ENTREVUElittérature québécoiseJ O C E LY N E S A U C I E RPromenons-nousdans les boisTrente ans que Jocelyne Saucier fait du roman. Loin desmédias et du glamour littéraire, dans ses terres d’écritureen Abitibi, discrète, elle fait son chemin, un livre à la fois.Et voilà qu’Il pleuvait des oiseaux, son quatrième roman,vient de récolter le Prix des cinq continents de laFrancophonie 2011.Par Catherine Lalonde16 • LE LIBRAIRE • HORS SÉRIE • DÉCEMBRE 2011Jocelyne Saucier devient la première Québécoise àremporter ce prestigieux Prix des cinq continents. <strong>Le</strong> jury,qui incluait Lyonel Trouillot, Jean-Marie <strong>Le</strong> Clézio et notreLise Bissonnette, a préféré son livre à ceux de Fatou Diomeet du « goncourisé » Atiq Rahimi. Jocelyne Saucier l’a déjàdit, sans prétention ni fausse modestie : elle sait quand elletient un bon roman. N’empêche, elle était inquiète quandelle a présenté Il pleuvait des oiseaux à son éditeur, confiet-elleau bout du fil, de sa voix à la fois rieuse et anxieuse :« Une fiction qui met en scène des vieillards en pleine forêt,c’est pas dans l’air du temps! » Ce roman, qui tientdavantage du conte, met en scène des ermites, Tom etCharlie, qui, à eux deux, ont presque deux siècles d’âge.Reclus dans leurs cabanes entre les arbres au bord du lac,ils espèrent mourir de leur mort. Boychuck, vieux compèreblessé à l’âme, vient de passer l’arme à gauche, lorsqu’unephotographe à la recherche de ce survivant des GrandsFeux de Matheson viendra ébranler la quiétude de lacommunauté du lac. Celle-ci sera bousculée, mais finira parrevivre, malgré la mort qui rôde toujours, malgré lamémoire de Boychuck, malgré les malheurs précédents.
Il pleuvait des oiseaux parle ainsi autant de solidarité que de solitude; del’inévitabilité et de la beauté pas toujours romantique de la vieillesse; dela capacité à reconstruire son bonheur.PENSER L’AUTRE AUTREMENT© CyclopesJocelyne Saucier adore les anecdotes de la petite histoire. Comme cesspectaculaires Grands Feux qui, dans les années 1920, ont rasé desvillages, des vies et des acres dans le Nord de l’Ontario : « Pourtant je nesuis pas passéiste, précise l’auteure. Je pense qu’en fin de compte, j’aimeles longues histoires de vie, prises du début à la fin. Ça m’a tellementbouleversée, ces Grands Feux. L’image la plus forte qui me reste, c’estqu’après ces incendies qui dévastaient tout sur des centaines dekilomètres, le lendemain, ce qu’on entendait, c’était le bruit desmarteaux. <strong>Le</strong>s gens reconstruisaient tout de suite. Ils s’installaient làparce qu’ils avaient l’espoir du pays, parce que la terre était riche en sonsous-sol et ils le savaient. Ils restaient. » Saucier a déjà tissé le passé etle présent dans <strong>Le</strong>s héritiers de la mine (XYZ éditeur) et dans Jeanne surles routes (XYZ éditeur), dans lesquels elle revenait sur le passécommuniste de Rouyn-Noranda, maintenant occulté. Celle qui a étéjournaliste dans sa région pendant plus de dix ans ne se lasse pasd’effectuer des recherches pour ses romans. Elle y traque le détail : « Cesont des toiles de fond. Mais il faut en user avec modération, pour queça nourrisse l’imaginaire sans le paralyser. »« Il faut lire, écrire et vivre », dit tout simplement Jocelyne Saucier. Ellemêmea un jour tout largué pour vraiment s’y mettre : « J’ai écrit, commeplein de monde, à travers le travail, les enfants, l’argent, la mort, la vie...Je faisais des contrats pour obtenir du chômage et alors j’écrivais quandles enfants étaient à l’école, de 9h à 16h, de septembre à juin. J’ai encorece rythme scolaire. Une amie me dit que j’écris comme si j’étais àl’usine... » Si cet honneur des « cinq continents » vient bouleverser cerythme immuable, Jocelyne Saucier le savoure. « Tout le temps que jefaisais ce livre, quelque chose avait mal en moi d’avoir pris cette décision,il y a trente ans, d’écrire du roman. J’en étais à me demander si c’étaitsimplement un entêtement aveugle de ma part. <strong>Le</strong> prix vient comme unbaume. » L’écrivaine prépare actuellement son voyage, puisque le prixlui vaut de participer à une rencontre d’auteurs au Sénégal. Elle litMont Plaisant (Philippe Rey éditeur), du Camerounais Patrice Nganang,qui a remporté une mention spéciale. « C’est très fleuri, très différent. Cequi me fait plaisir, c’est qu’Il pleuvait des oiseaux est une histoireéminemment nordique, qui va être lue grâce à ce prix sous les palmiers,dans une cour au Sénégal, en Tunisie... Ça me fait plaisir que ce roman,qui porte la culture, l’esprit, la vitalité, l’énergie du Nord, soit lu à traversle prisme d’autres cultures, d’autres imaginaires. »IL PLEUVAITDES OISEAUXXYZ éditeur184 p. | 22$www.memoiredencrier.comw.SorooGary VictorUn polarvaudou bouleversantControverse cubaineentree letabacet le sucreFernando Ortiz<strong>Le</strong> grand livrede Cuba<strong>Le</strong>s latrinesMakenzy OrcelUne plongée dansles bas-fondssde Port-au-Prince<strong>Le</strong>s Printemps arabesabMichel Peterson (dir.)Un printemps nouveaupour tous les peuples112601260 Bélanger, bureau 201, Montréal, Québec H2S 1H9info@memoiredencrier.commoiredencrier.comTél. : 514 989-1491, Télec. : 514 938-9217LE LIBRAIRE • HORS SÉRIE • DÉCEMBRE 2011 • 17