s rôles respectifs <strong>de</strong> l’un et <strong>de</strong>l’autre, dans la vie quotidienne et dans le positionnementvis-à-vis <strong>de</strong>s services notamment. Ensuite d’échanger avecleurs collègues, qui ont souvent connu les mêmes interrogations.Enfin <strong>de</strong> ne pas perdre la foi dans la gestion publiqueterritoriale!<strong>DG</strong> IDF : Êtes vous pour une charte <strong>de</strong> fonctionnemententre le Maire et le <strong>DG</strong>S?P.L : Nous sommes là, qu’on le veuille ou pas, dans une relationintuitu personae, toujours différente, toujours renouvelée.Le patron <strong>de</strong> l’exécutif et le patron <strong>de</strong> l’administrationont en effet tout intérêt à borner le champ <strong>de</strong> leurs responsabilitésrespectives. C’est pour cela que nous proposons unedémarche davantage qu’un contenu : ainsi, dans les six moisqui suivent l’élection, le patron <strong>de</strong> l’exécutif et le directeurgénéral procè<strong>de</strong>nt explicitement à la définition <strong>de</strong> leursrôles et responsabilités, ceci dans les limites légales bien sûr.Cela pourrait se traduire dans une «charte <strong>de</strong> fonctionnement»,librement acceptée, mais totalement transparente etconnue.Tous les maires et prési<strong>de</strong>nts n’ont pas le même typed’investissement dans leur rôle. Tous les directeurs générauxn’ont pas les mêmes principes <strong>de</strong> management. La seule certitu<strong>de</strong>,c’est qu’ils forment un couple, un tan<strong>de</strong>m. Cela supposeun ajustement en vue d’optimiser leur complémentarité,<strong>de</strong> respecter leurs champs propres <strong>de</strong> compétences.Cette charte pourrait aussi intégrer la relation avec le directeur<strong>de</strong> cabinet, si cette fonction existe dans la collectivité.Imaginant bien la diversité <strong>de</strong> situations éminemment personnelles,je me situe plus dans une relation contractuelleque légale. Le seul fait <strong>de</strong> tenter l’exercice fait comprendreà chacun comment l’autre appréhen<strong>de</strong> sa fonction, évite <strong>de</strong>sinterférences ou plus grave, <strong>de</strong> laisser <strong>de</strong>s domaines en jachère.« Assurer la biodiversité <strong>de</strong>s profils »<strong>DG</strong> IDF : Vous évoquez <strong>de</strong> possibles difficultés <strong>de</strong>recrutement liées aux départs en retraite.Ces difficultés se font-elles déjà sentir ? Sont-elles lefait d’un manque d’attractivité <strong>de</strong> la profession et / oud’une méconnaissance <strong>de</strong>s postes proposés ?Proposez-vous <strong>de</strong>s solutions pour anticiper cettepossible pénurie <strong>de</strong> cadres ?P.L : Effectivement, la pyrami<strong>de</strong> <strong>de</strong>s âges est défavorable etfait apparaître un nombre important <strong>de</strong> départs en retraitedans les quelques années qui viennent. Il est impératif <strong>de</strong>rendre la carrière <strong>de</strong> cadre territorial particulièrement attractive,notamment dans les domaines du management(pour déboucher sur la direction générale) et <strong>de</strong> l’expertisetechnique. Je souhaite insister sur ce <strong>de</strong>rnier point. Comptetenu du développement <strong>de</strong>s montages en partenariat public-privédans <strong>de</strong> nombreux domaines, il est à craindre unevraie perte <strong>de</strong> substance <strong>de</strong> la maîtrise d’ouvrage publiqueet un détournement <strong>de</strong>s ingénieurs vers l’entreprise. Or,c’est précisément dans le cadre <strong>de</strong> ces partenariats que tantla collectivité publique que l’entreprise « partenaire » a besoin,au sein même <strong>de</strong> la collectivité délégante, d’une vraieexpertise technique aux fins d’un contrôle pleinement assuméet efficace. Sinon, c’est toute la philosophie <strong>de</strong> ce type<strong>de</strong> montage qui se trouvera dévalorisée et attaquée. A l’heureactuelle, la construction statutaire est insuffisante. Il faut àla fois assurer l’attractivité et développer <strong>de</strong> nouvelles voiesd’accès.L’information sur les carrières territoriales doit égalementêtre davantage développée. Ainsi, les «salons <strong>de</strong> l’emploipublic territorial», qui se développent, sont une excellentechose. Chaque occasion <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> la gestion publique territorialedoit être saisie, tant par les cadres que par les élusqui y croient – et ils sont par bonheur très nombreux! -, pourtenter <strong>de</strong> faire pièce au sentiment trop largement et complaisammentvéhiculé <strong>de</strong> la gabegie qui régnerait dans lescollectivités territoriales.Reste enfin la formation, pour laquelle nous proposons unrenforcement considérable <strong>de</strong> l’INET, ainsi que son ouverturela plus large possible.<strong>DG</strong> IDF : Ce rapport a été adopté le 4 février.Des effets se font-ils déjà sentir ? Des mesuresont-elles <strong>de</strong> bonnes chances d’être prisesprochainement ?P.L : Le rapport adopté à l’unanimité le 4 février ouvre lavoie à <strong>de</strong> multiples discussions. Après avoir dressé unconstat plutôt préoccupant à bien <strong>de</strong>s égards, il marque plutôtle début d’un processus <strong>de</strong> discussions, processus auqueld’ailleurs, la <strong>DG</strong>CL semble ouverte. C’est pourquoi je proposerai,dès la mise en place du nouveau CSFPT, la créationd’un groupe <strong>de</strong> travail permanent, qui pourra soutenir nospropositions auprès du ministre <strong>de</strong> la fonction publique etdu ministre <strong>de</strong>s collectivités locales. Cette disposition est une<strong>de</strong>s voies pour diversifier les voies d’accès, assurer ce quenous appelons la « biodiversité » <strong>de</strong>s profils et contribuer àdébloquer l’ascenseur <strong>de</strong> la promotion sociale. Je suis pourma part convaincu – et je ne suis pas le seul – que l’aveniret l’approfondissement <strong>de</strong> la décentralisation se jouent aussidans la question <strong>de</strong> la qualité et <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong>l’encadrement supérieur <strong>de</strong>s administrations territoriales.Propos recueillis par Véronique Dupont ■ILE-DE-FRANCELA REVUE DES <strong>DG</strong>S DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES D’ÎLE-DE-FRANCE N°16/AVRIL 200925