12.07.2015 Views

Shedra - UV1 cours 1

Shedra - UV1 cours 1

Shedra - UV1 cours 1

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

INTRODUCTION GÉNÉRALE À LATRADITION DU BOUDDHALa transmission du Dharma,sa nature et son origineU.V. 1Cours 1La tradition du Bouddha,le DharmaUne tradition vivante, universelleauthentique et complètecorps du texteet annexes


SommairePREMIÈRE PARTIE : LE DHARMA ET SONUNIVERSALITÉ............................................................................5Chapitre 1 : les grandes étapes de la connaissancedu Dharma en Occident..........................................................51 - Les origines lointaines..................................................................52 - La tradition diabolisée par l’apologétique chrétienne...........93 - Comment le « bouddhisme » apparaît en Occident ?...........12Chapitre II. Le Dharma est la parole, l’enseignementdu Bouddha..............................................................................171 - Le Dharma : l’enseignement de réalité....................................172 - Le Dharma : expérience et méthode de libération desillusions et passions..........................................................................223 - L’illusion du moi : le Bouddha enseignele non ego............................................................................................25Chapitre III. Le cœur universel et éternel de laspiritualité et de l’éthique.....................................................291 - L’expérience de la nature de l’esprit est universelle.............292 - Qu’entend-on par spiritualité et par éthique ?......................313 - Prajñâ et karunâ : les deux principes fondamentaux duDharma................................................................................................33Chapitre IV. Définition et champ sémantique du mot« Dharma »..............................................................................351 - Les trois principaux sens du mot Dharma..............................352 - De l’expérience habituelle à l’expérience éveillée................373 - Le Dharma : science multidisciplinaire et transdisciplinaire............................................................................................................... 394 - Champ sémantique du mot « Dharma ».................................39


Cours 1 – La tradition du Bouddha1.B Rencontre à la faveur des conquêtes d’AlexandreColonies grecques en Inde à l’époque du BouddhaIl est reconnu que des colonies grecques ont existé en Inde àl’époque du Bouddha.Dans un passage du Majjhima Nikaya 1 le Bouddha tente deconvaincre le jeune brahman Assalayana, que les castes dela société indienne n’appartiennent pas à un ordre divinimmuable mais sont variables comme le montre le modèlede la société grecque en laquelle l’appartenance à la classedes maîtres ou des esclaves n’était pas garantie.■ Dionysos en IndeQui étaient ces émigrés grecs ? Xénophon (86-160) racontecomment Dyonisos, aurait conquis l’Inde […] et introduitles indiens aux délices du vin. Bien que Dyonisos soitmythique, la présence de ses dévots grecs en Inde ne l’estpas. C’est leur descendant qu’Alexandre rencontra en lacité de Nysa dans l’Hindu Kush lors de sa campagneindienne (326AEC) 2 .Le rêve d’AlexandreAlexandre le Grand (356–323AEC) rêvait de conquérir le monde etla terre entière dont il croyait, selon les leçons erronées de son tuteurAristote que l’Inde était la limite orientale. Non seulement guerrierconquérant, il avait aussi pour ambition de réaliser l’union dumeilleur des civilisations et son expédition vers l’Est lancée en334 AEC donna une nouvelle dimension historique à la rencontre del’Orient et de l’Occident.Les campagnes d’Alexandre […] ont joué dans l’histoire denotre planète, un rôle bien plus que millénaire. Elles furentla rencontre de deux cultures […] De s’être rencontrées sousl’égide du jeune guerrier macédonien, l’Europe et l’Asie nepourraient plus se considérer comme étrangères l’une àl’autre. 3Alexandre s’était entouré de savants et philosophes quivoyageaient à sa suite. Ils rencontrèrent à Taxila, sur les rives del’Indus, ceux qu’ils appelèrent des « gymnosophistes » ; des ascètespratiquants du yoga, qui pouvaient être des moines ou renonçantstels les disciples du Bouddha. Impressionné par leur prestance,Alexandre aurait souhaité inviter l’un d’entre eux, Dandamos, à■ Alexandrerencontre ungymnosophiste1 Majjhima Nikaya : collection des sûtras de longueur moyenne du canon pâli.2 S. BATCHELOR,The Awakening of the West, p. 3.3 P.B. DE GIVE, Rapport de l’Inde et de l’Occident, p. 17.6


Cours 1 – La tradition du Bouddha(46-125 EC). La figure de Ménandre est une synthèsed’Alexandre et d’Ashoka, une personne qui était à la foisun héros grec et un souverain bouddhiste.Ménandre régnait à partir de la cité de Sagala situéequelque part sur les contreforts de l’Himalaya entreOddhiyana (vallée de Swat au Pakistan) et Sialkot(Punjab). Dans les écrits bouddhistes, Sagala est décritecomme une cité attirante et harmonieuse servant de centreà une société dont les structures sociales et politiquesétaient grecques et dont les valeurs culturelles et spirituellesétaient largement bouddhistes. 1Cependant Ménandre ne connaissait pas la Grèce, n’avait pas derelation avec Athènes et son règne ne permit pas de faire connaîtrele Dharma en Europe. En revanche, pour les indiens il est resté lafigure singulière d’un roi grec ayant adopté la tradition du Bouddha.Un grand texte philosophique, Les entretiens de Milinda(Milindapanha), conservé dans le canon pâli, relate ses entretiensavec le moine bouddhiste Nagasena et témoigne de son œuvre et desa connaissance avisée du Dharma.1.C Connexions gnostiquesGnosis : l’expérience directe du sens intérieurC’est par les plus anciens pères de l’église que l’Europe connaît lespremières mentions de la tradition du Bouddha. L’un d’entre eux,Clément d’Alexandrie, né à Athènes vers 150EC et mort en AsieMineure vers 220 évoque les origines de la philosophie et cite lesgymnosophistes indiens :Parmi eux il y deux classes : les Sarmana (renonçants) et lesBrahmanes… certains aussi suivent les préceptes de Boutta,que par son extraordinaire sainteté, ils ont élevé à deshonneurs divins. 2La tendance gnostique qui se répand dans l’élite des milieuxspirituels de l’époque met l’accent sur la gnose (du grec γνώσις,Gnôsis : connaissance), l’expérience directe du sens intérieur destraditions religieuses. Il est largement reconnu aujourd’hui que cettetendance avait intégré nombre des idées venant des traditionsd’Orient. L’une de ses branches, initiées par Basilide, à Alexandrie auII e siècle EC, bien que condamnée par ses pères, établit une théologiequalifiée par certains théologiens de « bouddhiste pure et simple ».Du gnosticisme émergea également le système du prophète Mani,fondateur du manichéisme à Babylone (actuel Irak). Mani, se voulait1 S. BATCHELOR,The Awakening of the West, p. 12.2 Idem, p. 28.8


Les origines lointainesexplicitement la manifestation finale de Jésus et du Bouddha delumière. Le manichéisme connut une large diffusion jusqu’en Chineet influença le christianisme par le biais de saint Augustin, qui futmanichéen pendant neuf ans avant de se convertir.2 La tradition diabolisée par l’apologétiquechrétienne2.A Au moyen-âge : les premières missions et lesMerveilles du Monde de Marco PoloCe qui n’est pas chrétien ne peut être qu’idolâtreEnsuite, au <strong>cours</strong> de l’ère chrétienne, les missionnaires chrétiensfurent les premiers à entrer en contact avec la tradition du Bouddha. 1Cependant ils rapportèrent de la tradition une version déformée parleur croyance en l’exclusivité de la révélation chrétienne qu’ilsavaient justement pour mission d’imposer aux peuples d’Asie. Ils ladiabolisèrent comme toutes autres traditions susceptibles d’entraverl’évangélisation. 2 En bref, pour les croyants, les enseignements duBouddha n’appartenant pas à la révélation biblique, ils ne pouvaientrelever que d’un obscurantisme primitif et idolâtre dont laphilosophie n’était qu’une sophistique diabolique et la spiritualitésans Dieu une apologie du néant !Le pape, le grand Khan et DieuAu Moyen-âge l’Église se perçoit à travers le pape comme unepuissance spirituelle et temporelle universelle.Grégoire IX déclara que le pape était le seigneur del’univers gouvernant non seulement les hommes mais aussiles choses inanimées […]. Le roi de France Louis IX le Pieux,devenu Saint Louis déclarait : « La meilleure façon pour unchrétien de défendre sa foi contre les incroyants estd’enfoncer son épée dans leurs entrailles au plus profond ». 3De l’autre coté, c’est aussi le temps où l’empire mongol (lestartares) s’étend de la mer de Chine jusqu’à la Turquie. C’est le plus1 Sur le bouddhisme en Occident : voir l’ouvrage érudit du savant jésuite etcardinal Henri de Lubac (1896–1991) La rencontre du bouddhisme et de l’Occidentqui retrace l’histoire de cette rencontre depuis l’Antiquité, avec une réserve sur laconclusion du savant qui juge que délaisser les trésors du christianisme pours’intéresser au bouddhisme est « une entreprise insensée », « la plus folle desfolies ».2 STEPHEN BATCHELOR,The Awakening of the West, p. 83.3 Idem p. 83.9


Cours 1 – La tradition du Bouddhavaste empire jamais établi. Mais le point de vue spirituel desguerriers mongols est différent :Nous mongols, croyons, que tout comme Dieu a donnéplusieurs doigts à la main il a donné différentes voies auxhommes. 1William de Rubruck (1220-1293)Le premier missionnaire connu qui rencontra la tradition duBouddha fut le franciscain William de Rubruck lors de son séjour à lacapitale mongole de Karakorum en 1254. William de Rubruckséjourna huit mois à la cour de l’empereur Möngke Khan aux cotésde représentants de différentes traditions spirituelles : nestoriens,musulmans, taoïstes et surtout de moines tibétains. Les souverainsmongols furent les protecteurs de l’école tibétaine Sakya. En 1253Kubilaï Khan, devenu empereur de Chine, accueillait le moinesakyapa Tckogyal Phagpa pour être son tuteur spirituel.William de Rubruck rapporta quelques description des moinesbouddhistes qu’il perçut comme des « prêtres idolâtres » et dont il nechercha aucunement à comprendre la tradition.CorrélatU.V. II <strong>cours</strong> 3,ch. 8 :Lesgouvernementsultérieurs duTibet et <strong>cours</strong> 5,ch.4 : L’écolesakyapa■ Des prêtresidolâtresMarco Polo (1254-1324)Le livre des merveilles du monde, fait à partir des récits dumarchand vénitien Marco Polo, est un des premiers documentsapportant à l'Occident quelques informations sur l’Asie. Marco Poloaurait été de 1274 à 1291 fonctionnaire à la cour de Kubilaï Khan. Ilapporta à l’Europe de plus amples informations sur la tradition duBouddha, même si elles ne sont pas plus judicieuses que lesprécédentes. Il fut le premier à faire le lien entre la tradition duBouddha rencontrée à Ceylan et celle découverte en Asie centrale. Ilperçut bien l’importance de cet enseignement, mais il présenta leBouddha comme le chef de file de tous les idolâtres et ne put queregretter qu’un tel personnage ne soit pas chrétien :Certainement si le Bouddha avait été baptisé chrétien, ilaurait été un grand saint devant Dieu. 22.B Les missions jésuites et les premières colonies (XVI e s.)Le jésuite François Xavier (1506-1552) en Inde et au JaponL’année de la naissance (1506) de François Xavier, Léonardde Vinci terminait la Joconde. François Xavier fut uncompagnon d’Ignatus Loyola, fondateur de la compagnie deJésus créée en réaction à la réforme proposée par Luther.1 Idem p. 91.2 Idem p. 98.10


La tradition diabolisée par l’apologétique chrétienneAlors que les colonies commençaient à s’établir de part lemonde, le rôle des jésuites fut de convertir les idolâtres desnouvelles conquêtes. C’est ainsi que François Xavier futenvoyé par le roi du Portugal pour évangéliser les territoiresnouvellement acquis au sud de l’Inde. Il poursuivit sonvoyage jusqu’au Japon où il établit une importantemission.■ Une invention dudémonLa stratégie de conversion consistait à convertir les tenants destraditions locales au christianisme dans le but que les populationssuivent ensuite le même chemin.L’histoire rapporte les rapports d’amitié que François Xavierétablit avec des maîtres zen au Japon. Pourtant du point de vue de ladoctrine il ne peut reconnaître ses amis comme appartenant à unetradition authentique. Il écrit à propos de l’école japonaise Shingon :La secte Shingon comme toutes les autres est une loifrauduleuse et une invention du démon. 1Ce à quoi les japonais s’amusaient à répondre en prononçant lemot latin Deus, à la japonaise, Daiuso qui veut dire « grandmensonge » !Le jésuite Mateo Ricci (1552-1610) en ChineLe jésuite Mateo Ricci consacra sa vie à tenter de convertir laChine. Il devint lui-même un fin lettré parmi les élites confucéenneset fut accepté parmi les savants de la cour impériale. Il ne parvint pasvraiment à introduire le christianisme en Chine mais réussit à gagnerl’admiration pour les sciences et les techniques qu’il apportaitd’Europe : les mathématiques, la géométrie, la géographie, etc. et leshorloges.Les chinois apprirent rapidement à distinguer la valeur desconnaissances scientifique des jésuites de leur croyancereligieuse qu’ils trouvaient absurde. 2Le principal obstacle au projet de conversion des jésuites était laprésence de la tradition du Bouddha que Mateo Ricci considéraitcomme :Une Babylone de doctrines tellement intriquées quepersonne ne peut le comprendre correctement ni le décrire[…] et conclut que le bouddhisme était une idée nihiliste etdénuée de toute valeur positive. 31 Idem p. 167.2 Idem p. 176.3 Idem p. 171.11


Cours 1 – La tradition du BouddhaRicci raconte l’accueil chaleureux que lui et ses collègues reçurentde la part des moines bouddhistes à leur arrivée en Chine. Mais cetteattitude bienveillante déclina lorsque les bouddhistes réalisèrent queles jésuites n’étaient pas prêts à discuter de religion ou dephilosophie sur un pied d’égalité. Un moine bouddhiste explique celade cette façon :Ils s’attachent à l’idée que le Maître du Ciel (Dieu) est leMaître du Ciel, que le Bouddha est le Bouddha, que les êtressont les êtres… ils se réfèrent à la distinction entre moi etl’autre, ceci et cela, oui et non. C’est là leur erreurfondamentale. S’ils n’étaient pas tant attachés au conceptdu Maître du Ciel, ils ne seraient pas tant attachés à l’idéed’un Bouddha non plus ni à celle des êtres. Alors ilscommenceraient à comprendre le sens profond de notretradition et celui de l’expression « libérer tous les vivants ».[…] Comme le disent les sûtras, les hérétiques sontintelligents mais ils n’ont pas de sagesse. 1■ Pas d’échangepossible sur unpied d égalité3 Comment le « bouddhisme » apparaît enOccident ?3.A Connaître l’Orient pour le mieux le coloniser(XVIII e et XIX e siècle)des interprétations déforméesÀ partir du XVIII e siècle, la remise en question de l’autorité del’Église par les philosophes des Lumières et le développement descolonies sont les deux facteurs qui vont contribuer à la connaissancedes traditions d’Asie et de la tradition du Bouddha en particulier.Avec les premières colonies apparaissent les premiers orientalisteset à leur suite les philosophes européens s’intéressent à la traditiondu Bouddha. Cependant, les philosophes occidentaux quis’intéressent à l’Inde connaissent encore très mal ses traditions. Dece fait, ils vont interpréter de façon partielle et partiale l’hindouismeet plus encore le Dharma du Bouddha dont on ne connaît quasimentrien avant 1820. Ils vont en donner une interprétation déformée parles présupposés conscients ou inconscients d’une penséeethnocentrée qui est incapable de concevoir un monde cohérent endehors des paradigmes monothéistes et des idéologies matérialistesqui émergent au XIX e siècle.CorrélatU.V. II :La diffusion duDharma dans lemonde1 Idem p. 175.12


Comment le « bouddhisme » apparaît en Occident ?■ L’Orient vu parl’OccidentNaissance de l’orientalismeAvec l’arrivée des colons britanniques en Inde, la première sociétéd’études savantes, the Asiatick Society of Bengal qui deviendra laRoyal Asiatik Society, est créée à Calcutta en 1783 principalementpour étudier la littérature sanskrite et brahmanique.Le projet est animé par une curiosité intellectuelle qui verra naîtrede grands savants et aussi une ambition politique impérialiste. Ils’agit de favoriser la connaissance des cultures locales pour mieuxassurer le pouvoir sur les territoires, l’exploitation des ressources etle contrôle des populations conquises.L’orientalisme devient ainsi un moyen par lequel l’Occidentconstruit un Orient pour ses propres fins. La tâche de l’orientalisteétant alors de mettre au point un ensemble de concepts cohérentavec ses propres références de façon à rendre l’Orient familier et neremettant pas en cause les a priori et intérêts de l’Occident.Alexander Csoma de Kőrös (1784-1842)L’un des premiers orientalistes qui se consacra à l’étude de latradition du Bouddha fut le hongrois Alexander Csoma de Kőrös(1784-1842) qui passa neuf années dans les monastères tibétains duLadakh et du Zanskar. Il fut le pionnier des études de la languetibétaine dont il réalisa une grammaire et un dictionnaire.Bien qu’il passât de nombreuses années dans les monastèrestibétains il resta étranger au Dharma et discrédita les textes tibétainsen les qualifiants de « sauvages spéculations métaphysiques ».Eugène Burnouf (1801-1852)Un autre pionnier fameux fut le français Eugène Burnouf (1801-1852) qui succéda au premier détenteur de la chaire de sanskrit auCollège de France. Fort de sa connaissance du sanskrit, du pâli et dutibétain, Il composa L'Introduction à l’histoire du bouddhisme indien,une somme de six cents pages et le premier ouvrage scientifiqueoffert à l’Europe sur la tradition du Bouddha. Il publia également lapremière traduction du sûtra du Lotus.Le plus grand apport de Burnouf aura été celui del’élaboration du « bouddhisme » comme un objet deconnaissance scientifique. 13.B Le mot « bouddhisme », un néologisme du XIX e s.■ L'inconvénientdu suffixe -ismeUne construction eurocentrique erronée : le bouddhismeLe développement des communautés coloniales en Asie favorise ledéveloppement de la connaissance des langues orientales et des1 Idem, p. 242.13


Cours 1 – La tradition du Bouddhaétudes savantes. La tradition du Bouddha devient un objet derecherche et de curiosité dans les milieux cultivés d’Europe.Cependant la façon dont elle est comprise reflète alors plus lespréoccupations de l’époque que sa réalité.Les orientalistes puis les philosophes forgèrent ce qui allait êtreappelé le « bouddhisme », un néologisme apparu dans les années1825 1 et dont on ne peut trouver l’équivalent dans les languesasiatiques.Le terme « bouddhisme » est largement passé dans la langue pourdésigner l’enseignement du Bouddha sans que l’on se rende comptedes présupposés erronés dont il est porteur. En effet, le suffixe -ismea l'inconvénient de situer l'enseignement du Bouddha dans uneperspective idéologique qui fait généralement référence à un systèmeconceptuel auto référent et fermé sur lui-même ; un aspectdogmatique qui n'est ni dans la nature ni dans l’esprit du Dharma.L’idée que l’on se fit alors du « bouddhisme » fut reçuediversement en fonction des préoccupations et idéologies del’époque.La combinaison de l’émergence des idéologies rationalistes à lasuite de Hegel (1770-1831), et des craintes de l’Église voyant dans lafigure du Bouddha un dangereux concurrent donna lieu à uneinterprétation négative des grands principes du Dharma ; et onassimila bientôt le bouddhisme à une idéologie nihiliste vue comme« un culte du néant ». 2Les philosophes tels que Hegel et Nietzsche se sont intéressés aubouddhisme surtout parce qu’il apportait un démenti à la prétentionuniverselle du christianisme. Leur vison par trop eurocentrique neleur permit pas d’en comprendre les fondements philosophiques etspirituels.L’Occident moderne a également rejeté l’Orient à l’extérieur del’étude de la philosophie au nom d’une prétendue supériorité de laraison scientifique occidentale par rapport à ce qui fut considérécomme des cultures à la pensée dites « primitives ». Cetteperspective a été justifiée, et l’est sans doute encore inconsciemment,par « la conception hégélienne selon laquelle l’histoire est gouvernée defaçon providentielle, par la raison […]. L’histoire universelle, nous ditcette conception, est le progrès de la conscience de la liberté, et ceprogrès s’est déployé en Occident de manière exclusive ». 3Parmi les philosophes, Arthur Schopenhauer 4 (1788-1860) faitfigure d’exception car il est sans doute celui qui s’est le plus■ Le culte du néant■ L’Orient rejeté àl’extérieur de laphilosophie■ ArthurSchopenhauer1 Voir R-P. DROIT, Le culte du néant : les philosophes et le Bouddha.2 Idem.3 B. STEVEN, in Les cahiers bouddhiques, n°3, p. 13.4 Pour plus d’information sur ce thème, consulter les actes du colloque organisépar l’université Rimay : Shâkyamuni et Schopenhauer, parus aux éditionsPrajnâ, 2004.14


Comment le « bouddhisme » apparaît en Occident ?explicitement inspiré du Dharma et plus encore de l’hindouisme.Certains ont vu en son œuvre une merveilleuse « concordance avecle bouddhisme ». Pourtant sa pensée fut assimilée à une forme de« pessimisme » et son œuvre a finalement aussi contribué à unevision dépressive du bouddhisme.Pourtant, le Dharma n’est en fait ni particulièrement pessimiste nioptimiste mais bien plutôt « réaliste » et porteur d’un messageéminemment positif : celui de l’Éveil.D’une façon générale, l’Occident chrétien exclusif et conquérant atout d’abord diabolisé la tradition du Bouddha. Puis à partir du XIX esiècle l’Europe n’a pu voir dans une spiritualité sans Dieu qu’uneidéologie nihiliste.Ainsi, les jésuites, les orientalistes et les philosophes occidentauxont façonné pour longtemps une image de l’enseignement duBouddha qui était surtout conforme à leurs préconceptions.3.C Déformations ésotériques et littéraires duDharma■ Mouvement,inspiré parl’ésotérisme destraditionsorientales■ SpiritualitéfictionLe rôle de la théosophieEn marge de la philosophie et des religions institutionnelles,depuis le XIX e siècle, plusieurs courants ont également contribué àfaire connaître l'enseignement du Bouddha tout en le déformant.Citons l'ésotérisme occidental et en particulier la théosophie,mouvement initié par la russe Helena Blavatsky (1831-1891) et dirigépar le colonel américan Henry Olcott. Ce mouvement, inspiré parl’ésotérisme des traditions orientales et particulièrement par lebouddhisme, aspirait à réaliser une unité des religions et dessciences. Son influence donna lieu à divers mouvement dont celui del'anthroposophie de Rudolf Steiner et plus largement au mouvementdu New age.La version occidentalisée du bouddhisme diffusée par lathéosophie en Europe et en Amérique du Nord véhicula beaucoup depréconceptions plus révélatrices de l’atmosphère « spirite » de cetteépoque que de l'authentique enseignement du Bouddha.Cependant, dans son souci de mettre en valeur les spiritualitésorientales, la théosophie participa de façon significative à la réactioncontre la christianisation forcée des pays bouddhistes notamment auSri Lanka, en prenant la défense des communautés bouddhistes faceà l’administration coloniale.Naissance d’un imaginaire fantaisisteDans le domaine littéraire et dans un genre qui pourrait senommer spiritualité fiction, les œuvres d’Alexandra David-Neel et leslivres de Lobsang Rampa tels Le Troisième Œil suscitent l’intérêt, et15


Cours 1 – La tradition du Bouddhaen dépit de leur caractère romanesque ces écrits recourent à un fondde légendes qui fit découvrir la spiritualité tibétaine à de nombreuxchercheurs et conduisit certains à une pratique authentique.Nous pourrions aussi aller jusqu'à citer des productionshollywoodiennes récentes telles que Little Buddha. En même tempsqu'elles ont fait connaître et apprécier le Dharma, elles ont véhiculédes notions simplistes sur la réincarnation qui tiennent plus del'imaginaire populaire que de l'enseignement profond.Tout un imaginaire fantaisiste a pris ainsi racine dans ces notionsésotériques et littéraires. Aujourd'hui nombre de confusions et denotions erronées sur le karma, la renaissance et les spiritualitésorientales en général, inspirées de notions bouddhistes malcomprises, circulent dans la mouvance New Age et dans denombreux cercles de yoga.3.D Le Dharma est-il une religion ?Différence avec les religions monothéistesIl existe aussi une propension à vouloir assimiler l’enseignementdu Bouddha aux catégories et aux représentations proprementoccidentales qui se sont constituées dans l'émergence dumonothéisme. L'enseignement du Bouddha devient alors ce que l'onnomme en Occident « une religion » sans que l’on se rende compteque le mot religion recouvre en fait des notions presqueexclusivement monothéistes.Pourtant, contrairement à celles-ci, l’enseignement du Bouddhan’est pas fondé dans une perspective juridique avec un législateuromnipotent qui édicte la « Loi » à laquelle le pratiquant est supposéadhérer par un acte de foi qui conditionne son « Salut ». La place duclergé y est également très différente car si les institutions jouent unrôle spirituel, politique et social important dans les pays bouddhistes,elles ne sont pas les détentrices exclusives de la vérité absolue. Enfin,le statut de l’écrit dans la tradition du Bouddha n’a pas le même rôledogmatique et normatif que dans les religions dites du « Livre ».Pour mesurer le poids des influences culturelles, on pourraitprendre l’exemple du titre souvent attribué, en Occident, au Dalaï-Lama : « Sa Sainteté ». Ce concept qui rappelle la hiérarchie propreau monde catholique s’inscrit dans tout un univers étranger aumonde tibétain. Il nous semblerait donc préférable d’employer le mot« Kundün » (tib. kundun) pour désigner le Dalaï-Lama. « Kundün »signifie « présence » et se réfère à l’omniprésence de la nature del’esprit et de sa réalisation. Cela est significatif du pouvoir que sesont arrogé les institutions à statuer sur la sainteté ou surl’expérience spirituelle profonde. Cependant, il importe de noter quele terme « sainteté » a été employé à des fins que l’on pourrait■ Le mot religionest associé aumonothéisme16


Comment le « bouddhisme » apparaît en Occident ?qualifier de « diplomatiques ». En effet, il a permis à de grandsmaîtres de la tradition du Bouddha d’être placés sur le même piedd’égalité que d’autres grands représentants des traditionsmonothéistes.■ Un yoga spirituelS’entendre sur le mot « religion »Alors, le Dharma est-il une religion ? En fait, tout dépend de ceque l’on entend par le mot « religion ». S’il désigne l'adhésion à uncredo ou la croyance en un créateur – un Dieu envisagé commepersonne créant le monde ex nihilo – l’enseignement du Bouddhan’est certainement pas une religion. En revanche, si l’on perçoitl'étymologie du mot (religere, soit relier), la tradition du Bouddha esteffectivement un enseignement qui relie à l'ultime, à la réalisationabsolue et c'est également une voie qui unit les hommes entre eux età la nature, dans la paix et la compassion. Religion au sensd'« union » ou « lien » est d'ailleurs proche du mot yoga qui signifieunir ou union. La voie du Bouddha est de ce point de vue un yogaspirituel permettant de réaliser « l’union absolue » avec notre natureessentielle qui est parfaite et complète libération.Chapitre II.Le Dharma est la parole,l’enseignement du Bouddha1 Le Dharma : l’enseignement de réalité1.A Le Dharma : la tradition du BouddhaDharma plutôt que « bouddhisme»Dharma est un mot sanskrit dont le sens le plus général est« réalité ». Il s’agit de la réalité dans sa dimension la plus profonde etdont la totalité ineffable ne saurait se laisser enfermer dans aucuneformulation ou représentation conceptuelle quelle qu’elle soit. Ainsi,pour éviter les difficultés qui peuvent être associées au motbouddhisme, il est plus juste d’employer le mot Dharma, soit« Dharma du Bouddha » ou « tradition du Bouddha », pour désignerl’enseignement du Bouddha.La tradition est la toile de la vie, son intelligence permet dedécouvrir la réalité : le DharmaNotons que le terme « tradition » (du latin traditio, action detransmettre) est particulièrement pertinent car dans son sensprofond il est indissociable de « transmission » et traduit bien la17


Cours 1 – La tradition du Bouddhanature des enseignements du Bouddha.Le sens du terme « tradition » se comprend bien grâce à lamétaphore de la toile et du tissage dont la trame et les motifs sontune image de la réalité ou du Dharma. Dans l’analogie, le fil (qui estaussi dans l’étymologie des mots sûtra et tantra) constitue la trameen laquelle se tissent la tradition et ses motifs qui sont autantd’aspects différents de la transmission. La tradition ainsi dégagée deses connotations formalistes et traditionalistes est en quelque sorte àla fois le cadre ou le métier à tisser, l’enseignement ou le fil, lapratique ou le tissage et le pratiquant ou le tisserand.Autrement dit, la tradition est l’ensemble de la toile, la toile de lavie, dont l’intelligence permet de découvrir et de comprendre laréalité : le Dharma. En tibétain tradition se dit : chos lungs, c’est-àdire« le mode du Dharma », la tradition est donc un moded’expression et de réalisation de la réalité.En ce sens, la tradition ou ici le Dharma du Bouddha révèle lanature de la réalité, c’est la réalité révélée, une révélation ! Et c’est ense reliant, en s’affiliant, en suivant le fil de la tradition que l’ondécouvre la réalité, son sens, et finalement ce que nous sommesfondamentalement.Le Dharma du Bouddha est donc la tradition du Bouddha, laréalité qu’elle met en lumière et l’enseignement qui en procède c’està-direl’exposé de la nature essentielle des phénomènes et desvivants.■ Tradition estindissociable detransmission1.B Le Dharma comme science de l’intérioritéScience intérieure entendue comme science de l’espritL’expression tibétaine traditionnelle utilisée pour nommerl’enseignement du Bouddha est nangpa sangyépai tcheu.Les deux derniers termes pris ensemble signifient le« Dharma du Bouddha », ou encore le Dharma de l’Éveil.Dharma a ici principalement le sens d’enseignement et leseul mot Bouddha désigne à la fois l’origine desenseignements : le Bouddha historique, et la réalisationspirituelle qu’il a atteinte : l’état de Bouddha. Quant aupremier mot, nangpa, il signifie intérieur et souligne le faitque ces enseignements ne concernent pas tant le corps et lemonde extérieur que l’esprit qui en est l’habitant intérieur ;les enseignements ayant pour fonction principaled’apporter à cet esprit paix, bonheur et liberté. Le Dharmadu Bouddha est ainsi la science intérieure ou la science del’intériorité, entendue comme science de l’esprit. 1■ Le BouddhaDharma ouDharma de l’Éveil1 KALU RINPOCHÉ, La Voie du Bouddha, p. 3818


Le Dharma : l’enseignement de réalité■ Science de lacognition, de ceque je suis et visMais l’esprit, comme nous allons le voir de façon détaillée, n’estpas une chose. Ce n’est pas une chose matérielle, ce n’est pas unechose spirituelle, ni les deux ensemble, ni autre que les deux,d’ailleurs.Le Dharma peut se dire comme science de la cognition, cognitionsignifiant ce que l’on expérimente. Toute expérience participe del’esprit, est en celui-ci, et donc l’on peut dire le Dharma commescience de la cognition en comprenant cognition comme ce que noussommes et vivons : l’esprit-expérience. Et la démarche que proposele Bouddha est une démarche d’analyse, une démarcheexpérimentale et une démarche d’expérience, et c’est en ce sens quel’on en peut parler comme d’une science qui ne repose pas sur desaxiomes ou des a priori ou sur des catégories a priori mais surl’expérience, l’examen, l’analyse, l’expérimentation.1.C Une science de l’esprit-expérience-cognitionScience cognitive et expérience humaineLe Dharma rétablit le lien entre une approche scientifiquerationnelle de la réalité et notre expérience sensorielle vécue. LeDharma, comme les sciences cognitives contemporaines ont unmême objet d’étude qui est le fonctionnement de l’esprit. Lebiologiste, Francisco Varela a été un pionnier de cette rencontre enétablissant comme il le dit lui-même : « un dialogue entre la traditiondes sciences cognitives occidentales et celle de la psychologie méditativebouddhique ». 1Cette approche s’est développée et continue avec le dialogue entrele Dalaï-Lama et des scientifiques de haut niveau dans le cadre destravaux du Mind and Life Institute 2 fondé par Francisco Varela.■ Le fondement dece que noussommes et vivonsrelève de lacognitionL’esprit envisagé comme l’ensemble des processus cognitifsC’est dans cette perspective que le Dharma peut être définicomme une « science de l’esprit-expérience-cognition ». Dansl’expression « science de l’esprit », l’esprit est envisagé non pascomme une chose ou une entité monolithique mais comme unprocessus cognitif en lequel émerge l’expérience de ce que noussommes et vivons.La structure de base de cette expérience est constituée d’un sujetqui perçoit, d’un objet perçu et d’une relation entre le sujet et l’objet.Or cette expérience n’est autre que celle de notre vécu, quel qu’ilsoit.1 FRANCISCO VARELA, L’inscription corporelle de l’esprit.2 www.mindandlife.org19


Cours 1 – La tradition du BouddhaL’esprit et l’expérience sont indissociablesLe fondement de ce que nous sommes et vivons relève donc de lacognition qui conditionne l’ensemble des modalités de l’expériencevécue. En apposant les deux termes « esprit » et « expérience », nousattirons l’attention sur le fait que l’esprit est entendu ici commel’ensemble des constituants de l’expérience. L’esprit-expériencecomprend ainsi la personne et toutes les expériences qu’elle estamenée à vivre.Ainsi, il n’est pas possible d’avoir une expérience sans esprit ni unesprit sans expérience, l’esprit et l’expérience sont indissociables.La nature de l’esprit-expérience n’est pas conceptuelleCeci dit, la question suivante est : quelle est la nature de cetteexpérience ? Est-elle spirituelle ou matérielle, biologique ou mentale,objective ou subjective, etc. ?La réponse fondamentale du Dharma est que la cognition,l’expérience, l’esprit ou la réalité n’est pas définissable par desconcepts, elle n’est donc ni spirituelle, ni matérielle, ni les deux, niautre.Dans cette perspective cognitive qui est celle du Dharma, il n’y adonc pas de cause première spirituelle ou matérielle mais unprocessus cognitif en lequel l’observateur et l’observé émergent eninterdépendance. Cette vision se place au-delà des dichotomiesdualistes et pose la question de la nature de celui qui connaît et de cequi est connu, autrement dit la question de la nature de notreexpérience humaine.le mot « science » renvoie à une méthode fondée sur laraison, l’expérimentation et l’expérience directeDans ce contexte, le mot « science » renvoie à une méthode quel’on peut qualifier de rationnelle et d’expérimentale. Les différentespratiques de méditation constituent ses outils propres. La rechercheest pragmatique et repose sur une investigation réaliste qui fait appeltant à l’intelligence déductive qu’à l’intuition.La pratique du Dharma est une approche foncièrementcomparable à une démarche scientifique expérimentale. Lesenseignements sont issus de l’expérience de personnesarrivées à l’Éveil et ils suggèrent une pratique et uneexpérimentation pour y accéder. Ils rapportent l’expérienceéveillée et les découvertes de ces personnes et sont desprotocoles qui nous indiquent la procédure expérimentalepour réaliser à notre tour la même expérience.La démarche est de type expérimental. Par exemple : il y aun problème qui est celui de la souffrance et du■ Le sujet et l’objetémergent eninterdépendance■ Une démarche detype expérimental20


Le Dharma : l’enseignement de réalitéconditionnement. L'enseignement formule les hypothèsesexposées précédemment concernant l'origine de lasouffrance. On les teste ensuite en travaillant sur lespassions, sur l'ego et les conditionnements du karma. Despremiers indices encouragent à poursuivre, et pas à pas onva jusqu'à la solution du problème.C'est dans notre expérience de la méditation et à partir deses résultats que, peu à peu, nous pouvons vérifier lesenseignements, ce n'est pas du tout théorique. 11.D Un paradigme médical : les quatre nobles réalités■ Diagnostic etremèdeLe grand médecinCette approche de la réalité et de la condition humaine estpragmatique. Elle est exprimée dans le premier enseignement duBouddha que l’on nomme l’enseignement sur les « quatre noblesréalités ». La vision du Bouddha éclaire la condition humaine nonpas d’un point de vie théorique religieux, métaphysique ou autremais d’un point de vue de type médical.Il dresse un constat sur le mal-être, présente ensuite sescauses, affirme la possibilité d’une guérison réelle etcomplète, et prescrit le remède adéquat. Il suit en cela unschéma médical traditionnel, son approche étantessentiellement thérapeutique et pragmatique. 2Le Bouddha, que l’on appelle aussi le grand médecin, agit enthérapeute. Il établit le diagnostic de la maladie et de ses causesd’une part et il affirme la réalité de la santé et du remède ou méthodequi conduit à la réalisation de la santé d’autre part.L’enseignement de la première réalité commence par constater laréalité de la maladie c'est-à-dire du mal-être ou du malheur.Puis dans la deuxième réalité il établit le diagnostic de l’origine dela maladie : l’illusion et les passions.Dans la troisième réalité il enseigne la réalité de la santé et d’uneguérison possible, le nirvâna, soit la réalisation du bien-être et dubonheur authentique.Enfin la quatrième réalité est celle de la voie, la thérapie quipermet la guérison.1 DENYS RINPOCHÉ, Le Dharma et la vie, p. 107-108.2 DENYS RINPOCHÉ, La voie du bonheur, p. 66.21


Cours 1 – La tradition du Bouddha2 Le Dharma : expérience et méthode delibération des illusions et passions2.A L’origine du Dharma est l’expérience delibération : l’ÉveilLes connaissances et méthodes du Dharma procèdent del’Éveil et y conduisentL'origine de la transmission est l'Éveil, l'expérience ultime de ceque je suis et vis. C'est l'expérience fondamentale de la nature del'esprit, la réalisation de la nature de l'esprit-expérience.L’Éveil n’est pas le résultat de l’accumulation de savoirs ni deconnaissances particulières. L’Éveillé n’est pas particulièrement unsuper érudit dont la somme des connaissances et la capacité à lesorganiser avec un génie exceptionnel serait la qualité qui lui vaut cetitre.L’Éveil n’est pas un savoir mais une expérience. Une expériencequi précède tous les savoirs. Il s’agit non pas de la connaissance maisde la nature de la connaissance au sens cognitif du terme et donc dela nature de l’expérience. L’enseignement transmis par l’Éveillé, leDharma, est donc le reflet de cette expérience éveillée ineffable etfondamentale, le reflet de la réalité. Ainsi, les connaissances etméthodes du Dharma procèdent-elles de l’Éveil et ont pour but d’yconduire. C’est ce qui est exprimé dans le traité de la ContinuitéAbsolue (tib. rgyud blama ; skt. Uttaratantra shastra)Namo Buddhaya,Je rends hommage à l’éveillé de soi-même,Qui est la paix éternelle,Sans début, milieu, ni fin,Qui, éveillé, éveille le non éveillé.De quoi et à quoi s’éveille-t-on ?Nous nous éveillons du sommeil de l’ignorance. L’ignorance dequoi ? L’ignorance de la nature de notre esprit, de la nature de notreexpérience ou de la nature de la réalité. Et à quoi s’éveille-t-on ?Nous nous éveillons à la nature de l’esprit-expérience, à la nature dela réalité, à la lumière de notre intelligence ou expériencefondamentale que l’on peut aussi appeler la gnose fondamentale.Ignorance et gnoseL’ignorance, l’i-gnorance est, littéralement, l’absence de gnose, quise dit en tibétain marigpa. Ma est le privatif et rigpa l’intelligence ougnose. Marigpa signifie donc l’absence d’intelligence ou decompréhension de la nature de l’esprit, de notre expérience ou de la■ Le Dharma est lereflet de l’Éveil■ L’Éveillé éveillele non éveillé■ S’éveiller dusommeil del’ignorance■ L’ignorance estl’absence de gnose22


Le Dharma : expérience et méthode de libération des illusions et passions■ Les « troispoisons del’esprit » :attraction,répulsion etindifférence■ Rigpa et Yeshesignifient gnoseréalité.L’ignorance n’est pas celle de l’illettrisme ou le défaut d’un savoirconventionnel, mais l’absence de reconnaissance de la nature denotre esprit qui est notre nature profonde. Ce manque decompréhension profonde entraîne un état d’illusion. Nous percevonsles choses d’une façon que nous croyons être la réalité mais qui enfait ne l’est pas.Cette perception erronée est essentiellement le produit del’illusion d’un moi, autonome et indépendant séparé de ce qui estautre. Moi-autre, sujet-objet sont les deux termes de la dualité enlaquelle se développent les passions égocentriques.Trois passions, trois poisonsLe Dharma identifie trois types de passions connus comme les« trois poisons de l’esprit » (tib. dug gsum ; skt. trivisa) qui voilentl’expérience de la réalité : le désir-attachement (tib. ’dod chags ; skt.râga), l'aversion-répulsion (tib. zhe sdang ; skt. krodha), l'ignoranceaveuglement(tib. gti mug ; skt. moha) ou dit autrement avidité,répulsion et indifférence (ARI). De ses trois poisons viennent les sixémotions principales et l’on en compte jusqu’à 84 000. D’un coté, lespassions entretiennent l’illusion et les projections et de l’autre coté,l’illusion et les projections nourrissent les passions. C’est le cerclevicieux des conditionnements qui constituent la roue des existencesconditionnées, le samsâra.Une connaissance expérimentaleRigpa, l'intelligence en soi est synonyme de yéshé (tib. ye shes ;skt. jnana), la gnose, l’intelligence primordiale, l’intelligence de laréalité telle qu’elle est. C’est elle qui rompt le cercle vicieux desillusions et initie le cercle vertueux de la libération dont la nature estcompassion.C’est une connaissance expérimentale qui nous apprend àreconnaître notre nature fondamentale et libère del’asservissement aux illusions, aux passions et aux pensées.Elle permet de découvrir le vrai bonheur, durant la vie, aumoment de la mort et dans les existences ultérieures,jusqu’à l’ultime Éveil spirituel qu’est l’état de Bouddha.Elle développe sagesse et compassion universelles. 11 KALU RINPOCHÉ, La Voie du Bouddha, p. 37.23


Cours 1 – La tradition du Bouddha2.B Le Dharma : voie de libération absolueUne seule saveur : celle de la libérationLe Dharma est une voie de libération des illusions et des passions,qui sont les causes et les sources du mal-être. Au début, l’ignorance,c’est-à-dire la perte de l’intelligence en soi, le début de la séparation,la dualité ; et dans la dualité sujet-objet, moi-autre, l’illusionfondamentale, se génèrent toutes sortes de relations duelles –attraction, répulsion, indifférence – d’où procèdent toutes lespassions. Tous les enseignements et pratiques quels qu’ils soientn’ont d’autre but que de montrer la voie de la libération. Unenseignement qui n’aurait pas cette caractéristique ne serait pas unenseignement du Bouddha.Ô moines, tout comme l’océan n’a qu’une seule saveur, demême mon enseignement n’en a qu’une : celle de lalibération.La libération est « absolue » car rien ne lui manque, rien nelui est autreLe Dharma peut être défini comme une voie de libération absoluedes illusions et des passions, c'est-à-dire une vision et un ensemblede méthodes de pratiques qui constituent le cheminement. L’illusionvient de l’ignorance de notre nature profonde et dans cette ignorancenaissent les passions avec leur cortège d’insatisfactions et desouffrances.La libération est « absolue » car rien ne lui manque, rien ne lui estautre. C’est un état libre de toute dualité, autrement dit, c’est laréalisation de la perfection absolue, la « grande perfection » (tib.rdzog chen), l’épuisement de toutes les illusions et passions dusamsâra (tib. ‘khor ba) qui est le cycle des existences conditionnéesconstitué de l’ensemble des états de conscience habituels.■ L’absolu, lagrande perfection :Dzogchen2.C Un esprit, deux étatsLes deux faces d’un même fond : l’éveil et l’illusionL’éveil est l’état naturel de l’esprit, l’esprit pur. Son modede connaissance, ou mieux d’expérience, est non dualiste,on le nomme l’expérience ou l’intelligence primordiale. Sesexpériences sont authentiques, c'est-à-dire sans illusion.L’esprit pur est à la fois libre de voiles et plein denombreuses qualités.L’illusion est l’état de l’esprit habituel, impur. Son moded’expérience est dualiste, c’est la conscience habituelle. Ses■ Deux visages :Éveil et illusion24


Le Dharma : expérience et méthode de libération des illusions et passionsexpériences sont altérées par des illusions. L’esprit impurest conditionné et pourvu de nombreuses souffrances. 1■ Éveil et illusionont de nombreuxsynonymesDans la tradition, ces deux visages de l’esprit sont envisagés selonbeaucoup de points de vue différents. Cependant pour comprendre lavision d’ensemble, il est important de voir que différentesexpressions recouvrent un même sens fondamental.L’Éveil est synonyme de nirvâna, de libération, de bonheurauthentique, de réalité fondamentale, de l’expérience de réalité tellequ’elle est, d’ainsité 2 , d’absolu, de non dualité, de réalisation del’expérience primordiale, etc.L’illusion relève de l’ignorance qui est la condition du samsâra, lecycle des existences conditionnées ou des états de consciencehabituels, du mal-être, de la saisie dualiste, de la réalité voilée, de laconfusion, etc.Tous ses termes sont l’expression d ’une même réalité vue sousdes angles différents.3 L’illusion du moi : le Bouddha enseignele non ego3.A La racine de tous les problèmes se trouve dans lasaisie dualiste d’un moiConclusion d’une analyse logique et de l’expérience directeLe Dharma est entièrement consacré à la libération du mal-être età la réalisation du bonheur. La découverte du Bouddha est que lacause du mal-être est l’illusion et les passions qui en procèdent. Maisde quelle illusion s’agit-il ?Essentiellement de l’illusion du « moi ». La racine de tous lesproblèmes se trouve dans la saisie dualiste d’un ego, d’un moi oud’un soi autonome, indépendant et autosuffisant. Il ne s’agit pasd’une théorie ou d’un dogme mais du résultat d’une analyse logiqueet de l’expérience directe.Explication logiqueD’un point de vue logique on peut l’expliquer à partir de la réalitéde l’interdépendance de tous les phénomènes résumée dans laformule de Nâgârjurna :Tous les phénomènes sont interdépendants donc tous lesphénomènes sont vides de soi.1 KALU RINPOCHÉ, La Voie du Bouddha, p. 47.2 cf. glossaire.25


Cours 1 – La tradition du BouddhaOn peut aussi comprendre le non ego à partir de l’impermanencede tous les phénomènes :On peut expliquer l’absence de soi d’une façon simple etquelque peu générale, à savoir qu’il n’existe aucune entitéautonome dont l’identité soit immuable. Toutes les chosessont ainsi en constante métamorphose. Il n’est rien qui nedure toujours ou qui contienne un élément immuableappelé « soi ». 1L’expérience directe du non ego est la fin de la souffranceL’expérience éveillée est justement celle du non soi ou del’inexistence de l’ego, de l’absence de moi solide qui se trouve aussiêtre l’expérience de la dissipation de tout mal-être.Étrangement, si nous nous demandons : qu’est ce que « moi » ?Nous nous rendrons compte que nous ne sommes pas ce nouscroyons être. La réalité de ce que nous sommes et vivonsfondamentalement est filtrée et déformée par le prisme de l’ego quiest l’expression même de l’ensemble de nos conditionnements.Or le Dharma est une voie d’éveil à la réalité, au-delà de l’illusionégocentrique ou précédant l’émergence de l’ego. C’est pourquoil’expérience éveillée et la voie qui en procède sont aussi la voie dunon ego. Aussi le Bouddha est parfois appelé l’Anatmanvadin : celuiqui enseigne le non ego (tib. dags med ; skt. anâtman).3.B Le non ego évoque une expérience pas un nouveauconceptIl ne suffit pas de le comprendre intellectuellement, il est aussinécessaire d’en faire l’expérience directe personnellement sans enfaire une nouvelle conception d’absence d’ego.Le sentiment de la continuité et de la solidité du soi est uneillusion. En réalité il n’existe rien de tel qu’ego, âme ouâtman. Une succession de confusion créée l’ego […]. Lacompréhension de l’absence d’ego se fait en deux temps.Dans un premier temps, nous nous rendons compte quel’ego n’existe pas comme entité solide, qu’il estconstamment changeant et que c’étaient nos conceptionsqui le rendaient solide. Nous en concluons que l’ego n’existepas. Mais nous avons encore formulé une conception subtilede l’absence d’ego. Il reste quelqu’un pour observerl’absence d’ego, un observateur qui s’identifie à cetteabsence pour maintenir son existence. La seconde étapeconsiste à voir à travers cette conception subtile et à laissertomber l’observateur. La véritable absence d’ego est■ Anatmanvadin :celui qui enseignele non ego■ Absence d’ego etabsence deconception del’absence d’ego1 THICH NAHT HANH, Le Silence foudroyant, p. 64.26


L’illusion du moi : le Bouddha enseigne le non egol’absence de la conception de l’absence d’ego. 13.C La vue du non ego est une hypothèse à vérifierpar soi-mêmeExaminer le sens de mes paroles tel un bijoutier teste sonorCette vision, qui est la vue du non soi, est généralement comprisetout d’abord comme une hypothèse. Elle reste à vérifier par soimême,c’est le propos de l’étude et de la pratique du Dharma.O moines et hommes sages,Tout comme le bijoutier testerait son or,En le faisant chauffer, en le taillant, et en le polissant,Ainsi vous devez examiner le sens de mes paroles,Et non les accepter uniquement par respect pour moi.3.D Accueillir et dévoiler plutôt que lutter et fabriquer■ Abandonner lalutte et découvrirla simplicitéIl ne s’agit pas d’entrer en guerre contre l’egoIl faut ajouter ici qu’il ne s’agit pas de partir en guerre contrel’ego mais d’apprendre à reconnaître son caractère relatif,impermanent et interdépendant. Il faut beaucoup insister sur cepoint car la pratique du Dharma ne consiste pas en une négation del’ego qui entraînerait la dépréciation de soi et finalement ladépression du moi.La voie est une approche de lucidité et de clairevoyance qui nesuppose pas d’engager un combat contre l’ego mais plutôt d’entreren amitié avec soi-même. Il s’agit d’abandonner la lutte du moi et dumien, d’apprendre à accueillir la réalité et de découvrir l’expériencede la simplicité.En général, lorsque l’ego est exposé, la réaction immédiatedu public est de le considérer comme un vilain, un ennemi.On croit que l’on doit détruire cet ego. Ce qui est uneapproche masochiste ou suicidaire. Les gens ont tendance àpenser ainsi car, ordinairement, lorsqu’il est question despiritualité, on croit qu’il s’agit de combattre le mal ; je suisbon, la spiritualité est le bien ultime, le bien suprême, etl’autre coté est mauvais. Mais loin d’être une bataille, lavéritable spiritualité est la pratique ultime de la nonviolence. Sans considérer aucun élément de nous-mêmescomme vile ou hostile, nous tâchons de tout utiliser commepartie du processus naturel de la vie. Dès que ce développeune notion de polarité entre le bien et le mal, nous sommes1 CHÖGYAM TRUNGPA, Le Mythe de la Liberté, p. 27.27


Cours 1 – La tradition du Bouddhapris dans le matérialisme spirituel, qui œuvre de façonsimpliste en vue du bonheur, sur la voie de la réalisation del’ego. 1La réalisation de la réalité est une pratique de dévoilementIl ne s’agit donc pas de fabriquer un état sans ego mais plutôt dedécouvrir l’illusion, aussi tenace soit-elle, d’un ego existantvéritablement comme quelque chose de réel qui mériterait qu’on luisacrifie toute notre vie.La réalité du non soi est la réalité telle qu’elle est, c’est-à-dire librede la dualité du moi et de l’autre et des surimpositions conceptuellesqui maintiennent l’illusion d’un soi.La réalité n’est pas à fabriquer, à produire ou à élaborer ; la réalitéest déjà là. Quoi que l’on en dise ou que l’on en pense, le réel n’estpas le fruit de nos conceptions et de nos projections. Et la pratiquedu Dharma ne consiste pas tant à ajouter quelque chose à ce qui est,qu’à abandonner nos croyances et nos idées préconçues. Il s’agit dedécouvrir la transparence de nos pensées et de réaliser ainsi ce qu’ily a (ou ce qu’il n’y a pas) avant l’émergence de toute élaboration etinterprétation de notre part.Laisser tomber le voile de la connaissance duelleEn fait, la connaissance et les connaissances que nous possédonsmême si elles ont, au mieux, une certaine pertinence relative, sonttoujours une représentation partielle de la réalité. Elles sont toujoursun ensemble de concepts et de projections plus ou moins justesplaqués sur la réalité, celle-ci ne pouvant se réduire à unereprésentation conceptuelle quelle qu’elle soit. Les connaissancessont toujours des idées à travers lesquelles nous nous représentons lemonde et nous-mêmes en fonction de nos conditionnementsspirituels, sociolinguistiques, culturels, psychologiques, etc.Les savoirs et la connaissance sont des re-présentations de laréalité mais pas la réalité de ce que nous sommes ni du monde danslequel nous vivons fondamentalement. À la limite, ce que noussavons, croyons ou pensons est précisément ce qui « voile » le réeltel qu’il est. Or ce sont les « voiles » qui nous empêchent de « voir »la réalité. C’est pourquoi la pratique de réalisation de la réalité, leDharma, est une pratique de dévoilement.■ La réalité est déjàlà■ La réalité estvoilée par le modede connaissanceduelDécouvrir la paix du non egoL’esprit est naturellement calme et bon s’il n’est pas agité par lespassions de l’ego.Cette paix de l’esprit est un fait. Inutile de le nier, de nous1 Idem, p. 78.28


L’illusion du moi : le Bouddha enseigne le non egoprésenter comme les jouets d’énergies exclusivementagressives, ou possessives, ou dominatrices. Bien entendu,toutes ces tendances dangereuses existent en nous, mais audessousd’elles, plus profonde et plus permanente, se tient lapaix. Si nous utilisons cette paix comme un fait, nouspouvons véritablement offrir à l’humanité un mieuxpossible. Mais il faut d’abord la reconnaître, l’atteindre etla préserver. [… La] compassion peut s’exercer à deuxniveaux. Au premier niveau, le plus simple, je peux voir lesautres comme moi-même. Il ne fait aucun doute pour moique tous les êtres humains sont semblables, qu’ils partagentles mêmes émotions, les mêmes aspirations, les mêmescraintes. Le deuxième niveau introduit une notion deréciprocité. […] Cela consiste à dire, ce qui pour nous estune évidence : si je développe de la haine à l’égard desautres, à mon tour je serai haï et je souffrirai. Si aucontraire je développe de l’amour et de la compassion, unjour ou l’autre j’en tirerai bénéfice. 1Chapitre III. Le cœur universel et éternelde la spiritualité et de l’éthique1 L’expérience de la nature de l’esprit estuniverselle1.A La clef qui ouvre à la compréhension de tous lesenseignements■ La nature del’espritLe point essentielL’expérience fondamentale, la réalisation de la nature de l’espritexpérience(tib. sems kyi gnas lugs), ne dépend ni de la culture, ni del'époque.Toutes les traditions, qu'elles soient chrétienne, hindouiste,judaïque, musulmane, bouddhiste, etc. enseignent que lacompréhension de ce que nous sommes au niveau le plusprofond est le point essentiel : cette compréhension de lanature de l'esprit éclaire de l'intérieur et illumine lesenseignements de toutes les traditions. Dans chacune d'ellesquiconque parvient à la compréhension intime de l'esprit eten fait l'expérience immédiate aboutit à une vision1 La force du bouddhisme (co-écrit avec J.C. CARRIÈRE), p. 138 et 140.29


Cours 1 – La tradition du Bouddhaessentielle, sans commune mesure avec celle qu'il pouvaitavoir avant cette expérience directe. La connaissance de lanature de l'esprit est la clef qui ouvre la compréhension detous les enseignements. Elle éclaire ce que nous sommes, lanature de toutes nos expériences et révèle la forme la plusprofonde d'amour et de compassion. 1L’expérience avant la conception est universelle etatemporelleL’expérience éveillée est primordiale ou première au sens où elleprécède le processus de l'illusion. C'est l'expérience qui précède lesreprésentations conceptuelles qui la décrive. Elle n’est donc pasréductible à une approche conceptuelle, religieuse ou philosophique,quelle qu’elle soit.[L’expérience d’éveil] a pu se vivre il y des millénaires,comme elle peut se vivre aujourd’hui. Atemporelle, nedépendant d’aucun facteur extérieur, elle est l’expérienceéternelle de l’éveil […].L’expérience éternelle de l’éveil est le fond commun destraditions de vie sacrée, l’essence de la dimensionuniverselle de la spiritualité et de l’éthique. Son expressionet sa voie constituent le Dharma universel. Si nousl’exprimons dans les termes de la voie du Bouddha, ce n’estpas pour autant l’y réduire. Fondamentalement, le Dharmauniversel est à la spiritualité ce que la philosophiaperennis est à la philosophie : son cœur éternel. 2un remède universel : ni oriental, ni occidentalL’expérience éveillée et le chemin qui y conduit ont un caractèreintemporel, transculturel et universel. L’expérience humainefondamentale n’est ni orientale ni occidentale. Elle est commune àtous les êtres humains. Ainsi, de manière équivalente, l’illusion estfondamentalement la même pour des orientaux et des occidentaux :l’ignorance et les trois poisons de l’esprit sont largement partagéspar les humains de toutes les époques et de tous les lieux du globemême si cela s’exprime différemment.C’est cette différence qui explique les diverses colorations queprend l’enseignement selon les cultures. Néanmoins les fondementsdu Dharma, sa cohérence et son but sont transculturels tout commeun remède universel ; tel l’aspirine qui a la même composition, lemême mode d’action et la même vocation quel que soit le contextemais dosée et présentée différemment selon les besoins.D’autre part, le Dharma ne tend pas à l’uniformisation. Au1 KALU RINPOCHÉ, La Voie du Bouddha, p. 32.2 DENYS RINPOCHÉ, La Voie du bonheur, p. 45 et 46.■ Le Dharmauniversel■ Une voie d’éveilintemporelle,transculturelle etuniverselle30


L’expérience de la nature de l’esprit est universellecontraire, son pouvoir de transformation vivifie l’intelligence et lasensibilité. Le retour à l’expérience humaine fondamentale est unfacteur d’inspiration qui irrigue tous les domaines de l’intelligence etde la sensibilité et contribue à régénérer la philosophie, les arts et laculture en général. Ce fut le cas en Chine et au Japon où s’estdéveloppée une esthétique singulière inspirée par le Dharma.2 Qu’entend-on par spiritualité et paréthique ?2.A La spiritualité se rapporte au domaine del’esprit-expérience■ Bouddha etSocrate serencontrentConnaître son espritLe terme spiritualité vient de spiritus, l’esprit ; la spiritualité serapporte au domaine de l’esprit, de l’expérience profonde et de sonintelligence. Son cœur est, comme nous venons de le voirl’expérience de la nature de l’esprit.Cette démarche de connaissance n’appartient pas à une culture, àune religion ou une science particulière, elle est universelle. Entermes philosophiques, il s’agit de la connaissance de soi qui rappellel’adage socratique qui orne le fronton du temple de Delphes :« Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les dieux ! »2.B L’éthique se rapporte à l’harmonie de la vie■ L’aspiration aubonheurCorrélatU.V. I Cours 3 :Développement etdévoilementQuels sont les fondements de l’éthique ?L’éthique universelle a ses fondements dans l’aspiration aubonheur qui est commune à tout vivant. Nous souhaitons tous bienêtreet bonheur, sans mal-être ni malheur.Cette aspiration est d’une façon très générale celle de toutorganisme vivant qui tend à perpétuer l’équilibre de sa structure, sonharmonie interne et externe, c’est-à-dire son état de santé, sonhoméostasie et qui tend à éviter les dysharmonies etdysfonctionnements, les maladies destructrices dont l’expérience estdouloureuse.L’éthique globale est basée sur le principe de non-violence connuecomme la règle d’or : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pasqu’il te fasse » ou « N’inflige pas à autrui (directement ouindirectement) la violence que tu ne voudrais pas subir ». De cette règled’or procèdent toutes les valeurs éthiques fondamentales.Il est important de bien distinguer l’éthique envisagée dansune perspective médicale d’une éthique à dimension31


Cours 1 – La tradition du Bouddhajuridique. La dernière repose sur des arguments d’autoritéénoncés par le « législateur » et justifiant des règlesnormatives. Elle n’a de valeur que dans sa juridiction. Deplus, sa démarche, fondée sur le jugement et la faute, atendance à développer la culpabilité.La dimension universelle de l’éthique est de type médical etnon juridique. Liée à la santé fondamentale elle estnaturellement agnostique ou séculière (…). Il s’agit d’uneéthique qui cultive l’harmonie dans et par la non violence.De même que l’on parle de santé alimentaire ou de règled’hygiène. Il est des recommandations favorables à la santéspirituelle, psychologique et sociale. Ces prescriptionsconsistent à guérir de l’égoïsme et à cultiver l’altruisme etconcourent au développement de l’harmonie et des bienfaitsinhérents à la santé, en termes de bonheur personnel etinterpersonnel. 1Au-delà des religions, éthique et spiritualité se rejoignentÉthique et spiritualité se rejoignent car la spiritualité est latransformation de notre esprit. Une transformation quidissout les pensées négatives, en les remplaçant par uneattitude empreinte de bonté et de compassion, en un motd’éthique. En ce sens l’éthique est le fondement même del’altruisme. Il s’agit d’une réorientation radicale, loin denos préoccupations égoïstes habituelles, au profit de lacommunauté qui est la nôtre, d’une conduite qui prenne encompte en même temps que les nôtres, les intérêts d’autrui.La spiritualité ainsi entendue dans un rapport essentiel àl’éthique n’a pas partie liée avec une religion particulière,ni même avec la religion tout court. Cette spiritualité pourtous dépasse les clivages de la croyance et de la noncroyance. Elle ne concerne pas exclusivement ceux quicroient en une religion, de sorte que l’on peut parler à cetégard de spiritualité laïque. « La révolution spirituelle queje préconise, n’est pas une révolution religieuse. J’en suisarrivé à la conclusion qu’il n’importait guère qu’un êtresoit croyant ou non : il est plus important d’être bon. » 2■ La dimensionuniverselle del’éthique est detype médical■ La règle d’or del’éthique■ Une spiritualitélaïque1 Idem, p. 46 et 47.2 Extrait d’un compte rendu de l’ouvrage Sagesse ancienne, Monde moderne. Uneéthique du bonheur et de la bonté, Fayard, 1999. Sophia Still-River, revue DHARMAN°1, éd. Prajnâ, 2000, p. 174.32


Prajñâ et karunâ : les deux principes fondamentaux du Dharma3 Prajñâ et karunâ : les deux principesfondamentaux du Dharma3.A Une voie d’intelligence et d’amourCorrélatU.V.I Cours 3 :Bodhicitta■ Pas decompréhensionsans amour nid’amour sanscompréhensionPrajnâ et karunâ : les deux ailes de l’oiseau qui s’envole aufirmament de l’éveilDans la tradition du Bouddha l’expression de cette dimensionuniverselle de la spiritualité et de l’éthique se dit prajnâ et karunâ,deux mots sanskrits qui résument les deux principes essentiels duDharma : intelligence et amour.Prajnâ relève de l’esprit et de l’expérience et peut être mis enrelation avec « spiritualité» ; karunâ est amour-compassion naturelet correspond au contenu de l’éthique de la vie.En tibétain prajnâ se dit shérab qui peut se traduire par :perfection de l’intelligence, compréhension profonde, intelligencesupérieure ou encore connaissance transcendante. C’est l’intelligencequi permet la connaissance de soi, la compréhension de la nature del’esprit.Karunâ se traduit par amour, compassion, empathie et se dit entibétain Nyingjé qui signifie littéralement « noblesse du cœur ».Prajnâ comprend l’intelligence logique rationnelle et son cœur estl’intelligence immédiate, c'est-à-dire non duelle, l’expérience directel’intelligence de la réalité telle qu’elle est.Elle est définie ainsi :Qu’est-ce que la connaissance ? C’est le discernementparfait de la nature des choses. 1Karûna comprend l’amour qui désire le bonheur d’autrui et lacompassion qui souhaite la dissipation de tout mal-être. C’est ladimension active, le moyen (tib. thab ; skt. upâya) par excellence deréalisation et de l’expression de l’Éveil.La compassion contient une absence fondamentale de peur,dépourvue de toute hésitation. Cette absence de peur estmarquée par une immense générosité, en contraste avec latémérité qui consiste à jouer de son pouvoir sur les autres ;cette généreuse absence de peur est la nature fondamentalede la compassion et transcende l’instinct animal de l’ego.L’ego cherche à asseoir son territoire tandis que lacompassion est complètement ouverte et accueillante. C’estune attitude de générosité qui n’exclut personne. 21 GAMPOPA, L’Ornement de la Libération, p. 249.2 CHÖGYAM TRUNGPA, Pratique de la voie tibétaine, p. 215.33


Cours 1 – La tradition du BouddhaEn bref :Il existe une chose, qui serait-elle la seule qu’on posséda, revient àtenir toutes les qualités de bouddha dans le creux de sa main. Quelleest-elle ? La grande compassion. 13.B L’union de prajnâ et karunâUne pratique conjointePrajnâ et karunâ, compréhension et empathie sont les deux ailesde l’oiseau qui s’envole au firmament de l’Éveil. La compréhensionde la nature de la réalité et la compassion-amour-empathie sont desqualités inhérentes à l’expérience éveillée, la nature de l’esprit. C’estpourquoi la voie consiste précisément en la pratique de l’intelligenceet de l’amour qui sont à la fois causes et résultats de la réalisation.Intelligence et amour sont fondamentalement la mêmeexpérience. Ils se développent l’un générant l’autre.L’intelligence éveillée du non ego et la compassion altruistese rejoignent dans un moins d’ego et une absence d’ego. 2■ Intelligence etamour sontfondamentalementla mêmeexpériencePrajnâ, la connaissance de la nature des choses et karunâ,l’énergie participative de l’intelligence, sont une expression de ladimension universelle de la spiritualité et de l’éthique.Connaissance de soi et altruisme, alias spiritualité etéthique ou compréhension et compassion, constituent ainsiun couple dont les deux pôles interdépendants etcomplémentaires résument la voie du Bouddha. Au <strong>cours</strong>du cheminement, prajnâ et karunâ s’entraident et serejoignent. La compassion féconde la compréhension et lacompréhension est la matrice de la compassion. Lecheminement de la discipline éthique et spirituelle conduità la réalisation de notre nature authentique et celle-cicontient finalement spontanément les vertus de l’éthique etde la spiritualité fondamentale. 3L’union non dualiste de prajnâ et karunâ est l’Éveil et la voie qui yconduit.Dans le bouddhisme, la non dualité est la caractéristiqueessentielle de l’amour. Dans l’amour, celui qui aime et celuiqui est aimé ne sont pas différents. L’amour possède ainsiune dimension organique. À la lumière del’interdépendance des êtres, tous les problèmes du monde etde l’humanité devraient être résolus selon les principes de1 Idem, p. 129.2 Denys Rinpoché.3 DENYS RINPOCHÉ, La Voie du bonheur, p. 10.34


Prajñâ et karunâ : les deux principes fondamentaux du Dharmal’amour organique et de la compréhension non duelle. 1Chapitre IV. Définition et champsémantique du mot « Dharma »1 Les trois principaux sens du mot Dharma1.A Réalités, enseignement et « Réalité »■ Dharma = réalité■ L’enseignementqui vient de laréalitéDharma : la réalité, tous les phénomènesLe mot « Dharma » est polysémique, c'est-à-dire qu’il a plusieurssens, jusqu’à dix dont trois principaux.Le premier sens de dharma est la réalité, toute réalité, toutes lesréalités, c’est-à-dire tous les phénomènes. On entend parphénomènes toute chose, toute réalité : un verre, un nuage, unpaquebot, une pensée, bleu, rouge, toute réalité dans l’un ou l’autredes sens, dans les six sens – visuel, auditif, olfactif, gustatif,tactile, mental – tout phénomène . Tout phénomène, touteréalité, est en ce sens un dharma.Dharma a donc le sens de réalité composée et noncomposée,la plus vaste possible. Entendu qu’un phénomène n’estpas une chose qui existe en soi indépendamment de celui qui leperçoit. Un phénomène est en fait une boucle cognitive faite d’unsujet qui perçoit d’un objet perçu et d’une relation entre les deux.Dharma : l’enseignement qui vient des phénomènesLe deuxième sens de Dharma (avec une majuscule cette fois car ils'agit d'un nom propre) est l’enseignement de réalité, c’est-à-direl’enseignement qui expose le mode d’être des réalités, qui exposecomment les choses sont, comment existent ces réalités que l’onperçoit, comment elles existent illusoirement et comment ellesexistent réellement.C’est l’enseignement qui nous montre les modalités du réel, de laréalité, la réalité que je suis, que je vis, dans tous ses aspects, et quinous libère des fausses réalités avec ce que celles-ci ont deconditionnant, et dans les conditionnements, de maladif et dedouloureux.CF. U.V. IV :Dharma etabhidharmaDharma : la « Réalité » authentique telle qu’elle estEt le troisième sens de Dharma, c’est la « Réalité », la réalité1 THICH NAHT HANH, Le silence foudroyant, éd. Albin Michel, p. 235.35


Cours 1 – La tradition du Bouddhaauthentique, la réalité vraie, ce qui est foncièrement, telle qu’elle,telle que c’est.Dharma est donc précisément cette dynamique de l’enseignementqui, à partir des réels de la réalité habituelle, nous montre, nous faitexpérimenter la réalité, nous libère de ses illusions et nous faitréaliser la réalité véritable, la réalité absolue. Les trois niveaux sontmélangés et déjouent dans leurs polysémies les tendancesséparatrices de la conception habituelle.■ La réalitévéritable1.B La réalité de base, de la voie et du fruitTrois niveaux d’expérience et de compréhensionEn résumé, ces trois sens essentiels de Dharma se comprennentdans la perspective de la base, de la voie et du fruit :– à la base, Dharma évoque la réalité fondamentale ou lanature de Bouddha voilée par les illusions et les passions etcomprend l'ensemble des réalités (tous les phénomènes) ;– au niveau de la voie, Dharma est l'enseignement qui vient dela réalité et sa pratique ;– au niveau du fruit, Dharma est la réalité fondamentaledévoilée, non duelle, telle qu’elle est, la nature de bouddha.L’enseignement, le Dharma, est le miroir de la réalitéIl est important de souligner ici, qu’un « phénomène » n’est pasune chose extérieure et indépendante de la conscience qui le perçoit.Il n’existe pas d’objet indépendant du sujet qui le perçoit. C’est lepoint essentiel pour bien comprendre la continuité sous-jacente auxtrois sens du mot « Dharma ». De la réalité dans ses différentsaspects vient l’enseignement qui la reflète comme un miroir. Lastructure, la cohérence et l’expression du Dharma sont analogues à laréalité. Il y a une continuité entre la carte (ce qui est enseigné) et leterrain (la réalité). Cette continuité fait que l’enseignement estopératif et qu’en suivant l’enseignement, le Dharma, il est possiblede réaliser la réalité que l’on appelle aussi la nature de bouddha.CORRÉLATU.V. I <strong>cours</strong> 3 :Les « TroisJoyaux », base,voie, fruit■ La carte et leterrain36


De l’expérience habituelle à l’expérience éveillée2 De l’expérience habituelle à l’expérienceéveillée2.A Reconnaître les conditionnements pour s’enlibérer■ La « visionexpérience » de laréalité estlibératriceCelui qui guérit de la variole est immuniséLe Dharma expose les modes conditionnés et inconditionnés de laréalité, il distingue les phénomènes et leur nature. 1 En partant de laréalité phénoménale, il explique les modalités de l’expériencehabituelle, conditionnée, source de mal-être et d’insatisfaction (tib.sdug bsngel ; skt. dukkha). Pourquoi cette démarche ? Parce que c’estpar la reconnaissance des conditionnements et la compréhension deleurs mécanismes que l’on peut s’en libérer et s’ouvrir à l’expériencenon conditionnée.Le Dharma montre également les modalités de l’expérienceéveillée libre de conditionnement, bienheureuse (tib. bde ba ; skt.sukkha), afin d’ouvrir l’esprit à ce que dans un premier temps, il nevoit pas.Ainsi le discernement de ce qui est illusoire et de ce qui ne l’estpas constitue le chemin de l’ignorance à l’Éveil, du mal-être aubonheur.Il s’agit de comprendre, de « voir » en l’expérimentantpersonnellement, le fonctionnement de l’esprit, de l’expérience de ceque nous sommes et vivons. Ceci non dans un but spéculatif maissotériologique c’est-à-dire libérateur. La « vision » de la réalité libred’illusion est libératrice. Comme le dit l’adage traditionnel : « celuiqui guérit de la variole est immunisé. »Le Dharma expose comment se structure l'expérience que nousavons du monde et de nous-mêmes en tant qu’individu séparé. Ilnous montre également comment cette expérience est piégée par lespropensions dualistes et illusoires. Et nous savons combien ce piègeest douloureux, parce qu’il nous enferme dans les désirs et lespassions qui se tissent continûment entre le sujet et les objets : lesujet s’y attachant, les rejetant ou manifestant une indifférence àl’égard d’objets conçus comme « bons », « mauvais » ou « neutres ».Le Dharma travaille avec cette polarité en développant unecompréhension et une pratique au niveau du corps, de la parole et del’esprit qui permettent de découvrir la nature non duelle de notreexpérience, la nature de la cognition ou la nature de l’esprit.1 Tous les enseignements traitent de cela et la question fait l’objet d’un traitéfondamental du mahâyâna : La distinction des phénomènes et de leur nature (tib.chos dang chos nyid rnam par ‘byed pa’i tshig le’ur byas pa) de Maitraya Asanga(IV e siècle).37


Cours 1 – La tradition du Bouddha2.B Découvrir la santé fondamentale en corps, parole,espritL’enseignement prend en compte tous les constituantsde la personne■ Les troisL’enseignement prend en compte tous les constituants de ladimensions de personne humaine, résumés en les trois dimensions del’existence : corps, l’existence ou les « trois portes » : le corps, la parole et l’espritparole et esprit sont (tib. lus dang ngag dang yid kyi sgo). Quelle que soit notreinterdépendantes expérience, c’est toujours une expérience du corps, de laparole et de l’esprit. Le corps est tout ce qui relève duphysique et du concret, la parole ce qui relève du souffle et dela communication et l’esprit ce qui relève du mental.Ces trois dimensions sont interdépendantes et s’influencentmutuellement. Cependant, l’esprit et le cœur, le cœur/esprit, l’étatd’esprit joue un rôle majeur. C’est pourquoi une importanceparticulière est donnée à l’entraînement de l’esprit, qui consisteessentiellement en le développement de la santé mentale quiinfluence celles du corps, de la parole et des émotions. Il ne s’agit pasde devenir quelqu’un d’autre mais de découvrir et d’expérimenter lesqualités fondamentalement saines du corps, de la parole et de l’espritainsi que leur harmonie.2.C Le Dharma est profondément humanistele Dharma pour être un meilleur être humainLe Dharma authentique n’a pas d’autre but que d’enseigner lafaçon d’être tout simplement de meilleurs êtres humains. Son sens etsa pratique ne se trouvent pas dans les formes extérieures mais dansl’expression des valeurs humaines universelles et notre capacité à lesvivre et communiquer dans notre quotidien. En cela le Dharma estprofondément humaniste.Mais qu’est-ce que le Dharma ? Ce n’est évidemment pasporter un costume spécial, construire des monastères ets’adonner à des rites compliqués... Ceci peut accompagnerla pratique du Dharma mais n’est, en aucune façon, leDharma. La vraie pratique du Dharma est intérieure ; c’estun esprit paisible, ouvert et généreux, un esprit que l’on asu dompter, qui est complètement contrôlé (...). La pratiquedu Dharma est celle qui permet d’être vrai, fidèle, honnête,humble..., d’aider et de respecter les autres et de se sacrifierpour eux. 1■ Le Dharma : unesprit paisible,ouvert et généreux1 L’Enseignement du Dalaï-Lama, p. 17-18.38


De l’expérience habituelle à l’expérience éveilléeUn quatrain résume l’enseignement du BouddhaNe faire aucun acte négatifDévelopper parfaitement les vertusDiscipliner complètement l’esprit en soi,Tel est l’enseignement du Bouddha3 Le Dharma : science multidisciplinaire ettransdisciplinaire3.A La perspective du Dharma remet en question lescatégories « a priori » de la penséeEn conclusion, il apparaît clairement que le Dharma pour êtrebien compris, ne peut se laisser enfermer dans l’une ou l’autre descatégories de la pensée occidentale. Son approche remet en cause lescatégories a priori de la pensée. L’enseignement du Bouddhacomprend l’univers et les vivants qui l’habitent dans une visionholistique fondée sur l’interdépendance de tous les phénomènes.3.B Le Dharma participe de tous les domaines de laconnaissanceIl participe donc naturellement de différents domaines que nousappelons en Occident : psychologie, philosophie, épistémologie,phénoménologie, sciences cognitives, anthropologie fondamentale,écologie holistique, mystique et religion, par exemple. En ce sens ilest transdisciplinaire. C'est-à-dire qu’il considère les perspectives etles qualités propres à chacune des disciplines comme une richesseparticipant à la compréhension globale de l’expérience humaine etplus qu’humaine.4 Champ sémantique du mot « Dharma »On peut, en guise de repère, dresser un tableau (voir pagesuivante) qui rend compte de l’étendue de ce champ sémantique dumot Dharma. Ici, science, philosophie et spiritualité sont des repèressignificatifs pour situer différentes acceptions du mot Dharma. Ils’agit là de tendances, entendu qu’il n’est aucunement question pournous d’opposer science et philosophie, ou spiritualité et religion,même si l’usage courant le fait souvent.39


Cours 1 – La tradition du BouddhaDharmaSPIRITUALITÉ PHILOSOPHIE SCIENCE THÉRAPIE RELIGIONYoga spirituelCompréhension del’existant(phénoménologie)AnthropologiefondamentaleThérapiesacréeVoie deréalisation del’absoluVoie de laréalisation de lanature ultime del’espritGnoséologieagnostiqueScience del’intérioritéThérapiefondamentaleVoie decompassionVoie d’ÉveilHumanismeholistiqueScience del’expériencehumaineThérapiespirituelleReligion sansDieuVoie deconnaissance etd’amourSpiritualité laïqueVoie decompréhensionScience de lacognitionThérapieholistiqueVoie deconnaissanceÉcologieholistiqueExpressionsparentesArt de vivreExpressionss’inscrivantdans uneperspectivetraditionnelleVoie deconnaissance de soiScience sacréeVoie de libérationScience del’esprit40


Deuxième partie : une vision pour le monde contemporainDEUXIÈME PARTIE : UNE VISION POUR LEMONDE CONTEMPORAINChapitre V. Une tradition vivante,authentique et complète1 Le bien fondé d’une perspective médicale 1■ Harmonie,bonheur et santésont connaturelsUne tradition spirituelle ou une religion s’évalue dans uneperspective médicale qui, fondée sur la vie, a une portée universelle.La santé, fondement de notre diagnostic, est la forme que prendl’harmonie dans la vie. Tout organisme vivant fonctionnantharmonieusement est en bonne santé. Tout comme notre expériencepersonnelle nous l’apprend, la santé est un état de bien-être et en cesens de bonheur. Harmonie, bien-être et bonheur sont naturellementsimultanés. Ils sont connaturels et naissent de la non-violencefondamentale. Réciproquement, il en va de même de la dysharmonie,du mal-être et des souffrances qui sont autant de facettes de lamaladie et des violences de l’ego avec ses passions.Le diagnostic de l’état de santé d’une tradition s’effectuesimplement en appréciant son impact sur ses pratiquants et le mondeen général. Sa dimension saine réside dans sa capacité à développeret cultiver paix, harmonie et toutes les vertus humainesfondamentales qui concourent au bonheur personnel etinterpersonnel.Inversement, la dimension pathogène, malsaine ou nuisible d’unetradition, consiste en sa faculté à alimenter dysharmonies, conflits,haines et passions qui deviennent à terme cause de mal-être et demalheurs pour soi et autrui.2 Des moyens de transmission appropriés 2Une tradition sera qualifiée de complète si elle donne accès àl’harmonie, la paix, la santé et le bonheur à leur niveau le plusprofond. Cela sous-entend entre autres qu’elle doit être dotée desmoyens de transmission appropriés. Sa capacité à permettre de vivre1 LAMA DENYS, La Voie du bonheur, p. 14-15.2 Idem, p. 14-15.41


Cours 1 – La tradition du Bouddhacet état absolu constitue le critère ultime déterminant son degré deperfection.3 Le dépassement de toutes les formulationsIl faut ajouter enfin qu’une tradition saine et complète estégalement autodissolvante. Dans sa dynamique interne, elle doitpermettre le dépassement de tous les signes et images, noms etformes, naturellement relatifs, qui ont servi de tremplins ou debéquilles sur la voie. Dans le cas contraire, ces éléments contingents,érigés en une vérité absolue, deviennent malsains parce qu’ils voilentla réalisation directe et immédiate de notre véritable nature. Ilsn’alimentent plus dès lors que l’idolâtrie.Mettant en garde ses disciples devant ce genre d’attitude déviante,le Bouddha dit :Mon enseignement est un moyen pratique qu’il ne faut pasvénérer. C’est un radeau qui permet de traverser la rivière.Seul un fou s’embarrasserait de l’embarcation une fois surl’autre rive, celle de la libération.Chapitre VI : Rimay, unité dans ladiversité1 L’unité et la diversité du Dharma1.A Une unité d’expérience fondamentale et unediversité d’expressions variées adaptéesLe Dharma est caméléonIl se dégage des enseignements du Bouddha une profonde unitéfondée sur l’expérience d’Éveil, l’expérience d’un Bouddha dont lanature est sagesse et compassion, intelligence et amour, prajnâ etkarunâ qui sont les deux principes essentiels communs à toutes lesécoles du Dharma. Cette unité est celle de l’expériencecontemplative, l’expérience primordiale au-delà des noms et desformes. La diversité est celle des différentes expressions de cetteexpérience adaptées aux contextes sociolinguistiques. Au <strong>cours</strong> de salongue histoire et de sa diffusion mondiale, l’enseignement duBouddha a pris des formes et des colorations très diverses quipeuvent paraître divergentes aux yeux d’un observateur extérieur etqui pourtant sont l’expression d’un fond commun inaltéré. Tout■ Une expérienceet différentescouleurs42


L’unité et la diversité du Dharmacomme un caméléon, le Dharma garde son corps et sescaractéristiques essentielles en changeant de couleurs en fonction del’environnement où il se trouve.1.B L’expérience éveillée est intemporelle ettransculturelle : toujours actuelleL’Éveil est toujours neufLa réalisation spirituelle et la transmission essentielle qui endécoule sont intemporelles et transculturelles car elles ne dépendentpas des conditions liées au passé, au présent et au futur ni desfacteurs historiques et culturels liés à une époque ou à un lieugéographique particulier.L’Éveil n’est donc ni oriental ni occidental, ni ancien ni modernemais toujours neuf. En ce sens, le Dharma du Bouddha n’a pas partieliée avec une culture spécifique. En revanche, il peut apporter sadimension spirituelle et éthique à n’importe quelle basesocioculturelle sans conflit avec celle-ci. Sa démarche étant fondéesur l’esprit dans ce qu’il a de plus essentiel et immédiat, il n’estrattaché à aucun peuple et à aucune époque déterminée. C’est en cesens que l’enseignement du Bouddha est toujours actuel.L’Éveil ou la nature de bouddha est transcendant etimmanentMême si dans sa dimension relative la transmission s’inscrit biendans un contexte linguistique et culturel particulier, son essencequ’est l’expérience éveillée n’est pas conditionnée. Elle estimmanente à la réalité au sens où l’Éveil, la nature de bouddha estomniprésente et n’est pas le produit d’une cause. La nature debouddha est déjà là inhérente à la nature des choses ; mais elle estaussi transcendante au sens où l’Éveil transcende les limitations del’ego, les représentations conceptuelles et les conditionnements del’individualité liés au temps et à l’espace.1.C Les quatre sceaux de l’enseignement du Bouddha■ Undénominateurcommun à toutesles écolesL’unité de l’enseignement et de nombreuses écolesIl y a également une unité au niveau de l’enseignement lui-même.Toutes les traditions et écoles reconnaissent les quatre sceaux duDharma qui constituent les caractéristiques de l'enseignement duBouddha :– tout composé est impermanent : tout composé se décompose,toute chose étant transitoire ;– toute saisie est mal-être, dysharmonie : tout ce qui existe sous43


Cours 1 – La tradition du Bouddhal’emprise de la saisie de l’ego, avec les passions qui enprocèdent, est imparfait, insatisfaisant et source de mal-être ;– tous les phénomènes sont vacuité, c'est-à-dire dépourvus d'egoentité: aucune expérience n'a de réalité autonome. Sujet etobjet n’ont pas d’existence propre, car toute chose n’existequ’en dépendance les unes des autres. C’est le principe del’interdépendance cognitive et universelle. Toutes lesperspectives philosophiques du Dharma en sont desdéveloppements ;– au-delà de la dysharmonie, est une paix : se libérer du mal-êtreest possible. L’Éveil et le bonheur ultime sont synonymes desanté fondamentale.De nombreuses écolesSur la base de ces quatre principes fondamentaux de nombreusesécoles se sont développées dans le monde en mettant l’accent sur desapproches et des pratiques différentes en fonction des langues etmentalités des régions où elles se sont implantées. Maintescombinaisons des textes issus des corpus, avec les mentalités qui ycorrespondent, ont donné naissance à une pluralité de tendances : lethéravâda, principalement répandu en Asie du Sud-Est, par exemple,la tradition des siddhas indiens, le ch’an en Chine, le zen au Japon etles différentes écoles tibétaines avec leurs colorations et leurspratiques particulières. Elles ont pourtant toutes le même fondcommun et ne résultent que de l’implantation de celui-ci endifférents environnements culturels.1.D Rimay : impartial, sans parti pris, non sectaireUne vision applicable au niveau universelRimay est un terme tibétain qui signifie littéralement : impartial,sans parti pris ou non sectaire. Rimay peut aussi être traduit par« unité dans la diversité ». C’est le nom donné au courant spirituelqui, dans la tradition tibétaine, met l’accent sur la primauté del’expérience contemplative et sur la diversité des traditions commeune richesse indispensable pour répondre à la diversité des êtres. Lecourant spirituel Rimay a été initié au XIX e siècle pour promouvoir ledépassement des partis pris intellectuels par un retour à la source detous les enseignements dans l’intériorité de l’expérience méditative.En affirmant l’unité de toutes les écoles tibétaines dansl’enseignement de l’éveil et le caractère précieux de leur diversité, lemouvement Rimay a contribué très largement à la vitalité de latradition tibétaine. La plupart des maîtres tibétains venus enOccident dont Kalu Rinpoché et le Dalaï-Lama en particulier en sontdes héritiers.CORRÉLATU.V. II, <strong>cours</strong> 6 :Le mouvementRimay44


L’unité et la diversité du Dharma■ La primauté del’expériencecontemplativeLa vision Rimay d’unité dans la diversité des écoles et lignéestibétaines est applicable directement au niveau universel et est unesource d’inspiration précieuse pour favoriser le dialogue intertraditionsau niveau mondial.La parabole des plantes médicinalesL’unité et la diversité des enseignements ont été exposées par leBouddha lui-même dans la Parabole des plantes médicinales figurantdans le Sûtra du lotus (skt. Saddharmapundarika-sûtra). LeBienheureux compare le Dharma à une pluie homogène etbienfaisante qui se répand sur tous les végétaux. Chaque plante capteles nutriments selon ses besoins propres et chacune croît selon sanature.J’expose la Loi aux créatures, après avoir reconnu leursinclinations. […] Je proportionne mon langage au sujet etaux forces de chacun ; et je redresse une doctrine par uneexplication contraire. C’est, ô Kasyapa, comme si un nuage,s’élevant au-dessus de l’univers, le couvrait dans sa totalité,en cachant toute la terre. […] C’est ainsi que répandantd’une manière uniforme une masse immense d’eau, etresplendissant des éclairs qui s’échappent de ses flancs, ilréjouit la terre. Et les plantes médicinales qui ont poussé àla surface de cette terre, les herbes, les buissons, les rois desforêts, les arbres et les grands arbres, […] ce nuage lesremplit de joie ; il répand la joie sur la terre altérée […].Pompant l’eau par leur tronc, par leur tige, par leur écorce,par leurs branches, par leurs rameaux, par leurs feuilles, lesgrandes plantes médicinales poussent des fleurs et desfruits. Chacune selon sa force, suivant sa destination etconformément à la nature du germe d’où elle sort, produitun fruit distinct ; et cependant c’est une eau homogène quecelle qui est tombée du nuage. 12 L’unité transcendante de toutes lestraditions authentiques2.A La transcendance est celle des noms et des formesDe nombreux êtres sont arrivés à l’Éveil spirituel absoluLe Dharma considère qu'au fil des siècles de nombreux êtres sontarrivés à l'Éveil et ont donc connu la réalisation suprême. Ils l'ontensuite exprimée différemment en tenant compte du contexte1 Trad. E. Burnouf dans Le bouddhisme, textes réunis, traduits et présentés parLilian Silburn, Fayard, 1977, p 126-12745


Cours 1 – La tradition du Bouddhaambiant. Mais ils avaient tous en vue, derrière cette variétéd'expressions, une même réalité.De ce point de vue, la diversité demeure contingente. Elle a unefonction pédagogique, didactique, et c'est en fait une richesse quipermet d'adapter le même message à la variété des entendements etdes réceptivités des êtres. Il y a ainsi une unité transcendante destraditions qui se « situe » dans l'au-delà des concepts et desreprésentations. Différents êtres réalisés, qu'on peut appeler desbouddhas ou de grands bodhisattvas, même s'ils n'en ont pas eu lenom dans leur tradition, ont rendu compte de l’expérience ultime, età partir des qualités de connaissance et de compassion qui enémanent, ont élaboré, chacun dans sa tradition respective, différentstypes d'enseignements permettant d’y parvenir.Dans l’expression « unité transcendante des traditions »,l’ « unité » exprime l’absence de dualité et la « transcendance » estcelle du moi individuel, des noms et des formes dans une expérienceaconceptuelle qui est le lieu de l’unité.■ L’expérienceultime commefondement de« l’unitétranscendante destraditions »2.B Une vision universalisteUne solidarité inter-traditionsLes traditions de vie sacrée authentiques partagent un fondcommun universel qui est le lieu de leur unité, le cœur vivantanimant la pluralité de leurs expressions. Dans l’intelligence de leurdénominateur commun, les différences apparaissent commepurement relatives et ne remettant pas en cause l’unitéfondamentale. C’est là tout l’essentiel. Au-delà de la simpletolérance, cette vision envisage la diversité comme une richesseadaptée à différentes mentalités et réceptivités. Nous l’appelons lavision universaliste d’unité dans la diversité. Elle permet de réaliserque les différentes traditions de vie sacrée, saines et complètes, sontfrères ou sœurs. Une pareille intelligence éveille la solidarité intertraditionset les événements que nous connaissons aujourd’huiconfirment le caractère pertinent et urgent d’une éducation œuvranten ce sens.Les traditions sont autant de mandalasLes traditions sont autant de « mandalas », c’est-à-dire destructures constituées d’un centre et d’une périphérie. L’expérienced’Éveil, universelle et atemporelle, constitue le centre.L’enseignement que dispense la tradition est la périphérie. Il estl’expression contextuelle qui procède de l’expérience d’Éveil et yconduit. Ainsi le centre de différentes traditions saines et complètesest le même, alors que la périphérie s’adapte à l’environnement, à lamatrice linguistique et sociologique de l’époque, avec sa mentalité■ L’unicité et lapluralité nes’excluent pas46


L’unité transcendante de toutes les traditions authentiquespropre.Un polycentrique de l’absoluUn tel « polycentrisme » ne nécessite pas d’imaginer, comme lefont certains « traditionalistes », une transmission originelle à partird’une tradition primordiale s’inscrivant en première position sur laflèche du temps. Bien que, dans certains cas, cette conception ne soitpas en contradiction avec une filiation directe et temporelle à partird’une tradition antérieure, elle ne l’implique pas et celle-ci n’en estqu’un phénomène particulier. L’expérience d’Éveil se vit dans lecœur de tout humain réalisé qui s’est éveillé à la nature de la réalitéet elle est la source de son enseignement ou de son message. Danscette vision polycentrique nous pourrions dire qu’il existe unepluralité de révélations, même si la révélation est fondamentalementune en son essence. L’unicité et la pluralité ne s’excluent pas.La meilleure tradition est celle qui nous convient le mieuxDans ce contexte, la tradition qui nous convient le mieux est cellecapable de faire de nous de meilleurs êtres humains. Chaquetradition correspond à un type particulier de personne. Toutes lesnourritures que l’on rencontre dans le monde assurent la subsistancedes hommes, mais chacune possède ses caractéristiques propres.Aucune ne devance l’autre, puisqu’il y a autant de modes culinairesque de goûts. Il en va de même des traditions. Sur le fond, ellesremplissent la même fonction. Les nuances repérables ne concernentque les facteurs périphériques. Personnellement, si le Dharma duBouddha est la tradition qui me correspond, cela ne signifie pas pourautant qu’elle convient à tout un chacun.Kyabdjé Kalu Rinpoché disait à ce propos :Toutes les traditions spirituelles, bouddhiques et nonbouddhiques, diffèrent dans leurs formes pour s’adapter àla réceptivité et aux facultés de personnes variées ; maistoutes œuvrent pour établir les êtres sur le chemin desexistences supérieures et de la libération. Étant toutes issuesde l’activité du parfait éveil, sans exception, elles méritentnotre confiance. […]On pourrait se demander, puisque chaque tradition etlignée constitue un enseignement authentique et complet,pourquoi il en existe plusieurs. D’une manière générale,leur variété correspond aux diverses réceptivités et auxinclinations des êtres. Chaque système existe distinctementpour répondre aux besoins et aux aptitudes particulières depersonnes différentes, dotées de mentalités qui le sont aussi.[…]D’une façon générale, avoir confiance en toutes les47


Cours 1 – La tradition du Bouddhatraditions est un signe de compréhension profonde desenseignements ; néanmoins, il est indispensable des’engager dans une tradition donnée, d’y recevoir desinstructions détaillées et d’y être introduit aux pratiquesessentielles, et il est alors juste de pratiquer principalementses enseignements. 1Chapitre VII. Une réponse aux grandsenjeuxde notre temps1 Une réponse universelle au mal-être1.A Retour aux sources de l’expérience humaineUn ressourcement essentielLa tradition du Bouddha a de nombreuses qualités qui contribuentà répondre aux grands enjeux de notre temps : une spiritualité et uneéthique universelles enracinées dans une transmission millénaire ettoujours vivante ; une philosophie de l’interdépendance nondogmatique dont l’intelligence converge avec les nouveauxparadigmes scientifiques ; enfin sa relative virginité dans la cultureoccidentale et les remises en question salutaires qu’elle peut susciterdans les catégories « a priori » de la pensée.Une nouvelle théorie, un nouveau système, une nouvellereligion ? Pas du tout. Mais plutôt une ouverture aux racinesintemporelles de l’expérience humaine, un ressourcement essentielqui n’est pas en opposition à l’action dans le siècle et dont les vertusvivifiantes peuvent infuser l’ensemble du corps social.Face aux blessures de notre monde moderne (métaphysiques,psychologiques et politiques), la tradition du Bouddha sembleappelée, tout comme les autres traditions authentiques et complètes,à jouer un rôle de réconciliation.■ Une transmissionmillénaire etvivanteaujourd’huiUne réconciliationRéconciliation de l’humain avec lui-même dans l’expérience de labonté fondamentale se substituant à la culpabilité ; réconciliation ducorps et de l’esprit dans la découverte de leur harmonie non duelle ;réconciliation de l’humain et de la nature dans une écologieholistique ; réconciliation de la nature et de la culture dans une1 KALU RINPOCHÉ, La Voie du Bouddha, p. 34-36.48


Une réponse universelle au mal-êtreanthropologie fondamentale ; réconciliation de la pensée et de la viedans une incorporation de l’activité sensorielle et mentale ;réconciliation des traditions spirituelles et de la société dans unecompréhension de l’unité dans la diversité, réconciliation de lascience et de la spiritualité dans une alliance des intelligences ; etc.1.B Convergences avec les sciences contemporaines■ La tradition duBouddha estagnostique, c'est-àdirenondogmatiqueUne vision holistique ancienne et contemporaineLa tradition du Bouddha est agnostique, c'est-à-dire nondogmatique. Elle ne repose pas sur une « gnose », c'est-à-dire uneconnaissance conceptuelle érigée en vérité absolue. Le Dharma nepropose pas d’adhérer à une croyance mais offre une approche totalede la spiritualité et de l’éthique fondée sur l’interdépendance et lacompassion universelle. Cette vision ancestrale de l’interdépendanceest désormais redécouverte dans les nouveaux paradigmesscientifiques. Les convergences multiples entre le Dharma et lessciences contemporaines sont illustrées notamment dans ladéclaration commune de scientifiques réunis à Tokyo en 1995 parl’UNESCO :Notre message se situe ainsi dans le droit fil desenseignements du mahâyâna, qui offre une visionholistique prégnante de l’avenir de l’existence humaine ausein de la nature. 1Les rencontres entre le Dalaï-Lama et les scientifiques initiées parFrancisco Varela et le Mind and Life Institute témoignent égalementdans notre actualité de ces convergences. Deux domaines illustrentparticulièrement la force de cette rencontre entre les sciencesoccidentale et le Dharma : les sciences cognitives et l’écologie.■ L’écologieholistique est uneexpression duDharma universelSciences cognitives et écologieDans les sciences cognitives, l’école de Santiago, issue des travauxde Francisco Varela et de Humberto Maturana révèle, dans le champscientifique, l’interdépendance du sujet et de l’objet, de l’observateuret de l’observé et parvient à des conclusions qui convergent aveccelles du Dharma sur la nature de la cognition. 2Quant à l’écologie dans sa dimension holistique, elle reposeégalement sur la compréhension de l’interdépendance et sur uneéthique fondée sur une harmonie retrouvée entre les hommes et avecla nature. En ce sens, l’écologie holistique est une expression duDharma universel.L’écologie, entendue au sens large, met en évidence1 COLLOQUE DE TOKYO, La Mutation du Futur, éd. Albin Michel, 1996.2 F. VARELA, L’inscription corporelle de l’esprit.49


Cours 1 – La tradition du Bouddhal’interdépendance fondamentale de tous les phénomènes etnotre intégration (donc en définitive notre dépendance) auxprocessus cycliques de la nature, en tant qu’individu et quesociété. 1Cette citation de Fritjof Capra exprime une vision naturelle quenous pouvons retrouver et intégrer dans notre mode de vie, par cequ’il appelle un programme d’alphabétisation écologique.Celui-ci est fondé sur le constat que l’ignorance desprincipes de l’écologie, du langage de la nature, est une descauses racines de la crise économique et sociale de notretemps – incluant la crise dans l’entreprise et dans les écoles– et que nous continuerons à nourrir cette crise jusqu’à ceque nous devenions écologiquement alphabétisés. 2Une autre source très pertinente et inspirante de l’unité de lasociété humaine et de la nature est l’ouvrage de David Abram, Lecharme des sens, perception et langage dans un monde plus qu’humain,qui établit le lien entre la phénoménologie du philosophe MauriceMerleau-Ponty et la vision des traditions primordiales vécue par lespeuples autochtones.Les humains sont des êtres de relations. Les yeux, la peau,la langue, les oreilles et les narines sont des portes à traverslesquelles notre corps est nourrit par ce qui lui est autre. Cepaysage empli du murmure des voix de la nature, ces corpsde plumes, ces ramures et ces ondes frémissantes – sesformes qui respirent sont notre famille, les êtres aveclesquels nous sommes engagés avec lesquels nous luttons,souffrons et célébrons la vie. 3Cette interdépendance profonde a des implications pratiques quisont directement et explicitement prises en compte par la traditiondu Bouddha dans ses enseignements : « protéger la vie » et« contentement », c'est-à-dire « non-violence » et « modération »ou « sobriété heureuse ». Ces deux des principaux préceptes del’éthique bouddhiste sont aussi des slogans écologiques.Pour aller plus loin encore, la vision du monde qui émerge dessciences cognitives et de l’écologie nous montre désormais, entermes scientifiques, que l’intelligence humaine est en continuitéavec l’intelligence de la nature et qu’une vision dualiste qui conçoitl’humain comme ontologiquement différent de la nature est obsolèteet mortifère.1 F. CAPRA, La Toile de la Vie.2 Trad. de Elmwood Institute, Center for Ecoliteracy.3 D. ABRAM, Spell of the Sensuous, perception and language in a more than humanworld, Ed. Pantheon books, New York, 1996, non traduit en français à ce jour.Annexe 2Contribution àl'écologiecontemporaine■ Alphabétisationécologique■ Le charme dessens■ L’intelligencehumaine est encontinuité avecl’intelligencede la nature50


Une réponse universelle au mal-être■ L’esprit n’est pasune chose mais unprocessus, leprocessus même dela vieC’est ce « fantasme de séparation » qui est la cause principale dela crise écologique et autres dégénérescences de notre monde.Dans La Toile de la vie, Fritjof Capra relate une vision quisurmonte le dualisme entre l’esprit et la matière, entre l’homme et lanature, et qui s’appuie sur la théorie des systèmes vivants. Voilà cequ’il explique :Selon la théorie des systèmes vivants, l’esprit n’est pas unechose mais un processus, le processus même de la vie.Autrement dit, l’activité organisatrice des systèmes vivants,à tous les niveaux de la vie, est une activité cognitive. Qu’ils’agisse de plante, d’animal, ou d’humain, les interactionsd’un organisme vivant avec son environnement sontcognitives, c'est-à-dire mentales. Ainsi la vie et la cognitiondeviennent indissociablement liées. L’esprit – ou plusprécisément le processus cognitif – est immanent à lamatière, à tous les niveaux de la vie. […]. La théorie deSantiago fournit à mon avis, le premier cadre scientifiquecohérent qui dépasse vraiment la division cartésienne.L’esprit et la matière ne semblent plus appartenir à deuxcatégories séparées, mais représentent simplementdifférents aspects ou dimensions du même phénomène devie. 11.C Vers un changement de mentalité■ Écologieintérieure etextérieureUne mutation indispensableL’approche globale de la tradition du Bouddha est bien adaptée àl’intensité de la vie contemporaine parce qu’elle répond à la quête dusens de l’existence et aux besoins d’intériorité d’une façonrigoureuse et fiable mais libre du poids des institutions, descroyances et des dogmes religieux.En intégrant sans contradiction écologie intérieure et extérieure,le Dharma participe de façon la plus profonde au changement dementalité auquel aspire notre monde. Changement ou mutation sanslesquels l’avenir de l’humanité menacée par les dérèglementsécologiques et sociaux, est sérieusement compromis.La terre est la maison des vivants ;Elle est équanime et impartiale envers l’animé et l’inanimé.Ainsi parla le Bouddha d’une voix qui dit la vérité ;En prenant la grande Terre à témoin.Tout comme un être noble reconnaît la bonté d’une mèreintelligenteEt lui témoigne de la reconnaissance,1 F. CAPRA, La Toile de la vie, p. 193-197.51


Cours 1 – La tradition du BouddhaDe même il convient de traiter avec affection et prévenanceLa Terre, notre mère universelle,Qui donne à chacun une nourriture égale. 1De la même façon que la main et le resteSont considérés comme des membres du corps,De même, pourquoi les êtres vivantsNe sont-ils pas considérés comme des membres de la vie ? 2⁂1 Le XIV e Dalaï-Lama.2 SHANTIDEVA, Bodhicaryavatara VIII, 114.52


Annexe 1 : Le bouddhisme en Occident, un bref historiqueANNEXE 1 : LE BOUDDHISME EN OCCIDENT, UN BREF HISTORIQUEExtrait de :Le Bouddhisme en Belgique de l’Union Bouddhique Belge (UBB),Éditions Kunchab, 2009.Le bouddhisme est une religion mondiale qui peut s'enorgueillirde quelque 2 500 ans d'histoire et de millions d'adeptes en Asie.Pourtant, cette doctrine est restée pratiquement inconnue enOccident jusqu'aux premières décennies du XIX ème siècle. Depuis leMoyen Âge, les missionnaires et les voyageurs européens avaientpourtant décrit les croyances et les pratiques des peuples qu'ilsavaient rencontrés en Mongolie, en Chine, au Japon, au Siam etailleurs, mais ils étaient convaincus qu'il s'agissait de cultesrégionaux disparates. Il a fallu attendre 1740 pour que le père jésuitePons découvre, lors d'un séjour en Inde, que toutes ces croyances etpratiques n'étaient que différentes facettes d'une seule et mêmetradition religieuse qu'il baptisa, dans un premier temps,Bauddhamatham (en sanskrit) et à laquelle les théoriciensdonneraient plus tard le nom de « bouddhisme ».L'analyse du mécanisme du « bouddhisme » a commencé par lacollecte, le catalogage et la traduction de textes bouddhiques écritsen sanskrit et en tibétain, dont les premiers sont arrivés dans lesuniversités européennes au début du XIX ème siècle en provenanced'Inde et du Népal. Le premier scientifique à produire unedescription complète et de bonne facture de cette religion jusque-làinconnue fut Eugène Burnouf, du Collège de France de Paris qui apublié, en 1844, un ouvrage de 600 pages, intitulé L’Introduction àl’histoire du bouddhisme indien. Burnouf s'était rendu compte que lestextes en sanskrit qui lui avaient été envoyés du Népal étaient lestextes originaux traduits ensuite en chinois et en tibétain. Comme ilavait déjà été le co-auteur d'une étude sur le pâli en 1826, Burnouf apu retracer les bases historiques du bouddhisme et démontrer lesliens existants entre différentes écoles et doctrines. Dans la foulée deson Introduction, Burnouf a entamé la traduction du Sûtra du Lotus,publiée en 1852.Ces œuvres ont marqué le coup d'envoi d'une étude approfondiedu bouddhisme en Europe qui se poursuivit tout au long du XIX esiècle, attirant un grand nombre de brillants linguistes et savantsvers ce domaine. En 1881, T.W. Rhys Davids a fondé la Pali TextSociety à Londres, qui s'est mise en devoir de publier et de traduirel'entièreté des ouvrages canoniques du bouddhisme théravâda, tâchetoujours en <strong>cours</strong> aujourd'hui. Sur le continent, toute une génération53


Cours 1 – La tradition du Bouddhade savants français, allemands et russes se sont attelés à réaliser lacompilation, l'analyse, la traduction et l'interprétation desenseignements bouddhiques écrits dans des langages aussi divers quele sanskrit, le chinois, le mongolien et le tibétain.À une époque où les découvertes scientifiques dérangeantes sefaisaient de plus en plus nombreuses et rapides, cette nouvellereligion est brusquement apparue comme venant de nulle part. En1853, l'écrivain français Felix Nève décrivait le bouddhisme comme« le seul adversaire moral que la civilisation occidentale rencontrera enOrient ». En fait, tandis qu'Arthur Schopenhauer découvrait dans lebouddhisme la consécration de ses propres idées philosophiques, queRichard Wagner envisageait (sans jamais mettre son projet àexécution) d'écrire un opéra bouddhique intitulé Die Sieger (Lesvainqueurs) et que Sir Edwin Arnold glorifiait le Bouddha dans sonpoème The Light of Asia, d'autres étaient profondément troublés parce qu'ils percevaient comme une religion sans Dieu et nihiliste. Parexemple, dans son œuvre populaire Le Bouddha et sa religion (1866),le philosophe Jules Barthélemy-Sainte-Hilaire, loin d'exalter lebouddhisme, affirme que « ce système hideux, ce matérialisme étriquémérite le dédain plutôt que l'étude ».Par ailleurs, au XIX e siècle, aucun des défenseurs enthousiastes dubouddhisme n'envisageait sérieusement de devenir bouddhiste.Même si Madame Blavatsky et Henry Steele Olcott, fondateurs de latrès à la mode société théosophique, ont adopté les préceptesbouddhiques à Ceylan en 1880 tout en restant laïcs, le bouddhismeest resté, au sein de leur vision du monde, un élément théosophiqueplutôt qu'un engagement spirituel à part entière. Les premiersengagements existentiels dans le bouddhisme, selon ses préceptes, nesont apparus que vers l’aube du XX ème siècle : des occidentaux sontpartis en Asie pour devenir moines ou pratiquants bouddhiques.Le premier européen à franchir le pas fut un Anglais, AllanBennett, qui a prononcé ses vœux monastiques en Birmanie en 1901et a reçu le nom d’Ananda Metteya. Trois ans plus tard, unAllemand, Anton Gueth, a également été ordonné en Birmanie. Sousle nom de Bhikkhu Nyanatiloka, il s'est rendu à Ceylan où, en 1911, ila fondé Island Hermitage, jetant ainsi les bases de la premièrecommunauté monastique pour les bouddhistes non asiatiques. Au<strong>cours</strong> des décennies suivantes, un petit nombre d'occidentaux ontsuivi leur exemple, soit en se faisant ordonner en Asie, soit enconstituant des associations bouddhiques laïques en Europe, surtouten Allemagne et en Grande-Bretagne. Alexandra David-Neel et, plustard, Ernst Hoffman (connu sous le nom de Lama Govinda) ontvoyagé dans l'Himalaya et au Tibet, s'imposant comme les premierseuropéens occidentaux à embrasser la pratique du bouddhisme54


Annexe 1 : Le bouddhisme en Occident, un bref historiquetibétain. La publication des écrits du philosophe japonais D.T. Suzukia permis de découvrir les premiers récits fiables sur le bouddhismemahâyâna et zen en anglais.Au <strong>cours</strong> des années 60, cet intérêt encore assez marginal pour leDharma pratiqué au sein de petits groupes de moines et de laïcs asoudain explosé dans un mouvement culturel et spirituel, touchantplusieurs milliers de personnes et préparant le terrain pour lapratique du bouddhisme tel que nous le connaissons aujourd'hui enOccident. Un certain nombre de facteurs sont responsables de cettesituation. Vers le milieu des années 60, une génération de jeunesgens et jeunes femmes oisifs, idéalistes et désorientés se sont rendusen Inde, au Népal, au Sri Lanka, en Asie du Sud-Est, au Japon et enCorée. Pendant leur séjour dans ces pays, plusieurs d'entre eux ontembrassé avec enthousiasme la tradition bouddhique. Cet exode aégalement coïncidé avec l'exil tragique du Dalaï-Lama et de près de100.000 Tibétains chassés de leur pays en 1959, et dont la plupart sesont installés dans des camps de réfugiés en Inde. La rencontreprolifique et féconde entre ces occidentaux et les traditionsbouddhiques a rapidement débouché sur la visite à leurs fidèlesrentrés au pays de moines théravâda, de maîtres zen et de lamastibétains dans le but de créer des centres bouddhiques.Depuis le début des années 70, dans toute l'Europe, l'Amérique etl'Australasie, la présence du bouddhisme comme tradition vivanteparmi les convertis non asiatiques n'a cessé de croître. Lorsque j'aiquitté l'Angleterre pour l'Inde en 1972, il n'y avait pas plus qu'unepoignée de centres bouddhiques en Europe : aujourd'hui, il estpratiquement impossible de les compter. Cette croissance rapide s'estaccompagnée de la parution d'un nombre considérable de livres,journaux, magazines, documentaires médiatiques ainsi que, cesdernières années, de l'apparition d'une communauté bouddhiquevirtuelle active sur l'Internet. « Les unions bouddhiques » se sontimplantées dans la plupart des pays européens où elles jouent le rôled'organisation fédératrice pour les différentes communautésbouddhiques de ces pays et créent les canaux nécessaires pour queles bouddhistes puissent interagir en tant que collectivité avec lesinstitutions de l'État.Il n'est plus nécessaire aujourd'hui de se rendre en Asie pourpratiquer le bouddhisme. Dans de nombreux pays occidentaux, il estpossible de recevoir une éducation dans la doctrine bouddhique,d'entreprendre des retraites de méditation extensives sous la féruled'enseignants qualifiés et de demander l'ordination de moine ouprêtre bouddhique. De plus, pour la première fois dans l'histoire dubouddhisme, l'accès à un vaste choix d'écoles bouddhiques estdevenu possible dans de nombreux pays. Non seulement l'Occident55


Cours 1 – La tradition du Bouddharencontre le bouddhisme, mais les bouddhistes sont mis en présencede bouddhistes d'autres traditions. En même temps, le bouddhismeentre en dialogue avec la chrétienté et d'autres cultes, ainsi qu'avecdes traditions philosophiques non confessionnelles et disciplinesséculaires comme la psychothérapie.Si, à juste titre, certains bouddhistes d'Occident se méfient del'accommodement de leurs pratiques spirituelles pour qu'elless'accordent avec les normes de la science et de la modernité, d'autress'inquiètent d'un excès de rigidité qui, pour préserver les formesasiatiques originelles traditionnelles, décourage certaines adeptesdésireux pourtant de s'inspirer du dharma. Les bouddhistes d'Asieexpriment des inquiétudes similaires. Les mouvements laïcs se sontdistancés de l'orthodoxie monastique constituant le courant principaldu bouddhisme et se concentrent sur les remèdes à trouver auxbesoins de ceux qui mènent une vie active au sein de nos sociétésmodernes et urbaines. Parallèlement, les idées, les pratiques etl'imagerie bouddhiques se diffusent constamment dans différentsdomaines de la vie contemporaine : aujourd'hui, vous pouvez êtreinitié à la méditation de la pleine conscience dans le cadre d'unprogramme thérapeutique, l'achat de tel ordinateur portable peutvous être suggéré parce qu'il a été approuvé par le Dalaï-Lama oul'on vous encouragera à « rester zen » si vous montrez des signes destress.Il est impossible de prédire où nous mènera cet intérêt. Dans unecertaine mesure, la fascination de l'Occident pour le bouddhisme faitpartie du même phénomène culturel de mondialisation qui a entraînél'engouement que l'on connaît pour le yoga, le tai-chi etl'acupuncture. D'aucuns pensent que les enseignements du Bouddhaproposent une manière pragmatique de trouver un sens spirituel à lavie dans nos sociétés séculaires où l'autorité des églises chrétienness'est considérablement effondrée. À l'heure actuelle, il n'est paspossible de dire si l'apparence du bouddhisme en Occident n'estqu'une mode spirituelle transitoire ou si elle marque le début d'undéveloppement totalement nouveau de la pensée et de la pratiquebouddhiques. Une chose est certaine: si le bouddhisme devait réussirà s'enraciner en Europe et en Amérique, il serait égalementtransformé dans son cheminement.56


Annexe 2 : L’harmonie, l’écologie de la vieANNEXE 2 : L’HARMONIE, L’ÉCOLOGIE DE LA VIECONTRIBUTION DE LA TRADITION DU BOUDDHA À L’ÉCOLOGIECONTEMPORAINELorsque ceci est, cela est; lorsque cela émerge, ceciémerge ; lorsque ceci n’est pas, cela n’advient pas; lacessation de cela entraîne la cessation de ceci. 1Bouddha ShâkyamuniL’écologie, entendue au sens large, met enévidence l’interdépendance fondamentale detous les phénomènes et notre intégration (doncen définitive notre dépendance) aux processuscycliques de la nature, en tant qu’individu etque société. 2Fritjof CapraCes deux déclarations énoncent la réalité de l’interdépendance. Unerévolution qui implique le dépassement de l’individualisme etl’intégration harmonieuse de l’humain dans la nature. La premièrecitation, du Bouddha Shâkyamuni qui vécu il y 2 500 ans en Inde et laseconde du scientifique contemporain Fritjof Capra, résument lesconvergences de vue sur la nature de la réalité telle que l’envisage leDharma, les enseignements du Bouddha, et l’écologie issue des sciencescontemporaines.La tradition du Bouddha est fondée sur la compréhension et le vécude l’interdépendance et de la compassion. Qu’est-ce que« l’interdépendance » ? C’est la réalité selon laquelle aucun phénomènen’existe en tant qu’entité indépendante, autonome, monolithique; aucunphénomène n’existe par lui-même, de lui-même et pour lui-même, pasmême « Moi ». Cette vision est holistique, c’est à dire globale ouuniverselle et a des implications immenses tant au niveau extérieur ence qui concerne la vision du monde dans lequel nous vivons,qu’intérieur au niveau personnel et dans la nature des relations quenous entretenons entre l’intérieur et l’extérieur, avec nous-même et nossemblables et avec notre environnement.Interdépendance holistiqueDans cette perspective de l’interdépendance holistique, toutes les1 MAJJHIMA NIKAYA I, p. 134, in Martine Batchelor & Kerry Brown, Buddhism andEcology, Cassel Publisher, USA, 1992.2 FRITJOF CAPRA, La Toile de la Vie, éd. du Rocher, 2003.57


Cours 1 – La tradition du Bouddharéalités de l’univers s’interpénètrent et se reflètent les unes dans lesautres de telle sorte qu’un atome dans l’ordre microscopique est àl’image de l’univers dans l’ordre macroscopique et qu’un atomecontient autant d’univers qu’un univers contient d’atomes... Cetenseignement est énoncé dans l’Avatamsaka sutra, un texte traditionnelparticulièrement influent dans la culture chinoise. Le tout, la totalité desphénomènes de l’univers y est comparé à un vaste filet de joyaux aucœur desquels siège l’intelligence que nous sommes :« Le filet impérial est fait de joyaux : les joyaux étant clairs,leurs images se reflètent les unes dans les autres, en unemultitude de reflet jusqu’à l’infini. Tous les joyauxapparaissent simultanément en un seul joyau et il en va demême pour chacun d’entre eux – ultimement il n’y a ni alléeni venue. Si vous siégez dans un joyau, alors vous siégez danstous les joyaux multipliés à l’infini dans toutes les directions.Pourquoi ? Parce qu’en un seul joyau sont tous les joyaux(...). » 1La compassion est la nature de l’interdépendanceCe que l’on appelle la compassion est la nature de cette expériencede l’interdépendance qui s’exprime dans la formule traditionnelle :« Tous les vivants aussi nombreux que vaste est l’espace sont nos propresmères ». C’est une façon engageante et sensible de dire que noussommes aujourd’hui, en tant qu’être humain, un maillon de la chaîne duvivant dont la genèse remonte aux origines de la vie; nous sommes doncles enfants de tous les vivants. La vie que nous sommes est redevable àtoutes les formes de vie. « Tous les vivants sont nos propres mères » estune expression de la solidarité de tous les vivants dans l’aventure de lavie. Dans cette perspective, la compassion est finalement la nature dulien, conscient ou inconscient, qui relie, (de gré ou de force !) tous lesêtres. Il ne s’agit pas d’une vision angélique niant la mort et la violencemais d’une intelligence qui comprend la vie – non pas comme lecontraire de la mort – mais comme naissance et mort. Dans laperspective du Bouddha la vie est un cycle sans début ni fin denaissance et de mort : naissance, croissance, dégénérescence et mort,renaissance et re-mort; printemps, été, automne, hiver, printemps... Etles conditions d’émergence de la vie que nous sommes, sont en un mot :harmonie. La délicate adéquation des systèmes physiologique,biologique, écologique qui rendent l’existence et son bonheur possiblesest harmonie. Une réalité que la science contemporaine et l’écologieredécouvre :1 In Buddhism and Ecology, Cassel Publishers, USA 1992, 11: Tu Shu, Cessation etcontemplation in the Five Teachings of the Huayen, Thomas Claery (éd), Entry intoInconcevable, University of Hawai Press, Honolulu, 1983, p. 66.58


Annexe 2 : L’harmonie, l’écologie de la vieToutes les communautés vivantes résultent de la coexistenceéquilibrée d'êtres arrivés à des stades fort divers de l'évolution, etjouant chacun leur rôle spécifique au sein de ces équilibres. (...)les plantes n'existeraient pas sans les micro-organismes, seulscapables de fixer l'azote atmosphérique. Les animaux dépendenttotalement des végétaux qui leur fournissent l'oxygène et lanourriture nécessaire à leur croissance et leur maintenance. Etque serait l'homme sans tous ces « prédécesseurs » dont il dépendentièrement ?Une hiérarchie rigoureuse et dynamique préside, on le voit, auxgrands équilibres de la nature. Le gui est lié à l'arbre qui le porte,comme tout parasite à son hôte, même s'il l'affaibli ; mais en letuant, il mourrait avec lui. Les carnassiers s'éteindraient si lanature n'avait doté leur proie d'un taux de féconditéremarquablement élevé, permettant un renouvellement généreuxdes populations. Les échanges alimentaires créent donc entre lesespèces des réseaux d'interdépendance d'une extrême complexitéque l'écologie moderne commence seulement à entrevoir, et où lalutte pour la nourriture ne s'exerce jamais au détriment desprocessus et des forces qui en limitent les effets. Car auquantitatif – les ressources disponibles – s'ajoute le qualitatif : ladiversité des espèces qui les exploitent; l'utile, l'économique,l'alimentaire, est au service du gratuit, de l'exubérance, de lafantaisie. En multipliant à l'envi les espèces, la nature assigne àchacune d'elles, avec une imagination sans limites, les conditionsparticulières par lesquelles elle exploite les ressources du milieuoù elle vit, ce qui, évidemment, limite leur concurrence. [...]On est loin, on le voit, du simpliste struggle for life, où chacuns'entre-dévore à belles dents. Car les équilibres de la nature sonttels que l'élimination pure et simple d'une espèce par une autre,du prédateur par la proie est pratiquement impensable. La lentedérive de l'évolution conduit à l'extinction, en quelque sorte parlangueur, des espèces vieillissantes. Mais la biologie ignorel'extermination brutale par simple compétition entre espèces ouau sein d'une espèce. Le génocide et l'ethnocide restent le tristeprivilège de l'homme, capable, dans sa folie et dans sa furie, denier totalement les principes de coopération au profit des seulsprincipes de compétition. 1La réalité de l’interdépendance démontre que les cloisonnementshermétiques et les antagonismes univoques n’existent pas dans lanature. La découverte de l’aspect artificiel des séparations permet deprendre conscience à quel point les représentations mentales finissent1 JEAN MARIE PELT, L’Homme Renaturé.59


Cours 1 – La tradition du Bouddhapar former une bulle humaine qui nous coupe de la réalité vivante. Lapercée de cette bulle ou sa transparence est ce qui ouvre auximplications existentielles de l’interdépendance, c’est-à-dire notrepleine participation à la réalité de l’autre que cela soit mon semblableou l’environnement. Cette dimension participative, empathique etcoopérative sont des aspects de ce que l’on appelle dans le Dharma« compassion ». C’est une dynamique de coopération, d’inter-être, quel’on retrouve à l’œuvre dans tout système vivant dont la dynamiquecentrale consiste à maintenir son harmonie interne et avec sonenvironnement, en d’autres termes à préserver son homéostasie.« Prends tes leçons dans la nature », disait Léonard de Vinci. S’il estvrai que l’harmonie préside à la vie de la nature, l’humain qui en faitpartie intégrante, tel un fil dans la toile de la vie, n’aurait qu’à imiter lanature pour réaliser ce à quoi il aspire de tout son coeur avec tous lesvivants : le bonheur, c’est-à-dire vivre en harmonie avec ses semblableset avec son environnement.De la même façon que la main et le resteSont considérés comme des membres du corps,De même, pourquoi les êtres vivantsNe sont ils pas considérés comme des membres de lavie ? 1Ainsi interdépendance et compassion, les deux principes fondateurset dynamiques de la voie du Bouddha sont des réalités « naturelles ».L’interdépendance signifie que l’individualisme si cher à notre époquemoderne, est une illusion contre nature. Ce fantasme d’un « individu »séparé et omnipotent est la source d’une lutte permanente qui consisteessentiellement à maintenir cette illusion de la séparation comme sic’était vital alors que c’est létal ! Bref, cette erreur d’appréciation duréel est, selon les enseignements du Bouddha, la source du mal-êtrepersonnelle et collectif. Le bonheur ne peut être réalisé en contradictionavec la réalité, il ne peut l’être qu’en harmonie avec celle-ci. C’est-à-diredans un esprit et une conduite altruiste. Car je ne peux réaliser monbonheur seul en l’opposant à celui d’autrui. Ceci est vrai au niveaupersonnel, familial, social, politique, géopolitique et écologique. Dans lemonde global que nous vivons, la défense des intérêts particuliers àcourt terme, ceux de l’humanité, en opposition à ceux de la planète,ceux des pays riches en opposition aux pays pauvres, les miens contreceux d’autrui, etc. sont des attitudes aveugles et suicidaires. Comme ledit le Dalaï-Lama :Dans ce contexte (celui de la globalisation) de nouvellesinterdépendances, prendre en compte les intérêts des autres est1 SHANTIDEVA, Bodhicaryavatara VIII, 11460


Cours 1 – La tradition du BouddhaSe réconcilier avec une perception justeVoilà donc une percée fondamentale sur les causes de la criseécologique qui est une crise de la perception. Cette analyse rejoint celledu Dharma pour expliquer la cause de la dysharmonie qui estl'ignorance. Une perception erronée vient d’une erreur d’appréciation etplus précisément de l’occultation ou de l’ignorance de la perceptionjuste.Existe-t-il un remède à cette crise ? Il y en a certainement plusieursauxquels participent la nouvelle conscience écologique planétaire et quiconcerne tous les domaines de la société.Quelle peut être la contribution de la tradition du Bouddha dans cecontexte ?D’une façon générale, la tradition du Bouddha dans sadimension universelle et holistique, est une tradition spirituelle etéthique non confessionnelle et agnostique. Dépassant les querellesthéologiques ou idéologiques, elle peut jouer un rôle de réconciliation :réconciliation de l’humain avec lui-même dans l’expérience del’interdépendance et de la compassion se substituant à la culpabilité ;réconciliation du corps et de l’esprit dans la découverte de leurharmonie non duelle ; réconciliation de l’humain et de la nature dansune écologie holistique ; réconciliation de la nature et de la culture dansune anthropologie fondamentale ; réconciliation de la pensée et de lavie dans une incorporation de l’activité sensorielle et mentale ;réconciliation de la science et de la spiritualité dans une alliance desintelligences ; réconciliation des traditions spirituelles et de la sociétédans une compréhension de l’unité dans la diversité, etc.L’art de rétablir la libre circulation des flux naturelsPlus concrètement, la tradition du Bouddha peut aussi nous aider àfaire l’expérience vécue de l’interdépendance et de la compassion et àchanger de mentalité pour redécouvrir une relation juste avec la terre.La vie est fondamentalement harmonie. Comprendrel’interdépendance qui relie tous les phénomènes et adopter uneattitude de non-agression est le plus sûr moyen de maintenir cetteharmonie en nous et de préserver les équilibres de notreenvironnement aux niveaux local et mondial.Il n’y a pas d’habitant sans habitacle, pas de vie sans milieuvital, l'habitant qu'est ce corps dépend de sa bio-niche et je suisfait de ce qui est autre que moi. La vie que je suis est autant làqu'ici. Et « là », c'est-à-dire la bio-niche autour de moi, est toutaussi importante pour ma vie que celle que je vis en moihabituellement ; c'est la même vie qui est une et tous les élémentsqui composent la vie sont interdépendants.L'art de rétablir la libre circulation des flux naturels peut aussi se62


Annexe 2 : L’harmonie, l’écologie de la vienommer « écologie sacrée » : l'harmonisation des terriens dansleur biosphère, la réintégration harmonieuse de l'homme dans sonmilieu. Il s'agit simplement de retrouver une relation saine avecson propre corps, le corps du souffle et le corps del'environnement. Il s’agit de redécouvrir le lien charnel qui nousunit à la terre et aux éléments et dans l'intelligence de l’unité,respecter la diversité, la variété, que ce soit celle des humains oucelle du vivant, la bio-diversité.Il s’agit aussi de retrouver l'amour de la terre mère. « Aime laterre comme toi-même, car tu es terre : de la terre tu es venu et àla terre tu retourneras, de la terre des ancêtres émergé, à la terredes ancêtres retourné. » Cette Terre qui, labourée, continuera àsoutenir la vie des enfants et de leurs enfants pour les générationsà venir. Il est ainsi vital pour l'espèce humaine que nousdéveloppions un lien émotionnel avec la terre mère, avec lanature.Face aux grands problèmes auxquels nous sommes aujourd’huiconfrontés, il convient de rappeler cet élément central qui est quele changement passe par celui des mentalités. Il s'agit d'opérerune révolution de mentalité. 1Pratiquer le Dharma : un acte géopolitiqueEnfin, les enseignements du Bouddha dont l’authenticité, lacohérence et l’opérativité ont été préservés de génération en générationjusqu’à aujourd’hui, peuvent nous apporter des moyens et desméthodes pratiques de transformation de soi et du monde. Ceux-ci sontfondés essentiellement sur trois apprentissages : une intelligencevisionnaire de la nature des phénomènes, une expérience profonde de lanature de la perception et une discipline éthique de non-violence.L’intelligence visionnaire se développe dans la compréhension del’interdépendance des phénomènes extérieurs et surtout dans ladimension cognitive de l’interdépendance. C’est-à-dire lacompréhension du fonctionnement de notre esprit ou des modalités dela connaissance. Il s’agit d’apprendre à découvrir la structure, le tissucognitif de notre expérience vécue et finalement de découvrir la naturede ce que nous sommes ou la nature de ce qui constitue nosperceptions: le sujet (celui qui perçoit) et l’objet (ce qui est perçu).L’expérience profonde de la perception se dévoile dans ce que l’onappelle la méditation ou plus justement contemplation. Il s’agitd’apprendre à rester immergé dans une présence sensorielle ouverte,claire et sensible; ouvert à l’expérience de la nature et de notre nature,1 DENYS RINPOCHÉ, Habitant et Habitacle, revue Dharma n° 49 : Écologie et Spiritualité,éd. Prajnâ, 2004.63


Cours 1 – La tradition du Bouddhad’instant en instant, dans la simplicité et l’authenticité. Les perceptionssensorielles sont les portes d’accès au réel. Les six sens (dont le mental)sont les domaines, la structure et les moyens d’une compréhensionauthentique de la nature et du rapport que nous entretenons avec notreenvironnement intérieur et extérieur.La discipline éthique est essentiellement la pratique de la nonviolencevis-à-vis de soi-même, d’autrui et de l’environnement. Elle estfondée sur la règle d’or qui dit « ne fais pas à autrui ce que tu nesouhaiterais pas que l’on te fasse ». L’éthique du Dharma est une éthiqued’harmonie et de santé qui aide à retrouver la santé fondamentalenaturelle inhérente à la vie. Il ne s’agit pas de cultiver le bien contre lemal mais de se rendre disponible et réceptif aux actes du corps, de laparole et de l’esprit, facteurs d’harmonie et de bonheur pour soi et pourautrui.Aujourd’hui, ce type de démarche, pratiquer le Dharma, est nonseulement un engagement personnel et intime libérateur mais aussi :Un acte géopolitique car tout ce que nous faisons ajoute oudiminue le fardeau que fait peser l’humanité sur la terre. C’estaussi un acte géopolitique, car étant donné la dévotioncontinuelle envers la consommation, l’une des actions les plusradicales que nous puissions mettre en œuvre dans notre sociétéest de consommer moins, de méditer assis tranquillement dansune pièce ou d’essayer et de voir clairement qui nous cherchons àêtre. Et enfin pratiquer le dharma est un acte géopolitique carcela offre un espace de travail en lequel nous pouvons demeurer àl’écart de l’agressivité de notre société et considérer desalternatives. 1L’éco-site d’Avalon et l’empreinte écologiqueEn effet les « centres du Dharma » dans le monde offrent cet espacede renouvellement de la relation de l’humain avec lui-même et avec lanature. Dans la méditation et l’action nombre d’entre eux, en Asie, auUSA et en Europe, tentent d’intégrer l’écologie dans leur mode defonctionnement quotidien (une éthique de solidarité, nourriturevégétarienne et biologique, transports partagés, énergie, habitat...).En France par exemple, le sangha Rimay œuvre depuis 25 ans àl’Institut Karma Ling, en le Domaine d’Avalon, à la réalisation d’un écositedédié à l’éducation à l’écologie intérieure et extérieure. Au coeurd’une vallée sauvage de Savoie à 800 m d’altitude, le site qui comprend55 hectares de forêt s’est développé autour d’une ancienne chartreuse etd’un temple traditionnel, « la Maison de la Sagesse » avec des centresde retraites et un ensemble de petit chalets nichés dans les bois. L’éco-1 PETER TIMMERMAN, It is Dark outside, Western Buddhism from Enlightenment to globalcrisis, in: Martine Batchelor & Kerry Brown, Buddhism and Ecology, Cassel Publisher,USA, 1992.64


Annexe 2 : L’harmonie, l’écologie de la viesite d’Avalon est un lieu de vie, de découverte et d’apprentissage d’uneperception juste et profonde de l’interdépendance. Son activitéprincipale, conduite sous la direction spirituelle de Lama DenysRinpoché, consiste en la transmission des enseignements du Bouddhadans la tradition Mahamudra-Dzogchen du bouddhisme tibétain. Cettetransmission se réalise dans un esprit d’ouverture à l’environnementcontemporain qui allie la contemplation, l’étude, l’activité au sein del’éco-site et l’organisation de rencontres inter-traditions ettransdisciplinaires qui réunissent plusieurs fois par an des représentantsdes traditions spirituelles (musulmans, chrétiens, autochtones, etc.) ethumanistes (scientifiques, philosophes, artistes, etc.).Sur le plan de l’écologie pratique, l’éco-site est géré selon le formatd’un Agenda 21 selon un plan d’action qui répond à un cahier descharges comprenant :– la stratégie énergétique allant vers une autonomie ;– l’isolation de l’habitat ;– l’économie d’énergie : température dans les locaux à 15°Cmaximum, véhicules communautaires ;– l’alimentation en produits biologiques pour partie produits surplace ou autant que possible de proximité ;– le développement du potager et du verger ;– le tri des déchets ;– l’utilisation de produits d’entretien écologiques ;– un plan de gestion de la forêt proche de la nature, la mise envaleur de la richesse botanique et l’aménagement de par<strong>cours</strong>contemplatifs ;– l’harmonie et l’esthétique des lieux ;– le travail en réseau local et international.L’empreinte écologique 1 de l’Institut Karma Ling, calculée lors du« forum Écologie et spiritualité » 2 en octobre 2004, correspond à 3hectares par personnes alors que la moyenne française est de 5,6hectares par habitants.Cela signifie que si tous les habitants de la terre vivaient comme unfrançais, il faudrait trois planètes pour répondre à la consommation deressources et au besoin d’absorption des déchets. Si tous les habitants dela terre vivaient comme à l’Institut Karma Ling il faudrait encore un peuplus d’une planète pour subvenir aux besoins de tout le monde.Cependant ramené à la bio-capacité du territoire français qui est de 3hect/habitant, l’empreinte de l’Institut Karma Ling est équilibrée. Ceschiffres sont encourageants mais encore très insatisfaisants car le pointd’équilibre au niveau planétaire est de 1,9 hect/habitant. Il faut donc1 L’empreinte écologique mesure la pression qu’exerce l’homme sur la nature;calculer votre empreinte écologique sur : www.wwf.fr2 Consulter le livre : Écologie et spiritualité : la rencontre, éd. Yves Michel.65


Cours 1 – La tradition du Bouddharéduire l’empreinte écologique de l’Institut d’au moins 1 point pourparvenir au but que l’Institut s’est fixé, c’est-à-dire montrerconcrètement que l’établissement d’une communauté contemporaineviable est possible et de devenir par là même un éco-site piloted’éducation à l’écologie holistique.Pour réaliser ce projet au niveau global, il n’est pas nécessaire detout réinventer mais plutôt de s’inspirer des sagesses anciennes et deréapprendre à penser et à agir. Il s’agit d’appliquer à tous les niveaux dela société les fruits des découvertes scientifiques et d’utiliserintelligemment les outils technologiques, tout en renouant avec lesracines intemporelles et le pragmatisme respectueux de la nature destraditions ancestrales au service de l’harmonie individuelle et collective.L. LhündrupL'ensemble de ce document et de son contenu sont soumis au droits d'auteur, tous les droits sontréservés à la communauté Dashang Rimay.66

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!