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cahiers de l'action culturelle - Animation et recherche culturelles ...

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CAHIERS DE L’ACTIONCULTURELLEphoto par Robert EdwardsLaboratoire d’animation <strong>et</strong> <strong>recherche</strong> <strong>culturelle</strong>s (LARC)Université du Québec à Montréal (UQÀM)Volume 3, numéro 1, septembre 2004Équipe éditoriale :Jocelyne Lamoureux (responsable),Ilia Castro <strong>et</strong> Charles Rajotte


En page couverture :El Circo <strong>de</strong>l mundo – ChiliC<strong>et</strong>te école du cirque social offre aux jeunes <strong>de</strong> la rue « ledéfi du risque contrôlé au lieu du risque hasar<strong>de</strong>ux <strong>et</strong> sansfutur <strong>de</strong> la rue ».http ://www.elcirco<strong>de</strong>lmundo.comNos remerciements les plus chaleureux pour le soutien apporté à ce numéro à :Jean-Clau<strong>de</strong> Gill<strong>et</strong>, responsable <strong>de</strong> la publication <strong>de</strong>s actes du colloque <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux, au groupeinterdisciplinaire <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> sur les Amériques (GIRA) <strong>et</strong> à l’ARUC Économie sociale <strong>de</strong>l’UQAM pour le soutien matériel. Un merci tout spécial à Ilia Castro pour le contact avec lesauteurs <strong>de</strong> ce numéro <strong>et</strong> pour les innombrables heures <strong>de</strong> traduction <strong>et</strong> à Sylvain Bédard pour lamise en page.


Table <strong>de</strong>s matièresPrésentations______________________________________________________1Présentation du numéro, par Jocelyne Lamoureux................................. 1Présentation du colloque, par Jean-Clau<strong>de</strong> Gill<strong>et</strong> .................................. 2Séance inaugurale, par Marcel Bolle <strong>de</strong> Bal ........................................... 6États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animation ______________________________________18Argentine : un pays <strong>de</strong> contradictions, par Pablo Waichman................. 18<strong>Animation</strong> <strong>et</strong> éducation populaires au Brésil 1960 – 2000, par LuizEduardo W. Wan<strong>de</strong>rley........................................................................ 24Rapport sur l’état <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animation socio<strong>culturelle</strong> au Chili, parAntonio Elizal<strong>de</strong> Hevia, sociologue, <strong>et</strong> Rodrigo Elizal<strong>de</strong> Soto, psychologue..... 34« <strong>Animation</strong> sociale » tendances <strong>et</strong> tensions en Équateur, par AlfredoAstorga .............................................................................................. 39L’action (ou animation) <strong>culturelle</strong> dans la Cité : État <strong>de</strong>s lieux auQuébec, par Jocelyne Lamoureux.......................................................... 46Paroles singulières ________________________________________________50« Sainement folles <strong>et</strong> follement saines », par Mariano Algava ................ 50Synthèse d’une entrevue électronique avec Alfredo Astorga, professeurassocié à l’Université Andine, Quito, Équateur, par Simón Bolivar....... 54Entrevue électronique avec Gustavo Coppola, par Ilia Castro .............. 56Créant <strong>de</strong>s liens entre l’éducation physique au loisir dans un proj<strong>et</strong>réalisé pour adolescents en situation <strong>de</strong> risque en Barra da Tijuca, parEdmundo <strong>de</strong> Drummond Alves Júnior .................................................... 58Citoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong> mouvement communautaire au Québec : théâtralisation <strong>et</strong>figuration d’autres scènes du politique, par Jocelyne Lamoureux ................... 65Synthèse <strong>de</strong>s ateliers ______________________________________________70<strong>Animation</strong>, citoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong> démocratie, par Sophie Dargelos .................. 70<strong>Animation</strong>, développement, territoires <strong>et</strong> gouvernance locale, par LucGreffier .............................................................................................. 72Bénévolat, volontariat, engagement <strong>et</strong> professionnalisation <strong>de</strong>s acteurs.Quelles formations ?, par YVES RAIBAUD......................................... 74Éducation populaire, temps libre, recréation <strong>et</strong> animation, par Jean-MarieMignon.............................................................................................. 76


Conclusion ______________________________________________________80Des perspectives à poursuivre autour <strong>de</strong>s enjeux sur l’animation : biland’un colloque en forme d’ouverture, par Jean-Pierre Augustin ...............80Conclusions du colloque, par Jean-Clau<strong>de</strong> GILLET..............................822


Présentation du numéro,par Jocelyne LamoureuxPrésentationPrésentation du numéro,par Jocelyne LamoureuxL’ANIMATION CE N’EST PAS REMPLIR UNVASE MAIS ALLUMER UN FEU 1On se souviendra un jour en faisant l’histoire <strong>de</strong>l’animation sociale <strong>et</strong> <strong>culturelle</strong>, <strong>de</strong> l’audacieuse <strong>et</strong>heureuse initiative que fût le 1 er Colloque internationalsur « l’<strong>Animation</strong> en France <strong>et</strong> ses analogies àl’étranger » tenu à l’automne 2003, à Bor<strong>de</strong>aux,France. C<strong>et</strong> événement exceptionnel, c<strong>et</strong>te « utopieréaliste », a rassemblé pour trois jours <strong>de</strong> rencontres,d’échanges, <strong>de</strong> débats, d’effervescence, plus <strong>de</strong> 200participantEs, provenant d’une vingtaine <strong>de</strong> pays. Unecentaine <strong>de</strong>s communications réparties dans plusieurspanels faisant l’état <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animation dans diversescontrées du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> dans quatre grands ateliersthématiques ont constitué la « substantifiquemoelle » suscitant discussions <strong>et</strong> amorce <strong>de</strong> compréhension<strong>et</strong> <strong>de</strong> comparaison.Quelques unEs d’entre nous, du programmed’<strong>Animation</strong> <strong>et</strong> <strong>recherche</strong> <strong>culturelle</strong>s avons eu le privilège<strong>et</strong> le bonheur <strong>de</strong> participer à ces travaux. Nousavions alors juré d’en faire part, coûte que coûte, àl’ensemble <strong>de</strong>s enseignantEs <strong>et</strong> étudiantEs d’ARC –d’où ce numéro double <strong>de</strong>s Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong><strong>et</strong> ce colloque « Les altermétiers : les pratiquesinternationales d’animation <strong>culturelle</strong> » (AmériqueLatine) se tenant simultanément au lancement <strong>de</strong> laprésente revue.COMMENT EST CONÇU CE NUMÉRO ?Que trouvera-t-on ici rassemblé ? D’abord en guised’ouverture, <strong>de</strong>ux textes, le premier <strong>de</strong> Jean-Clau<strong>de</strong>Gill<strong>et</strong>, l’un <strong>de</strong>s organisateurs du colloque <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux<strong>et</strong> professeur inspirant certains <strong>de</strong>s enseignements enARC <strong>et</strong> l’autre <strong>de</strong> Marcel Bolle <strong>de</strong> Bal, conférencierinvité. Nous passons ensuite à l’état <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong>l’animation au Québec mais surtout en Amérique Latinequi constitue la zone sur laquelle nous avonschoisi <strong>de</strong> nous concentrer. Pablo Waichmand’Argentine, Luiz Wan<strong>de</strong>rley du Brésil, Antonio Elizal<strong>de</strong>Hevia du Chili <strong>et</strong> Alfredo Astorga <strong>de</strong> l’Équateur,nous invitent à saisir le contexte, les perspectives historiques<strong>et</strong> les défis posés 2 . Suit ensuite une section1 Jean-Pierre AUGUSTIN. Discours <strong>de</strong> clôture du Colloque.2 Dans <strong>de</strong>s numéros ultérieurs <strong>de</strong>s Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>nous poursuivrons l’exploration avec d’autres expérienceslatinoaméricaines mais aussi avec celles du Liban,<strong>de</strong> la France <strong>et</strong> d’ailleurs.faisant le point sur certaines pratiques singulièresd’animation en Argentine, au Brésil <strong>et</strong> au Québec <strong>et</strong>offrant <strong>de</strong> courtes entrevues avec <strong>de</strong>ux intervenants :<strong>de</strong> l’Argentine <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Équateur, Gustavo Coppola <strong>et</strong>Alfredo Astorga. Une quatrième partie est constituée<strong>de</strong>s importantes synthèses <strong>de</strong>s quatre ateliers thématiquesportant sur l’animation en regard <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>édémocratique, du développement territorial<strong>et</strong> <strong>de</strong> la gouvernance locale, <strong>de</strong> l’éducation populaire,du temps libre <strong>et</strong> la récréation <strong>et</strong> enfin du bénévolat <strong>et</strong><strong>de</strong> la formation professionnelle. En tout <strong>de</strong>rnier lieu,les figures <strong>de</strong> proue du colloque, les capitaines du navire-école,Jean-Pierre Augustin <strong>et</strong> Jean-Clau<strong>de</strong> Gill<strong>et</strong>nous livrent leurs conclusions.Mais au-<strong>de</strong>là d’une structure en cinq parties tentant<strong>de</strong> refléter le déroulement du colloque <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux,c’est bien évi<strong>de</strong>mment les analyses, les questionnements<strong>et</strong> les perspectives sur l’animation qui sont crucialesdans ce numéro <strong>de</strong>s Cahiers. Qu’y apprend-on,entre autres ? Que le champ <strong>de</strong> l’animation est vaste<strong>et</strong> en perpétuelle interrogation sur ce qui le définit ;qu’il est quasi impossible d’en parler sans tenircompte qu’il est toujours profondément façonné parles histoires nationales <strong>et</strong> régionales, tributaires, dans<strong>de</strong> très nombreux pays, <strong>de</strong> traumatismes plurielscomme <strong>de</strong>s coups d’État militaires, <strong>de</strong>s ingérencesétrangères, <strong>de</strong>s révolutions <strong>et</strong> dans d’autres contrées,sur un mo<strong>de</strong> bien sûr plus léger, <strong>de</strong> formes diversesd’institutionnalisation <strong>et</strong> professionnalisation ; que ses« publics » sont souvent les enfants <strong>et</strong> les jeunes ou<strong>de</strong>s communautés exclues <strong>de</strong> la parole <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action,ceux <strong>et</strong> celles toujours <strong>de</strong>finiEs dans la logique <strong>de</strong>sbesoins <strong>et</strong> non <strong>de</strong>s droits, les groupes <strong>de</strong> personnesappauvries, « étrangères » marginalisées, les nonpublics,trous noirs <strong>de</strong> la démocratisation <strong>culturelle</strong>.Encore que les Argentins insistent ici pour dire que lemot « populaire » ne signifie ni peuple dans son sensclassique ni opprimé, mais fait « référence au suj<strong>et</strong> quiconstruit le proj<strong>et</strong> politique <strong>et</strong> pédagogique qui mèneà son émancipation 3 ».UNA PEDAGOGÍA DE LA INDIGNACIÓN, DELA REBELDÍA, DE LA AUTONOMÍA Y DE LALIBERTADIl en a été effectivement beaucoup questiond’émancipation comme nous le verrons dans les textesqui suivent. Comment a-t-on tenté <strong>de</strong> définir, entreautres, l’animation ? Ce qui la distinguerait parmi lapléia<strong>de</strong> <strong>de</strong>s métiers ou <strong>de</strong>s conceptions du social <strong>et</strong> <strong>de</strong>la culture c’est sa démarche <strong>et</strong> ses approches collectives.Elle peut être un espace d’imagination créatrice,un lieu <strong>de</strong> parole, <strong>de</strong> réflexion critique conduisant àl’action, une pédagogie <strong>de</strong> la liberté, un processus toutaussi important que le produit fini, un lieu extraordinairepour <strong>de</strong> nouvelles voies <strong>de</strong> rencontre, <strong>de</strong> redéfinition,<strong>de</strong> dialogue, <strong>de</strong> production <strong>de</strong> savoir dans3 Mariano ALGAVA. « Sainement folles <strong>et</strong> follement saines».Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 1


Présentationl’action, « une médiation mobilisatrice entre une réalitéenvironnante <strong>et</strong> une conscience critique »(AUGUSTIN <strong>et</strong> GILLET), un moment complexed’accouchement <strong>de</strong> soi à soi, <strong>de</strong> soi à l’autre, <strong>de</strong> soi aumon<strong>de</strong>. Mais on a fait remarquer aussi que l’animationpeut-être un mot creux ou encore une voie royale <strong>de</strong>consolidation <strong>de</strong>s cultures hégémoniques…Ce qui semble se dégager cependant c’est qu’aucœur <strong>de</strong> l’animation sociale, <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, <strong>de</strong>l’éducation populaire, du loisir <strong>et</strong> temps libre s<strong>et</strong>rouve c<strong>et</strong>te volonté que les individus <strong>de</strong>viennent suj<strong>et</strong>s,qu’ils puissent faire sens <strong>de</strong> leur vécu <strong>et</strong> le transformeren expérience, <strong>de</strong>venir enfin, acteurs, actricesen mesure <strong>de</strong> se réapproprier individuellement <strong>et</strong> collectivementl’orientation <strong>de</strong> leur vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> leurcommunauté.Si un colloque <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ampleur avait eu lieu dansles années ‘70, le thème principal du débat aurait étésans doute « L’animation : intégration ou subversion» tant l’analyse binaire entre réforme <strong>et</strong> révolution,récupération <strong>et</strong> transformation était prégnante.En 2003, il nous a semblé que si s’opposent dans lesdébats encore les tenants <strong>de</strong> la dimension sensorielle,<strong>de</strong> l’esthétique <strong>culturelle</strong> <strong>et</strong> ceux <strong>et</strong> celles prônant ladimension éducative <strong>et</strong> la représentation du mon<strong>de</strong> ; sise confrontent encore professionnalisation <strong>et</strong> militance,ce qui frappe, c’est qu’une fois que les perspectivesinsurrectionnelles, les vagues transformatriceseurent démontré leurs terribles limites, on r<strong>et</strong>rouveenfin une volonté d’adm<strong>et</strong>tre les tensions, les paradoxes,les interactions « entre les déterminants probables<strong>et</strong> les interventions possibles d’un acteur social» comme le dit si bien Gill<strong>et</strong>.On constate aussi une urgence d’explorer <strong>de</strong> nouvellessensibilités, <strong>de</strong> nouvelles formes d’organisation,<strong>de</strong>s espaces alternatifs <strong>de</strong> participation, <strong>de</strong>s lecturesplus justes du mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s visions autres du temps <strong>et</strong><strong>de</strong>s stratégies. Il semble que dans plusieurs pays, lesluttes <strong>de</strong>s femmes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s peuples indigènes, la nouvelleconscience écologiste ont été <strong>de</strong>s déclencheurs<strong>de</strong> réflexions salutaires <strong>et</strong> créatrices, ont produit <strong>de</strong>nouveaux espaces <strong>de</strong> subjectivation perm<strong>et</strong>tantd’espérer sortir <strong>de</strong> l’échec, <strong>de</strong> l’aliénation <strong>et</strong> <strong>de</strong> la docilité.Le subjectif <strong>et</strong> le quotidien réapparaissent enfin,les thèmes cruciaux <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong> <strong>de</strong>l’approfondissement <strong>de</strong> la démocratie aussi.POURQUOI L’ACCENT SUR L’AMÉRIQUELATINE ?Nous sommes partiEs à Bor<strong>de</strong>aux avec déjà en tête<strong>de</strong> j<strong>et</strong>er un regard privilégié sur les représentations <strong>et</strong>pratiques lationoaméricaines <strong>et</strong> avec le désir <strong>de</strong> travaillersi possible à nous réseauter avec elles. Nousétions peut-être du Nord mais l’esprit <strong>de</strong>s résistancesà la globalisation ultra-libérale, aux accords iniquesnord-sud <strong>de</strong> libre-échange nous animait. Qu’avonsnousdécouvert en écoutant, discutant <strong>et</strong> fréquentantles compagnes <strong>et</strong> compagnons latinoaméricainEs ducolloque <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux ? Une exceptionnelle vitalité unesprit chaleureux <strong>et</strong> festif, un impératif <strong>de</strong> renouvelerla pensée <strong>et</strong> l’action qui nous a beaucoup interpelléEs.Mais par-<strong>de</strong>ssus tout, c’est comme si nous avions r<strong>et</strong>rouvéun maillon important <strong>de</strong> notre propre histoire<strong>de</strong> l’animation <strong>culturelle</strong>. Nous affirmions jadis, en réfléchissantaux perspectives historiques, quel’animation <strong>culturelle</strong> d’ici était tributaire <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxgrands-parents : l’éducation populaire <strong>et</strong> le développement<strong>de</strong> l’animation socio<strong>culturelle</strong> en France <strong>et</strong>,d’autre part le récréationnisme américain dans sa versionla moins aliénée valorisant les initiatives <strong>de</strong> la sociétécivile <strong>et</strong> l’importance <strong>et</strong> la symbolique du jeu.Mais voilà que nous avons pris conscience <strong>de</strong> l’énormeimpact qu’on pu avoir les théories <strong>et</strong> pratiques nousvenant <strong>de</strong> l’Amérique Centrale <strong>et</strong> du Sud. De PauloFreire, l’inspirateur, ici aussi, <strong>de</strong> l’éducation populaireà Augusto Boal <strong>et</strong> son théâtre forum si présent dans ledéveloppement du théâtre d’intervention au Québec ;<strong>de</strong>s initiatives socio<strong>culturelle</strong>s <strong>de</strong>s tenants <strong>de</strong> la pastoralesociale <strong>et</strong> ouvrière ou CELLES façonnées <strong>de</strong>sidées marxistes : <strong>de</strong> grands pans <strong>de</strong> notre propre histoiresont tributaires <strong>de</strong> ces influences. Re-bienvenuedonc chez nous à nos cousinEs d’Amérique Latine !Présentation du colloque,par Jean-Clau<strong>de</strong> Gill<strong>et</strong>Professeur en sciences <strong>de</strong> l’éducation (Université <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux 3),coordonnateur du comité scientifique du colloque.Extraits <strong>de</strong> la présentation du colloque : « L’enjeu principal <strong>de</strong>l’animation : penser l’agir local <strong>et</strong> agir le penser global »,[…] J’ai intitulé mon intervention concernantl’action <strong>de</strong>s animateurs : « Penser l’agir local <strong>et</strong> agir lepenser global ».Chacun aura reconnu ici une prolongation <strong>de</strong> lafameuse phrase <strong>de</strong> René Dubos, ce mé<strong>de</strong>cin <strong>et</strong>biologiste américain d’origine française, ayant reçu en1972 le Prix international <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> la Vie. Il aélaboré une approche <strong>de</strong> la maladie <strong>de</strong> typesystémique <strong>et</strong> interactionniste. Il nous invite àconsidérer qu’il ne peut y avoir compréhension dutout sans comprendre toutes les parties, ni <strong>de</strong>s partiessans comprendre le tout. Pascal l’avait déjà signifié :« Je tiens pour impossible <strong>de</strong> connaître les parties si je neconnais pas le tout, comme <strong>de</strong> connaître le tout si je neconnais pas les parties ».Que signifie c<strong>et</strong>te orientation ? Je propose <strong>de</strong>l’interpréter selon 3 mo<strong>de</strong>s, dans une perspectiveconstructiviste qui, plutôt qu’une théorie qui serait unensemble <strong>de</strong> propositions formalisées (sur le modèledu langage mathématique hypothético-déductif)revendique une heuristique qui relève <strong>de</strong>significations proposées où le critère <strong>de</strong> vérité estremplacé par le critère d’adéquation du modèle auréel. Je suis donc éloigné en ce sens d’uneépistémologie positiviste <strong>et</strong> me refuse à séparercomportements <strong>et</strong> proj<strong>et</strong>s, moyens <strong>et</strong> fins,phénoménologie <strong>et</strong> téléologie, expériences <strong>et</strong>intentions humaines, valeurs <strong>et</strong> opérationnalité dans2 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Présentation du colloque,par Jean-Clau<strong>de</strong> Gill<strong>et</strong>l’action. Je vous renvoie ici aux <strong>recherche</strong>s <strong>de</strong> Jean-Louis Le Moigne sur la modélisation <strong>de</strong>s systèmescomplexes.C<strong>et</strong>te orientation signifie d’abord décloisonner,éviter les séductions du localisme qui, comme l’écrit lesociologue Jean-Etienne Charlier (professeur invité àl’Université Catholique <strong>de</strong> Louvain), n’est pastoujours un échelon pertinent pour dégager le plusfacilement le bien commun. De plus, si les acteurssociaux limitent leurs échanges par la constitution <strong>de</strong>réseaux au niveau local <strong>et</strong> territorial, ils risquent <strong>de</strong>laisser d’autres instances (nationales <strong>et</strong>internationales) déci<strong>de</strong>r le cadre à l’intérieur duquelils auront à se développer. Le local ne peut avoir uneautonomie relative qu’à l’intérieur d’un ensemble plusvaste, plus général, <strong>et</strong> pour dépasser les seuls niveauxà court ou à moyen terme, ce que J.E. Charlier appelle« l’insularisation », même s’il est souhaitable <strong>de</strong>construire une i<strong>de</strong>ntité locale forte (1988).Bien que dissymétriques <strong>et</strong> fort loin <strong>de</strong>l’horizontalité parfois, les tendances opposées <strong>de</strong>construction <strong>de</strong> la société par le haut <strong>et</strong> par le bas n’ensont pas moins constituées <strong>de</strong> rapportsd’interdépendance. Ces <strong>de</strong>rniers font émerger unbesoin d’autonomie <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s individus <strong>et</strong> <strong>de</strong>sgroupes, <strong>et</strong> il y a toujours chez les acteurs sociaux unbesoin <strong>de</strong> relation plus décentralisée, plus horizontale,à interpréter davantage comme un besoin d’i<strong>de</strong>ntité,d’expression, <strong>de</strong> création, <strong>de</strong> responsabilité, quecomme une <strong>recherche</strong> réduite au seul individualisme,narcissisme <strong>et</strong> égocentrisme. Le local, le microsocialdoit être envisagé <strong>de</strong> façon i<strong>de</strong>ntique : il a unespécificité propre <strong>et</strong> la logique sociétale centrale peutlui être extérieure. Mais cela ne signifie pas qu’il doivese désintéresser du centre.Pour les animateurs, le local perm<strong>et</strong> lareprésentation <strong>de</strong> possibles (les « révolutionsminuscules » titrait la Revue Autrement au début <strong>de</strong>sannées 80), puis leur réalisation, mais il leur faut agirdans une vision conjuguée, articulée, dialectique entrecentre <strong>et</strong> périphérie, car <strong>de</strong>s questions essentiellestelles que la crise <strong>de</strong> l’emploi, <strong>de</strong> l’éducation ou lechangement <strong>de</strong> mentalités <strong>et</strong> <strong>de</strong> cultures ne peuventêtre abordées <strong>et</strong> résorbées seulement au niveau local.L’animateur peut ai<strong>de</strong>r à la construction <strong>de</strong> zones <strong>de</strong>compromis entre « réseaux <strong>et</strong> hiérarchies » à l’image du« désordre <strong>de</strong> la vie sur le terrain », comme l’écrit Clau<strong>de</strong>Neuschwan<strong>de</strong>r (1991). Créer du « liant social »,restaurer <strong>de</strong>s « médiactions », comme je l’ai écrit parailleurs, <strong>de</strong>s interfaces entre individus <strong>et</strong> États, éviterla marginalisation <strong>de</strong> la société active <strong>et</strong> <strong>de</strong>ssolidarités vicinales, affinitaires, tribales, claniques oucommunautaristes, bref, articuler micro <strong>et</strong> macrosocial, tel est le sens que l’animation offre, ce queFrançois Dub<strong>et</strong> évoque dans c<strong>et</strong>te phrase : « Faire <strong>de</strong>la musique ensemble, tout en restant nous-mêmes ». Ce quej’appelle pour ma part l’instauration <strong>de</strong> transversalitéscommunicantes.Pour éviter la suprématie <strong>de</strong>s passions sur la raison,l’animation doit perm<strong>et</strong>tre ce passage <strong>de</strong> la rue auquartier, du quartier au village ou à la ville, <strong>de</strong> la villeà l’État <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’État au mon<strong>de</strong>. Il ne suffit donc pas,par les initiatives <strong>de</strong> gouvernance locale, <strong>de</strong> recréer dulien social horizontal : c’est le lien politique,producteur <strong>de</strong> lien social vertical, par lescontrepouvoirs ainsi suscités par le jeu <strong>de</strong>s acteurs,qui est interrogé. C’est la question <strong>de</strong> la démocratieavec ses mo<strong>de</strong>s d’entrelacement « d’espaces publicsautonomes <strong>et</strong>, <strong>de</strong> l’autre, les sphères d’action à traversl’argent <strong>et</strong> le pouvoir administratif », qui <strong>de</strong>vientcentrale, écrit Jurgen Habermas (1990).Voilà une <strong>de</strong>s raisons qui explique la tenue <strong>de</strong> cepremier colloque international dans un contexte <strong>de</strong>globalisation <strong>et</strong> d’altermondialisation à une semainedu Forum Social Européen <strong>de</strong> Saint-Denis.Et ce contexte-là n’est pas neutre : le <strong>de</strong>rnierrapport du programme <strong>de</strong>s Nations Unies pour ledéveloppement, qui est paru le semestre <strong>de</strong>rnier, nousrappelle queplus d’un milliard <strong>de</strong> personnes vivent encore dans l’extrêmepauvr<strong>et</strong>é, <strong>et</strong> nombre d’entre elles voient leur niveau <strong>de</strong> vie régresserconstamment… Les 1 % les plus riches obtiennent autant que les57 % les plus pauvres. […] Les 25 millions d’Américains les plusaisés disposent d’un revenu équivalent globalement à celui <strong>de</strong>squelques 2 milliards d’habitants les plus pauvres <strong>de</strong> la planète.Dans c<strong>et</strong>te assemblée, nombre <strong>de</strong> latino-américainspeuvent nous parler <strong>de</strong>s habitants <strong>de</strong>s favellas, <strong>de</strong>stugurios, <strong>de</strong>s ranchos, <strong>de</strong>s villas miserias, <strong>de</strong>s ciuda<strong>de</strong>sperdidas, <strong>de</strong>s cantagriles (nom du bidonville selon lespays). J’ai pu i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong>s o<strong>de</strong>urs, <strong>de</strong>s couleurs, <strong>de</strong>svisages dans c<strong>et</strong>te Colombie, par exemple, aux200 000 morts <strong>de</strong>puis 40 ans (mais seulement 20 %semblent dues à la guerre civile), dans ce Pérou où54 % vivent en <strong>de</strong>ssous du seuil <strong>de</strong> pauvr<strong>et</strong>é, 60 % enÉquateur, dans ce Brésil où 1/3 <strong>de</strong> la population vitavec moins <strong>de</strong> 1$ par jour, dans c<strong>et</strong>te Argentine oùplus d’un tiers <strong>de</strong> la population est sans travail ousous-employée, <strong>et</strong> où 20 millions d’Argentins sontpauvres sur 37 millions d’habitants, avec uneaugmentation <strong>de</strong> 40 % en 1 an, dans ce Mexique où,avec ses 54 millions <strong>de</strong> pauvres environ sur 96millions d’habitants, dans ce Guatemala où 20 % <strong>de</strong> lapopulation contrôle 80 % <strong>de</strong>s richesses, dans ceCaracas, au Venezuela, où l’économie souterrainereprésente 60 % <strong>de</strong> l’activité économique <strong>de</strong> la ville.Et comment ne pas parler <strong>de</strong> la vente <strong>de</strong> 400 voituresblindées par mois au Brésil, 170 au Mexique, 150 enColombie, où aussi dorénavant les détenteurs <strong>de</strong>capitaux, les propriétaires terriens <strong>et</strong> les industriels,les hauts fonctionnaires, les politiques commencent àse déplacer en hélicoptère sur les terrasses <strong>de</strong>simmeubles urbains pour éviter les risques <strong>de</strong>l’embouteillage <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’attaque à n’importe quel feurouge. Et certains viendront nous expliquer,tranquillement, qu’il n’y a pas <strong>de</strong> lien direct entrerichesse <strong>et</strong> pauvr<strong>et</strong>é, entre inégalités sociales <strong>et</strong>délinquance. Les quelques africains présents dans lasalle pourraient eux aussi ajouter nombre d’élémentsCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 3


Présentationà ce panorama. En résumé, comme l’expliquaitBernard Charlot, professeur en Sciences <strong>de</strong>l’Éducation au Forum Mondial surl’Éducation, nombre <strong>de</strong> pays sont placés face à cedilemme : « Payer la <strong>de</strong>tte extérieure ou donner uneéducation à tous ».Je me souviens aussi du cri <strong>de</strong>s paroles d’un tangoentendu dans la région du Rio <strong>de</strong> la Plata : « Nousvivons dans un tourbillon écumeux <strong>et</strong>, dans la même boue,tous manipulés ».* * *Pour les animateurs, une <strong>de</strong>uxième interprétation<strong>de</strong> la phrase <strong>de</strong> René Dubos est possible : après cellequi consiste à refuser un localisme sans globalisation,elle nous invite à résister à une spécialisation forcenéequi accompagne la mondialisation évoquée.[…] N.d.l.r. (Ici Gill<strong>et</strong> fait une synthèse <strong>de</strong> diversesformations à l’animation en France, tributaires d’unepart, <strong>de</strong> l’exigence d’une formation professionnelle <strong>et</strong>d’autre part, <strong>de</strong>s courants <strong>de</strong> marchandisation <strong>et</strong>spécialisation technocratique <strong>de</strong>s professions <strong>et</strong> parconséquent <strong>de</strong>s formations).[…] L’opinion selon laquelle ces professionnelsseraient un obstacle à la vie associative <strong>et</strong> à tout<strong>et</strong>ransformation sociale (base <strong>de</strong> leur créationhistorique), oublie que ce sont <strong>de</strong>s militants qui, à lafin <strong>de</strong>s années 50, ont exigé une professionnalisation,revendiquant formation, acquisition <strong>de</strong> méthodologie,convention collective, bref, une reconnaissancesociétale. Et ce mouvement <strong>de</strong> rationalisation issu <strong>de</strong>la mo<strong>de</strong>rnité, analysé par Max Weber notamment, aconcerné les infirmières, les assistantes sociales, leséducateurs spécialisés <strong>et</strong> bien d’autres encore.Il n’est pire conseiller en la matière que la nostalgie<strong>de</strong>s temps <strong>de</strong>s années soixante <strong>et</strong> soixante-dix.Vouloir revenir au modèle du seul militant libérateur<strong>et</strong> ré<strong>de</strong>mpteur qui rachète les esclaves pour les rendrelibres est une illusion régressive. L’animations’apparente encore à une utopie porteuse d’avenir ence début du 3 e millénaire : l’espérance d’une vieallongée, en bonne santé, les nouvelles techniques quisoulagent les pesanteurs du travail productif <strong>et</strong>industriel, le temps libre renforcé accompagnent unmouvement <strong>de</strong> société. Ces proj<strong>et</strong>s d’animationpeuvent saisir ces opportunités. Comme l’exprime lesociologue Pierre Ansart, toutes les sociétés passées<strong>et</strong> actuelles sont traversées « <strong>de</strong> créations imaginaires<strong>de</strong>puis les formes les plus visibles jusqu’aux plus voilées » <strong>et</strong>c’est ici que le socioculturel, défini comme unemodalité où la littérature <strong>et</strong> les arts « tententincessamment <strong>de</strong> produire <strong>de</strong> nouvelles formes, <strong>de</strong> nouveauxcontenus », modifient « les manières <strong>de</strong> voir » <strong>et</strong>« d’imaginer le mon<strong>de</strong> », dans une production <strong>de</strong>significations « par <strong>de</strong>là les faits, par <strong>de</strong>là le réel » dansun mouvement « <strong>de</strong> rêve, <strong>de</strong> projection <strong>et</strong> éventuellementdans leur délire » (Pierre Ansart, 1990).Il faut en même temps reconnaître que l’animationreste marginale dans ses eff<strong>et</strong>s, tant que les défisconcernant la société ne seront pas traités à la hauteur<strong>de</strong>s enjeux actuels : une démocratie à redéfinir, <strong>de</strong>sinégalités à réduire, une économie à soustraire ducarcan d’un ultralibéralisme économique <strong>et</strong> financier.L’animation participe d’une dénonciation <strong>de</strong> lalégitimité d’un mon<strong>de</strong> qui a parfois la tête à l’envers <strong>et</strong>elle offre un espace d’imagination réaliste.L’animateur est un homme d’action, un stratège, unhomme <strong>de</strong> la praxis, sans illusion sur le mon<strong>de</strong>, doncluci<strong>de</strong> mais persévérant dans l’espérance.À l’inverse, du côté <strong>de</strong>s employeurs, <strong>de</strong>sassociations, <strong>de</strong>s fédérations d’Éducation populaire,<strong>de</strong>s collectivités territoriales, il reste encore à analyserla nature <strong>de</strong>s rapports avec leurs salariés, lesprocessus d’influence dans l’évolution <strong>de</strong>s prises <strong>de</strong>décision. Mais surtout, un champ entier reste àexplorer qui est : comment réinvestir la cité <strong>et</strong> sesquartiers populaires pour éviter les dérives <strong>de</strong>sextrêmes (droites ou communautaristes) ? C’est unautre chantier à ouvrir, <strong>et</strong> il n’est pas mince.[…] Quel est donc l’enjeu principal concernant laformation <strong>de</strong>s animateurs, ici <strong>et</strong> ailleurs dans sesanalogies ? Celui d’avoir <strong>de</strong>s animateurs généralistes(ayant certes quelques spécialités techniques) dontune <strong>de</strong>s légitimités principales reste les besoins, les<strong>de</strong>man<strong>de</strong>s, les problèmes, les exigences, les difficultésvécues par <strong>de</strong>s populations dans le mon<strong>de</strong> entier, dansc<strong>et</strong>te vaste crise <strong>de</strong> la participation dont tous lespolitiques vantent les mérites, mais dont la vertu estpeu pratiquée parce que crainte. La crise <strong>de</strong> ladémocratie représentative est <strong>de</strong> plus en plusévi<strong>de</strong>nte, <strong>et</strong> pas seulement en Europe ou aux États-Unis, mais aussi en Amérique Latine. Un sondage <strong>de</strong>« corporacion latin barom<strong>et</strong>ro » (l’équivalent <strong>de</strong> laSOFRES) a été publié en août 2001 : les latinoaméricainsappuieraient la démocratie à 48 % contre60 % l’année avant, <strong>et</strong> les résultats <strong>de</strong> c<strong>et</strong>tedémocratie ne satisfont que 27 % <strong>de</strong>s personnesinterrogées (contre 53 % <strong>de</strong> satisfaction en Europe).La crise internationale a donc un impact fort surl’évaluation du système démocratique, ainsi que larépartition inégalitaire <strong>de</strong>s richesses. En Équateur parexemple, au mois d’août 2003, 6 mois après soninvestiture, le taux d’impopularité du Prési<strong>de</strong>ntGutierrez est monté à près <strong>de</strong> 70 % (rappelons qu’enFrance, plus d’un an après les élections, notre Premierministre recueille seulement 30 % <strong>de</strong> satisfaits : lesfourch<strong>et</strong>tes sont i<strong>de</strong>ntiques).J’ai écrit un jour que l’animation était utile à ladémocratie, mais que la démocratie est nécessaire àl’animation. Là s’inscrit un autre enjeu principal dansla complexité <strong>de</strong>s sociétés, l’intrication <strong>de</strong>s facteurs,l’interaction démultipliée, bref, ce qui fait lien, ce quifait société <strong>et</strong> l’animation relève à c<strong>et</strong> égard d’undésordre, <strong>de</strong> l’appel à un nouvel ordre lié à unimaginaire social que beaucoup <strong>de</strong> marchands dutemple voudraient réduire à une simple prestation <strong>de</strong>services vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> sens.Or l’histoire est là, celle <strong>de</strong> la « merdonité » commel’écrit Michel Leiris. Pas un jour en Amérique Latineoù je n’ai vu une manifestation contre les4 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Présentation du colloque,par Jean-Clau<strong>de</strong> Gill<strong>et</strong>privatisations, la flexibilité <strong>de</strong> l’emploi, la misère, lechômage, la baisse <strong>de</strong>s r<strong>et</strong>raites, l’affaiblissement <strong>de</strong>sservices <strong>de</strong> santé, les augmentations <strong>de</strong> prix <strong>et</strong> ladénonciation <strong>de</strong> la violence qui en résulte : indiensmapuches, postiers, consommateurs d’eau potableprivée au Chili ; cazerolasos, piqu<strong>et</strong>eiros, p<strong>et</strong>itsporteurs d’actions ruinés en Argentine ; paysans,enseignants <strong>et</strong> r<strong>et</strong>raités manifestant au Mexique ;étudiants <strong>et</strong> enseignants en grève en Uruguay ;paysans <strong>et</strong> enseignants en lutte en Équateur ; sansterre manifestant au Brésil ; enseignants du supérieuren grève pendant 6 mois dans ce même pays, sansparler du grand désordre vénézuélien <strong>et</strong> <strong>de</strong>s pétitionspour une réelle démocratie socialiste à Cuba, <strong>et</strong>c.C’est donc là que l’effort doit porter <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>sanimateurs, sur c<strong>et</strong>te exigence <strong>de</strong> démocratie, surc<strong>et</strong>te nécessité <strong>de</strong> former <strong>de</strong>s décathloniens <strong>de</strong>l’animation, car le niveau culturel <strong>de</strong>s populationss’est accru. Ce ne sont pas les seuls techniciensspécialistesqui pourront répondre à c<strong>et</strong> enjeuprincipal (je me rappelle à ce suj<strong>et</strong> ce fameux slogan<strong>de</strong> la CFDT (Confédération Française Démocratiquedu Travail, syndicat <strong>de</strong> salariés) : « La hiérarchie c’estcomme les étagères, plus c’est haut, <strong>et</strong> moins ça sert »). Un<strong>et</strong>elle orientation vers la spécialisation peut faire le litdu secteur privé lucratif tant dans le culturel,l’éducatif ou le social, si on limite l’animation à laseule prestation <strong>de</strong> services. Vous savez tous commemoi que le MEDEF (syndicat patronal) soutient c<strong>et</strong>t<strong>et</strong>hèse, que <strong>de</strong>s municipalités confient le marché <strong>de</strong>sCLSH (Centre <strong>de</strong> Loisirs Sans Hébergement) à <strong>de</strong>ssociétés lucratives ; que <strong>de</strong> grands groupescapitalistiques se lancent dans l’animation sportive ou<strong>de</strong> loisirs, sans aucune intention éducative nipédagogique. Je pense ici à ce Salon professionnel <strong>de</strong>l’animation <strong>et</strong> <strong>de</strong>s loisirs organisé chaque année àParis avec, comme exemple <strong>de</strong> conférence : « La place<strong>de</strong>s métiers <strong>de</strong> l’animation dans l’économie <strong>de</strong> marché »,voilà qui a le mérite d’être clair, d’autant plus que cecolloque est organisé par une structure qui s’appelle :Banque-<strong>Animation</strong> ! C’est en ce sens qu’au cours d’uncolloque, il y a quelques années, le psychosociologueEugène Enriquez disait : « Le marché étouffe ladémocratie ».Enfin, en France, le prestige en mé<strong>de</strong>cine va auspécialiste qui prolonge une formation générale. Danscertains pays nordiques, à l’inverse, les mé<strong>de</strong>cinsfinissent par <strong>de</strong>venir généralistes, tant l’on considèrequ’il y a alors une progression nécessaire liée à lacomplexité <strong>de</strong>s diagnostics. Tirons ensemble lesanimateurs vers le haut <strong>et</strong> non vers le bas. Lessociétés <strong>recherche</strong>nt plus <strong>de</strong> qualification, plus <strong>de</strong>savoirs, plus <strong>de</strong> compétences, même si l’on sait quechacun d’entre nous, à un certain âge, accepte plusfacilement peut-être l’existence <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>s dans sapropre connaissance, mesurant ainsi nos propreslimites scientifiques <strong>et</strong> épistémologiques.* * *Le troisième <strong>et</strong> <strong>de</strong>rnier aspect que m’inspire c<strong>et</strong>tephrase <strong>de</strong> René Dubos est résumé par le titre <strong>de</strong> macommunication : il me semble que l’expression « agirlocalement, penser globalement », par la césureproposée, relève plus d’une juxtaposition entre le local<strong>et</strong> le global, entre la pensée <strong>et</strong> l’action. Déjà, HenriBergson avait aussi écrit une pensée similaire : « Agiren homme <strong>de</strong> pensée, penser en homme d’action ».Pour signifier un autre modèle d’action, plus procheme semble-t-il <strong>de</strong> la réalité <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’exercice <strong>de</strong> lafonction <strong>de</strong>s animateurs, il me paraît possible <strong>de</strong>dialectiser les items <strong>de</strong> la pensée <strong>de</strong> R. Dubos <strong>et</strong> d’H.Bergson sous la forme <strong>de</strong> la nouvelle expression :« Penser l’agir local <strong>et</strong> agir le penser global ». Lier doncdans un même mouvement local <strong>et</strong> global, croiseravec celui <strong>de</strong> l’agir <strong>et</strong> du penser. Nous sommes icidans une orientation praxéologique qui questionne lapratique <strong>de</strong>s animateurs à partir <strong>de</strong> 4 pôles :• un raisonnement sur une situation à décrire, àcomprendre, en anticipant son évolution enfonction <strong>de</strong>s actions qu’ils proj<strong>et</strong>tent d’exercer surelles <strong>et</strong> <strong>de</strong>s compromis <strong>et</strong> transactions qu’ellesimpliquent ;• <strong>de</strong>s objectifs, c’est-à-dire ce qu’ils cherchent àobtenir, à modifier, à créer, à changer enintégrant les ressources <strong>et</strong> les contraintes ;• <strong>de</strong>s décisions, c’est-à-dire opérer <strong>de</strong>s choix enfonction du niveau <strong>et</strong> <strong>de</strong> la hiérarchie <strong>de</strong>s enjeux ;• une éthique, c’est-à-dire <strong>de</strong>s valeursphilosophiques, morales ou politiques.C’est ce que j’ai dénommé « l’intelligencestratégique » <strong>de</strong>s animateurs, leur ruse, leur mètis,associant la mobilité <strong>de</strong> l’intelligence <strong>et</strong> la rapidité <strong>de</strong>l’action, <strong>et</strong> le kairos, l’opportunité à saisir le bonmoment (je vous renvoie aux travaux <strong>de</strong> Jean-PierreVernant <strong>et</strong> <strong>de</strong> Georges Vignaux, directeurs <strong>de</strong><strong>recherche</strong> au CNRS, Centre National <strong>de</strong> la RechercheScientifique). On y r<strong>et</strong>rouve les aspectsphénoménologiques, téléologiques, axiologiques <strong>et</strong>opérationnels évoqués ci-<strong>de</strong>ssus. Reprenant l’analogieproposée par Francis Bacon, le praxéologue n’est enrésumé ni un simple empiriste, qui tel la fourmi,recueille les fruits <strong>de</strong> sa quête <strong>de</strong> nourriture pour enfaire un simple usage, ni un simple logicien, qui, tell’araignée, fabrique sa toile à partir <strong>de</strong> sa propresubstance, mais plutôt une abeille qui se situe dansune voie intermédiaire <strong>et</strong> fabrique son futur miel àpartir <strong>de</strong>s fleurs, les transforme <strong>et</strong> le digère par sapropre énergie.Jurgen Habermas réinterroge aussi le lien entr<strong>et</strong>héorie <strong>et</strong> pratique, chercheur <strong>et</strong> praticien : le but n’estpas, dit-il, le simple développement <strong>de</strong> théoriescritiques, mais la <strong>recherche</strong> <strong>de</strong> théorèmes vérifiés <strong>et</strong> <strong>de</strong>stratégies appropriées, donc <strong>de</strong>s affirmations vraies,vérifiables <strong>et</strong> aussi <strong>de</strong>s décisions judicieuses. Traiterles faits sociaux comme <strong>de</strong>s choses, c’est absolutiser« le donné social » <strong>et</strong> c’est <strong>de</strong> fait attribuer une fonctionconservatrice aux sciences sociales (Habermas, 1979).Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 5


PrésentationLa théorie critique accentue la dimension dudésenchantement, voire <strong>de</strong> résignation, car elle sousévaluela force <strong>et</strong> la vitalité <strong>de</strong>s facteurs subjectifs,orientant plutôt le suj<strong>et</strong> vers l’apathie <strong>et</strong> ladémobilisation. Max Horkheimer, sociologue <strong>de</strong> lafameuse école <strong>de</strong> Francfort, propose la réflexionsuivante :Lorsqu’une science, dans une indépendance imaginaire, regar<strong>de</strong> lapratique qu’elle sert <strong>et</strong> à qui elle appartient comme complètementdifférente d’elle-même, <strong>et</strong> lorsqu’elle se satisfait <strong>de</strong> la séparation <strong>de</strong>la pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action, c<strong>et</strong>te science-là a déjà abandonnél’humanité (…). La qualité <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong> pensée (…) renvoie auchangement historique <strong>et</strong> à la production <strong>de</strong> situations justes entreles hommes (1970).La théorie doit en conséquence s’intéresser àl’amélioration <strong>de</strong>s situations sociales <strong>et</strong> à sa capacité àinfluencer les pratiques : plus encore, « la pratiquesociale a le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la valeur <strong>de</strong>s théories, dansla mesure où les théories doivent montrer leur validité dansles pratiques sociales ».Voilà ce qui inspire notre sens <strong>de</strong> la formation à laprofessionnalisation <strong>de</strong>s animateurs.Pour conclure, je ne peux m’empêcher <strong>de</strong> mesouvenir <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te phrase <strong>de</strong> Jean-Paul Sartre, un <strong>de</strong>mes maîtres dès l’âge <strong>de</strong> 16 ans au Lycée Montaigne(à travers ses romans <strong>et</strong> nouvelles, son théâtre, ses« situations ») <strong>et</strong> que j’ai redécouvert grâce à la thèse,philosophiquement, dans la Critique <strong>de</strong> la raisondialectique. Il est resté un <strong>de</strong>s fils rouges <strong>de</strong> ma propr<strong>et</strong>rajectoire, une sorte <strong>de</strong> fil d’Ariane dans le labyrintheque constituent les rapports <strong>de</strong>s hommes entre eux :« Se faire exister contre ce qui nous fait être pour ne pasêtre refait ». C’est une manière <strong>de</strong> nous dire quel’important, ce ne sont pas seulement les déterminantsqui pèsent sur nous, mais ce que nous faisons <strong>de</strong> cequ’ils produisent en nous. Et cela n’est pas toujoursaisé, car il ajoute : « Exister, c’est ça : se boire sans soif ».Comment ne pas rapprocher c<strong>et</strong>te orientation <strong>de</strong> celled’Eduardo Galeano, écrivain uruguayen : « No somoslo que somos, sino lo que hacemos para cambiar lo quesomos » ?(Nous ne nous sommes pas ce que nous sommessinon ce que nous faisons pour changer ce que noussommes).Comme synthèse <strong>de</strong> ma conclusion, je vous proposec<strong>et</strong>te phrase d’Antonio Gramsci : « Le pessimisme <strong>de</strong> laréalité est le préalable à l’optimisme <strong>de</strong> la volonté ». Lavolonté, nous en avons à profusion.BibliographieANSART, P., « L’imaginaire social », EncyclopediaUniversalis, 1990.CHARLIER, J.E., « Le partenariat : une évolution réalistedu travail social », La coordination <strong>et</strong> la mission locale ;les séductions du localisme <strong>et</strong> les mépris mutuels <strong>de</strong> lasociété civile <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’État, p. 66-78. Revue Action Sociale,n°5, sept./oct. 1988.GILLET, J.C., « <strong>Animation</strong> <strong>et</strong> animateurs. Le sens <strong>de</strong>l’action », L’Harmattan, 1995.HABERMAS, J., « La technique <strong>et</strong> la science commeidéologie », Gallimard, Payot, 1973.LE MOIGNE, J.L., « Les épistémologies constructivistes.Un nouveau commencement », Sciences <strong>de</strong> la société, no 42,oct. 1997, p. 161 à 181.NEUSCHWANDER, Cl., « L’acteur <strong>et</strong> le changement.Essai sur les réseaux », Seuil, 1991.Rapport mondial sur le développement humain 2003, ÉditionsEconomica.SARTRE, J.P., « La critique <strong>de</strong> la raison dialectique »,Tome I, Gallimard, 1994.WULF, Ch., « Introduction aux sciences <strong>de</strong> l’éducation ».Armand-Colin, 1995.Séance inaugurale,par Marcel Bolle <strong>de</strong> BalRELIANCE, DÉLIANCE, LIANCE : émergence <strong>de</strong> troisnotions sociologiquesDE LA RELIANCE[…] Pour étudier <strong>et</strong> comprendre la problématiquedu lien social dans la société contemporaine, leconcept <strong>de</strong> « reliance », en particulier celui <strong>de</strong>« reliance sociale », me paraît <strong>de</strong> nature à éclairer,approfondir <strong>et</strong> synthétiser un grand nombre d’étu<strong>de</strong>sparticulières sur le suj<strong>et</strong>. […]Origine <strong>de</strong> la notion[…] À ma connaissance, le premier sociologue àavoir utilisé, <strong>et</strong> probablement créé le terme <strong>de</strong>« reliance » en français, est Roger Clausse, dans sonouvrage « Les Nouvelles 1 ». Analysant le besoin sociald’information, il en inventorie les diversesdimensions, <strong>et</strong> notamment la dimensionpsychosociale : « il est besoin psychosocial : <strong>de</strong> relianceen réponse à l’isolement 2 ». Le développement <strong>de</strong>l’information <strong>et</strong> <strong>de</strong> son support, le journal, tend àrépondre à ce besoin. Aussi, Roger Clausse distingu<strong>et</strong>-il,au sein du complexe <strong>de</strong>s fonctions socialesremplies par le journal, une fonction <strong>de</strong> « reliancesociale » qu’il définit comme suit : « rupture <strong>de</strong>l’isolement ; <strong>recherche</strong> <strong>de</strong> liens fonctionnels, substitut<strong>de</strong>s liens primaires, communion humaine 3 ».Information prise auprès <strong>de</strong> c<strong>et</strong> auteur, ce terme <strong>de</strong>« reliance » a été utilisé par lui comme synonyme <strong>de</strong>celui d’« appartenance » : le besoin <strong>de</strong> reliance étaitdans son esprit une fac<strong>et</strong>te du besoin d’appartenancesociale (« d’appartenir à une communauté dont onpartage ou refuse le sort heureux ou malheureux »), lafonction <strong>de</strong> reliance sociale ne serait qu’uneformulation originale, plus précise, <strong>de</strong> ce que JeanSto<strong>et</strong>zel avait auparavant défini comme la fonction1 Roger CLAUSSE, Les Nouvelles, Bruxelles, Editions <strong>de</strong>l’Institut <strong>de</strong> Sociologie, 1963.2 Id., p. 9.3 Id., p. 22.6 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Séance inaugurale,par Marcel Bolle <strong>de</strong> Bald’appartenance sociale ou, plus profondément peutêtre,une synthèse <strong>de</strong> la fonction d’appartenancesociale <strong>et</strong> <strong>de</strong> la fonction psychothérapeutique <strong>de</strong> lapresse (la reconstitution d’un équivalent <strong>de</strong>s relationsprimaires détruites par la société <strong>de</strong> masse) mise enévi<strong>de</strong>nce par ce même Sto<strong>et</strong>zel 1 . Depuis lors, l’analyse<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te fonction <strong>de</strong> reliance a été étendue aux autresmédias : radio, T.V., <strong>et</strong>c 2 .Les sociologues <strong>de</strong>s médias ne sont toutefois pas lesseuls à avoir eu recours à ce néologisme. Voiciquelques décennies, un autre auteur belge a utilisé lemême terme, mais dans un sens légèrement différent :Maurice Lambilliotte, dans son ouvrage L’hommerelié 3 . Il lui donne une signification transcendantale,quasi religieuse : pour lui, la reliance est à la fois unétat <strong>et</strong> un acte, « l’état <strong>de</strong> se sentir relié 4 », « un acte <strong>de</strong>vie… acte <strong>de</strong> transcendance par rapport aux niveauxhabituels où se situe notre prise <strong>de</strong> conscience 5 ».« Mo<strong>de</strong> intérieur d’être : … elle perm<strong>et</strong> à toutindividu <strong>de</strong> dépasser, en conscience, sa solitu<strong>de</strong> 6 . » Lareliance à ses yeux est donc essentiellement dudomaine <strong>de</strong> l’expérience intérieure, une quête <strong>de</strong>l’Unité <strong>de</strong> la vie.C<strong>et</strong>te double émergence <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> « reliance »,avant ma propre intervention, n’est pas le fruit duhasard, même si les <strong>de</strong>ux « créateurs » du terme neparaissent pas avoir agi <strong>de</strong> façon concertée. En fait, ilssont « reliés » par leur commune insertion forcée dansun système socio-scientifique à base <strong>de</strong> division <strong>et</strong> <strong>de</strong>« déliance » (la société <strong>de</strong> la foule solitaire) <strong>et</strong> aussipar une caractéristique convergente <strong>de</strong> leurconception <strong>de</strong> la reliance : la relier à l’homme, placercelui-ci au centre ou au départ du procès <strong>de</strong> reliance.Définition <strong>de</strong> la reliance[…] La « reliance » n’a jusqu’à présent droit <strong>de</strong> citédans aucun lexique ou dictionnaire francophone 7 , futilpsychologique, sociologique ou philosophique 8 .1 Jean STOETZEL, Étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> presse, 1951, p. 35-41.2 Cf. notamment Gabriel THOVERON, Radio <strong>et</strong> télévisiondans la vie quotidienne, Bruxelles, Ed. <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> Sociologie,1971, <strong>et</strong> Col<strong>et</strong>te CALVANUS, Les mass-mediaau niveau <strong>de</strong> la religion bor<strong>de</strong>laise, Bor<strong>de</strong>aux, Thèse <strong>de</strong>doctorat, 1975.3 Maurice LAMBILLIOTTE, L’homme relié. L’aventure <strong>de</strong>la conscience, Bruxelles, Société Générale d’Edition, 1968.4 Id., p. 108.5 Id., p. 109.6 Ibid.7 Le terme existe en anglais, où il signifie « confiance,soutien, appui ». Rien à voir donc, avec le sens quej’entends lui donner. Au moins directement. Car c<strong>et</strong>usage anglo-saxon contribue à m<strong>et</strong>tre l’accent sur ce quipeut constituer un facteur important <strong>de</strong> reliance : laconfiance, le soutien. Attention, néanmoins à toute assimilationhâtive, abusive, abusée par les apparences <strong>de</strong>ce faux frère.8 Les équipes responsables <strong>de</strong> la rédaction <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux dictionnairesen gestation, l’un sur le vocabulaire sociologique,l’autre sur le vocabulaire psychosociologique ontexprimé l’intention d’y faire référence ( été 2001).À nous donc, faute <strong>de</strong> référence sémantique, <strong>de</strong>proposer une définition <strong>de</strong> ce terme.Pour moi, en une première approche très générale,la reliance possè<strong>de</strong> une double significationconceptuelle :1. l’acte <strong>de</strong> relier ou <strong>de</strong> se relier : la reliance agie,réalisée, c’est-à-dire l’acte <strong>de</strong> reliance ;2. le résultat <strong>de</strong> c<strong>et</strong> acte : la reliance vécue , c’est-àdirel’état <strong>de</strong> reliance.Afin d’éviter le piège <strong>de</strong> la tautologie, il importe <strong>de</strong>préciser le sens du verbe « relier », tel qu’il sera utilisédans le cadre <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te définition.En eff<strong>et</strong>, les dictionnaires classiques ne ledéfinissent que par rapport à <strong>de</strong>s choses ou à <strong>de</strong>sidées. Or j’ai déjà précisé que dans la perspectiveadoptée par notre équipe, il s’agit a priori d’un acte oud’un état où au moins une personne humaine estdirectement concernée. Ce qui nous a amenés àentendre par relier : « créer ou recréer <strong>de</strong>s liens, établirou rétablir une liaison entre une personne <strong>et</strong> soit un systèmedont elle fait partie, soit l’un <strong>de</strong> ses sous-systèmes ». […]La reliance socialeDans le cadre <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> du lien social, la notion quidoit intéresser le sociologue au premier chef estévi<strong>de</strong>mment celle <strong>de</strong> reliance sociale, c’est-à-dire <strong>de</strong> lareliance entre <strong>de</strong>ux acteurs sociaux dont l’un au moins estune personne. […]Par application <strong>de</strong>s divers éléments précé<strong>de</strong>mmentréunis, je propose <strong>de</strong> définir comme suit la reliancesociale : « la création <strong>de</strong> liens entre <strong>de</strong>s acteurs sociauxséparés, dont l’un au moins est une personne ».C<strong>et</strong>te définition générale n’est pas dictéeuniquement par la prise en considération <strong>de</strong>sspécificités du contexte sociologique contemporain(un système social au sein duquel les lienstraditionnels ont été détendus, brisés, éclatés, unesociété <strong>de</strong> « déliance »), mais peut s’appliquer à toutacte ou état <strong>de</strong> reliance.La reliance : dimension sociologique du conceptUne première approche superficielle <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong>reliance pourrait donner à penser qu’il s’agit d’unconcept d’essence psychologique renvoyant auxbesoins <strong>et</strong> désirs – qu’éprouveraient les individusperdus au sein <strong>de</strong> la foule solitaire – <strong>de</strong> nouer ourenouer <strong>de</strong>s relations affectives (<strong>de</strong>s liens sociaux)avec autrui : dans ces conditions, les sociologuesn’auraient qu’en faire.Telle n’est pas ma conviction. La dimensionsociologique du concept saute aux yeux dès que l’ondésire prendre en considération le fait que l’acte <strong>de</strong>relier implique toujours une médiation, un systèmemédiateur.Reliance sociale <strong>et</strong> système médiateurLes acteurs sociaux sont à la fois liés (ils ont <strong>de</strong>sliens directs entre eux), <strong>et</strong> re-liés par un ou <strong>de</strong>ssystèmes médiateurs (qu’il s’agisse d’une institutionCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 7


Présentationsociale ou d’un système culturel <strong>de</strong> signes ou <strong>de</strong>représentations collectives). Dans la relationintervient un troisième terme. Naissent ainsi ce queEugène Dupréel 1 a appelé <strong>de</strong>s « rapports sociauxcomplémentaires ».La définition <strong>de</strong> la reliance sociale peut donc êtreaffinée <strong>et</strong> être formulée dans les termes suivants : « Laproduction <strong>de</strong> rapports sociaux médiatisés, c’est-àdire<strong>de</strong> rapports sociaux complémentaires » ; ou, end’autres termes, « la médiatisation <strong>de</strong> liens sociaux ».Les systèmes médiateurs, mis en jeu par c<strong>et</strong>temédiation, peuvent être :• soit <strong>de</strong>s systèmes <strong>de</strong> signes (la langue, la possessiond’obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> consommation…) ou <strong>de</strong> représentationscollectives (les croyances, la culture…) perm<strong>et</strong>tantla communication, l’échange, la reliance ;• soit <strong>de</strong>s instances sociales (groupes, organisations,institutions…), déterminant <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>lant lesrapports <strong>de</strong> reliance.La reliance sociale, concept tridimensionnel• À partir du fait que la reliance n’existe pasindépendamment d’instances médiatrices, troissens du concept « reliance sociale » peuvent êtredistingués d’un point <strong>de</strong> vue sociologique, selonque c<strong>et</strong>te reliance est envisagée : en tant quemédiatisation, c’est-à-dire comme le processus parlequel <strong>de</strong>s médiations sont instituées qui relientles acteurs sociaux entre eux ; c’est le procès <strong>de</strong>reliance (reliance-procès) ;• en tant que médiation, c’est-à-dire comme lesystème plus ou moins institutionnalisé, reliantles acteurs sociaux entre eux : c’est la structure <strong>de</strong>reliance (reliance-structure) ;• en tant que produit, c’est-à-dire comme le lienentre les acteurs sociaux résultant du ou <strong>de</strong>ssystèmes médiateurs dont font partie ces acteurs ;c’est le lien <strong>de</strong> reliance (reliance-lien).Lien social <strong>et</strong> reliance socialeLa complexité ainsi dévoilée du concept <strong>de</strong> reliancesociale nous incite à la pru<strong>de</strong>nce sociologique lorsquenous est suggérée l’analyse du lien social : par-<strong>de</strong>làcelui-ci se profilent la dynamique <strong>de</strong> sa genèse (samédiatisation) <strong>et</strong> le résultat <strong>de</strong> celle-ci (les médiationsqui le déterminent), le procès <strong>et</strong> la structure <strong>de</strong>reliance qui produisent le lien social en sa spécificitémomentanée. La tâche prioritaire du sociologue est <strong>de</strong>comprendre à la fois la dynamique du tissage <strong>et</strong> lastatique du tissu social, pour reprendre unemétaphore <strong>de</strong> Michel Maffesoli 2 . Et dans l’ordre <strong>de</strong>spréoccupations heuristiques du sociologue, la reliance,selon moi, est prioritaire par rapport au lien. […]1 Eugène DUPREEL, Traité <strong>de</strong> Morale, Bruxelles, PressesUni versitaires <strong>de</strong> Bruxelles, 1967, vol.1, p. 300.2 Michel MAFFESOLI, Le temps <strong>de</strong>s tribus, Paris, MéridiensKlincksieck, 1988, p. 104.La reliance sociale, concept psycho-sociologiqueUne théorie sociologique digne <strong>de</strong> ce nom ne peutfaire l’impasse sur la dimension psychosociologique<strong>de</strong>s phénomènes humains. Or, l’intérêt du concept <strong>de</strong>« reliance », <strong>et</strong> plus particulièrement celui <strong>de</strong>« reliance sociale » me paraît précisément rési<strong>de</strong>r dansla « reliance » qu’il perm<strong>et</strong> entre <strong>de</strong>ux approches <strong>de</strong>sphénomènes psychosociaux trop souvent séparées,l’approche sociologique <strong>et</strong> l’approche psychologique.Sous l’angle sociologique, nous avons noté <strong>de</strong>uxraisons <strong>de</strong> recourir à l’emploi du terme « reliance », <strong>et</strong>donc du verbe « re-lier » en lieu <strong>et</strong> place du verbe lier,pour décrire les liens entre personnes <strong>et</strong> groupes <strong>de</strong>personnes ; <strong>de</strong> tels liens existant ou ayant existé, lesacteurs sociaux, étant ou ayant été ainsi « liés »,peuvent être RE-liés• soit par l’établissement <strong>de</strong> liens« complémentaires » 3 ,• soit par le rétablissement <strong>de</strong> liens disjoints,• soit, évi<strong>de</strong>mment, par les <strong>de</strong>ux à la fois.D’autre part, le recours au concept <strong>de</strong> relianceperm<strong>et</strong>, grâce à l’introduction <strong>de</strong> ces dimensionssociologiques d’élargir, d’enrichir une étu<strong>de</strong> qui, sanscela, risquerait <strong>de</strong> se confiner à l’analyse psychologique<strong>de</strong>s liens affectifs, <strong>de</strong>s liaisons sentimentales, <strong>de</strong>srelations amoureuses – suj<strong>et</strong> intéressant certes, relié àla reliance à bien <strong>de</strong>s égards, mais dont l’exploration<strong>et</strong> l’exploitation, déjà entreprise avec talent par unemultitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> savants, <strong>de</strong> poètes <strong>et</strong> <strong>de</strong> romanciers, sort<strong>de</strong>s limites d’une (trop) stricte définition sociologiquedu lien social. Il s’agit donc bien d’un concept àvocation <strong>et</strong> d’orientation psycho-sociologique.La reliance : dimension anthropologique duconceptParti avec mon équipe <strong>de</strong> chercheurs 4 d’une étu<strong>de</strong> <strong>et</strong>d’une définition <strong>de</strong> la reliance sociale (à la reliance aux3 Au sens que Dupréel accor<strong>de</strong> à ce terme.4 Dans le cadre d’un vaste programme interuniversitaire<strong>de</strong> <strong>recherche</strong>s sur les aspirations <strong>de</strong> la population belge,notre équipe a mené, <strong>de</strong> 1975 à 1981, une étu<strong>de</strong> pluridimensionnelle<strong>et</strong> pluridisciplinaire sur « les aspirations<strong>de</strong> reliance sociale ». C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong>, la première du genresur un tel suj<strong>et</strong>, constitue l’acte <strong>de</strong> naissance <strong>de</strong>l’existence socialement <strong>et</strong> scientifiquement reconnue duconcept <strong>de</strong> « reliance ». Le premier rapport général <strong>de</strong><strong>recherche</strong>, publié sous la responsabilité scientifique <strong>de</strong>Marcel Bolle De Bal <strong>et</strong> Nicole Delruelle <strong>et</strong> intitulé « Lesaspirations <strong>de</strong> reliance sociale » (Bruxelles, Ministère <strong>de</strong>la Politique Scientifique, 1978) comprend six volumes :vol. 1 : Reliance sociale, <strong>recherche</strong> sociale, action sociale(Marcel Bolle De Bal).vol. 2 : Reliance sociale <strong>et</strong> gran<strong>de</strong>s organisations (NicoleDelruelle <strong>et</strong> Robert Georges)vol. 3 : Reliance sociale <strong>et</strong> chômage (Anny Poncin)vol. 4 : Reliance sociale <strong>et</strong> enseignement (Anne VanHaecht)vol. 5 : Reliance sociale <strong>et</strong> mé<strong>de</strong>cine (Ma<strong>de</strong>leine Moulin)vol. 6 : Reliance sociale, reliance psychologique <strong>et</strong> reliancepsycho-sociale (Armelle Karnas <strong>et</strong> Martine VanAndruel).8 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Séance inaugurale,par Marcel Bolle <strong>de</strong> Balautres), j’ai été progressivement amené à élargir c<strong>et</strong>tenotion <strong>et</strong>, dans un premier temps, à y intégrer <strong>de</strong>uxautres dimensions essentielles <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> reliance : lareliance à soi (reliance psychologique), la reliance aumon<strong>de</strong> (reliance <strong>culturelle</strong>, écologique ou cosmique). Àchacun <strong>de</strong> ces enjeux correspond en eff<strong>et</strong> un travailsocial <strong>et</strong> psycho-social sur trois notions-clés pour le<strong>de</strong>venir humain :• l’i<strong>de</strong>ntité, au cœur du travail <strong>de</strong> reliance à soi(reliance psychologique),• la solidarité (ou la fraternité), au cœur du travail <strong>de</strong>reliance aux autres (reliance sociale),• la citoyenn<strong>et</strong>é, au cœur du travail <strong>de</strong> reliance aumon<strong>de</strong> (reliance <strong>culturelle</strong>, écologique oucosmique). […]Ce faisant, la « reliance », par <strong>de</strong>là sa dimension <strong>de</strong>concept sociologique, acquiert une réelle dimension« anthropologique », ce qui nous conduit à nousinterroger sur son substrat anthropologique, sur lesfinalités politico-scientifiques auxquelles son usagepeut donner corps.La reliance, substrat anthropologiqueCertains, en eff<strong>et</strong>, ne se font pas faute d’exprimerleur inquiétu<strong>de</strong> face au risque <strong>de</strong> dérive psychologiqued’un concept que l’on tient à ancrer fermement dans lechamp sociologique. Une telle inquiétu<strong>de</strong> a soustendu,par exemple, les critiques que m’ontinitialement adressées <strong>de</strong>s sociologues aussi avertisque Raymond Ledrut <strong>et</strong> Renaud Sainsaulieu. Laqualité <strong>de</strong> leurs auteurs m’a paru mériter une sérieuseprise en compte <strong>de</strong> leurs arguments <strong>et</strong> une réponsecirconstanciée.Une anthropologie judéo-chrétienne ?Derrière la mise en valeur <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong> reliance,Raymond Ledrut a cru pouvoir déceler une visionanthropologique contestable : celle, judéo-chrétienne,<strong>de</strong> la « bergerie fraternelle », <strong>de</strong> « la communautépacifique <strong>et</strong> bienheureuse », <strong>de</strong> « l’homme suj<strong>et</strong> <strong>et</strong>cœur 1 ». Renaud Sainsaulieu l’a rejoint dans unecertaine mesure lorsqu’il a interprété le désir <strong>de</strong>reliance comme une sorte d’« aspiration fusionnelle »,lorsqu’il voit dans la reliance un type particulier <strong>de</strong>relation où le désir d’être entendu <strong>et</strong> accepté sanslutte ni stratégie serait central. Bref, je me serais faitl’avocat d’« une sociologie <strong>de</strong> faibles en quêted’attention que seul l’amour peut justifier 2 ». […]Afin <strong>de</strong> clarifier le débat <strong>et</strong> d’en bien situer lesenjeux, je me dois <strong>de</strong> tenter d’apporter <strong>de</strong>uxprécisions : l’une d’ordre conceptuel, l’autre d’ordrephilosophique (ou idéologique).1 Raymond LEDRUT, Bull<strong>et</strong>in <strong>de</strong> l’AISLF, no 4, 1987, p.135.2 Renaud SAINSAULIEU, Bull<strong>et</strong>in <strong>de</strong> l’AISLF, no 4,1987, p. 138.Le double sens <strong>de</strong> la reliance sociale• Bien <strong>de</strong>s confusions à propos <strong>de</strong> l’idée du concept<strong>et</strong> <strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> reliance sociale sont liées aufait qu’une distinction élémentaire n’est pas faiteentre <strong>de</strong>ux sens <strong>de</strong> ce terme : la reliance sociale latosensu (au sens large) telle que je l’ai définie jusqu’àprésent, à savoir la création <strong>de</strong> liens entre <strong>de</strong>sacteurs sociaux ;• la reliance sociale stricto sensu (au sens étroit), c’està-direl’action visant à créer ou recréer <strong>de</strong>s liensentre <strong>de</strong>s acteurs sociaux que la société tend àséparer ou à isoler, les structures perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong>réaliser c<strong>et</strong> objectif, les liens ainsi créés ourecréés.La première définition est générale <strong>et</strong> englobante :elle ne comporte point <strong>de</strong> jugement <strong>de</strong> valeur <strong>et</strong> tendà recouvrir toutes les situations existantes. Lasecon<strong>de</strong>, en revanche, est plus contingente <strong>et</strong> plusnormative : elle se réfère à <strong>de</strong>s aspirations spécifiques<strong>de</strong>s acteurs sociaux dans le cadre <strong>de</strong> la société <strong>de</strong> lafoule solitaire <strong>et</strong> aux stratégies spécifiques d’actiondéveloppées afin <strong>de</strong> répondre à la fois à leursaspirations en matière <strong>de</strong> reliance sociale (procès <strong>et</strong>structures) <strong>et</strong> à leurs aspirations à la reliance sociale(c’est-à-dire à leur désir <strong>de</strong> liens chaleureux,fraternels, proches, conviviaux). Bref à leur quête d’unrenouveau <strong>de</strong> communications, <strong>de</strong> contacts,d’échanges, <strong>de</strong> partages, <strong>de</strong> rencontres, d’affection,d’amour, d’i<strong>de</strong>ntité. La première fon<strong>de</strong> une grilled’analyse sociologique, la secon<strong>de</strong> éclaire <strong>de</strong>s objectifsd’action sociale.Le second sens est certainement à l’origine <strong>de</strong>l’intérêt pour le concept <strong>de</strong> reliance. Et c’est à lui ques’adressent non moins évi<strong>de</strong>mment les critiques à c<strong>et</strong>égard partiellement fondées <strong>de</strong> Raymond Ledrut <strong>et</strong>Renaud Sainsaulieu. Partiellement, car l’aspiration àla reliance sociale peut être <strong>de</strong> divers types : ellen’implique pas nécessairement un désir fusionnel, ellepeut être désir d’échange <strong>de</strong> solitu<strong>de</strong>s acceptéescomme irréductibles. L’interprétation <strong>de</strong> mescontradicteurs est limitée, elle ne concerne qu’une <strong>de</strong>sconceptions <strong>de</strong> la reliance sociale : c’est précisémentelle que j’ai voulu dépasser en proposant ce conceptqui perm<strong>et</strong>, me semble-t-il, d’échapper àl’anthropologie judéo-chrétienne originelle pour serapprocher <strong>de</strong> ce que je serais tenté <strong>de</strong> situer, à lasuite <strong>de</strong>s réflexions <strong>de</strong> Raymond Ledrut 3 , dans laperspective d’une anthropologie laïco-ni<strong>et</strong>zschéenne.Une anthropologie laïco-ni<strong>et</strong>zschéenne ?En tant que citoyen, j’avouerai sans nulle hont<strong>et</strong>rouver sympathiques les valeurs judéo-chrétiennesdécrites (dénoncées ?) par mes interlocuteurs. Àcondition d’en affirmer les limites, d’éviter <strong>de</strong> tomberdans le piège <strong>de</strong> l’illusion groupale, <strong>de</strong> l’idyllismecommunautaire, <strong>de</strong> la fraternité irénique. […]3 Raymond LEDRUT, « L’analyse, critique du lien social: Ni<strong>et</strong>zsche <strong>et</strong> la situation actuelle <strong>de</strong>l’anthropologie », Bull<strong>et</strong>in <strong>de</strong> l’AISLF, no 4, p. 35-45.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 9


PrésentationL’anthropologie qui fon<strong>de</strong> ma conception <strong>de</strong> lareliance est laïque : en quelque sorte, la reliance socialepeut apparaître comme la forme profane <strong>de</strong> la religion.Les <strong>de</strong>ux actions sont en eff<strong>et</strong> construites sur le mêmeradical sémantique (religare : relier). N’est-ce pasFreud qui considérait que l’une <strong>de</strong>s fonctions <strong>de</strong> lareligion consistait à unir les individus au groupe enfusionnant les charges affectives contenues <strong>et</strong> en leslibérant grâce à <strong>de</strong>s rites empruntant à leur dimensioncollective une ferveur émotionnelle intense ? Lienssociaux avec transcendance d’une part, liens sociauxsans transcendance, ou avec une transcendanceimmanente d’autre part. Dans une première approche,l’idée <strong>de</strong> reliance sociale, cas particulier <strong>de</strong> religio,paraît donc fondée sur une anthropologie laïque. Maiselle l’est tout autant si l’on préfère voir dans lareligion un cas particulier <strong>de</strong> reliance (méta-sociale ?)impliquant une référence transcendantale…conception que je suis enclin à adopter aujourd’hui.Une anthropologie que l’on pourrait direni<strong>et</strong>zschéenne aussi : car loin <strong>de</strong> faire sien l’idéal <strong>de</strong> labergerie fraternelle, <strong>de</strong> l’affectivité fusionnelle ou <strong>de</strong>l’empathie consensuelle, elle tient au contraire à senourrir <strong>de</strong> lucidité critique, d’analyse dialectique <strong>et</strong>d’interprétations paradoxales. Et s’il fallait, pour êtreclair, préciser mon système <strong>de</strong> valeurs par rapport àce concept <strong>de</strong> reliance, je dirais que pour moi, lareliance renverrait à une image qui m’est chère : celle<strong>de</strong> l’échange <strong>de</strong>s solitu<strong>de</strong>s acceptées (image quirépond, sur le plan du lien social, à celle <strong>de</strong> la routequi relie <strong>de</strong>ux villes dans le désert sur le planphysique…). Écoutons Ni<strong>et</strong>zsche, tel que l’évoqueRaymond Ledrut : le lien social « n’existe pas en<strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s rapports sociaux définis (une structure <strong>de</strong>reliance à analyser en priorité. MBDB.) ; la penséecritique doit s’exercer à plein sur une sociologieutopiste ou essentialiste (le concept <strong>de</strong> reliance au senslarge doit y ai<strong>de</strong>r, s’il est correctement utilisé) ; il y ainterdépendance <strong>et</strong> réciprocité <strong>de</strong> l’individuel <strong>et</strong> dusocial ; l’individu n’est jamais qu’un imaginaire ; dansla société contemporaine l’illusion <strong>de</strong> la personnalité<strong>et</strong> <strong>de</strong> la liberté est fort répandue (l’individu est un êtredélié-relié) ; l’interrogation critique est indispensablepour comprendre les nouvelles formes du lien social <strong>et</strong>l’apparition <strong>de</strong> nouveaux types <strong>de</strong> solidarité (je tenterai<strong>de</strong> le montrer dans quelques instants) ; l’individualisme(reliance à soi) <strong>et</strong> l’atomisation (déliance sociale) nedoivent pas être confondues ; l’individu est à la fois a-social <strong>et</strong> social (délié <strong>et</strong> relié, <strong>de</strong> façon contradictoire <strong>et</strong>/oucomplémentaire) ». Comment ne pas partager ce proj<strong>et</strong>d’anthropologie critique que nous propose Ni<strong>et</strong>zsche ?Personnellement je m’y reconnais entièrement. J’yr<strong>et</strong>rouve les principes directeurs qui inspirent mavision <strong>de</strong> la reliance <strong>et</strong> mes raisons <strong>de</strong> proposer c<strong>et</strong>tegrille <strong>de</strong> lecture. De la discussion entamée, je déduisqu’il me reste un important travail à accomplir pourcorriger le tir, pour expliciter l’implicite <strong>de</strong> mespostulats anthropologiques, la spécificité <strong>et</strong> l’utilité duconcept proposé.La reliance : spécificité du conceptD’aucuns, au premier rang <strong>de</strong>squels RenaudSainsaulieu ont émis quelques doutes sur l’utilité <strong>et</strong> laspécificité du concept : pourquoi créer un mot presquenouveau pour décrire une réalité déjà habillée d’unegar<strong>de</strong>-robe conceptuelle bien fournie ; appartenance,intégration, aliénation, dépendance, dominance,adhésion, participation ne constituent-ils pas unepanoplie surabondante <strong>de</strong> conceptspsychosociologiques bien introduits en chaires ?Ma conviction est que ce terme est utile, nécessaire,qu’il exprime une réalité émergente, dont l’émergenceest liée à l’évolution du système social global <strong>et</strong> dontaucun <strong>de</strong>s autres concepts ne rend compte <strong>de</strong> façonréellement satisfaisante, c’est-à-dire avec uneprécision suffisante. […]La reliance, concept-charnière : liens sociaux <strong>et</strong> liensscientifiquesL’intérêt épistémologique du concept <strong>de</strong> « reliance »<strong>et</strong> plus particulièrement <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> « reliancesociale » me paraît rési<strong>de</strong>r dans le fait qu’il se situe àl’articulation d’au moins trois approches du liensocial : une approche sociologique (la médiatisation dulien social <strong>et</strong> la création <strong>de</strong> rapports sociauxcomplémentaires), une approche psychologique(l’aspiration <strong>de</strong> nouveaux liens sociaux), une approchephilosophique (les liens manifestes ou latents entrereliance <strong>et</strong> religion). Or la sociologie existentielle qu’àla suite d’Edouard Tiryakian 1 je souhaite voirs’élaborer progressivement 2 suppose une ouverturevers <strong>de</strong>s disciplines complémentaires trop souventignorées ou négligées : la philosophie <strong>et</strong> lapsychologie notamment.Ce que Jean Maisonneuve a écrit 3 à propos duconcept « groupe <strong>de</strong> référence » me paraît applicable,mutatis mutandis, au concept <strong>de</strong> « reliance » :il s’agit d’un concept charnière indispensable en psychosociologie,il perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> relier les situations collectives où l’individu est sanscesse immergé (au sein <strong>de</strong> tel groupe, près <strong>de</strong> tel compagnon) <strong>et</strong> lesprocessus psychologiques qui confèrent leur sens à ces situations enfonction d’une dynamique personnelle. […]La reliance, concept prospectif : notion-source <strong>et</strong>dialectique transitionnelleAtelier initiatique, pour individus en mi<strong>et</strong>tes, lacommunauté – Gemeinschaft dont il vient d’êtrequestion apparaît, d’un point <strong>de</strong> vue sociologique,comme un îlot <strong>de</strong> transition, un microcosme, refl<strong>et</strong> <strong>de</strong>la société Gesellschaft où s’expérimentent <strong>de</strong>s lienssociaux nouveaux marqués – dans un premier tempsdu moins – par ce caractère éphémère typique <strong>de</strong> l’air1 Edouard TIRYAKIAN, « Vers une sociologie <strong>de</strong>l’existence », in Perspectives <strong>de</strong> la sociologie contemporaine.Hommage à Georges Grevitch, Paris, PUF, 1968, p. 445-465.2 Marcel BOLLE DE BAL, « De l’esthétique sociale à lasociologie existentielle, sous le signe <strong>de</strong> la reliance »,Sociétés, no 36, 1992, p. 169-178.3 Jean MAISONNEUVE, Introduction à la psychosociologie,Paris, PUF, 1973, p. 155.10 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Séance inaugurale,par Marcel Bolle <strong>de</strong> Baldu temps, <strong>de</strong> l’ère du vi<strong>de</strong> diront certains. Le concept<strong>de</strong> reliance avec ses trois dimensions perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> saisirla dialectique sociale à l’œuvre, ses tendances à laréification, ses eff<strong>et</strong>s pervers <strong>et</strong>/ou paradoxaux : il faitsaisir le lien social comme réalité essentielle <strong>de</strong> toutedémarche <strong>de</strong> transition, <strong>de</strong> créativité interpersonnelle<strong>et</strong> institutionnelle. En ce sens, il n’est peut-être pasvain <strong>de</strong> formuler le vœu que la « reliance » <strong>de</strong>vienneun jour ce que Jean Maisonneuve appelle une « notionsourc<strong>et</strong>ranspécifique » : notion échappant à un seulchamp disciplinaire, notion médiatrice élaboréenotamment par <strong>de</strong>s psychosociologues <strong>et</strong> se situant àla jonction du mental <strong>et</strong> du social, <strong>de</strong> l’individuel <strong>et</strong> ducollectif, « action-source » en ce qu’elle pourrait être,comme d’autres du même type, à la fois matrice d’unesérie <strong>de</strong> notions qui s’y rattachent en la spécifiant<strong>et</strong> l’axe d’un ensemble d’investigations empiriques <strong>et</strong><strong>de</strong> constructions théoriques à moyenne portée.DE LA DÉLIANCESi le besoin <strong>de</strong> re-liance se fait aussi sentir dans lasociété contemporaine, si <strong>de</strong>s aspirations <strong>de</strong> re-liance sefont jour un peu partout, c’est qu’auparavant ont étévécues, sous différentes formes, <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> « déliance». En fait, le système social <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité peutêtre caractérisé comme un système socio-scientifique <strong>de</strong>division <strong>et</strong> <strong>de</strong> déliance. Constatation qui mérite quenous lui consacrions quelques instants <strong>de</strong> réflexion.La société « raisonnante » : une société <strong>de</strong>déliancesLes qualificatifs utilisés pour caractériser la sociétécontemporaine sont légion : société <strong>de</strong> consommation,société d’organisation, société bureaucratique,technocratique, répressive, développée, industrielle,technicienne, informatisée, programmée, <strong>et</strong>c. Tousrenvoient d’une façon ou d’une autre à un trait qui meparaît fondamental : il s’agit d’une société <strong>de</strong> raison, quifon<strong>de</strong> son développement sur le recours à la raison, àce qu’elle croit être rationnel <strong>et</strong>/ou raisonnable. En cesens, elle peut, me semble-t-il, être qualifiée <strong>de</strong> sociétéraisonnante, <strong>de</strong> même que l’on baptise « folieraisonnante » un « délire appuyé <strong>de</strong> raisonnements »(Robert).Parmi ces « raisonnements » fondamentaux, il enest un qui nous est inculqué <strong>de</strong>puis notre plus jeuneâge, sous forme <strong>de</strong> norme <strong>culturelle</strong> prégnante :diviser pour gagner. Qu’il s’agisse d’Horace contre lesCuriaces (diviser pour vaincre), <strong>de</strong> Machiavel contreles féaux <strong>de</strong> son Prince (diviser pour régner), <strong>de</strong>Descartes contre les secr<strong>et</strong>s <strong>de</strong> la Vie (diviser pourcomprendre), <strong>de</strong> Taylor contre les freinages ouvriers(diviser pour produire), toujours est mise en avant parle biais parfois déformant <strong>de</strong> mythes, <strong>de</strong>représentations simplifiées, <strong>de</strong> rec<strong>et</strong>tescompartimentales, l’utilité <strong>de</strong> diviser pour dominer.C<strong>et</strong>te société « raisonnante », fondée sur le principe<strong>de</strong> division, d’émi<strong>et</strong>tement, <strong>de</strong> « déliance » peut êtreanalysée par référence à la théorie <strong>de</strong>s systèmes, plusparticulièrement à la théorie <strong>de</strong>s systèmes sociotechniquesouverts 1 .Sous c<strong>et</strong> angle, elle apparaît comme un système socioscientifique,composé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux sous-systèmes avec leursdynamiques propres mais étroitementinterconnectées : un sous-système scientifique <strong>et</strong> unsous-système social.Le sous-système scientifique : la raisonsimplifianteLe paradigme <strong>de</strong> la science occi<strong>de</strong>ntale classique,construction rationaliste issue <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong>Descartes, implique l’élimination <strong>de</strong> la subjectivité,l’exclusion du suj<strong>et</strong>. Il est fondé sur un mythe, quidomine la plupart <strong>de</strong>s sciences sociales : le mythe <strong>de</strong>l’homme rationnel <strong>et</strong> réaliste, sans préjugés auxconduites appropriées grâce à l’« informationobjective 2 ». La séparation entre le théoricien <strong>et</strong> lepraticien, entre le chercheur <strong>et</strong> l’homme d’action,trouve sa source dans c<strong>et</strong>te distinction qui inspire lerationalisme <strong>et</strong> le libéralisme : l’opposition entre lesmythes <strong>et</strong> préjugés d’une part, la représentationréaliste du mon<strong>de</strong> d’autre part. Le sociologue, dansc<strong>et</strong>te perspective, est le produit <strong>de</strong> la production d’unesociété où triomphe l’esprit raisonnant. […]Ce modèle rationaliste tend en eff<strong>et</strong> à produire uneconnaissance atomisée, parcellaire, réductrice, « déliée» en quelque sorte. Ainsi paraît-il en être d’unecertaine sociologie <strong>de</strong> la raison positive <strong>et</strong> quantitative,analytique, élaborée sur la base d’enquêtes parquestionnaires ou interviews, <strong>de</strong> sondages d’opinions.À cela d’autres « rationalistes » tentent d’opposer unesociologie <strong>de</strong> la raison négative <strong>et</strong> critique, plus qualitative<strong>et</strong> synthétique, à qui ils fixent comme objectif ledévoilement <strong>de</strong>s réalités – fonctionnement oumouvement – latentes du système social. Mais cesecond courant rejoint le premier dans une mêmedéfinition <strong>de</strong> leur rapport à l’action. Pour eux, laconnaissance sociologique, du seul fait <strong>de</strong> sonexistence, porte en elle une transformationpotentielle, constitue une action qui se suffit à ellemême.C<strong>et</strong>te position minimaliste est <strong>de</strong> plus en pluscontestée par nombre <strong>de</strong> sociologues qui estimentindispensable, sinon <strong>de</strong> développer ce potentield’action, du moins <strong>de</strong> s’interroger sur la réalité <strong>et</strong> lesens <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te action, sur les eff<strong>et</strong>s – éventuellementpervers – qu’elle peut avoir sur le sous-système social.Le sous-système social : les rationalisationsdéliantesLes diagnostics concernant notre système socialvont tous dans le même sens, nous vivons à l’ère <strong>de</strong> lafoule solitaire pour Reisman, <strong>de</strong> la fourmilière1 Cf. notamment F.E. EMERY <strong>et</strong> E.L. TRIST, « Sociotechnicalsystems », in Systems thinking, (Edited by F.E.Emery), London, Penguin Books, 1969.2 Jacques BUDE, L’obscurantisme libéral <strong>et</strong> l’investigationsociologique, Paris, E. Anthropos, 1973, 221 p.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 11


Présentationd’hommes seuls pour Camus, <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong> collectivepour Martin Buber.Émi<strong>et</strong>tée, éclatée, désagrégée, morcelée, sérialisée,telle apparaît notre société aux yeux <strong>de</strong>s observateursles plus avertis. Tous ces épithètes renvoient à unphénomène <strong>de</strong> base : celui <strong>de</strong> la désintégrationcommunautaire, <strong>de</strong> la dislocation <strong>de</strong>s « groupes sociauxprimaires » – la famille, la paroisse, le village, l’atelier– au sein <strong>de</strong>squels se réalisait traditionnellement lasocialisation <strong>de</strong>s futurs adultes. À la base <strong>de</strong> cemouvement apparemment irréversible : la raison <strong>et</strong>ses applications dans les domaines les plus divers,sous forme <strong>de</strong> « rationalisations » scientifiques,techniques, économiques <strong>et</strong> sociales (industrialisation,urbanisation, production <strong>et</strong> consommation <strong>de</strong> masse,organisation « scientifique » du travail, <strong>et</strong>c.).Mais c<strong>et</strong>te raison-là est déraisonnable : elle porte enelle le germe <strong>de</strong> ce qui peut être perçu comme unenouvelle maladie, la déliance, conséquence <strong>de</strong> larupture <strong>de</strong>s liens humains fondamentaux.C<strong>et</strong>te rupture, dont souffrent les êtres <strong>de</strong> notr<strong>et</strong>emps, est polymorphe.Ils ne sont plus reliés aux autres, si ce n’est par <strong>de</strong>smachines : la chaîne pour les producteurs, la télévisionpour les consommateurs.Ils ne sont plus reliés à eux-mêmes : les frénésies <strong>de</strong>la carrière, <strong>de</strong> la consommation, <strong>de</strong> l’informationsurabondante ne leur laissent plus le temps <strong>de</strong>s’interroger sur leur être profond, sur le sens <strong>de</strong> leurvie.Ils ne sont plus reliés à la terre : les espaces vertssont dévorés par le bitume <strong>de</strong>s villes bétonnantes.Ils ne sont plus reliés au ciel : Dieu ne semble pasrépondre aux appels angoissés qui lui sont adressés.Déliés, déconnectés, disjoints, marqués par cescarences <strong>de</strong> « reliance » 1 , ils apparaissent comme le fruitsocial <strong>de</strong> leur propre esprit, <strong>de</strong> leur propre science. Ladéliance sociale est l’enfant pervers <strong>de</strong> la raisonscientifique.Les nouvelles technologies accentuentdramatiquement ces phénomènes <strong>de</strong> déliance sociale,<strong>culturelle</strong>, humaine. Elles sont porteuses d’une doubleréalité contradictoire, paradoxale : elles développent lareliance technique mais dissolvent la reliancehumaine ; elles multiplient les possibilitésd’informations <strong>et</strong> <strong>de</strong> communications, mais aggraventle problème <strong>de</strong> l’information <strong>et</strong> <strong>de</strong> la communication.1 Il s’agit <strong>de</strong> carences dans les médiations institutionnelles<strong>et</strong> structurelles <strong>de</strong>vant assurer la création <strong>de</strong> liensentre l’individu <strong>et</strong> les systèmes dont il fait partie, liensdonnant du sens à son existence. La <strong>recherche</strong> menéepar notre équipe voici une vingtaine d’années a mis enévi<strong>de</strong>nce trois catégories <strong>de</strong> telles carences : <strong>de</strong>s carencesliées à la désorganisation <strong>de</strong>s structures socioéconomiques(marché <strong>de</strong> l’emploi), <strong>de</strong>s carences liées à lasurorganisation <strong>de</strong>s structures techno-bureaucratiques(développement <strong>de</strong>s institutions-choses), <strong>de</strong>s carencesliées à l’organisation <strong>de</strong>s structures psychosociologiques(crise <strong>de</strong> l’autorité).C<strong>et</strong>te maladie <strong>de</strong> déliance – antérieure à l’apparition<strong>de</strong> nouvelles technologies, mais rendue plus aiguë parleur croissance exponentielle – se développe dans cinqdirections : socio-économique (l’emploi), sociotechnique(le travail), socio-psychologique (lescommunications), socio-organisationnelle (le pouvoir),socio-<strong>culturelle</strong> (les solidarités sociales).Une déliance socio-économique : l’emplo i menacéLe travail-emploi constitue, dans notre systèmesocio-économique, une structure <strong>de</strong> reliancefondamentale. Le travail, en eff<strong>et</strong>, relie la personne <strong>de</strong>stravailleurs :• extérieurement, à l’ensemble du système <strong>de</strong>production (reliance socio-<strong>culturelle</strong>),• intérieurement, à son instinct <strong>de</strong> création (reliancepsychologique).Avoir un emploi, c’est avoir un sens socioéconomique,une existence socio-<strong>culturelle</strong>, unei<strong>de</strong>ntité socio-<strong>culturelle</strong>. Perdre son emploi, c’estvivre la rupture d’une double reliance, souffrir unedouble déliance.En ce domaine, les prévisions sont très incertaines.L’hypothèse la plus optimiste prévoit une croissanceéconomique à emploi constant <strong>et</strong> chômage accru : lesnouvelles technologies sont donc à l’origine d’ungrave problème <strong>de</strong> déliance socio-économique.Une déliance socio-technique : le travail« rationalisé »[…] Mais ces nouvelles technologies présententsous c<strong>et</strong> angle une dimension originale : larationalisation qui leur est associée n’est plusseulement d’ordre technique, elle est aussi <strong>et</strong> surtoutsociale, socio-technique. Les nouvelles machinesimposent à l’homme non seulement leur temps, leurrythme, leur ca<strong>de</strong>nce, mais aussi leur logique, leurlangage, leur co<strong>de</strong>. Elles s’interposent entre lui <strong>et</strong> sapensée, sa culture, sa liberté. Elles répan<strong>de</strong>nt unlangage abstrait ; un langage <strong>de</strong> signes, un jargonésotérique. Ainsi, l’activité informatisée a-t-elle puêtre qualifiée <strong>de</strong> « hiéroglyphique », sa transmission,son traitement, sa <strong>de</strong>stination finale <strong>de</strong>meurentinconnus.Rien d’étonnant, dès lors, à constater ce résultatparadoxal <strong>de</strong> la rationalisation : la rationalité absorbe<strong>et</strong> détruit la raison. […]Dans ce contexte se produit une coupure <strong>de</strong>s liensaffectifs entre le travailleur <strong>et</strong> un travail abstrait : ladéliance socio-technique se double d’une déliancesocio-psychologique.Une déliance socio-psychologique : le travailleurisoléNous touchons ici une dimension essentielle duphénomène <strong>de</strong> déliance vécu par les travailleurs : larupture <strong>de</strong>s relations interpersonnelles, la déchiruredu tissu social avec pour conséquence la naissanced’un sentiment d’isolement, <strong>de</strong> solitu<strong>de</strong>.12 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Séance inaugurale,par Marcel Bolle <strong>de</strong> BalC<strong>et</strong> isolement est multiforme : isolement face auxconsoles d’ordinateur, dans <strong>de</strong>s cabines <strong>de</strong> contrôle,même pendant les pauses (il faut se relayer), isolementlié au travail posté (par équipes séparées) ou au travailà domicile (grâce à la téléinformatique).C<strong>et</strong> isolement <strong>de</strong> fait est source d’une solitu<strong>de</strong>paradoxale : les hommes sont reliés par <strong>de</strong>stechniques, non par le corps ; ils sont connectés, maisn’ont plus <strong>de</strong> relations (face-à-face). Les techniques <strong>de</strong>communication tuent la communication. Au fur <strong>et</strong> àmesure que croissent les reliances techniques, lareliance humaine, elle, décroît (songeons à tous cesrépon<strong>de</strong>urs automatiques qui envahissent notre vieprofessionnelle <strong>et</strong> privée, ou encore au développementfulgurant <strong>de</strong>s échanges « virtuels » via le Minitel ouIntern<strong>et</strong>…).Les nouvelles technologies développent lespossibilités <strong>de</strong> communications fonctionnelles (lesnotes <strong>et</strong> informations circulant dans le système <strong>de</strong>production), au moment même où elles freinent lescommunications existentielles (les plus signifiantes enmatière <strong>de</strong> reliance). Le comment communiquerl’emporte sur le quoi communiquer.La rationalisation, une fois <strong>de</strong> plus, se révèleirrationnelle : le succès <strong>de</strong>s clubs <strong>et</strong> autres « groupes<strong>de</strong> rencontres », paradis plus ou moins artificielsd’échanges, <strong>de</strong> reliance <strong>et</strong> d’initiation, ne témoignentilspas du refoulement socio-culturel imposé par lalogique aveugle <strong>de</strong>s nouvelles technologies ?Une déliance socio-organisationnelle : le pouvoiréclatéUn trait commun aux trois phénomènes <strong>de</strong> déliancedéjà évoqués : le sentiment d’une perte <strong>de</strong> pouvoir réelleou potentielle qu’éprouvent les usagers <strong>de</strong> nouvellestechnologies.C<strong>et</strong>te perte <strong>de</strong> pouvoir est réelle dans la mesure oùla rationalisation entraîne un déclin <strong>de</strong> l’autonomieprofessionnelle non seulement <strong>de</strong>s ouvriers d’entr<strong>et</strong>ien,<strong>de</strong>s employés <strong>de</strong> bureau, <strong>de</strong>s cadres en procès <strong>de</strong>prolétarisation : tous per<strong>de</strong>nt le pouvoir qu’ilspossédaient ou croyaient possé<strong>de</strong>r au sein <strong>de</strong>sstructures anciennes.La source <strong>de</strong> toutes ces déliances entre les ouvriers<strong>et</strong> leurs œuvres, entre les travailleurs, est à <strong>recherche</strong>rmoins dans les innovations technologiques, que dansun système d’organisation (système structurant lesrelations <strong>de</strong> pouvoir) fondé sur une logique <strong>de</strong> division,<strong>de</strong> séparation, <strong>de</strong> déliance (division du travail, séparation<strong>de</strong> la pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’exécution, éparpillement <strong>de</strong>sgroupes sociaux, éclatement <strong>de</strong>s structures <strong>de</strong>pouvoir) : en ce sens, nous pouvons parler à juste titred’une déliance socio-organisationnelle, réalité soustendantles phénomènes si souvent évoqués <strong>de</strong> la crise<strong>de</strong> l’autorité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la crise <strong>de</strong> générations…Une déliance socio-<strong>culturelle</strong> : les solidaritésdisloquéesCe type <strong>de</strong> déliance marque tout particulièrement laclasse ouvrière <strong>et</strong> les organisations syndicales quisouhaitent en canaliser l’énergie.Les nouvelles technologies isolent les travailleurs,déchirent le tissu social, diversifient les espaces <strong>et</strong>temps <strong>de</strong> travail, multiplient les catégoriesprofessionnelles : en cela elles réduisent les possibilitésd’actions collectives, <strong>de</strong> situations fusionnelles où parcontagion se construit l’esprit <strong>de</strong> corps, <strong>de</strong> solidaritéaffective <strong>et</strong> effective, <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>srapports <strong>de</strong> classe, bref d’initiation aux luttes sociales.La classe ouvrière, dans les représentationsdominantes véhiculées par les nouveaux médias, cessed’être une foule en lutte au cou<strong>de</strong> à cou<strong>de</strong> pour<strong>de</strong>venir une somme <strong>de</strong> travailleurs individuellementinterrogés par sondages.Face à c<strong>et</strong>te déliance polymorphe, naissent <strong>et</strong>croissent <strong>de</strong>s aspirations <strong>de</strong> re-liance, en particulier cesaspirations <strong>de</strong> reliance sociale évoquées un peu plushaut : les individus déliés, isolés, séparés, aspirent àêtre reliés, <strong>et</strong> à être reliés autrement. Ces aspirationsémergentes constituent, me semble-t-il, un enjeusocial crucial pour notre société, pour nos politiquessociales… Enjeu actuellement pris en charge par lemouvement écologiste, dont les récents succèsélectoraux méritent à c<strong>et</strong> égard d’inciter à laréflexion.En quête d’une société raisonnable : pour unsystème socio-scientifique d’alliance <strong>et</strong> <strong>de</strong> relianceLibérés <strong>de</strong> la nature par l’usage <strong>de</strong> la raison <strong>et</strong> <strong>de</strong> lascience, les hommes <strong>de</strong> notre temps <strong>de</strong>viennentprisonniers <strong>de</strong> leur culture rationaliste <strong>et</strong> scientifique.De plus en plus reliés par leurs techniques – lavoiture, la radio, la télévision, le téléphone, la chaîne,l’ordinateur – ils le sont <strong>de</strong> moins en moins par lesstructures sociales. La spécialisation scientifique seprolonge dans le travail en mi<strong>et</strong>tes, la famille enlambeaux, le village en ruines. Désintégrationatomique <strong>et</strong> désintégration communautaire ne sontque les <strong>de</strong>ux faces d’un même phénomène. Surgit alors<strong>de</strong>s profon<strong>de</strong>urs du corps social une aspirationprofon<strong>de</strong> – dont la revendication écologique constitueune manifestation d’avant-gar<strong>de</strong> – à un renouveau <strong>de</strong>reliance, à <strong>de</strong> nouvelles alliances entre l’homme <strong>et</strong> lanature, entre l’homme <strong>et</strong> les sciences, à une société(réellement) « raisonnable », c’est-à-dire, si nousouvrons à la fois le dictionnaire <strong>et</strong> nos oreilles,« douée <strong>de</strong> (vraie) raison ». […]Résumons-nous.Notre société comporte <strong>de</strong>ux sous-systèmes avecleurs dynamiques propres, étroitementinterconnectées : un sous-système scientifique <strong>et</strong> unsous-système social.Le sous-système scientifique est marqué par l<strong>et</strong>riomphe <strong>de</strong> la raison simplifiante ou du paradigme <strong>de</strong>simplification, pour reprendre l’expression d’EdgarCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 13


PrésentationMorin : il tend à produire une connaissance atomisée,parcellaire, réductrice, bref <strong>de</strong> la déliance intellectuelle.Le sous-système social, lui, peut être décrit commecelui <strong>de</strong>s rationalisations déliantes : caractérisé par ladésintégration communautaire, par la dislocation <strong>de</strong>s« groupes sociaux primaires – la famille, le village, laparoisse, l’atelier – <strong>et</strong> par <strong>de</strong>s applicationsdéraisonnables <strong>de</strong> la raison scientifique, technique,sociale <strong>et</strong> <strong>culturelle</strong> : il produit une déliance existentielleaux multiples dimensions (psychologique, sociale,économique, écologique, ontologique, cosmique).Des aspirations <strong>de</strong> relianceFace à ce double procès <strong>de</strong> déliance – intellectuelle<strong>et</strong> existentielle – naissent <strong>de</strong>s aspirations à <strong>de</strong>nouvelles re-liances, à la fois scientifiques <strong>et</strong>humaines.Des re-liances scientifiques : sont souhaités <strong>de</strong> diverscôtés <strong>de</strong> nouveaux liens entre théorie <strong>et</strong> pratique,<strong>recherche</strong> <strong>et</strong> action, entre disciplines trop souventcloisonnées.Des re-liances humaines : sont révélateursd’aspirations <strong>de</strong> ce type, l’attrait exercé par les sectes,les communautés, les luttes nationales, le mouvementécologiste, les groupes <strong>de</strong> rencontre, bref c<strong>et</strong>terésurgence d’une sorte <strong>de</strong> néo-tribalisme mise enévi<strong>de</strong>nce par Michel Maffesoli 1 .La déliance, paradigme <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnitéLa mo<strong>de</strong>rnité, fondée sur l’essor <strong>de</strong> la raison, s’estconstruite – nous l’avons vu – sur le principe <strong>de</strong>séparation, voire <strong>de</strong> division : diviser pourcomprendre (Descartes), diviser pour produire(Taylor), diviser pour régner (Machiavel). Raisonabstraite <strong>et</strong> déraisonnable, elle est <strong>de</strong>venue source <strong>de</strong>déliances multiples : <strong>culturelle</strong>s, urbaines, familiales,religieuses, écologiques, <strong>et</strong>c., bref <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te solitu<strong>de</strong>existentielle dénoncée <strong>de</strong> divers côtés (Riesman,Camus, Buber, …), <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te « dé-solation »stigmatisée par Hannah Arendt. En quelque sorte, leparadigme <strong>de</strong> déliance gît au cœur <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnitétriomphante, à la fois facteur <strong>de</strong> son triomphe <strong>et</strong>générateur <strong>de</strong> la fragilité <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier.La reliance, paradigme <strong>de</strong> la post-mo<strong>de</strong>rnité ?Michel Maffesoli, lui, défend avec force la thèsesuivante si le paradigme <strong>de</strong> déliance structure lamo<strong>de</strong>rnité, la post-mo<strong>de</strong>rnité, en revanche, <strong>de</strong>vraitêtre caractérisée par la revitalisation du paradigme <strong>de</strong>reliance.C<strong>et</strong>te thèse, il l’a exposée, argumentée, plaidée dansses nombreux ouvrages 2 . N’est-ce pas lui qui définit la« reliance » comme l’« étonnante pulsion qui pousse à1 Michel MAFFESOLI, Le temps <strong>de</strong>s tribus, Paris, MéridiensKlincksieck, 1988.2 En particulier dans le Temps <strong>de</strong>s Tribus (T.T.), op. cit.Au Creux <strong>de</strong>s Apparences (C.A.), Paris, Plon, 1990 ; LaTransfiguration du Politique (T.P.), Paris, Grass<strong>et</strong>, 1992 ;La Contemplation du Mon<strong>de</strong> (C.M.), Paris, Grass<strong>et</strong>, 1993.se <strong>recherche</strong>r, à s’assembler, à se rendre à l’autre 3 » <strong>et</strong>qui évoque « c<strong>et</strong>te chose « archaïque » qu’est le besoin<strong>de</strong> reliance 4 » ? Pour lui, les manifestations <strong>de</strong> c<strong>et</strong>telogique <strong>de</strong> reliance à l’œuvre dans la société postmo<strong>de</strong>rnesont multiples, variées <strong>et</strong> signifiantes. Ilrange notamment parmi elles le r<strong>et</strong>our <strong>de</strong>s tribus,l’exacerbation <strong>de</strong>s corps <strong>et</strong> <strong>de</strong>s sens 5 , l’idéalcommunautaire 6 , l’essor <strong>de</strong> l’écologie, la vitalité <strong>de</strong> lasocialité, l’idée obsédante <strong>de</strong> l’être ensemble 7 , lesi<strong>de</strong>ntifications supplantant les i<strong>de</strong>ntités, leprésentéisme, le carpe diem 8 , l’immoralisme éthique,le lococentré s’élevant face à l’égocentré, labaroquisation du mon<strong>de</strong>, la prégnance <strong>de</strong>s images 9 , lerôle du look <strong>et</strong> <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>, l’exacerbation <strong>de</strong> lamystique <strong>et</strong> <strong>de</strong> la religion 10 , le règne <strong>de</strong> Dionysos lereliant succédant à celui d’Apollon le déliant.S’inscrivant dans la mouvance <strong>de</strong>s idées développéespar Gilbert Durand <strong>et</strong> Edgar Morin, il détecte dans lapost-mo<strong>de</strong>rnité <strong>et</strong> son effervescence la fin <strong>de</strong> laséparation entre nature <strong>et</strong> culture, l’émergence du« divin social 11 », l’épanouissement <strong>de</strong> la reliancecomme forme profane <strong>de</strong> religion, d’une sorte <strong>de</strong>transcendance immanente 12 .Le couple conceptuel déliance/reliance,paradigme « duel » <strong>de</strong> l’hypermo<strong>de</strong>rnitéPour l’essentiel, je partage c<strong>et</strong>te analyse. D’accordpour reconnaître que la reliance se situe au cœur <strong>de</strong>c<strong>et</strong>te dynamique « post-mo<strong>de</strong>rne » chère à MichelMaffesoli <strong>et</strong> quelques autres. Proj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> pratiques <strong>de</strong>reliance comme réaction dialectique aux excès <strong>de</strong> lamo<strong>de</strong>rnité déliante. Mais j’avoue ne guère apprécierc<strong>et</strong>te théorie <strong>de</strong> la « post-mo<strong>de</strong>rnité », laquelle semblesuggérer – ne fût-ce que sémantiquement – qu’à unemo<strong>de</strong>rnité déclinante succé<strong>de</strong>rait une « postmo<strong>de</strong>rnité» reliante. En fait la logique déliant mêmesi elle génère maintes réactions dialectiques. Aussisuis-je plutôt enclin à parler <strong>de</strong> la société émergentecomme d’un exemple d’« hyper-mo<strong>de</strong>rnité », termeconstruit par le même modèle que ceuxd’« hypercomplexité » développé par Edgar Morin 13<strong>et</strong> d’« entreprise hyper-mo<strong>de</strong>rne » avancé par MaxPages 14 pour décrire <strong>de</strong>s réalités en gestation au seinmême <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité, <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa culture fondée sur unelogique <strong>de</strong> déliance.3 T.P., p. 41.4 C.M., p. 151.5 C.A., p. 66.6 C.M., p. 18.7 C.A., p. 28.8 C.A., p. 48 ; T.P., p. 18.9 C.M., p. 21, 131, 165.10 C.A., p. 27, 83, 84, 195, 215 ; T.P., p. 137.11 C.M., p. 104.12 C.A., p. 27.13 Edgar MORIN, La Métho<strong>de</strong>. III. La connaissance <strong>de</strong> laconnaissance, Paris, Seuil, 1986, p. 98-99.14 Max PAGES, Michel BONETTI, Vincent <strong>de</strong>GAULEJAC, Daniel DESCENDRE, L’emprise <strong>de</strong>l’organisation, Paris, PUF, 1979.14 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Séance inaugurale,par Marcel Bolle <strong>de</strong> BalAu cœur <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te « hyper-mo<strong>de</strong>rnité », je croisobserver l’émergence d’un nouveau paradigme, celuidu couple conceptuel indissociable déliance/reliance,synthèse dialectique (ou paradoxe dialogique) <strong>de</strong> lamo<strong>de</strong>rnité déliante <strong>et</strong> <strong>de</strong> la post-mo<strong>de</strong>rnité reliante.Déliance <strong>et</strong> reliance sont ontologiquementinséparables, elles forment un couple « duel » 1 commele jour <strong>et</strong> la nuit, le Yin <strong>et</strong> le Yang, l’amour <strong>et</strong> la haine,le moteur <strong>et</strong> le frein, l’interdit <strong>et</strong> la transgression, lecentre <strong>et</strong> la périphérie, <strong>et</strong>c.Mes <strong>recherche</strong>s <strong>et</strong> réflexions les plus récentes m’ontamené à considérer que plus que le seul concept <strong>de</strong>reliance, c’était le couple conceptuel déliance/reliancequi pouvait le mieux rendre compte <strong>de</strong>s réalitéshumaines contemporaines : la reliance ne peut –théoriquement <strong>et</strong> pratiquement – être dissociée <strong>de</strong> ladéliance, son double antagoniste <strong>et</strong> complice. Lareliance est une réalité « duelle », dialogique 2 <strong>et</strong>paradoxale : avec la déliance, qui lui est toujours liée,elle forme un couple soumis à <strong>de</strong>s logiques différentes<strong>et</strong> complémentaires, toutes <strong>de</strong>ux nécessaires àl’existence <strong>de</strong> la vie psychique, sociale <strong>et</strong> <strong>culturelle</strong>.Finalement, compte tenu <strong>de</strong> ce que je viens <strong>de</strong> dire àla fois sur la dualité du complexe conceptueldéliance/reliance <strong>et</strong> sur la notion d’hypermo<strong>de</strong>rnité,j’ai envie <strong>de</strong> délier les <strong>de</strong>ux parties <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière <strong>et</strong>d’avancer – <strong>de</strong> façon un peu caricaturale, j’en conviens– l’idée que, en son sein, un double paradigme est àl’œuvre : celui <strong>de</strong> la reliance pour l’« hyper », celui <strong>de</strong>la « déliance » pour la « mo<strong>de</strong>rnité » toujours active.Le paradigme éthique <strong>de</strong> l’hypermo<strong>de</strong>rnité serait donccelui <strong>de</strong> la déliance/reliance.Ce paradigme refléterait les problématiquesparticulières <strong>de</strong>s sociétés hypermo<strong>de</strong>rnes marquéespar l’éphémère, le mobile, le léger, la glisse, le surf, ladilatation <strong>de</strong> l’espace (chacun potentiellement relié àtous les points du mon<strong>de</strong>) <strong>et</strong> le rétrécissement dutemps (l’intensité <strong>de</strong> l’instant présent) : délier <strong>de</strong>scontraintes dysfonctionnelles, relier ceux quiéprouvent le besoin luci<strong>de</strong> d’une telle « reliance ».1 Duel : nombre intermédiaire entre le singulier <strong>et</strong> le pluriel,tel qu’il existe en <strong>de</strong> nombreuses langues (grec, slovène,hébreu, <strong>et</strong>c. ). Ce nombre désigne ce qui va par<strong>de</strong>ux <strong>et</strong> forme néanmoins un ensemble, <strong>de</strong>ux qui formentun tout, une entité en <strong>de</strong>ux parties, les <strong>de</strong>ux yeux,les <strong>de</strong>ux mains, le bonheur <strong>et</strong> le malheur, l’ombre <strong>et</strong> lalumière, la vie <strong>et</strong> la mort, l’ignorance <strong>et</strong> la connaissance,<strong>et</strong>c. La pensée « duelle », étrangère à notre culture, estpourtant essentielle pour tout travail d’interprétation <strong>et</strong>d’intervention sociologiques. Pour elle, ce qui opposeunit, ce qui unit oppose, ce qui lie délie, ce qui délie lie.2 Dialogique : « association complexe (complémentaire,concurrente, antagoniste) d’instances nécessaires àl’existence d’un phénomène organisé » (Edgar MORIN,op.cit. 1986, p. 98) ; « unité symbiotique <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux logiquesqui se nourrissent l’une l’autre, se concurrencent,se parasitent mutuellement, s’opposent <strong>et</strong> se combattentà mort » (Edgar MORIN, op.cit., 1977,p. 80).DE LA « LIANCE »Demeure alors la question du troisième terme, <strong>de</strong> latroisième notion sociologique venant compléter notr<strong>et</strong>riangle conceptuel : la « liance ».D’où sort-elle, <strong>et</strong> quelle peut bien être sasignification épistémologique ?Le secr<strong>et</strong> <strong>de</strong> la « liance »C’est Jos Tontlinger qui a été le premier à noter 3l’étonnante absence, dans mes premiers écrits, <strong>de</strong> lanotion <strong>de</strong> « liance », probable ancêtre commun <strong>de</strong>stermes « dé-liance » <strong>et</strong> « re-liance ». Celui-làconstitue logiquement la racine sémantique <strong>de</strong> ceuxci.Tant la « dé-liance » que la « re-liance » suggèrentl’existence d’un lien ancien (l’énigmatique « liance »),qui aurait été dé-fait <strong>et</strong> qu’il s’agirait <strong>de</strong> re-trouverafin <strong>de</strong> reconquérir la liance perdue (ou fantasmée), <strong>de</strong>sactes <strong>de</strong> re-liance seraient posés, mus par un désir <strong>de</strong>re-liance, <strong>de</strong> surmonter les dé-liances subies…Mais alors quel serait c<strong>et</strong> état antérieur, c<strong>et</strong>tesituation <strong>de</strong> pré-déliance, c<strong>et</strong>te « liance » originaire ?À c<strong>et</strong>te question, Francine Gillot-<strong>de</strong> Vries,psychologue spécialiste du développement <strong>de</strong> l’enfant,apporte un début <strong>de</strong> réponse <strong>et</strong> ouvre un champ <strong>de</strong>réflexion potentiellement fécond lorsqu’elle évoque 4 la« liance » physique <strong>et</strong> psychique qui unit <strong>de</strong> façon« c<strong>et</strong> état <strong>de</strong> bien-être éprouvé dans le ventrematernel » qui va être interrompu au moment <strong>de</strong> lanaissance, lors <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te première <strong>et</strong> brutale « déliance» physique <strong>et</strong> psychique, lors <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te sorte <strong>de</strong>« dé-ception », dialectiquement <strong>et</strong> dialogiquement liéeà l’événement <strong>de</strong> la conception. La « liance », état dufo<strong>et</strong>us fusionné <strong>et</strong> fusionnant avec la mère, croissanced’un être indistinct mais tendant à se distinguer, estdonc bien à la fois physique <strong>et</strong> psychique : physiquepour répondre aux lois <strong>de</strong> la biologie, psychique en cequ’elle constitue un <strong>de</strong>s traits spécifiques <strong>de</strong> lamaternité. En avançant ainsi l’idée d’un état <strong>et</strong> d’unprocessus <strong>de</strong> « liance », la psychologie n’est-elle pasen mesure d’enrichir la théorie sociologique <strong>de</strong> lareliance ? Ne pourrions-nous considérer qu’à l’inverse<strong>de</strong> la reliance définie par la création ou la recréation <strong>de</strong>liens sociaux médiatisés, la « liance », elle, concerneraitessentiellement <strong>de</strong>s liens humains immédiats, nonmédiatisés (ou médiatisés par l’une <strong>de</strong>s composantesdu lien lui-même : le corps <strong>de</strong> la mère, le cordonombilical) ? En d’autres termes : le corps maternelconstituerait une structure <strong>de</strong> (re)-liance sans tiersmédiateur. Sans doute d’aucuns seront-ils tentés <strong>de</strong>parler <strong>de</strong> reliance fusionnelle, expression non exempte3 Jos TONTLINGER, « Du côté <strong>de</strong> la psychanalyse : reliance,déliance, liance, ou la vie secrète d’un conceptoriginal <strong>et</strong> originaire », in Marcel BOLLE DE BAL(dir.), Voyages au cœur <strong>de</strong>s sciences humaines, op. cit., t. 1,p. 189-195.4 Francine GILLOT-<strong>de</strong> VRIES, « Du côté <strong>de</strong> la psychologie: reliance <strong>et</strong> déliance au cœur du processusd’individuation », in Marcel BOLLE DE BAL (dir.), op.cit., tome 1, p. 181-188.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 15


Présentation<strong>de</strong>s contradictions conceptuelles (dans la mesure où lareliance, dans une perspective normative, serait – telleest du moins ma conception – caractérisée parl’acceptation <strong>de</strong> la séparation, <strong>de</strong>s différences <strong>de</strong> lasolitu<strong>de</strong>… bref d’inévitables déliances) : à c<strong>et</strong> égard, l<strong>et</strong>erme « liance » paraît plus pertinent pour rendrecompte <strong>de</strong> la réalité physique <strong>et</strong> psychique vécuedurant la grossesse par la future mère <strong>et</strong> le futurenfant. Dans la foulée <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te expérience, la naissancene peut manquer d’être éprouvée comme un doublechoc : la fin d’un mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> la création d’un nouveaumon<strong>de</strong>, la sortie <strong>de</strong> l’existence intra-utérine <strong>et</strong> l’entréedans la vie, l’adieu à la liance <strong>et</strong> l’expérience <strong>de</strong> ladéliance. Double choc qui dès lors va nourrir lanostalgie <strong>de</strong>s temps révolus, les permanentes quêtes <strong>de</strong>reliance enracinées dans ce vécu <strong>de</strong> dé-liance <strong>et</strong> lesubséquent besoin <strong>de</strong> re-liance : toute la vie <strong>de</strong>l’individu n’est-elle pas marquée par le puissant désir<strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver le paradis perdu <strong>de</strong> la liance originelle, parl’utopie <strong>de</strong> l’éternel r<strong>et</strong>our à c<strong>et</strong>te union symbiotique,par l’insatiable <strong>recherche</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te relation privilégiéeà jamais enfuie (<strong>et</strong> enfouie) via une série <strong>de</strong> démarchesconscientes <strong>et</strong> inconscientes, à travers le sexe, lareligion, la nature, l’art, les drogues, la méditation,<strong>et</strong>c. ? L’union est rêvée comme béatitu<strong>de</strong>, laséparation crainte comme menace. Et pourtant, nousne cessons <strong>de</strong> nous éloigner <strong>de</strong> l’une (la liance) pouraffronter l’autre (la déliance). Le besoin <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir unêtre distinct (dé-lié), libéré <strong>de</strong>s liens qui ligotent, estaussi prégnant que le désir <strong>de</strong> fusionner à jamais (désir<strong>de</strong> liance… <strong>et</strong> donc <strong>de</strong> re-liance).L’apparition <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te nouvelle notion <strong>de</strong> « liance »,en particulier sous l’impulsion <strong>de</strong> psychologues,suscite un fascinant écho lorsque nous écoutons lespropos du sociologue <strong>et</strong> philosophe Edgar Morin 1 . Luiaussi fait spontanément appel à l’idée <strong>de</strong> « liance ».Mais, fidèle à ses options épistémologiques, il esttenté <strong>de</strong> lui octroyer un sens métaphysicocosmogonique: pour lui, c<strong>et</strong>te notion évoque le vi<strong>de</strong>primitif, une entité primordiale caractérisée par unétat d’indifférenciation. Évoquant la Kabbale (« ler<strong>et</strong>rait <strong>de</strong> Dieu amène la rupture <strong>de</strong>s vases <strong>de</strong>perfection »), il nous rappelle qu’au début <strong>de</strong> celle-ci ilest écrit : « Au commencement, Elohim sépara lalumière <strong>de</strong>s ténèbres ». Notre mon<strong>de</strong> est donc bienmarqué <strong>de</strong> l’origine par la rupture <strong>et</strong> la séparation…atavisme qui génère notre obscure aspiration à la « reliance», à r<strong>et</strong>rouver quelque chose non pointi<strong>de</strong>ntique, mais similaire à la « liance » originaire, carle problème, selon lui, c’est l’union du séparé <strong>et</strong> <strong>de</strong>l’inséparable :nous espérons r<strong>et</strong>rouver quelque chose dont nous sommesmaintenant séparés, mais qui nous ren<strong>de</strong> inséparables… Lareliance n’abolira pas la séparation, mais la transformera 2 .1 Edgar MORIN, « Vers une théorie <strong>de</strong> la reliance généralisée? », in Marcel BOLLE DE BAL (dir.), op. cit.,tome 1, p. 315-326.2 Id., p. 324-325.En cela, les conceptions d’Edgar Morin rejoignentla définition normative <strong>de</strong> la reliance sociale telle que jel’ai formulée à plusieurs reprises : « le partage <strong>de</strong>ssolitu<strong>de</strong>s acceptées, l’échange <strong>de</strong>s différencesrespectées, la rencontre <strong>de</strong>s valeurs assumées, lasynergie <strong>de</strong>s i<strong>de</strong>ntités affirmées… ».REPÈRES BIBLIOGRAPHIQUESOuvragesNombreux sont les ouvrages traitant <strong>de</strong> divers aspects <strong>de</strong> lareliance. Le lecteur intéressé trouvera une liste <strong>de</strong> ceux-ci à la findu <strong>de</strong>uxième tome du livre le plus compl<strong>et</strong> publié sur la question :Marcel BOLLE DE BAL (dir.), Voyages au cœur <strong>de</strong> scienceshumaines. De la reliance, Paris, L’Harmattan, 1996. Avecnotamment <strong>de</strong>s contributions <strong>de</strong> René Barbier, GenevièveDahan-Seltzer, Eugène Enriquez, Alain Eraly, FrancoFerrarotti, Vincent <strong>de</strong> Gaulejac, Francine Gillot-<strong>de</strong> Vries,Salvador Giner, Véronique Guenne, Vincent Hanssens,Monique Hirschhorn, Françoise Leclercq, MichelMaffesoli, Carlo Mongardini, Edgar Morin, Max Pages,René Pass<strong>et</strong>, Guy Rocher, Renaud Sainsaulieu, Marc-Henri Soul<strong>et</strong>, Evelyne Sullerot, György Szell, GabrielThoveron, Liliane Voyé.Le premier livre consacré à c<strong>et</strong>te notion a été : MarcelBOLLE DE BAL, La tentation communautaire. Lesparadoxes <strong>de</strong> la reliance <strong>et</strong> <strong>de</strong> la contre-culture, Bruxelles,Edit. <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Bruxelles, 1985.Parmi ceux traitant spécifiquement <strong>de</strong>s thèmes <strong>de</strong> lareliance, on r<strong>et</strong>iendra plus particulièrement, en plus <strong>de</strong>ceux cités en cours d’article.Jean-Louis DARMS <strong>et</strong> Jean LALOUP, Interstances,communiquer à contre-sens, Louvain-la- Neuve, Cabay,1983.Michel MAFFESOLI, Au creux <strong>de</strong>s apparences. Pour uneéthique <strong>de</strong> l’esthétique, Paris, Plon, 1990.Michel MAFFESOLI, La transfiguration du politique. Latribalisation du mon<strong>de</strong>, Paris, Grass<strong>et</strong>, 1992.Michel MAFFESOLI, La contemplation du mon<strong>de</strong>. Figuresdu style communautaire, Paris, Grass<strong>et</strong>, 1993.Edgar MORIN, Terre-Patrie, Paris, Seuil, 1993.Edgar MORIN, Mes démons, Paris, Stock, 1994.Edgar MORIN, Reliances, La Tour d’Aigues, Ed. <strong>de</strong> l’Aube,2000Renaud SAINSAULIEU, Des sociétés en mouvement. Laressource <strong>de</strong>s institutions intermédiaires, Paris, Desclée <strong>de</strong>Brouwer, 2001Evelyne SULLEROT, Pour le meilleur <strong>et</strong> sans le pire, Paris,Fayard, 1984.Gabriel THOVERON, Radio <strong>et</strong> télévision dans la viequotidienne, Bruxelles, Ed. <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> Sociologie <strong>de</strong>l’ULB, 1970.Articles <strong>de</strong> l’auteurCe thème a été développé en ses diverses dimensions dans unecinquantaine d’articles. Ne seront repris ici que les plussignificatifs d’entre eux.« Nouvelles alliances <strong>et</strong> reliance : <strong>de</strong>ux enjeux stratégiques<strong>de</strong> la <strong>recherche</strong>-action », Revue <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> Sociologie,1981/3, p. 573_587.« Reliance : Connexions <strong>et</strong> sens », Connexions, 1981,n°33,p. 9-36.16 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Argentine : un pays <strong>de</strong> contradictions,par Pablo Waichmanles premiers centres culturels qui incluentgénéralement <strong>de</strong>s écoles, <strong>de</strong>s clubs sociaux <strong>et</strong> sportifs.Ces centres favorisent le maintien <strong>de</strong> la cohésion dugroupe <strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> faire connaître aux nouvellesgénérations la langue, les danses, la gastronomie, lalittérature <strong>et</strong> la musique, les légen<strong>de</strong>s <strong>et</strong> les ritestraditionnels. Le lieu central est en général, labibliothèque. D’autres structures voient le jour : les« secours mutuels » qui convergeront dans les actuelshôpitaux <strong>de</strong> communautés (italien, français, espagnol,syro-libanais, juif, allemand, <strong>et</strong>c.) Aussi en tant qu’ai<strong>de</strong>à caractère solidaire, vont créer <strong>de</strong>s coopératives <strong>de</strong>crédit, d’habitation, <strong>de</strong> consommation, <strong>et</strong>c., dansplusieurs cas avec l’apport désintéressé <strong>de</strong>s membresplus favorisés <strong>de</strong> leur communauté, plus favorisées ou<strong>de</strong>s premiers arrivants dans le pays. Ces coopérativescontinuent, jusqu’à nos jours, à promouvoir <strong>de</strong>sactivités sociales <strong>et</strong> <strong>culturelle</strong>s pour leurs membresassociés.Si l’on parle <strong>de</strong>s pratiques d’activitésphysiques, on constate que les clubs Sportif italiens,espagnols ou arméniens privilégient le sport le pluspopulaire : le soccer ; alors que les communautésjuives (Hebraica, Macabi <strong>et</strong> Scholem) sont reconnuesen volley-ball.Ces lignées pluri<strong>culturelle</strong>s perdurent jusqu’à nosjours <strong>et</strong> annuellement, donnent lieu à <strong>de</strong>s multiplesrencontres festives <strong>de</strong> communautés pour montrer lacontinuité <strong>de</strong> leurs traditions. Probablement, c<strong>et</strong>tevariété <strong>de</strong> modèles sociaux <strong>et</strong> culturels a eu commeconséquence que dans notre pays, le taux d’attitu<strong>de</strong>sdiscriminatoires soit très bas, au moins à l’endroit <strong>de</strong>simmigrants.D’un autre côté, au début du XX e siècle, avec lesidées nouvelles <strong>et</strong> les rêves qui alimentaient lesimmigrants, majoritairement d’idéologie anarchiste,se m<strong>et</strong>tent en place les premières formes d’activitéssyndicales, <strong>et</strong> cela, dans un pays où la politique <strong>et</strong> lepouvoir était aux mains <strong>de</strong>s grands groupes quicontrôlaient l’économie agricole <strong>et</strong> l’élevage. Desidées telles la réforme agraire, les droits <strong>de</strong>travailleurs, travailleuses, l’accès à l’éducation, le sens<strong>de</strong> l’exploitation, le vote à tous les citoyens majeurs,l’accès à la culture pour comprendre le mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> sasituation, commencent à être diffusées. Parfois, ellessont même défendues par le sang, changeantradicalement les conceptions politiques en vigueurjusqu’à ce moment. C’est le début, dans les premièresdécennies du XX e siècle, <strong>de</strong>s journaux syndicaux, <strong>de</strong>scercles <strong>de</strong> théâtre lu <strong>et</strong> <strong>de</strong> poésie, <strong>de</strong>s groupes philodramatiques,<strong>de</strong>s bibliothèques populaires, <strong>de</strong>schœurs, bref, <strong>de</strong> la participation <strong>de</strong>s travailleurscomme protagonistes dans la construction <strong>de</strong> leurperspective <strong>de</strong> vie fondée sur l’ai<strong>de</strong> mutuelle <strong>et</strong>, dansplusieurs cas, sur le dépassement du modèlecapitaliste. Aussi, le temps libre est-il vu comme uneopportunité pour se former, dans un contexte où lesavoir émerge comme valeur. C<strong>et</strong>te réalité <strong>et</strong> luttepermanente <strong>de</strong>s travailleurs commence sa déca<strong>de</strong>nceavec l’apparition du populisme péroniste au début <strong>de</strong>la post-guerre. Toutefois, <strong>et</strong> cela jusqu’à maintenant,plusieurs syndicats ont établi <strong>de</strong>s écoles qui offrent àleurs affiliéEs la possibilité <strong>de</strong> compléter leurs étu<strong>de</strong>s.Ils offrent <strong>de</strong>s ateliers <strong>de</strong> perfectionnement <strong>de</strong>sspécialités <strong>et</strong> aussi <strong>de</strong> promotion sociale <strong>et</strong> <strong>culturelle</strong>.Pendant tout le <strong>de</strong>rnier siècle, notre pays, <strong>de</strong> mêmeque beaucoup d’autres en Amérique latine, a étésecoué par <strong>de</strong> successifs coups d’État militaires quij<strong>et</strong>aient par terre les efforts pour maintenir uneprécaire démocratie formelle. Inévitablement, lescoups d’État détruisaient aussitôt toute expressionauthentique d’organisation populaire qui pouvaitexister en invoquant l’argument que celles-ci allaientà l’encontre <strong>de</strong>s objectifs qui les avaient amenés àprendre le pouvoir. Avec chaque coup d’État, <strong>de</strong>sinstitutions tombaient ainsi que <strong>de</strong>s personnes quis’impliquaient socialement pour créer <strong>de</strong>s conditionspour le développement <strong>de</strong>s gens dans le besoin, ainsique celles qui mobilisaient divers groupes afind’améliorer le niveau d’organisation <strong>de</strong>s travailleurs <strong>et</strong>d’artistes ou n’importe quelle organisation qui luttaitpour la prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> la situation par laquellepassait le pays.La <strong>de</strong>rnière dictature (1976/1983) a arraché la vie<strong>de</strong> 30 000 personnes, parmi lesquelles beaucoupparticipaient dans leurs lieux <strong>de</strong> travail ou <strong>de</strong>rési<strong>de</strong>nce ou dans diverses d’organisations <strong>culturelle</strong>s,politiques ou sociales mobilisant les citoyens pouraméliorer leur qualité <strong>de</strong> vie, pour augmenter leniveau du savoir spécifique, pour développer <strong>de</strong>smodèles coopératifs <strong>de</strong> gestion, <strong>et</strong>c. Sans doute, lapeur qui règne <strong>de</strong>s nos jours <strong>de</strong> participer à <strong>de</strong>sgroupes <strong>de</strong> volontaires pour la défense d’intérêtsp<strong>et</strong>its ou grands <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> grands secteursnationaux découle <strong>de</strong> la crainte héritée <strong>de</strong> la situationprécé<strong>de</strong>nte. Bien sur que pour ceux qui assument leurcondition <strong>de</strong> lea<strong>de</strong>rs politiques ou sociaux, le passé estun stimulant pour approfondir le travail solidaire enayant à l’esprit que plus jamais les conditionsprécé<strong>de</strong>ntes ne doivent prévaloir, ni oublier ce qui estarrivé.CULTURE POPULAIRE, ANIMATIONCULTURELLE, GESTION CULTURELLELa plupart <strong>de</strong>s municipalités <strong>de</strong> tout notre payssoutiennent <strong>de</strong>s programmes socioculturels, plus aumoins continus, plus ou moins nombreux <strong>et</strong> avecdifférents niveaux <strong>de</strong> qualification <strong>de</strong>s dirigeantsmenant à bonne fin le soin <strong>et</strong> la récréation <strong>de</strong>spersonnes du troisième âge, la récréation d’enfants <strong>et</strong><strong>de</strong>s jeunes, la mobilisation <strong>culturelle</strong> avec <strong>de</strong>s ateliers<strong>et</strong> <strong>de</strong>s expositions. Toutefois, il est impossibled’obtenir <strong>de</strong>s chiffres qui donneraient une vision réelle<strong>de</strong> leur développement. Pour c<strong>et</strong>te raison, notreréflexion se centrera sur <strong>de</strong>s structures plus officielles.La structure d’animation socio<strong>culturelle</strong>probablement la plus systématique sur notre territoireest celle du gouvernement <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Buenos Aires,précé<strong>de</strong>mment nommé Capitale fédérale, étant le siègedu gouvernement national du pays. Il y a quelquesCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 19


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animationannées, elle a obtenu la catégorie <strong>de</strong> ville autonome <strong>de</strong>Buenos Aires. Aussi a-t-elle sa propre Constitution <strong>et</strong>les trois pouvoirs d’un gouvernement démocratique.La ville <strong>de</strong> Buenos Aires, avec ses 146 kilomètrescarrés <strong>de</strong> superficie <strong>et</strong> ses 3 100 000 habitants est lecentre intellectuel par excellence du pays oùprédominent les services en tant que secteuréconomique le plus important.À l’intérieur <strong>de</strong> ses structures en paliers avecdifférents niveaux hiérarchiques <strong>et</strong> organisationnels,se r<strong>et</strong>rouvent <strong>de</strong>s secteurs comme ceux <strong>de</strong> la gestion<strong>et</strong> <strong>de</strong>s industries <strong>culturelle</strong>s, comme les programmes<strong>de</strong> conservation du patrimoine culturel, lesprogrammes <strong>de</strong> médiation communautaire <strong>et</strong>métho<strong>de</strong>s alternatives <strong>de</strong> résolution <strong>de</strong> conflits, <strong>de</strong>scentres <strong>de</strong> gestion <strong>et</strong> participation citoyenne, <strong>et</strong>c. Parexemple y émergent les Centres <strong>de</strong> Gestion <strong>et</strong> <strong>de</strong> laparticipation qui sont à la base du Programme <strong>de</strong>décentralisation administrative du gouvernement <strong>de</strong>la ville, crées dans le but <strong>de</strong> vitaliser la relation <strong>et</strong> lecontact immédiat entre voisins, <strong>de</strong> promouvoir le« protagonisme collectif » <strong>et</strong> la <strong>recherche</strong> <strong>de</strong> solutionsen consensus.Le Secrétariat <strong>de</strong> la Culture dirige plusieurssections <strong>et</strong> programmes qui peuvent être considéréscomme reliés à l’animation, à l’éducation permanenteou populaire, à la récréation, <strong>et</strong>c. Un <strong>de</strong>s domaines leplus importants du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la participation estle « Programme culturel <strong>de</strong> quartiers » qui, <strong>de</strong>puis1984, à travers les centres culturels <strong>de</strong>s quartiers,offre à tous les habitants <strong>de</strong> la ville <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa banlieue<strong>de</strong>s ateliers d’initiation <strong>et</strong> <strong>de</strong> formation à l’expressionartistique. Les objectifs <strong>de</strong> ces ateliers sont <strong>de</strong>sensibiliser <strong>et</strong> <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s vocations <strong>et</strong> <strong>de</strong>sintérêts pour <strong>de</strong>s espaces non conventionnels afin <strong>de</strong>favoriser, par ces moyens, une amélioration <strong>de</strong> laqualité <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s gens à travers <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>s collectifs.L’apprentissage est assuré par un corps <strong>de</strong> professeurs<strong>et</strong> d’artistes responsables <strong>de</strong> monter les ateliers <strong>et</strong>d’initier les participantEs aux techniques, auxdisciplines <strong>et</strong> aux spécialités diverses.Tous les ateliers sont gratuits dans les 31 centresculturels publics. Quelques autres sont privés avec <strong>de</strong>sservices beaucoup plus limités <strong>et</strong> dans certains cas,avec <strong>de</strong>s activités dont l’accès implique un coûtfinancier. Parmi la diversité d’ateliers proposés,signalons par exemple : la technique vocale <strong>et</strong> leschœurs <strong>de</strong> négro spirituel ou afro-latin, le chantcommunautaire, le chant <strong>et</strong> la danse folkloriques, lesdanses (arabe, afro, break danse, salsa, tango,contemporaine, native, grecque , rythmique, leflamenco, la milonga (rythme du Río <strong>de</strong> la Plata), sansparler <strong>de</strong>s initiations à la danse pour enfants ; lesensembles musicaux, les murgas (troupes <strong>de</strong> musiciensambulants), les sikus <strong>et</strong> charango (instrumentsfolkloriques), les candombe <strong>et</strong> percussion (rythme du Río<strong>de</strong> la Plata), la guitare folklorique, les aérophones encane (instruments folkloriques), les conteurs <strong>et</strong> lanarration orale ; le théâtre anthropologique, le théâtrenoir, d’improvisation, d’auteur, <strong>de</strong> marionn<strong>et</strong>tes, lascénographie, les laboratoires théâtraux, <strong>et</strong>c.) lezapateo criollo (claqu<strong>et</strong>te argentine), les comédiesmusicales, les arts plastiques pour enfants ; laphotographie <strong>et</strong> la vidéo, le <strong>de</strong>ssin humoristique, lestechniques journalistiques, les caricatures, lejournalisme culturel <strong>et</strong> sportif ; les murales, les obj<strong>et</strong>sdécoratifs, le fil<strong>et</strong>eado (art plastique exclusif <strong>de</strong> BuenosAires qui décore les faça<strong>de</strong>s <strong>de</strong> locaux <strong>et</strong> les voitures),les chan<strong>de</strong>lles artisanales, les cartes espagnoles ; lamagie <strong>et</strong> le cirque, l’acrobatie <strong>et</strong> les clowns, le trapèze<strong>et</strong> les échasses, la jonglerie ; les cours <strong>de</strong> coiffure, <strong>de</strong>maquillage, <strong>de</strong> travail corporel <strong>et</strong> <strong>de</strong> yoga, <strong>de</strong> <strong>de</strong>sign<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, d’histoire <strong>de</strong> l’art, <strong>de</strong> peinture sur tissu, <strong>de</strong>joaillerie <strong>et</strong> d’orfèvrerie, <strong>de</strong> tissage, <strong>de</strong> macramé, <strong>de</strong>porcelaine froi<strong>de</strong>, <strong>de</strong> vitrail, <strong>de</strong> sculpture, <strong>de</strong> tricottraditionnel, les arts plastiques intégrés, lesrencontres cinématographiques <strong>et</strong> les débats autour<strong>de</strong> films, les constructions <strong>de</strong> jeux <strong>et</strong> <strong>de</strong> jou<strong>et</strong>s, lerecyclage <strong>de</strong> meubles, la sérigraphie, les constructionen carton, l’impression <strong>et</strong> le gaufrage, les arts textiles<strong>et</strong> décoratifs, le modélisme spatial <strong>et</strong> les cerfs-volants,diverses formes d’animation socio<strong>culturelle</strong>s, <strong>et</strong>c.Le même Secrétariat développe, par sa Directiond’Extension <strong>culturelle</strong> <strong>de</strong>s ateliers avec certificationd’assistance <strong>et</strong> à <strong>de</strong>s coûts très bas, d’initiation duthéâtre, au chant, à la guitare, au yoga, aux costumes<strong>de</strong>s arts <strong>de</strong> la scène. Ces activités se divisent parcatégories d’âge : enfants, adolescents <strong>et</strong> adultes. Ilexiste aussi un Institut <strong>de</strong> vocations artistiques avec<strong>de</strong>ux sièges <strong>de</strong> haut niveau.La Direction du Musée s’occupe <strong>de</strong>s neuf muséesmunicipaux <strong>et</strong>elle est responsable du développement <strong>de</strong> stratégies <strong>de</strong>stinées àexposer, récupérer, préserver, communiquer <strong>et</strong> accroître lepatrimoine <strong>de</strong>s musées <strong>de</strong> sa zone, faciliter l’accès du public auxœuvres <strong>et</strong> à ses collections <strong>et</strong> à générer <strong>de</strong>s manifestations<strong>culturelle</strong>s <strong>et</strong>/ou artistiques en relation avec leur secteur. LaDGM promeut aussi l’échange culturel dans le but d’enrichir <strong>et</strong>stimuler la conscience collective d’appartenance, développant <strong>de</strong>scontacts 1 …Un autre domaine intéressant pour nos fins est leProgramme <strong>de</strong> Bénévoles « Être solidaire » quidépend du Secrétariat au Développement social. L’axed’action <strong>de</strong> ce Secrétariat est d’élaborer <strong>et</strong> d’exécuter<strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> promotion <strong>de</strong>s secteurs sociaux plusvulnérables (par exemple, plus <strong>de</strong> 10 000 personnessont logées à sa charge <strong>et</strong> environ 100 000 reçoiventun soutien alimentaire). Ce programme a pour« objectif fondamental <strong>de</strong> promouvoir, d’articuler, <strong>de</strong>diffuser <strong>et</strong> <strong>de</strong> faciliter le travail bénévole dans la ville<strong>de</strong> Buenos Aires ». Le programme cible, convoque <strong>et</strong>forme les personnes intéressées dans ce champd’action ; il compte actuellement avec 14 lieuxinstitutionnels où il réalise <strong>de</strong>s activités sur une base1 Quelques donnés statistiques du Sécr<strong>et</strong>ariat <strong>de</strong> Culturedu gouvernement <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Buenos Aires :1 100 000 personnes aux musées municipaux <strong>et</strong>2 .000 000 aux nationaux <strong>de</strong> la Ville (2001) ;350 000 personnes aux bibliothèques, incluant celles <strong>de</strong>ssalles d’enfants (2002).20 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Argentine : un pays <strong>de</strong> contradictions,par Pablo Waichmanhebdomadaire : 10 groupes communautaires, <strong>de</strong>uxfoyers publics pour personnes âgées, la Maison <strong>de</strong>sMères adolescentes <strong>et</strong> le Refuge pour femmesvictimes <strong>de</strong> violence familiale.Les activités que font les bénévoles varient selon leur zone <strong>et</strong> leurpréparation professionnelle : soutien scolaire, recréation,excursionnes, ateliers <strong>de</strong> lecture, <strong>de</strong> marionn<strong>et</strong>tes, <strong>de</strong> céramique <strong>et</strong><strong>de</strong> salsa, conseilleur juridique <strong>et</strong> psychologique, soutien logistiqueaux évènements, soins aux enfants, tâches d’accompagnement,sensibilisation sur le VIH Sida, ateliers d’application du soya <strong>et</strong>combinaison d’autres aliments.Le programme organise à chaque <strong>de</strong>ux mois uncycle <strong>de</strong> capacitation/formation que tous lesbénévoles doivent suivre. La Direction <strong>de</strong>sBibliothèques a sous sa responsabilité 26bibliothèques publiques disséminées dans tous lesquartiers, presque toutes avec <strong>de</strong>s sections pourenfants. Les programmes <strong>de</strong> stimulation à la lecturepeuvent être considérés comme les plus anciens dansnotre pays. Bien qu’ils ne soient pas parmi le plusdéveloppés, ils sont nés avec la loi <strong>de</strong> scolaritéobligatoire en 1884.Le Secrétariat aux sports peut compter avec <strong>de</strong>sparcs <strong>et</strong> <strong>de</strong>s centres poli-sportifs dans lesquels sontregroupés diverses installations <strong>et</strong> les services reliésaux sports <strong>et</strong> à la recréation. Dans les différentssièges, les pratiques incluent tous les âges ainsi queles personnes avec <strong>de</strong>s besoins particuliers. Lesactivités peuvent être, entre autres : « handball,natation, soccer, basqu<strong>et</strong>, volley, aérobics, échecs,gymnastique (acrobatique, sportive, rythmique), poids<strong>et</strong> haltères, judo, éducation physique pour enfants,initiation sportive, autodéfense <strong>et</strong> tennis. L’accès auxressources <strong>et</strong> services est gratuit ou à bas prix ».Un <strong>de</strong> ses programmes le plus relié à nospréoccupations est « Buenos Aires en Mouvement »qui est mis sur pied pour les personnes qui souhaitentun suivi périodique <strong>et</strong> personnalisé <strong>de</strong> leur activitéphysique. Ce programme est en application dans septpoints différents <strong>de</strong> la ville avec <strong>de</strong>ux ou troisrencontres par semaine. Un autre programme intitulé« Buenos Aires en Espadrilles », gratuit lui aussi,cherche à favoriser la diffusion <strong>de</strong>l’activité récréative dans tous les âges avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> professeursd’Éducation physique qui donnent <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> différents sports <strong>et</strong>qui organisent <strong>de</strong>s jeux… Le programme Itinérant parcourt lesquartiers <strong>de</strong> Buenos Aires <strong>et</strong> il s’offre dans différents endroits <strong>de</strong>la ville 1 .L’Université <strong>de</strong> Buenos Aires, fondée en 1821, estune autre institution importante dans le domaine. Parle biais <strong>de</strong> son Secrétariat d’Extension, elle tente <strong>de</strong>concrétiser la communication avec la communauténon universitaire, <strong>et</strong> <strong>de</strong> créer un espace <strong>de</strong>développement culturel en général. C’est ainsi que,par exemple, elle organise <strong>de</strong>s activités académiquesdans les centres <strong>de</strong> pénitenciers, coordonne <strong>de</strong>sactivités ayant un bon impact social, génère <strong>de</strong>s1 Tous les textes entre guillem<strong>et</strong>s font partie <strong>de</strong>s documentsdu Gouvernement <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Buenos Aires.activités touristiques <strong>et</strong> sportives, <strong>et</strong>c. Ces <strong>de</strong>rnièresmobilisent autour <strong>de</strong> 35 000 personnes par année.Mais peut-être que la structure la plus riche <strong>de</strong>l’Université est le Centre Culturel « Ricardo Rojas »,créé en 1984. Il est uncentre culturel intégral, une institution en constant processusd’évolution. En plus d’initier diverses expériences artistiquesinnovatrices qui ont lieu à Buenos Aires, ce lieu travailleintensément à la formation <strong>de</strong> nouveaux artistes dans toutes lesdisciplines. C’est un espace culturel universitaire qui travaille avecun nouveau type <strong>de</strong> gestion <strong>culturelle</strong>, en intégrant la réflexionintellectuelle <strong>et</strong> la pratique artistique…Il offre, comme les autres centres culturelsmunicipaux, une énorme diversité d’ateliers.Ces activités ont une orientation dans <strong>de</strong>ux directions : d’un côté,on offre un espace pour la réalisation <strong>de</strong> spectacles <strong>et</strong> événements <strong>et</strong>d’un autre côté, on offre un milieu pour le développement <strong>de</strong>l’activité enseignante <strong>et</strong> <strong>de</strong> la formation, à travers divers cours <strong>et</strong>ateliers. Ce lieu offre <strong>de</strong>s espaces d’éducation non formelle,continue, dans le but <strong>de</strong> fournir à ses élèves les outils nécessairespour développer une trajectoire artistique ultérieure 2 .D’AUTRES ACTEURS ET ACTIONSUn mouvement important concernant une gran<strong>de</strong>participation citoyenne <strong>et</strong> étendu sur presque tout lepays est le bénévolat impliqué dans les coopératives,les mutuelles <strong>et</strong> autres organismes du même. Ce sont<strong>de</strong>s modèles qui contribuent à la création <strong>et</strong> aumaintien <strong>de</strong>s emplois, au développement <strong>de</strong>séconomies régionales <strong>et</strong> au renforcement du tissusocial, à travers la production d’une gran<strong>de</strong> quantité<strong>de</strong> biens <strong>et</strong> <strong>de</strong> services <strong>de</strong> base <strong>et</strong> fondamentaux pourla population. « Ce sont les entreprises nationales enmains <strong>de</strong>s Argentins ». L’Institut Nationald’Associativisme <strong>et</strong> d’Économie Sociale (INAES)informe qu’il a dans ses registres 15 887 coopératives<strong>de</strong> premier <strong>de</strong>gré réunissant 6 900 000 associéEs ; il ya 7 450 mutuelles avec 4 000 000 associéEs. EnArgentine, 49,6 % du total <strong>de</strong> la population <strong>de</strong> 18 ans<strong>et</strong> plus participe à un organisme <strong>de</strong> solidarité. En lienavec notre intérêt particulier, le INAES affirme :Contribuer à éliminer la pauvr<strong>et</strong>é <strong>et</strong> le chômage, favorisantl’action <strong>de</strong> gens dans <strong>de</strong>s milieux associatifs solidaires, avec unsens entrepreneur <strong>et</strong> non seulement d’assistance. Démontrer quel’économie solidaire constitue une proposition véritabled’accroissement pour le pays 3 .LOISIR, TEMPS LIBRE, RÉCRÉATION,ANIMATION LUDIQUE, ÉDUCATIONPARASCOLAIREDans notre pays, il existe une abondante quantité<strong>de</strong> journaux, <strong>de</strong> périodiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> revues <strong>de</strong> tousgenres, certains thématiques <strong>et</strong> d’autres s’adressant à<strong>de</strong>s <strong>de</strong>stinataires précis. Comme exemple, nouspouvons dire que les publications bimensuelles2 Tous les textes entre guillem<strong>et</strong>s font partie <strong>de</strong>s documentsdu Gouvernement <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Buenos Aires.3 Information par Intern<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Institut Nationald’Associativisme <strong>et</strong> Économie sociale.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 21


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animationconsacrées aux mots croisées <strong>et</strong> à d’autres jeuxsemblables dépassent la trentaine <strong>et</strong> que l’édition <strong>de</strong>livres en 2000 a atteint les 74 millions d’exemplaires,quoique seulement 59 millions en 2001.Beaucoup <strong>de</strong>s immigrants dont nous avons parléprécé<strong>de</strong>mment, arrivaient au pays poursuivis par lafaim <strong>et</strong> le fantôme <strong>de</strong> la tuberculose. C<strong>et</strong>te situation aentraîné la création, vers les années 30 du <strong>de</strong>rniersiècle, les premières colonies <strong>de</strong> vacances enregistrées.Elles étaient développées par la Direction <strong>de</strong> la Santé,la structure médicale <strong>de</strong>s écoles primaires. Son sensprimitif était le rétablissement <strong>de</strong> la santé grâce auplein air, avec une bonne alimentation <strong>et</strong> <strong>de</strong>s sessions<strong>de</strong> « calistenia » [Larousse : gymnase qui vise ledéveloppement <strong>de</strong> la force musculaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> la beauté].Celles-ci étaient à la charge <strong>de</strong> professeursd’Éducation Physique ; même aujourd’hui, ils sontresponsables <strong>de</strong> plusieurs proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> récréation. Il y a<strong>de</strong>s registres, qui remontent aux années 1940,témoignant <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> colonies d’enfants pourles enfants, affiliés à certains syndicats,fondamentalement d’idéologie socialiste. Au début,seulement les garçons participaient à ces colonies,quelques années plus tard, les filles ont étéincorporées. 1Une <strong>de</strong>s institutions pionnières dans le domaine est,sans doute, l’Association Chrétienne <strong>de</strong> jeunes(YMCA) qui, par exemple, déjà en 1903, une annéeaprès sa fondation, organisait le premier campingestival dans la localité uruguayenne <strong>de</strong> Riachuelo ;« c<strong>et</strong>te expérience pilote <strong>de</strong> vie en plein air a établi lesbases d’un mouvement qui, avec le temps, serenforçait au sein <strong>de</strong> l’Association jusqu’à s’installercomme une option <strong>culturelle</strong> dans la sociétéargentine » 2 . Actuellement, l’YMCA possè<strong>de</strong>plusieurs espaces en régions dédiés aux activités <strong>de</strong>vacances, <strong>de</strong> récréation <strong>et</strong> <strong>de</strong> camping <strong>et</strong> s’adressant àtoutes les âges. Le YMCA agit aussi dans le champ <strong>de</strong>l’éducation populaire celle « qui se manifeste dans lesexpressions, les valeurs <strong>et</strong> l’i<strong>de</strong>ntité, tout en seconstruisant à partir <strong>de</strong>s secteurs populaires <strong>et</strong>pouvant fonctionner comme sous-culturesalternatives dans la culture hégémonique » 3 .Une autre institution presque centenaire estconstituée avec le scoutisme, activité qui émerge ausein du YMCA en 1909, fondée sur les concepts <strong>de</strong>solidarité <strong>et</strong> <strong>de</strong> coopération. En 1912, un grouped’associés du YMCA déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> créer l’AssociationNationale <strong>de</strong> boys-scouts argentins. Aujourd’hui, il y aautour <strong>de</strong> 50 000 scouts au pays <strong>et</strong> 890 groupesd’enfants <strong>et</strong> d’adolescents. Dans leur « Proj<strong>et</strong>éducatif », l’association souligne par exemple :Notre moyen est l’éducation non formelle, éducation alternativequi potentialise les capacités <strong>de</strong>s personnes, qui ne s’épuise pas dans1 Paín, Abraham. ¿Recrear o educar ?. Buenos Aires, Libros<strong>de</strong>l Quirquincho, 19942 YMCA. Libro <strong>de</strong>l Centenario. 1902-2002. Buenos Aires,YMCA, 20023 YMCA. Op. cit.un temps ou dans lieu spécifique <strong>et</strong> qui est offerte <strong>de</strong> façonpermanente. […] Nous pensons que la façon privilégiéed’apprentissage se fait par le jeu, abordant celui-ci comme laprincipale manière d’entrer en relation avec l’environnement.Nous abordons le jeu comme espace d’expériences, dans lesquellesle jeune n’est pas un spectateur mais y joue un rôle actif 4 .Depuis <strong>de</strong>ux décennies, <strong>de</strong>s associés du YMCA ontcréé la Fondation Vignes <strong>de</strong>stinée à la formation <strong>de</strong>sbénévoles pour le développement d’activités <strong>de</strong>camping avec la communauté. Une caractéristique, àsignaler pour notre analyse, est que les lea<strong>de</strong>rs, lescoordonnateurs <strong>de</strong> ces structures, se forment au seindu mouvement lui-même par accumulationd’expériences en tant que membres avant d’assumerleur nouveau rôle.Ce <strong>de</strong>rnier critère est développé aussi parZumerland, une colonie qui a fêté récemment son 50 eanniversaire <strong>et</strong> qui démontre une n<strong>et</strong>te influencedumazediérienne. C<strong>et</strong>te expérience est née au sein <strong>de</strong>la Fédération <strong>de</strong>s associations <strong>culturelle</strong>s juives <strong>de</strong>l’Argentine – Icuf –, organisation générée par <strong>de</strong>simmigrants d’origine juive qui ne partagent pas lesidées du sionisme mais qui se considèrent participantspleinement <strong>de</strong> leur être argentin tout en se basant surles valeurs socialistes d’équité entre les hommes, <strong>de</strong>justice sociale <strong>et</strong> <strong>de</strong> démocratie. Ce mouvement seconstitue en 1937 comme aile <strong>de</strong>s mouvementsantifascistes crées dans différents pays pour faire faceà la barbarie initiée en Europe. En plus d’avoirdéveloppé <strong>de</strong>s « écoles complémentaires 5 », ils ontétabli les Kin<strong>de</strong>rclubs, <strong>de</strong>s clubs d’enfants centrés sur<strong>de</strong>s méthodologies ludiques ayant pour objectifd’atteindre le développement <strong>de</strong> valeurscomplémentaires à celles que nous acquerrons dans lesystème éducatif formel. Depuis sa création, la colonieZumerland a pris la récréation comme propositionéducative <strong>de</strong> caractère non formel, avec unepropension au développement <strong>de</strong> valeurs telles laliberté, l’implication, la justice, les droits <strong>de</strong> l’homme,la connaissance, l’égalité, <strong>et</strong>c. Du sein <strong>de</strong> c<strong>et</strong>teorganisation sont sortis plusieurs <strong>de</strong>s actuelsdirigeants du champ <strong>de</strong> la récréation du pays quiexercent autant dans le champ privé comme dans <strong>de</strong>sONG ou dans <strong>de</strong>s entreprises ayant un but lucratif.Sans aucun doute, Zumerland a généré une empreinteparticulière dans la conception <strong>et</strong> les pratiques <strong>de</strong> larécréation dans l’Argentine.Bien que jusqu’à maintenant, les institutions ontdéveloppé <strong>de</strong>s « structures autoportantes » – formantleurs propres lea<strong>de</strong>rs, chefs ou coordonnateurs –, ou lepersonnel pour le champ récréatif ( celui-ci étantabordé comme espace <strong>de</strong> participation volontaire <strong>et</strong>groupale – approche originant <strong>de</strong> l’éducationphysique), apparaissent <strong>de</strong> nouveaux professionnelsformés dans <strong>de</strong>s institutions spécialisées comme4 Scouts <strong>de</strong> Argentina. Proyecto Educativo. Buenos Aires,Scouts <strong>de</strong> Argentina, 1999.5 Écoles bénévoles qui fonctionnaient après l'horaire <strong>de</strong>l'école officiel <strong>et</strong> qui procuraient transm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong>s contenusculturels <strong>et</strong> idéologiques <strong>de</strong> la collectivité.22 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Argentine : un pays <strong>de</strong> contradictions,par Pablo Waichmanl’École municipale <strong>de</strong> récréation <strong>de</strong> Buenos Aires.C’est ainsi que jusqu’à 1981, c<strong>et</strong>te école a formé <strong>de</strong>senseignants en Récréation (les premiers <strong>et</strong>, jusqu’àmaintenant les seuls, enseignants spécialistesdiplômés). Les portes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te institution ont étéfermées par la dictature militaire pour son évi<strong>de</strong>nteconsonance avec <strong>de</strong>s airs <strong>et</strong> <strong>de</strong>s visions nouvelles dansle champ du loisir <strong>et</strong> du temps libre.À partir du 1988, l’Institut National du temps libre<strong>et</strong> <strong>de</strong> la récréation – dépendant du ministère <strong>de</strong>l’Éducation <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Justice nationale – est incorporéau champ <strong>de</strong> la formation professionnelle. Dès 1995,l’Institut fera partie <strong>de</strong> l’orbite juridictionnelle <strong>de</strong> laville autonome <strong>de</strong> Buenos Aires en tant qu’Institutsupérieur du Temps libre <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Récréation 1 formantdu personnel spécialisé dans le champ <strong>de</strong> larécréation 2 pour différents âges <strong>et</strong> genresd’expériences. Depuis, il y a une dizaine d’institutionsprivées qui sont apparues octroyant le même diplôme,malgré l’absence <strong>de</strong> constance dans leur vision parexemple, celle que développe l’Institut dugouvernement <strong>de</strong> la capitale, centrée sur laparticipation réelle <strong>et</strong> effective <strong>de</strong>s assistants, doubléd’un caractère éducatif <strong>et</strong> d’une tendance versl’autogestion <strong>de</strong>s actions <strong>et</strong> <strong>de</strong>s processus. Il fautsouligner que ces techniciens spécialisés qui dépassentdéjà le millier, n’ayant pas un diplôme d’enseignant, s<strong>et</strong>rouvent dans l’impossibilité <strong>de</strong> travailler commecoordonnateurs <strong>de</strong> groupe dans les coloniesorganisées par les organismes publics(gouvernementaux) du champ <strong>de</strong> l’éducation. Celui-ci,en revanche, favorise un personnel diplômé enenseignement dans diverses spécialités (par exemple :musique, arts plastiques, <strong>et</strong>c.). Dans le champ <strong>de</strong> laformation professionnelle, l’Université <strong>de</strong> Morón(privée) détient le baccalauréat en Temps libre <strong>et</strong>récréation <strong>de</strong>puis quelques années, quoique le nombre<strong>de</strong> diplômés ne soit pas considérable.Quant à l’animation touristique, elle n’est pas trèsdéveloppée dans notre pays, même s’il existe <strong>de</strong>scircuits culturels, religieux, historiques, <strong>et</strong>c. danstoutes les provinces. Malgré cela, <strong>de</strong>rnièrement nouspouvons i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong>ux tendances : d’une part, l<strong>et</strong>ourisme rural, <strong>de</strong> courte durée, <strong>de</strong>stiné à larécupération du vécu <strong>de</strong>s tâches <strong>et</strong> <strong>de</strong>s coutumeschampêtres pour les citadins <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’autre part, l<strong>et</strong>ourisme minier, qui, en réalité, est l’alternativequ’ont trouvé les ouvriers <strong>et</strong> les employés chômeursd’une immense mine <strong>de</strong> fer fermée à la production. Ce« tourisme spéléologique » transporte les touristesaux profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> la mine <strong>et</strong> durant le parcours, sescaractéristiques sont décrites. Il y a <strong>de</strong>s expériences<strong>de</strong> tourisme d’aventure pour étrangers. Par exemple,1 Pour plus d'information, consultez la pagewww.istlyrecreacion.edu.ar.2 Abordant la "récréation" comme <strong>de</strong>s pratiques volontaires,dirigées, groupales <strong>et</strong> éducatives dans le temps dégagédu travail, <strong>de</strong>s obligations. Pour consultation :Waichman, Pablo. Tiempo libre y recreación. Un <strong>de</strong>safíopedagógico. Buenos Aires, Ediciones PW, 2003.ils parcourent la Patagonie, le sud du pays, allongeantla Cordillère <strong>de</strong>s An<strong>de</strong>s <strong>et</strong> ils s’extasieront avec lanature que l’homme n’a pas encore atteint. C’est àremarquer que ce pays compte avec une immenseperspective dans le domaine du tourisme grâce à laquantité <strong>et</strong> spécificité <strong>de</strong> lieux différents : plagesmaritimes, chutes, montagnes enneigées, déserts, <strong>de</strong>sénormes plaines vertes, lacs <strong>et</strong> p<strong>et</strong>its lacs, fleuves <strong>et</strong>rivières aptes à la navigation, la pêche, le « rafting »,<strong>et</strong>c. Dans la plupart <strong>de</strong> ces espaces, <strong>de</strong>s empreintes<strong>culturelle</strong>s <strong>de</strong> siècles, comme l’art rupestre ou <strong>de</strong>sconstructions préalables à la colonisation.ÉDUCATION AUX ADULTES, ÉDUCATIONPOPULAIRE, ÉDUCATION POUR LA LIBERTÉLes premières initiatives <strong>de</strong> l’éducation aux adultesont été prises par la Direction nationale d’éducation<strong>de</strong> l’adulte du ministère <strong>de</strong> l’Éducation. Son axeprincipal sera la compensation du manqued’alphabétisation dans le pays.Dès premières conceptions en matière d’Éducationpopulaire associées au Mouvement « Peuple <strong>et</strong>culture » en France, lors <strong>de</strong> l’après-guerre, aux idéesd’éducation populaire dans le contexte latinoaméricain,s’est constitué un vaste espace <strong>de</strong> réalitésdifférentes, d’idées, d’auteurs, d’objectifs <strong>et</strong> <strong>de</strong>méthodologies diverses. Résultat <strong>de</strong> l’accentuation duprocessus <strong>de</strong> la concentration capitaliste, <strong>de</strong>s visions<strong>et</strong> <strong>de</strong>s pratiques particulières dans le champ <strong>de</strong>l’éducation se sont développées « hors <strong>de</strong> l’école » :éducation pour le peuple, éducation pour la libération,éducation pour les dépossédés, éducation dans <strong>de</strong>contextes <strong>de</strong> pauvr<strong>et</strong>é, <strong>et</strong>c. On est passé <strong>de</strong>s pratiques<strong>de</strong> compensation aux pratiques révolutionnaires.Dans tous les cas, <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s sources sontreconnues pour ces mouvements. D’une part, celle dugroupe « peuple <strong>et</strong> culture 3 » <strong>de</strong> l’Europe continental<strong>et</strong>raitant la problématique du loisir comme espaceproprement humain <strong>et</strong> la participation <strong>de</strong>s adulteseux-mêmes protagonistes <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong>construction <strong>de</strong> la culture. D’autre part, la proposition<strong>de</strong> Paulo Freire issue <strong>de</strong> la spécificité <strong>de</strong>s paysdéfavorisés <strong>et</strong> sensible à l’urgence <strong>de</strong> dépasser <strong>de</strong>sniveaux <strong>de</strong> discrimination épouvantables en ce quiconcerne l’accès à l’éducation, à l’alimentation, aulogement, au travail, <strong>et</strong>c. Les <strong>de</strong>ux visions sontcomplémentaires, intégrant <strong>et</strong> perdant la n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é <strong>de</strong>leurs limites dans la pratique.La première position s’incarne chez la pédagogueargentine Amanda Toubes qui, <strong>de</strong>puis les années 60,au département d’Extension universitaire <strong>de</strong>l’université <strong>de</strong> Buenos Aires <strong>et</strong> après une formation enFrance <strong>et</strong> en Angl<strong>et</strong>erre, développe <strong>de</strong>sprogrammes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s activités d’éducation aux adultes <strong>et</strong> <strong>de</strong>formation d’éducateurs pour les mêmes secteurs populaires urbains<strong>et</strong> suburbains, banlieusards. Son intervention visait spécialement3 Jofré Dumazedier a été en Argentine en 1963 <strong>et</strong> il a participéaux programmes <strong>de</strong> l'Université <strong>de</strong> Buenos Aires.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 23


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animationles groupes qui constituaient le ceinturon <strong>de</strong> pauvr<strong>et</strong>é <strong>de</strong>s « villasmiserias » (bidonvilles) <strong>de</strong> Buenos Aires <strong>et</strong> le Grand BuenosAires. Elle était centrée sur <strong>de</strong>s propositions méthodologiques quinécessitaient le développement d’activités scientifiques d’analyse <strong>de</strong>l’activité quotidienne <strong>de</strong> ces groupes. Ces activités se constituaienten « cycles culturels » dans un mouvement en trois temps : a) la<strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s faits tels qu’ils apparaissent, leur emplacementdans le temps <strong>et</strong> l’espace, l’analyse <strong>de</strong> leurs aspects, les points <strong>de</strong>vue <strong>et</strong> les contradictions ; b) l’explication du pourquoi <strong>de</strong>s faits, <strong>de</strong>l’obj<strong>et</strong> d’étu<strong>de</strong> ; c) la <strong>recherche</strong> du chemin <strong>de</strong> réalisation pratique,la détermination <strong>de</strong> fins <strong>et</strong> moyens pour l’action 1 .Pour c<strong>et</strong>te tâche, elle utilisait la Méthodologied’entraînement mental (Dumazedier <strong>et</strong> Legrand) qui« implique en soi même un processus <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> parl’adulte lui-même <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> sa réalitéquotidienne 2 ». C’est ainsi que Toubes souligne ellemême:L’éducation populaire ne peut pas être conçue comme unegénéreuse concession <strong>de</strong>s classes privilégiées ; au contraire, elleprésuppose la promotion socio-politique <strong>de</strong> la classe ouvrière, unehomogénéité dans la structure sociale <strong>et</strong> en conséquence unvéritable progrès social 3 .L’autre source encore actuelle <strong>de</strong> ces mouvementsest constituée par la formation d’éducateurspopulaires à l’action concrète, par l’Université <strong>de</strong>sMères <strong>de</strong> Place <strong>de</strong> Mai, fondée en 1999. Son approcheest plus radicale que celle du courant précé<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> sesfon<strong>de</strong>ments théoriques <strong>et</strong> idéologiques trouvent leursracines principalement en Freire <strong>et</strong> Gramsci ; sespratiques, sur les expériences <strong>de</strong> la révolution cubaine<strong>et</strong> nicaraguayenne ainsi que sur le mouvement <strong>de</strong>sSans Terres brésilien.L’expérience <strong>de</strong> l’éducation populaire est née comme un outil <strong>de</strong>sopprimés, pour former leurs capacités <strong>de</strong> résistance à l’ordre qui lessoum<strong>et</strong> <strong>et</strong> les marginalise. C’est une pédagogie <strong>de</strong> l’opprimé <strong>et</strong> nonpour l’opprimé. C’est une éducation populaire, <strong>et</strong> non « pour lepeuple ». Quand nous parlons <strong>de</strong> « populaire », nous faisonsréférence au suj<strong>et</strong> qui construit le proj<strong>et</strong> politique pédagogique quimène à son émancipation. C’est populaire, non parce qu’elle sera« reçue » par les opprimés comme une donation ou comme unepratique qui les soum<strong>et</strong> ; mais parce qu’elle est « faite » par lesopprimés, dans le but d’i<strong>de</strong>ntifier les oppresseurs, <strong>et</strong> <strong>de</strong> trouver lesmanières <strong>et</strong> les contenus pour la lutte <strong>de</strong> libération 4 .En plus <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s positions, ils existentd’autres acteurs, peut-être <strong>de</strong> moindre importance ouqui sont isolés dans leurs actions. Des mouvementsreligieux catholiques, telle la dénommée « Universitétranshumante » avec son siège dans la province <strong>de</strong>San Luis, <strong>de</strong>s organismes officiels nationaux <strong>et</strong>provinciaux, développent différents programmesquoiqu’il n’est pas possible dans tous les cas <strong>de</strong> les1 Sirvent, María Teresa. Educación <strong>de</strong> Adultos : investigacióny participación. Buenos Aires, Libros <strong>de</strong>l Quirquincho,1990.2 Sirvent, María Teresa. Op. cit.3 Toubes, Amanda. Un enfoque <strong>de</strong> la educación <strong>de</strong> adultos, enRevista <strong>de</strong> la Universidad <strong>de</strong> Buenos Aires. Buenos Aires, VÉpoca, No 4, 1961.4 Équipe d’Éducation Populaire <strong>de</strong> l’Université PopulaireMères <strong>de</strong> Place <strong>de</strong> mai. Educación popularÑ pa<strong>de</strong>gogía <strong>de</strong>la indignación, <strong>de</strong> la rebeldía, <strong>de</strong> la autonomía y <strong>de</strong> la libertad.Buenos Aires, Paper s/dclassifier comme <strong>de</strong> l’animation socio<strong>culturelle</strong>.Jusqu’ici toute synthèse <strong>de</strong>s positions, <strong>de</strong>s histoires<strong>et</strong> <strong>de</strong>s expériences sur le territoire argentin resteextrêmement brève, biaisée <strong>et</strong> incomplète. Bourré <strong>de</strong>contradictions, notre pays doit investir les secteurspopulaires pour pouvoir émerger du marasme danslequel nous nous trouvons. Et l’animationsocio<strong>culturelle</strong>, dans ses multiples formes <strong>et</strong> visions,peut <strong>de</strong>venir un outil essentiel qui perm<strong>et</strong>te c<strong>et</strong>teémergence.<strong>Animation</strong> <strong>et</strong> éducation populairesau Brésil 1960 – 2000,par Luiz Eduardo W. Wan<strong>de</strong>rleySociologue, Professeur Titulaire à la Pontifícia Universida<strong>de</strong>Católica <strong>de</strong> São Paulo – Brésil, ex-rector <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te Université(1984-1988).Nous nous trouvons face une thématique si vaste, siriche <strong>et</strong> si complexe, qu’elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à êtreappréhendée sous plusieurs angles. Certains <strong>de</strong>séléments signifiants ont été formulés durant lapério<strong>de</strong> choisie : les années 1960, mais ils existaientdéjà dans les déca<strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>ntes, comprenantl’expression même d’éducation populaire, éducation <strong>de</strong>base, extension rurale, éducation <strong>de</strong>s adultes,développement <strong>de</strong>s communautés, éducationpermanente, entre autres. Ces expressionscaractérisaient <strong>de</strong>s expériences, presque toujoursimportées d’autres contextes nationaux. Lespropositions d’animation sociale, issues <strong>de</strong> l’animationpopulaire se conjuguaient avec les termes <strong>de</strong>promotion, coopération, participation, intégration,progrès, développement. Mais, c’est dans la pério<strong>de</strong>60 – 64 que c<strong>et</strong>te thématique va acquérir une nouvellesignification, une nouvelle explicitation <strong>et</strong> unenouvelle orientation, générant un notablefléchissement <strong>de</strong> sens, mis en évi<strong>de</strong>nce parl’émergence d’une importante littérature, <strong>et</strong> dont lesdéca<strong>de</strong>s suivantes ont fortement porté l’empreinte,malgré les diverses actualisations faites. C’est laraison pour laquelle nous insisterons sur c<strong>et</strong>tepério<strong>de</strong>.Le postulat que nous défendons ici, est que touteanalyse <strong>de</strong>s pratiques, toute élaboration <strong>de</strong> concepts,doit être située dans le temps <strong>et</strong> dans l’espace, <strong>et</strong> queles expériences qui s’y réfèrent sont conditionnées parla société concernée, les influençant d’une certainemanière. Un autre postulat se référant au choix <strong>de</strong>ssuj<strong>et</strong>s, prétend qu’elle m<strong>et</strong> en évi<strong>de</strong>nce les« populations marginalisées », les « pauvres », le« peuple », les « secteurs <strong>et</strong> les classes populaires ».C’est pourquoi nous avons choisi <strong>de</strong> parler <strong>de</strong>l’éducation <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’animation populaires.Il semble nécessaire <strong>de</strong> situer <strong>de</strong> manière spécifiqueles interrelations essentielles qui existaient durantc<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong>, avec ce que l’on appelait alors la culturepopulaire. Ce concept, qui véhiculait une nouvelleconception <strong>de</strong> la culture brésilienne, <strong>de</strong> la culture24 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


<strong>Animation</strong> <strong>et</strong> éducation populaires au Brésil 1960 – 2000,par Luiz Eduardo W. Wan<strong>de</strong>rleypopulaire, tenue pour traditionnelle, issue du senscommun <strong>et</strong> considérée comme « ingénue »,« folklorique », conservatrice, <strong>et</strong> avait besoin d’êtredépassée, se mouvait dans la nouvelle perspective dudéveloppement national par les forces socialesprogressistes. Ce concept comprenait un ensemble <strong>de</strong>mouvements socio-éducatifs <strong>et</strong> était compris commeun instrument <strong>de</strong> base dans la lutte politique menéepar classes populaires pour un changement social 1 .Parmi ces mouvements nous pouvons citer : LesCentres Populaires <strong>de</strong> Culture <strong>de</strong> l’Union Nationale<strong>de</strong>s Étudiants, le Mouvement <strong>de</strong> Culture populairedans l’État du Pernambouco, le Mouvement : « duPied sur la terre qui apprend aussi à lire », la Culturepopulaire du MEB, <strong>et</strong> dans l’Action Populaire,mouvement politique à caractère révolutionnaire.Parmi les attributs qui définissent l’éducationpopulaire, nous pouvons m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce :• Quelle est une éducation <strong>de</strong> classe (qui exige laconscience <strong>de</strong>s intérêts <strong>de</strong>s classes populaires.)• Qu’elle est historique (elle dépend <strong>de</strong> l’avancée <strong>de</strong>sforces <strong>de</strong> production)• Qu’elle est politique (elle se conjugue avec lesautres dimensions <strong>de</strong> la lutte globale <strong>de</strong>s forcespopulaires),• Qu’elle est transformatrice <strong>et</strong> libératrice (lutte pour<strong>de</strong>s changements qualitatifs <strong>et</strong> <strong>de</strong>s réformesstructurelles),• Qu’elle est démocratique (anti- autoritaire, antimassificatrice,anti-élitiste).Elle relie la théorie à la pratique, l’éducation autravail <strong>et</strong> a pour but la réalisation d’un pouvoirpopulaire. À c<strong>et</strong>te époque, c’est c<strong>et</strong>te conception quiétait défendue par certains groupes progressistes.AGENTS ET ORIENTATIONS DEL’ÉDUCATION POPULAIRECertains chercheurs en sciences sociales distinguent<strong>de</strong>ux orientations qui, <strong>de</strong> manière générale,conditionnèrent les expériences <strong>de</strong> l’éducationpopulaire pour attirer l’attention sur l’AmériqueLatine : a) les courants récupérateurs, dont l’ultimefinalité était <strong>de</strong> récupérer <strong>et</strong> d’intégrer les marginauxdans le système ; b) les courants transformateurs,réformistes ou révolutionnaires, qui prétendaient à<strong>de</strong>s réformes visant à la croissance <strong>et</strong> à <strong>de</strong>schangements structurels dans le système.À notre avis, il convient <strong>de</strong> distinguer troisorientations qui, dans le passé, ont pris <strong>de</strong>s formeséducatives variées, évoluant à <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés variablesd’interdépendance, mais qui ne sont pasrigoureusement exclusives les unes par rapport auxautres.1 Gullar, Ferreira, 1963 <strong>et</strong> 1965 ; Martins CarlosEstevam, 1963 ; Favero, Osmar, 1983 ; Paiva, Vanilda,1983.ÉDUCATION POPULAIRE À VISÉEINTÉGRATIVE.Elle comprend les expériences dont l’idéologies’exprimait par le désir d’établir la démocratie aumoyen <strong>de</strong> la diffusion <strong>de</strong> l’éducation pour tous, <strong>de</strong>l’éducation permanente, par le développement <strong>et</strong> parl’extension <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> citoyenn<strong>et</strong>é ainsi que <strong>de</strong>s<strong>de</strong>voirs y relatifs (parfois, on se cantonnait aux<strong>de</strong>voirs). C<strong>et</strong>te idéologie était perçue, plus dans larhétorique <strong>de</strong>s discours <strong>et</strong> <strong>de</strong>s plans que dans sa miseen pratique qui se distançait partiellement outotalement <strong>de</strong> la définition <strong>et</strong> <strong>de</strong>s objectifs. Ce type <strong>de</strong>politique éducative se proposait <strong>de</strong> préparer <strong>et</strong>d’accélérer le développement <strong>de</strong>s pays tenus poursous-développés, par la création <strong>et</strong> leperfectionnement <strong>de</strong>s ressources humaines. Ellediscourait sur l’élimination <strong>de</strong> la marginalité sociale,<strong>et</strong> sur la nécessité <strong>de</strong> l’intégration du mon<strong>de</strong> ruraldans le capitalisme, qui se réaliseraient en m<strong>et</strong>tantl’accent sur l’alphabétisation, premier bastion <strong>de</strong>l’intégration dans la culture <strong>et</strong> le développement, <strong>et</strong>ensuite, sur un enseignement professionnalisant, surl’intégration à l’école, à l’industrie, en utilisant lesmoyens <strong>de</strong> communication <strong>de</strong> masse comme grandsvecteurs <strong>de</strong> diffusion <strong>culturelle</strong>. En eff<strong>et</strong>, compte tenu<strong>de</strong> l’état <strong>de</strong> développement <strong>de</strong> chaque nation, onm<strong>et</strong>tait en évi<strong>de</strong>nce l’extension du capitalisme interne<strong>et</strong> sa relation avec la nouvelle étape du capitalismeinternational à visée monopoliste. C<strong>et</strong>te éducationcherchait à augmenter l’hégémonie <strong>de</strong>s classesdominantes bourgeoises <strong>et</strong> la soumission <strong>de</strong>sidéologies à l’idéologie <strong>de</strong> ces mêmes classes, car elleprenait <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> distance par rapport auxréels intérêts <strong>de</strong>s classes populaires. En résumé, c<strong>et</strong>teorientation ne cherchait qu’à populariser l’éducationofficielle dominante.ÉDUCATION POPULAIRE À VISÉENATIONALE-POPULISTEC<strong>et</strong>te orientation rassemblait les expériences <strong>de</strong> lapério<strong>de</strong> populiste, caractérisées par l’idéologie dunational-développement, dans lequel lesgouvernements, les partis <strong>et</strong> les mouvementspolitiques mobilisèrent <strong>de</strong>s secteurs <strong>de</strong>s classespopulaires alliés aux secteurs mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong>s classesdominantes, principalement dans la lutte pourl’industrialisation <strong>et</strong> pour une participation accrue <strong>de</strong>sclasses populaires dans les sphères sociales,économiques <strong>et</strong> politiques. Ces classes populairesétaient i<strong>de</strong>ntifiées par un langage commun, ellesdisaient relever du même dénominateur, dont leconsensus était donné par l’existence <strong>de</strong> valeurs <strong>et</strong> <strong>de</strong>traditions enfouies dans la culture nationale, où toutesles personnes d’une même nation se r<strong>et</strong>rouvent,indifférenciés à ce qui touche aux inégalités sociales<strong>de</strong> la stratification par classes (ce qui pourrait seconfondre avec l’orientation dont nous avons parléprécé<strong>de</strong>mment), <strong>et</strong> pourtant avec <strong>de</strong>s intérêts égaux <strong>et</strong>convergents en ce qui concerne le développement duCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 25


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animationpays. De la part <strong>de</strong>s secteurs dominants, c<strong>et</strong>teéducation n’avait pour intention que <strong>de</strong> distribuer lesbienfaits <strong>de</strong> l’éducation « officielle », <strong>et</strong> il n’était pasnécessaire <strong>de</strong> rem<strong>et</strong>tre en question sa légitimité <strong>et</strong> sesfon<strong>de</strong>ments idéologiques. Parmi ceux qui s’yopposaient, il faut distinguer un p<strong>et</strong>it groupe ayantune vision <strong>et</strong> une pratique plus conséquentes <strong>de</strong>l’éducation populaire, ainsi qu’un nombre important<strong>de</strong> personnes qui agissaient dans le sens d’un travaildirectement lié avec le peuple (mais ceci est plussouvent resté au niveau <strong>de</strong> l’intention qu’à celui <strong>de</strong> laconcrétisation réelle) que l’éducation populisten’amenait pas à une réelle participation populaire. Il yeut <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s paternalistes <strong>de</strong> mépris <strong>et</strong> <strong>de</strong>négation <strong>de</strong>s oeuvres populaires, ainsi que <strong>de</strong>spossibilités d’organisation <strong>et</strong> d’action, <strong>et</strong> ceci, malgrél’effort fourni, un certain « pioniérisme », une richecréativité dans la mise en œuvre <strong>et</strong> la mobilisation, àcôté d’autres facteurs positifs. Au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> groupesplus conséquents, les expériences issues <strong>de</strong> c<strong>et</strong>teorientation ont marqué une résistance à ladépersonnalisation <strong>et</strong> à l’homogénéisation forcée dupeuple. Au fond, c<strong>et</strong>te éducation se fondait dans lacroyance en un proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> développement <strong>de</strong>capitalisme autonome, national <strong>et</strong> populaire, pourlequel ses promoteurs s’engagèrent, mais qui affronta<strong>de</strong>s difficultés d’ordre structurel qui, dans laconjoncture du début <strong>de</strong>s années 60, furent perçuesdans toute leur cruauté <strong>et</strong> <strong>de</strong> manière transparente.(L’alliance populiste se rompit lorsque les secteurspopulaires revendiquèrent une participation décisiveau pouvoir, lorsque <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> ses intellectuelsorganiques commencèrent à avoir une influence surles décisions, au plan national, relatives à la culture <strong>et</strong>à l’éducation populaire, <strong>et</strong> que les secteurs dominants,peureux, changèrent leur orientation d’appui à un telpacte social).ÉDUCATION POPULAIRE À VISÉE DELIBÉRATION.C<strong>et</strong>te orientation comprend les expériences qui,menées avec plus ou moins <strong>de</strong> conscience par sesagents, avaient pour but <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en valeur <strong>et</strong> <strong>de</strong>stimuler les potentialités du peuple, comme étant l’axe<strong>de</strong> leurs activités éducatives, tentant une i<strong>de</strong>ntificationcroissante avec le peuple <strong>et</strong> sa réalité quotidienne, <strong>et</strong>fournissant <strong>de</strong>s moyens, afin que le peuple puissesubvenir lui même à ses besoins <strong>et</strong> soit l’agent <strong>de</strong> sapropre promotion. Les promoteurs <strong>de</strong> ces expériencesrencontrèrent d’énormes obstacles pour atteindre lesbuts fixés. Eux aussi passèrent par l’idée <strong>de</strong>l’intégration. Certains parvinrent à <strong>de</strong>s phasesd’éblouissement, allant même jusqu’à une certainemystification du peuple. D’autres agirent qui, avecplus, qui, avec moins d’intensité, aux frontières <strong>de</strong> lamassification <strong>et</strong> <strong>de</strong> la manipulation, ce qui par voie <strong>de</strong>conséquence, les rapprochaient <strong>de</strong>s tendances <strong>de</strong>sorientations antérieures (1 <strong>et</strong> 2). Pourtant, m<strong>et</strong>tantl’accent <strong>de</strong> manière spécifique sur les processus <strong>de</strong>conscientisation, <strong>de</strong> capacitation <strong>et</strong> d’ampleparticipation sociale, se comprom<strong>et</strong>tant dans la luttepour la dynamisation <strong>de</strong>s résistances populairescontre les injustices <strong>et</strong> l’exploitation, ils trouvèrent unchemin plus réaliste <strong>de</strong> fécondation mutuelle,éducateurs-animateurs/représentants <strong>de</strong>s classespopulaires, par le moyen d’un échange <strong>de</strong> savoirs, <strong>et</strong>par la participation aux pratiques conjointes <strong>de</strong> forceslibératrices. Ceci fait référence au nombre croissantd’éducateurs-animateurs, agents <strong>de</strong>s cadres <strong>de</strong>sorganisations (partis, Églises) <strong>et</strong> mouvements quisoutenaient <strong>et</strong> aidaient le travail d’éducationpopulaire, mais qui n’appartenaient pas à la classepopulaire, même si le nombre insuffisant <strong>de</strong> lea<strong>de</strong>rs <strong>de</strong>la classe populaire, a obligé ces agents à exercer cerôle. Et en certains cas ce nombre allait croissant.Bien que les objectifs d’intégration <strong>de</strong>s marginaux <strong>et</strong>d’un développement national populaire, aientconstitué les limites <strong>de</strong>s modalités <strong>de</strong> l’éducation,m<strong>et</strong>tant plus <strong>de</strong> poids sur les étapes initiales, <strong>et</strong> qu’engénéral ils aient opté pour une ligne réformiste,certains groupes remirent en question <strong>et</strong> critiquèrentles fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> l’ordre capitaliste <strong>et</strong> proposèrent<strong>de</strong>s changements structurels. Uniquement, enquelques situations minoritaires, on parvint àformuler <strong>de</strong>s propositions relatives à un changementglobal du système lui-même. On peut attester que,compte tenu : <strong>de</strong>s difficultés rencontrées dansl’évaluation <strong>de</strong> ce type d’éducation, à cause <strong>de</strong> sonexistence limitée dans le temps, elle tenta d’exprimerles désirs <strong>et</strong> les intérêts <strong>de</strong>s secteurs <strong>de</strong>s classespopulaires, avec <strong>de</strong>s approximations plus ou moinsauthentiques.Durant c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong>, l’une <strong>de</strong>s personnalités dontl’influence laissa <strong>de</strong>s traces importantes, fut PauloFreire, qui avec ses idées <strong>et</strong> sa métho<strong>de</strong>,communément appelée : « métho<strong>de</strong> Paulo Freire »,participa <strong>de</strong> manière décisive aux débats <strong>et</strong> auxnouveaux chemins <strong>de</strong> l’éducation populaire au Brésil,<strong>et</strong> dont l’œuvre s’étend <strong>de</strong> manière croissante dans lemon<strong>de</strong> entier. Il est impossible <strong>de</strong> développer icil’amplitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> la <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong> sa pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa pratique.Dans une certaine mesure, son énorme contributiondans le champ <strong>de</strong> l’éducation peut se résumer parl’expression : « pédagogie <strong>de</strong> l’opprimé », titre <strong>de</strong> l’un<strong>de</strong> ses livres, <strong>et</strong> dont les lignes directrices sont : latransformation centrée sur le suj<strong>et</strong> opprimé : peuple,pauvre, classes populaires ; le sens objectivé <strong>de</strong> lalibération pleine <strong>de</strong> sa personne <strong>et</strong>, par extension, <strong>de</strong>l’humanité ; la métho<strong>de</strong>, ancrée dans le passage <strong>de</strong> la« conscience ingénue » à la « conscience critique » parune pédagogie qui m<strong>et</strong> en valeur la personnes’éduquant, les cercles <strong>de</strong> culture, sa participationactive, le remplacement <strong>de</strong> l’éducation « bancaire »par une éducation « authentique <strong>et</strong> nonmanipulatrice».MEB (1961-1965) : ÉDUCATION ETANIMATION POPULAIRESDans ce texte, nous avions choisi initialement, laconception <strong>de</strong> l’éducation populaire formulée par le26 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


<strong>Animation</strong> <strong>et</strong> éducation populaires au Brésil 1960 – 2000,par Luiz Eduardo W. Wan<strong>de</strong>rleyMouvement d’Éducation <strong>de</strong> Base (MEB). Le MEBs’est constitué à partir <strong>de</strong>s activités d’éducation par laradio (l’ensemble <strong>de</strong>s activités appelé « systèmesradioéducatifs ») <strong>et</strong> était promu initialement parl’épiscopat <strong>de</strong> l’Église catholique dans lesarchidiocèses <strong>de</strong> Natal <strong>et</strong> Aracaju – dans la régionNor<strong>de</strong>ste du Brésil). La CNBB (Conférence Nationale<strong>de</strong>s Évêques brésiliens), se fondant sur cesexpériences, élabora le proj<strong>et</strong> d’un mouvementéducatif au plan national, qui obtint un caractèreofficiel en 1961 (Décr<strong>et</strong> 50 370 du 21 mars), en vertu<strong>de</strong> quoi le gouvernement fournirait <strong>de</strong>s ressources auMEB – par le biais <strong>de</strong>s organes <strong>de</strong> l’Administrationfédérale. Le MEB utiliserait les réseaux <strong>de</strong>s émissionscatholiques pour les régions du Nord, du Nor<strong>de</strong>ste, <strong>et</strong>du Centre-Ouest du pays. Le gouvernement offrirait<strong>de</strong>s canaux radiophoniques à <strong>de</strong>s fins d’éducation <strong>de</strong>base, focalisées principalement sur le milieu rural.Le MEB avait une structure à trois niveaux : auniveau local, au niveau régional <strong>et</strong> au niveau national.Des ateliers <strong>de</strong> niveaux variés, empruntantprincipalement la métho<strong>de</strong> « voir-juger-agir»(pratiquée par l’Action Catholique spécialisée), ainsiqu’une supervision périodique <strong>de</strong>s communautés,exercées par les équipes responsables, étaient réaliséesà partir d’une programmation radiophonique <strong>de</strong>scours ( alphabétisation, langue, conscientisation,arithmétique, santé, travail agricole, programmesspéciaux). Un rôle important incombait auxmoniteurs locaux, qui animaient les cours <strong>et</strong> lesproj<strong>et</strong>s communautaires. D’innombrables travauxanalysèrent <strong>et</strong> évaluèrent leurs limites <strong>et</strong> lespotentialités du Mouvement. (Wan<strong>de</strong>rley, 1984 ;Fávero, 1983).ANIMATION POPULAIRE (ANPO)« L’<strong>Animation</strong> populaire (ANPO) est un processusglobal <strong>de</strong> promotion <strong>de</strong> l’Homme par sa propre action.L’animation populaire est une tâche <strong>de</strong> lacommunauté. Elle se réalise par la transformationd’un ensemble d’individus qui vivent ensemble, en uneintégration <strong>de</strong> personnes qui pensent, planifient, <strong>et</strong>agissent ensemble, cherchant à prendre soin <strong>de</strong> touscomme membres <strong>de</strong> la communauté, sans se détacher<strong>de</strong> la problématique nationale <strong>et</strong> internationale.Les aspects « réflexion <strong>et</strong> action » sont essentielsdans « l’<strong>Animation</strong> populaire ». Le travail éducatifaurait une faille si la diffusion <strong>de</strong>s idées s’arrêtait. Lapsychologie du peuple elle-même, exige laconcrétisation <strong>de</strong> ce dont on parle. Sans s’arrêter à <strong>de</strong>ssolutions immédiatistes, l’<strong>Animation</strong> populaire doitêtre objective, doit être visible <strong>et</strong> avoir <strong>de</strong>sconséquences <strong>et</strong> <strong>de</strong>s répercussions sensibles. Parcontre, le travail ne s’arrête pas dans le champ étroit<strong>de</strong>s problèmes immédiats. Il s’insère comme point <strong>de</strong>réflexion <strong>et</strong> d’action, dans le contexte <strong>de</strong> la lutte pourla transformation <strong>de</strong>s structures, <strong>et</strong> l’élaboration <strong>de</strong>schèmes plus humains, sans pour autant perdre sonsens".Dans la propre conception du Mouvement, leprocessus d’animation populaire transcendait leprocessus éducatif, étant donné que ce <strong>de</strong>rnier,préparait le premier, l’un <strong>et</strong> l’autre étant en étroitecorrélation. Deux facteurs permirent sasédimentation : a) Comme complément nécessaire dunoyau qui avait irradié le travail initial duMouvement : les écoles radiophoniques <strong>et</strong> toute lapédagogie radiophonique qui leur succéda, perçue parcertaines équipes comme indispensables à lacontinuité <strong>de</strong> l’action dans les communautés ; b)Comme fruit <strong>de</strong> réflexion, relative aux expériencesvenues d’autres pays, surtout du Sénégal (réalisées parune équipe française).Cela confirmait encore, qu’en soi l’action <strong>de</strong> l’animation populairen’était pas la tâche du MEB, mais celle <strong>de</strong> la communauté, leMouvement n’ayant que la fonction supplétive <strong>de</strong> l’assister. L’idée<strong>de</strong> suppléance a été expliquée par la prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>s limitesdu Mouvement : limites <strong>de</strong> sa propre essence <strong>de</strong> Mouvementéducatif : touchant à toutes les dimensions <strong>de</strong> la réalité, iln’atteignait que celles relatives à la réalisation <strong>de</strong> l’homme. Lesengagements concr<strong>et</strong>s, nécessaires à la formation humaine, relèvent<strong>de</strong> la responsabilité <strong>de</strong>s éduqués ; les limites d’ordre technique : lanon-utilisation <strong>de</strong>s instruments <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> l’éduqué, dans toutesles dimensions <strong>de</strong> l’action éducative. Ces limites se situent surdivers plans, passant par les difficultés <strong>de</strong> personnel, lesspécialisations techniques, les budg<strong>et</strong>s <strong>et</strong> planifications déficients,jusqu’à l’incompréhension du rôle d’éducateur d’adultes 1 .L’action <strong>de</strong>veloppée doit toujours comporter cestrois phases : détermination <strong>de</strong>s objectifs généraux <strong>et</strong>étu<strong>de</strong> du champ ; choix, sélection <strong>et</strong> entraînement <strong>de</strong>slea<strong>de</strong>rs ; supervision <strong>et</strong> accompagnement du travail.Reconnues comme objectifs socio-éducatifs duMEB, les écoles radiophoniques <strong>de</strong>venaient l’un <strong>de</strong>smoyens <strong>de</strong> parvenir à l’animation populaire. C<strong>et</strong>te<strong>de</strong>rnière consistait dans la formation <strong>et</strong> le coaching <strong>de</strong>slea<strong>de</strong>rs, lesquels s’engageaient <strong>et</strong> assumaient leprocessus <strong>de</strong> l’ANPO dans leurs communautés. Sansconteste, les programmes extra-scolaires furent l’un<strong>de</strong>s moyens les plus efficaces du MEB, en termes <strong>de</strong>créativité <strong>et</strong> d’ingéniosité <strong>de</strong> ses agents vis-à-vis <strong>de</strong> lapopulation.Pour résumer : la concrétisation <strong>de</strong>s objectifs socioéducatifsdu MEB, conformément à pensée fondatrice,formulée dans les textes officiels, se manifeste par : laconscientisation, le changement d’attitu<strong>de</strong>s <strong>et</strong>l’instrumentation <strong>de</strong>s communautés.Par conscientisation <strong>et</strong> politisation, on entend :procurer les moyens perm<strong>et</strong>tant aux « éduqués »d’acquérir <strong>de</strong> manière autonome, une consciencecritique <strong>de</strong> leur réalité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la réalité conditionnante,en utilisant <strong>de</strong>s analyses plus poussées <strong>de</strong> ces réalités,perm<strong>et</strong>tant ainsi <strong>de</strong> porter un jugement sur elles,selon certaines orientations théorie/pratique, <strong>et</strong> d’agirensuite <strong>de</strong> manière conséquente.1 MEB Nacional, "I Seminario <strong>de</strong> Animação popular –Conclusões sobre fundamentação <strong>de</strong> animação popular",in Relatorios <strong>de</strong> Animação Popular, junho/ 1965, mimeo,p.3Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 27


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animationPar changement d’attitu<strong>de</strong>s, on entend : attitu<strong>de</strong>critique, attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> valorisation, attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>changement, attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> coopération.Et l’instrumentation <strong>de</strong>s communautés signifie : donneraux communautés les instruments d’analysenécessaires (lire, écrire, interpréter les relations), lesinstruments <strong>de</strong> production (conduites d’hygiène <strong>et</strong> <strong>de</strong>santé, utilisation <strong>de</strong> la législation, <strong>de</strong>s us <strong>et</strong> coutumesse référant à la production <strong>et</strong> à la consommation, <strong>et</strong>c.),<strong>et</strong> les instruments d’organisation (technique <strong>de</strong> travail<strong>de</strong> groupe, savoir fon<strong>de</strong>r <strong>et</strong> animer <strong>de</strong>s clubs, <strong>de</strong>ssyndicats, <strong>de</strong>s coopératives).Pour faciliter ces activités, le Mouvementpromouvait certains éléments, comme une formed’orientation <strong>de</strong> base, pouvant être adaptée à chaquerégion, sur une pério<strong>de</strong> d’un an. Y étaient inclus : <strong>de</strong>sdocuments d’étu<strong>de</strong>, du matériel didactique, syllabaire,livres <strong>de</strong> lecture <strong>et</strong> matériel complémentaire pour lesagents à tous les échelons, le tout centré sur l’idée dutravail. L’évolution <strong>et</strong> les limites imposées à la radiocomme moyen <strong>de</strong> communication amenèrent le MEBà une « pédagogie radiophonique » originale <strong>et</strong> à lanécessité <strong>de</strong> développer d’autres formes <strong>de</strong> pratiquesqui peuvent se r<strong>et</strong>rouver dans le concept d’<strong>Animation</strong>populaire.L’<strong>Animation</strong> populaire est un processus <strong>de</strong> structuration <strong>de</strong>scommunautés <strong>et</strong> d’organisation <strong>de</strong>s groupes, progressivementassumé par les membres eux-mêmes, conduits par leurs propreslea<strong>de</strong>rs. La communauté s’organise en fonction <strong>de</strong> la découverte <strong>de</strong>ses valeurs, <strong>de</strong> ses ressources <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses besoins, recherchant àsupprimer ses problèmes sociaux, économiques, culturels, politiques<strong>et</strong> religieux, dans le sens <strong>de</strong> l’affirmation <strong>de</strong> ses membres commesuj<strong>et</strong>s 1 .Au sens strict du terme, ANPO, signifie travailanimé par <strong>de</strong>s éléments populaires, promotion <strong>de</strong>smembres <strong>et</strong> <strong>de</strong>s communautés par leur action propre,favorisant le lien entre la réflexion <strong>et</strong> l’action,l’articulation <strong>de</strong>s problèmes immédiats avec la luttepour la transformation <strong>de</strong>s structures.L’<strong>Animation</strong> populaire était également,essentiellement considérée comme un processuspolitique : car c’était une éducation à la viecommunautaire, à la participation commune à larésolution <strong>de</strong>s problèmes, à la <strong>recherche</strong> <strong>et</strong> àl’adoption <strong>de</strong> solutions (prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> laréalité) ; car elle structurait la communauté <strong>de</strong>manière à ce que chacun puisse prendre part à la viepolitique <strong>de</strong> la communauté, par <strong>de</strong>s groupes <strong>et</strong> <strong>de</strong>stravaux collectifs ; car elle amenait la communauté àétendre c<strong>et</strong>te vie politique jusque dans le processuspolitique national, annulant ainsi la marginalisation<strong>de</strong>s paysans.Le processus <strong>de</strong> maturité <strong>de</strong> l’ANPO dans lemouvement ne fut pas uniforme. Dans une phasepostérieure, les activités extra-scolaires sedéveloppèrent, comme : <strong>de</strong>s fêtes, <strong>de</strong>s jeux, <strong>de</strong>scampagnes, ainsi que la consultation syndicale en1 MEB Nacional, O MEB em cinco anos – Primeira parte,op.cit., p. 26fonction <strong>de</strong> son importance sur la dynamique <strong>de</strong> laréalité. Des cours <strong>et</strong> <strong>de</strong>s ateliers/séminaires étaientplanifiés, afin <strong>de</strong> former les moniteurs <strong>et</strong> les lea<strong>de</strong>rs<strong>de</strong>s communautés ; les moniteurs prenaient alors lesinitiatives nécessaires en fonction <strong>de</strong>s écoles <strong>et</strong> <strong>de</strong>scommunautés. En certains lieux déterminés, <strong>et</strong> dansl’État du Maranhão, où le droit d’émission ne fut pasobtenu, une équipe responsable dynamisait <strong>de</strong>s« Caravanes », qui allaient dans les zones rurales <strong>et</strong>promouvaient dans les communautés, <strong>de</strong>s débats surla communauté locale, <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s, la participation à<strong>de</strong>s réunions <strong>et</strong> aux activités <strong>de</strong> la communauté, <strong>et</strong>c.Lors d’une Rencontre en mars 1965, l’ANPO s’estdéfinie comme un processus <strong>de</strong> développement <strong>et</strong>d’organisation <strong>de</strong>s Communautés, <strong>et</strong> son intégrationdans une éducation d’adultes comme une éducation <strong>de</strong>base. Compte tenu <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s produits par lesévènements d’avril 1964 <strong>et</strong> postérieurs, l’ANPO futconsidérée comme une alternative aux restrictionsimposées, inclusivement comme une substitution dutravail syndical. Mais la conjoncture empêcha saconsolidation effective. Une programmation mieuxplanifiée <strong>et</strong> plus systématique permis à l’<strong>Animation</strong>populaire <strong>de</strong> s’exprimer par le développement <strong>de</strong> lacommunauté <strong>et</strong> par la syndicalisation rurale.FORMATION SYNDICALELa <strong>recherche</strong> <strong>de</strong> Manfredi (1986), prenant commeréférence le Mouvement syndical <strong>de</strong> Sao Paulo, entrace un cadre détaillé. La ville <strong>de</strong> São Paulo fut àc<strong>et</strong>te époque <strong>et</strong> les années qui suivirent, la voie royale<strong>de</strong> l’expansion du capitalisme brésilien. Les pratiques<strong>de</strong> formation (éducation, formation professionnelle,éducation populaire, <strong>et</strong>c.) étaient organisées jusqu’en1964, (année du coup d’état militaire au Brésil) <strong>de</strong> lamanière suivante : sphères patronales,gouvernementales, éducatives <strong>et</strong> internationales.Dans le champ syndical, les expériences conduites par<strong>de</strong>s groupes non officiels prédominaient, liés à <strong>de</strong>sgroupes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s factions à orientations conservatrices,réformistes ou révolutionnaires. Les initiatives <strong>de</strong>l’Église catholique, du patronat, <strong>de</strong>s groupessyndicaux, <strong>de</strong>s mouvements d’éducation <strong>et</strong>d’alphabétisation (Mouvement <strong>de</strong> Culture populaire –MCP, Centres Populaires <strong>de</strong> Culture – CPC <strong>de</strong>l’Union nationale <strong>de</strong>s Étudiants <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Mouvementsd’Étudiants) acquirent du relief. Entre 1964 <strong>et</strong> 1974,<strong>de</strong>s mouvements syndicaux autonomes <strong>et</strong> isoléssurgirent, parmis eux l’Opposition Syndicale <strong>de</strong>sMétallurgistes <strong>de</strong> São Paulo <strong>et</strong> le Syndicat <strong>de</strong>sMétallurgistes <strong>de</strong> São Paulo. Dans un premier temps,ces mouvements suppléèrent les carences éducatives<strong>de</strong> l’État : cours réguliers <strong>de</strong>s 1 er <strong>et</strong> 2 e <strong>de</strong>grés, cours <strong>de</strong>rattrapage <strong>et</strong> <strong>de</strong> pré-formation. C’est vers 1978-1979,avec la montée <strong>de</strong>s mouvements syndicaux <strong>et</strong> <strong>de</strong>grèves, que les organisations syndicales semobilisèrent pour former leurs militants, <strong>et</strong> leurspropositions idéologiques <strong>et</strong> politiques étaientdivergentes, que ce soit sur l’aspectcontrôle/cooptation ou sur l’aspect émancipation <strong>de</strong>s28 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


<strong>Animation</strong> <strong>et</strong> éducation populaires au Brésil 1960 – 2000,par Luiz Eduardo W. Wan<strong>de</strong>rleyclasses laborieuses. Si antérieurement, les pratiquesétaient conduites prioritairement par <strong>de</strong>s dirigeantsou <strong>de</strong>s cadres politiques plus avancés, à partir <strong>de</strong>1977-1978, on commença à promouvoir, la formation<strong>de</strong> le bas, au moyen <strong>de</strong> cours, causeries, conférences <strong>et</strong>congrès.Une synthèse <strong>de</strong> l’auteur indique que : les propositions <strong>et</strong> lespratiques <strong>de</strong> formation ne sont pas neutres, ni apolitiques. Parleurs objectifs, leurs contenus <strong>et</strong> leurs métho<strong>de</strong>s, elles reflètent lesintentions idéologiques <strong>et</strong> politiques <strong>de</strong>s agents promoteurs. Ellesfont partie <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>s stratégies politiques d’action <strong>de</strong>sdifférents groupes, courants <strong>et</strong> partis qui se disputent l’hégémonieà l’intérieur du mouvement syndical ouvrier. C<strong>et</strong>te dispute est, en<strong>de</strong>rnier ressort, l’expression <strong>de</strong> la lutte politico-idéologiqueglobale, qui se joue à l’intérieur <strong>et</strong> entre les classes sociales <strong>et</strong> auniveau <strong>de</strong> la société dans son ensemble (p. 301).On doit souligner une référence à l’animationdéveloppée par les intellectuels, qu’ils soient internesou externes à la classe sociale. Peu à peu, lesintellectuels <strong>de</strong> la classe sociale exercent <strong>de</strong>s tâchesd’organisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> direction <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong>formation, <strong>et</strong> agissent ainsi comme acteurs dans lesprocessus d’enseignement <strong>et</strong> d’apprentissage. Desintellectuels externes sont intégrés, lorsqu’ils sontdisposés à collaborer <strong>et</strong> à participer dans uneperspective d’échange mutuel <strong>et</strong> bilatéral.Nous prendrons comme référence la politiquenationale <strong>de</strong> formation <strong>de</strong> la Centrale Unique <strong>de</strong>sTravailleurs (CUT), la plus gran<strong>de</strong> centrale syndicaledu Brésil.Durant la déca<strong>de</strong> 1980, la croissance <strong>de</strong> l’éducationsyndicale a été constante <strong>et</strong> la Centrale créa unsecrétariat national <strong>de</strong> formation, responsable <strong>de</strong>sPlans nationaux <strong>de</strong> Formation <strong>de</strong> la CUT. LaCentrale s’organisa en plusieurs Écoles syndicalesdisséminées dans plusieurs régions du pays. Il y avait<strong>de</strong>ux structures <strong>de</strong> formation : les structureshorizontales (les secrétariats <strong>de</strong> formation ainsi que lescollectifs <strong>de</strong> formation, variables dans chaque État,pouvant être régionaux, municipaux ouintermunicipaux ; les structures verticales (parcatégories spécifiques <strong>de</strong> travailleurs) avec lessecrétariats <strong>de</strong> formation par fédérations,confédérations <strong>et</strong>/ou départements nationaux parcatégories professionnelles, à côté <strong>de</strong>s secteurs(secrétariats, départements) <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>ssyndicats.Les conceptions <strong>de</strong> l’éducation syndicale reprirent<strong>de</strong>s thèmes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s perspectives ouvertes dans lesannées 1960, <strong>et</strong> avancèrent en considérant <strong>de</strong>s thèmesnouveaux imposés par les changements survenus dansla réalité brésilienne (dus également aux influencesmondiales), m<strong>et</strong>tant l’accent sur les changements dansla structure syndicale <strong>et</strong> dans les pratiques <strong>de</strong>ssyndiqués. C<strong>et</strong>te nouvelle conception <strong>de</strong> l’éducationsyndicale poursuivait les objectifs suivants : s’adressersimultanément aux élites <strong>et</strong> aux masses ; avoir pourréférences les directives <strong>de</strong> la Centrale ; <strong>recherche</strong>r ladémocratie, le pluralisme <strong>et</strong> l’unité dans la diversité ;unifier au plan national <strong>et</strong> décentraliser dans lesrégions du pays ; atteindre l’intégralité <strong>de</strong> l’êtrehumain, comme réponses, quoique peu explicites, auxquestions <strong>de</strong> genre <strong>et</strong> d’<strong>et</strong>hnie ; être un instrument <strong>de</strong>réflexion critique <strong>et</strong> <strong>de</strong> libération (combinant leséléments du schème marxiste <strong>et</strong> <strong>de</strong> la théologie <strong>de</strong> lalibération) ; combattre toutes les discriminations ; êtrepermanente, planifiée, systématique. La formationétait considérée comme un processus <strong>de</strong> formationcontinue <strong>et</strong> embrassait les dimensions idéologiques,politiques <strong>et</strong> techniques.La méthodologie, non encore formulée dans sonintégralité, se prétendait orientée par une« conception <strong>de</strong> méthodologie dialectique » ou« méthodologie <strong>de</strong> la pratique », ou encore« méthodologie <strong>de</strong> la réflexion-action », cherchant à :intégrer le savoir scientifique au savoir populaire,théorie <strong>et</strong> pratique ; intégrer les dimensionsindividuelles <strong>et</strong> collectives <strong>de</strong>s travailleurs ; dévoiler,critiquer <strong>et</strong> transformer la réalité ; assurer un échange<strong>de</strong> savoirs entre les formateurs <strong>et</strong> les personnes enformation.Le point <strong>de</strong> départ doit être la pratique sociale <strong>de</strong>stravailleurs, leurs problèmes concr<strong>et</strong>s, leurs besoins <strong>et</strong>leurs défis. La théorisation doit amener à uneclassification <strong>de</strong>s idées comme bases <strong>de</strong> réflexion <strong>de</strong> lapratique sociale analysée, <strong>de</strong> laquelle émergent lesconceptualisations utiles. La théorie produiteantérieurement doit servir <strong>de</strong> gui<strong>de</strong> à l’actiontransformatrice. Une <strong>recherche</strong> évaluative duprocessus formatif, par une équipe externe, perm<strong>et</strong>certains commentaires pertinents <strong>et</strong> <strong>de</strong>s suggestionspour l’amélioration du processus. (CUT 1997)Dans les années 1998-1999, la CUT à développé unProgramme <strong>de</strong> Formation Intégrale, fondé sur lasystématisation <strong>de</strong> ses expériences, dont le but était :« la formation <strong>de</strong> suj<strong>et</strong>s critiques, ayant <strong>de</strong>s capacités <strong>de</strong>réflexion, d’élaboration <strong>et</strong> d’action politique <strong>et</strong> <strong>de</strong> formationprofessionnelle », avec l’ai<strong>de</strong> du réseauUNITRABALHO (qui intègre les universités <strong>et</strong> lesinstances syndicales) <strong>et</strong> du DIEESE (une agenced’étu<strong>de</strong>s, d’analyses <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> sur le travail <strong>et</strong> lemon<strong>de</strong> syndical). Il s’agit un sous-programme <strong>de</strong>Formation <strong>de</strong> Formateurs pour la formationprofessionnelle ayant pour but <strong>de</strong> rendre 1000 suj<strong>et</strong>scapables <strong>de</strong> travailler dans <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> formationprofessionnelle. Avec une conception propre dutravail <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’éducation, ce programme rej<strong>et</strong>te laconception habituelle <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong> typedressage/entraînement/compétitivité, dans lesystème produit.Une recommandation <strong>de</strong> la CUT « Programme <strong>de</strong>Formation intégrale », qui développe <strong>de</strong>s pratiquespédagogiques plurielles dans ses Écoles disperséesdans le pays, cherche à toucher les spécificitésrégionales (culture, profil <strong>de</strong>s participants <strong>et</strong> <strong>de</strong>sformateurs, ressources matérielles), maintient certainséléments fondamentaux <strong>de</strong> la proposition générale(CUT, 1999 : 22 <strong>et</strong> 23) :• La reconnaissance <strong>de</strong>s différents savoirs <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurfragmentation, ainsi que l’engagement àCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 29


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animationentr<strong>et</strong>enir le dialogue afin qu’ils s’explicitent, seconfrontent <strong>et</strong> se dépassent ;• La récognition comme principe pédagogique ;• La reconnaissance <strong>de</strong> l’aspect provisoire <strong>de</strong> laconnaissance ;• La reconnaissance <strong>de</strong> la signification du dialoguecomme générateur <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité dans la formation<strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s, établi entre les éduqués, ceux-ci avecles éducateurs <strong>et</strong> <strong>de</strong>s tous avec les pratiquesrelatives aux contenus développés ;• L’engagement à situer le mon<strong>de</strong> du travail àl’intérieur <strong>de</strong>s processus éducatifs, faisant <strong>de</strong> lui,l’élément d’articulation <strong>de</strong>s curriculums <strong>et</strong> <strong>de</strong> lapratique quotidienne <strong>de</strong> l’interdisciplinarité ;• La transformation <strong>de</strong>s pratiques pédagogiquespropres en obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> connaissance, par lasystématisation <strong>et</strong>, avec elle, le développementd’une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> chez les éduqués ;• La reconnaissance <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> savoirutiliser les nouvelles technologies <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> leurcôté éphémère ;• La perception <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>shabilités d’expression diverses : orale, écrite,corporelle, digitale ;• Le vécu au quotidien d’un nouveau type <strong>de</strong>partenariat, réglé par la reconnaissance <strong>de</strong>scontradictions entre les suj<strong>et</strong>s (individuels <strong>et</strong>collectifs) <strong>et</strong> par la « déconstruction » <strong>de</strong>srelations <strong>de</strong> pouvoir qui s’établissent à l’intérieur<strong>de</strong>s processus éducatifs, <strong>de</strong> manière à <strong>de</strong>venirvisibles <strong>et</strong> motifs d’actions consensuelles ;• La considération <strong>de</strong>s multiples dimensions <strong>de</strong>l’être, dans une perspective d’éducation intégrale.AÇÃO EDUCATIVA : ÉDUCATION DESJEUNES ET DES ADULTESNous prendrons les activités <strong>de</strong> l’ONG « Actionéducative », comme référence, organisation quirassemble <strong>de</strong> manière prépondérante, <strong>de</strong>s éducateurs,<strong>de</strong>s professeurs d’université, <strong>de</strong>s journalistes, <strong>de</strong>sscientifiques en sciences sociales ; son siège est à SãoPaulo <strong>et</strong> ses actions s’éten<strong>de</strong>nt sur le plan local,régional <strong>et</strong> national. La méthodologie d’actionstratégique adoptée par l’Action éducative, consiste enune combinaison <strong>de</strong> l’expérimentation <strong>et</strong> ladissémination <strong>de</strong> propositions éducatives répondant àla <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s populations exclues <strong>et</strong> visant à laproduction <strong>de</strong> savoirs <strong>et</strong> à la diffusion d’informationsimportantes pour une action politique, à l’articulation<strong>et</strong> à la mobilisation sociale pour la défense <strong>de</strong>s droitséducatifs <strong>de</strong> la jeunesse. L’une <strong>de</strong>s priorités est d’offrir<strong>de</strong>s subsi<strong>de</strong>s pour l’élaboration <strong>de</strong> politiques socialespubliques, dans les champs <strong>de</strong> l’éducation <strong>de</strong> lajeunesse.Ses programmes éducatifs <strong>et</strong> <strong>de</strong> jeunesse, allient <strong>de</strong>sproj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> forme participative avec <strong>de</strong>s écoles, <strong>de</strong>sgouvernements, <strong>de</strong>s communautés, m<strong>et</strong>tant enévi<strong>de</strong>nce l’engagement actif <strong>de</strong>s éducateurs. Lesjeunes constituent le public cible prioritaire. Ilsforment <strong>de</strong>s groupes <strong>et</strong> élaborent <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>sd’intervention dans leurs communautés.L’ONG dirige le Centre <strong>de</strong> la Jeunesse <strong>et</strong> d’Éducationcontinue, qui réalise <strong>de</strong>s cours <strong>et</strong> <strong>de</strong>s ateliers,développe une production <strong>de</strong> savoirs, en partenariatavec d’autres institutions à partir <strong>de</strong> noyauxthématiques <strong>de</strong> <strong>recherche</strong>, <strong>de</strong> publications spécialisées(matériel didactique, subsi<strong>de</strong>s pédagogiques, revues)<strong>et</strong> m<strong>et</strong> l’accent sur la dissémination d’informations surIntern<strong>et</strong> <strong>et</strong> l’insertion dans la presse locale <strong>et</strong>nationale.Elle a créé l’Observatoire <strong>de</strong> l’Éducation <strong>et</strong> <strong>de</strong> laJeunesse, en 2002, ayant pour objectif l’amplification <strong>et</strong>la qualification <strong>de</strong> la couverture <strong>de</strong> thèmes éducatifsrelatifs à la jeunesse, par les moyens <strong>de</strong>communication <strong>de</strong> masses. Pour gagner enpotentialité, elle privilégie l’action en n<strong>et</strong>work <strong>et</strong> lesarticulations intersectorielles qui favorisent leséchanges, le débat public <strong>et</strong> la participationdémocratique dans les décisions, au-<strong>de</strong>là du contrôlecitoyen sur les organes publics. Elle participe à laChaîne d’appui à l’Action d’Alphabétisation du Brésil(RAAAB) <strong>et</strong> à <strong>de</strong>s forums. Elle coordonne lacampagne nationale pour le Droit à l’Éducation,composée <strong>de</strong> divers secteurs <strong>de</strong> la Société Civile,faisant pression sur les pouvoirs publics. Elle effectue<strong>de</strong>s expérimentations <strong>de</strong> pratiques éducativesintégrées, conjuguant l’effort d’agents scolaires <strong>et</strong>non-scolaires, dans <strong>de</strong>s écoles, <strong>et</strong> cherchant l’inclusiond’organes publics responsables <strong>de</strong>s réseaux scolairespour stimuler <strong>de</strong>s pratiques éducatives innovantes.Dans le sens du combat contre la discriminationraciale, elle développe un concours, perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong>doter la <strong>recherche</strong> sur le thème : Nègre <strong>et</strong> éducation.Elle crée <strong>de</strong>s partenariats avec les écoles publiques, lesorganes <strong>de</strong> l’administration publique, les groupes <strong>de</strong>jeunes, les associations communautaires, <strong>et</strong> lesentreprises.CESEP – CENTRE ŒCUMÉNIQUE DESERVICES POUR L’ÉVANGÉLISATION ETL’ÉDUCATION POPULAIREDans la tradition <strong>de</strong> l’animation sociale <strong>et</strong> populaire<strong>de</strong>s églises (catholiques <strong>et</strong> évangéliques), le CESEPdébuta en 1982, avec un groupe d’évêques, <strong>de</strong>pasteurs, <strong>de</strong> théologiens <strong>et</strong> <strong>de</strong> théologiennes, <strong>de</strong>biblistes <strong>et</strong> <strong>de</strong> chercheurs en sciences sociales. CeCentre a une i<strong>de</strong>ntité tridimensionnelle :• Il est œcuménique, dans le sens <strong>de</strong> stimuler <strong>et</strong>d’étendre le dialogue entre les religionschrétiennes, cherchant à inclure les religionsindigènes <strong>et</strong> africaines ( macro-œcuménisme), <strong>et</strong>comptant sur l’ai<strong>de</strong> du Conseil National <strong>de</strong>sÉglises Chrétiennes du Brésil (CONIC) ;• Il est latino-américain, puisqu’il exerce sesactivités dans toute l’Amérique latine, maintenant<strong>de</strong>s contacts avec divers groupes du Continent30 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


<strong>Animation</strong> <strong>et</strong> éducation populaires au Brésil 1960 – 2000,par Luiz Eduardo W. Wan<strong>de</strong>rleysud-américain <strong>et</strong> recevant <strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong> tousles pays dans ses cours <strong>de</strong> formation.• Il est populaire, ayant pour objectif d’atteindre lamajorité <strong>de</strong> la population, avec une optionpréférentielle pour les pauvres <strong>et</strong> une attentionspéciale pour les Communautés ecclésiales <strong>de</strong>Base (CEBs).Il est inséré dans un réseau <strong>de</strong> centres, qui tant surle Continent qu’aux Caraïbes, ren<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s servicesi<strong>de</strong>ntiques dans le champ <strong>de</strong> la formation <strong>et</strong> s’appuientmutuellement les uns sur les autres.Son public privilégié vient <strong>de</strong>s CEBs, <strong>de</strong>s pastoralespopulaires (habitation, santé, <strong>et</strong>c.), <strong>de</strong>s mouvementspopulaires.Sous son patronage, le CESEP développe <strong>de</strong>s coursvariés aux finalités spécifiques. Le plus vaste (15 ansd’existence) est le Cours d’été, qui a lieu en janvier àSão Paulo. Durant 15 jours, ce cours reçoit <strong>de</strong>sparticipants <strong>de</strong> tout le Brésil, ainsi que <strong>de</strong>sthéologiens, <strong>de</strong>s biblistes, <strong>de</strong>s spécialistes <strong>de</strong> lapastorale, les laïcs engagés dans les luttes sociales <strong>et</strong>politiques, <strong>de</strong>s étudiants en théologie, <strong>de</strong>s religieuses,<strong>de</strong>s pasteurs. Il y a environ 500 personnes (venant <strong>de</strong>smilieux populaires <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Élise, dont une majorité <strong>de</strong>laïcs <strong>et</strong> <strong>de</strong> jeunes) <strong>et</strong> plus <strong>de</strong> 100 moniteurs bénévolesen plus <strong>de</strong>s équipes d’appui <strong>de</strong> l’infrastructure. Il s’yréalise un travail collectif avec un même objectif <strong>de</strong>formation, créant sa pédagogie <strong>et</strong> sa méthodologiepropres, ayant ses fon<strong>de</strong>ments dans l’éducationpopulaire, ayant pour fin <strong>de</strong> passer <strong>de</strong> la formation enp<strong>et</strong>its groupes à une formation <strong>de</strong> nature massive.Divisé par sessions – Bible, Théologie, pastorale /Église <strong>et</strong> société, ce cours regroupe <strong>de</strong>s spécialistesdans <strong>de</strong>s champs divers <strong>de</strong> connaissances. Laprogrammation propose <strong>de</strong>s conférences, <strong>de</strong>s groupesd’étu<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s assemblées <strong>de</strong> synthèse <strong>et</strong> <strong>de</strong>s ateliers :communication poétique, expression visuelle,bibliodrame, art <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>lage, art infantile,photographie, journal populaire, liturgie, audio-visuel,musique, radio communautaire, théâtre <strong>de</strong> rue, culturepopulaire. Les curriculums sont établis selondifférents thèmes pour chaque session <strong>et</strong> orientés parun thème central année après année. Un livre estélaboré pour chaque cours <strong>et</strong> remis aux participants.Il contient, entre autres, les expositions principales. Ilest intéressant <strong>de</strong> noter que ce schéma <strong>de</strong> cours s’estpropagé dans d’autres régions du pays, suscitant <strong>de</strong>nouvelles initiatives.Chaque année, <strong>de</strong>ux cours sont offerts à 40participant d’Amérique latine, dénommés « Courslatino-Américain pour chrétiens militants », <strong>et</strong>« Cours latino-Américain <strong>de</strong> formation pastoraux ».Les thèmes sont renouvelés chaque année, <strong>et</strong> lesformateurs <strong>et</strong> les personnes en formation sontrecrutés sur tout le continent. Les ex participantsrestent en contact par le biais <strong>de</strong> publications <strong>et</strong> <strong>de</strong>l<strong>et</strong>tres.D’autres cours fixes, annuels, <strong>de</strong> 15 jours,s’adressant à <strong>de</strong>s groupes réduits, couvrent leschamps <strong>de</strong> l’œcuménisme en général. Dernièrement,ont été instaurés <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> Week-end, ceci compt<strong>et</strong>enu <strong>de</strong>s difficultés <strong>de</strong>s participants à se libérer. Enplus, <strong>de</strong>s cours en partenariat ont été développés auBrésil <strong>et</strong> dans d’autres pays. La PUC <strong>de</strong> São Paulooffre <strong>de</strong>s certificats d’extension <strong>culturelle</strong> auxparticipants.La « Rencontre latino-américaine d’étu<strong>de</strong>s », coursréservé aux évêques, également annuelle, mérited’être mentionnée. Une quarantaine d’évêques lasuivent. Il s’y créé un climat <strong>de</strong> convivialité <strong>et</strong> <strong>de</strong>dialogue entre eux, il s’y construit une solidaritéecclésiale, <strong>et</strong> la formation touche <strong>de</strong>s thèmessélectionnés intéressant les Églises.Des cadres du CESEP participent à d’innombrablesactivités dans tout le pays, animant <strong>de</strong>s groupes <strong>et</strong> <strong>de</strong>smouvements par le biais d’ai<strong>de</strong>s ponctuelles <strong>et</strong> <strong>de</strong>consultations. Ils maintiennent <strong>de</strong>s échanges avec lesagences <strong>de</strong> coopération d’Europe, du Canada <strong>et</strong> <strong>de</strong>sÉtats-Unis. Le CESEP est le responsable juridique <strong>de</strong>la collection « Théologie <strong>et</strong> Libération ».Les évaluations faites durant les cours, fontapparaître une gran<strong>de</strong> satisfaction. La multiplication<strong>de</strong>s informations <strong>et</strong> <strong>de</strong>s idées, reçues <strong>de</strong>s participants,qui les transm<strong>et</strong>tent par le biais <strong>de</strong> leurs activitésmultiples <strong>et</strong> variées dans leur lieux <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> <strong>de</strong>travail, animant <strong>de</strong>s groupes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s activités, en sontla preuve. Un autre résultat significatif, est laconcrétisation d’un eff<strong>et</strong> œcuménique, avec <strong>de</strong>sinitiatives innovantes, principalement à la base,rompant avec les préjugés <strong>et</strong> établissant <strong>de</strong>spartenariats. Un proj<strong>et</strong> d’éducation à distance, viaIntern<strong>et</strong>, est en route, avec l’objectif <strong>de</strong> toucher le plusgrand nombre <strong>de</strong> personnes.ÉTAT : ÉDUCATION PUBLIQUE ETÉDUCATION POPULAIREAu temps passé, <strong>de</strong>puis la proclamation <strong>de</strong> laRépublique (1889), il y avait déjà, au niveau étatique,une préoccupation relative à l’éradication <strong>de</strong>l’analphabétisme <strong>et</strong> l’implantation <strong>de</strong> l’enseignementobligatoire au niveau fondamental (Beisiegel 1974).Des campagnes <strong>de</strong> sensibilisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> mobilisationainsi que <strong>de</strong>s initiatives institutionnelles furentmenées au niveau national. Tenant compte <strong>de</strong> lapério<strong>de</strong> choisie, avant le coup d’État militaire <strong>de</strong> 1974,on peut noter que le gouvernement fédéral tentad’organiser un Programme national d’Alphabétisation(janvier 1964), sous la direction <strong>de</strong> Paulo Freire enutilisant son système éducatif. Avec l’avènement <strong>de</strong>l’État autoritaire, ce programme fut aboli, lesresponsables emprisonnés <strong>et</strong> le matériel saisi. Lenouveau gouvernement créa un Mouvement Brésiliend’Alphabétisation (MOBRAL), qui commença sesactivités en 1969-70 : en opposition absolue avec lesidées produites <strong>et</strong> défendues par les mouvementsantérieurs à 64. Ce mouvement était décentralisé dans<strong>de</strong>s communes, mais avec une centralisation <strong>de</strong> ladirection du processus éducatif au MOBRAL central,Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 31


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animation<strong>et</strong> répandu par les Coordinations <strong>de</strong>s états ; lematériel didactique était remis à <strong>de</strong>s entreprisesprivées <strong>et</strong> les professeurs n’avaient aucune formationpréalable. La structure était en adéquation avec son« objectif politique d’implantation d’une campagne <strong>de</strong>masse sous contrôle doctrinaire » (Haddad, 1991 : 86)L’Enseignement supplétif, démarra en 1971, commecomplément ; il s’agit d’un système intégré,indépendant <strong>de</strong> l’enseignement régulier, tourné versle développement national, ayant une doctrine <strong>et</strong> uneméthodologie appropriées à l’âge <strong>de</strong> l’étudiant <strong>et</strong> nonà sa classe sociale, comme auparavant, <strong>et</strong> dont lesprogrammes restèrent à la charge d’un Départementdu Ministère <strong>de</strong> l’Éducation <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Culture. Lesgouvernements militaires voulaient augmenter lesopportunités éducatives, intégrant le système au soidisantmodèle <strong>de</strong> développement, m<strong>et</strong>tant l’accent surl’accès à la formation professionnelle.La Radio éducation <strong>et</strong> la télévision éducativesconstituèrent d’autres initiatives d’éducation àdistance. Durant les <strong>de</strong>rnières déca<strong>de</strong>s on vit surgir<strong>de</strong>s initiatives gouvernementales <strong>et</strong> particulières. Vers1960, à côté du MEB, on trouve les initiativesnationales : Le Système Radio-Educatif National(SIRENA) (en 1961, il existait 65 systèmesrégionaux), qui offraient <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> base ; le SecteurRadio <strong>et</strong> Télévision Educatives (SERTE) (1965).Dans le champ <strong>de</strong> la télévision, il y eut un accor<strong>de</strong>ntre le groupe Time-Life <strong>et</strong> l’entreprise GLOBO(1965), <strong>et</strong> diverses réglementations ont été établiespar le gouvernement militaire, comme le Ministère <strong>de</strong>la Communication, la Radiobras. Les premièresactivités <strong>de</strong> TV éducatives surgirent, telles que LaFondation Padre Anchi<strong>et</strong>a (1967), le proj<strong>et</strong> SACI(Satellite Avancé <strong>et</strong> CommunicationsInterdisciplinaires, à São paulo, Les TVs éducativesdu Maranhão, Ceara <strong>et</strong> Rio Gran<strong>de</strong> do Norte (régionnord-est du pays), la Fondation Roberto Marinho, <strong>de</strong>la Globo (1977) focalisé sur les télé-cours supplétifsdu 1° <strong>et</strong> 2° <strong>de</strong>grés. On ne pouvait évaluer la quantité<strong>de</strong> population touchée par ces cours – une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>l’UNESCO indique à peine 0,39 % <strong>de</strong> la populationanalphabète du pays, d’autres sont plus optimistes(trois millions <strong>de</strong> Brésiliens).Dans la déca<strong>de</strong> 90, le gouvernement fédéral est àl’origine <strong>de</strong>s initiatives d’Alphabétisation Solidaire,qui s’étendirent dans tout le pays, avec lacollaboration <strong>de</strong>s gouvernements locaux, <strong>de</strong>suniversités, <strong>de</strong>s associations professionnelles à côté <strong>de</strong>l’augmentation <strong>de</strong> l’offre <strong>de</strong>s écoles.Avec l’augmentation <strong>de</strong> l’action <strong>de</strong> l’État d’un côté,<strong>et</strong> la privatisation <strong>de</strong> l’enseignement, <strong>de</strong> l’autre, ledébat actuel est centré soit sur la défense <strong>de</strong> l’écolepublique, universelle, gratuite, laïque, soit sur ladéfense <strong>de</strong> l’école privée ; sur la pluralité <strong>de</strong>s acteurs ;sur l’augmentation <strong>de</strong>s thématiques (incluantl’économie, la politique, la culture, l’<strong>et</strong>hnie, le genre,les droits <strong>de</strong> l’homme, l’écologie <strong>et</strong>c) ; sur les proj<strong>et</strong>salternatifs (les budg<strong>et</strong>s participatifs, les revenusminimaux, les coopératives, l’économie solidaire) ; surla réévaluation <strong>de</strong>s concepts (la démocratie, lacitoyenn<strong>et</strong>é, la participation, la vision critique).Pour favoriser un enseignement public <strong>de</strong> qualité, ily eut une expansion du réseau public (enseignementfondamental <strong>et</strong> moyen) dans le pays, ceci à partir <strong>de</strong>sluttes <strong>de</strong>s associations professionnelles <strong>et</strong> <strong>de</strong>smouvements populaires, <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong> techniciens<strong>et</strong> d’éducateurs progressistes dans <strong>de</strong>sadministrations, <strong>de</strong>s communes, <strong>de</strong>s états déterminés,<strong>et</strong> même jusque dans la sphère fédérale. Certaines <strong>de</strong>sconquêtes obtenues dans la Charte Constitutionnelle(1988) <strong>et</strong> l’approbation du Plan National d’Éducation,confrontées aux énormes difficultés <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>l’enseignement public, ont conduit le Mouvement à laDéfense <strong>de</strong> l’École Publique, universelle <strong>et</strong> <strong>de</strong> qualité.Certains groupes revendiquèrent à nouveau une écolepublique populaire, rompant la dichotomie entre lepublic <strong>et</strong> le privé, aspirant à un Système Unifiéd’Éducation Publique, unique <strong>et</strong> décentralisé (ayantpour inspiration l’École publique nationale, proposée àl’époque <strong>de</strong> la révolution française, laïque, universelle,obligatoire <strong>et</strong> gratuite).Au début <strong>de</strong> 1990, une expérience innovante, leMouvement d’Alphabétisation <strong>de</strong>s Adultes (MOVA),menée dans la ville <strong>de</strong> São Paulo (qui compte auxalentours <strong>de</strong> 10 millions d’habitants), a été étendue<strong>de</strong>puis lors à d’autres villes sous l’égi<strong>de</strong> du Parti <strong>de</strong>sTravailleurs. Il s’agit d’un partenariat entre legouvernement municipal <strong>et</strong> <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> laSociété civile (entités <strong>et</strong> mouvements du mon<strong>de</strong>ouvrier, <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nces, <strong>de</strong> pastorales populaires <strong>et</strong>d’éducation populaire entre autres), dans le but <strong>de</strong>partager la gestion <strong>de</strong>s programmes. Les entités quisignèrent la convention avec la Préfecture se sontorganisées en forums régionaux <strong>et</strong> municipaux. En1992, la convention comprenait 75 entités populaires<strong>et</strong> touchait 18 766 étudiants dès l’âge <strong>de</strong> 14 ans. Ellecherchait à maintenir un pluralisme méthodologique<strong>et</strong> à valoriser certains principes politiques <strong>et</strong>pédagogiques, synthétisés en une conceptionlibératrice <strong>de</strong> l’éducation.Em 2000, selon les donnés du IBGE (InstitutBrésilien <strong>de</strong> Geographie <strong>et</strong> Statistique), la Carted`Analfab<strong>et</strong>isme révélait encore l’existence <strong>de</strong> presque16 millions d’analphabètes (entre les personnes âgées<strong>de</strong> 15 ans ou plus) <strong>et</strong> 30 millions d’analphabètesfonctionnels (<strong>de</strong>s personnes qui sont malalphabétisées <strong>et</strong> que n’arrivent pas à comprendre cequ’ils lisent). Ces populations sont concentrées dans<strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s villes.Le gouvernement Lula a créé le Secrétariatd’Éradication <strong>de</strong> l’Analphabétisme (mai <strong>de</strong> 2003), auministère d’Éducation – MEC, responsable duProgramme « Brasil Alfab<strong>et</strong>izado ».En 2003, d’après ce Programme, 3 248 956 <strong>de</strong>sjeunes <strong>et</strong> adultes ont été alphabétisés, en 1 756communes. Des partenariats avec <strong>de</strong>s municipalités,<strong>de</strong>s gouvernements régionaux, <strong>de</strong>s organisations nongouvernementales <strong>et</strong> <strong>de</strong>s entreprises ont été établies.Les méthodologies utilisées par le Programme ce sont32 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


<strong>Animation</strong> <strong>et</strong> éducation populaires au Brésil 1960 – 2000,par Luiz Eduardo W. Wan<strong>de</strong>rleyfondées sur <strong>de</strong>s vieilles <strong>et</strong> <strong>de</strong>s nouvelles théoriesd’éducation populaire.CONSIDÉRATIONS FINALESDans les <strong>de</strong>rnières années, d’innombrablesorganisations non-gouvernementales, autonomes ouen lien avec <strong>de</strong>s églises, agirent directement avecl’éducation populaire, au moyen <strong>de</strong> cours, <strong>de</strong>publications, <strong>de</strong> documentation, <strong>et</strong>c. Des programmes<strong>de</strong> radio <strong>et</strong> <strong>de</strong> télévision sont diffusés, dans l’aireagricole, <strong>de</strong> la santé, <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine, <strong>de</strong> l’écologie, <strong>de</strong>sloisirs, du sport, <strong>et</strong>c. Des cours spécifiques sontdéveloppés dans certaines zones agricoles, parexemple par le Mouvement <strong>de</strong>s Sans Terre, par laCommission <strong>de</strong> la Pastorale <strong>de</strong> la Terre(œcuménique), par la Conférence Nationale <strong>de</strong>sTravailleurs <strong>de</strong> l’Agriculture, entre autres.En diverses régions du pays, <strong>de</strong>s écolescommunautaires émergèrent, elles étaient gratuites <strong>et</strong>soutenues par les communautés elles-mêmes ; leursressources provenaient <strong>de</strong>s organes publics fédéraux<strong>et</strong> <strong>de</strong>s secrétairies municipales <strong>de</strong> l’éducation.D’autres, les privées <strong>et</strong> les philantropiques, recevaient<strong>de</strong>s fonds <strong>de</strong>s Élise, <strong>de</strong>s entreprises, <strong>de</strong> services <strong>et</strong> <strong>de</strong>clubs récréatifs ou sportifs. Les écolescommunautaires étaient soutenues <strong>et</strong> organisées par<strong>de</strong>s conseils populaires ou <strong>de</strong>s associations <strong>de</strong>rési<strong>de</strong>nts, <strong>de</strong>s clubs <strong>de</strong> mères <strong>et</strong> <strong>de</strong> jeunes. Ils<strong>recherche</strong>nt une éducation en lien avec la réalitépopulaire <strong>de</strong>s enfants <strong>et</strong> <strong>de</strong>s adultes considérés.Les <strong>de</strong>rnières déca<strong>de</strong>s virent <strong>de</strong>s transformationssignificatives <strong>de</strong>s contenus <strong>et</strong> <strong>de</strong>s moyens. L’idée d’unsuj<strong>et</strong> historique unique pour le changement futdépassée par l’idée <strong>de</strong> suj<strong>et</strong>s multiples. Les thèmesabor<strong>de</strong>nt les questions <strong>de</strong> genres, d’<strong>et</strong>hnie, <strong>de</strong>politique, <strong>de</strong> culture, <strong>de</strong> subjectivité, d’exclusion <strong>et</strong>d’inclusion sociales, <strong>de</strong> communauté, <strong>de</strong> solidarité, <strong>de</strong>travail, <strong>de</strong> globalisation, <strong>de</strong> néolibéralisme, <strong>de</strong> milieuambiant, <strong>de</strong> droits <strong>de</strong> l’homme entre autres, ( certainsthèmes <strong>de</strong>meurent <strong>de</strong>s vestiges du passé avecl’influence du schéma marxiste <strong>et</strong> <strong>de</strong> la théologie <strong>de</strong> lalibération, tandis que surgissent d’autres nouvellesdéviations, d’autres schémas théoriques). Laméthodologie inclut <strong>de</strong>s modifications <strong>et</strong> <strong>de</strong>sactualisations d’anciens schémas, à côté <strong>de</strong>perspectives encore en cours. Et, surgit ainsi unensemble riche <strong>et</strong> complexe <strong>de</strong> pratiques socioéconomiquespolitiques <strong>culturelle</strong>s religieuses,suscitant un profond questionnement sur ce qu’estactuellement l’éducation populaire <strong>et</strong> l’animationsociale populaire. En général, toutes ces organisationscritiquent <strong>de</strong> manière véhémente les propositions <strong>de</strong>la Banque mondiale, <strong>et</strong> même <strong>de</strong> l’UNESCO, <strong>de</strong>l’Unicef, du Cepal, qui soutiennent les thèsesgénérales <strong>de</strong> la Banque mondiale, principalement enprétendant minimiser le rôle <strong>de</strong> l’État <strong>et</strong> en utilisant<strong>de</strong>s critères économiques pour évaluer les systèmeséducatifs <strong>et</strong> finalement proposer leurs réformes.A c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong>, <strong>et</strong> postérieurement encore, onassista à une dispute sur le concept même d’éducationpopulaire, dispute qui résultait <strong>de</strong> visions différentessur divers points, tels que :• les acteurs (l’État ou <strong>de</strong>s secteurs <strong>de</strong> la SociétéCivile, les assesseurs <strong>de</strong>s groupes éducatifs ou lesgroupes eux-mêmes <strong>et</strong> les classes populaires) ;• la pédagogie (directive ou non-directive, avec unlangage populaire ou scientifique ; il y avait unecritique au « pédagogie populiste ») ;• les contenus <strong>et</strong> les curriculums (type <strong>de</strong>disciplines, caractère politique – les processus <strong>de</strong>conscientisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> politisation d’avant 1964allaient en s’accentuant, <strong>et</strong> <strong>de</strong> défense du régimedurant la pério<strong>de</strong> militaire).En <strong>de</strong>s temps incertains, <strong>de</strong> perplexitésparadigmatiques, <strong>de</strong> changements profonds dans lesprocessus <strong>de</strong> gestion, dans le travail, dans lacommunication, dans l’éducation, accélérés par lamondialisation néolibérale, les défis sont énormes. Lesmobilisations massives <strong>de</strong> résistances, les pratiquesinnovantes (économie solidaire, coopératives,pouvoirs locaux <strong>et</strong>c) qui font irruption sur tous lescontinents, le Forum Social Mondial, divers <strong>et</strong> pluriel,annonçant qu’un « mon<strong>de</strong> nouveau est possible », sont<strong>de</strong>s faits qui rachètent les utopies <strong>et</strong> génèrent <strong>de</strong>nouvelles espérances.BIBLIOGRAPHIEBARREIRO, Julio. (1974). Educación popular y proceso <strong>de</strong>concientización. Argentina, Siglo XXI.BEISIEGEL, Celso <strong>de</strong> Rui. (1974). Estado e educação popular.São Paulo, Livraria Pioneira Editora.BRANDÃO, Carlos Rodrigues. (1980). A questão política daeducação popular. São Paulo, Brasiliense.Central Única dos Trabalhadores. (1997). Avaliação externada Política Nacional <strong>de</strong> Formação da CUT. São Paulo,Xamã.___________________________ (1999). Formação <strong>de</strong>formadores para educação profissional – a experiência daCUT 1998/1999. Governo Fe<strong>de</strong>ralTEM/SEFOR/CODEFAT 024/99.CESEP. Cursos <strong>de</strong> Verão anos I a XVII – Coleção TeologiaPopular. São Paulo. Editora Paulus. 1986 a 2003FAVERO, Osmar. (1983). Cultura popular – memória dos anos60. Rio <strong>de</strong> Janeiro. Graal.FREIRE, Paulo. (1967). Educação como prática da liberda<strong>de</strong>.Rio <strong>de</strong> Janeiro, Paz e Terra.__________. (1970). Pedagogia do Oprimido. Rio <strong>de</strong> Janeiro,Paz e Terra.GADOTTI, Moacir, TORRES Carlos Alberto (orgs).(1994). Educação popular : utopia latino-americana. SãoPaulo, Cortez/EDUSP.HADDAD, Sérgio. (1991). Estado e educação <strong>de</strong> adultos(1964-1985). São Paulo :Faculda<strong>de</strong> <strong>de</strong> Educação daUniversida<strong>de</strong> <strong>de</strong> São Paulo, tese <strong>de</strong> doutorado.MANFREDI, Silvia M. (1986). Educação sindical entre oconformismo e a crítica. São Paulo, Loyola.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 33


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animationMEB Nacional, "Animação Popular – ANPO : Tentativa <strong>de</strong><strong>de</strong>finição", in MEB em cinco anos – primeira parte. Rio <strong>de</strong>Janeiro. 1965.PAIVA, Vanilda Pereira. (1973). Educação popular e educação<strong>de</strong> adultos – contribuição à historia da educação brasileira.São Paulo, Loyola.(org). (1984). Perspectivas e dilemas da educação popular.Rio <strong>de</strong> Janeiro. Graal.WANDERLEY, Luiz Eduardo W. (1984). Educaçãopopular, política e Igreja católica. O Movimento <strong>de</strong>Educação <strong>de</strong> Base 1961 – 1965. P<strong>et</strong>rópolis, Vozes.Rapport sur l’état <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong>l’animation socio<strong>culturelle</strong> au Chili,par Antonio Elizal<strong>de</strong> HeviaSociologue, <strong>et</strong> Rodrigo Elizal<strong>de</strong> Soto, psychologueCe rapport a été élaboré à partir d’entrevuesréalisées avec <strong>de</strong>s intervenantEs qui, au Chili, sontreconnuEs dans le milieu <strong>de</strong> l’animationsocio<strong>culturelle</strong>. Les personnes interviewées pourréaliser ce rapport sont : Jorge Osorio, EusebioNájera, María Emilia Tijoux, Luis Bustos, José LuisOlivarí, Roberto Orozco, Isabel Esturillo y PatriciaRequena. Évi<strong>de</strong>mment, le contenu <strong>de</strong> ce documentrelève <strong>de</strong> la responsabilité exclusive <strong>de</strong>s auteurs entitre.CONCLUSIONS GÉNÉRALESToutes les personnes interviewées s’enten<strong>de</strong>nt surun certain nombre <strong>de</strong> positions :• L’animation socio<strong>culturelle</strong> est un élément utile <strong>et</strong>nécessaire pour favoriser un développement plushumain <strong>de</strong> la société actuelle, dans laquelle « lesubjectif » <strong>et</strong> « le quotidien » reprennent <strong>de</strong>l’importance.• Au niveau méthodologique, l’animationsocio<strong>culturelle</strong> contribue à renforcer <strong>de</strong>s espaces<strong>et</strong> <strong>de</strong>s façons innovatrices <strong>de</strong> participationcitoyenne <strong>et</strong> d’approfondissement <strong>de</strong> ladémocratie.• L’animation socio<strong>culturelle</strong>, en termes généraux,fait partie d’un corps théorique-pratique pluslarge qui serait celui <strong>de</strong> la pédagogie sociale ou <strong>de</strong>l’éducation sociale.• L’animation socio<strong>culturelle</strong> est une notion <strong>et</strong> unepratique qui se développent en Europe en mêm<strong>et</strong>emps que l’éducation populaire en AmériqueLatine. On constate que dans la <strong>de</strong>rnière décennieen particulier, s’est développée une influenceréciproque entre l’animation socio<strong>culturelle</strong>européenne <strong>et</strong> l’éducation populaire latinoaméricaine.Cependant, on a pu constater aussi <strong>de</strong>s différencesentre les points <strong>de</strong> vue :• On attribue à l’animation socio<strong>culturelle</strong> <strong>de</strong>sdimensions ou <strong>de</strong>s qualités différentes, voireopposées. D’un côté, il y a ceux <strong>et</strong> celles quiconsidèrent que la caractéristique <strong>de</strong> l’animationsocio<strong>culturelle</strong> est davantage d’être créatriced’espaces participatifs que <strong>de</strong> gestion <strong>culturelle</strong>. Àl’autre extrême, il y a ceux <strong>et</strong> celles qui la voientcomme un mo<strong>de</strong> d’intervention toujours externe,par conséquent non-représentative du savoirpopulaire <strong>de</strong> la communauté, sans possibilité <strong>de</strong>générer <strong>de</strong> plus grands niveaux <strong>de</strong> participationpopulaire. CertainEs la voient même d’unecertaine manière comme opposée à l’éducationpopulaire.• Une autre différence soulignée est reliée àl’objectif ou à la finalité <strong>de</strong> l’animationsocio<strong>culturelle</strong>. CertainEs l’associent simplementà <strong>de</strong> la détente, à du divertissement, dudéveloppement culturel ou <strong>de</strong> la récupérationd’espaces publics (à la mo<strong>de</strong>). D’autres, à l’opposé,lui donnent comme but ultime le développement<strong>de</strong> la conscience citoyenne <strong>et</strong> sociale, favorisant laparticipation <strong>de</strong>s communautés aux prises <strong>de</strong>décisions qui les concernent <strong>et</strong> l’élévation <strong>de</strong> leurscapacités d’expression <strong>de</strong>s conflits <strong>et</strong> <strong>de</strong>scontradictions auxquelles elles sont confrontées.Tout en étant bien conscient que n’importe quelleclassification est toujours, dans une certaine mesure,rigi<strong>de</strong> <strong>et</strong> statique <strong>et</strong> par le fait même réductionnistealors que la réalité, au contraire, est toujours labile <strong>et</strong>dynamique, on peut tenter néanmoins <strong>de</strong> classifierl’animation socio<strong>culturelle</strong> par le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong>participation <strong>et</strong> d’implication <strong>de</strong>s personnes <strong>et</strong>/ou parle niveau <strong>de</strong> représentativité.1. L’animation socio<strong>culturelle</strong> proprementexterne serait celle dans laquelle la communauté <strong>et</strong>les personnes visées par elle n’ont aucun pouvoir <strong>de</strong>choix du produit qu’on leur offre. On pourraitl’appeler animation socio<strong>culturelle</strong> <strong>de</strong> marché,puisqu’elle offre un produit qui remplit tous lescritères formels pour être approuvé par la majorité,mais auquel il manque le contenu <strong>et</strong> la substance quelui assurerait une valeur ajoutée. C’est le modèle du« gestionnaire socioculturel » qui fait l’activité encherchant à donner « du pain <strong>et</strong> du cirque ». Ce qu’ilest important <strong>de</strong> remarquer est que ce point <strong>de</strong> vue sebase sur l’a priori que les personnes ne savent pasvraiment ce qu’elles veulent, désirent ou ont besoin.2. L’animation socio<strong>culturelle</strong>, malgré qu’elle puisseprovenir d’unE agentE qui intervient <strong>de</strong> l’extérieurdans la communauté, se donne comme objectif affichéla participation <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te communauté. Mais c<strong>et</strong>te<strong>recherche</strong> <strong>de</strong> participation reste <strong>de</strong> pure forme,constituant davantage une stratégie <strong>de</strong> mark<strong>et</strong>ingqu’une action organisée, consciente <strong>et</strong> argumentée ;elle aura une forme mais dans le fond peu <strong>de</strong>substance. On pourrait l’appeler animationsocio<strong>culturelle</strong> populiste ou animationsocio<strong>culturelle</strong> pseudo-participative.3. L’animation socio<strong>culturelle</strong>, bien que provenantelle aussi d’un agent externe qui intervient dans lacommunauté, cherche effectivement la participation34 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Rapport sur l’état <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animation socio<strong>culturelle</strong> au Chili,par Antonio Elizal<strong>de</strong> Hevia<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te communauté <strong>et</strong> l’implication <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong>spersonnes qui la constituent à travers <strong>de</strong>s pratiquesconcrètes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s méthodologies claires <strong>et</strong>systématiques. Ce type d’animation socio<strong>culturelle</strong>pourrait être appelé animation socio<strong>culturelle</strong>participative ou animation socio<strong>culturelle</strong>professionnelle.4. En fin ou peut-être au début – cela dépend dupoint <strong>de</strong> vue – <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te classification on peut situerl’animation socio<strong>culturelle</strong> idéale, qui correspond àune expérience dans laquelle le substantiel <strong>et</strong> lesignificatif ne dépend pas <strong>de</strong> l’existence ou non d’unagent externe qui inciterait ou mobiliserait lesactions, les activités ou les expériences. Dans ce cas,« le significatif » est donné par la présence <strong>et</strong>l’implication <strong>de</strong> la communauté elle-même qui cherche<strong>de</strong> façon proactive, participative <strong>et</strong> représentative <strong>de</strong>scanaux d’expression <strong>de</strong> ses propres intérêts, <strong>de</strong> sesmotivations <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses nécessités. Pour c<strong>et</strong>te raison,c<strong>et</strong>te forme idéale pourrait être appelée animationsocio<strong>culturelle</strong> synergique.Champ <strong>de</strong> pratiques <strong>et</strong> champ sémantiqueAu Chili, le champ sémantique <strong>de</strong> l’animationsocio<strong>culturelle</strong> recoupe celui du « travail ou servicesocial » <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> « l’éducation populaire ». Dans lasociété chilienne, l’animateur socioculturel n’a pasencore réussi à se forger un milieu propre <strong>et</strong>spécifique d’action. Par ailleurs, comme on le verrapar la suite, ce champ sémantique s’est trouvé, tout aulong du <strong>de</strong>rnier siècle, entremêlé, hybridé à <strong>de</strong>spratiques sociales <strong>de</strong> longue tradition dans notre pays.Le service social, en tant que champ professionnelspécifique, apparaît au Chili vers le milieu du <strong>de</strong>rniersiècle, entrant dans les principales universités du pays,telles que l’Université <strong>de</strong> Chili <strong>et</strong> l’Universitécatholique <strong>et</strong> créant ses propres écoles <strong>de</strong> Servicesocial qui formaient <strong>de</strong>s assistantes sociales. Lespremiers diplômés travaillaient dans les systèmes <strong>de</strong>santé <strong>et</strong> <strong>de</strong> sécurité sociale qui s’étaient implantésdans la société chilienne à partir <strong>de</strong> la troisièmedécennie du siècle. L’élargissement <strong>de</strong>s bénéficessociaux tout au long du siècle ainsi que l’insertion dusecteur privé comme partenaire dans l’exécution <strong>de</strong>spolitiques sociales (caisses <strong>de</strong> compensation familiale,caisses <strong>de</strong> sécurité, entre autres), a généré un grandmarché <strong>de</strong> travail pour ce genre <strong>de</strong> professionnels.Les années soixante connaissent une accélération duprocessus <strong>de</strong> changements culturels <strong>et</strong> sociaux dansnotre pays. Un débat concernant le rôle <strong>et</strong> la nature<strong>de</strong> ces professionnels émerge conduisant à changer ladénomination du champ professionnel, parallèlementà <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> réforme universitaire. On a alorsappelé ce champ « travail social » <strong>et</strong> lesprofessionnelLEs forméEs pour y oeuvrer, <strong>de</strong>s« travailleurs sociaux ». Une bonne partie <strong>de</strong> cesprofessionnelLEs étaient sensibles aux processusd’autonomie auxquels aspiraient <strong>de</strong> nombreuxsecteurs <strong>de</strong> la population ouvrière <strong>et</strong> paysanne,s’ajoutant ainsi au développement d’un nouveauchamp <strong>de</strong>s pratiques qui connaissait aussi un essorrapi<strong>de</strong>, le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’éducation populaire.Le coup d’État <strong>et</strong> la dictature qui s’installe changentabruptement ce scénario. Toutes les universités dupays sont occupées par les militaires, <strong>et</strong> parconséquent plusieurs <strong>de</strong>s écoles <strong>de</strong> travail socialreviennent à <strong>de</strong>s formations prônant l’approchepropre du service social conventionnel. D’autresétablissements <strong>de</strong> formation ont été complètementfermés <strong>et</strong> même certaines disciplines (comme lasociologie) sont carrément exclues <strong>de</strong> l’enseignementuniversitaire, dont la loi avait réservé la formationexclusivement aux universités.Dans les <strong>de</strong>rnières années, s’est ouvert un nouveauchamp <strong>de</strong> travail à proximité <strong>de</strong> l’animationsocio<strong>culturelle</strong>, celui <strong>de</strong> la « gestion <strong>culturelle</strong> ». Bienqu’au début c<strong>et</strong>te formation était réservéeexclusivement aux étudiantEs graduéEs,progressivement elle a été déplacée vers uneformation professionnelle. Il faut aussi ajouter que ledéveloppement d’instruments <strong>de</strong> politique sociale <strong>et</strong><strong>culturelle</strong>, tels que les concours du Fond pour ledéveloppement <strong>de</strong> l’art <strong>et</strong> la culture, ont contribué àouvrir un champ <strong>de</strong> pratiques pour ce nouveau type <strong>de</strong>professionnelLE.[…]LES ORGANISMES DE L’ÉTAT ET PRIVÉS,LUCRATIFS OU NON LUCRATIFS, QUISTRUCTURENT LE CHAMPTous reconnaissent la nécessité d’investir <strong>de</strong>s fondspublics <strong>et</strong> privés pour appuyer les organismes qui font<strong>de</strong> l’animation socio<strong>culturelle</strong>, parce qu’ils génèrentun « capital social », qui renforce <strong>et</strong> élève les seuils <strong>de</strong>sécurité humaine. Il s’agit là d’un enjeu importantpour le Ministère <strong>de</strong> l’Intérieur (sécurité nationale).Du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s citoyens, le concept d’« espacepublic » signifie récupérer <strong>et</strong> animer les espaces <strong>de</strong>citoyenn<strong>et</strong>é ; occuper les espaces publics <strong>de</strong> la ville esten eff<strong>et</strong> la meilleure stratégie pour renforcer lasécurité citoyenne. La sécurité citoyenne limitée à larépression <strong>et</strong> à la lutte à la délinquance reste beaucouptrop restrictive. Le défi stimulant est <strong>de</strong> voir commentles gens donnent un contenu à c<strong>et</strong>te notion, commentils assurent une présence réelle dans les espacespublics <strong>et</strong> comment sont confirmées <strong>et</strong> ou élargies lespossibilités <strong>de</strong> « sécurité » considérée dans tous lessens.Investir dans l’animation socio<strong>culturelle</strong> <strong>et</strong> appuyerson développement ; c’est quelque chose que les<strong>de</strong>rniers gouvernements n’ont pas fait soit qu’ils enavaient pas les moyens, soit qu’elle n’en constituaitaucunement la priorité. Les gouvernements ne voientpas qu’investir dans l’animation socio<strong>culturelle</strong> oudans l’éducation sociale, c’est investir dans lacommunauté, dans le capital social, dans la sécuritécitoyenne, humaine, bref, investir dans la qualité <strong>de</strong>vie.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 35


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animationIl y a malgré tout plusieurs institutions quioeuvrent dans ce sens. L’année <strong>de</strong>rnière, malgré unsuccès mitigé, un proj<strong>et</strong> intéressant a été réalisé avecle soutien du Fond <strong>de</strong>s Amériques, regroupant tousles ONG qui disposaient <strong>de</strong> lieux, <strong>de</strong> centres oùétaient organisées <strong>de</strong>s activités <strong>culturelle</strong>s. […] Oncherchait à démontrer au gouvernement que dans <strong>de</strong>nombreux endroits, <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> pauvr<strong>et</strong>é <strong>et</strong>d’exclusion, ces centres menaient <strong>de</strong>s activités trèsimportantes, qu’on pouvait même mesurerfinancièrement. Qu’il s’y faisait <strong>de</strong>s projections <strong>de</strong>films, <strong>de</strong>s expositions <strong>de</strong> toutes sortes, autantd’activités que le gouvernement ou les autoritéslocales, les municipalités ne soutenaient pas. Dans cesinstances, le grand suj<strong>et</strong> est toujours « la politique »<strong>et</strong> pourtant que ce soit au Fond <strong>de</strong> solidarité <strong>et</strong>d’investissement social ou au ministère <strong>de</strong> l’Intérieurdans ses politiques <strong>de</strong> sécurité citoyenne ou encore auministère <strong>de</strong> l’Habitation directement concerné par lesespaces publics ou d’autres. Ces instances ne sontnullement intéressées à assumer une quelconqueresponsabilité concernant les problématiquessocio<strong>culturelle</strong>s.La <strong>de</strong>uxième question est celle <strong>de</strong> la capacitation.Bien que dans le passé, les ONG ont beaucoup faitpour la formation, aujourd’hui, elles n’ont ni lesmoyens ni la possibilité d’offrir <strong>de</strong>s opportunités <strong>et</strong><strong>de</strong>s programmes systématiques, comme cela se faisaitauparavant […] du temps <strong>de</strong> la lutte pour lerétablissement <strong>de</strong> la démocratie. […] C’est pourtantun enjeu très important que la communauté puisseelle-même s’approprier l’animation socio<strong>culturelle</strong>comme cela s’est produit par le passé avec l’éducationpopulaire. Il ne s’agit pas seulement <strong>de</strong> compter avec<strong>de</strong>s animateurs socioculturels professionnels. Lacommunauté peut <strong>et</strong> doit générer ses animateurssocioculturels <strong>et</strong> pouvoir ainsi compter avec unrecours technique <strong>et</strong> professionnel créé, formé dans lacommunauté <strong>et</strong> pour c<strong>et</strong>te même communauté. De nosjours, les universités peuvent jouer un rôle trèsimportant à c<strong>et</strong> égard offrant <strong>de</strong>s cours, <strong>de</strong>sséminaires, favorisant le développement <strong>de</strong> cesprocessus <strong>de</strong> « capacitation ». Les universités ou lesautres institutions spécialisées <strong>de</strong> formationpourraient, entre autres, développer <strong>de</strong>s modulesspécifiques <strong>et</strong> gradués, qui assureraient le suivi <strong>de</strong>certaines spécifications <strong>de</strong> parcours ordonnées <strong>et</strong>systématisées.Une troisième dimension, étroitement liée à laprécé<strong>de</strong>nte, est l’importance <strong>de</strong> la professionnalisation<strong>de</strong> ce champ, parce que cela impliquerait avoir <strong>de</strong>sprofessionnelLEs dûment reconnuEs capables <strong>de</strong>réaliser <strong>et</strong> <strong>de</strong> développer les défis en cours <strong>et</strong> lesnouveaux qui pourraient émerger. Connaître <strong>et</strong> avoir<strong>de</strong>s expériences, avoir <strong>de</strong>s habilités pour développer<strong>de</strong>s programmes <strong>de</strong> tous genres, publics ou à partir<strong>de</strong>s ONG, avec <strong>de</strong>s critères «participatifs», enfin bref,<strong>de</strong>s critères d’animation socio<strong>culturelle</strong>. Cela c’estquelque chose qui n’existe pas aujourd’hui. […]Peut-être n’est-il pas nécessaire <strong>de</strong> créer unprofessionnelLE qu’on nommerait « éducateursocial » ou «animateurTRICE socioculturelLE», bienqu’on pourrait penser ouvrir c<strong>et</strong>te formation à <strong>de</strong>sprofessionnels comme les travailleurs sociaux, lespsychologues ou les éducateurTRICEs. CesprofessionnelLEs pourraient aisément s’y former,étant donné que leur formation <strong>de</strong> base les prédisposeà ce genre <strong>de</strong> formation, mais l’essentiel étant qu’ils,elles puissent se sensibiliser à une approcheparticipative. Auparavant dans la société, c<strong>et</strong>teapproche participative était davantage généralisée. Iln’était pas difficile dans ce contexte <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>sapproches professionnelles avec <strong>de</strong>s composantes <strong>de</strong>participation. Aujourd’hui c<strong>et</strong>te composante« participative » est plus marginale ; on peut mêmeparler <strong>de</strong> processus <strong>de</strong> régression à c<strong>et</strong> égard. Parexemple, les fonctionnaires du gouvernement sonttotalement étrangers à c<strong>et</strong>te approche. Il y a là toutun nouveau champ à explorer. Les fonctionnaires dugouvernement ont une certaine facilité pourdévelopper <strong>de</strong>s programmes avec <strong>de</strong>s approches qui seveulent « participatives ». Par contre, ils ne saventrien <strong>de</strong> la <strong>recherche</strong> dite participative, <strong>de</strong>sméthodologies <strong>et</strong> <strong>de</strong>s techniques participativesd’implication ; ils ne savent pas non plus s’ouvrir à <strong>de</strong>sapproches <strong>de</strong> planification participative ni travaillerdirectement avec <strong>de</strong>s communautés. Il y a alors unimportant déficit car les professionnelLEs <strong>de</strong>l’intervention ont <strong>de</strong>s manques remarquables à c<strong>et</strong>égard. Par exemple, les agronomes du vieux tempsétaient bien différents <strong>de</strong> ceux d’aujourd’hui. Car sil’on fait un profil <strong>de</strong> l’éducateur populaire <strong>de</strong>s années80, on constate qu’une bonne partie <strong>de</strong> son contingentétait formée <strong>de</strong> sociologues ou <strong>de</strong>s gens qui venaient<strong>de</strong>s sciences sociales <strong>et</strong> que l’autre contingent étaitformé d’agronomes parce que la tradition agronome<strong>de</strong>s années 60, a été celle <strong>de</strong> la reforme agraire. Àc<strong>et</strong>te époque les professionnelLEs ont été forméEs,avec une emphase importante, à ce qu’on appelait« l’extensionisme ». Ils étaient <strong>de</strong>s professionnelLEsqui travaillaient directement avec les paysanNEs. Ilsont été partie prenante <strong>de</strong> ce mouvement dit <strong>de</strong>« transfert technologique » <strong>et</strong> <strong>de</strong>s nouvellestechnologies. Il a donc été clair, dès le départ, quepour travailler avec les paysanNEs, il fallait créer <strong>de</strong>sméthodologies adéquates pour aboutir à <strong>de</strong>s résultatseffectifs, efficients <strong>et</strong> efficaces, <strong>et</strong> avec <strong>de</strong>s objectifsclairs <strong>et</strong> spécifiques. Sans prétendre mystifier le passé<strong>et</strong> toutes les erreurs commises dans ces années, il fautadm<strong>et</strong>tre qu’il existait « un esprit » qui sous-tendaitles diverses formes d’intervention sociale biendifférent <strong>de</strong> celui d’aujourd’hui, où le néolibéralismeproductiviste a rongé <strong>et</strong> transformé pratiquementtoutes les pratiques sociales.Aujourd’hui les composantes liées au mon<strong>de</strong> dumarché du travail doivent être « potentialisées ».Comme l’idéologie est dorénavant celle-là, lesprofessionnelLEs qui sont reconnus sont ceux quirépon<strong>de</strong>nt à ce profil : ce sont en fait <strong>de</strong>s technocrates36 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Rapport sur l’état <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animation socio<strong>culturelle</strong> au Chili,par Antonio Elizal<strong>de</strong> Heviaavec pour seule vision l’immédiat<strong>et</strong>é <strong>et</strong> le court terme.C’est la raison pour laquelle la possibilité que cestechnocrates soient associés à <strong>de</strong>s professionnelLEsformés avec <strong>de</strong>s approches plus participatives, avecune vision pro-active <strong>et</strong> avec une capacité <strong>de</strong>questionnement <strong>et</strong> critique, est plutôt réduite, <strong>et</strong> s’ilen était, il s’agirait d’exception à la règle. Aujourd’huidans plusieurs organismes publics, sont « à la mo<strong>de</strong> »les ingénieurEs civilEs, <strong>de</strong>s gens qui veulent assurerrigueur, efficience, capacité <strong>de</strong> pouvoir générer <strong>de</strong>ssystèmes <strong>de</strong> suivi, qui puissent, quand c’est possible,les « mathématiser ». Mais ce sont <strong>de</strong>s gens qui nes’intéressent aucunement à la dimension « éducative »<strong>de</strong> l’intervention, qui ne cherchent aucunement à créer<strong>de</strong>s processus d’empowerment avec la communauté ou<strong>de</strong> générer <strong>de</strong>s procédures plus qualitatives <strong>de</strong>planification. Aujourd’hui il ne semble pas y avoir <strong>de</strong>place pour cela.Il serait nécessaire <strong>de</strong> faire une analyse <strong>de</strong>sprogrammes publics pour voir comment la dimensionparticipative est complètement occultée <strong>et</strong> démontrerqu’il ne s’agit pas là d’une approche efficace. Parcequ’actuellement, le gouvernement considère, d’unecertaine manière, que la participation est un obstacle àl’efficacité. C’est la raison pour laquelle on préfère <strong>de</strong>sapproches plus instrumentales <strong>et</strong> plus hiérarchisées,centrées dans « la logique <strong>de</strong> l’usager, du client ou dupublic ».Il existe un autre point qu’on ne peut éviter <strong>de</strong>considérer, c’est la relation qui s’établit entre lepouvoir <strong>et</strong> le savoir. Celui qui sait a le pouvoir, lepouvoir <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s décisions, le pouvoir <strong>de</strong> choisirqui dans plusieurs cas nous touche directement ouindirectement. Si on laisse exclusivement lesspécialistes dans les lieux du savoir, ils seront ceux,celles qui définiront les visions <strong>et</strong> les points <strong>de</strong> vue« adéquats », laissant la gran<strong>de</strong> majorité sanspossibilité <strong>de</strong> participer aux décisions politiques quiles touchent. Mais c<strong>et</strong>te situation est encore plusdélicate si l’on considère, d’après une visionmacrosociale, que se limitent peu à peu les possibilités<strong>de</strong> penser <strong>et</strong> <strong>de</strong> questionner la réalité sociale,réduisant d’autant la possibilité <strong>de</strong> se questionner surla réalité sociale qui nous entoure. De ce point <strong>de</strong> vue,le subjectif <strong>et</strong> le singulier n’a aucune importance,aucune valeur, parce que le savoir du suj<strong>et</strong> est ou biencarrément rej<strong>et</strong>é ou bien discrédité <strong>et</strong> d’une certainemanière, nié par ces spécialistes « ceux, celles quisavent », soit l’État, les ONG, les moyens <strong>de</strong>communication <strong>de</strong> masse ou encore lesprofessionnelLEs spécialistes.Probablement que le premier paradoxe auquel onsera confronté au moment d’amorcer <strong>de</strong> nouvellespratiques dans le domaine <strong>de</strong> la pédagogiesocio<strong>culturelle</strong>, pratiques qui se questionnent à toutmoment sur le pourquoi <strong>et</strong> le but <strong>de</strong>s actions, serad’éviter que ces questionnements ne restent pasmu<strong>et</strong>s, dans un contexte où ils cherchent à répondre,<strong>de</strong> façon aveugle avec une vision à court terme à <strong>de</strong>sproblèmes immédiats.LES LIEUX ET ESPACES D’INTERVENTIONIl y a <strong>de</strong>s lieux <strong>et</strong> <strong>de</strong>s espaces possibles pourl’animation socio<strong>culturelle</strong>. Par exemple, un directeurou un animateur socioculturel, une directrice ou uneanimatrice <strong>culturelle</strong> est quelqu’un qui a du pouvoir, ilfaut qu’il, elle ait du « pouvoir <strong>de</strong> faire », pour pouvoirfaire quelque chose. […] Par exemple, un animateur,une animatrice socioculturelLE <strong>de</strong> Santiago Centre, asous sa responsabilité trois théâtres, <strong>de</strong>ux sallesd’exposition, un terrain pour faire la planche àroul<strong>et</strong>tes, enfin bref, il, elle a <strong>de</strong>s outils. Avec cesoutils, les gens, impliqués dans différents groupes,peuvent s’organiser dans <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>s d’animationsocio<strong>culturelle</strong> plutôt que pour autre chose […].Chercher ce que veulent les gens, ce qui leur convient<strong>et</strong> non seulement chercher ce qu’ils atten<strong>de</strong>nt avecpaternalisme, mais aussi ce qu’on peut leur proposercomme alternative aux reality-shows, par exemple, <strong>et</strong> àtoutes ces clowneries qui occupent <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong>place dans la tête <strong>de</strong> gens <strong>et</strong> même dans la sphèrepolitique.De plus en plus, se généralise une nouvelle logique<strong>de</strong> ségrégation, logique qui prône le « tu » ou le « je »plutôt que le « nous ». Le « nous » semble perdu. Sion analyse <strong>de</strong> façon critique la transformation qu’il aeu lieu <strong>de</strong>puis les années 80 à nos jours dans l’espace<strong>de</strong> l’éducation populaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’animation populaire,on note qu’il y avait là une valorisation <strong>de</strong>s personnes,<strong>de</strong> la subjectivité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la singularité. Mais dans latransformation <strong>de</strong> la personne individuelle en « <strong>de</strong>sgens », on la transforme en « client », en« bénéficiaire » <strong>et</strong> elle n’est plus alors une personne.Alors, la personne finalement n’existe plus, saufcomme un chiffre, comme une fiche […]. C’est plutôtle, la spécialiste qui arrive <strong>et</strong> qui agit, tout ens’arrogeant <strong>de</strong>s attributions qui ne lui correspon<strong>de</strong>ntpas. Le, la spécialiste se dit : « C’est moi qui sait cequ’eux ont besoin, par conséquent, eux, ils ne lesavent pas ». C’est la raison pour laquelle dansl’animation socio<strong>culturelle</strong>, en plus <strong>de</strong> tous les outilstechniques à sa disposition, l’animateur, l’animatrice<strong>de</strong>vrait avoir une formation éthique à <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong>respect <strong>de</strong> l’autre dans sa condition d’être humainintégral. C’est là la partie fondamentale, la dimensionhumaine ou humaniste <strong>de</strong> l’animation socio<strong>culturelle</strong>.[…]Aussi faut-il envisager un changement d’approches<strong>et</strong> <strong>de</strong> priorités. Il est parfaitement envisageable <strong>de</strong>prendre un groupe d’enfants – qualifiés naïvement <strong>de</strong>risque social – <strong>et</strong> partir avec eux faire une randonnéeà pied ou à cheval dans <strong>de</strong>s endroits où ils ne sontjamais allés. Les enfants vivent partout <strong>de</strong> toute façon,mais il arrive que l’exclusion fonctionne aussi partout.Alors pour animer, il faut avoir un certain <strong>de</strong>gré <strong>de</strong>pouvoir, avoir les moyens <strong>de</strong> pouvoir faire <strong>de</strong>s choses,la seule bonne volonté ne suffisant pas. […]. Parexemple, combien coûte un policier, un militaire enmoto ou à cheval, avec tout son équipement pareballes? Combien d’événements socioculturels pourenfants pourrait-on faire avec c<strong>et</strong>te somme d’argent, siCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 37


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animationl’on compare l’impact <strong>de</strong> c<strong>et</strong> argent avec celui qu’ilpourrait avoir si l’on formait <strong>de</strong> bonNEs animateurs,animatrices issus <strong>de</strong> la population ?Ces questions sont intimement liées aux politiquesactuelles <strong>de</strong> participation citoyenne. Dans quel but <strong>et</strong>pourquoi cherche-t-on c<strong>et</strong>te participation ? Ledéveloppement <strong>de</strong> capacités <strong>de</strong> lea<strong>de</strong>rship ?Pourquoi ? Si ce qui est <strong>de</strong>rrière ce questionnementest <strong>de</strong> justifier les politiques publiques <strong>de</strong> sécuritécitoyenne telle que l’État le comprend, le résultat seraqu’on aura plus <strong>de</strong> prisons <strong>et</strong> plus <strong>de</strong> militaires. Plus<strong>de</strong> délinquants, <strong>de</strong>s prisonniers <strong>et</strong> plus <strong>de</strong> misèreaussi. La misère versus la possibilité <strong>de</strong> croire que lesgens sont <strong>de</strong>s personnes <strong>et</strong> qu’elles ont <strong>de</strong>s capacités,<strong>de</strong>s potentialités <strong>et</strong> <strong>de</strong>s ressources à développer, tel estl’enjeu.LES RÉSEAUX ET SYSTÈMES D’INFLUENCESQUI S’EXERCENT DANS LE CHAMPIl apparaît nécessaire construire une carte <strong>de</strong>l’animation socio<strong>culturelle</strong>. Il existe d’un côté, un<strong>et</strong>radition historique <strong>de</strong> l’animation socio<strong>culturelle</strong>,plus engagée dans le milieu socioculturel lié au mon<strong>de</strong><strong>de</strong> l’art, à la culture artistique <strong>et</strong> aux idéologies. Cecourant a changé beaucoup les choses dans le sensd’une animation socio<strong>culturelle</strong> liée aux mouvementsd’hip-hop, <strong>de</strong> graffiteurs, aux mouvements <strong>de</strong>s gangs.Mais tout ceci n’est pas encore vraiment configuré. Iln’existe aucune formation d’animateur socioculturelprofessionnel. Mais il vaut la peine d’y réfléchir parcequ’on peut envisager l’animation socio<strong>culturelle</strong>comme une profession essayant d’entrer encompétition avec les métiers <strong>de</strong> professeur, <strong>de</strong>psychologue, <strong>de</strong> sociologue, ou bien on peut penserque l’animation socio<strong>culturelle</strong> est située à un pointnodal entre diverses disciplines. En d’autres termes,un psychologue, comme un sociologue, un éducateurou un anthropologue, peut faire <strong>de</strong> l’animationsocio<strong>culturelle</strong> sans quitter leur profession.Aujourd’hui, nous sommes en présence aussi <strong>de</strong> latransformation socioprofessionnelle <strong>de</strong> ce champ,phénomène encore peu étudié.C’est là le sens du diplôme qui est en train d’êtremis sur pied à l’université <strong>de</strong> la Mer. Il est ancré dansune perception <strong>de</strong> la réalité selon laquelle aujourd’huiles professions sont en train <strong>de</strong> se transformer. Lesprofessions se diluent. En eff<strong>et</strong>, qu’est-ce qu’êtreprofessionnel <strong>de</strong> nos jours ? Si on j<strong>et</strong>te un coup d’œilsur n’importe quelle profession aujourd’hui, elle prenddavantage la forme d’un métier plutôt que d’uneprofession. Ce sont les métiers qui sontfondamentaux. Et l’animation socio<strong>culturelle</strong> est unmétier. […] De nos jours, il y a plusieurs milieuxsociaux <strong>et</strong> culturels qui sont <strong>de</strong>s expressions nouvellesd’une société qui s’est transformée dans un contexteglobal néolibéral. Ces cartes <strong>culturelle</strong>s nouvelles, cesgui<strong>de</strong>s ou circuits nouveaux n’ont pas été explorés enprofon<strong>de</strong>ur ; ils sont pourtant très puissants <strong>et</strong>nécessaires pour la nouvelle animation socio<strong>culturelle</strong>.Car la perspective <strong>de</strong> l’animation socio<strong>culturelle</strong>, crééejusqu’à maintenant, n’est-elle pas celle <strong>de</strong> sepréoccuper <strong>de</strong> la culture, <strong>de</strong> la vie, <strong>de</strong> l’actionhumaine, <strong>de</strong> se connecter avec la qualité <strong>de</strong> la vie, nonpas à partir d’une perspective économiste mais d’unevision <strong>de</strong> l’épanouissement <strong>de</strong>s personnes […]. Cen’est qu’ainsi que peut s’opérer une véritable liaisonentre art <strong>et</strong> science, entre esthétique <strong>et</strong> éthique. […]Prenons par exemple ce qui est en train d’arriveraujourd’hui dans les formes d’expressions <strong>de</strong>s jeunes.À cause <strong>de</strong> leurs conditions matérielles <strong>de</strong> vie, lesjeunes sont plus sensibles à la créativité. Qu’ils soientpauvres ou non, ils reviennent quand même à lamaison pour dormir mais personne ne s’occupe d’euxdurant le jour, alors ils créent <strong>de</strong>s choses. Plusieursexpériences sociales, éducatives innovatrices senourrissent ainsi. Il en est ainsi par exemple <strong>de</strong> tout lemouvement autour du cirque (jongleries, échasses,<strong>et</strong>c.). Ce mouvement est associé à une compréhension<strong>de</strong> la vie totalement « folle » pour ceux <strong>et</strong> celles quioeuvrent dans un milieu « rationnel » comme àl’université. Mais il y a plein <strong>de</strong> jeunes, à Santiago <strong>et</strong>dans d’autres villes, qui font <strong>de</strong> la jonglerie <strong>et</strong> duthéâtre <strong>et</strong> d’autres pratiques semblables. Ils affirmentqu’ils croient au temps d’une autre façon, avec <strong>de</strong>srythmes différents. Il y a en eff<strong>et</strong> un courant <strong>de</strong> penséequi montre que nous les adultes, nous avons vécu untemps qui raccourcit la vie, qui nous emprisonne alorsqu’il existerait d’autres rythmes biologiques <strong>et</strong>naturels. Et les jeunes vivent dans ce mon<strong>de</strong> avec <strong>de</strong>ssavoirs sociaux propres. Alors, la question à se poserest celle-ci : comment se lier à ces savoirs ? Que peutonleur apporter ? Que peut-on apprendre d’eux ?La première attitu<strong>de</strong> est celle <strong>de</strong> la contemplationplatonique <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te « merveille <strong>de</strong> savoir » où unadolescent <strong>de</strong> 16 ou 17 ans sait faire <strong>de</strong>s chosesqu’aucune école, aucun professeur ne lui ont appris.S’il le fait à l’école par contre, il sera puni parce qu’ilaltère l’ordre établi. S’il s’installe dans les locaux <strong>de</strong>sinstallations sportives pour y faire du trapèze, il sefera « lyncher », sera expulsé <strong>et</strong> renvoyé à la maison.En plus, il <strong>de</strong>vra consulter le psychologue, car il seraconsidéré comme un « anormal ». Pourtant, il existeun énorme mouvement du cirque lié à la jonglerie quis’autogère. On voit ces jeunes dans toutes les ruesessayant <strong>de</strong> gagner quelques sous. Mais il y a aussiceux qui aiment faire cela comme un art, comme uneexpression. Alors, l’animation socio<strong>culturelle</strong>pourrait-elle ou pas jouer un rôle là-<strong>de</strong>dans ?Évi<strong>de</strong>mment, il s’agit là d’animation socio<strong>culturelle</strong>.La question est alors <strong>de</strong> savoir comment ce genred’initiative peut se répandre. Il est possible qu’unEformateurTRICE/intervenantE doive savoirreconnaître les jeunes intéressés par ce genre <strong>de</strong>mouvement, qui peut être interpellé à la municipalité,qui est le lea<strong>de</strong>r d’une organisation <strong>de</strong> jeunes ? Il, elledoit ouvrir l’œil en faisant prendre conscience quecela existe, que cela se passe autour <strong>de</strong> nous. S’il, ellese r<strong>et</strong>rouve en face <strong>de</strong>s jeunes qui sont en train <strong>de</strong>« jouer », ce sont eux qui peuvent lui enseigner38 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


« <strong>Animation</strong> sociale » tendances <strong>et</strong> tensions en Équateur,par Alfredo Astorgaquelque chose. La question se pose donc : qui est celui,celle qui sait ? Où est le savoir ?On peut voir comment ces jeunes se rejoignent lessamedis dans différents lieux <strong>de</strong> Santiago (parcs,quais). Ils installent <strong>de</strong>s trapèzes dans quelquesarbres, ils montent <strong>de</strong>s structures pendant que tout lemon<strong>de</strong> est en train <strong>de</strong> consommer <strong>et</strong> ces jeunes,bientôt suivis <strong>de</strong> d’autres qui se sont ajoutés passentainsi tout l’après-midi <strong>de</strong> même. D’une manièrecommunautaire, ils s’enseignent les uns aux autres<strong>de</strong>s pas, <strong>de</strong>s mouvements. Durant ce temps, quelquespersonnes les observent alors que d’autres sontdérangés par ce qu’ils font <strong>et</strong> appellent la police,exigeant le rétablissement <strong>de</strong> l’ordre. Pourtant, cesont là <strong>de</strong> véritables écoles, <strong>de</strong>s écoles qu’il estnécessaire <strong>de</strong> généraliser <strong>et</strong> dans lesquelles le savoir<strong>et</strong> la connaissance sont transmises <strong>de</strong> manièresdifférentes, démocratiquement, <strong>de</strong>venant accessibles àtous ceux <strong>et</strong> celles qui s’y intéressent.La plupart <strong>de</strong> ceux <strong>et</strong> celles qui font du cirqueaujourd’hui, le font parce que ce <strong>de</strong>rnier fait partie dudéveloppement personnel : c’est une expression <strong>de</strong> vie,un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie. Comme pour l’hip-hop, où le jeuness’organisent, créent un milieu idéologique, réussissentà constituer <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> coordinations qui ensuitese défont. Les jeunes se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt alors : qu’est-cequi nous est arrivé ? Qu’est-ce qui se passe ?Quelques-unEs sont partiEs parce qu’ils s’étaientimpliqués avec le FOSIS (Fond <strong>de</strong> Solidarité <strong>et</strong>d’investissement social, un organismegouvernemental) alors que d’autres ne voulaient riensavoir <strong>de</strong> c<strong>et</strong> organisme. C’est là justement où lacréation <strong>de</strong> proj<strong>et</strong>s subventionnés ne semble pas êtrele bon chemin pour comprendre <strong>et</strong> pour inciter àl’animation socio<strong>culturelle</strong>. Dans certains cas, c<strong>et</strong>testratégie peut s’avérer contre-productive. C’est unehistoire bien connue que d’affirmer que « lorsqu’onm<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’argent dans ces expériences on risque <strong>de</strong> lestuer ». Au moment même où les jeunes sont sur lepoint <strong>de</strong> développer leur capacité d’agir ensemble, onm<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’argent <strong>et</strong> ces expériences s’épuisent <strong>et</strong>meurent.Une fois que nous étions impliquéEs dans ungroupe, nous avons réalisé une expérience semblable.Nous travaillions dans une église avec <strong>de</strong>s jeunes duquartier où nous habitions, en fait nous « cohabitionsensemble ». Il y avait là un jeune architecte qui avaitcréé une entreprise à caractère formatif grâce àlaquelle <strong>de</strong>s jeunes ont pu avoir un travail.L’éducation est vitale pour ces jeunes qui y ont apprisun métier <strong>et</strong> les samedis, ils, elles discutaient entreeux, elles pour déterminer comment répartir l’argentgagné <strong>et</strong> à quoi il servirait. Alors, ce n’était pasquestion <strong>de</strong> recevoir l’argent seulement, mais <strong>de</strong>travailler ensemble <strong>de</strong> façon communautaire. […] Ilsont ainsi vendu à l’église un service relié à un jardind’enfants tout en offrant <strong>de</strong>s services à d’autres gensaussi. Les jeunes ont appris sur le tas, ils ont fait <strong>de</strong>serreurs <strong>et</strong> l’architecte a payé <strong>de</strong> sa propre pochecertaines <strong>de</strong> ces erreurs. En revanche, il a réussi àfaire en sorte que les jeunes apprennent différentsmétiers (exemple : menuisier). Ces métiers ont étécréés par <strong>de</strong>s jeunes, qui, dans le milieu <strong>de</strong> l’éducationformelle, ne correspondaient à aucun profil reconnu.Ces jeunes traînaient dans la rue, avec le risque <strong>de</strong>tomber dans la délinquance. Cela est même arrivépendant c<strong>et</strong>te formation comme <strong>de</strong> s’y présentercomplètement soûl.La possibilité donc d’accé<strong>de</strong>r à un processus <strong>de</strong>formation dans l’action, a permis aux jeunes <strong>de</strong> sesentir créatifs, […], qu’ils avaient fait quelque chose<strong>de</strong> concr<strong>et</strong> <strong>et</strong> cela représentait pour eux une valeurinestimable. Dans c<strong>et</strong> exemple, il n’y a eu aucun proj<strong>et</strong>formel mis en marche mais la création <strong>de</strong> conditionspour que c<strong>et</strong>te démarche puisse avoir lieu.L’architecte, assumant la responsabilité du contrat <strong>et</strong>étant connu <strong>de</strong> l’Église, a pu mener à terme son idée.Heureusement que <strong>de</strong> telles personnes existent.Prenons c<strong>et</strong>te expérience comme modèle dans lechamp que nous sommes en train d’explorer. Je necrois pas qu’il s’agit là d’avoir « gagné » un proj<strong>et</strong> ; unproj<strong>et</strong> est ce que l’on « proj<strong>et</strong>te » <strong>de</strong> faire, l’autre estune entente pour « gagner <strong>de</strong> l’argent » seulementsuivant la logique <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> FOSIS. Alors, ondoit se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r : quel est « mon » proj<strong>et</strong> ? plutôtque quel est le proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> FOSIS ? Il y a là non pas une« disciplinarisation » mais bel <strong>et</strong> bien un contrôle.Wacquant, disciple <strong>de</strong> Bourdieu, affirme que « noussommes dans une société <strong>de</strong> contrôle, non pas dansune société disciplinée […] ». Ainsi, les politiquessociales produisent un certain contrôle <strong>et</strong> nonla disciplinarisation. Vous pouvez continuer à êtrerebelle mais vous êtes sous contrôle. Comment ? Unepersonne qui a gagné quelques équipements <strong>et</strong> unordinateur ; est sous contrôle, car il lui faut rendre <strong>de</strong>scomptes, il lui faut faire ses activités sous le regard duFOSIS. Intégrés <strong>et</strong> contrôlés, mais non intégrés enparticipant. Peu les importe que les jeunes utilisent,volent ou qu’ils fassent n’importe quoi avec leséquipements. Peu importe ce qui arrive après. […]Un autre problème que soulève c<strong>et</strong>te logique <strong>de</strong>proj<strong>et</strong>s, c’est, qu’en général, l’impact <strong>et</strong> le soutient àces initiatives est très bas, étant donné qu’elle esttoujours le résultat d’une intervention extérieure,sans <strong>recherche</strong> <strong>de</strong> sens, avec peu <strong>de</strong> participationréelle <strong>et</strong> avec un pouvoir <strong>de</strong> décision pratiquementnul.« <strong>Animation</strong> sociale » tendances <strong>et</strong>tensions en Équateur,par Alfredo AstorgaLE CHAMP DE LA PRATIQUE ET LE CHAMPDE LA SÉMANTIQUELe champ <strong>de</strong> « l’animation sociale » n’est pas facile àdélimiter en Équateur. Les frontières entre lesdifférents courants qui, il y a encore quelques annéesCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 39


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animationpouvaient faire sens, ten<strong>de</strong>nt aujourd’hui às’entremêler <strong>et</strong> à se confondre. Sans doute que lecontexte <strong>et</strong> les multiples transformations qui ontaffecté la société ont beaucoup à voir avec cechangement. Le faible niveau <strong>de</strong> réflexion sur l<strong>et</strong>hème <strong>de</strong> l’animation sociale <strong>et</strong> la multiplicité <strong>de</strong>spratiques <strong>et</strong> <strong>de</strong>s acteurs ont sans doute joué un rôle àc<strong>et</strong> égard.Dans ce texte, le terme « animation sociale » a unesignification toute particulière étant donné qu’iln’existe pas d’expression spécifique socialementreconnue dans notre pays. Nous l’assimilerons doncaux concepts d’« éducation populaire » <strong>et</strong> <strong>de</strong>« promotion socio<strong>culturelle</strong> ».Nous pourrions résumer les caractéristiquesessentielles <strong>de</strong> ces tendances en quatre vol<strong>et</strong>s.D’abord, il y a le vol<strong>et</strong> du changement profond dans l<strong>et</strong>issu social <strong>et</strong> les structures <strong>de</strong> pouvoir <strong>de</strong> la société,changements qui débor<strong>de</strong>nt la sphère politique <strong>et</strong>affectent les dimensions personnelles, relationnelles <strong>et</strong><strong>culturelle</strong>s. Deuxième vol<strong>et</strong> : la valorisation plusgran<strong>de</strong> <strong>de</strong>s acteurs sociaux – plus spécifiquement, lesplus exclus – <strong>de</strong> plus en plus reconnus commeprotagonistes <strong>de</strong> leurs propres changements <strong>et</strong> <strong>de</strong>schangements sociaux en général. On constate unereconnaissance plus gran<strong>de</strong> <strong>de</strong> la compétence <strong>de</strong> cesacteurs en regard <strong>de</strong>s transformations <strong>de</strong> leursorganisations, <strong>de</strong> leurs formes d’apprentissage <strong>et</strong> <strong>de</strong>leur culture.En troisième lieu, on r<strong>et</strong>ient le développement <strong>de</strong>spratiques alternatives <strong>et</strong> non formellesd’apprentissages fondées sur l’expérience <strong>et</strong> orientéesvers l’amélioration <strong>de</strong> la vie quotidienne personnelle<strong>et</strong> collective ainsi que les processus participatifs <strong>de</strong>construction <strong>de</strong> connaissances significatives quivalorisent la rencontre démocratique <strong>de</strong>s savoirs.Enfin, quatrième vol<strong>et</strong>, une prise en compte plusimportante <strong>de</strong>s réalités <strong>culturelle</strong>s particulières <strong>et</strong> <strong>de</strong>leurs potentialités pour l’intégration <strong>et</strong> la mobilisation<strong>de</strong>s acteurs.Ces quatre vol<strong>et</strong>s ne sont nullement exclusifs maisrestent les plus emblématiques car ils ont été <strong>et</strong> sonttoujours présents, avec <strong>de</strong>s nuances dans les courants<strong>de</strong> l’Éducation populaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Promotionsocio<strong>culturelle</strong>. Cela n’exclut pas pour autant <strong>de</strong>sversions <strong>de</strong> ces dénominations qui ne correspon<strong>de</strong>ntpas à la <strong>de</strong>scription ci-haut. En fait, cesdénominations, compte tenu <strong>de</strong>s usages« incontrôlés » dont ils sont l’obj<strong>et</strong>, ne sont passuffisantes pour comprendre les enjeuxfondamentaux : il faut donc se référer à <strong>de</strong>s nouveauxcritères <strong>et</strong> à <strong>de</strong> nouvelles pratiques pour tenter <strong>de</strong>sdéfinitions plus précises.En observant le passé, il faut constater qu’il y ad’autres versions <strong>et</strong> d’autres courants renvoyant àd’autres conceptions, à d’autres visions <strong>et</strong> à d’autrespratiques. Nous incluons dans ces courants, parexemple, ce qui se rapporte à ce que l’on appelle le« développement communautaire », le « servicesocial », le « travail social », « l’éducation durant l<strong>et</strong>emps libre » <strong>et</strong> à d’autres concepts semblables.Ces divers courants ne désignent que rarement lesacteurs en cause <strong>et</strong> les changements sociaux profondsqui affectent la société. Presque toujours, ils selimitent à une conception <strong>de</strong> l’animation <strong>de</strong> diversesclientèles <strong>et</strong> à la promotion d’alternatives éducativesautres que formelles (sans postuler pour autant <strong>de</strong>schangements structurels), fréquemment liées à <strong>de</strong>sthèmes comme l’alphabétisation, l’éducationcompensatoire, la formation au travail, l’obtention <strong>et</strong>l’amélioration <strong>de</strong>s services. Plusieurs d’entre ellescontribuent, en somme, à l’intégration <strong>de</strong>s acteursorganisés aux pratiques <strong>de</strong> consommation <strong>et</strong> <strong>de</strong>srapports <strong>de</strong> pouvoir existants.Le sens <strong>de</strong>s positions contestataires est sans douteau centre du débat. Et celui-ci n’est pas toujourssimple à définir. Dans <strong>de</strong>s décennies antérieures, lecaractère contestataire ou alternatif était plus n<strong>et</strong> <strong>et</strong>s’exprimait tantôt dans la radicalité <strong>de</strong> la critiquecomme dans la référence à <strong>de</strong>s utopies, à <strong>de</strong>s pointsd’aboutissement <strong>de</strong>s acteurs <strong>et</strong> <strong>de</strong>s stratégies.Actuellement, avec les mutations sociales, politiques<strong>et</strong> <strong>culturelle</strong>s, les postures contestataires ten<strong>de</strong>nt à sedéfinir au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s significations politiquestraditionnelles <strong>et</strong> elles abor<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s thèmes commel’égalité sous toutes ses formes, les mo<strong>de</strong>s, <strong>et</strong> lesconditions quotidiennes <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> la qualité <strong>de</strong>l’existence, la démocratisation du pouvoir <strong>et</strong> <strong>de</strong>sdécisions, la pratique <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é, le pleinexercice <strong>de</strong>s droits <strong>et</strong> <strong>de</strong>s leurs conditions d’obtention,la continuité <strong>et</strong> le sens du futur <strong>de</strong> toutes lespratiques.HISTOIRE DE CE CHAMP AU 19 E ET 20 ESIÈCLES ET LA SITUATION ACTUELLEEn Équateur ainsi que dans <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s parties <strong>de</strong>l’Amérique latine, il existe, en regard <strong>de</strong> l’Éducationpopulaire, un très vieil antécé<strong>de</strong>nt historique. Ilconcerne les modalités par lesquelles lescommunautés indigènes ont développé <strong>de</strong>s processusd’apprentissage <strong>et</strong> d’organisation orientés vers uneamélioration <strong>de</strong> la vie <strong>et</strong> un renforcement <strong>de</strong> laculture. C<strong>et</strong> héritage -<strong>et</strong> fondamentalement le senscommunautaire <strong>de</strong> la vie – a sans doute imprimé samarque à <strong>de</strong> nombreuses pratiques d’éducationpopulaire dans ce pays. Ses origines remontent en faità <strong>de</strong>s époques antérieures à la conquête européenne.Les expériences les plus anciennes se r<strong>et</strong>rouvaientdéjà dans la sierra équatorienne <strong>et</strong> surtout chez lepeuple Kichua.À la fin du XIX e siècle, la majorité <strong>de</strong>s expériencesindigènes mentionnées, ont été récupérées par lestendances radicales du libéralisme qui sont apparuesconvergeant avec les points <strong>de</strong> vues cléricauxdominants particulièrement sur l’éducation ainsi quesur d’autres questions comme la culture, les rapportssociaux, la représentation du pouvoir, les modèles <strong>de</strong>comportement général, <strong>et</strong>c.Ces premières options se développeront encore40 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


« <strong>Animation</strong> sociale » tendances <strong>et</strong> tensions en Équateur,par Alfredo Astorgafortement jusqu’au premier quart du XX e siècle, maiselles seront graduellement formalisées, mo<strong>de</strong>lées parles nouvelles conditions du pouvoir <strong>et</strong> <strong>de</strong> ladomination <strong>et</strong> perdront ainsi peu à peu leur caractèrecontestataire <strong>et</strong> utopique humaniste. Elles seront enplus restreintes par le champ <strong>de</strong> l’éducation scolaireformelle. Elles ne réussiront pas à développer <strong>de</strong>spropositions renouvelant l’organisation sociale dansles secteurs liés à la formation professionnelle, à la« capacitation », <strong>et</strong> à la dynamique <strong>de</strong>s structurespolitiques.Le syndicalisme « ouvriériste », comme influenceexterne, a joué un rôle dans les autres formesalternatives d’éducation-organisation. Des « écolesouvrières » verront le jour dans la déca<strong>de</strong> <strong>de</strong>s années40, même si ces expériences furent limitées en nombre<strong>et</strong> restèrent marginales.La formation <strong>de</strong> syndicats <strong>et</strong> <strong>de</strong> partis <strong>de</strong> gauche –nullement majoritaires – initia cependant <strong>de</strong>sexpériences particulières très différentes <strong>de</strong>l’éducation formelle. Des options pour le changement,pour la collectivisation <strong>de</strong>s apprentissages, pour <strong>de</strong>srelations entre la théorie <strong>et</strong> la pratique, pourl’importance <strong>de</strong> l’expérience dans l’apprentissagefurent sans aucun doute représentatives <strong>de</strong> c<strong>et</strong>t<strong>et</strong>endance. Avec le temps, la majeure partie <strong>de</strong> cesexpériences furent à leur tour formalisées,transformées même en <strong>de</strong>s pratiques conservatricesd’apprentissage. Le contenu <strong>et</strong> les discours« contestataires » eurent leur place dans certainsendroits prestigieux en autant qu,ils laissaient <strong>de</strong> côtéles dynamiques <strong>de</strong> participation authentiquementdémocratiques. Les thèmes culturels <strong>et</strong> les nouvellesluttes engagées par l’humanité (l’équité par exemple)ne furent pas abordés avec l’ampleur qu’ils méritaient.Les formes alternatives d’éducation <strong>et</strong> d’actionsociale firent leur apparition avec force dans lesannées ‘60, s’inspirant <strong>de</strong>s références théoriqueséducatives centrales <strong>de</strong> Paulo Freire, <strong>de</strong>s référencesd’action <strong>de</strong> plusieurs pratiques alternativesd’alphabétisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> mobilisation sociale <strong>et</strong> commeréférences politiques <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> participationsociale aux changement structurels menés à bien danstoute l’Amérique Latine, mais plus spécifiquementdans les pays <strong>de</strong> l’Amérique Centrale.Un fort courant, issu <strong>de</strong> ces prémisses, émerge àpartir <strong>de</strong>s années ‘70 <strong>et</strong> fusionne <strong>de</strong>s secteurs <strong>de</strong>smouvements sociaux, <strong>de</strong> l’Église progressiste, <strong>de</strong>sindigènes, <strong>de</strong>s intellectuels critiques <strong>de</strong>s pratiquestraditionnelles d’éducation <strong>et</strong> d’organisation (issus <strong>de</strong>partis politiques <strong>et</strong> mouvements <strong>de</strong> gauche). Lesdécennies <strong>de</strong>s années ‘70, ‘80, ‘90 sont celles <strong>de</strong>l’apogée <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te tendance. À partir <strong>de</strong>s années ‘80 sedéveloppent en eff<strong>et</strong> <strong>de</strong>s réseaux importants internesau niveau andin <strong>et</strong> latino-américain. L’un d’entre euxa été soutenu par le Conseil d’éducation <strong>de</strong>s adultespour l’Amérique latine (CEAAL). Plus <strong>de</strong> dix ONG,reliées à plus d’une cinquantaine d’organisationssociales, ont fonctionné <strong>de</strong> façon concertée pendant <strong>de</strong>nombreuses années avec comme centre d’organisationla ville <strong>de</strong> Quito 1 .Quoi qu'il en soit, on ne peut qualifier strictementces courants <strong>de</strong> mouvement consolidé. N’ayant aucuncaractère national, ceux-ci sont restés plutôt dispersés<strong>et</strong> locaux. [...] Leur caractéristique dominante estl’hétérogénéité malgré <strong>de</strong>s affinités <strong>de</strong> base certaines :option pour le changement, valorisation <strong>de</strong>s acteurssociaux, apprentissages à partir <strong>de</strong> <strong>et</strong> bon pour la vie,la culture <strong>et</strong> le changement social.Le caractère tout à fait exceptionnel, durant c<strong>et</strong>tepério<strong>de</strong>, du rôle joué par l’Église catholiqueprogressiste alimentée par une révolution <strong>de</strong> la penséereligieuse qualifiée <strong>de</strong> « théologie <strong>de</strong> la libération »mérite d’être souligné. D’importants secteurs <strong>de</strong>l’Église en eff<strong>et</strong>, spécifiquement ceux liés à <strong>de</strong>smilieux pauvres <strong>et</strong> ruraux ont développé <strong>de</strong> nouvellesformes d’organisation, d’éducation <strong>et</strong> <strong>de</strong> mobilisation.Dans toute l’Amérique latine ont émergé <strong>de</strong>sdirigeants associés à c<strong>et</strong>te tendance. Mgr LeonidasProaño en Équateur, est une figure symbolique <strong>de</strong> cesannées <strong>et</strong> <strong>de</strong> ces pratiques. Son engagement enpastorale sociale, centrée sur les personnes <strong>et</strong> avecune attention spéciale pour le mon<strong>de</strong> indigène, est<strong>de</strong>venu emblématique. Dans ce secteur se consoli<strong>de</strong>ntaussi <strong>de</strong>s liens avec les pays andins <strong>et</strong> latinoaméricains.D’autres lea<strong>de</strong>rs religieux importants,adhérant à la théologie <strong>de</strong> la libération, se sontillustrés. Des secteurs intellectuels liés à <strong>de</strong>sorganisations sociales (partis <strong>et</strong> mouvementspolitiques, expressions émergentes <strong>de</strong> la société civileorganisée provenant par exemple <strong>de</strong>s ONG) ont jouéun rôle clé dans la sauvegar<strong>de</strong> <strong>et</strong> la socialisation, auniveau local <strong>et</strong> latino-américain, <strong>de</strong>s initiatives <strong>et</strong> <strong>de</strong>spropositions alternatives dans le champ <strong>de</strong>l’apprentissage <strong>et</strong> du savoir. Tous ces groupes ontdéveloppé une critique structurelle du systèmed’éducation formelle traditionnel.Depuis la fin <strong>de</strong> la décennie ‘90, ces courants,n’ayant jamais atteint une envergure nationale,connaissent <strong>de</strong> profonds problèmes d’altération <strong>et</strong>d’affaiblissement. Actuellement, il est très difficiled’évaluer avec exactitu<strong>de</strong> ces tendances <strong>et</strong> encore plusdifficile <strong>de</strong> les catégoriser <strong>de</strong> façon certaine. Lesinstruments d’i<strong>de</strong>ntification, ayant fait leurs preuvesdans les <strong>de</strong>rnières décennies, sont <strong>de</strong>venues obsolètes.Les changements sociaux, politiques, culturels <strong>de</strong>ces <strong>de</strong>rnières années ont engendré <strong>de</strong> nouveauxscénarios dans les pays latino-américains. On pourraiténoncer l’hypothèse que toutes les tendancesprogressistes, alternatives <strong>et</strong> contestataires cherchentà se repositionner <strong>et</strong> à redonner sens à leurs pratiques,à leurs alliances <strong>et</strong> à leurs idéaux. On pourrait aussi1 Entre les ONG qui se sont liées au CEAAL <strong>de</strong>puis lesannées ’80 il y avait plusieurs autres Conseils développantun important travail d’éducation populaire avec <strong>de</strong>sorganisations paysannes, avec <strong>de</strong>s communautés indigènes,avec <strong>de</strong>s groupes urbains marginaux. Le réseauCEAAL existe toujours <strong>de</strong> nos jours avec d’autres orientationsbien sûr.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 41


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animationdire que les tendances <strong>de</strong> l’<strong>Animation</strong> sociale s<strong>et</strong>rouvent à ce moment-ci dans <strong>de</strong>s processus internes<strong>de</strong> reconfirmation, <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> nouvellesi<strong>de</strong>ntités <strong>et</strong> <strong>de</strong> relecture <strong>de</strong> leur passé <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur futur.ORGANISMES GOUVERNEMENTAUX ETPRIVÉS AVEC ET SANS FINS LUCRATIVESSTRUCTURANT LE CHAMPComme nous l’avons déjà souligné, le champ <strong>de</strong>l’animation sociale ou <strong>de</strong> ses analogues n’est pas facileà délimiter dans ce pays. En essayant d’être plusprécis, on pourrait parler <strong>de</strong> pratiques dispersées, <strong>de</strong>courants désarticulés à la <strong>recherche</strong> <strong>de</strong> nouvellesi<strong>de</strong>ntités plus que d’un champ n<strong>et</strong> <strong>de</strong> propositions <strong>et</strong><strong>de</strong> pratiques spécifiques.Au niveau du gouvernement central, lesprogrammes <strong>et</strong> les équipes ayant pour vocation <strong>de</strong>promouvoir l’organisation, la mobilisation autour <strong>de</strong>sapprentissages alternatifs tels qu’i<strong>de</strong>ntifiés plus hautont quasi tous disparus. Mentionnons cependant <strong>de</strong>uxexceptions. La première est liée aux programmesministériels qui conservent encore quelques éléments<strong>de</strong> la promotion <strong>culturelle</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> la <strong>recherche</strong> <strong>de</strong>changement. Ce sont <strong>de</strong>s programmes plutôtmarginaux, recevant peu d’appui, avec un faibleniveau d’autonomie, un ren<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>s plusquestionnable <strong>et</strong> une trop gran<strong>de</strong> disparité <strong>de</strong>propositions. Ces programmes ont été liés à <strong>de</strong>schamps tels que celui <strong>de</strong> l’alphabétisation, <strong>de</strong>l’éducation aux adultes, <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong>stravailleurs, <strong>de</strong> la « capacitation » <strong>de</strong>s paysans. Lesministères qui ont animé ces programmes ont ététraditionnellement ceux <strong>de</strong> l’Éducation, du Travail <strong>et</strong><strong>de</strong> l’Agriculture. Entre ces ministères, il n’y a pasjamais eu cependant d’actions concertées <strong>et</strong>coordonnées.L’autre série d’exceptions, plus importante <strong>et</strong>toujours en extension, est celle qui est issue <strong>de</strong>quelques municipalités <strong>et</strong> <strong>de</strong> regroupementsparoissiaux (compris comme faisant partie <strong>de</strong> l’Étatdécentralisé). Quelques-uns d’entre eux, à colorationprogressiste, ont élaboré, ces <strong>de</strong>rniers temps, leurspropres conceptions <strong>de</strong> l’État local. Ces programmesalternatifs sont à se consoli<strong>de</strong>r à certains endroits <strong>et</strong> às’amorcer dans d’autres. Ces expériences sontaujourd’hui <strong>de</strong>s plus intéressantes <strong>et</strong> porteusesd’espoir. Il faudrait voir jusqu’où <strong>et</strong> avec quellesformes se développent les processus <strong>de</strong>décentralisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> participation citoyenne.Dans le secteur privé <strong>de</strong>s organismes à but lucratif,il n’existe pas <strong>de</strong> telles pratiques. Dans le secteur nongouvernemental sans fins lucratives, on peutrencontrer <strong>de</strong>s pratiques recelant <strong>de</strong>s élémentscontestataires <strong>et</strong> alternatifs. Leurs animateursprincipaux sont <strong>de</strong>s organisations nongouvernementales (ONG) liées au secteur social <strong>et</strong> àcelui <strong>de</strong> l’Église progressiste, aux organisationsindigènes, aux mouvements <strong>de</strong> participationdémocratique associés à <strong>de</strong>s pouvoirs locauxalternatifs, à <strong>de</strong>s mouvements sociaux pour l’égalité,les droits <strong>et</strong> la protection <strong>de</strong> l’environnement.Rappelons <strong>de</strong> nouveau que ces pratiques neperm<strong>et</strong>tent pas <strong>de</strong> parler d’une seule tendance ou d’unchamp homogène <strong>et</strong> structuré. Ceci ne signifie paspour autant une sous-évaluation <strong>de</strong> ces expériences niune déqualification <strong>de</strong> ces forces <strong>de</strong> reconstruction dutissu social alternatif dans notre pays.LIEUX ET ESPACES D’INTERVENTIONLes scénarios d’intervention propres à ces courants<strong>et</strong> à ces pratiques d’éducation populaire ont étémentionnés antérieurement. On peut dire que lechamp privilégié reste toujours le secteur rural <strong>et</strong> sesorganisations sociales, secondairement le secteurindigène <strong>et</strong> métis. Quelles que soient leurs formes, lesscénarios urbains marginaux – qui ont crûénormément ces <strong>de</strong>rnières années – méritent uneattention accrue en particulier dans le cas <strong>de</strong>sprogrammes alternatifs (bien qu’ils soient aussi l’obj<strong>et</strong><strong>de</strong> visées intégratrices, assistancialistes <strong>et</strong>clientélistes).À la différence <strong>de</strong>s décennies précé<strong>de</strong>ntes, on a misl’emphase sur le thème économique qui s’est trouvémis <strong>de</strong> l’avant. Antérieurement, la dominante étaitcentrée sur les thèmes organisationnels, culturels <strong>et</strong>politiques. Aujourd’hui, malgré les nombreux risques<strong>et</strong> en raison en gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> l’aggravation <strong>de</strong> lapauvr<strong>et</strong>é, les thèmes <strong>de</strong> la survie, <strong>de</strong> la production, <strong>de</strong>la commercialisation, apparaissent amplementprioritaires. Les proj<strong>et</strong>s – liés à la productionprincipalement – se sont substitués aux processussociaux soutenus <strong>et</strong> aux mobilisations <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnièresannées.Signalons en passant que les doutes sont plusgrands que les certitu<strong>de</strong>s à l’heure qu’il est. Il estdifficile <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> propositions alternativeséconomiques <strong>et</strong> socialement justes. Il est inévitable enplus, qu’elles ne se butent aux règles du marché avecses impératifs <strong>de</strong> consommation <strong>et</strong> ses inégalités <strong>de</strong>pouvoir. Pratiquement toute la coopération solidairedu pays <strong>et</strong> plusieurs <strong>de</strong>s grands programmes sociauxofficiels sont axés sur le développement économiquemais avec <strong>de</strong>s résultats limités <strong>et</strong> peu <strong>de</strong> possibilités<strong>de</strong> durer.Le problème reste le risque <strong>de</strong> transformer cespratiques en mécanismes d’intégration au systèmedominant <strong>et</strong> aux marchés <strong>de</strong> consommation,trahissant ainsi peu à peu ses perspectives alternatives<strong>culturelle</strong>s pour ne r<strong>et</strong>enir exclusivement que lesmodalités <strong>de</strong> survie avec plus ou moins d’efficacité <strong>et</strong>,à long terme, n’altérant aucunement les rapports <strong>de</strong>pouvoir existants.Un autre scénario, qui s’est fait jour récemment, estcelui <strong>de</strong> la défense <strong>de</strong>s droits <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’égalité qui jadisétait privilégié dans les secteurs urbains. Lemouvement le plus important <strong>et</strong> le plus vigoureux aété sans doute celui <strong>de</strong> la revendication <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong>sfemmes dont les conquêtes aux niveaux légal <strong>et</strong> social42 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


« <strong>Animation</strong> sociale » tendances <strong>et</strong> tensions en Équateur,par Alfredo Astorgaont été significatives. Aussi faut-il souligner le rôlemajeur <strong>de</strong>s mouvements en faveur <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong>senfants <strong>et</strong> <strong>de</strong>s jeunes <strong>et</strong> ceux orientés vers unemeilleure qualité <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> vers la protection <strong>de</strong>l’environnement.Dans le cas <strong>de</strong> femmes, on remarque au moins <strong>de</strong>uxgrands fronts à caractère national qui ont <strong>de</strong>sprogrammes soutenus <strong>de</strong> réflexion, d’action, <strong>de</strong>diffusion, d’orientation, d’« habilitation ». Dans le cas<strong>de</strong>s enfants <strong>et</strong> <strong>de</strong>s jeunes, on note <strong>de</strong>puis certainesannées une instance <strong>de</strong> coordination nommée leForum <strong>de</strong> la jeunesse <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’adolescence. Le thèmeenvironnemental est l’un <strong>de</strong>s fronts les plusmobilisateurs en ce moment, les ONG préoccupées <strong>de</strong>ce secteur sont celles qui se sont le plus développéesces <strong>de</strong>rnières années, soutenues par les contributions<strong>de</strong> la coopération solidaire. Sont aussi <strong>de</strong> premièreimportance dans ce champ les diverses orientations <strong>et</strong>le <strong>de</strong>gré d’adhésion aux changements sociaux <strong>et</strong>politiques <strong>de</strong> fond. Ces <strong>de</strong>rniers fronts d’action, quenous pourrions i<strong>de</strong>ntifier comme les luttes pour lacitoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong> la participation citoyenne, sont en pleindéveloppement. Ils incorporent les secteurs pauvres <strong>et</strong>moyens <strong>de</strong> la société <strong>et</strong> un ample spectre <strong>de</strong> lapopulation. À ce moment cependant, ils ne sont pasassez soli<strong>de</strong>ment charpentés même si leurs réseauxcroissent constamment. Ils ne constituent pas unchamp homogène du point <strong>de</strong> vue idéologique oupolitique, mais ils sont <strong>de</strong>s expressions nouvelles <strong>de</strong>postures démocratiques, contestataires, alternatives.Leur constitution aussi est distincte <strong>et</strong> distanciée <strong>de</strong>sformes <strong>de</strong> fronts ou <strong>de</strong> partis traditionnels. Ses formesparticulières <strong>de</strong> lutte <strong>et</strong> sa capacité d’intervenir autantsur les terrains officiels ou non sont aussi <strong>de</strong>s signesdistinctifs.LES INFLUENCES MARQUANT CE CHAMP :MOUVEMENTS IDÉOLOGIQUES,POLITIQUES, RELIGIEUXLes influences idéologiques <strong>et</strong> politiques eu égardau champ <strong>de</strong> l’éducation populaire ou <strong>de</strong> la promotionsocio<strong>culturelle</strong> ne sont pas faciles à i<strong>de</strong>ntifierclairement. En réalité, elles sont immergées dans <strong>de</strong>spropositions comprenant les mêmes prémisses.Afin <strong>de</strong> bien amorcer l’analyse, il faudrait distinguertrois sources importantes. La première est le réseau<strong>de</strong> courants idéologiques progressistes <strong>et</strong> en faveur duchangement qui ne sont pas liés organiquement <strong>et</strong> <strong>de</strong>façon permanente aux partis <strong>et</strong> aux mouvementspolitiques <strong>de</strong> la gauche formelle. Il s’agit <strong>de</strong> courants<strong>de</strong> diverses origines incluant la gauche <strong>de</strong>s décenniespassées <strong>et</strong> aussi les nouveaux courants <strong>et</strong> les nouvellesgénérations.Un autre versant important <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te même sourceconsiste en ses options pour un changement intégralqui inclue les relations interpersonnelles <strong>et</strong> ledéveloppement personnel, <strong>de</strong> nouvelles visions <strong>de</strong> ladémocratie, une n<strong>et</strong>te valorisation du mon<strong>de</strong>quotidien <strong>et</strong> <strong>de</strong> la vie communautaire (qui dépasse surces thèmes la conception indigène), la lutte pourl’égalité dans tous les champs, la défense <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong>la personne partout, le respect <strong>de</strong> la diversité, ledéveloppement durable <strong>et</strong> la protection <strong>de</strong>l’environnement, <strong>de</strong> nouveaux rapports avec le mon<strong>de</strong>extérieur <strong>et</strong> avec le savoir.Ce courant alimente les principales pratiques quenous pourrions appeler éducation populaire en cemoment. Ces caractéristiques se r<strong>et</strong>rouvent danscertains secteurs paysans, dans les organisationsciviles pour les droits, dans les pratiques <strong>de</strong>s ONGprogressistes, <strong>et</strong>c.Une secon<strong>de</strong> source d’influence provientdirectement <strong>de</strong> mouvements politiques, sociaux <strong>et</strong> <strong>de</strong>partis progressistes. Même si ces <strong>de</strong>rniers necorrespon<strong>de</strong>nt pas exactement aux anciennestendances <strong>de</strong> la gauche, ils continuent à exercer unrôle important dans l’émergence <strong>de</strong> l’opinion publique<strong>et</strong> dans l’organisation <strong>de</strong> secteurs sociaux visant lepouvoir. Sans doute, quelques-uns d’entre eux ont-ilscédé à <strong>de</strong>s pratiques électoralistes ou clientélistes,mais ils ont malgré tout su conserver une influenceimportante.Une troisième source à prendre en compte estconstituée par les mouvements religieux. Nouspourrions dire cependant que leur caractèrecontestataire a diminué énormément ces <strong>de</strong>rnièresannées : les hiérarchies <strong>et</strong> les courants les plusconservateurs <strong>de</strong> l’Église sont aujourd’huiprédominants dans nombre <strong>de</strong> proj<strong>et</strong>s éducatifs ou <strong>de</strong>développement formels <strong>et</strong> non formels.La faiblesse du secteur progressiste <strong>de</strong> l’Église n’estpas innocente. Dans les <strong>de</strong>rnières décennies, unevéritable stratégie <strong>et</strong> une offensive massive ont étémises en place afin <strong>de</strong> réduire le pouvoir, <strong>de</strong> disperser<strong>et</strong> <strong>de</strong> réprimer les tendances les plus socialementengagées. Une pénétration agressive par <strong>de</strong>s sectesreligieuses est observée donnant lieu à <strong>de</strong>s divisions <strong>et</strong>à <strong>de</strong>s affrontements. Les cas les plus dramatiques sesont déroulés précisément dans les secteurs paysans<strong>de</strong>s provinces à populations majoritairementindigènes 1 .Les secteurs progressistes <strong>de</strong> l’Église, quiactuellement sont à l’œuvre, sont sans douteminoritaires. Ils se concentrent dans <strong>de</strong>s provinces ou<strong>de</strong>s secteurs où leur lea<strong>de</strong>rship est très fort, commeAzuay <strong>et</strong> les secteurs <strong>de</strong> Chimborazo, <strong>de</strong> Tungurahua<strong>et</strong> <strong>de</strong> Cotopaxi dans la sierra <strong>et</strong> dans d’autresprovinces <strong>de</strong> l’est. Les centres d’action principauxsont encore dans les secteurs ruraux bien qu’ils se1 Dans les provinces <strong>de</strong> Chimborazo (zone <strong>de</strong> Colta) <strong>et</strong>Cotopaxi (zone Zumbahua) les cas <strong>de</strong> division communautaire<strong>et</strong> familiale ont été causés par l’opposition <strong>de</strong>scatholiques <strong>et</strong> <strong>de</strong>s évangélistes. La division, les affrontements<strong>et</strong> la démobilisation eu égard aux problèmes sociauxprincipaux ont été évi<strong>de</strong>nts dans ces zones. D<strong>et</strong>oute manière, on note ces <strong>de</strong>rnières années, un courant<strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouvaille <strong>de</strong>s secteurs indigènes au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s différencesdans le champ religieux.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 43


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animationr<strong>et</strong>rouvent aussi dans certaines zones urbainesmarginales. La promotion <strong>de</strong> l’organisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> lamobilisation font toujours partie <strong>de</strong>s options mises <strong>de</strong>l’avant.Trois facteurs, qu’il vaut la peine <strong>de</strong> mentionner,s’ajoutent aux précé<strong>de</strong>nts. Tout d'abord, l’influence <strong>de</strong>l’Église, pour <strong>de</strong>s raisons historiques, ne fut pas <strong>de</strong>caractère national, mais concentrée dans la région <strong>de</strong>la sierra <strong>et</strong> dans l’est. En second lieu, ce ne sont pastoutes les communautés religieuses qui furentperméables aux courants progressistes ; nouspourrions dire que la communauté salésienne parexemple fut la plus compromise socialement à longterme. Dans le pôle opposé, la communauté jésuite estcelle qui actuellement se greffe aux pouvoirstraditionnels.En troisième lieu, il est notoire <strong>de</strong> constater que lespropositions <strong>de</strong> la théologie <strong>de</strong> la libération sont trèsaffaiblies <strong>et</strong> même ten<strong>de</strong>nt à disparaître. Aucuneproposition alternative reprenant sa capacité à réunir<strong>et</strong> à mobiliser n’a été développée.Indépendamment <strong>de</strong>s diverses sources d’inspiration,<strong>de</strong> nouvelles problématiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> nouvellespropositions dans le champ <strong>de</strong> l’animation sociale sontdorénavant visibles. Parmi elles, nous l’avons déjànoté, est en lien avec les économies populaires quiluttent afin <strong>de</strong> fournir <strong>de</strong>s alternatives plus soli<strong>de</strong>s.D’autres thématiques au confluent <strong>de</strong> diversessources d’inspiration sont par exemple les droits <strong>de</strong> lapersonne, l’égalité sous toutes ses formes, le respect<strong>de</strong> la diversité, la participation citoyenne, laprotection environnementale. Autour <strong>de</strong> ces questionsrenaissent <strong>de</strong>s formes d’argumentation <strong>et</strong> <strong>de</strong> solidaritétant au niveau latino-américain que mondial. Nousassistons à la création <strong>de</strong> nouveaux réseauxd’intégration. La globalisation génère aussi dans lessecteurs alternatifs <strong>de</strong> nouvelles <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>spropositions novatrices.Bénévoles <strong>et</strong> professionnelLEs : origine, nombre,situation <strong>et</strong> fonctionsL’époque la plus fructueuse <strong>de</strong> l’Éducation populaire– les décennies ‘70, ‘80 <strong>et</strong> ‘90 – a été soutenue par l<strong>et</strong>ravail <strong>de</strong> nombreux bénévoles <strong>et</strong> <strong>de</strong> plusieurs autrespersonnes très peu rémunérées travaillant dans lesONG <strong>et</strong> les organisations sociales. Le caractèreprofondément idéologique <strong>et</strong> le militantisme danslesquels baignait le mouvement a facilité ce typed’engagement <strong>et</strong> <strong>de</strong> compromis.Un travail bénévole très important a eu lieu certesdans le labeur <strong>de</strong> la pastorale sociale <strong>de</strong> l’Église d’unepart <strong>et</strong> d’autre part dans l’apport d’intellectuelLEsaux organisations <strong>et</strong> aux mouvements sociaux. L<strong>et</strong>ravail <strong>de</strong>s volontaires européens – bien qu’étantd’une autre nature – a eu aussi un rôle intéressant <strong>et</strong>stimulant.Actuellement le nombre <strong>de</strong> bénévoles s’estbeaucoup réduit. Le phénomène persiste pourtantd’une autre façon dans les secteurs du travail social liéà l’Église <strong>et</strong> aussi dans les directions <strong>de</strong> quelquesorganisations sociales. Par contre, au cœur <strong>de</strong> cesorganisations on r<strong>et</strong>rouve aussi <strong>de</strong>s façons plusinstitutionnelles <strong>de</strong> fonctionner <strong>et</strong> <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong>rétribution économique complémentaires ousymboliques.Plus récemment, on remarque un phénomènenouveau soit le travail bénévole <strong>de</strong>s jeunes. Celui-cis’effectue surtout dans les secteurs du travail avec lesenfants, <strong>de</strong> la sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong> la culture <strong>et</strong> <strong>de</strong> laprotection <strong>de</strong> l’environnement.En regard <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong> professionnelLEs, ilimporte <strong>de</strong> souligner <strong>de</strong>ux éléments. En premier lieu,comme il n’y a pas <strong>de</strong> formations ou <strong>de</strong> filières <strong>de</strong>professionnalisation strictement liés au domaine <strong>de</strong>l’animation sociale, ou pourrait dire qu’il n’existe pasd’apport professionnel spécialisé.Le second élément plus significatif est la présence<strong>de</strong> professionnelLEs <strong>de</strong> carrières liées ou proches <strong>de</strong>l’animation sociale. On peut mentionner, entre autres,les champs <strong>de</strong> la sociologie, <strong>de</strong> l’anthropologie, dutravail social, <strong>de</strong>s sciences politiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> lacommunication. Sans doute que c<strong>et</strong>te diversitéprofessionnelle a induit <strong>de</strong>ux eff<strong>et</strong>s contradictoires : ladiversité <strong>et</strong> la multidisciplinarité du champ d’une part<strong>et</strong> d’autre part l’absence <strong>de</strong> systématisation <strong>et</strong> <strong>de</strong>développement <strong>de</strong> propositions claires.Ces travailleurs <strong>de</strong> l’animation sociale proviennentd’une part d’organisations sociales formant à l’interneleurs propres cadres ou d’écoles <strong>de</strong> formation. D’autrepart, ils originent <strong>de</strong>s universités, quelques-unesd’entre elles religieuses (comme celle <strong>de</strong>s Salésiens),d’autres alternatives <strong>et</strong> régionales (commel’Université andine – FLASCO, <strong>et</strong>c.) Curieusement,les universités d’État, ayant une réputationcontestataire <strong>et</strong> novatrice, sont celles qui contribuentle moins au champ <strong>de</strong> l’animation sociale.FORMATION PUBLIQUE OU PRIVÉEEn Équateur, le champ <strong>de</strong> l’animation sociale, selonle point <strong>de</strong> vue que nous avons développé dans c<strong>et</strong>exte, ne recèle aucun espace ni public, ni privé <strong>de</strong>formation complète <strong>et</strong> systématique.Malgré cela, il est important <strong>de</strong> souligner au moins<strong>de</strong>ux directions riches <strong>de</strong> potentialités en regard <strong>de</strong> cechamp. L’une proviennent <strong>de</strong>s centres d’éducationsupérieure <strong>et</strong> l’autre <strong>de</strong>s propositions <strong>de</strong>sorganisations non gouvernementales.Par rapport à la première, les universités offrent, enlien avec le champ <strong>de</strong> l’animation sociale, <strong>de</strong>s élémentsou <strong>de</strong>s composantes pertinents même si cela conduit àune professionnalisation spécialisée. Celles quimanifestent le plus d’ouverture proviennent <strong>de</strong>scentres liés à l’Église progressiste (les Salésiens parexemple), mais aussi <strong>de</strong>s centres autonomes alternatifscomme le cas <strong>de</strong> l’Université andine Simón Bolivar oucelui <strong>de</strong> FLASCO. Ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers centres fontpartie <strong>de</strong>s réseaux englobant d’autres pays latinoaméricains.44 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


« <strong>Animation</strong> sociale » tendances <strong>et</strong> tensions en Équateur,par Alfredo AstorgaEn regard <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> direction, il est intéressant<strong>de</strong> noter l’émergence, durant les <strong>de</strong>rnières années ausein <strong>de</strong>s ONG, d’offres systématiques <strong>de</strong> formationpar les centres officiels d’éducation, assurant <strong>de</strong>scertifications <strong>et</strong> étant validées par le placement <strong>et</strong>l’emploi. Il s’agit d’une version récente <strong>de</strong>s écolesalternatives <strong>de</strong> formation dont les orientationspolitiques sont sans doute assez variables.Dans c<strong>et</strong>te secon<strong>de</strong> direction, nous pourrions aussidistinguer <strong>de</strong>ux types d’orientation. Une premièrereliée aux écoles <strong>de</strong> lea<strong>de</strong>rship (<strong>de</strong> cadres) qui sontfréquentées par les dirigeants d’organisations <strong>de</strong> base.Les thématiques abordées dans ces écoles sont variées<strong>et</strong> incluent <strong>de</strong>s thèmes comme l’analyse <strong>de</strong> la réalité,la facilitation <strong>de</strong>s processus, l’élaboration <strong>de</strong> proj<strong>et</strong>s, lagestion <strong>de</strong>s conflits, les alliances <strong>et</strong> les synergies. Lacoopération italienne a gran<strong>de</strong>ment contribué à cesdéveloppements. L’ONG <strong>de</strong> Cuenca, SENDAS, estune <strong>de</strong> ces instances contributrices.L’autre orientation qui progresse énormément estliée à la professionnalisation <strong>de</strong>s cadres moyens dumilieu rural dans <strong>de</strong> nouveaux métiers liés audéveloppement <strong>de</strong>s communautés <strong>et</strong> <strong>de</strong>sorganisations. Parmi ces offres, il est possibled’i<strong>de</strong>ntifier, par exemple, la gestion <strong>de</strong>s systèmesd’eau pour consommation humaine, la gestion <strong>de</strong>ssystèmes d’eau pour l’irrigation, le contrôle <strong>de</strong>sépidémies, la production agroécologique, la protectionenvironnementale, la promotion sociale, <strong>et</strong>c. Leconsortium CAMAREN, l’ONG FEPP développentactuellement <strong>de</strong>s pratiques en ce sens.La formation <strong>de</strong> ce champ avec <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ites variantes,eu égard aux décennies passées, continue à sestructurer, à se développer en lien avec le travailsocial. Les situations concrètes du contexte politique<strong>et</strong> social provoquent <strong>de</strong> toute façon la création ou larecréation <strong>de</strong>s offres éducatives dans le champ social.Sans doute que peu à peu vont s’incorporer dans <strong>de</strong>scours universitaires, <strong>de</strong> nouveaux thèmes <strong>et</strong>problématiques liés à la préoccupation pour laparticipation sociale portant l’empreinte <strong>de</strong>s tempsnouveaux. Il est intéressant <strong>de</strong> constater par exemple,l’élargissement <strong>de</strong>s réflexions sur <strong>de</strong>s thématiquescomme l’i<strong>de</strong>ntité <strong>et</strong> la diversité <strong>culturelle</strong>s ou ledéveloppement <strong>et</strong> l’égalité sociale ou <strong>de</strong>s modalitésd’éducation non formelle pour adultes, <strong>et</strong>c.De toute façon, l’éclatement du champ <strong>de</strong>l’animation sociale <strong>de</strong>meure une constante avec sa<strong>recherche</strong> inépuisable <strong>de</strong> recomposition, <strong>de</strong> nouvellesalliances, d’alternatives <strong>de</strong> changements, <strong>de</strong> nouveauxsignes <strong>et</strong> sens. Les nouvelles relations entre leschamps formel <strong>et</strong> informel, le type d’organisation <strong>et</strong>les consensus entre acteurs, les expériencesdéveloppées <strong>de</strong> participation citoyenne au niveau <strong>de</strong>sgouvernements locaux, les articulations solidairesinédites au niveau mondial sont quelques-unes <strong>de</strong>spistes qui méritent d’être suivies <strong>et</strong> approfondies.LES FORMATIONS PUBLIQUES ET PRIVÉESQuelle importance peut avoir la professionnalisation<strong>de</strong> ce champ ? Professionnaliser implique avoir <strong>de</strong>professionnelLEs capables <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l’animationsocio<strong>culturelle</strong> ; connaître <strong>et</strong> avoir <strong>de</strong>s expériences,avoir <strong>de</strong>s habilités pour développer <strong>de</strong>s programmes<strong>de</strong> tous genres, publics ou à partir <strong>de</strong>s ONG, avec <strong>de</strong>scritères participatifs d’animation socio<strong>culturelle</strong>. Maisceci n’existe pas. Apparemment, il n’y aurait pas <strong>de</strong>marché qui justifierait la création d’un coursd’animation socio<strong>culturelle</strong> ou d’un cours <strong>de</strong>pédagogie sociale. Au Chili, actuellement, il existe uncours <strong>de</strong> Pédagogie sociale à l’Université Majeure. Ily a <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s supérieures à l’Université <strong>de</strong> la Mer. Ily a un cours <strong>de</strong> gestion en Éducation sociale <strong>et</strong> aussiune mineure <strong>de</strong> Pédagogie en histoire à l’UniversitéARCIS. Toutes ces initiatives suivent clairement lechemin tracé. […]Nous croyons qu’il manque d’espaces <strong>de</strong> réflexion <strong>et</strong><strong>de</strong> problématisation où les questions <strong>et</strong> les suj<strong>et</strong>s-cléspourraient resurgir, non pas comme <strong>de</strong>s savoirsfermés mais comme <strong>de</strong>s questions ouvertes,perm<strong>et</strong>tant ainsi <strong>de</strong> reconstruire <strong>et</strong> <strong>de</strong> redéfinir <strong>de</strong>spolitiques <strong>et</strong> <strong>de</strong>s stratégies d’animation socio<strong>culturelle</strong>dans le grand champ qui est le sien. Peut-être que celaperm<strong>et</strong>trait aussi <strong>de</strong> découvrir <strong>de</strong>s modèlesinnovateurs d’animation socio<strong>culturelle</strong>, intégrale <strong>et</strong>globale, comprenant tant ce qui est éducationnel quece qui relève du travail, du culturel ou ducommunautaire, tous intimement liés. […] Parailleurs, l’État comme la société civile, l’entrepriseprivée <strong>et</strong> la communauté nationale dans son ensemble,<strong>de</strong>vront être convoqués. Pour ne pas tomber dans <strong>de</strong>sillusions faciles, il est nécessaire d’avoir bien en têteque la première chose essentielle dans tout ceprocessus est la prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> l’importance <strong>et</strong>la nécessité d’une animation socio<strong>culturelle</strong>synergique comme une action qui rend possible ledéveloppement <strong>et</strong> le bien-être d’une communauté.Pour en arriver là, on a besoin d’un changementculturel <strong>de</strong> la société dans son ensemble <strong>et</strong> <strong>de</strong> prises<strong>de</strong> décisions politiques opportunes <strong>et</strong> adéquates <strong>de</strong> lapart <strong>de</strong> l’État.BÉNÉVOLES ET/OU PROFESSIONNELLESAu Chili, l’animation socio<strong>culturelle</strong> professionnellen’existe pas. De multiples activités sont réalisées avecgrand effort par beaucoup <strong>de</strong> gens pour essayer, d’uncôté, <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s possibilités aux personnes pour serécréer. D’un autre côté, il y a une animationsocio<strong>culturelle</strong> établie par le marché, pour tout ce quise réfère au mark<strong>et</strong>ing, à la vente <strong>de</strong> vacances, aumarché <strong>de</strong> l’art, du théâtre Municipal, du théâtre engénéral, <strong>de</strong>s concerts, <strong>de</strong> la musique, <strong>de</strong> l’opéra, <strong>de</strong> ladanse, autant d’activités qui sont d’un accès limité àune partie seulement <strong>de</strong> la population.Il s’agit d’un marché assez réduit touchantseulement un p<strong>et</strong>it groupe <strong>de</strong> gens. Parallèlement, il ya ouvertures <strong>de</strong> quelques musées, <strong>de</strong> certains réseauxCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 45


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animationd’expositions <strong>et</strong> d’installations auxquels n’assistequ’un seul genre <strong>de</strong> public, un public <strong>de</strong> connaisseurs.Une bonne partie <strong>de</strong> la société chilienne reste en<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ce genre d’animation socio<strong>culturelle</strong>. Ils’agit d’une offre stratifiée, qui n’atteint jamais lessecteurs les plus démunis […]. Il est nécessaire <strong>de</strong> serappeler que la culture, comme les biens <strong>et</strong> services engénéral, sont loin d’être accessibles à l’ensemble <strong>de</strong> lapopulation. C’est la raison pour laquelle dans lesmilieux populaires, s’organisent <strong>de</strong>s activités qui ontrapport à l’intelligence, à l’habilité, à la créativité <strong>de</strong>sgens que ce soit avec les voisins, dans <strong>de</strong>s clubssportifs ou dans <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> jeunes. Mais endéfinitive, ces pratiques ne vont pas très loin non plus.L’animation socio<strong>culturelle</strong> est maintenue dans unecertaine marginalité. Penser professionnaliser cechamp impliquerait d’autres rapports avec l’État, lesservices publics, les écoles <strong>et</strong> les lieux <strong>de</strong> travail.Au Chili, aujourd’hui, l’animation socio<strong>culturelle</strong> estpresque recluse à du pur travail bénévole, à <strong>de</strong> labonne volonté. […] Nous croyons qu’il existe troppeu <strong>de</strong> <strong>recherche</strong>s systématisées sur <strong>de</strong> nouveauxchamps, comme celui du droit, <strong>de</strong> la psychologie, <strong>de</strong> lasociologie <strong>de</strong> l’animation socio<strong>culturelle</strong>, <strong>de</strong> tout cemouvement qui perm<strong>et</strong> aux gens <strong>de</strong> vivre avec euxmêmesd’une manière plus harmonieuse. Nous notonsune sous-exploitation <strong>de</strong>s ressources existantes dansles communautés elles-mêmes, renforçant ainsi latendance à l’individualisme ainsi que les problèmes <strong>de</strong>ségrégation <strong>et</strong> <strong>de</strong> discrimination. On se trouve doncavec ces <strong>de</strong>ux extrêmes, la bonne volonté d’un côté <strong>et</strong>toute l’inventivité populaire qui essaye <strong>de</strong> faire cequ’elle peut avec une pénurie <strong>de</strong> moyens <strong>et</strong> qui, parconséquent, reste toujours dans la marginalité, <strong>et</strong> d’unautre côté, un marché (tourisme, chaînes d’hôtels,vacances dans <strong>de</strong>s lieux privés) toujours trèsdispendieux, c’est-à-dire, inaccessible aux majorités.L’animateur, l’animatrice socioculturelLE est nonseulement un détecteur, une détectrice <strong>et</strong> unproducteur, une productrice d’événements, il, elle estunE organisateur, une organisatrice, unE penseurE,unE créateurTRICE, un lien avec la communauté. Il,elle travaille comme agentE <strong>de</strong> médiation entre lesmunicipalités <strong>et</strong> les secteurs <strong>de</strong> base, en relation avecl’État ainsi qu’avec les écoles. Il, elle est unEprofessionnelLE <strong>et</strong> unE agentE socialE qui se déplaceentre les différents interstices <strong>de</strong> la vie sociale. Ce,c<strong>et</strong>te professionnelLE n’existe pas aujourd’hui auChili.Ce qui existe au Chili, ce sont <strong>de</strong> multiples activitésmerveilleuses qui ne cessent d’apparaître. Elles sontcependant dépourvues d’une certaine organisation <strong>et</strong>d’une coordination minimales qui perm<strong>et</strong>traient parexemple, d’éviter d’avoir la même activité en mêm<strong>et</strong>emps dans cinq endroits différents. Le mois <strong>de</strong>septembre <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année 2003 a été un bon exemple :<strong>de</strong>puis le coup d’État, il y a trente ans, il n’y a jamaiseu autant d’activités. C’était compliqué parce qu’ilétait difficile <strong>de</strong> déterminer si l’on fêtait unanniversaire ou si l’on célébrait un <strong>de</strong>uil. En mêm<strong>et</strong>emps, il y avait une telle quantité d’activités que lesgens ne savaient pas très bien où ils allaient, sanspossibilité <strong>de</strong> choisir vraiment. Et d’un autre côté,nous y insistons, il y a une bonne partie <strong>de</strong> la sociétéqui est restée absolument en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> c<strong>et</strong>tedynamique, enfermée dans <strong>de</strong>s îlots lointains,d’exclusion, <strong>de</strong> marginalité, <strong>de</strong> pauvr<strong>et</strong>é, <strong>et</strong>c.…Enfin, nous croyons nécessaire d’ajouter, <strong>de</strong> façonparticipative <strong>et</strong> consensuelle, quelques élémentssubstantiels délimitant ce que l’on entend paranimation socio<strong>culturelle</strong> au Chili aujourd’hui <strong>et</strong> quisuppose que l’on réussisse à se m<strong>et</strong>tre d’accord sur lesfinalités <strong>de</strong> l’animation socio<strong>culturelle</strong>. C’est la seulefaçon <strong>de</strong> ne pas créer un autre concept justifiant <strong>et</strong>donnant son aval qu’à ce qui marche bien dans lasociété, réduisant ainsi toute possibilité <strong>de</strong> critique <strong>de</strong>sconflits <strong>et</strong> <strong>de</strong>s contradictions sociales <strong>et</strong> limitant lepouvoir <strong>de</strong> contribuer réellement au développement <strong>et</strong>au bien-être <strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong> notre société.L’action (ou animation) <strong>culturelle</strong>dans la Cité : État <strong>de</strong>s lieux auQuébec,par Jocelyne LamoureuxProfesseure Département <strong>de</strong> Sociologie <strong>et</strong> Programmed’<strong>Animation</strong> <strong>et</strong> <strong>recherche</strong> <strong>culturelle</strong>s Université du Québec àMontréalMÉTIERS FOISONNANTS, APPELLATION« INCONTRÔLÉE »Quel dénominateur commun rejoint c<strong>et</strong>te directrice<strong>de</strong>s communications dans une cinémathèquenationale, ces animateurs culturels dans un cégep(collège d’enseignement général <strong>et</strong> professionnel) oudans une université, c<strong>et</strong>te agente <strong>de</strong> développementdans un service <strong>de</strong> loisirs socioculturels d’unemunicipalité, ce producteur d’événements publics,c<strong>et</strong>te recherchiste dans une chaîne <strong>de</strong> télévisionprivée, c<strong>et</strong>te coordonnatrice d’une boîte <strong>de</strong> production<strong>et</strong> <strong>de</strong> diffusion <strong>de</strong> vidéos alternatifs, ce travailleur <strong>de</strong>rue d’un quartier chaud <strong>de</strong> la ville, ce conteur, cejazzman, c<strong>et</strong> équilibriste <strong>de</strong> cirque, ces responsablesd’une maison <strong>de</strong> la culture, d’un écomusée régional oud’un centre d’interprétation <strong>de</strong> la nature, cesanimatrices dans une maison <strong>de</strong> jeunes, un centre <strong>de</strong>femmes ou un proj<strong>et</strong> d’éducation populaire ou encorec<strong>et</strong>te fonctionnaire responsable <strong>de</strong> la politique sur ladiversité <strong>et</strong>hno<strong>culturelle</strong> <strong>de</strong> la métropole ?Ce sont toutes <strong>et</strong> tous <strong>de</strong>s diplôméEs duprogramme d’<strong>Animation</strong> <strong>et</strong> <strong>recherche</strong> <strong>culturelle</strong>s <strong>de</strong>l’Université du Québec à Montréal. Non pas qu’il y aitinéluctablement <strong>et</strong> systématiquement <strong>de</strong> liens <strong>de</strong>cause à eff<strong>et</strong>, puisque la pluralité <strong>de</strong>s trajectoirespersonnelles, les fluctuations du marché du travail, lespassions <strong>et</strong> les compétences professionnelles ou, toutsimplement, les coups du hasard sont <strong>de</strong> la partie. Iln’empêche qu’un programme universitaire <strong>de</strong> premier46 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


L’action (ou animation) <strong>culturelle</strong> dans la Cité : État <strong>de</strong>s lieux au Québec,par Jocelyne Lamoureuxcycle en « animation <strong>culturelle</strong> » existe bien auQuébec <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> trente ans <strong>et</strong> qu’il attir<strong>et</strong>oujours plus, alors qu’en l’année 2002-2003 quelque400 étudiantsEs le fréquentaient. L’axe centrald’orientation <strong>et</strong> d’articulation <strong>de</strong> ce programmeoriginal est la problématique <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong> <strong>et</strong>le centre d’intérêt du champ professionnel est ladimension expressive <strong>de</strong> la culture. L’enseignementdispensé est multidisciplinaire, puisé principalementen sociologie <strong>et</strong> en communication, avec <strong>de</strong>s apports<strong>de</strong>s disciplines <strong>de</strong> création (théâtre, danse, littérature,musique, médias), <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’art <strong>et</strong> dupatrimoine ainsi que <strong>de</strong>s sciences administratives.Nous proposons d’explorer brièvement, dans laprésente communication, les trois creus<strong>et</strong>s <strong>de</strong>l’animation <strong>culturelle</strong> au Québec, d’où jaillissent <strong>de</strong>sexpériences clés, <strong>de</strong>s débats vigoureux <strong>et</strong> <strong>de</strong>s formesd’institutionnalisation, <strong>et</strong>, enfin, <strong>de</strong> souligner au fur <strong>et</strong>à mesure quelques enjeux actuels.L’ENGAGEMENT DES ARTISTESPenchons-nous d’abord sur le creus<strong>et</strong> artistique,celui <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong>s artistes. Au Québec, commedans plusieurs sociétés démocratiques, industriellesavancées, les années 1960 <strong>et</strong> 1970 sont pour lesartistes <strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> remise en cause <strong>de</strong> la« haute culture », <strong>de</strong> son monopole sur la légitimité <strong>et</strong>les subventions étatiques. Ils <strong>de</strong>viennent, commeplusieurs autres groupes, acteurs <strong>de</strong> l’<strong>et</strong>hos antiautoritaire<strong>et</strong> participatif qui prévaut. On assiste doncà l’émergence d’une mouvance contestataireartistique, questionnant l’art traditionnellementorienté vers une élite, dans un effort pour rejoindre le« mon<strong>de</strong> ordinaire » selon l’expression consacrée, ensortant les arts <strong>de</strong>s lieux <strong>et</strong> <strong>de</strong>s thèmes convenus, lesintégrant à la vie quotidienne, occupant les lieuxpublics, les rues. Les limites <strong>de</strong>s formes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s genresartistiques sont transgressées dans une « fusion <strong>de</strong>sarts » (nom d’un groupe important), alors ques’organisent <strong>de</strong>s happenings, actions-spectacles,événements. De multiples collectifs d’artistes secréent en théâtre, en musique, en arts visuels. Lesartistes <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s témoins s’interrogeant nonseulement sur leur statut <strong>de</strong> « travailleurs-euses <strong>de</strong> laculture », mais aussi sur le rôle social <strong>de</strong> l’art — d’oùl’expression « animation <strong>culturelle</strong> », qui commence àêtre utilisée. Ils-elles refusent la césure entre culture<strong>et</strong> action. Les « causes » sont nombreuses : guerre duVi<strong>et</strong>nam, oppression nationale québécoise, statut <strong>de</strong>« porteur d’eau » du peuple, morale puritainehypocrite, connivence <strong>de</strong>s pouvoirs économique <strong>et</strong>politique, répression policière <strong>et</strong> censure <strong>de</strong>snouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vie, sexisme <strong>et</strong> homophobie.D’autres collectifs d’artistes, à partir <strong>de</strong>s années 70,jouxtent divers mouvements sociaux — dont lemouvement <strong>de</strong>s femmes, les organisations syndicalesqui militent alors politiquement, <strong>de</strong>s groupespolitiques non traditionnels <strong>et</strong> le mouvementcommunautaire autonome — pour exposer <strong>et</strong>amplifier leurs protestations.Les décennies qui suivront verront une atténuation<strong>de</strong> l’amplitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces formes manifestaires. Certainsartistes poursuivent, bien sûr, leur travail <strong>de</strong> créationdérangeant pour le statu quo : <strong>de</strong>s collectifs <strong>de</strong>création, <strong>de</strong>s coopératives autogérées, <strong>de</strong>s galeriesparallèles, <strong>de</strong>s périodiques culturels alternatifs voientle jour. Avec la fin <strong>de</strong>s métarécits, <strong>de</strong>s impératifsavant-gardistes ou <strong>de</strong>s perspectivesinsurrectionnelles, le rapport au politique <strong>et</strong> lesformes d’engagement se transforment. L’artiste nedicte plus la voie à suivre mais constate <strong>et</strong> questionne.C’est par ce biais, par « l’œuvre ouverte », qu’unespace <strong>de</strong> liberté peut susciter <strong>de</strong>s expériences, <strong>de</strong>squestionnements, <strong>de</strong>s changements.Aujourd’hui, tout en restant réfractaires àl’embriga<strong>de</strong>ment, <strong>de</strong> nouvelles voix se font entendre,dont celles <strong>de</strong>s artistes amérindiens <strong>et</strong> inuits <strong>et</strong> lesperspectives originales <strong>de</strong> très nombreux créateursissus <strong>de</strong> l’immigration ou appartenant à une diversité<strong>de</strong> communautés <strong>et</strong>hno<strong>culturelle</strong>s. On expérimente :œuvres multimédias, art environnemental, art pauvre,installations, manœuvres, art en direct, au plus près<strong>de</strong>s milieux <strong>de</strong> vie, au cœur <strong>de</strong> la cité, du « mon<strong>de</strong>vécu ». Ces <strong>de</strong>rnières années ont vu <strong>de</strong> jeunes artistesen colère reprendre le flambeau d’un art rebelle,autour <strong>de</strong> thèmes comme l’accroissement <strong>de</strong>sinégalités sociales, les ravages <strong>de</strong> la globalisation <strong>de</strong>smarchés, le pillage <strong>de</strong>s forêts <strong>et</strong> la pollution <strong>de</strong>s coursd’eau, la violence faite aux femmes, la montée <strong>de</strong>sidées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> droite, la guerre en Irak. DescomédienNEs, <strong>de</strong>s musicienNEs, <strong>de</strong>s chanteurs-euses,<strong>de</strong>s humanistes, <strong>de</strong>s photographes dénoncent,accompagnent <strong>de</strong>s mouvements sociauxaltermondialistes, écologiques <strong>et</strong> communautaires.D’autre part, <strong>de</strong>s artistes <strong>de</strong>s cultures dites« émergentes » m<strong>et</strong>tent en sons, en mots, en images,le mal <strong>de</strong> vivre contemporain, comme autant <strong>de</strong> coups<strong>de</strong> poing au cœur. Comme le dit un collègue : « Desactions <strong>culturelle</strong>s non désespérées dans un mon<strong>de</strong>désespérant 1 ».En résumé, le terrain <strong>de</strong>s pratiques artistiques liéesà l’engagement <strong>de</strong>s artistes constitue une <strong>de</strong>s assises<strong>de</strong> l’animation <strong>culturelle</strong> au Québec.ANIMATION CULTURELLE DANS LE CHAMPSOCIALParallèlement à l’espace <strong>de</strong> l’action <strong>de</strong> certainscréateurs ou collectifs d’artistes, se dégage dans lechamp social un autre creus<strong>et</strong>, où il est possible <strong>de</strong>comprendre l’animation <strong>culturelle</strong> comme processusd’expression redonnant tant aux individus qu’auxgroupes l’initiative <strong>culturelle</strong>, entendue comme lacapacité d’inventer <strong>de</strong>s réponses à une situation, <strong>de</strong>confirmer ou d’affirmer une i<strong>de</strong>ntité <strong>culturelle</strong>, <strong>de</strong>participer créativement à l’élaboration continue <strong>de</strong>s1 Charles Rajotte, « Pour une action <strong>culturelle</strong> non désespéréedans un mon<strong>de</strong> désespérant », Montréal, Universitédu Québec à Montréal, 2003.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 47


États <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l’animationmo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vie au quotidien <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’organisationsociopolitique. Une abondante littérature existe auQuébec sur l’animation sociale, l’organisationcommunautaire ou le développement social. À unautre niveau, <strong>de</strong> nombreux auteurs se sont penchéssur les mouvements sociaux, plus spécifiquement surle mouvement <strong>de</strong>s femmes <strong>et</strong> le mouvementcommunautaire autonome 1 .Moins étudiée, cependant, est la présence constante<strong>de</strong> l’action, animation <strong>culturelle</strong>. En eff<strong>et</strong>, la culturesert d’assise aux affirmations i<strong>de</strong>ntitaires diverses <strong>et</strong> àl’expérimentation <strong>de</strong> nouveaux liens sociaux. Il est, eneff<strong>et</strong>, <strong>de</strong> mise <strong>de</strong> noter la revalorisation grandissante<strong>de</strong>s cultures dites « populaires » <strong>et</strong> locales <strong>et</strong>l’accentuation du métissage culturel. La culture danssa dimension expressive sera une autre façon pourplusieurs groupes <strong>de</strong> personnes appauvries, <strong>de</strong> jeunes,<strong>de</strong> femmes, d’immigrantEs d’apparaître <strong>et</strong> <strong>de</strong> se fairevaloir dans l’espace public, en fait, d’élargir l’espace <strong>de</strong>la démocratie. Face au monopole, dans les débatspublics, <strong>de</strong> la stricte rationalité instrumentale, neutre,abstraite, face à l’univocité <strong>de</strong> la norme policée oùcalme est confondu avec objectivité, apparaîtrontl’émotion, le figuratif, le symbolique. Alors que lesublime <strong>et</strong> l’argumenté <strong>de</strong>meuraient la possessiond’une élite partageant le jugement <strong>de</strong> goût <strong>et</strong> lemonopole <strong>de</strong> la parole sans aucune obligation <strong>de</strong>justification, d’autres voix <strong>et</strong> images surgissent pourenfin donner libre cours à d’autres perspectivessituées. Il y aura théâtralisation <strong>de</strong> d’autres scènes dupolitique ne faisant plus fi <strong>de</strong>s inégalités structurelles,<strong>de</strong>s fortes différences <strong>culturelle</strong>s : actionsdérangeantes au cœur <strong>de</strong> la cité, comme les charivaris<strong>et</strong> les tintamarres, occupations <strong>de</strong> locaux <strong>et</strong> autreslieux, cortèges ; mais aussi <strong>de</strong>s actions à partird’assises symboliques originales : un jeûne à relaiscontre la misère, <strong>de</strong>s carrefours <strong>de</strong> savoirs, une nuit <strong>de</strong>veille appelée la « Nuit <strong>de</strong>s taons qui piquent ». LesexcluEs du regard, <strong>de</strong> la pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’actioninventent « <strong>de</strong>s mots pour le dire ». Par exemple, unregroupement pour les droits <strong>de</strong>s r<strong>et</strong>raitéEs suspenddans le hall du Parlement fédéral <strong>de</strong>s bannières <strong>et</strong> <strong>de</strong>sban<strong>de</strong>roles, sur lesquelles sont inscrites leurs<strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>ssinées leurs conditions <strong>de</strong> vie. Ungroupe <strong>de</strong> personnes appauvries établissent, pendanttrente jours, un « Parlement <strong>de</strong> la rue » siégeant dans<strong>de</strong>s caravanes garées à l’ombre <strong>de</strong> fortifications qui leséparent <strong>de</strong> l’Assemblée nationale du Québec, <strong>et</strong>proclament c<strong>et</strong> espace « zone libre d’oppression ». Desfemmes, actives dans un proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> réinsertion socialelié à un restaurant communautaire d’un quartierdéfavorisé, accompagnées d’une cinéaste <strong>et</strong> <strong>de</strong>musiciens <strong>de</strong> jazz <strong>et</strong> <strong>de</strong> rock, créent une comédiemusicale exposant leurs trajectoires, leurs rêves. Elles1. Au Québec, il s’agit <strong>de</strong> l’ensemble, relativement vaste <strong>et</strong>diversifié, <strong>de</strong>s organismes qui reposent sur la participation<strong>de</strong> la communauté <strong>et</strong> qui se développent en marge<strong>de</strong>s partis politiques <strong>et</strong> <strong>de</strong>s organisations syndicales surle terrain <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong> la consommation collective<strong>et</strong> <strong>de</strong> la participation citoyenne.écrivent les textes, inventent les sk<strong>et</strong>ches,interprètent leurs créations. Le film est d’abord àl’affiche d’un festival international du cinéma, puis ilsort sur les écrans commerciaux, en plus d’êtreproj<strong>et</strong>é comme outil d’animation, <strong>de</strong> débat surl’émergence <strong>de</strong> suj<strong>et</strong>s-acteurs-trices en mesure <strong>de</strong>mieux déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l’orientation <strong>de</strong> leur vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> celle<strong>de</strong> leur communauté, ayant transformé leur vécu enexpérience réfléchie.Servant à sortir <strong>de</strong> l’invisibilité <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’inaudibilité,moments aussi d’un agir concerté, les prises <strong>de</strong> parole,les expressions i<strong>de</strong>ntitaires utilisant les arts ne secomptent plus. Au cœur <strong>de</strong> la praxis sociale,l’animation <strong>culturelle</strong> prend la forme du théâtre, <strong>de</strong> lapoterie, du rap, du graphisme, <strong>de</strong> la peinture, <strong>de</strong> laban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée, <strong>de</strong> la fabrication <strong>de</strong> masques, dugraffiti, <strong>de</strong> l’art postal, <strong>de</strong> la poésie, <strong>de</strong> la vidéo…Expériences novatrices <strong>de</strong> citoyenn<strong>et</strong>é, ces pratiquespeuvent contribuer à élargir l’espace <strong>de</strong> la démocratie,à y faire entrer plus <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>, à pluraliser c<strong>et</strong> espacepolitique où se déci<strong>de</strong>nt, dans le conflit <strong>et</strong> par ladélibération, les paramètres toujours changeants duvivre-ensemble. De façon imagée, dans l’euphoried’une longue grève <strong>et</strong> d’une Nuit <strong>de</strong> la poésie tenue àl’université, <strong>de</strong>s étudiantEs d’<strong>Animation</strong> <strong>et</strong> <strong>recherche</strong><strong>culturelle</strong>s affirmaient, il y a déjà 24 ans, dans unManifeste, être interpelléEs par la culture « <strong>de</strong>sfemmes, bannières en main, <strong>de</strong>s vieillards journalistes,<strong>de</strong>s ouvriers écrivains, <strong>de</strong>s Indiens orateurs, <strong>de</strong>simmigrants poètes ».LE CREUSET DU LOISIR SOCIOCULTURELUne troisième source <strong>de</strong> l’animation <strong>culturelle</strong> auQuébec jaillit <strong>de</strong> la problématique <strong>et</strong> <strong>de</strong>s pratiques duloisir socioculturel. On connaît probablement dansl’histoire <strong>de</strong> l’animation, chez nous autant qu’enFrance <strong>et</strong> ailleurs, les relations souvent difficiles entreles <strong>de</strong>ux grands domaines <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong> : celui<strong>de</strong> la culture, c’est-à-dire <strong>de</strong>s arts <strong>et</strong> <strong>de</strong>s l<strong>et</strong>tres, lacréation <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong> l’esprit, <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> l’univers dusocioculturel, qu’un collègue, Franklin Midy, appelle« le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la culture au quotidien », l’univers <strong>de</strong> lacréativité <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’expressivité, le loisir récréatif,socioéducatif ou scientifique, la participation<strong>culturelle</strong> par les usages <strong>de</strong>s médias.Les loisirs culturels ou socioculturels se sontdéveloppés en marge <strong>de</strong>s principales institutions<strong>culturelle</strong>s, qui leur refusaient le prestige <strong>et</strong> lareconnaissance au fur <strong>et</strong> à mesure sociale. Rempli <strong>de</strong>lieux <strong>et</strong> d’organisations déjà structurés d’expériencesmultiples <strong>de</strong> réseautage <strong>et</strong> <strong>de</strong> concertation, <strong>de</strong>métho<strong>de</strong>s d’animation sociale <strong>et</strong> <strong>culturelle</strong>expérimentées dans les milieux <strong>de</strong> vie les plusdiversifiés, le loisir est <strong>de</strong>venu un haut lieu <strong>et</strong> untemps fort <strong>de</strong> la culture vécue 2 , un espace importantoù se côtoient <strong>et</strong> se confrontent les grands objectifs <strong>de</strong>démocratisation <strong>et</strong> démocratie <strong>culturelle</strong>.2. Id.48 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


L’action (ou animation) <strong>culturelle</strong> dans la Cité : État <strong>de</strong>s lieux au Québec,par Jocelyne LamoureuxEN CONCLUSIONLa brève exploration, à laquelle nous venons <strong>de</strong>procé<strong>de</strong>r, a cherché à r<strong>et</strong>rouver, parmi une panoplied’espaces potentiels, trois sources, ou filons, qui ontalimenté, <strong>et</strong> qui alimentent encore, le vaste champ <strong>de</strong>l’action <strong>culturelle</strong>, <strong>de</strong> l’animation <strong>culturelle</strong>proprement dite, au Québec. Et <strong>de</strong> souligner que c<strong>et</strong>te<strong>de</strong>rnière peut être une pratique profondémentdémocratique. Ce qu’il faudrait approfondir, c’estqu’au-<strong>de</strong>là d’une attention aux formes <strong>de</strong> dominationou d’exclusion symboliques <strong>et</strong> <strong>culturelle</strong>s, qui sontautant <strong>de</strong> marqueurs sociaux, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s innovations<strong>et</strong> résistances, on ne peut accepter <strong>de</strong> provocation oud’interrogation <strong>de</strong> la culture qu’à partir d’une autreposition <strong>de</strong> sens. Un débat sur ce que nous croyonsêtre une pluralité <strong>de</strong> sens <strong>et</strong> sur les pratiquesd’animation <strong>culturelle</strong> les plus interpellantes serait lebienvenu au Québec. Il y a tant <strong>de</strong> manières <strong>de</strong>perm<strong>et</strong>tre l’expression, d’éduquer, <strong>de</strong> diversifier,d’éviter les canons figés <strong>et</strong> les orthodoxies <strong>de</strong> toutessortes, <strong>et</strong>, surtout, <strong>de</strong> stimuler le débat <strong>et</strong> la critique.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 49


Paroles singulièresParoles singulières« Sainement folles <strong>et</strong> follementsaines »,par Mariano AlgavaL’expérience d’Éducation populaire à l’Université populaireMères <strong>de</strong> Place <strong>de</strong> MaiDocument préparé par l’équipe d’Éducation populaire <strong>de</strong>l’Université <strong>de</strong> Mères <strong>de</strong> Place <strong>de</strong> maiL’expérience d’Éducation populaire que noussommes en train <strong>de</strong> construire, il faut la comprendre,en premier lieu, comme <strong>de</strong>s pratiques insérées dans unprocessus historique.En Argentine est en train <strong>de</strong> se produire unchangement dans la corrélation <strong>de</strong>s forces. Pendantplus <strong>de</strong> trente ans, un fort avancement <strong>de</strong>s forcesnéolibérales s’est imposé sur le champ populaire. […]Une défaite du peuple, qui nous a laissé 30 000hommes <strong>et</strong> femmes disparues, <strong>de</strong>s bébés volés, <strong>de</strong>milliers <strong>de</strong> torturés <strong>et</strong> d’autres milliers <strong>de</strong> morts <strong>et</strong>exilés, le saccage compl<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’État (vente <strong>de</strong> tous lesactifs <strong>et</strong> <strong>de</strong> toutes les entreprises stratégiques qui fontsa souverain<strong>et</strong>é : pétrole, voies ferrées, poste,téléphones, prévision sociale, r<strong>et</strong>raites, <strong>et</strong>c.). Plus <strong>de</strong> lamoitié <strong>de</strong> la population vivant dans la pauvr<strong>et</strong>é, <strong>de</strong>smillions <strong>de</strong> sans-emploi, <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> morts à cause<strong>de</strong> la faim, <strong>de</strong> maladies pourtant guérissables <strong>et</strong> <strong>de</strong> larépression. C’est avec une rare violence que s’estinstallée l’impunité <strong>de</strong> tous les responsables <strong>de</strong> c<strong>et</strong>teviolence <strong>et</strong> que s’est développé un niveau <strong>de</strong>corruption sans précé<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la classe dominante <strong>et</strong>que l’assaut du marché <strong>et</strong> du capital a été lancé contreles droits <strong>de</strong> travailleurs, <strong>de</strong>s enfants <strong>et</strong> les droitshumains fondamentaux. Mais c’est sur les plansculturels <strong>et</strong> subjectifs où la culture dominante apénétré l’âme populaire. […]Le mouvement populaire y a perdu son i<strong>de</strong>ntité, sonauto-estime <strong>de</strong> lui-même, ses références <strong>et</strong> son espoir.La peur, le manque <strong>de</strong> confiance <strong>et</strong> la fragmentationont été, entre beaucoup d’autres, <strong>de</strong>s obstaclesqu’encore aujourd’hui nous avons <strong>de</strong> la difficulté àdépasser.Cependant, il y en a […] qui n’ont pas cédé, quin’ont pas reculé <strong>et</strong> qui ont continué le rêve d’unesociété nouvelle <strong>et</strong> vraiment juste. Des rêves <strong>et</strong> <strong>de</strong>sluttes sont <strong>de</strong>venues <strong>de</strong>s réalités dans la décennie <strong>de</strong>sannées 70, mais elles sont restées inachevées […].Les mères <strong>de</strong> Place <strong>de</strong> mai, reprenant les mêmesrêves que leurs enfants, ont été <strong>et</strong> sont aujourd’hui laflamme que l’assaut du capitalisme n’a pas su éteindre.Toujours, grâce à la résistance <strong>et</strong> la créativité misesen jeu dans les luttes, elles ont allumé le chemin <strong>de</strong>générations nouvelles. Prenant à leur compte, le titreavec lequel l’ennemi les avait caractérisées, « les folles<strong>de</strong> Place <strong>de</strong> mai », elles ont rêvé <strong>de</strong> folies avec effort,décision <strong>et</strong> pas lents <strong>et</strong> se sont mise en marche. Ainsi,elles ont rêvé à une Université Populaire <strong>de</strong> lutte <strong>et</strong><strong>de</strong> résistance qui puisse assumer la bataille <strong>culturelle</strong>contre le système hégémonique.Quand les Mères <strong>de</strong> Place <strong>de</strong> mai affirment lasocialisation <strong>de</strong> la maternité, elles questionnent lesens commun bourgeois qui considère la famille dansle domaine du privé, <strong>et</strong> l’acte <strong>de</strong> la maternité commeun fait strictement individuel. […] Chaque jeudi, <strong>et</strong>cela <strong>de</strong>puis 26 ans, elles continuent à marcher sur laPlace <strong>de</strong> mai. Il s’agit là d’une contributionfondamentale dans le champ <strong>de</strong>s apports politicopédagogiques<strong>de</strong>s mouvements sociaux <strong>et</strong> populaires.Elles ont appris, comme elles insistentréitérativement, du patrimoine <strong>de</strong> leurs enfants, <strong>et</strong>maintenant elles proj<strong>et</strong>tent c<strong>et</strong> apprentissage dans unnouvel effort pédagogique. politique <strong>et</strong> <strong>culturelle</strong> : lacréation <strong>de</strong> l’Université Populaire <strong>de</strong> Mères <strong>de</strong> Place<strong>de</strong> mai.L’Université a ouvert ses portes le 6 avril 2000.[…]Dans ces <strong>de</strong>rniers années, l’accumulation <strong>de</strong> forcesdans le champ populaire, l’écœurement face auxmodifications dictées par le FMI, exécutées <strong>de</strong> façonsuiviste par tous les pouvoirs, chacun à leur tour, lecynisme <strong>de</strong>s politiciens du système, la faim, lasouffrance, <strong>et</strong>c. ont cumulé en 2001 avec la rébellionpopulaire du 19 <strong>et</strong> 20 décembre, qui a marqué unpoint d’inflexion dans notre histoire. Ces journées sesont caractérisées par un cri collectif : « que tout lemon<strong>de</strong> parte », <strong>et</strong> un « Non » à la résignation <strong>et</strong> à lapeur instaurées par la dictature militaire. C<strong>et</strong>terébellion s’est soldée par 30 morts. […] Mais,essentiellement, c<strong>et</strong>te rébellion a provoqué un grandimpact dans la subjectivité <strong>de</strong>s Argentins <strong>et</strong>Argentines, vainquant l’immobilité <strong>et</strong> la peur […]face à une oppression qui a laissé une trace, unemarque essentielle comme registre historique, commemémoire <strong>et</strong> comme proj<strong>et</strong>. Les défis <strong>et</strong> les rêves ontresurgi à nouveau avec <strong>de</strong>s espoirs renouvelés afin <strong>de</strong>transformer la réalité.L’apparition <strong>et</strong> le renforcement <strong>de</strong>s Mouvements <strong>de</strong>travailleurs-chômeurs, <strong>de</strong>s Assemblées populaires <strong>de</strong>quartiers, du mouvement <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong>susines <strong>et</strong> <strong>de</strong> la production par les ouvriers, <strong>de</strong>sgroupes <strong>de</strong> contre-information, <strong>de</strong> collectifs d’artistespopulaires avec une avidité <strong>de</strong> participation <strong>et</strong> <strong>de</strong>création <strong>de</strong> formes alternatives <strong>de</strong> lutte <strong>et</strong> <strong>de</strong>survivance, témoignent <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong>s conditionssubjectives d’oppression <strong>et</strong> <strong>de</strong> la pensée unique,imposée par le capitalisme <strong>et</strong> le marché. De nouvellesexpressions <strong>et</strong> d’actions sur la réalité sont apparues :les « escraches », sortes <strong>de</strong> «scratchs» alternatifscontre l’impunité pour démasquer les assassins […](photos, adresses <strong>et</strong> téléphones <strong>et</strong> accusations contreles responsables affichés partout), les piqu<strong>et</strong>s« piqu<strong>et</strong>eros », les « cacerolazos », les récupérationsd’usines, les assemblées, les initiatives productivesautonomes <strong>et</strong> plusieurs autres formes d’expression, <strong>de</strong>50 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


« Sainement folles <strong>et</strong> follement saines »,par Mariano Algavasubsistance <strong>et</strong> <strong>de</strong> protestation connaissent aujourd’huiun nouveau développement. Celles <strong>et</strong> ceux qui lesmènent à terme, sont les nouveaux suj<strong>et</strong>s historiques,avec lesquels nous nous trouvons en train <strong>de</strong>travailler en Éducation populaire. […]Dans un atelier avec <strong>de</strong>s représentants dumouvement <strong>de</strong>s piqu<strong>et</strong>eurs <strong>et</strong> <strong>de</strong>s assemblées <strong>de</strong>susines récupérées, nous avons i<strong>de</strong>ntifié entre autresobstacles, la culture <strong>de</strong> ce système capitaliste que nousavons tous introj<strong>et</strong>ée : l’individualisme, l’égoïsme, ladifficulté à travailler en groupe, l’humiliation <strong>de</strong>s donsofficiels, […] la difficulté à assumer <strong>de</strong>sresponsabilités, la drogue <strong>et</strong> l’alcool chez les jeunes, laculpabilité à cause <strong>de</strong> la situation <strong>de</strong> pauvr<strong>et</strong>é. Lamisère atroce, le manque <strong>de</strong> nourriture produisent ledésespoir, la honte, la difficulté à s’exprimer, la peur<strong>de</strong> parler, les préjugés, <strong>et</strong>c. […]Nous avons aussi i<strong>de</strong>ntifié entre autres défis :récupérer, reconstruire la culture du travail,construire <strong>de</strong> nouvelles formes <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> la politique,viser la transformation <strong>de</strong> chacun, politiserl’éducation. […] Le défi <strong>de</strong> l’éducation populaire estqu’elle ne se limite pas à m<strong>et</strong>tre les gens en cercle <strong>et</strong>faire <strong>de</strong> choses amusantes avec <strong>de</strong>s techniques maisqu’elle soit une conception libératrice. […].Dans c<strong>et</strong>te dynamique, nous incluons les apports <strong>de</strong>celui qui nous inspire d’après son expérience <strong>et</strong> sesécrits. Nous parlons <strong>de</strong> Paulo Freire.Freire proposait une pédagogie fait <strong>de</strong> rage,d’indignation <strong>et</strong> d’espoir […]. Sa « pédagogie <strong>de</strong>l’opprimé » était une pédagogie émancipatrice <strong>et</strong> nonune proposition éducative <strong>de</strong> domestication <strong>de</strong>sagressés par le système.[…]Freire nous disait : « Nous ici comme éducateurs <strong>et</strong>éducatrices, ou nous sommes un p<strong>et</strong>it peu fous ounous ne ferons rien. […] : Si, pourtant, nous étionsseulement fous, nous ne pourrions rien faire non plus.Si on était seulement sains, nous ne ferions rien nonplus. Il y a seulement un chemin pour faire quelquechose, c’est d’être « sainement fou ou follement sain ».[…]C’est à partir <strong>de</strong> la saine folie <strong>de</strong>s Mères <strong>de</strong> la Place<strong>de</strong> Mai, <strong>de</strong> Freire <strong>et</strong> <strong>de</strong> tellement <strong>de</strong> fous <strong>et</strong> <strong>de</strong> follesque nous nous proposons <strong>de</strong> transformer la réalité.Nous trouvons dans l’Éducation populaire un outil quinous mobilise perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> concrétiser lechangement rêvé. C’est une conception <strong>de</strong> la vie quidéfie aussi bien l’individuel que le milieu public <strong>et</strong> quinous amène à lutter <strong>et</strong> à construire jour après jour <strong>de</strong>nouvelles relations sociales.Prenant appui sur les multiples stratégies <strong>de</strong>survivance, <strong>de</strong> résistance <strong>et</strong> <strong>de</strong> lutte, nous convoquons<strong>et</strong> rendons propice le dialogue, l’échanged’expériences, l’exposition <strong>de</strong>s défis, <strong>et</strong> la visualisation<strong>de</strong>s obstacles, la contention face aux adversités, lapensée dialectique, l’humanisation <strong>de</strong>s relations,l’inclusion du corps, la récupération du rire dans lemilitantisme <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’espoir dans le changement, <strong>et</strong>c. Ils’agit là <strong>de</strong> la systématisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’élaboration <strong>de</strong>matériaux perm<strong>et</strong>tant l’accumulation <strong>de</strong>s forces, <strong>de</strong>spensées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s expériences, l’articulation avecl’histoire <strong>et</strong> avec la théorie […] pour transformer laréalité quotidienne <strong>et</strong> la société.Nous sommes en train <strong>de</strong> travailler sur les courshebdomadaires <strong>de</strong> l’Université, dans ce qui s’estconstitué comme les « étu<strong>de</strong>s en Éducationpopulaire » : <strong>de</strong>ux ans <strong>de</strong> formation basées sur laconception <strong>et</strong> pratiques d’Éducation populaire […] àtravers <strong>de</strong>s ateliers, <strong>de</strong>s groupes d’étu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>spublications d’ouvrages <strong>de</strong> systématisation <strong>de</strong>s luttes<strong>et</strong> <strong>de</strong>s expériences que nous développons. Parmi lesateliers réalisés entre autres suj<strong>et</strong>s : la santé <strong>et</strong>l’éducation populaire, l’éducation formelle <strong>et</strong>l’éducation populaire, genre <strong>et</strong> sexualité, Mouvement<strong>de</strong> piqu<strong>et</strong>eurs, assemblées <strong>et</strong> usines récupérées,éducation populaire <strong>et</strong> pouvoir populaire, jeu <strong>et</strong>éducation populaire, marionn<strong>et</strong>tes <strong>et</strong> éducationpopulaire, alphabétisation <strong>et</strong> éducation populaire, <strong>et</strong>c.Un autre espace <strong>de</strong> travail est le Réseau nationald’Éducateurs populaires où, dans une rencontrenationale, nous échangeons <strong>de</strong>s expériences avecd’autres secteurs en lutte du pays qui travaillent àpartir <strong>de</strong> l’Éducation populaire.Nous organisons <strong>de</strong>s ateliers <strong>et</strong> <strong>de</strong>s processus […]<strong>de</strong> formation avec <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> personnes quiappartiennent à divers autres secteurs : avec diverssecteurs <strong>de</strong> l’Église, avec <strong>de</strong>s regroupementsd’enseignants, <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> femmes, avec <strong>de</strong>sétudiants <strong>de</strong> divers domaines d’étu<strong>de</strong> universitaires,avec <strong>de</strong>s organisations dédiées à la communication,<strong>et</strong>c. Le dialogue avec ces pratiques provoque unenrichissement continuel <strong>de</strong>s savoirs qui se forment,en partie, issus <strong>de</strong> la conception d’Éducation populaireque nous sommes en train <strong>de</strong> construire, en particulierles apports fondamentaux reliés aux expériences <strong>de</strong>lutte <strong>de</strong>s femmes <strong>et</strong> du débat sur les genres <strong>et</strong> lasexualité. Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong>speuples originaires qui résistent <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> 500ans <strong>et</strong> qui constitue un exemple patent <strong>de</strong>l’intransigeance <strong>culturelle</strong> <strong>et</strong> celle <strong>de</strong>s mouvements<strong>de</strong>s chômeurs ou piqu<strong>et</strong>eurs, ainsi que celle d’usinesrécupérées <strong>et</strong> gérées par les ouvriers.Nous sommes aussi en train <strong>de</strong> développer uneexpérience d’un jardin d’enfants (maternelle) quiessaye <strong>de</strong> favoriser une pédagogie contrehégémoniqu<strong>et</strong>out en restant à l’intérieur du système formel. Àl’évi<strong>de</strong>nce, il s’agit d’une bataille ardue que nous nevenons que d’amorcer.Le changement que la société argentine a fait àpartir <strong>de</strong> la rébellion du 19 <strong>et</strong> 20 décembre 2001, aentraîné la nécessité <strong>de</strong> développer une penséecritique <strong>et</strong> <strong>de</strong> favoriser la créativité dans les luttes[…]. Il y a là nécessité <strong>de</strong> chercher <strong>de</strong>s alternatives àla pensée unique <strong>et</strong> <strong>de</strong> construire collectivement <strong>de</strong>nouvelles valeurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> nouvelles subjectivités. Il y aeu une émergence <strong>de</strong> l’espoir <strong>et</strong> un éveil <strong>de</strong>s rêves, quiont constitué l’amorce d’un séminaire annuel qui,quatre ans plus tard, converge aujourd’hui dans uneCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 51


Paroles singulièresformation <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans, avec un groupe <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>année <strong>et</strong> trois groupes <strong>de</strong> première année formant unepopulation <strong>de</strong> 200 étudiants.L’éducation populaire est une pédagogie <strong>de</strong>l’opprimé <strong>et</strong> non pour l’opprimé. Elle est uneéducation populaire <strong>et</strong> non pour le peuple. Quandnous parlons du populaire, nous faisons référence à unSUJET qui construit le proj<strong>et</strong> politique pédagogiquequi mène à son émancipation. C’est populaire, nonparce que ce sera reçu par les opprimés comme unedonation ou comme une pratique qui les soum<strong>et</strong>, maisparce que ce seront les opprimés que la feront eni<strong>de</strong>ntifiant les oppresseurs <strong>et</strong> en trouvant les formes <strong>et</strong>les contenus pour la lutte <strong>de</strong> libération.Nous ne nous proposons pas « l’humanisation ducapitalisme ». Nous écartons l’assistencialisme, nousne sommes pas d’accord avec les politiques <strong>de</strong>s ONGfinancés par la Banque mondiale <strong>et</strong> ses planshypocrites <strong>de</strong> soulagement <strong>de</strong> la pauvr<strong>et</strong>é. Nousconstruisons l’autonomie, nous marchons vers lalibération, vers l’abolition <strong>de</strong> tout genre d’oppression :l’oppression économique, subjective, celle du genre,<strong>culturelle</strong>, quotidienne, que souvent nous-mêmesreproduisons. Nous voulons révolutionner la sociétéen révolutionnant les relations interpersonnelles.Nous voulons révolutionner la vie quotidienne, à lamaison, dans les écoles, au travail, à l’église, nousvoulons « nous » révolutionner.[…]Nous fondons notre praxis sur la conviction <strong>de</strong> qu<strong>et</strong>oute action est une action politique, <strong>et</strong> comme tellerépond à un modèle <strong>de</strong> société.Ce modèle <strong>de</strong> société que nous envisageons, nousl’avons à peine esquissé, mélange d’utopies <strong>et</strong> <strong>de</strong> rêveavec quelques fortes convictions qui se relient avecl’éthique <strong>et</strong> l’humain. C<strong>et</strong>te ouverture nous perm<strong>et</strong> ledialogue avec une diversité d’idées <strong>et</strong> <strong>de</strong> secteurs aveclesquels nous partageons ces convictions éthiques <strong>et</strong>avec lesquels nous nous construisons <strong>de</strong> nouveauxespaces. C<strong>et</strong>te ouverture nous perm<strong>et</strong> aussi le « jeu ».Récemment, nous avons fait un atelier qui s’estappelé « La Educación Popular es abrir la puerta parair a jugarse » (N. du T : cela fait référence à unechanson d’enfant qui dit : « ouvrir la porte pour allerjouer ». Le changement proposé est dans le mot« jouer » où il est proposé « <strong>de</strong> se jouer », ce quisignifierait se lancer, risquer, oser) « L’Éducationpopulaire ouvre la porte pour aller se jouer, pourrisquer ». Nous avons articulé <strong>et</strong> donné un sens au jeudans l’optique <strong>de</strong>s opprimés à la <strong>recherche</strong> <strong>de</strong> lalibération. Nous avons revalorisé le jeu dans lestravaux académiques. […] Le fait <strong>de</strong> découvrir <strong>et</strong> <strong>de</strong>nous découvrir, […] dans <strong>de</strong>s matricesd’apprentissage nouvelles, <strong>de</strong> s’ouvrir à laconstruction <strong>de</strong> nouvelles relations, <strong>de</strong> nouveauxsavoirs, <strong>de</strong> nouvelles subjectivités constitue un défi <strong>de</strong>risque. Cela <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> démonter quelque chose pourpouvoir remonter autre chose. C’est une aventure, enfait, il s’agit d’un vrai jeu.C<strong>et</strong>te approche avance sur <strong>de</strong>s terrains incertains <strong>et</strong>produit <strong>de</strong>s ruptures dans les catégorisations établies,donnant <strong>de</strong> nouveaux sens, sens qui contestent l’ordreinstitué <strong>et</strong> qui proposent un nouveau terrain <strong>de</strong> jeu <strong>et</strong><strong>de</strong>s nouveaux joueurs-constructeurs.C<strong>et</strong>te tension que l’on r<strong>et</strong>rouve dans l’avancementvers l’inconnu, c’est une tension ludique, l’aventure <strong>de</strong>re-symboliser <strong>de</strong>s aspects <strong>de</strong> la réalité. C<strong>et</strong>te tensionest chargée d’une jouissance qui n’appartient qu’auxexpériences <strong>de</strong> jeu d’enfants, quand par exemple unmanche à balai <strong>de</strong>vient un cheval […]. Dans ce va <strong>et</strong>viens ludique, la réalité s’insinue inépuisable <strong>et</strong>suggère <strong>de</strong>s infinités <strong>de</strong>s possibilités.Ce « se lancer, risquer » (jugarse) est à prendre dansle sens <strong>de</strong> se rendre disponible, ouvert à laconfrontation d’idées, <strong>de</strong> se laisser transformer par <strong>et</strong>avec les autres <strong>et</strong> dans ce « se transformer »transformer <strong>de</strong>s aspects <strong>de</strong> la réalité, constitue unimmense risque, une option <strong>et</strong> une attitu<strong>de</strong> politiques,une position éthique qui instaure une nouvelleéthique.Quant à la forme, nous privilégions le travail engroupe en rupture totale avec l’espace du groupe vuen rangées, où tous les regards dirigés vers lecoordonnateur […] sont ceux <strong>de</strong> récepteurs passifsavec la bouche ouverte […]. Il y a un changementqualitatif dans le processus <strong>de</strong> communication car onpasse <strong>de</strong> la transmission au dialogue.[…] Il s’agit d’une conception du processusd’apprentissage où le savoir « se construit » <strong>et</strong> n’estpas « déposé » dans un endroit, dans une personne.Le groupe a un savoir donc il a un pouvoir. Lepouvoir que lui donne son savoir, c’est un pouvoir <strong>de</strong>protagoniste <strong>et</strong> <strong>de</strong> participant. La notion <strong>de</strong>participation est par le fait même radicalementtransformée. Participer ne signifie pas qu’être là,constituer une bonne assistance, se contenter <strong>de</strong>parler. La participation que nous favorisons est celled’une implication à la construction d’un savoircollectif. […].[…]QUELS ÉLÉMENTS INCORPOREL’ÉDUCATION POPULAIRE POUR CRÉERUNE CONTREHÉGÉMONIE ? 11. Une place est donnée à la subjectivité dans lalutte libératrice.[…] Nous sommes en train <strong>de</strong> penser à unepolitique <strong>de</strong> formation <strong>et</strong> <strong>de</strong> militants qui lieactivement les idées du changement avec lessentiments <strong>et</strong> les convictions. Ceci nécessite d’êtreplus conscient <strong>de</strong> la dimension historique <strong>de</strong> lasubjectivité dans la lutte libératrice qui embrasse nonseulement la création <strong>de</strong> liens solidaires essentiels1 Le développement <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te interrogation appartient àl’article <strong>de</strong> Claudia Korol, « Éducation populaire : Action<strong>culturelle</strong> pour la liberté » du mai 200152 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


« Sainement folles <strong>et</strong> follement saines »,par Mariano Algavapour la constitution d’un bloc historique, mais aussi laconstitution d’une i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> résistance que favorisela reconnaissance <strong>de</strong> ceux qui subissent l’oppression<strong>de</strong> diverses manières, non seulement celle qui segénère dans l’exploitation économique, mais aussi lesdiverses modalités par lesquelles s’exerce ladomination. Il est indispensable que la bataille pour lacréation d’une nouvelle conscience soit accompagnéepar une ouverture à <strong>de</strong> nouveaux sentiments, à <strong>de</strong>nouvelles sensibilités perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> dépasser lesrigidités que la culture <strong>de</strong> domination a introj<strong>et</strong>éesdans le savoir populaire <strong>et</strong> même dans lesorganisations révolutionnaires. Ceci nécessite uneffort systématique pour déterrer <strong>de</strong> nos relationspersonnelles, <strong>et</strong> dans la vie <strong>de</strong> nos organisations, lesenkystements autoritaires, bureaucratiques, lespratiques machos, toutes les formes <strong>de</strong> discrimination<strong>de</strong> la diversité idéologique, <strong>et</strong>hnique, sexuelle,religieuse.2. La sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong> la pensée dialectiqueLa proposition d’éducation populaire que nousassumons se fon<strong>de</strong> su la métho<strong>de</strong> dialectique avec sacapacité d’analyser le mouvement <strong>de</strong> la société, <strong>de</strong>sidées, dans leurs contradictions, dans leurinachèvement. C<strong>et</strong>te pensée perm<strong>et</strong> d’agir sur lestendances émergentes <strong>et</strong> <strong>de</strong> favoriser tout ce qu’ellesont <strong>de</strong> favorable aux intérêts <strong>et</strong> aux besoinspopulaires. En même temps, le développement d’unepensée dialectique est inhérent à la possibilité <strong>de</strong>révolutionner les pratiques transformatives, quiseraient immobilisées selon ceux qui préten<strong>de</strong>ntm<strong>et</strong>tre un point final à l’histoire.3. La systématisation <strong>de</strong> la relation pratiqu<strong>et</strong>héorie-pratiqueDans l’expérience d’éducation populaire que noussommes en train <strong>de</strong> développer, nous partons <strong>de</strong> lapratique sociale <strong>de</strong>s groupes sociaux dans leur <strong>de</strong>venirhistorique pour, à partir <strong>de</strong> là, interpeller la théorie <strong>et</strong>l’enrichir par les apports qui proviennent <strong>de</strong> c<strong>et</strong>tepraxis. L’objectif <strong>de</strong>s processus éducatifs dans notreexpérience au fur <strong>et</strong> à mesure <strong>de</strong> leur réalisation est,justement, la transformation <strong>de</strong> la pratique. Et c’estc<strong>et</strong>te pratique qui, en r<strong>et</strong>our, favorise peu à peu lacréation collective <strong>de</strong> connaissances indispensablespour le développement <strong>de</strong> la théorie.Si nous considérons la pratique sociale comme point<strong>de</strong> départ du processus éducatif, nous ne référons pasce concept à la pratique immédiate <strong>de</strong>s groupes mais àune « praxis », c’est-à-dire, à l’expérience historique<strong>de</strong> l’humanité <strong>et</strong> à la réflexion faite sur elle […].Nous débattons, dans ce sens, avec les courants <strong>de</strong>l’Éducation populaire que restreignent le concept <strong>de</strong>pratique à l’expérience exclusive du groupe en tantque protagoniste dans le processus éducatif.Ces approches entraînent […] une survalorisationdu cumul du mouvement populaire en le rattachantpolitiquement avec <strong>de</strong>s visées populistes <strong>et</strong>réformistes. Nous discutons simultanément avec <strong>de</strong>scourants <strong>de</strong> gauche qui ont considéré l’idéologiecomme point <strong>de</strong> départ du processus <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>ses militants qui les ont conduits dans plusieurs cas àune théorie éloignée <strong>de</strong>s pratiques alimentant ledogmatisme <strong>et</strong> le sectarisme en politique.4. Une conception démocratique <strong>de</strong> la créationcollective <strong>de</strong> la connaissance.C<strong>et</strong>te conception abolit le clivage établissant quedans un lieu se situe le savoir <strong>et</strong> dans l’autre,l’ignorance. Dans la pratique éducative, nous essayonsnon seulement <strong>de</strong> reproduire <strong>de</strong>s connaissances, maisaussi <strong>de</strong> créer <strong>de</strong> nouveaux savoirs. La remise enquestion <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te approche tellement enracinée dansl’éducation traditionnelle rend possible une pratiquedésaliénante […].. La création collective <strong>de</strong>connaissances, dans un mon<strong>de</strong> caractérisé par lafragmentation, c’est le chemin le plus sûr pourrenverser le r<strong>et</strong>ard causé, dans la penséerévolutionnaire, par l’impact du dogmatisme, <strong>de</strong>l’académisme ou par le mépris <strong>de</strong> la théorie. C<strong>et</strong>teconception est nécessaire à une meilleurecompréhension <strong>de</strong> la réalité qu’on veut changer, à lapossibilité <strong>de</strong> générer <strong>de</strong>s nouveaux processus <strong>de</strong>systématisation <strong>de</strong>s expériences <strong>de</strong>s mouvementspopulaires qui puissent dialoguer avec les sciencessociales, à la <strong>recherche</strong> d’une contre-offensiveidéologique du mouvement révolutionnaire dans cesiècle qui commence.5. La place <strong>de</strong> la vie quotidienne dans latransformation <strong>de</strong> la subjectivité du mouvementrévolutionnaire <strong>et</strong> populaire.Ce milieu, celui <strong>de</strong> la vie quotidienne, où se formentles valeurs <strong>et</strong> les idées motrices <strong>de</strong>s êtres humains, aété méprisé ou mal assumé par les organisationspolitiques. Pourtant, tous les facteurs du pouvoiragissent sur la vie quotidienne. C’est indispensableque dans les expériences d’éducation populaire,participant <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>s d’organisation <strong>de</strong>smouvements populaires, nous puissions abor<strong>de</strong>rl’ensemble <strong>de</strong>s dimensions qui affectent nonseulement la survivance <strong>de</strong>s acquis, mais aussi lacréation d’une nouvelle vie, école quotidienne <strong>de</strong>construction <strong>de</strong> nouvelles relations sociales dans lesfamilles, dans les groupes, dans les mouvements […].6. Une pédagogie différente en contenu <strong>et</strong> enforme.C’est une pédagogie du dialogue <strong>et</strong> non du discoursmonolithique ; <strong>de</strong> la question <strong>et</strong> non <strong>de</strong>s réponsespréétablies. C’est une pédagogie qui concerne legroupe <strong>et</strong> la solidarité, face à celles que reproduisentl’individualisme <strong>et</strong> la compétition. C’est une pédagogie<strong>de</strong> la liberté face à celles qui renforcent l’aliénation ;<strong>de</strong> la démocratie face à celles <strong>de</strong> l’autoritarisme ; <strong>de</strong>l’espoir, face à celles qui affirment le fatalismehistorique. […] C’est une pédagogie <strong>de</strong> la sensibilité,<strong>de</strong> la tendresse, face à celles qui enseignentl’agressivité <strong>et</strong> la loi du plus fort comme chemin àl’intégration dans le capitalisme sauvage. C’est uneCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 53


Paroles singulièrespédagogie qui incorpore les sentiments, les intuitions,le vécu, impliquant dans le processus <strong>de</strong> laconnaissance l’ensemble du corps. Pour cela, elle faitappel, comme dimension essentielle du processusd’apprentissage, à l’art, au jeu, au psychodrame, <strong>et</strong> aucontact direct avec les expériences pratiques produitesdans la vie sociale.7. La récupération <strong>de</strong> ce qui concerne le groupedans la pratique pédagogiqueCeux-ci ont été <strong>de</strong>s temps spécialement complexespour la formation <strong>et</strong> constitution <strong>de</strong> groupes. L’impactdésagrégé <strong>de</strong> la culture du capitalisme a affecté lesliens <strong>de</strong> solidarité, <strong>de</strong> confiance, <strong>et</strong> la possibilitéd’affirmation <strong>de</strong>s efforts collectifs. Pour c<strong>et</strong>te raison, ilest nécessaire d’avancer dans l’intégration <strong>de</strong>sapproches d’Enrique Pichon Rivière dans l’expérienced’éducation populaire, afin <strong>de</strong> consoli<strong>de</strong>r les aspectsque font à la dynamique <strong>de</strong>s groupes, aux rôles, <strong>et</strong> à saplace dans les processus d’apprentissage, ainsi qu’àune meilleure compréhension <strong>de</strong>s êtres humains <strong>et</strong> <strong>de</strong>la place <strong>de</strong> la vie quotidienne dans la création <strong>de</strong> lasubjectivité.Il est remarquable <strong>de</strong> constater les multiples points<strong>de</strong> rencontre produits entre la pensée <strong>de</strong> Paulo Freire<strong>et</strong> celle <strong>de</strong> Pichon Rivière, ainsi que la confluence <strong>de</strong>sréflexions qui découlent <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong> l’éducationpopulaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> la psychologie sociale. La position dusuj<strong>et</strong> comme noyau du processus d’apprentissage, lavalorisation <strong>de</strong> la praxis historique comme fon<strong>de</strong>ment<strong>de</strong> ce suj<strong>et</strong>, l’analyse dialectique du mouvementhistorique, l’attention aux relations d’hégémonie quis’établissent dans la société <strong>et</strong> qui agissent dans laconstitution <strong>de</strong> la subjectivité, l’analyse <strong>de</strong> la viequotidienne, ce sont-là autant <strong>de</strong> thèmes qui, saisisavec différents outils <strong>et</strong> à partir <strong>de</strong> divers champs,produisent pourtant une rencontre théorique <strong>et</strong>pratique que peut être extrêmement fertile pour lalutte organisée <strong>de</strong>s mouvements populaires.Nous sommes dans un nouveau moment historique.Les mouvements populaires ont constaté, à partir <strong>de</strong>leur propre expérience, quel « désordre » le nouvelordre mondial leur prom<strong>et</strong>. Ils ont déjà fait les frais ducapitalisme du XXI e siècle. Aussi peuvent-ils déjàregar<strong>de</strong>r quel est l’horizon à venir : l’exclusion <strong>de</strong>smajorités, la déshumanisation en croissance. Il y a unnouvel espace pour l’action pédagogique populaire.Ceci nous oblige à multiplier nos initiatives, avecl’apport conjoint d’autres efforts, à l’inventioncollective d’une culture antagoniste à celle quisoutient la domination, au questionnement <strong>de</strong>l’ensemble <strong>de</strong> valeurs que reproduit le capitalisme, à lacréation d’un nouveau genre <strong>de</strong> relations entre lesmilitants qui aujourd’hui font partie <strong>de</strong> la résistance, àla création d’une culture <strong>de</strong> solidarité, <strong>de</strong> rébellion, <strong>de</strong>résistance.Dans c<strong>et</strong>te perspective nous aspirons à contribuer àla gestation d’organisations qui reflètent, dans laconstruction actuelle, le genre <strong>de</strong> société pour laquellenous luttons. Nous continuons à naviguer dans <strong>de</strong>sp<strong>et</strong>ites embarcations, contre le courant. Mais nousallons avec plus <strong>de</strong> confiance. Il y a une culturepopulaire <strong>de</strong> résistance qui peut nourrir les nouvellesrébellions. Dans c<strong>et</strong>te direction, allant une fois encoredu sud au sud, nous aspirons non pas à arriver, ni nonplus à atteindre un port sûr, mais à continuer <strong>de</strong>l’avant avec nos rêves déployés.Synthèse d’une entrevueélectronique avec Alfredo Astorga,par Simón Bolivarprofesseur associé à l’Université Andine, Quito, ÉquateurAlfredo Astorga est un pédagogue <strong>de</strong> formation quivient du secteur <strong>de</strong> l’éducation institutionnelle <strong>de</strong>senfants <strong>et</strong> <strong>de</strong>s jeunes, étant donné qu’en Équateur, àl’époque, il n’y avait pas <strong>de</strong>s spécialisations enéducation aux adultes. Actuellement, il travaille à lafondation FOES qui définit, conseille ou exécute <strong>de</strong>sproj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> développement. Une <strong>de</strong> ses composantesessentielles est l’organisation <strong>et</strong> l’éducation ou la« capacitation » <strong>de</strong>s adultes.Astorga a commencé sa carrière comme enseignantdans une école secondaire dite « d’éducationmoyenne ». Il a ensuite travaillé dans <strong>de</strong>s écolesrurales <strong>et</strong> urbaines tant publiques que privées. Plustard, il a combiné ce travail avec l’enseignement auniveau universitaire.Parallèlement <strong>et</strong> simultanément, il a commencé à selier au mouvement naissant «ONGs <strong>et</strong>Développement». Depuis les années 80 il a fait partied’une corporation appelée CEDECO <strong>et</strong> à partir <strong>de</strong> là,il a développé <strong>de</strong> nombreux liens avec <strong>de</strong>sorganisations du CEAAL (Conseil latino-américaind’Éducation aux adultes). Depuis, il a travaillé (sansquitter l’enseignement institutionnel) avec <strong>de</strong>sgroupes surtout ruraux, paysans <strong>et</strong> indigènes. Dès1992, il a réalisé <strong>de</strong>s travaux similaires à partird’autres instances <strong>et</strong> d’autres institutions en tant queconseiller privé. L’année <strong>de</strong>rnière, il a fait partie <strong>de</strong> ladirection du Ministère <strong>de</strong> l’Éducation.Ce qui l’a toujours motivé <strong>et</strong> qui continue à lemotiver à travailler dans ces milieux, « c’estl’existence d’un espace pour le travail social, pourcompromis social, une fois que les vaguestransformatrices ont montré leurs limites ». De plus,son intérêt ne cesse <strong>de</strong> grandir pour l’apprentissagesous toutes ses formes, spécialement avec <strong>de</strong>s adultes,ne cesse <strong>de</strong> grandir compte tenu <strong>de</strong> la « charge <strong>de</strong>vie » qui lui est associée. Enfin, le plaisir qu’il r<strong>et</strong>ired’un travail plus libre, moins formel, plus créatif,favorisant une plus gran<strong>de</strong> quantité <strong>et</strong> une plusgran<strong>de</strong> qualité <strong>de</strong> contacts humains, d’échanges avec<strong>de</strong>s gens d’autres cultures <strong>et</strong> d’autres pays, avec plein<strong>de</strong> potentiel pour travailler comme <strong>de</strong>s êtres à partentière, avec un cerveau <strong>et</strong> un cœur, avec <strong>de</strong>meilleures possibilités pour être cohérent <strong>et</strong>conséquent, constitue pour Astorga une autre source<strong>de</strong> motivation.54 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Synthèse d’une entrevue électronique avec Alfredo Astorga,par Simón BolivarSon domaine <strong>de</strong> travail se situe fondamentalementautour <strong>de</strong>s processus d’organisation <strong>et</strong> d’éducationaux adultes, immergés dans <strong>de</strong>s propositions plusgénérales <strong>de</strong> développement tant au niveau micro,local <strong>et</strong> régional : <strong>de</strong>scription éducative <strong>et</strong> implicationdans <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>s, modalités participatives <strong>de</strong> suivi,évaluation <strong>et</strong> systématisation d’expériences <strong>de</strong>changement, <strong>de</strong>scription <strong>et</strong> exécution <strong>de</strong> programmesd’apprentissage, élaboration <strong>de</strong> matériel éducatif,formation <strong>de</strong> formateurs, facilitation <strong>de</strong> processuséducatifs. Astorga s’est impliqué aussi dans ledomaine <strong>de</strong> l’élaboration <strong>de</strong> politiques aussi bien auniveau local que national.Le public avec lequel il travaille s’est diversifiéquelque peu avec les années <strong>et</strong> avec l’expérience.Aujourd’hui, non seulement il travaille avec <strong>de</strong>sgroupes <strong>de</strong> base indigènes <strong>et</strong> métis, mais aussi avec<strong>de</strong>s organisations dites <strong>de</strong> « second <strong>de</strong>gré » :municipalités, mouvements sociaux, diverses ONG,programmes ministériels <strong>de</strong> coopération audéveloppement. Il s’agit, dans tous les cas, <strong>de</strong> travailparticipatif dans toutes les dimensions éducatives <strong>de</strong>sprocessus <strong>de</strong> développement <strong>et</strong> <strong>de</strong> transformation.La dimension stratégique <strong>de</strong> son action consiste àcontribuer à l’amélioration <strong>de</strong>s conditionsquotidiennes <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong>s conditions d’équité <strong>et</strong> <strong>de</strong>pouvoir <strong>de</strong>s secteurs pauvres ou marginalisés par lesrapports sociaux <strong>de</strong> force dans la société. Le côte àcôte, la collaboration sont <strong>de</strong> mises pour que lesacteurs soient eux-mêmes ceux qui réussissent cesavancements en équité, en pouvoir, en plaisir, enjouissance <strong>de</strong> la vie.QUELQUES ENJEUX ET DÉFIS ACTUELSMême si les questions soulevées pourraient êtrecelles d’un essai en entier, Astorga dégage quelqueséléments <strong>et</strong> quelques pistes <strong>de</strong>s enjeux <strong>et</strong> <strong>de</strong>s défisactuels. Le modèle <strong>de</strong> développement implanté enÉquateur, conduit définitivement, selon lui, àl’augmentation <strong>de</strong> l’iniquité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la marginalisation.La tendance visible d’entrée dans la globalisationn’offre aucune vision constructive. Parallèlement <strong>et</strong>malgré cela, sans nier les problèmes comme l’évasion,la délinquance, <strong>et</strong>c., émergent dans les secteursdéfavorisés <strong>de</strong> nouvelles formes d’organisation, <strong>de</strong>salternatives pour affronter l’état <strong>de</strong> survivance. On y<strong>recherche</strong> ou crée <strong>de</strong> nouveaux espaces, on y invented’autres manières <strong>de</strong> participer au pouvoir <strong>et</strong> yémergent <strong>de</strong> nouveaux acteurs, <strong>et</strong>c. C’est dans c<strong>et</strong>espace <strong>de</strong> tensions que nous vivons principalement,selon lui.Les défis nouveaux s’inscrivent dans c<strong>et</strong>te lignée <strong>et</strong>impliquent entre, autres choses, <strong>de</strong> s’insérer dans c<strong>et</strong>tenouvelle vague d’acteurs du développement alternatif<strong>et</strong> <strong>de</strong> favoriser, à partir <strong>de</strong> diverses compétences, laconsolidation <strong>de</strong>s processus organisationnels, ledéveloppement <strong>de</strong> formes nouvelles <strong>de</strong> participationdans la prise <strong>de</strong> décisions, au niveau local tout aumoins, le renforcement créatif <strong>de</strong> nouvelles formes <strong>de</strong>solidarité pour assurer la survie quotidienne. Toutceci doit se faire en tenant compte <strong>de</strong> quelquesparamètres <strong>de</strong> plus : les caractéristiques <strong>culturelle</strong>sspécifiques <strong>et</strong> le dialogue avec d’autres formesd’expression, sans parler <strong>de</strong> la réalité <strong>de</strong> globalisationface à laquelle les secteurs progressistes (nous) n’ontpas développé d’alternatives suffisantes.À propos <strong>de</strong> l’émergence du mouvement indigèneen Équateur, il faut préciser que ce processus acommencé il y a 15 ans déjà avec un premiersoulèvement général. Sans aucun doute que laprésence indigène sur la scène sociale <strong>et</strong> politiqueactuellement constitue le fait social le plus significatifdu pays. C<strong>et</strong>te présence est nouvelle, dans le sens quela question du pouvoir est exposée avec plus <strong>de</strong> clarté,une légitimité <strong>et</strong> une force sans précé<strong>de</strong>nt.Antérieurement, le mouvement indigène n’avaiténoncé que quelques revendications ponctuelles ;aujourd’hui, il représente une vision du pays <strong>et</strong> dupouvoir en général.L’émergence <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te nouvelle vision est due àd’autres facteurs : la réappropriation <strong>et</strong> larevalorisation <strong>de</strong> la culture, <strong>de</strong>s propositions plusouvertes favorisant l’interculturalité, la solidité <strong>et</strong> laflexibilité <strong>de</strong>s organisations, une vision autre dutemps <strong>et</strong> <strong>de</strong>s stratégies, une énorme avancée dupouvoir <strong>de</strong> négociation, l’apprentissage rapi<strong>de</strong>d’autres logiques « occi<strong>de</strong>ntales », la présence d’unemasse critique <strong>de</strong> dirigeants ayant une bonneformation, l’exercice réel du pouvoir au niveau <strong>de</strong>plusieurs municipalités <strong>et</strong> <strong>de</strong> pouvoirs locaux, <strong>de</strong>sstratégies <strong>de</strong> lutte <strong>et</strong> <strong>de</strong> négociation nouvellesdisposant d’une forte puissance symbolique, enfin ledépassement dans une bonne mesure <strong>de</strong>s différencesreligieuses introduites pour diviser le mouvement.Bien sûr, tous ces repères ne sont pas purs. Lemouvement indigène a aussi ses contradictionsinternes, ses faiblesses, <strong>et</strong>c. Il est sorti assezbouleversé du gouvernement actuel en juill<strong>et</strong> <strong>de</strong>l’année <strong>de</strong>rnière <strong>et</strong> maintenant il se trouve dans unprocessus <strong>de</strong> reconstitution. Dans le champ <strong>de</strong>l’éducation, se présente tout un univers qui nécessited’être réapproprié <strong>et</strong> systématisé. Les approches <strong>et</strong> lesmodalités <strong>de</strong> formation <strong>et</strong> <strong>de</strong> « capacitation » qu’on ydéveloppe <strong>et</strong> les fruits qu’on y récolte, méritent <strong>de</strong>snouvelles lectures <strong>et</strong> développements.ET LE COLLOQUE DE BORDEAUX…Je crois que le colloque a été une initiativeinnovatrice, audacieuse même, une espèced’expression <strong>de</strong> la globalisation, mais dans un autresens. J’ai bien aimé <strong>et</strong> j’apprécie beaucoup… profiterdu fait que le mon<strong>de</strong> ait rap<strong>et</strong>issé pour intégrer aussidans, notre scénario, <strong>de</strong> nouvelles visions. Lathématique m’a bien plu en soi <strong>et</strong> j’entrevois uneespèce <strong>de</strong> renaissance <strong>de</strong> tendances qui ont eubeaucoup <strong>de</strong> succès en Amérique latine <strong>et</strong> quipourraient drainer avec elles <strong>de</strong> nouvellesCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 55


Paroles singulièressignifications. Ce mouvement coïnci<strong>de</strong> avec <strong>de</strong>stendances similaires en Amérique latine.Sans doute, l’absence <strong>de</strong> contacts préalables <strong>et</strong> noscontextes différents marquent beaucoup lesexpériences. La diversité est gran<strong>de</strong>, mais elle a étéassumée comme une richesse <strong>et</strong> non comme unelimitation. L’intérêt massif <strong>de</strong> se connaître <strong>et</strong> <strong>de</strong> sereconnaître m’a surpris ainsi que l’existence <strong>de</strong>champs, <strong>de</strong> points nœu<strong>de</strong>aux <strong>et</strong> d’apports quicomportent d’indubitables synergies. Les questions <strong>de</strong>« participation citoyenne », <strong>de</strong> « pouvoir local » <strong>et</strong> <strong>de</strong>migration me semblent <strong>de</strong>s domaines vitaux <strong>de</strong>confluence. Les thèmes <strong>de</strong> la systématisation, <strong>de</strong> ladiffusion <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’appui d’étu<strong>de</strong>s universitaires qui nousmanquent tant en Amérique latine, me semblenttracer <strong>de</strong>s pistes pour <strong>de</strong>s collaborations ultérieures.Il sera fondamental <strong>de</strong> compter avec les résultats <strong>et</strong>la systématisation du colloque pour avancer <strong>de</strong> façonplus n<strong>et</strong>te <strong>et</strong> pour réussir à atteindre une certainecontinuité. Si on ne réussit pas cela, l’effort qu’on amis pourrait se limiter à un bon colloque <strong>et</strong> rien <strong>de</strong>plus. De toute façon, les contacts que nous avonsinitiés sont stimulants au moins en Amérique latine.J’espère qu’on puisse monter un p<strong>et</strong>it réseau qui serve<strong>de</strong> référent pour intégrer d’autres expériences <strong>et</strong>d’autres processus.Entrevue électronique avecGustavo Coppola,par Ilia Castroprofesseur chaire Jeu, Institut <strong>de</strong>s professeurs d’Éducationphysique, Córdoba, Argentina, le 22 mars 2004.Quelle est votre trajectoire personnelle, votreformation <strong>et</strong> profession ?Actuellement, je suis professeur <strong>de</strong> la chaire Jeu àl’Institut <strong>de</strong>s professeurs d’Éducation physique àCordoba. Je suis aussi coordonnateur du Groupe <strong>de</strong><strong>recherche</strong> en Éducation physique du même Institut <strong>et</strong>délégué syndical <strong>de</strong>s Travailleurs <strong>de</strong> l’enseignement.Depuis que j’ai 15 ans, je travaille en Récréation <strong>de</strong>façon professionnelle.Quelle est votre conception <strong>de</strong> la Récréation <strong>et</strong> <strong>de</strong>l’Éducation populaire ?Le champ d’analyse <strong>de</strong> la Récréation est un champcomplexe où le Suj<strong>et</strong> peut développer sa créativitédans un espace <strong>de</strong> plaisir, soit par sa propre décision,soit par la proposition d’un autre.Pendant longtemps, la Recréation a été comprisecomme un moment <strong>de</strong> plaisir « compensant » le tempsconsacré aux obligations, c’est-à-dire, un lieu où leSuj<strong>et</strong>, fatigué par sa charge <strong>de</strong> travail, se « régénère »pour r<strong>et</strong>ourner mieux disposé assumer sesobligations.Nous considérons que le champ <strong>de</strong> la Récréationn’est pas tributaire d’un système d’obligations (travail,étu<strong>de</strong>s, <strong>et</strong>c.), mais qu’il génère un espace choisilibrement <strong>de</strong> construction d’actions <strong>et</strong>/ou d’inactions.Il facilite aussi le choix collectif <strong>de</strong> l’agir <strong>et</strong>/ou du nonagir.Dans ce sens, il faut clarifier que nous neconsidérons pas la liberté comme un droitexclusivement individuel, mais nous croyons à laconception selon laquelle la liberté se construitsocialement avec soi <strong>et</strong> les autres, dans un cadre <strong>de</strong>négociations consensuel, sans oppression.Concernant l’Éducation populaire, nous l’abordonscomme une action visant à créer un espace <strong>de</strong> ruptureavec l’Éducation traditionnelle qui elle est conçuecomme un appendice du pouvoir dominant. Nousadoptons une approche critique pour dépasser lesprocessus d’enseignement <strong>et</strong> par conséquent,d’apprentissage institutionnel. L’éducation populaireest celle où le dialogue critique est privilégié, où laproblématisation du quotidien est incluse à partird’une lecture dialectique <strong>de</strong> la réalité, <strong>et</strong> en fonction <strong>de</strong>la conscientisation aux relations quotidiennes <strong>de</strong>chaque groupe, <strong>de</strong> chaque communauté <strong>et</strong> <strong>de</strong> chaquesociété.Comment <strong>et</strong> dans quels espaces peut-onintervenir, agir, animer à partir <strong>de</strong> la Récréation<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Éducation populaire ?Notre vision <strong>de</strong> l’Éducation populaire s’entremêleavec notre conception <strong>de</strong> la Récréation. Quand nousabordons le champ <strong>de</strong> la Récréation à partir <strong>de</strong> lacoordination d’actions concrètes d’un groupe, nouspouvons le faire par <strong>de</strong>ux voies :• voie reproductrice : le coordonnateur <strong>de</strong>vient le« clown », le show man, où les participantsreproduisent, d’une certaine manière, laproposition du coordonnateur.• voie critique : Le récréologue abor<strong>de</strong> son actionsous un autre angle.Il favorise l’action qui génère <strong>de</strong>s processus créatifschez l’autre <strong>et</strong> il ne fait qu’accompagner l’action àpartir <strong>de</strong> la proposition, l’agencement <strong>de</strong>s actionspréalables <strong>et</strong> <strong>de</strong>s consignes. Il ouvre la fenêtre pourperm<strong>et</strong>tre aux participants <strong>de</strong> faire, <strong>de</strong> ne pas faire, <strong>de</strong>modifier ce qui a été proposé. Le coordonnateur quiest un récréologue favorise la participation <strong>de</strong>s autres<strong>et</strong> il comprend le processus du champ <strong>de</strong> la récréation,précisément comme processus <strong>de</strong> construction. Là, leparticipant non seulement s’amuse, mais aussi dansson choix <strong>de</strong> participation, déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> « faire » ou « <strong>de</strong>ne pas faire », <strong>de</strong> participer activement ou pas,d’accepter ou <strong>de</strong> ne pas accepter la proposition ducoordonnateur, <strong>et</strong>c.Dans votre travail, concrètement, commentappliquez-vous c<strong>et</strong>te conception <strong>de</strong> la Récréation<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Éducation populaire ? Quelles sont lesactions, les activités ? Avec quel public travaillezvous? (Dans votre conférence, vous parlez d’undéveloppement idéologique d’actions concrètes ).La formation <strong>de</strong> ressources humaines pour lesprofesseurs, pour le tourisme ou pour la récréation,56 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Entrevue électronique avec Gustavo Coppola,par Ilia Castropropose une éducation qui problématise, critique,propose, conduit à l’action ; où théorie <strong>et</strong> pratiquesont, désormais, étroitement associées <strong>et</strong> où l’étudiantgénère <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong> contributions, <strong>de</strong> contradictions<strong>et</strong> même <strong>de</strong> résistances. Les classes abordées <strong>de</strong> c<strong>et</strong>temanière perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong>discussion, d’évaluation <strong>de</strong> tâches, <strong>de</strong> dissi<strong>de</strong>nces <strong>et</strong> <strong>de</strong>consensus.Quand je ne travaille pas en formation, mais plutôtdans le domaine <strong>de</strong> la Récréation <strong>et</strong> du Tourisme,nous m<strong>et</strong>tons en place <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong>problématisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> création dans lesquels autantles touristes que les groupes en contexte <strong>de</strong>récréation, plutôt que <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir hystériques à cause<strong>de</strong> l’excès <strong>de</strong> propositions bruyantes, ont plutôt lapossibilité <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix (voir E. Fromm « Lapeur à la liberté ») au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> celles-ci. Il s’agit <strong>de</strong>pouvoir jouir <strong>de</strong>s espaces créatifs différents <strong>de</strong> ceuxdéjà établis, qui intègrent un message <strong>et</strong> qui ont unsens.Quel est le sens <strong>de</strong> votre action ?Je poursuis la formation <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s qui soient libres,qui abor<strong>de</strong>nt la liberté comme un espace non pas <strong>de</strong>lutte <strong>de</strong> tous contre tous, mais <strong>de</strong> constructionconjointe qui perm<strong>et</strong> d’i<strong>de</strong>ntifier les difficultés <strong>et</strong> lesacquis. Un espace qui puisse garantir la croissancebasée sur la prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> la réalité <strong>et</strong> sur lesrésistances contre l’oppression, <strong>de</strong> façon à générer unevoie directe vers <strong>de</strong>s actions transformatrices. [...]Quels sont les défis dans le contexte actuel <strong>et</strong>comment vous les relevez ? (possibilités, limites)Paulo FREIRE disait que le nord « nor<strong>de</strong> »[oriente, conduit] le sud, s’appuyant sur une illusiondu nord riche, comblé <strong>de</strong> pays centraux qui pressentau maximum les pays périphériques <strong>et</strong> qui lesdominent au point <strong>de</strong> ne pas perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong>sdéveloppements indépendants autarciques. Au nord,on offre un appui aux gouvernements corrompus, àbeaucoup d’assassins légaux, <strong>et</strong>c., mais jamais auxmouvements populaires qui perm<strong>et</strong>tent un réeldéveloppement. C’est dans ce contexte que nousvivons dans les lieux du sud du mon<strong>de</strong>.Par exemple, j’ai participé au Colloque <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>auxgrâce à la prise en charge <strong>de</strong>s dépenses par la France.Pour quelques collègues, ce n’était donc pas courtois<strong>de</strong> soulever <strong>de</strong>s désaccords, d’affirmer <strong>de</strong>s critiquesenvers ceux qui avaient financé notre voyage. Mais jeconsidère que l’unique manière <strong>de</strong> se j<strong>et</strong>er dans lagueule du loup [le Nord] consiste à lui expliquer cequi nous arrive, ainsi que les niveaux <strong>de</strong> responsabilité<strong>de</strong>s peuples à méconnaître la manière dont leursgouvernements nous oppriment « au nom <strong>de</strong> laliberté ».En parlant du Colloque, quelle est votreimpression ? Qu’est-ce que vous r<strong>et</strong>irez <strong>de</strong> c<strong>et</strong>teexpérience ? Qu’est-ce que vous pensez que lesgens d’Amérique latine ont apporté ?Le Colloque a témoigné <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux réalités trèsexplicites. D’une part, M. Gill<strong>et</strong>, nous a montré unchemin <strong>de</strong> lutte, une conception idéologique très forte,contextualisée dans la réalité <strong>de</strong>s pays périphériques.Beaucoup d’entre nous avons été surpris par sespropos <strong>et</strong> ses actions. D’autre part, comme j’ai évoquéprécé<strong>de</strong>mment, [l’enjeu entre une participationsubventionnée par la France <strong>et</strong> le désir <strong>de</strong>s’exprimer <strong>de</strong> façon critique] certaines personnesvivant dans le mon<strong>de</strong> central (oppresseur <strong>de</strong> notremon<strong>de</strong> réel) ne sont pas conscientes que certainsd’entre nous qui participions à l’événement, sudaméricains,africains, asiatiques, n’avions pasl’intention <strong>de</strong> troubler la perspective du colloque. Ils’agissait <strong>de</strong> faire valoir nos résistances <strong>et</strong> notre effort<strong>de</strong> transformation <strong>de</strong> la réalité quotidienne.Aujourd’hui, mon pays est à la merci <strong>de</strong> beaucoupd’entreprises qui ont ach<strong>et</strong>é pour quelques sous, lesentreprises <strong>de</strong> l’État ; même celles responsables <strong>de</strong>sressources <strong>de</strong> base <strong>de</strong> l’économie, comme l’eau <strong>et</strong> lepétrole. Beaucoup <strong>de</strong> ces entreprises privées sonteuropéennes <strong>et</strong> plusieurs sont françaises. Cesentreprises exploitent nos ressources <strong>et</strong> nous donnenten échange en signe <strong>de</strong> charité <strong>de</strong> maigres services.Beaucoup <strong>de</strong> participants au colloque ont parlé <strong>de</strong>liberté <strong>et</strong> d’égalité : ils ne prenaient pas conscienceque nous ne sommes pas les seuls agressés mais aussile sont les noirs, les asiatiques ou les sud-américainsqui sont discriminés dans les rues <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux. C’està-dire,le discours démocratique <strong>et</strong> progressiste <strong>de</strong>plusieurs participants semblait vi<strong>de</strong> avec <strong>de</strong>s parolesadressées au mon<strong>de</strong> entier apparaissant sansengagement. Elles n’étaient pas <strong>de</strong>stinées au mon<strong>de</strong>auquel j’appartiens. Un mon<strong>de</strong> dans lequel la majoritéest opprimée.Je souhaite que beaucoup <strong>de</strong> ces personnes,provenant <strong>de</strong> diverses réalités, aient accueilli notreparticipation, dont la mienne, sans vouloir êtreprétentieux, comme un apport militant, rigoureux,engagé <strong>et</strong> nécessaire. Ceux qui arrivent en Europe <strong>et</strong>même au Québec, ne sont pas les travailleurs,professionnels ou pas, mais <strong>de</strong>s gens pour la plupartappartenant à la réaction, aux pouvoirs hégémoniquesnationaux. C’est ce contexte qui m’a amené àm’exprimer avec une certaine dur<strong>et</strong>é (je pourraism’excuser <strong>de</strong> ma rai<strong>de</strong>ur) mais je ne le regr<strong>et</strong>te pas.Peut-être que personne n’a entendu ce que l’onsouhaitait transm<strong>et</strong>tre. J’espère qu’il y en a eu aumoins un qui se soit senti dérangé par nos propos <strong>et</strong>qui se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aujourd’hui ce qui se passe au sud dumon<strong>de</strong>. Je ne voudrais surtout pas être le « cowboysolitaire », mais je crois que si les voix s’additionnent,le Sud réussira un jour à conquérir <strong>de</strong>sgouvernements qui défen<strong>de</strong>nt les pauvres, quicontribuent à résoudre leurs situations <strong>et</strong> quiintègrent la plus-value qu’ils produisent à leurCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 57


Paroles singulièresrémunération. J’espère qu’un jour les pauvres dumon<strong>de</strong> auront la possibilité d’aller au cinéma ou authéâtre, d’accé<strong>de</strong>r à la récréation sans risque d’épuiserleur salaire ce qui pourrait les amener à ne pas le faire,comme c’est le cas aujourd’hui. C’est ainsi que <strong>de</strong>smilliers <strong>de</strong> personnes au mon<strong>de</strong> ne peuvent pasaccé<strong>de</strong>r à la culture absolument nécessaire pour sedévelopper comme suj<strong>et</strong>, comme personne.Si vous voulez ajouter un commentaire… espacelibre, bienvenu !Toute ma vie, dès mon très jeune âge <strong>et</strong> par moncontexte familial (mon arrière grand mère était unebelge socialiste, elle aimait le Québec <strong>et</strong> la Francerépublicaine malgré qu’elle se sentait argentine à partentière), j’ai songé à connaître ces régions.Aujourd’hui, je me rapproche du Québec à traversvous. Il m’a paru merveilleux <strong>de</strong> connaître <strong>de</strong>sQuébécoises <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Québécois <strong>et</strong> <strong>de</strong> les voir agir àBor<strong>de</strong>aux. Nous n’avons pas <strong>de</strong> représentation duQuébec au sud <strong>de</strong> l’Amérique. Si ce que nous avonsobservé est juste, bienvenu à la lutte pour uneAmérique libre, pour une Amérique sans <strong>de</strong>s majorités<strong>de</strong> pauvres. […] Il y a malheureusement tantd’« incommunication » dans le mon<strong>de</strong> globalisé.Créant <strong>de</strong>s liens entre l’éducationphysique au loisir,par Edmundo <strong>de</strong> Drummond Alves Júnior…dans un proj<strong>et</strong> réalisé pour adolescents en situation <strong>de</strong> risque enBarra da Tijuca.Professeur à l’Université Fédérale Fluminense (GEF-UFF),Institut <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> <strong>de</strong> la Zone Ouest (IPEZO). Doctorat enÉducation Physique <strong>de</strong> l’Université Gama Filho (UGH), DEAHistoire Civilisations <strong>et</strong> Sociétés UHB-RENNES 2.COLLABORATION PRÉCIEUSE D’ISABEL ORELLANAPOUR CETTE TRADUCTION.INTRODUCTIONIl est très courant d’entendre dire que la place <strong>de</strong>l’enfant est à l’école <strong>et</strong> qu’au Brésil, nous avons 97 %d’enfants qui y sont inscrits. Cela ne signifie pas pourautant qu’ils la fréquentent assidûment <strong>et</strong> qu’ilsprofitent vraiment <strong>de</strong>s enseignements pour parfaireleur formation. Le fait que beaucoup d’enfants doiventchercher eux-mêmes <strong>de</strong>s ressources pour leur survie,dans les rues <strong>et</strong> dans les aires d’école, mérite uneréflexion plus importante <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> responsables<strong>de</strong> politiques publiques. Les déséquilibres familiaux <strong>et</strong>la misère contribuent à rendre encore plus critiquec<strong>et</strong>te situation. Deux semaines avant que le nouveauministre <strong>de</strong> l’Éducation occupe son poste, M.Cristovan Buarque disait qu’il avait l’intention <strong>de</strong>donner priorité aux enfants afin <strong>de</strong> résoudre enfin lesproblèmes <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong> la rue. Il <strong>de</strong>vait tenter aussi,<strong>de</strong> reproduire au niveau fédéral, les mêmes ambitionsqu’il avait annoncées alors qu’il était responsable <strong>de</strong>l’administration du District fédéral.[...] J’ai entré dans mon ordinateur les noms <strong>de</strong> tous les enfantsqui étaient en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l’école <strong>et</strong> tenté <strong>de</strong> m’occuper d’eux. Nousavons fait un recensement dans les rues <strong>et</strong> nous avons visitéquelques maisons. Pour chacun <strong>de</strong>s enfants, nous avons essayé <strong>de</strong>trouver une maison, un foyer. Pour certains même, une famille »[Buarque, 2002 :13]À Rio, il semble qu’à chaque année, le nombre <strong>de</strong>senfants qui sont dans la rue ne cesse d’augmenter.Connaître les dynamiques qui font que les enfants enarrivent là est absolument nécessaire pour mieuxintervenir <strong>et</strong> c’est ce que tente <strong>de</strong> faire l’éducateur <strong>de</strong>la rue qui a contribué <strong>de</strong> façon significative à laréinsertion sociale <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te catégorie <strong>de</strong> jeunes. Lesuniversités, ainsi que d’autres institutions, ont un rôleà jouer dans la conception <strong>de</strong> stratégiesméthodologiques qui faciliteraient le contact <strong>et</strong> quipourraient perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> réintégrer les enfants quivivent dans les rues. Nous présentons dans les pagesqui suivent une façon d’abor<strong>de</strong>r la question dans unchamp d’enseignement universitaire – l’éducationphysique –, un programme qui est en train <strong>de</strong> sedévelopper pour appuyer les activités pédagogiques ;ceci, dans le cadre d’un proj<strong>et</strong> multiprofessionel 1 qui acomme objectif, entre autres, l’intervention auprèsd’adolescents, entre 12 <strong>et</strong> 17 ans, qui constituent unrisque social <strong>et</strong> individuel 2 .Nous allons d’abord décrire les quartiers enquestion pour illustrer à partir là, un cadre <strong>de</strong>déséquilibre social profond qui conduit <strong>de</strong>s enfants ou<strong>de</strong>s adolescents, à partir <strong>de</strong> divers foyers ou lieux, à ser<strong>et</strong>rouver finalement dans la rue. Si c<strong>et</strong>te situations’est aggravée dans les <strong>de</strong>rnières décennies, lesenfants dans la rue en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l’école ou sanscontact régulier avec leur famille ne cessantd’augmenter, ce n’est pas étranger aux optionssocioéconomiques qui ont été adoptées dans unegran<strong>de</strong> partie du mon<strong>de</strong>, notamment en AmériqueLatine.1 Au moment où nous écrivons c<strong>et</strong> article, le proj<strong>et</strong> s<strong>et</strong>rouve dans sa troisième étape. La première était <strong>de</strong>stinéeau développement du potentiel <strong>de</strong>s cadres ; la<strong>de</strong>uxième envisageait l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> lieux où agissentles enfants ainsi que le contact <strong>et</strong> la sélection <strong>de</strong>senfants qui pouvaient constituer la public cible ; <strong>et</strong> latroisième est l’élaboration d’une planificationd’exécution. Les domaines impliqués qui agissent versleur intégration interdisciplinaire sont : l’ÉducationPhysique, le Service social, La Pédagogie <strong>et</strong> la Thérapieoccupationnelle (du travail). Ce proj<strong>et</strong> a déjà contactéplus <strong>de</strong> 50 enfants même si les critères ont été établispour en sélectionner 25 suivant la proposition initiale duproj<strong>et</strong>.2 Le proj<strong>et</strong>, réalisé à l’université Castelo Branco (UCB),considère que la situation <strong>de</strong> risque se caractérise à partir<strong>de</strong> l'agir <strong>de</strong> ces jeunes en situation <strong>de</strong> transition, qui<strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s ven<strong>de</strong>urs ambulants, qui offrent certainstypes <strong>de</strong> services, qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt ouvertement <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>ou certains qui font même <strong>de</strong>s présentations publiquescomme jongleurs. Le référentiel qui sert <strong>de</strong> paramètreprincipal est celui d’être d'adolescents en activité dansles axes <strong>de</strong> fréquentation dans les rues <strong>de</strong> Barra da Tijuca<strong>et</strong> celles adjacentes.58 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Créant <strong>de</strong>s liens entre l’éducation physique au loisir,par Edmundo <strong>de</strong> Drummond Alves JúniorComme nous verrons, le Statut <strong>de</strong>s enfants <strong>et</strong>adolescents (BRASIL, 1990), adopté en 1990, a été,dans un certain sens, un véritable avancement.Malgré tout, à elle seule, c<strong>et</strong>te législation ne peutréduire l’extrême pauvr<strong>et</strong>é <strong>de</strong> nombreux jeunesBrésiliens. La perception <strong>de</strong> ce qu’est être un enfant<strong>de</strong> la rue ou être un pauvre à la <strong>recherche</strong> d’unequelconque ai<strong>de</strong> dans la rue, est associé à <strong>de</strong> multiplespréjugés qui l’associent à la figure d’un jeunedélinquant, fréquemment appelés « piv<strong>et</strong>es » ou« trombadinhas ».Finalement, dans ce texte, nous allons voir lespossibilités pour ces jeunes <strong>de</strong> s’éduquer, même enétant confrontés à ces situations <strong>de</strong> risque dans leurpropre rue <strong>et</strong> plus particulièrement, nous allonsabor<strong>de</strong>r notre propre espoir <strong>de</strong> contribuer à traversl’éducation physique à ce proj<strong>et</strong> d’éducation. En ce quinous concerne, nous serons attentifs pour ne pasrépéter la logique <strong>de</strong> la « productivité » qui estassociée souvent au « sport <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>ment » <strong>et</strong> àl’amélioration <strong>de</strong>s aptitu<strong>de</strong>s physiques par lesquellesseulement certains sont capables <strong>de</strong> se faireremarquer. Nous avons à notre disposition d’autresalternatives qui, pour contribuer aux processuséducatifs, associent une <strong>recherche</strong> <strong>de</strong> transformation<strong>de</strong> la société qui, selon notre analyse, ne peut êtredissociée <strong>de</strong> nos visées. En ce sens, nous opteronspour la pratique d’activités comme le loisir en nousappuyant sur une conception <strong>de</strong> culture qui vaimprégner tout le sens du loisir. [Melo & ALVESJUNIOR, 2003]Il n’est pas possible <strong>de</strong> penser le loisir comme unphénomène pacifique, naïf, déconnecté d’autresmoments <strong>de</strong> la vie. Ce phénomène mo<strong>de</strong>rne est géré àpartir d’une claire tension entre les classes sociales <strong>et</strong>d’un lien continu <strong>et</strong> complexe <strong>de</strong> contrôle-résistance,adéquation-subversion. [p :10]Agir en loisir signifie, par conséquent,« promouvoir une intervention pédagogique dans ledomaine <strong>de</strong> la culture » 1 . De c<strong>et</strong>te manière, lesactivités <strong>de</strong> loisir qui seront proposées dans ce proj<strong>et</strong>dans le domaine <strong>de</strong> l’éducation physique <strong>de</strong>vrontpouvoir être entendues comme <strong>de</strong>s activités<strong>culturelle</strong>s au sens plein du terme capables <strong>de</strong>contribuer au développement personnel <strong>de</strong> ces jeunes.CONNAISSANT UN PEU PLUS SUR LEQUARTIERLe quartier <strong>de</strong> Barra da Tijuca a <strong>de</strong>scaractéristiques particulières, spécifiques qui ledistinguent <strong>de</strong>s autres quartiers <strong>de</strong> Rio <strong>de</strong> Janeiro.Dans ce quartier, se concentre une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> larichesse <strong>de</strong> la municipalité, avec <strong>de</strong> grands centrescommerciaux <strong>et</strong> <strong>de</strong> luxueux condominiums, quiperm<strong>et</strong> à ses habitants <strong>et</strong> à ceux qui fréquentent cequartier <strong>de</strong> pouvoir avoir un logement qui estconsidéré comme parmi les meilleurs <strong>de</strong> Rio <strong>de</strong>Janeiro.Parmi les facteurs qui favorisent ce quartier, il fautsouligner la proximité d’une gran<strong>de</strong> plage, pas encorepolluée <strong>et</strong> qui voisine une bonne partie du littoral <strong>de</strong>la ville. De nombreuses installations <strong>de</strong> loisiraugmentent les possibilités <strong>de</strong> divertissement <strong>et</strong>favorisent les caractéristiques associées au repos <strong>et</strong> auloisir (Dumazedier, 1974). Déjà Já Melo & AlvesJunior (2003) ont essayé <strong>de</strong> travailler avec un concept<strong>de</strong> « loisir » défini à partir <strong>de</strong>s intérêts culturels quepeut motiver le non-travail, le plaisir <strong>et</strong> sa relationavec le temps, qui ne peut pas être confondu ni avec l<strong>et</strong>ravail, ni avec le temps physiologique, ni non plusavec l’activité <strong>de</strong> pratique religieuse. L’espace <strong>de</strong> laplage est un lieu privilégié, encore d’accès public, sansparler <strong>de</strong>s parcs, <strong>de</strong>s forêts, <strong>de</strong>s cinémas, <strong>de</strong>s théâtres,<strong>de</strong>s centres culturels, <strong>et</strong>c., sans oublier certains grandscentres commerciaux qui disposent d’équipements<strong>de</strong>stinés au loisir 2 . Les habitants du quartier sont fiersd’avoir à leur disposition, à côté <strong>de</strong> leur condominiumd’habitation, tout ce qu’on pourrait trouver dans unbon club social.Croisé par <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s avenues qui la lient à la zonesud comme à la zone nord <strong>de</strong> la ville, limité par lesquartiers <strong>de</strong> Recreio dos ban<strong>de</strong>irantes, São Conrado,Joá, Jacarepaguá <strong>et</strong> Cida<strong>de</strong> <strong>de</strong> Deus, le quartier Barrada Tijuca a vécu sa croissance la plus forte après lesannées 1970. Il est considéré comme un quartiernouveau – on a l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> dire que c’est là qui vont« les nouveaux riches » ou bien, une « classe moyenneémergents ». Durant les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières décennies,selon l’Institut brésilien <strong>de</strong> géographie <strong>et</strong> <strong>de</strong>statistique (IBGE), la population <strong>de</strong> ce quartier aquadruplé. Aujourd’hui, elle arrive à 114,0001 […]Lorsque nous parlons <strong>de</strong> culture, nous nous référons àquelque chose <strong>de</strong> large <strong>et</strong> <strong>de</strong> complexe, qui comprend <strong>de</strong>s valeurs,<strong>de</strong>s langages <strong>et</strong> <strong>de</strong>s manifestations, <strong>de</strong>s rites, <strong>de</strong>s symboles,<strong>de</strong>s relations sociales, <strong>de</strong>s disputes <strong>de</strong> pouvoir, <strong>de</strong>s manipulations.Nous <strong>de</strong>vons la comprendre non pas <strong>de</strong> manière linéaire<strong>et</strong> manichéiste, mais toujours à partir d'une visiond'échanges <strong>et</strong> <strong>de</strong> résistances ( même s’il y a beaucoup <strong>de</strong> concessions)entre l’oral <strong>et</strong> l’écrit, entre le macro <strong>et</strong> le micro, entre celuiqui domine <strong>et</strong> celui qui est dominé – nous sommes en train<strong>de</strong> parler d’un champ <strong>de</strong> tensions <strong>et</strong> <strong>de</strong> conflits. [MELO &A ;VES JUNIOR 2003 :28]2 Penser aux enfants qui sont dans les rues <strong>de</strong> ce quartiernous amène à réfléchir sur leurs loisirs <strong>et</strong> leurs relationsavec les équipements qui sont à leur disposition dansBarra da Tijuca. Comment comprendre l’accessibilité <strong>de</strong>ces enfants à ces espaces ? Il ne s’agit pas seulement <strong>de</strong>se questionner sur l’accès aux espaces privés, puisque lemanque <strong>de</strong>s ressources financières peut immédiatementles éloigner. Il reste à savoir comment ont lieu les processusd’accès aux équipements publics existants. Est-ceque les problèmes d’accès sont toujours présents ? Ets’ils se perpétuent, pour quelles raisons ? D'autres questionspeuvent également être formulées. Quel sont lesloisirs <strong>de</strong> ces enfants durant le temps libre dont ils disposent? Quelle est la signification du loisir pour eux ?Quelles seraient leurs préférences ?Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 59


Paroles singulièreshabitants [COMPANS, 2002] 1 . Du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> laconcentration <strong>de</strong> la richesse, évaluée selon le montanttotal du revenu <strong>de</strong>s habitants propriétaires <strong>de</strong>maisons, <strong>et</strong> encore selon les données du IBGE diffuséspar la Municipalité <strong>de</strong> Rio <strong>de</strong> Janeiro, le revenumoyen serait <strong>de</strong> R$ 5 175 50 valeur qui est inférieureà trois autres régions : Lagoa, São Conrado <strong>et</strong> Recreiodos ban<strong>de</strong>irantes, ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers quartiers étantlimitrophes avec celui <strong>de</strong> Barra da Tijuca 2 .UN TRISTE HÉRITAGE MARQUEL’INÉGALITÉ AU BRÉSILLe problème d’inégalité socioéconomique n’est passeulement un problème du Brésil : ce sont <strong>de</strong>s annéesd’injustice sociale qui ont mené diverses régions dumon<strong>de</strong> à vivre dans un état <strong>de</strong> pauvr<strong>et</strong>é <strong>de</strong> plus enplus important, en croissance incessante. EnAmérique en particulier, un indice illustre la terriblecondition d’abandon qui a condamné plusieursgénérations <strong>de</strong> la classe <strong>de</strong>s travailleurs. Selon <strong>de</strong>sétu<strong>de</strong>s, qui ont été réalisées par le Centred’Information <strong>et</strong> <strong>de</strong> documentation <strong>de</strong> l’université <strong>de</strong>sTravailleurs d’Amérique latine (CIDUTAL, 2001),54 % du total <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> la population mondiale,qu’aujourd’hui a déjà dépassé le seuil <strong>de</strong> six milliards,vit avec moins <strong>de</strong> 2,0 $ US par jour.Malheureusement, il est encore plus triste <strong>de</strong> savoirque ceux qui sont considérés comme pauvres, soit <strong>de</strong>plus <strong>de</strong> trois milliards <strong>de</strong> personnes, près d’un milliar<strong>de</strong>t 200 000 survivent avec moins d’un 1,0 $ US parjour, paramètre qui est en train d’être utilisé commeun indice <strong>de</strong> limite <strong>de</strong> l’itinérance !En Amérique latine, le néo-libéralisme a commencéà s’installer après la décennie <strong>de</strong> 1960. Au Brésil, elleprésente un résultat désastreux, la croissance <strong>de</strong> la<strong>de</strong>tte externe en constituant un <strong>de</strong>s indices : en 1964la <strong>de</strong>tte externe était <strong>de</strong> 22 milliards $, durant lapério<strong>de</strong> <strong>de</strong> la dictature militaire, elle est arrivée à104 milliards $ ! Assurant la continuité durenforcement <strong>de</strong>s principes néo-libéraux, lesgouvernements civils, qui ont succédé aux dictaturesmilitaires, ont mené les pays à <strong>de</strong>s indices sociaux pastellement plus prom<strong>et</strong>teurs, ce qui <strong>de</strong>vrait faire honteà la classe dominante dans son ensemble.1 Vu sa gran<strong>de</strong> extension <strong>et</strong> l’existence <strong>de</strong> nombreux espaceslibres, il y a une propension très gran<strong>de</strong> <strong>de</strong>s entreprisesdu domaine immobilier pour tenter <strong>de</strong> vendreleur idéal <strong>de</strong> la « qualité <strong>de</strong> vie » dans leurs publicités,en transformant le IPTU <strong>de</strong> la région en un <strong>de</strong> quartiersle plus chers <strong>de</strong> Rio <strong>de</strong> Janeiro.2 Pour comparer, nous avons observé d’autres régions <strong>de</strong>la municipalité, particulièrement celles qui présententles revenus les plus bas. Parmi les onze aux plus bas revenus,nous en avons i<strong>de</strong>ntifié <strong>de</strong>ux qui nous intéressentparticulièrement car elles constituent les régionsd’origine d’une partie <strong>de</strong>s enfants qui font partie <strong>de</strong> ceproj<strong>et</strong> : Cida<strong>de</strong> <strong>de</strong> Deus e Paciência – la première présenteun revenu moyen <strong>de</strong> R$464,73 ; la <strong>de</strong>uxième, <strong>de</strong>R$518,30.Sur la base <strong>de</strong>s rapports publiés par la BanqueMondiale, la Banque Interaméricaine dudéveloppement, l’Organisation <strong>de</strong> Nations Unies <strong>et</strong>l’Institut brésilien <strong>de</strong> Géographie <strong>et</strong> <strong>de</strong> Statistiques,une <strong>recherche</strong>, qui a été menée par l’Institut <strong>de</strong><strong>recherche</strong> <strong>et</strong> d’Étu<strong>de</strong>s supérieures (IPEA), organismedu Ministère <strong>de</strong> planification, présente <strong>de</strong>s donnéesdémontrant hors <strong>de</strong> tout doute l’augmentation <strong>de</strong>sinégalités <strong>et</strong> <strong>de</strong> la pauvr<strong>et</strong>é au Brésil [BAIMA, 2001].La première année du siècle XXI a été un tristeanniversaire pour le pays puisque se sont complétéesles 25 ans où le Brésil, parmi toutes les nations,détient le titre <strong>de</strong> champion <strong>de</strong> distribution <strong>de</strong> revenuen-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s nations les plus pauvres d’Afrique ! Le10 % <strong>de</strong>s habitants les plus riches <strong>de</strong> la populationbrésilienne a 28 fois plus <strong>de</strong> revenus <strong>de</strong> ceux quiconstituent 40 % <strong>de</strong>s plus pauvres 3 . RicardoHenriquez, auteur <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> du IPEA [Apud BAIMA,2001], signale que toutes ces années d’injustice ontfait que les inégalités sont considérées comme <strong>de</strong>sphénomènes naturels, ce qui a causé, par rapport àc<strong>et</strong>te réalité, une baisse <strong>de</strong> sensibilité d’une gran<strong>de</strong>partie <strong>de</strong> la population. Selon lui, il ne peut êtrepossible d’atteindre l’éradication <strong>de</strong> la pauvr<strong>et</strong>é <strong>et</strong> <strong>de</strong>ses conséquences qu’à travers une « dénaturalisation<strong>de</strong> l’inégalité » qui s’est installée dans notre payscomme une « endémie ».Un autre indicateur <strong>de</strong> la situation actuelle au Brésilest l’Indice du Développement humain (IDH), qui aété adopté par l’Organisation <strong>de</strong>s Nations Unies(ONU) pour vérifier le développement <strong>de</strong>s paysmembres <strong>de</strong> l’ONU <strong>et</strong> qui est calculé à partird’indicateurs comme le revenu, la santé <strong>et</strong> l’éducation.Périodiquement, l’ONU présente ses rapports, <strong>et</strong> dansceux-ci, le Brésil occupe une position loin d’êtrehonorable. Selon le IPEA [BRASIL, 2002], parmi les173 pays analysés, le Brésil, qui en 1999 était en 75 eposition, se r<strong>et</strong>rouve en 73 e position l’année suivante,se maintient malgré tout comme un pays « semidéveloppé» 4 .Nous pouvons constater que le discours qui banaliseles injustices sociales est toujours accompagné d’unautre, selon lequel il n’est pas possible <strong>de</strong> s’opposer àc<strong>et</strong>te vision néo-libérale, qui a toujours été présentéepar la classe dominante comme une évi<strong>de</strong>nce qui est« dépourvue <strong>de</strong> n’importe quelle autre alternative ».Pour Pierre Bourdieu, ceci serait le résultat <strong>de</strong> :[…] tout un travail d’endoctrinement symbolique dans lequelparticipent passivement <strong>de</strong>s journalistes ou <strong>de</strong>s simples citoyens <strong>et</strong>surtout, activement un certain nombre d’intellectuels.[1998 :42]3 Si nous prenons comme base, d’autres pays, nous pouvonsconstater que la même proportion au Zambie est<strong>de</strong> 17 fois ; au Côte d’Ivoire, 20 fois ; en Botswana, 22fois ; tandis qu’aux États-Unis est <strong>de</strong> 5,5 fois.4 L’IPEA, dans son document publié le 23 juill<strong>et</strong> 2002,tente <strong>de</strong> disqualifier les résultats affirmant que le HumanDevelopment Report Office, responsable <strong>de</strong> l’élaboration <strong>de</strong>rapports, utilisait <strong>de</strong>s données qui ne sont pas actuelspar rapport au Brésil.60 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Créant <strong>de</strong>s liens entre l’éducation physique au loisir,par Edmundo <strong>de</strong> Drummond Alves JúniorC<strong>et</strong> auteur dénonce l’idéologie néo-libérale quiviendrait toujours accompagnée d’une « philosophie<strong>de</strong> la concurrence », pour laquelle seulement ceux quisont les plus compétents peuvent gouverner outrouver du travail, suivant une logique <strong>de</strong> vainqueurs<strong>et</strong> <strong>de</strong> perdants _ comme s’il existait une sorte <strong>de</strong>« néodarwinisme social ».Dans ce contexte, en agissant <strong>et</strong> en imposant <strong>de</strong>smesures qui privilégient toujours les classesdominantes, il n’est pas surprenant que le Brésil soitun pays où existent <strong>de</strong> nombreux problèmes sociauxcomme la situation <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong> la rue, qui, entreautres problèmes, a évi<strong>de</strong>mment pour origine la crisedu système social. Dans ce sens, Remi Lenoir [in :CHAMPAGNE <strong>et</strong> alii, 1986] avertit qu’en établissantcomme obj<strong>et</strong> d’étu<strong>de</strong> un problème social déterminé, onse situe dans une perspective où il doit être résolu, cequi n’arrive pas nécessairement. Revenant à l’objectifpremier <strong>de</strong> notre article, qui est celui d’établir <strong>de</strong>slignes directrices dans la façon d’agir avec les jeunesenfants <strong>de</strong> la rue, on ne peut élu<strong>de</strong>r ces propos.Ce qui est entendu comme problème social varieselon les époques <strong>et</strong> les régions <strong>et</strong> peut disparaîtrecomme tel précisément, lorsque subsistent lesphénomènes qui sont associés à eux. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ça, lesmêmes problèmes sociaux peuvent être dus àplusieurs raisons. [LENOIR :63]CONNAÎTRE DAVANTAGE LA DYNAMIQUEQUI MÈNE LES JEUNES DANS LES RUES : UNPROJET D’INTERVENTION, DE RECHERCHEET D’ENSEIGNEMENTIl faut souligner le nombre croissant <strong>de</strong> familles quin’ont pas d’emploi dans le pays <strong>et</strong> qui sont au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>celles qui finalement finissent par être, soient sousemployéesou soient absorbées par le marché informel,faisant partie <strong>de</strong> ce qu’on peut appeler, « une classequi vit du travail » 1 . Comme stratégie <strong>de</strong> survie, onpeut constater que dans les grands centres urbains, unnombre significatif <strong>de</strong> jeunes <strong>et</strong> d’adultes vivent dansla rue, soit qu’ils sont en train <strong>de</strong> quêter ou en train <strong>de</strong>vendre <strong>de</strong>s obj<strong>et</strong>s à bas prix. Les lieux qu’ilsfréquentent sont, par exemple, les gran<strong>de</strong>s rues où il ya un trafic flui<strong>de</strong> d’automobiles <strong>et</strong> où l’on peut obtenirquelque chose, en négociant divers produits, où onpeut exposer un type quelconque <strong>de</strong> maladie ou faire<strong>de</strong>s démonstrations <strong>de</strong> certaines habil<strong>et</strong>és, comme les1 Ricardo Antunes (1999) utilise une nouvelle notion <strong>de</strong>classe travailleuse : la « classe qui vit du travail », quiinclut la totalité <strong>de</strong> ceux qui ven<strong>de</strong>nt leur force <strong>de</strong> travail <strong>et</strong>intègre les travailleurs dans ce qu’on appelle l’économie informellequi, dans la plupart <strong>de</strong>s cas, sont directement subordonnésau capital, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s travailleurs sans emploi quisont expulsés en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> processus productifs ou du marchédu travail par la restructuration du capital <strong>et</strong> qui hypertrophiel’exercice industrielle <strong>de</strong> réserve. [p.103-4]cas d’enfants <strong>et</strong> d’adolescents qui font <strong>de</strong> la jonglerie 2 .Cela inclut tous ceux qui ont comme objectif d’obtenircertain type d’ai<strong>de</strong> ou d’argent qui puisse leurperm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> survivre ou bien <strong>de</strong> contribuer auxrevenus <strong>de</strong> la famille.Visant une intervention conjointe avec lesadolescentes qui sont en activité dans ces lieux <strong>de</strong>fréquentation <strong>de</strong>s rues du quartier <strong>de</strong> Barra da Tijuca,le proj<strong>et</strong> a été conçu <strong>et</strong> structuré <strong>de</strong> manière telle, qu’ilpourra certainement contribuer à améliorer la vie <strong>de</strong>ces enfants 3 . Au-<strong>de</strong>là, nous entrevoyons d’autrespossibilités, soit à partir du développement <strong>de</strong><strong>recherche</strong>s académiques, pour générer la réintégrationsociale, soit par l’élaboration <strong>de</strong> méthodologiesappropriées afin <strong>de</strong> pouvoir apporter un service à c<strong>et</strong>teclientèle, soit par la diffusion <strong>de</strong> connaissancesacquises à travers l’enseignement dans nos cours <strong>de</strong>formation.La responsabilité <strong>de</strong> l’élaboration <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>s a été àla charge du Vice-Rectorat <strong>de</strong>s Services à lacollectivité <strong>et</strong> aux affaires communautaires <strong>de</strong>l’Université Castelo Branco (2001), sonopérationnalisation a été sous la responsabilité <strong>de</strong>l’Institut <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> <strong>de</strong> la Zone Ouest (IPEZO),avec la collaboration du Proj<strong>et</strong> Lext-Oeste pour lasystématisation finale. Il a été conçu pour une pério<strong>de</strong>déterminée <strong>de</strong> temps 4 , ce qui a constitué en soi unelimitation qui, d’une certaine façon, a pu êtresurmontée grâce au maintien d’un processus <strong>de</strong>relation permanente, renfoncée dans sa <strong>de</strong>rnière étape<strong>et</strong> qui pourra donc assurer une continuité.Le proj<strong>et</strong> a été initié en août 2001 par une activité<strong>de</strong> formation. Une <strong>de</strong>uxième phase s’est amorcée avecle contact <strong>et</strong> la sensibilisation <strong>de</strong>s jeunes pour qu’ilsparticipent régulièrement à nos activités 5 .L’intégration d’activités physiques comme la capoeiraa été fondamentale pour ces interventions <strong>de</strong> la rue.Un jeune qui était loin <strong>de</strong> ce site <strong>de</strong> fréquentation pluscourant, quand on l’a questionné, a déclaré qu’étantdonné qu’il n’avait aucune habilité à montrer, ni rien àvendre quoique ce soit, se considérait étranger à cesespaces parce que la concurrence pour pouvoir êtreprésent dans ces secteurs du Barra <strong>de</strong> Tijuca était très2 Ce type d’activité est la plus pratiquée par les adolescentesdu proj<strong>et</strong>, il y a quelques autres qui se concentrentsur la vente <strong>de</strong> ballons, <strong>de</strong> gommes «balounes» <strong>et</strong> <strong>de</strong>« mariolas ».3 Les ressources financières qui ont rendu viable le proj<strong>et</strong>viennent du Ministère <strong>de</strong> Justice <strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tent que lesenfants reçoivent une bourse mensuelle.4 Le contrat signé pour l’application initiale du proj<strong>et</strong> aété d’une durée d’une année, prévoyant sa fin pour août2003. Pendant ce temps là, <strong>de</strong>s contacts se sont multipliéspour que le contrat puisse être renouvelé.5 Un grand événement a été réalisé le 30 octobre, dans leParc Pimentinha, sur l’Ave. das Américas, la rue principaledu quartier. Ce jour-là, tous les groupes qui agissaient<strong>de</strong> façon isolée, étaient réunis pour la premièrefois <strong>et</strong> à partir <strong>de</strong> ce moment là, ont organisé <strong>de</strong>s activitésconjointes.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 61


Paroles singulièresgran<strong>de</strong>. Les carrefours principaux du Barra <strong>de</strong> Tijuca,comme l’Avenue <strong>de</strong>s Amériques, ont leurs propresrègles qui déterminent qui peut ou qui ne peut pasagir là <strong>et</strong> qu’est-ce qu’il est possible <strong>de</strong> faire 1 .Au Brésil ce n’est pas un fait nouveau les enfantsdans la rue, ni non plus les tentatives institutionnelles<strong>de</strong> trouver une réponse sociale à ce problème 2 . Ils sontnombreux ceux qui pensent qu’il y a eu un grandprogrès avec l’élaboration <strong>et</strong> la reconnaissance duStatut <strong>de</strong> l’enfant <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’adolescent (ECA, 1990).C<strong>et</strong>te législation est un progrès, d’une certaine façon,puisqu’elle présente une vision nouvelle sur cesenfants, même si elle est dissociée d’une politiquesociale plus large ou d’un changement <strong>de</strong> mentalitéplus général <strong>de</strong> la société sur ce qui rend difficile lasituation <strong>de</strong>s enfants qui pour <strong>de</strong> raisons diversesoptent par la rue.Dans une analyse <strong>de</strong> la littérature sur cesphénomènes <strong>de</strong> société, Impelizieri (1985) argumenteque c<strong>et</strong>te situation <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus grave,surtout dans les populations urbaines. Son étu<strong>de</strong>démontre comment les discussions provoquées par<strong>de</strong>s nouveaux segments <strong>de</strong> la société (les ONGs, laPastorale <strong>de</strong>s enfants, entre autres) étaient <strong>de</strong>première importance, autant pour la forme <strong>de</strong>sservices que pour les lois qui ont offert un support àces services. L’approbation du Statut <strong>de</strong> l’enfant <strong>et</strong> <strong>de</strong>l’adolescent, en 1990, apparaît comme un moment quimarque une différence d’avec la pério<strong>de</strong> antérieure encréant la possibilité <strong>de</strong>s nouvelles formesd’intervention qui incluent <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>s comme le nôtre<strong>de</strong> <strong>recherche</strong> d’une réinsertion sociale <strong>de</strong>s enfants(garçons <strong>et</strong> filles) <strong>de</strong> la rue 3 . C<strong>et</strong>te dénomination sedistingue fondamentalement <strong>de</strong>s appellationspéjoratives « piv<strong>et</strong>e » <strong>et</strong> « trombadinha » quihomogénéisent tout un groupe d’enfants, laissantcroire que le fait d’être dans la rue signifie qu’on estdélinquant ou proche <strong>de</strong> la délinquance. La nouvelledénomination a pris force à partir <strong>de</strong>s années 1980, ils’est opposé à ce qui existait déjà politiquement, à savoir l<strong>et</strong>erme « mineur » qui, à partir <strong>de</strong>s manuels <strong>de</strong> droits,contaminaient tout le langage sur l’enfance pauvre. [ibid :]Flavia Impelizieri a analysé les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> RIZZINI<strong>et</strong> <strong>de</strong> LUSK, toutes <strong>de</strong>ux réalisés dans la décennie <strong>de</strong>1980, qui pressentaient déjà «un profil» <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong>la rue. Ces <strong>recherche</strong>s ont apporté <strong>de</strong>s données1 La tolérance <strong>de</strong> la gar<strong>de</strong> municipale trouve ses limiteslorsque on est en train <strong>de</strong> vendre quelque chose ; au début<strong>de</strong> nos interventions, nous avons eu quelques problèmes,puisqu’il y avait une détermination <strong>de</strong> la gar<strong>de</strong>municipale, en accord avec la Secrétariat municipale duDéveloppement Social (SMDS), <strong>de</strong> ramasser les jongleurs.2 C<strong>et</strong>te stratégie <strong>de</strong> ramasser les enfants <strong>de</strong> la rue s’avère<strong>de</strong>s plus inefficaces, parce qu’elle ne combat pas lasource principale du problème.3 Il est importante <strong>de</strong> clarifier qu’il existe déjà une compréhensionentre divers auteurs qui distinguent trèsbien les enfants (garçons <strong>et</strong> filles) <strong>de</strong> la rue, <strong>de</strong>s enfants(garçons <strong>et</strong> filles) dans la rue.significatives, qui indiquent par exemple, nonseulement le fait qu’une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s enfants(contactés) maintiennent <strong>de</strong>s liens familiaux, maisaussi le fait qu’ils représentent une ai<strong>de</strong> financière aubudg<strong>et</strong> familial. Dans c<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong>, il est possible <strong>de</strong>percevoir qu’il y a une multiplicité <strong>de</strong> facteurs, <strong>de</strong>causes diverses qui s’additionnent <strong>et</strong> qui font que lesenfants se trouvent dans la rue. En même temps, laviolence corporelle ou sexuelle est déterminante pourque ces enfants optent pour rester dans la rue pluslongtemps, déclarant même, dans certains cas, n’avoiraucune intention <strong>de</strong> revenir à l’ancienne rési<strong>de</strong>nce.Les familles <strong>de</strong>s enfants 4 qui, pour toutes sortes <strong>de</strong>raisons, sont dans la rue ont été ciblées par les étu<strong>de</strong>s<strong>de</strong> MINAYO (1991, apud IMPELIZIERI, op. cit). Il aété constaté l’existence <strong>de</strong> liens forts entre la situation<strong>de</strong> pauvr<strong>et</strong>é <strong>et</strong> l’émergence <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> relation<strong>et</strong> <strong>de</strong> violence <strong>de</strong> divers types, dont souffrent lesenfants dans leur contexte familial. Ces trois étu<strong>de</strong>sconvergent lorsqu’on observe que l’univers <strong>de</strong>senfants <strong>de</strong> la rue qui réalisent un travail quelconquemaintiennent un lien avec la famille. Dans ces cas-là,l’apport économique est une réalité qui va au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>ssituations <strong>de</strong> violence qui sont fréquemment évoquéesdans d’autres catégories établies par ces auteurs.Plus récemment, l’UNESCO a publié une <strong>recherche</strong>qui poursuivait l’approfondissement <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>sfamilles <strong>de</strong>s enfants <strong>et</strong> <strong>de</strong>s adolescents en situation <strong>de</strong>risque social (GREGORI, 2000). C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> a prisforme à partir d’une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> associée aux manques<strong>de</strong> données sur les familles, en contrepartie du nombredéjà significatif <strong>de</strong> travaux académiques <strong>et</strong> <strong>de</strong>publications diverses sur les enfants <strong>de</strong> la rue. Il s’agitd’une constatation réalisée dans le cadre d’une thèse<strong>de</strong> doctorat présentée en 1997 par c<strong>et</strong>te auteure.L’étu<strong>de</strong> appuyée par l’UNESCO a analysé le proj<strong>et</strong>Travessia, qui se déroule dans la ville <strong>de</strong> Sao Paulo.Ses résultats perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> comprendre ce qui estappelé « les processus expulsifs », précé<strong>de</strong>mmenti<strong>de</strong>ntifiés dans une autre étu<strong>de</strong> (VOGEL & MELLO,1981, apud, GREGORI, op.cit.) <strong>et</strong> le cercle vicieux <strong>de</strong>senfants dans divers arrangements familiaux. Autant ladynamique familiale, comme celle imposée par lesystème scolaire, sont confondues dans le « processusexpulsif ».Selon l’étu<strong>de</strong> coordonnée par Maria FilomenaGregori, trois indicateurs principaux ressortent sur labase <strong>de</strong>s données recherchées <strong>et</strong> ils offrent uneréflexion sur les proj<strong>et</strong>s développés avec <strong>de</strong>s enfantsqui agissent dans ce circuit : l’importante informationrecueillie doit être organisée <strong>de</strong> façon systématiséeainsi que la formation continue <strong>de</strong>s cadres ou <strong>de</strong>spersonnes engagées <strong>et</strong> la formation d’un réseau <strong>de</strong>service 5 .4 Dans notre proj<strong>et</strong>, les contacts que nous avons eus avecles familles visitées dans leurs maisons, ont été réalisésavec beaucoup <strong>de</strong> succès.5 Toutes ces préoccupations ont été considérées dans notreproj<strong>et</strong>.62 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Créant <strong>de</strong>s liens entre l’éducation physique au loisir,par Edmundo <strong>de</strong> Drummond Alves JúniorCompte tenu <strong>de</strong> ces préoccupations, s’est développéce proj<strong>et</strong> d’intervention avec <strong>de</strong>s adolescents d’un<strong>et</strong>ranche d’âge <strong>de</strong> 12 <strong>et</strong> 17 ans, à travers <strong>de</strong>s activitésse déroulant dans les rues <strong>de</strong> Barra <strong>de</strong> Tijuca.L’objectif principal <strong>de</strong> ce travail était d’offrir auxadolescents un espace <strong>de</strong> formation <strong>et</strong> <strong>de</strong> développementd’activités éducatives <strong>et</strong> <strong>de</strong> loisir. Pour cela, dans lecadre <strong>de</strong> l’université Castelo Branco, <strong>de</strong>s académiciens<strong>et</strong> <strong>de</strong>s professeurs <strong>de</strong> différents domainesd’intervention ont été mobilisés. Seulement un travailavec <strong>de</strong>s caractéristiques multiprofessionnelles seraitcapable d’agir <strong>et</strong> <strong>de</strong> comprendre les diverses nuancesqui caractérisent ces adolescents <strong>de</strong> la rue <strong>de</strong> cequartier.La <strong>recherche</strong> <strong>de</strong> méthodologies spécifiques pourtravailler avec ce groupe social est l’un <strong>de</strong>s objectifsque ce proj<strong>et</strong> tente d’atteindre, marquant d’unemanière significative, l’intégration <strong>de</strong>s troisdimensions <strong>de</strong> l’Université ; enseignement, <strong>recherche</strong><strong>et</strong> service à la collectivité. Quatre proj<strong>et</strong>sd’intervention ont été privilégiés, lesquels, <strong>de</strong> façonarticulée, agissent déjà avec un groupe <strong>de</strong> mineurs quirencontrent les principales caractéristiques <strong>de</strong> cequ’on attend du public cible du proj<strong>et</strong>. Quatreprofesseurs <strong>de</strong> l’institution assumeront laresponsabilité <strong>de</strong> superviser les académiques <strong>de</strong>s coursd’Éducation physique, <strong>de</strong> Thérapie occupationnelle(<strong>de</strong> travail), <strong>de</strong> Service social <strong>et</strong> <strong>de</strong> Pédagogie, en plus<strong>de</strong> l’élaboration <strong>de</strong>s lignes directrices orientant leursactions spécifiques, établies <strong>de</strong> manière à garantirl’intégration <strong>de</strong>s différents domaines.PLANIFIANT LA FAÇON D’AGIR DANS LEDOMAINE DE L’ÉDUCATION PHYSIQUETenant compte qu’il s’agit d’un proj<strong>et</strong> <strong>de</strong>développement, notre intention est d’illustrer iciquelques principes qui ont servi d’orientation <strong>de</strong> nosinterventions dans le domaine <strong>de</strong> l’Éducationphysique 1 . Puisque le champ est assez large <strong>et</strong> qu’il estmarqué par quelques contradictions historiques, il estnécessaire dès maintenant, <strong>de</strong> présenter notre optionparadigmatique, qui prend distance d’avec « senscommun » qui souvent confond l’éducation physiqueavec le sport, cherchant à travers l’amélioration <strong>de</strong>l’aptitu<strong>de</strong> physique ou d’une activité physique àmo<strong>de</strong>ler le corps pour le rendre plus docile <strong>et</strong>discipliné. Durant les <strong>de</strong>rnières années, se sontarticulées d’autres manières <strong>de</strong> comprendre ce qu’estl’éducation physique <strong>et</strong> nous tentons d’adopter laproposition défendue par le livre <strong>de</strong> Méthodologied’éducation physique, connu aussi comme le Collectifd’auteurs (SOARES <strong>et</strong> alii, 1992), qui cherche à faireune réflexion fondée sur le concept <strong>de</strong> « culturecorporelle ».1 L’auteur <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te article est professeur superviseur dudomaine <strong>de</strong> l’Éducation physique qui compte avec troisstagiaires : Alexandre Martins Rocha, Nilton NogueiraResen<strong>de</strong> <strong>et</strong> Jaci <strong>de</strong> Araujo Dias.Nous prouvions que le public cible du proj<strong>et</strong> faitpartie d’un grand ensemble <strong>de</strong> jeunes qui ontabandonné l’école ou qui la fréquentent encore mais<strong>de</strong> façon irrégulière, ce qui nous mène à réaliser uneanalyse du système scolaire, lequel, la majorité <strong>de</strong>sfois, est très éloigné <strong>de</strong> la réalité sociale dont cesjeunes font partie. Nous pouvons dire qu’il s’agit d’unecrise <strong>de</strong> la pédagogie traditionnelle, qui a lieu lorsqueses explications sur la pratique sociale ne sont plusconvaincantes pour les classes différentes <strong>et</strong> ne correspon<strong>de</strong>ntplus à leurs intérêts. (Soares <strong>et</strong> alii, 1995 :25)L’éducation physique, <strong>de</strong>puis plusieurs décennies,fait partie du système scolaire, <strong>et</strong> c’est ici que nouscritiquons les tendances plus conservatrices qui, ànotre avis, s’éloignent du processus éducatif lorsqu’onconçoit le sport <strong>de</strong> haut ren<strong>de</strong>ment ou bien l’aptitu<strong>de</strong>physique performante comme unique possibilitéd’intervention. Durant les <strong>de</strong>rnières décennies, nousassistons à <strong>de</strong> fortes réactions aux modèlesd’éducation physique qui, comme <strong>de</strong>rnier recours ontvisé exclusivement le sport <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>ment <strong>et</strong> lasurvalorisation <strong>de</strong> l’amélioration <strong>de</strong> l’aptitu<strong>de</strong>physique. Ces modèles qui ont[…] contribué historiquement aux intérêts <strong>de</strong> la classe au pouvoirà maintenir la structure <strong>de</strong> la société capitaliste, <strong>et</strong> en essayant àtravers l’éducation, d’adapter l’homme à la société, aliénant sacondition <strong>de</strong> suj<strong>et</strong> historique capable d’interférer dans latransformation <strong>de</strong> la société. [IBID :54]Lorsque nous pensions à la manière dont nousallions agir avec ces jeunes, nous ne pouvions pas nepas réfléchir à certaines questions concernant laplanification <strong>de</strong> nos actions. Certainement, dans unproj<strong>et</strong> d’éducation soit à l’école ou comme dans notrecas, dans la rue, il est nécessaire d’avoir très claire àl’esprit l’option <strong>de</strong>s éducateurs en ce qui concernel’élaboration du proj<strong>et</strong> pédagogique qui doit toujourstenir en considération la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du public cible. Ence sens, Diniz avertit <strong>de</strong> l’importance d’être attentifaux objectifs qu’on prétend atteindre :La <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’une classe émergente qui désire la normalisationd’un autre groupe qui vit en marge <strong>de</strong> la société, groupe quiapparaît comme une menace à la sécurité <strong>de</strong> leurs propriétés : lamaison, la voiture, ou l’ensemble <strong>de</strong> la municipalité, c’est uninvestissement possible dans un groupe dont la production désiréepoursuit justement celle <strong>de</strong> rompre avec toutes les normes, désir <strong>de</strong>transgresser les espaces <strong>et</strong> les limites imposés par la société, désir <strong>de</strong>rompre les limites <strong>de</strong> son propre corps, d’expérimenter le mon<strong>de</strong>,d’oser <strong>de</strong> plus en plus. [DINIZ, 2000 :]La relation pédagogique avec les jeunes ne doit pasêtre brisée, elle doit être patiemment construite,toujours dans un constant dialogue avec ceux quivivent les processus éducatifs, sans imposer sur euxun processus pédagogique qui puisse les contraindre.Considérant les jeunes comme partenaires <strong>de</strong> c<strong>et</strong>teconstruction, il sera possible d’atteindre c<strong>et</strong>tesociabilisation désirée. Pour s’approcher <strong>de</strong>s désirs <strong>de</strong>normalisation répondant aux objectifs <strong>de</strong> la classedominante, s’imposent <strong>de</strong>s valeurs qui n’ont pas <strong>de</strong>signification pour les enfants :Opter pour une posture critique-éducative implique un défi encoreplus grand puisqu’il exige aussi un dédoublement <strong>de</strong> l’éducateurCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 63


Paroles singulièresmême dans sa rencontre avec l’autre (celui qui vit les processuséducatifs) ; il s’agit d’un apprentissage dans un espace ouvert pourla production <strong>de</strong> nouveaux espaces <strong>de</strong> subjectivation, ce quiimplique d’expérimenter notre corps dans ce nouvel espace enexplorant ses possibilités <strong>et</strong> ses limites pour que l’éducateur puissecomposer en apprenant tout un art d’approximation. [Ibid :2]En optant par une posture plus critique, l’éducateurqui agit dans un espace marqué par une telleimprévisibilité comme celle <strong>de</strong> la rue, est face à face àla réalité, ce qui le conduit à <strong>de</strong>s constantsquestionnements ; soit sur l’école, sur la relationfamiliale, soit sur la société. Finalement, à notre avis,il est aussi nécessaire <strong>de</strong> tenir compte du modèle <strong>de</strong>société qui a produit une telle situation d’inégalité.Agir avec la question <strong>culturelle</strong> <strong>et</strong> corporelle dans lapédagogie <strong>de</strong> rue, signifie :[…] développer une réflexion pédagogique sur l’ensemble <strong>de</strong>formes <strong>de</strong> représentations du mon<strong>de</strong> que l’homme a produit dans lecourant <strong>de</strong> son histoire, extériorisé par l’expression corporelle : <strong>de</strong>sjeux, <strong>de</strong>s danses, <strong>de</strong>s luttes, <strong>de</strong>s exercices gymnastiques, du sport, <strong>de</strong>la jonglerie, du contorsionnisme, du mime <strong>et</strong> autres qui peuventêtre i<strong>de</strong>ntifiés comme <strong>de</strong>s focus <strong>de</strong> représentations symboliques <strong>de</strong>réalités vécues par l’homme, historiquement maintenues <strong>et</strong><strong>culturelle</strong>ment développées. [SOARES, op. cit. :38]Toujours en ayant à l’esprit l’intervention <strong>de</strong>l’éducation physique dans ce proj<strong>et</strong>, nous croyons àl’importance du travail éducatif que nous entendonscomme loisir, selon Nelson Marcellino (1983) <strong>et</strong>autres auteurs qui attirent l’attention sur l’effortd’« éduquer à travers le loisir ». L’importance duloisir comme droit social peut être vérifié par soninclusion dans un chapitre <strong>de</strong>s droits sociaux dans laConstitution Brésilienne (BRASIL, 1988) <strong>et</strong> <strong>de</strong> lamême manière du ECA (BRASIL, op. cit.) 1 .Comprendre la signification du loisir requiert <strong>de</strong> ledétacher du concept <strong>de</strong> récréation <strong>et</strong> <strong>de</strong> la fin qu’il aen lui-même. Le loisir est un phénomène social urbainpost-industriel qui constitue l’un <strong>de</strong>s « momentssociaux » les plus importants <strong>de</strong> l’homme mo<strong>de</strong>rne.Quoique certains auteurs i<strong>de</strong>ntifient l’existence duloisir dans la société grecque ou romaine, nouscroyons plus pertinent <strong>de</strong> l’abor<strong>de</strong>r, à partir <strong>de</strong> laréalisation du temps du travail <strong>et</strong> <strong>de</strong>s conquêtessociales qui ont été obtenues suite à la lutte <strong>de</strong>stravailleurs organisés pour avoir du temps libre. JoffreDumazedier, un <strong>de</strong>s principaux auteurs qui ont étudié1 Son l’article 4 dit que il est un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> la famille, <strong>de</strong> lacommunauté, <strong>de</strong> la société en général <strong>et</strong> du pouvoir publicd’assurer, avec une priorité absolue, la réalisation <strong>de</strong>s droitsrelatifs à la vie, à la santé, à l’alimentation, à l’éducation, ausport, au loisir, à la professionnalisation, à la culture, à la dignité,au respect, à la liberté <strong>et</strong> à la convivialité familiale <strong>et</strong>communautaire. En plus dans ce même statut, l’article 59, signaleque les Municipalités, avec l’appui <strong>de</strong>s États <strong>et</strong> <strong>de</strong>l’Union, doivent stimuler <strong>et</strong> faciliter la <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> ressources<strong>de</strong>s espaces pour <strong>de</strong>s programmations <strong>culturelle</strong>s, sportives<strong>et</strong> <strong>de</strong> loisir qui sont <strong>de</strong>stinées à l’enfance <strong>et</strong> à la jeunesse. Selonl’article 71, les enfants <strong>et</strong> les adolescents ont le droit àl’information, à la culture, au loisir, aux sports, aux diversions,aux spectacles <strong>et</strong> produits <strong>et</strong> services qui respectent leurcondition particulière <strong>de</strong> personnes en développement.ce phénomène <strong>de</strong> notre temps 2 , offre une gran<strong>de</strong>contribution lorsqu’il caractérise les divers intérêts duloisir, qui, d’une certaine manière, peuvent contribuerà ceux qui vont agir dans la fonction <strong>de</strong> « l’animateurculturel ». Il y aurait cinq principes conjointsd’intérêts : physiques, manuels, esthétiques,intellectuels <strong>et</strong> sociaux (DUMAZEDIER, 1979). Àpartir <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te classification, celui qui prétendintervenir aura à sa disposition un éventail d’optionsdans lequel la culture est son principal fon<strong>de</strong>ment.Comme nous l’avons affirmé précé<strong>de</strong>mment, c’est leconcept <strong>de</strong> culture qui va traverser toute laconceptualisation du loisir, par conséquent toutes lesactivités <strong>de</strong> loisir doivent être comprises comme <strong>de</strong>sactivités <strong>culturelle</strong>s. À ce propos, éduquer à travers leloisir altère la logique marchan<strong>de</strong> dans laquellel’éducation est toujours adoptée dans le sens <strong>de</strong> lavalorisation du travail.Malgré tous les préjugés existants lorsqu’on abor<strong>de</strong> le loisir <strong>et</strong>l’éducation, il est plus facile <strong>de</strong> vérifier l’acceptation <strong>de</strong>s activitésmenées durant le temps libre comme véhicules d’éducation,principalement lorsque celle-ci est abordée <strong>de</strong> façon plus largecomme un processus qui se développe durant toute la vie <strong>de</strong>spersonnes. Les possibilités <strong>de</strong> développement personnel <strong>et</strong> social quela pratique du loisir offre peuvent être confondus avec les objectifsplus généraux <strong>de</strong> l’éducation. Évi<strong>de</strong>mment lorsque les éducateursou théoriciens <strong>de</strong> l’éducation n’abor<strong>de</strong>nt pas le thème du loisir,fréquemment ils manifestent la préoccupation <strong>de</strong> l’intégration <strong>de</strong>leurs valeurs.[MARCELLINO, op. cit. :70]Suite à ce qu’on vient <strong>de</strong> dire <strong>de</strong> nos interventionsdans le domaine <strong>de</strong> l’éducation physique, il ressort unensemble d’options qui sont constamment discutéesavec les acteurs sociaux <strong>de</strong> ce proj<strong>et</strong>. Dans nospremières observations, dans le champ <strong>de</strong> la culturecorporelle, la capoeira, le soccer, les danses, les jeux <strong>et</strong>les sports, les activités <strong>de</strong> gymnastique acrobatique <strong>et</strong>l’escala<strong>de</strong> sur un mur artificiel, sont présentés commeles principales options que nous sommes déjà en train<strong>de</strong> développer 3 conjointement avec <strong>de</strong>s activitésd’autres domaines. Bien sûr, d’autres propositionsvont émerger à travers le parcours du proj<strong>et</strong>, <strong>et</strong> en cesens nous sommes toujours en train <strong>de</strong> chercher la« sensibilisation <strong>de</strong>s goûts » à d’autres langagesculturels. Il est clair que c’est seulement à partir d’unerenégociation constante <strong>et</strong> d’une diffusion <strong>de</strong> cesnouveaux langages que nous arriverons à avoir lemilieu idéal pour développer les diverses activités2 Dans son élaboration théorique, même s’il n'est pasexempt <strong>de</strong> dimensions fonctionnalistes, s'y r<strong>et</strong>rouvent<strong>de</strong>s éléments qui facilitent l’opérationalisation <strong>de</strong>s activitésen contribuant à l’intervention <strong>de</strong> celui qui est appelé« animateur culturel ». Dans le « Manuel élaborépour la capacitation du SESC », Victor Andra<strong>de</strong> <strong>de</strong> Melo(2002) souligne l’importance <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre à profit <strong>de</strong>s moments<strong>de</strong> loisir pour discuter <strong>de</strong>s valeurs, <strong>de</strong>s normes, développerune perspective critique <strong>de</strong>s individus au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la réalité,qui peuvent être réalisés à travers <strong>de</strong> ce que nous appelonsl’éducation à travers le loisir.3 La stratégie d’utilisation <strong>de</strong>s jeux coopératifs(BROTTO, 1997) a déjà été expérimenté <strong>et</strong> les réponsesont été assez satisfaisantes.64 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Citoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong> mouvement communautaire au Québec : théâtralisation <strong>et</strong> figuration d’autres scènes du politique,par Jocelyne Lamoureux<strong>culturelle</strong>s <strong>de</strong> loisir, pour construire <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te manièrele processus éducatif <strong>de</strong>s jeunes.CONSIDÉRATIONS FINALESL’utilisation d’activités qui développent <strong>de</strong>séléments <strong>de</strong> « culture corporelle » peut être unealternative confrontant les modèles éducationnelsutilisés par l’éducation physique traditionnelle qui n’apas <strong>de</strong> signification pour les jeunes <strong>et</strong> qui fatalementles condamnent à l’échec, à l’aliénation <strong>et</strong> à la docilité.Notre expectative est d’offrir <strong>de</strong>s conditions à cesjeunes pour arriver à avoir une nouvelle vision dumon<strong>de</strong> afin <strong>de</strong> contribuer, par l’exercice plein <strong>de</strong> lacitoyenn<strong>et</strong>é à partir <strong>de</strong> l’intégration <strong>de</strong> l’éducationphysique, à d’autres domaines <strong>de</strong> l’intervention.Ils ne sont pas rares les discours qui attribuent à lapratique <strong>de</strong>s activités physiques sportives <strong>de</strong>spouvoirs qui soient questionnables ; qui sont toujoursaccompagnés d’un type <strong>de</strong> moralisme qui en réalité nesert qu’à exercer un contrôle social sur ceux que sontà l’extérieur <strong>de</strong>s patrons établis. Nous considéronsque les activités physiques sportives doivent êtrepensées différemment, intégrées à un proj<strong>et</strong> politiquepédagogique plus large, élaborées en fonction d’unproj<strong>et</strong> <strong>de</strong> société qui soit moins injuste. De c<strong>et</strong>temanière, nous défendons ce proj<strong>et</strong>, l’importance <strong>de</strong>faire entendre les intérêts du public cible dans unenégociation permanente afin <strong>de</strong> contribuerpédagogiquement par la formation <strong>et</strong> réinsertionsociale <strong>de</strong> ces jeunes, en respectant toujours ladiversité <strong>culturelle</strong> qui les accompagne.RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUESANTUNES, Ricardo. A<strong>de</strong>us ao trabalho ? Ensaio sobre asm<strong>et</strong>amorfoses e a centralida<strong>de</strong> do mundo do trabalho. 2 °ed. São Paulo/Campinas : Cortez/Ed. da Unicamp, 1995BAIMA, César. « O campeão da injustiça social ». 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São Paulo : Cortez, 1992.Citoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong> mouvementcommunautaire au Québec :théâtralisation <strong>et</strong> figuration d’autresscènes du politique,par Jocelyne LamoureuxProfesseure département <strong>de</strong> sociologie, Université du Québec àMontréalProgramme d’<strong>Animation</strong> <strong>et</strong> <strong>recherche</strong> <strong>culturelle</strong>s<strong>Animation</strong> ou intervention sociale, éducationpopulaire ou action socio<strong>culturelle</strong>, organisation oudéveloppement communautaire sont, au Québec, <strong>de</strong>sappellations d’origine plus ou moins contrôlées selonle-la locuteur-trice <strong>et</strong> ceux <strong>et</strong> celles à qui lecommentaire s’adresse. Une chose est cependant quasicertaine : l’utilisation <strong>de</strong> l’un ou l’autre <strong>de</strong> ces vocablesCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 65


Paroles singulièresou <strong>de</strong> leurs analogies révèle qu’on se positionne selonla perspective <strong>de</strong> la personne qui, en raison <strong>de</strong> sonautorité, son expertise, sa conscience, son <strong>de</strong>ssein, sonmandat, agit sur <strong>de</strong>s problématiques économiques ousociopolitiques avec, par ou pour <strong>de</strong>s personnes ou <strong>de</strong>sgroupes la plupart du temps marginalisés oulaissés pour compte. Ainsi donc, par exemple, <strong>de</strong>sprofesseurEs <strong>de</strong> service social ou d’économie solidaire,d’animation <strong>culturelle</strong> ou <strong>de</strong> développement local <strong>de</strong>type communautaire enseigneront à leurs étudiantEsl’histoire <strong>et</strong> les stratégies diverses <strong>de</strong>s « métiers » <strong>de</strong>l’animation. Des organisateurs-trices communautaires encentres locaux <strong>de</strong> services communautaires (CLSC) —instance <strong>de</strong> première ligne du systèmesociosanitaire — réfléchiront sur les enjeux <strong>et</strong>significations <strong>de</strong> leurs interventions <strong>et</strong> sur le rôle <strong>et</strong> laplace <strong>de</strong>s acteurs institutionnels <strong>et</strong> communautairesrespectifs.Nous proposons dans la présente communication unautre regard <strong>et</strong> une autre perspective s’ancrant plutôtdans la dynamique d’un mouvement social : lemouvement communautaire autonome. Nousanalyserons plus spécifiquement <strong>de</strong>s représentations<strong>et</strong> pratiques <strong>de</strong> citoyenn<strong>et</strong>é qui y ont cours <strong>et</strong> nousréfléchirons sur le réaménagement <strong>de</strong> l’espace dupolitique à partir d’un matériau original cueilli dans<strong>de</strong>s <strong>recherche</strong>s que nous menons <strong>de</strong>puis quatre ansauprès <strong>de</strong>s participantEs <strong>et</strong> travailleurs-euses dans<strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> base <strong>et</strong> <strong>de</strong>s regroupements nationauxactifs auprès <strong>de</strong>s personnes appauvries, peuscolarisées, immigrantes, ou encore auprès <strong>de</strong> jeunes<strong>de</strong> quartiers à forte <strong>de</strong>nsité <strong>et</strong>hno<strong>culturelle</strong>. Ce quenous appelons le mouvement communautaireautonome, au Québec, est composé <strong>de</strong> quelque 4 000groupes ou organismes, 25 000 travailleurs (en faittravaillEUSES à 80 %), s’autodéfinissant, hors lespartis politiques, les syndicats <strong>et</strong> les servicesparapublics, comme les constituantes d’un mouvementsocial autonome d’intérêt public agissant, par lasocialisation, l’entrai<strong>de</strong>, la défense <strong>de</strong> droits, lesservices <strong>de</strong> proximité <strong>et</strong> la mobilisation <strong>de</strong>ssolidarités, dans l’optique d’une plus gran<strong>de</strong> justicesociale, d’une démocratisation <strong>de</strong> l’espace public <strong>et</strong>d’une réappropriation, individuelle <strong>et</strong> collective, dupouvoir, entendu comme potentialité d’infléchirdélibérément le cours <strong>de</strong>s choses. Associations <strong>de</strong>locataires, actions populaires en réaménagementurbain auprès <strong>de</strong>s mal-logés, maisons <strong>et</strong> organismesjeunesse, centres <strong>de</strong> femmes, ressources alternativesen santé mentale, maisons d’hébergement pour jeunesou pour femmes violentées, regroupements <strong>de</strong> sansemploiou d’assistéEs sociaux-ales, collectifs <strong>et</strong>regroupements écologiques, groupes d’alphabétisation<strong>et</strong> d’éducation populaire, groupes travaillant auprès <strong>de</strong>personnes réfugiées ou immigrantes, médiascommunautaires, corporations <strong>de</strong> développementéconomique communautaire remplissant « <strong>de</strong> chaleur<strong>et</strong> d’humanité la démocratie », comme le disait <strong>de</strong>Tocqueville.Au-<strong>de</strong>là du passeport canadien, du droit <strong>de</strong> vote <strong>et</strong><strong>de</strong> l’éligibilité, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la question nationalequébécoise, on assiste aujourd’hui à une (ré)surgencedu thème <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é — <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’adjonction àcelle-ci <strong>de</strong> qualificatifs comme démocratique, active,participative, plurielle, inclusive, altermondialiste. Sansdoute l’accroissement <strong>de</strong>s inégalités, la mise soustutelle par les acteurs <strong>de</strong> la privatisation tous azimuts<strong>de</strong>s parlements <strong>et</strong> <strong>de</strong>s gouvernements, le « déficitdémocratique », le désintéressement, voire le cynisme,à l’égard <strong>de</strong> la politique y sont-ils pour quelque chose.Dans nos sociétés tissées <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s hétérogénéités<strong>culturelle</strong>s <strong>et</strong> quadrillées d’inégalités structurellesgraves, les processus <strong>de</strong> refoulement aux marges,d’ébranlement <strong>de</strong>s relations sociales <strong>et</strong> personnellesstructurantes, ou encore d’assignation i<strong>de</strong>ntitaireexcluante ou déviante rem<strong>et</strong>tent en questionfondamentalement l’exercice <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é. Etpour cause : la citoyenn<strong>et</strong>é aurait à voir avecl’appartenance à une collectivité, avec le politique quiprési<strong>de</strong> à l’espace <strong>de</strong>s débats <strong>et</strong> aux rapports entre lespersonnes, avec la reliance sociale, les conditions duvivre-ensemble.Si nous avons choisi d’examiner les représentations<strong>et</strong> pratiques <strong>de</strong> citoyenn<strong>et</strong>é r<strong>et</strong>rouvées au sein dumouvement communautaire autonome, au Québec, cen’est pas pour m<strong>et</strong>tre ce <strong>de</strong>rnier en exergue commeétant la panacée expérientielle <strong>de</strong>s initiativescitoyennes. La citoyenn<strong>et</strong>é étant, là comme ailleurs, <strong>et</strong>heureusement, une réalité complexe,multidimensionnelle <strong>et</strong> controversée. Il n’en <strong>de</strong>meurepas moins que ce mouvement peut constituer unvivier très fécond d’interrogations <strong>et</strong> <strong>de</strong> mises enœuvre diverses <strong>et</strong> polysémiques.ÊTRE À PART, AUX MARGESLorsqu’elles recouraient au vocable « citoyenn<strong>et</strong>é »,les personnes, membres à la base <strong>de</strong>s groupes, qui ontparticipé à nos <strong>recherche</strong>s, le faisaient par la négative,renvoyant au manque, au creux, à l’abîme.L’expérience <strong>de</strong>s personnes aux prises avec lapauvr<strong>et</strong>é, la faible scolarisation, les obstacles àl’installation <strong>et</strong> à l’intégration dans le pays soi-disantd’accueil, ou encore avec <strong>de</strong>s formes plus ou moinsprégnantes <strong>de</strong> marginalisation, en raison <strong>de</strong> leurorigine <strong>et</strong>hno<strong>culturelle</strong>, <strong>de</strong> leur mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong> leurcôtoiement <strong>de</strong> la folie, se traduit en une souffrancesociale. « Je me sens appauvrie <strong>de</strong> tout mon être »,disait une jeune femme assistée sociale. Pour certains,se rajoute le stigmate découlant <strong>de</strong> l’alphacratie, c<strong>et</strong>tediscrimination <strong>culturelle</strong> repoussant toujours plus auxmarges <strong>de</strong> l’univers du vivre-ensemble les personnesanalphabètes ou faiblement scolarisées : « À quaranteans, là, c’est qu’on n’a plus <strong>de</strong> place dans la société.[…] Ils ne peuvent t’envoyer à l’école à c<strong>et</strong> âge-là. […]Ils nous m<strong>et</strong>tent dans un sac, ils le bouclent, puis ilsm<strong>et</strong>tent ça sur le bord du chemin. » (Lamoureux 1999 :56) La notion analytique que nous reprenons(Kleinman 1997, 1996) prend acte <strong>de</strong> la souffrance66 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Citoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong> mouvement communautaire au Québec : théâtralisation <strong>et</strong> figuration d’autres scènes du politique,par Jocelyne Lamoureuxcomme expérience sociale <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> porterattention aux contraintes qui la provoquent, auxempreintes qu’elle laisse sur les corps, les i<strong>de</strong>ntités, lesémotions, sur les univers <strong>de</strong> sens, <strong>et</strong> aussi, bienentendu, aux processus complexes ou aux stratégies <strong>de</strong>reconstruction, <strong>de</strong> métamorphose qui l’accompagnent.Ricoeur (1994 : 69) parle <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver « pour finir, lesens premier <strong>de</strong> souffrir, à savoir endurer, c’est-à-direpersévérer dans le désir d’être <strong>et</strong> l’effort d’exister “endépit <strong>de</strong>”… » Le poète Paul Éluard (1946) n’affirmaitilpas, quant à lui, le « dur désir <strong>de</strong> durer » ?Outre l’expression d’une souffrance qui violente,une secon<strong>de</strong> image force en lien avec l’exclusion estcelle d’un rapport particulier à l’espace. Celui-ci estétouffant, clos, fait <strong>de</strong> trous, <strong>de</strong> cols d’entonnoirs, <strong>de</strong>courses à obstacles, <strong>de</strong> murs dressés, d’échelles dontles barreaux du bas se sont effondrés. Une femme,dans une assemblée, lit un extrait <strong>de</strong> son journal :« [Mon tunnel] est sous forme <strong>de</strong> labyrinthe, avecune entrée, sans sortie, parfois très étroit, sanslumière. J’angoisse continuellement, même à envomir. Je reste immobile à cause <strong>de</strong> l’espace. C’estvraiment infernal. Cela me donne envie <strong>de</strong> mourir,tellement c’est fort. Je ne vois aucun moyen d’ensortir. » (Lamoureux 1999 : 30) Des images, <strong>de</strong>smétaphores reviennent dans le discours : il y a le<strong>de</strong>dans <strong>et</strong> le <strong>de</strong>hors, l’absence <strong>de</strong> place, d’espace,précisément là où ça compte. Il y a aussi le repli, ouune sorte <strong>de</strong> rap<strong>et</strong>issement, causé par la timidité, lapeur <strong>de</strong> la moquerie ou du rire <strong>de</strong>s autres. Il y a unemultitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> figures <strong>et</strong> <strong>de</strong> symboles d’une différencen’ayant pas droit <strong>de</strong> cité. Et il y a, bien sûr, les mots,les regards, les gestes qui véhiculent les préjugés, lesanathèmes, la mise à l’écart, le rej<strong>et</strong> violent. Pasétonnant alors que la citoyenn<strong>et</strong>é, lorsqu’abordéecomme projection, voudra dire : prendre une place entant que personne à part entière, r<strong>et</strong>rouver sa dignité,intégrer ou réintégrer significativement l’espace duvivre-ensemble. « La question <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é estintimement liée dans la tradition démocratiqueocci<strong>de</strong>ntale à l’énoncé <strong>de</strong> l’existence d’un espace publicoù tous les individus, nonobstant leurs particularités(religieuse, sociale, linguistique, économique, sexuelle,<strong>et</strong> autres) ont un droit égal d’y apparaître <strong>et</strong> <strong>de</strong> s’yfaire valoir. » (Thériault, 1994)DES PAROLES ET DES GESTES QUICOMPTENTSi l’économie reflète la façon qu’on a <strong>de</strong> se lier lesuns aux autres, si l’analphabétisme est un déficitd’accès à la parole commune (à la parole citoyenne), si,enfin, la ségrégation socio<strong>culturelle</strong> (en raison <strong>de</strong> lacouleur, <strong>de</strong> l’origine, <strong>de</strong> l’âge, du sexe, d’orientationsexuelle, d’incapacité ou <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie autre) fait sontravail <strong>de</strong> sape, il existe, par contre, divers lieux où il<strong>de</strong>vient possible <strong>de</strong> construire ou <strong>de</strong> reconstruire unrapport à soi <strong>et</strong> aux autres différent, d’apprendre ou<strong>de</strong> réapprendre les mots pour se dire <strong>et</strong> le dire,d’investir ou <strong>de</strong> réinvestir <strong>de</strong>s parcelles d’un mon<strong>de</strong>commun, d’un espace <strong>de</strong> débat. Nous allonsmaintenant tenter d’illustrer c<strong>et</strong>te assertion, d’ensaisir quelques-unes <strong>de</strong>s expressions, modélisations,expérimentations rencontrées dans les groupescommunautaires analysés. Ce faisant, nous allons nonseulement, comme nous venons brièvement <strong>de</strong> le faire,souligner les contraintes vécues par les personnes à lamarge, mais encore m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce leur capacité<strong>de</strong> réaction <strong>et</strong> d’organisation, les savoirs dont ellesfont preuve ou qu’elles acquièrent, les prises <strong>de</strong> parole<strong>et</strong> les acquis créatifs qu’elles développent. Ce faisant,aussi, nous tenterons au fur <strong>et</strong> à mesure d’analyser lespratiques du point <strong>de</strong> vue politique. Nous le feronssous trois angles : le réaménagement <strong>de</strong> l’espace dupolitique, les nouvelles formes organisationnelles <strong>et</strong>les nouveaux mo<strong>de</strong>s d’action. Et, enfin, nousabor<strong>de</strong>rons une question centrale <strong>de</strong> la théoriedémocratique <strong>et</strong> <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é politique : lerapport à la délibération.Mais d’abord, un constat : celui <strong>de</strong> la très gran<strong>de</strong>diversité <strong>de</strong>s conceptions <strong>et</strong> <strong>de</strong>s approches <strong>de</strong> lacitoyenn<strong>et</strong>é. S’appuyant sur un creus<strong>et</strong> tripolaireconstitué <strong>de</strong> dialogue, <strong>de</strong> militance <strong>et</strong> <strong>de</strong> proposition(« car il ne suffit pas d’être contre pour que le venttourne »), un groupe prônait plutôt une citoyenn<strong>et</strong>éargumentative, délibératrice, favorisant la rencontre,le dialogue entre cultures, classes <strong>et</strong> savoirs, à partir<strong>de</strong> la réappropriation <strong>de</strong>s connaissances <strong>et</strong> <strong>de</strong>sexpériences <strong>de</strong>s personnes exclues <strong>et</strong> appauvries, dans<strong>de</strong>s « carrefours <strong>de</strong> savoirs » où, par exemple, lesspécialistes <strong>de</strong>s cennes noires rencontraient lesspécialistes <strong>de</strong>s milliards. En second lieu, ce groupeanimait un débat social par le biais d’« actionsdérangeantes » (« nous sommes <strong>de</strong>s taons quipiquent »), <strong>de</strong>s gestes <strong>de</strong> « résistance civile », à partird’assises symboliques originales : un jeûne à relais durefus <strong>de</strong> la misère, un parlement alternatif dans la rue,le lancement d’un « proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> loi pour l’élimination <strong>de</strong>la pauvr<strong>et</strong>é », qui dans une version altérée, bien sûr, afini par être adoptée par la « vraie » Assembléenationale. Par ce processus complexe, les personnesmobilisées renouent avec leurs connaissances <strong>et</strong> leurscompétences, apprennent à écouter <strong>et</strong> à discuter, à sem<strong>et</strong>tre en mouvement, à se soucier <strong>de</strong> propositionsalternatives. Pour d’autres groupes, c’est uneconception <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é plus axée sur leremaillage, le r<strong>et</strong>issage sur une base locale, <strong>de</strong>s lienssociaux, en aidant un grand nombre <strong>de</strong> personnes às’auto-organiser pour la défense <strong>de</strong> leurs droits <strong>et</strong> leréaménagement d’espaces <strong>de</strong> vie collective, <strong>de</strong>l’immeuble rési<strong>de</strong>ntiel au quartier dans son ensemble.À un autre palier, ces mêmes groupes sont engagésdans les questions plus larges <strong>de</strong>s politiquespubliques, <strong>de</strong> l’évaluation du travail <strong>de</strong>s élus <strong>et</strong> <strong>de</strong>senjeux liés à la justice sociale. Lieux d’une culture quel’on peut qualifier <strong>de</strong> rapport conflictuel ouoppositionnel au politique, face aux silences complices<strong>et</strong> aux consensus mous, ils alimentent un espaceessentiel en démocratie, celui <strong>de</strong> la dissi<strong>de</strong>nce <strong>et</strong> <strong>de</strong> laprotestation collective.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 67


Paroles singulièresÀ un autre niveau, nous avons rencontré <strong>de</strong>sgroupes qui m<strong>et</strong>taient <strong>de</strong> l’avant une conceptionpluraliste, en quelque sorte, <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é. Pour<strong>de</strong>s groupes il s’agissait, entre autres, <strong>de</strong> souligner àquel point un discours homogénéisant, universaliste<strong>et</strong> abstrait sur la citoyenn<strong>et</strong>é fait l’impasse sur ladiscrimination <strong>et</strong> l’exclusion réelles en raison <strong>de</strong>sdifférences <strong>culturelle</strong>s. La différence compte <strong>et</strong> lasociété doit en tenir compte : d’où l’adoption d’unconcept plus hétérogène <strong>et</strong> différencié <strong>de</strong> lacitoyenn<strong>et</strong>é. Les appartenances, les ancrages nepeuvent être niés ou refoulés <strong>et</strong> doivent être assumés.D’où le parti pris d’insistance sur la richesse queconstitue la diversité, la pluralité, tout en ne réifiantpas les différences sur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>s i<strong>de</strong>ntitésessentialistes.Tout à côté, une autre conception ne partait pas <strong>de</strong>smêmes prémisses. Au cœur d’un <strong>de</strong>s quartiers les plusdiversifiés au niveau <strong>et</strong>hnoculturel au Québec, ungroupe avançait plutôt qu’il ne faut pas partir <strong>de</strong>sdifférences, mais revendiquer <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong>citoyenn<strong>et</strong>é égaux pour tous, dépasser ce qui sépare— entre autres, les diverses i<strong>de</strong>ntités <strong>et</strong> appartenances<strong>et</strong>hno<strong>culturelle</strong>s <strong>et</strong> religieuses — <strong>et</strong> se concentrer surce qui peut unir <strong>et</strong> conduire à l’action commune.LECTURE TRANSVERSALEEn conclusion, compte tenu <strong>de</strong>s limites entourant l<strong>et</strong>emps alloué pour c<strong>et</strong>te communication, troisremarques perm<strong>et</strong>tant un regard croisé sur cesdiverses expériences.Tout d’abord, nous avons été frappés parl’importance du procès <strong>de</strong> subjectivation, par laprégnance <strong>de</strong> la thématique <strong>de</strong> l’émergence <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s.Quels liens établir, en eff<strong>et</strong>, entre les démarchescitoyennes <strong>et</strong> ce processus <strong>de</strong> revoir, refaire la trame<strong>de</strong> sa vie mouvementée, <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong> faire sens, <strong>de</strong>r<strong>et</strong>rouver le fil d’Ariane perm<strong>et</strong>tant d’affirmer seschoix <strong>et</strong> ses orientations actuels ? Cela peut servir,entre autres, à développer ou r<strong>et</strong>rouver l’estime <strong>de</strong> soi,à vaincre les sentiments <strong>de</strong> relégation, <strong>de</strong> rej<strong>et</strong>, <strong>de</strong>mépris, d’humiliation ; à regagner sa capacité àcomprendre (« comprendre déplace la souffrance »,disait une personne interviewée), à se dire, à prendresa place. Et puis… graduellement <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>spersonnes plus libres, plus autonomes. Sans processus<strong>de</strong> réappropriation <strong>de</strong> son expérience, d’affirmation <strong>de</strong>la pluralité <strong>de</strong> ses i<strong>de</strong>ntités <strong>de</strong> suj<strong>et</strong>s, <strong>de</strong> possibilité <strong>de</strong>contrôle accru sur sa vie, son environnement,l’orientation <strong>de</strong> sa collectivité, comment avoir accès àla citoyenn<strong>et</strong>é, y prendre parole, y agir ? Commentrépondre à la souffrance sociale ? Commentrencontrer l’autre comme suj<strong>et</strong> ? Une <strong>de</strong>scontributions importantes du mouvement <strong>de</strong>s femmes,dont une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s personnes actives dans lemouvement communautaire sont issues, était d’avoiraffirmé que le privé est politique, subversion <strong>de</strong> ladivision binaire classique : société civile/État,public/privé. Questionnement <strong>de</strong> la césure en <strong>de</strong>uxzones <strong>de</strong> l’existence, possibilité <strong>de</strong> politisation <strong>de</strong>certains aspects <strong>de</strong> la sphère privée, c<strong>et</strong> élargissementou démocratisation <strong>de</strong> l’espace politique a donc forcé àouvrir les lieux <strong>et</strong> les formes <strong>de</strong> l’action politique,rendant plus sensible à un ensemble <strong>de</strong> subordinationsautres que celles liées aux rapports sociaux <strong>de</strong> sexe.Les frontières <strong>de</strong> ce qui est politique ont évolué,contribuant ainsi à « transformer en enjeux publics<strong>de</strong>s pratiques considérées comme triviales pour ledébat politique » (Phillips 1991 : 445). Un lien est faitentre les expériences personnelles, la théorie politique<strong>et</strong> la mise en action politique.Ceci nous amène à une <strong>de</strong>s questions centrales <strong>de</strong> lathéorie démocratique, soit la délibération <strong>et</strong> soncaractère inclusif ou non. Les préoccupations sontl’accès à la sphère <strong>de</strong>s débats, les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> discussion<strong>et</strong> les buts poursuivis. L’idée libérale d’un espacelarge, neutre, raisonné, dépassionné, dépersonnalisé,où les principes du carcan unitaire du bien communou <strong>de</strong> l’intérêt public priment, est mise en cause parceque biaisée <strong>et</strong> privilégiant les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> discours <strong>et</strong>d’argumentation dominants, l’univocité <strong>de</strong> la normepolicée. Les absentEs du regard, <strong>de</strong> la pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> laparole sont effectivement rarement conviéEs auxforums <strong>de</strong> discussion.Iris Young (2000), dans Inclusion and Democracy,propose <strong>de</strong>s normes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s conditions d’unecommunication — concept plus large quedélibération — démocratique inclusive. Nous lesavons vues à l’œuvre dans le mouvementcommunautaire observé.Ainsi, la méfiance <strong>de</strong> la rhétorique amalheureusement conduit à ne prôner dans ladélibération que la seule rationalité instrumentale,cohérente, imparable, exposée avec aisance <strong>et</strong>pondération. Or, monter en exergue <strong>de</strong>s normes <strong>de</strong>formalisme, d’abstraction, <strong>de</strong> clivage entre la raison <strong>et</strong>l’émotion, d’opposition entre le verbe <strong>et</strong> la figurationou le symbolique, faire équivaloir calme <strong>et</strong> objectivitéconstituent une forme <strong>de</strong> rhétorique d’ailleursconnotée socioéconomiquement, un « patrimoineculturel », une « distinction » (Bourdieu). Les règlesclassiques <strong>de</strong> la raison publique, le co<strong>de</strong> prescrit ducivisme républicain ne peut évi<strong>de</strong>mment prévaloirexclusivement, compte tenu <strong>de</strong> l’hétérogénéité sociale,<strong>de</strong> la complexité <strong>de</strong>s structures <strong>et</strong> du foisonnement<strong>de</strong>s manières <strong>de</strong> communiquer. La rhétorique (c’est-àdirela mise en œuvre <strong>de</strong>s moyens d’expression <strong>et</strong> <strong>de</strong>persuasion, le ton, les figures <strong>de</strong> style, les couleurs<strong>culturelle</strong>s plurielles) est légitime <strong>et</strong> renvoie, entreautres, à la publicité <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> communicationdémocratique, perm<strong>et</strong>tant aux groupes sociauxsubordonnés d’apparaître <strong>et</strong> <strong>de</strong> se faire valoir dansl’espace commun, en ayant recours à <strong>de</strong>s argumentspublics inhabituels, à <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> présence politiquenon convenues, à la théâtralisation d’autres scènes dupolitique.De plus, la question <strong>de</strong> la narration se r<strong>et</strong>rouve aucœur <strong>de</strong> la communication politique : les récits <strong>de</strong> vie,les histoires, les témoignages servant à expliquer,68 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Citoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong> mouvement communautaire au Québec : théâtralisation <strong>et</strong> figuration d’autres scènes du politique,par Jocelyne Lamoureuxdémontrer à partir <strong>de</strong>s expériences personnelles <strong>et</strong>collectives. Ces « savoirs situés » perm<strong>et</strong>tent auxindividus <strong>de</strong>s groupes dominés <strong>de</strong> se reconnaître, <strong>de</strong>trouver « les mots pour le dire », d’élaborer <strong>de</strong>sexpressions singulières <strong>et</strong> construire <strong>de</strong>s synthèsesréflexives. Pluralisant <strong>et</strong> relativisant les discourshégémoniques, ils ren<strong>de</strong>nt possible ce que HannahArendt, s’appuyant sur Kant, appelait la « penséeélargie », c’est-à-dire une compréhension plusenglobante <strong>de</strong>s faits <strong>et</strong> <strong>de</strong>s enjeux, plus riche parceque tissée, « métissée » <strong>de</strong>s différentes« perspectives » exposées.Dernière mention. Nous avons r<strong>et</strong>rouvé aussi à quelpoint l’action du mouvement communautairequébécois illustre les mutations du système d’actionpolitique <strong>de</strong> nos sociétés <strong>et</strong> un élargissement <strong>de</strong>sformes mêmes du politique. En eff<strong>et</strong>, c’est à partir <strong>de</strong><strong>de</strong>ux registres <strong>et</strong> avec une inégale insistance que lesgroupes observés interpellent le politique. Il y a, biensûr, le travail accompli dans le cadre <strong>de</strong> l’espacepolitique institutionnel : présentation <strong>de</strong> mémoires,participation à <strong>de</strong>s commissions parlementaires,information-formation sur le contenu <strong>de</strong>sprogrammes électoraux, rencontres <strong>et</strong> confrontationsavec <strong>de</strong>s éluEs ou <strong>de</strong>s candidatEs, assembléescontradictoires, soutien <strong>et</strong> ai<strong>de</strong> à l’inscription sur leslistes électorales <strong>et</strong> à l’exercice du droit <strong>de</strong> vote. Maisil y a aussi l’occupation originale <strong>et</strong> serrée <strong>de</strong> ce queMaheu (1991) nomme « l’espace social public,politique ». Il s’agit du rapport au politique qui logesa légitimité dans l’espace <strong>de</strong> la communautépolitique <strong>de</strong> base, là où s’élabore <strong>et</strong> d’où émanel’opinion publique, là où se déroulent, entreautres, les débats, les échanges, les conflits sur lecontrat social. Ce registre du politique —simultanément polis <strong>et</strong> praxis, débat <strong>et</strong> capacité <strong>de</strong>résistance, espace <strong>de</strong> rassemblement expressif,symbolique <strong>et</strong> réflexif, d’agir — nous l’avons observéà <strong>de</strong> nombreuses reprises, chaque fois que les groupesthéâtralisaient d’autres scènes politiques, créaient <strong>de</strong>toutes pièces <strong>de</strong>s zones libérées citoyennes.Ces <strong>de</strong>ux registres du politique sont en constanteinterpénétrations, tensions, mais elles perm<strong>et</strong>tent aussi<strong>de</strong> mieux comprendre ce que Jacques Rancière (1995 :51-53) définissait comme politique : c’est « ce quidéplace un corps d’un lieu qui lui était assigné ouchange la <strong>de</strong>stination d’un lieu ; […] fait voir ce quin’avait pas lieu d’être vu, fait entendre un discours làoù seul le bruit avait son lieu, fait entendre commediscours ce qui n’était entendu que comme bruit. »On peut, en ce sens, penser l’inclusion, entre autres,comme le processus qui rend visibles <strong>et</strong> audibles ceux<strong>et</strong> celles qui sont excluEs du regard, <strong>de</strong> la pensée —ceux toujours définiEs dans l’unique logique <strong>de</strong>sbesoins —, <strong>de</strong> la parole <strong>et</strong> <strong>de</strong> la compétence citoyenne.BIBLIOGRAPHIEELUARD, Paul (1946), Le dur désir <strong>de</strong> durer, dans Œuvrescomplètes, tome II, Gallimard, coll. « Bibliothèque <strong>de</strong> LaPléia<strong>de</strong> », 1968, p. 65-83.KLEINMAN, Arthur, Veena DAS <strong>et</strong> Margar<strong>et</strong> LOCK, dir.,(1997), Social Suffering, Berkeley, University of CaliforniaPress.KLEINMAN, Arthur <strong>et</strong> Joan KLEINMAN (1996),« Cultural Appropriations of Suffering in Our Times »,Daedalus, « Social Suffering », vol. 125, n o 1, hiver.LAMOUREUX, Jocelyne. 1999, Citoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong> pensée métisse :Pratiques réfléchies <strong>de</strong> quatre sites <strong>de</strong> citoyenn<strong>et</strong>é au Québec,rapport <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> remis dans le cadre <strong>de</strong> laparticipation du ministère <strong>de</strong>s Relations avec les citoyens<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Immigration, du Québec, au proj<strong>et</strong> du Conseil <strong>de</strong>l’Europe « Éducation à la citoyenn<strong>et</strong>é démocratique »,Montréal.MAHEU, Louis <strong>et</strong> Arnaud SALES, dir. (1991), Larecomposition du politique, Paris <strong>et</strong> Montréal, L’Harmattan<strong>et</strong> Presses <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Montréal, 324 p.PHILLIPS, Anne. 1991, Engen<strong>de</strong>ring Democracy, Cambridge(G.-B.) <strong>et</strong> University Park (Penn.), Polity Press <strong>et</strong>Pennsylvania State University Press, 183 p.RANCIÈRE, Jacques. 1995, La mésentente : Politique <strong>et</strong>philosophie, Paris, Galilée, 187 p.RICOEUR, Paul (1994), « La souffrance n’est pas ladouleur », Autrement, n o 142, février, p. 58-69.THÉRIAULT, J.-Yvon (1994), « Citoyenn<strong>et</strong>é, espace public<strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntité », Options, « Droit <strong>de</strong> cité, repenser lacitoyenn<strong>et</strong>é pour vivre la démocratie », automne, p. 43-52.YOUNG, Iris Marion. 2000, Inclusion and Democracy,Oxford <strong>et</strong> New York, Oxford University Press, 304 p.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 69


Synthèse <strong>de</strong>s ateliersSynthèse <strong>de</strong>s ateliers<strong>Animation</strong>, citoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong>démocratie,par Sophie DargelosDéléguée régionale <strong>de</strong>s FrancasLes contextes dans lesquels nous intervenons, danslesquels interviennent les animateurs participant à c<strong>et</strong>atelier ne sont pas les mêmes ; les contextespolitiques, économiques, sociaux <strong>et</strong> culturelsdivergent d’un continent à un autre. Lesproblématiques, les enjeux, les urgences ne sont pasles mêmes en Amérique latine <strong>et</strong> en France.« Comment se centrer sur un proj<strong>et</strong> culturel alors quele public, les enfants auxquels on s’adresse, sontatteints <strong>de</strong> dénutrition, n’ont pas <strong>de</strong> toit, ont vumourir leur père ? » , <strong>de</strong>man<strong>de</strong> un <strong>de</strong>s intervenants <strong>de</strong>l’atelier. C’est dans ce constat-là, dans c<strong>et</strong>te ambianceque s’est déroulé notre atelier. Nous avons pris peu <strong>de</strong>temps pour nous m<strong>et</strong>tre d’accord sur ce qu’était lacitoyenn<strong>et</strong>é ; j’y reviendrai plus avant avec <strong>de</strong>uxapproches <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux intervenants, <strong>de</strong>ux approchesoriginales. Par contre, nous avons largement débattudu rôle, du sens <strong>de</strong> l’éducation populaire, <strong>de</strong> l’actionpopulaire, justement dans <strong>de</strong>s environnementsdifférents. Enfin, je finirai mon compte-rendu, enrevenant sur « les mots », les mots qui rythmentsemble-t-il l’action <strong>de</strong>s animateurs, <strong>de</strong>s intervenants<strong>de</strong> notre atelier, les mots qui favorisent l’émergenced’une citoyenn<strong>et</strong>é active.CITOYENNETÉ, CITOYENNETÉSCitons quelques éléments pour décrire « lacitoyenn<strong>et</strong>é », pour mieux l’appréhen<strong>de</strong>r, sachant queces quelques approches n’ont pas été discutées par legroupe, faute <strong>de</strong> temps…La citoyenn<strong>et</strong>é, un concept malmenéOn parle aujourd’hui <strong>de</strong> citoyenn<strong>et</strong>é participative,<strong>de</strong> citoyenn<strong>et</strong>é altermondialiste… Il nous faut accoler<strong>de</strong>ux termes pour en définir un, comme si le terme <strong>de</strong>citoyenn<strong>et</strong>é ne se suffisait pas à lui-même, ne pouvaitplus s’utiliser seul.La citoyenn<strong>et</strong>é en creuxLa citoyenn<strong>et</strong>é est d’abord exprimée par un creux,par <strong>de</strong>s manques, chez les publics auxquels s’adressentles animateurs <strong>de</strong> l’atelier :• c’est l’expression d’une souffrance, <strong>de</strong> souffrances,• c’est l’expression d’un rapport oppressant àl’espace social.Des approches diversesLes approches <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é sont diverses <strong>et</strong>multiples ; pour nous, animateurs, il s’agit alors <strong>de</strong>choisir parmi c<strong>et</strong>te diversité, voire <strong>de</strong> combinerplusieurs entrées.Je citerai quelques-unes <strong>de</strong> ces approches ;• la citoyenn<strong>et</strong>é argumentative, celle qui installe undialogue entre militance <strong>et</strong> propositions d’action,un dialogue entre classes, cultures <strong>et</strong> savoirs,• la citoyenn<strong>et</strong>é qui perm<strong>et</strong> la mise en« mouvement », qui favorise l’élaborationd’actions dérangeantes,• la citoyenn<strong>et</strong>é qui perm<strong>et</strong> le maillage <strong>de</strong> lienssociaux sur une base locale ; celle-ci favorise toutà la fois le réaménagement <strong>de</strong>s espaces, la défense<strong>de</strong>s droits, jusqu’à la dissi<strong>de</strong>nce <strong>et</strong> la protestationcollective,• enfin, une conception pluraliste <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é,où les appartenances, les origines ne sont pasgommées où les différences sont valorisées. Mais,c<strong>et</strong>te conception est loin d’être partagée.Citoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong> dignité humaineJe finirai par c<strong>et</strong>te approche <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é,approche sans doute un peu décalée, mais qui peutvalablement éclairer notre réflexion. La DéclarationUniverselle <strong>de</strong>s Droits <strong>de</strong> l’Homme <strong>de</strong> 1948 nous dit :« les hommes naissent libres <strong>et</strong> égaux en dignité <strong>et</strong> endroits ». La dignité est une notion qui apparaîtrécemment dans le champ normatif, d’abord, puis dansle champ du social. La dignité est ce qui vise à éviterl’exclusion <strong>de</strong> l’être humain, est une tentative <strong>de</strong>définition <strong>de</strong> ce qui fait l’essence <strong>de</strong> l’humanité. Ellepeut être un élément structurant pour l’action <strong>de</strong>l’animateur, à condition toutefois <strong>de</strong> ne pas seulementl’associer au terme <strong>de</strong> liberté, mais <strong>de</strong> faireeffectivement rimer dignité <strong>et</strong> égalité. Alors, ladignité est une acception possible <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é.L’ÉDUCATION POPULAIRE, VECTRICE DETRANSFORMATION SOCIALE ?Les participants à l’atelier ont largement débattu dusens, du rôle <strong>de</strong>s mouvements d’éducation populaire.Éducation populaire : transformation ouréparation ?Nous sommes partis <strong>de</strong>s « Mères <strong>de</strong> la place <strong>de</strong>mai », symboles, flammes que le capitalisme ne peutéteindre, ce capitalisme qui les baptise « les folles <strong>de</strong>la place <strong>de</strong> mai ». Les mères <strong>de</strong> mai ont rêvé, ontsouhaité la mise en place d’une Université populaire.Ici, l’éducation populaire est un espace <strong>de</strong> dialogue,d’espoir, pour changer la réalité. L’éducationpopulaire est en Argentine, en Amérique latine, uninstrument <strong>de</strong> libération, d’organisation <strong>de</strong> larébellion. La construction collective <strong>de</strong> laconnaissance s’attache à développer un regardcritique, à installer un lien actif avec la penséerévolutionnaire <strong>et</strong> marxiste. Les acteurs <strong>de</strong> l’éducation70 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


<strong>Animation</strong>, citoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong> démocratie,par Sophie Dargelospopulaire enten<strong>de</strong>nt porter haut <strong>et</strong> fort un rêve <strong>et</strong> unidéal. À ces propos, nombre <strong>de</strong> participants ont réagi,étonnés, curieux, satisfaits…Y aurait-il encore, en Amérique latine, uneconception <strong>de</strong> l’éducation populaire, ressortant d’unmodèle daté, celui <strong>de</strong>s années 60 ? Il y aurait encore<strong>de</strong>s militants qui rêvent, qui veulent changer lemon<strong>de</strong> ! Chez nous, en France, on n’y croit plus, onn’ose plus le faire… <strong>et</strong> les acteurs français <strong>de</strong> fairepart <strong>de</strong> leurs désillusions, <strong>de</strong> leursdésenchantements… L’esprit revendicatif n’y seraitplus. En France, nous serions davantage dans unelogique <strong>de</strong> réparation. Mais entre réparation <strong>et</strong>transformation, y a-t-il une telle différence, une vraieopposition ? Accompagner un public dans une action<strong>de</strong> réparation ou <strong>de</strong> transformation procé<strong>de</strong>rait dumême mo<strong>de</strong> opératoire. Il y a <strong>de</strong> toute façon un point<strong>de</strong> passage obligé, c’est celui <strong>de</strong> l’acquisition <strong>de</strong>snormes ; il reste ensuite à passer à la transformation.Et ce serait sans doute la <strong>de</strong>uxième partie <strong>de</strong> ceprocessus que nous ne parviendrions pas à initier. EnFrance, nous évoquons régulièrement, la perte dusens <strong>de</strong> l’action, la crise <strong>de</strong>s valeurs. Ne s’agit-il pasplutôt d’un « trop-plein <strong>de</strong> valeurs » ?Éducation populaire, un trop-plein <strong>de</strong> valeurs ?Les mouvements d’éducation populaire sontaujourd’hui encore les héritiers <strong>de</strong> valeurs militantes,anciennes ; l’héritage perdure donc, mais cesmouvements ont aussi développé <strong>de</strong> nouvellescompétences. L’émergence <strong>de</strong> valeurs professionnellesest bien sûr inhérente à la professionnalisation duchamp, elle a été également portée par <strong>de</strong> nouvellesrelations entre pouvoirs publics <strong>et</strong> mon<strong>de</strong> associatif.Les pouvoirs publics finançant l’action, souhaitantévaluer la pertinence <strong>de</strong> ces financements, ont <strong>de</strong> faitgénéré l’émergence <strong>de</strong> nouveaux savoirs – tant chezles professionnels que chez les bénévoles –, <strong>et</strong> favoriséla valorisation <strong>de</strong> la dimension d’expertise.De fait, les acteurs vivent aujourd’hui unecontradiction entre valeurs militantes <strong>et</strong> valeursprofessionnelles : ils porteraient trop <strong>de</strong> valeurs. Au<strong>de</strong>là<strong>de</strong> ce débat sur la place <strong>de</strong>s acteurs, c’est laquestion <strong>de</strong> la relation du secteur associatif à l’Étatqui a été posée.<strong>Animation</strong>, associations <strong>et</strong> ÉtatLa disparition ou le rétrécissement <strong>de</strong> l’Étatfavoriserait l’implication <strong>de</strong>s citoyens dans <strong>de</strong>s actionsvisant la prise en charge <strong>de</strong>s besoins oubliés. Lesassociations se révèlent particulièrement actives dansun contexte économique <strong>et</strong> social morose. Mais nesont-elles pas instrumentalisées par l’État ? L’Étatcherche <strong>de</strong> plus en plus à i<strong>de</strong>ntifier l’acteur public, àpréciser ses missions, pour <strong>de</strong>s raisons idéologiques,par souci <strong>de</strong> rentabilité <strong>de</strong> l’action publique, <strong>de</strong>lisibilité <strong>de</strong> celle-ci, sans doute aussi du fait d’uneforme <strong>de</strong> méfiance vis-à-vis <strong>de</strong>s corps intermédiaires.Quelle est la part d’autonomie <strong>de</strong>s associationslorsque les financements structurels disparaissent,lorsque l’action quotidienne doit s’organiser enfonction <strong>de</strong>s financements potentiels ? On constateparfois la négation <strong>de</strong>s objectifs initiaux <strong>de</strong>l’association.L’i<strong>de</strong>ntité même du social est menacée… pas assez<strong>de</strong> revendications en amont, <strong>de</strong> lobbying politique,pour peser sur les choix <strong>et</strong> les orientations <strong>de</strong>sdéci<strong>de</strong>urs. Et peut-être aussi pas assez <strong>de</strong> culot pouroser affirmer le poids du pôle « privé-public » quis’inscrit dans une économie relationnelle, pour direl’importance d’un tiers secteur créateur <strong>de</strong> richessessociales <strong>et</strong> <strong>de</strong> richesses économiques. En eff<strong>et</strong>, lesresponsables associatifs n’osent pas parler chiffres,refusent <strong>de</strong> se situer dans le champ <strong>de</strong> la production.Ne serait-ce pourtant pas un biais pour <strong>de</strong> nouvellesrelations à l’État ? L’i<strong>de</strong>ntité du social est menacée,l’autonomie <strong>de</strong>s associations bradée. C’est donc aussila question du service public qui doit être énoncée, quidoit être débattue dans notre société. Quel servicepublic voulons-nous, <strong>de</strong> quel service public avonsnousbesoin ? Quelle définition pouvons-nouscollectivement construire ?LES MOTSDans c<strong>et</strong> atelier, nous avons beaucoup dit les mots,entendu les mots. Aussi je voulais terminer ce rapportpar c<strong>et</strong>te approche <strong>de</strong> l’animation, du rôle <strong>de</strong>l’animateur, que je qualifierai <strong>de</strong> sensible. Uneanimatrice qui témoignait <strong>de</strong> son action auprès <strong>de</strong>publics autistes ou psychotiques, exprimait « qu’onsoit éducateur ou animateur, on est toujours dansl’interprétation, parce qu’ils ne parlent pas… » Eneff<strong>et</strong>, que <strong>de</strong> mots ont pu être dit, par chacun ; <strong>de</strong>smots pour connaître, pour se reconnaître, seconnaître, <strong>et</strong> … pour naître… En reprenant lesnombreuses expressions ressortant <strong>de</strong> ce registre, ilsemblerait que le fait <strong>de</strong> parler, <strong>de</strong> dire, soit un outilstructurant <strong>de</strong> l’animation. Les intervenants parlent :• d’espaces possibles <strong>de</strong> construction par l’échange,<strong>de</strong> réactivation <strong>de</strong> la mémoire, <strong>de</strong> narrationcollective• <strong>de</strong> créer les conditions possibles pour installer unprocessus <strong>de</strong> parole sur sa culture,• <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre d’apprendre, <strong>de</strong> réapprendre lesmots pour exprimer son rapport à l’espace social,pour mieux vivre c<strong>et</strong> espace-là,• <strong>de</strong> formuler les mots pour trouver une place, saplace dans un groupe, pour intégrer l’espace duvivre ensemble,• d’améliorer l’estime <strong>de</strong> soi, <strong>de</strong> valoriser <strong>de</strong>sparcours,• <strong>de</strong> se m<strong>et</strong>tre en scène face à un groupe, dans ungroupe,• <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en discussion ses propres proj<strong>et</strong>s• <strong>de</strong> s’écouter, <strong>de</strong> parler pour accepter la différence,les différences.Ce qui préoccupe l’animateur, c’est le fait <strong>de</strong>perm<strong>et</strong>tre que soit donné une voix, un poids à ceuxCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 71


Synthèse <strong>de</strong>s ateliersqui sont l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> diverses formes d’exclusions(exclusions physiques, morales, sociales,économiques), c’est reconnaître les publics exclus <strong>de</strong>l’action, du faire, <strong>de</strong> la parole. C<strong>et</strong>te préoccupationétait tangible dans toutes les expressions, dans chaqu<strong>et</strong>émoignage. Parole <strong>et</strong> citoyenn<strong>et</strong>é ont été associées.Politique <strong>et</strong> discours s’éclairent. Je repars avec uneréflexion à méditer : « le politique, c’est ce qui faitentendre comme discours ce qui n’était qu’un bruit ».Ce propos m’accompagne. Il me semble qu’en tant quecitoyenne, puis en tant qu’animatrice, je peux prendreposition <strong>et</strong> m’engager dans l’action. Il me semble quel’éducation populaire peut trouver légitimité àrevendiquer, à participer, à transformer la vie <strong>de</strong> lacité.<strong>Animation</strong>, développement,territoires <strong>et</strong> gouvernance locale,par Luc GreffierMaître <strong>de</strong> conférences associé, IUT Carrières Sociales, Université<strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux 3Jean Clau<strong>de</strong> Gill<strong>et</strong>, dans l’introduction au document<strong>de</strong> présentation <strong>de</strong>s résumés <strong>de</strong> communications, aouvert les portes <strong>de</strong> l’univers onirique au travers d’unpoème Kasakh, exprimant que « seul le diable nerêvait pas ». Belle injonction au rêve au risque d’êtrediabolisé.L’atelier C, « animation, développement,territoires <strong>et</strong> gouvernance locale » <strong>et</strong> sa cinquantaine<strong>de</strong> participants ont saisi c<strong>et</strong>te porte ouverte pours’engouffrer dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s rêves. C’est ainsi quel’on a rêvé <strong>de</strong> Tunisie, d’Algérie, du Brésil, duMexique, du Québec, d’Espagne <strong>et</strong> aussi <strong>de</strong> France.On a rêvé tel ce p<strong>et</strong>it colibri récoltant dans sonbec une goutte d’eau afin d’éteindre l’incendie quiravageait sa forêt, on a rêvé avec autant <strong>de</strong> convictionque le p<strong>et</strong>it oiseau mais avec aussi autant <strong>de</strong> lucidité,lui qui disait être conscient <strong>de</strong> ne pouvoir à lui seuléteindre le feu, mais affirmait être motivé par le désird’apporter non pas sa pierre mais sa goutte àl’ouvrage.C’est vous dire si le rêve était bien là, il nous amême été proposé <strong>de</strong>s méthodologies d’intervention àpartir <strong>de</strong> « mapas <strong>de</strong> los sueños », <strong>de</strong> « cartes <strong>de</strong>rêves ». Ces cartes <strong>de</strong>s rêves, venaient conclure untravail d’appropriation du territoire.Ce territoire a été présenté comme le lieu <strong>de</strong>l’i<strong>de</strong>ntité, la méthodologie proposée évoquait ainsi laformalisation <strong>de</strong> cartes <strong>de</strong> l’espace fonctionnel, <strong>de</strong>cartes <strong>de</strong> l’espace émotionnel <strong>et</strong> <strong>de</strong> cartes <strong>de</strong> l’espacerêvé.Le territoire, <strong>et</strong> plus particulièrement celui dulocal, du micro-local, a été évoqué en Algérie commeun espace <strong>de</strong> participation à dimension humaine,perm<strong>et</strong>tant d’une part la rupture nécessaire avec lesprocédures traditionnelles <strong>de</strong>scendantes, maisnécessitant en contrepartie la présence <strong>de</strong> lieux <strong>de</strong>médiation entre ce local <strong>et</strong> les institutions <strong>de</strong> l’État, cequi pose la question <strong>de</strong>s « centres <strong>de</strong> décision » quel’on pourrait résumer dans la formule « En quel lieu,Qui déci<strong>de</strong>, Quoi ? ».La question <strong>de</strong> l’émergence <strong>de</strong> l’animation a étéplusieurs fois évoquée, mais au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te questionc’est surtout les processus d’institutionnalisation quiont été débattus. Les rapports entre l’État <strong>et</strong> le tissuassociatif, entre collusion <strong>et</strong> collision, ont été analysésà partir d’exemples Tunisiens : l’État considérantd’une part les associations comme <strong>de</strong>s instruments <strong>de</strong>sa politique ou d’autre part refusant toute forme <strong>de</strong>structuration du tissu associatif, les associations étantsoit instrumentalisées, soit guerroyées. Les relationsentre les collectivités publiques <strong>et</strong> les communautés,la tension entre instituant <strong>et</strong> institué, ont fait définirl’animateur comme un « conspirateur <strong>de</strong> lamo<strong>de</strong>rnité ».Nous évoquions ici même il y a <strong>de</strong>ux jours, lerapport entre démocratie <strong>et</strong> animation. Ce rapport aété réactivé par le nécessaire engagement <strong>de</strong> la sociétécivile dans la défense <strong>de</strong> la sécurité sociale au Brésil,par la création <strong>de</strong> « conseils <strong>de</strong> santé », <strong>et</strong> parl’articulation <strong>de</strong>s relations entre ces conseils, lasociété civile <strong>et</strong> l’État. Constat est fait qu’il s’agit icicomme ailleurs d’un véritable combat, d’une lutte àmener pour la création d’un autre ordre sociétaire,sans domination économique, sociale <strong>et</strong> politique.L’école, dans c<strong>et</strong>te perspective, a été évoquéecomme un espace social d’animation à partir <strong>de</strong> lamise œuvre au Brésil <strong>de</strong> proj<strong>et</strong>s d’éducation populairedans <strong>de</strong>s centres intégrés d’école publique. La cultureétant alors considérée en tant que levier perm<strong>et</strong>tant lastructuration <strong>de</strong> la société parce qu’elle peut, par <strong>de</strong>sprocessus <strong>de</strong> valorisation, perm<strong>et</strong>tre la prise <strong>de</strong>conscience par les acteurs <strong>de</strong> leur propre importance.Ailleurs ou ici peut-être on aurait pu dire « Changerl’école pour changer la vie », le slogan fera écho àcertains d’entre vous.Comment m<strong>et</strong>tre en œuvre la démocratieparticipative ? La méthodologie <strong>de</strong> l’animation làencore a été évoquée : il est apparu que le travaild’animation participative gagnait en efficacité à sefaire dans la convivialité, dans une approche ludique,autour du manger <strong>et</strong> du boire par exemple, en guised’introduction à <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong> réflexion <strong>et</strong> d’échange.Même dans les situations les plus délicates,l’optimisme <strong>de</strong> la conviction a été affirmé par lestravaux conduits avec <strong>de</strong>s populations mises endifficultés, pour lesquelles, malgré ce, le travail esttoujours tourné vers une sortie. L’espoir est au bout<strong>de</strong> l’action, le processus est motivé par uneamélioration <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> vie, les maisonsd’accueil <strong>et</strong> <strong>de</strong> convivialité <strong>de</strong> Sao Paolo sont là pouren attester, les formes collectives <strong>de</strong> travail, laparticipation <strong>de</strong>s populations aux mouvementssociaux organisés, sont perçus comme <strong>de</strong>s levierspossibles <strong>de</strong> ré-inscription sociale.L’animation a aussi été évoquée comme unconcept creux, pris dans une distorsion entre marché72 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


<strong>Animation</strong>, développement, territoires <strong>et</strong> gouvernance locale,par Luc Greffier<strong>et</strong> service public, entre économie libérale <strong>et</strong> éducationpopulaire. Les réalités <strong>de</strong> l’éducation populaire enFrance ont été décrites à partir d’une rupture <strong>de</strong> celleciavec la question politique, rupture qui se traduit parune dépolitisation <strong>de</strong> l’éducation populaire, qui ouvreainsi un espace aux initiatives <strong>de</strong> la société civile tellecelle du forum social. C<strong>et</strong> espace politique reste unespace à réinvestir, processus qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une réappropriationdu discours politique par lesassociations au risque <strong>de</strong> leur disparition.Loin d’une affirmation d’excellence, mais plusproche d’un constat <strong>de</strong> lucidité, il est affirmé quel’éducation populaire ne doit pas seulement s’appuyersur <strong>de</strong>s i<strong>de</strong>ntifications <strong>et</strong> <strong>de</strong>s affirmations basées sur<strong>de</strong>s appartenances institutionnelles, mais ne vaut quece que valent les pratiques qui s’en revendiquent. Laquestion <strong>de</strong> la dynamique participative est posée. Laquestion, dans le cadre <strong>de</strong>s diagnostics par exemple,<strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong> dépasser la simple réponse à unecomman<strong>de</strong> publique en montrant <strong>de</strong>s capacités àinterroger c<strong>et</strong>te même comman<strong>de</strong> l’est également.L’animation a été présentée aussi dans uneperspective d’aménagement du territoire inversé,c’est-à-dire non plus <strong>de</strong> régulation, mais <strong>de</strong>structuration <strong>de</strong> ce territoire. L’animation au secoursdu territoire, ou, lorsqu’il ne reste plus grand-chose,l’animation <strong>de</strong>vient vecteur <strong>de</strong> développement localéconomique <strong>et</strong> social. C’est ainsi que l’on a appris quel’on pouvait sur les terrils du nord <strong>de</strong> la France fairedu ski sans neige, <strong>de</strong>s courses <strong>de</strong> voitures sur glacesans glace, <strong>et</strong> peut-être même <strong>de</strong> l’animation sansanimateur ? Les relations entre le sport <strong>et</strong> l’animationont été évoquées, l’émergence <strong>de</strong> nouvelles formes <strong>de</strong>pratiques également. La question <strong>de</strong> la délégation <strong>de</strong>spolitiques publiques a été posée, question paradoxalelorsqu’il s’agit <strong>de</strong> savoir comment définir une réponseface à une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qui n’est pas exprimée ?Plus loin encore, les collectivités locales ontellesvocation <strong>de</strong> s’engager dans <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong>développement local ? Se pose alors la question <strong>de</strong>l’utilisation <strong>de</strong> l’argent public <strong>et</strong> <strong>de</strong> la fragilité <strong>de</strong>seff<strong>et</strong>s d’entraînement qu’il peut produire.Nous avons, dans c<strong>et</strong>te logique, évoquéles « proj<strong>et</strong>o <strong>de</strong> <strong>de</strong>senvolvimento local » menés à Rio<strong>de</strong> Janeiro, proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> développement local élaborés àpartir <strong>de</strong> la constitution d’un forum local, espace <strong>de</strong>parole, « <strong>de</strong> mobilizaçao » <strong>et</strong> <strong>de</strong> « participaçao », <strong>de</strong>shabitants. Même si les difficultés sont réelles, mêmes’il reste complexe <strong>de</strong> réunir <strong>et</strong> <strong>de</strong> faire s’accor<strong>de</strong>r lesacteurs, le forum local apparaît en prise réelle surl’espace social <strong>et</strong> la réalité sociale.Il semble crucial que les communautés ici, lespopulations là, ou encore les publics ailleurs,<strong>de</strong>viennent les acteurs du territoire. C’est ainsi quepour certains se refuser à parler <strong>de</strong>s besoins, c’estsurtout pouvoir parler <strong>de</strong>s potentialités. Si l’onconsidère les publics comme effectivement porteurs <strong>de</strong>savoirs, alors « l’animateur gagne à <strong>de</strong>veniraccompagnateur ».La question du rapport entre l’animation <strong>et</strong>l’action est ainsi perçue dans une relation dialogiqueentre processus <strong>et</strong> produit fini, l’importance <strong>et</strong> laprimauté du processus étant bien sûr affirmées.On a vu, également à Rio <strong>de</strong> Janeiro, que lesquartiers où les indicateurs <strong>de</strong> développement humainétaient les plus faibles étaient justement ceux quiétaient le plus pauvrement équipés en établissementsculturels. À la question <strong>de</strong> savoir s’il fallait faciliterl’accès <strong>de</strong>s populations aux lieux culturels ourapprocher les lieux culturels <strong>de</strong>s populations, laréponse est sans concession : les <strong>de</strong>ux bien sûr.Si les activités en général, <strong>et</strong> celles <strong>culturelle</strong>sen particulier sont unanimement considérées non pascomme <strong>de</strong>s finalités, mais comme <strong>de</strong>s moyens duchangement, elles ont été pensées dans une forme <strong>de</strong>changement <strong>de</strong> paradigme :Le premier, celui du contrôle social produisant lerenforcement <strong>et</strong> la promotion <strong>de</strong> la culture dominanteest remplacé par un second, celui du contrôle culturel(sous-entendit la mise en œuvre <strong>de</strong> productions dansune forme <strong>de</strong> norme <strong>culturelle</strong>) pouvant produire <strong>de</strong> lapromotion sociale.La limite du processus, à méditer pour nous tous,étant celle qui part du constat que c<strong>et</strong>te mise autravail social <strong>de</strong>s activités <strong>culturelle</strong>s <strong>et</strong>/ouinter<strong>culturelle</strong>s, est un espace idéologique qui perm<strong>et</strong><strong>de</strong> légitimiser l’intervention <strong>de</strong>s animateursprofessionnels, <strong>et</strong> que s’il produit <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong>promotion sociale, c’est surtout celle <strong>de</strong> cesanimateurs <strong>et</strong> moins celles <strong>de</strong>s populations a prioriconcernées.Mais le rêve <strong>de</strong>vient parfois drame. Ce terme a étéemployé pour définir certaines carences relatives aumanque <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s acteurs. Ce drame est aussidu côté <strong>de</strong>s instituts <strong>de</strong> formation qu’ils soientuniversitaires ou associatifs parce qu’ils participentparfois par leurs faiblesses à la fragilité <strong>de</strong> ces acteursqui <strong>de</strong>vraient être n<strong>et</strong>tement plus armés afind’affronter la complexité <strong>de</strong>s réalités professionnelles<strong>et</strong> sociales auxquelles ils sont confrontés. C<strong>et</strong>tequestion <strong>de</strong> formation a été particulièrement évoquéeen rapport à « l’encadrement <strong>de</strong> nouvelles formes <strong>de</strong>pratiques », la nécessaire structuration <strong>de</strong> cespratiques n’étant pas affirmée.Une invitation aux voyages enfin a étéproposée dans l’antre <strong>de</strong>s musées, perçus comme <strong>de</strong>sespaces « extra – ordinaires » qui perm<strong>et</strong>tent la miseen relation entre l’ici <strong>et</strong> l’ailleurs, entre l’un <strong>et</strong> l’autre,mais qui présentent aussi le risque d’une mise enscène « in vitro » coupée <strong>de</strong> toute réalité sociale <strong>et</strong><strong>culturelle</strong>. Le combat est ainsi engagé entre lestenants <strong>de</strong> l’esthétique <strong>culturelle</strong> <strong>et</strong> ceux <strong>de</strong> lareprésentation du mon<strong>de</strong>, entre les défenseurs <strong>de</strong> ladimension sensorielle <strong>et</strong> ceux <strong>de</strong> la dimensionéducative.C’est ainsi que l’on a appris que les indiensNavajo « ne veulent plus être étudiés », que lesindiens Blackfe<strong>et</strong> revendiquent que « l’histoireCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 73


Synthèse <strong>de</strong>s ateliersindienne soit écrite du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s indiens » euxmêmes.Combien d’analogies peut-on trouver à lasurface <strong>de</strong> la planète « Terre », combien <strong>de</strong>métaphores serait-il possible <strong>de</strong> tisser pour illustrer ladialectique entre local <strong>et</strong> global, entre dominés <strong>et</strong>dominants…Et <strong>de</strong> conclure que l’approche du musée, <strong>de</strong>même que celle tout lieu socioculturel, peut êtreperçue non pas comme un symptôme <strong>de</strong> domination,mais comme un espace d’avant-gar<strong>de</strong> pour <strong>de</strong>nouvelles voies <strong>de</strong> rencontre, <strong>de</strong> redéfinition <strong>et</strong> <strong>de</strong>dialogue.Je parlais <strong>de</strong> rêve en introduction du propos. Ilfaut noter encore que le rêve <strong>de</strong> tous, s’il a eu lieu, aété aussi permis par l’effort <strong>de</strong> régulation du temps <strong>de</strong>parole accepté par chacun. Je <strong>de</strong>vine, pour lesparticipants <strong>de</strong> c<strong>et</strong> atelier, que vous <strong>de</strong>vez êtreaujourd’hui frustrés par les absences <strong>et</strong> les non-dits <strong>de</strong>ce compte rendu. Sachez que je le suis avec vous,peut-être plus encore, <strong>et</strong> pourtant je me dis qu’il nousreste encore du temps pour rêver. Je conclurais à montour par c<strong>et</strong>te citation <strong>de</strong> la Romancière AutrichienneMarie Von Ebner Eschenbach, « ne te crois paspauvre parce que tes rêves ne sont pas réalisés, levraiment pauvre est celui qui ne connaît pas lerêve »…Bénévolat, volontariat, engagement<strong>et</strong> professionnalisation <strong>de</strong>s acteurs.Quelles formations ?,par Yves RainbaudMaître <strong>de</strong> conférences associé à l’IUT Michel <strong>de</strong> Montaigne(Université <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux 3)Vingt intervenants se sont succédé autour <strong>de</strong>sthématiques <strong>de</strong> c<strong>et</strong> atelier, cinq femmes <strong>et</strong> quinzehommes <strong>de</strong> sept nationalités différentes (Brésil,Colombie, Cuba, France, Portugal, Suisse, Uruguay).La diversité <strong>de</strong>s interventions a témoigné <strong>de</strong> larichesse <strong>de</strong>s rencontres, mais ne perm<strong>et</strong> pas <strong>de</strong> cernerfacilement les contours <strong>de</strong> ce vaste suj<strong>et</strong>. Parcommodité <strong>et</strong> pour rendre compte le plus fidèlementpossible <strong>de</strong>s interventions, nous proposons <strong>de</strong> classerles interventions en trois parties :• Un champ : la formation <strong>de</strong>s animateurs,• Une dialectique : bénévole/professionnel,• Un espace : Europe-Amérique pour une approchecomparativeC<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière partie tiendra lieu <strong>de</strong> conclusion pourm<strong>et</strong>tre en valeur l’apport considérable <strong>de</strong> ce colloquepour l’ouverture d’un nouveau thème <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> <strong>et</strong>peut-être d’enseignement pour les formationsd’animateurs : l’animation comparée.LA FORMATION DES ANIMATEURSLe thème majoritairement abordé (10communications sur 20) est celui <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong>sanimateurs. Ce thème s’articule cependant avec lesuivant (bénévoles/professionnels) par laproblématique <strong>de</strong> la production <strong>de</strong>s savoirs. Si laplupart <strong>de</strong>s intervenants se réfèrent au paradigme <strong>de</strong>la proxéologie (soit, <strong>de</strong> façon très succincte, laproduction <strong>de</strong>s savoirs dans l’action), c<strong>et</strong>te notion nefait cependant pas l’unanimité <strong>et</strong> connaît <strong>de</strong>svariantes.• La première, illustrée par <strong>de</strong>s intervenants issusd’associations d’éducation populaire revendiqueune construction <strong>de</strong>s savoirs non seulement dansl’action, mais également par la coopération <strong>de</strong>sacteurs sur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>s pédagogies nondirectives. Les savoirs sont principalementutilisés comme constitutifs d’un langage communperm<strong>et</strong>tant le passage à l’action collective. C<strong>et</strong>teposition est illustrée également par l’exposé <strong>de</strong>nos collègues suisses sur la construction d’unréférentiel <strong>de</strong> compétences par les animateursprofessionnels eux-mêmes.• La <strong>de</strong>uxième position, illustrée entre autres parnotre collègue libanaise lors <strong>de</strong> la conférenceinaugurale, considère que la « science animation »doit progressivement cesser d’être construite parles autres sciences – <strong>et</strong> donc par d’autresprofessions – pour être assumée par lesanimateurs en tant qu’ils sont historiquement entrain <strong>de</strong> construire leurs propres paradigmes <strong>et</strong>un outillage conceptuel particulier.• La troisième position affirme plus ou moins lanécessité d’une objectivation <strong>de</strong> la connaissancepar la référence à <strong>de</strong>s espaces scientifiquesdétachés <strong>de</strong> l’action. C<strong>et</strong>te position connaît <strong>de</strong>svariantes selon que les intervenants se réclament<strong>de</strong> telle ou telle discipline scientifique(anthropologie, sociologie…), mais aussi selon lessystèmes institutionnels qu’ils représentent(option « animation » d’une école d’éducateur,université populaire, institution privée oupublique), <strong>et</strong> enfin selon les pays d’où ils viennent(Brésil, Portugal, Cuba).Ainsi, pour un intervenant du Portugal tourné versles actions <strong>de</strong> développement local, la culture estl’espace prioritaire perm<strong>et</strong>tant l’affirmation <strong>de</strong>l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> l’animateur <strong>et</strong> <strong>de</strong>s publics. Pour notrecollègue <strong>de</strong> Cuba, l’analyse scientifique <strong>de</strong>s enjeuxpolitiques <strong>et</strong> sociaux milite dans le sens d’un systèmerationnel d’éducation populaire dans lequel lalibération <strong>de</strong> l’individu passe par son accès facilité àl’ensemble <strong>de</strong>s connaissances <strong>et</strong> <strong>de</strong>s pratiques<strong>culturelle</strong>s. De façon plus détaillée encore, unintervenant suggère qu’il existe plusieurs catégories<strong>de</strong> connaissances relatives à la professionnalisation<strong>de</strong>s acteurs. L’accroissement <strong>de</strong> la pauvr<strong>et</strong>é <strong>et</strong> <strong>de</strong>ssituations d’urgence, renforçant la nécessitéd’accroître le contrôle social <strong>de</strong>s populations, serait àl’origine <strong>de</strong> la création d’un corps d’experts ensciences sociales capables <strong>de</strong> construire <strong>de</strong>s conceptsopérationnels (tels que : développement durable,proximité inter<strong>culturelle</strong>…) dans lequel le problème74 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Bénévolat, volontariat, engagement <strong>et</strong> professionnalisation <strong>de</strong>s acteurs. Quelles formations ?,par Yves Rainbau<strong>de</strong>t la solution sont envisagés globalement. C<strong>et</strong>teconstatation renforce l’hypothèse épistémologique <strong>de</strong>la nécessité d’une rupture entre différentes catégories<strong>de</strong> connaissances : même si l’expertise est nécessaire<strong>et</strong> efficace dans la constitution <strong>de</strong>s croyancescommunes à une profession, elle ne peut avoir lemême statut que les connaissances qui sont issues <strong>de</strong>la <strong>recherche</strong> en sciences sociales. C<strong>et</strong>te affirmationcontient aussi l’idée que la constitution <strong>de</strong>s savoirsdans l’action ne perm<strong>et</strong> pas toujours <strong>de</strong> discerner lapart <strong>de</strong>s idéologies dans la construction <strong>de</strong> ces savoirs,voire qu’elle empêche l’objectivation d’un savoircritique (ou tout au moins distancié) sur la profession.LA DIALECTIQUEBÉNÉVOLE/PROFESSIONNELC<strong>et</strong>te constatation introduit le <strong>de</strong>uxième mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>lecture <strong>de</strong>s interventions <strong>de</strong> l’atelier, celui qui m<strong>et</strong> entension le rapport bénévole/professionnel <strong>et</strong> fait pluslargement appel aux notions <strong>de</strong> volontariat oud’engagement. Le statut <strong>de</strong>s connaissances ne peutêtre dissocié <strong>de</strong> la problématique <strong>de</strong> la compétence <strong>de</strong>l’animateur dans laquelle l’ensemble <strong>de</strong>s intervenantsrelève qu’elle est fondée sur <strong>de</strong>s valeurs. « Sincère,cultivé, démocrate » pour un collègue portugais,« engagé, militant, collectif » pour d’autres collègues,presque tous mentionnent que l’animateur ne peutpasser à l’action sans « ressources éthiques » quirelèvent du catalogue <strong>de</strong>s bonnes intentions :« démocratie, instruction, émancipation, intérêtgénéral, bénévolat, paix, fraternité, bonheur… ». Cesvaleurs cumulées s’enrichissent au fil <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong>nouvelles venues : un intervenant mentionne commevaleur « développement durable, proximité… », ce quirejoint en partie le constat fait précé<strong>de</strong>mment <strong>de</strong> lafrontière fragile entre valeurs <strong>et</strong> conceptsopérationnels.Une autre orientation qui nous est proposée tend àanalyser le passage <strong>de</strong> la militance (condition d’entréedans l’action) à la professionnalisation par le biais <strong>de</strong>la rémunération comme « compensation <strong>de</strong> l’énergiedépensée ». Ce passage pose la question du décalageentre ce que l’employeur attend d’un animateur <strong>et</strong> ceque celui-ci produit en rapport avec ses « ressourceséthiques ». Le décalage peut être source d’une tensionqui s’accroît si l’attente <strong>de</strong> l’employeur se réfère à unequalification annoncée. C<strong>et</strong>te tension peut êtreanalysée comme souffrance. Devenir animateurpourrait alors consister à apprendre à s’accoutumer àcelle-ci, soit en référence à une psychologie <strong>de</strong>l’adaptation <strong>de</strong> l’individu au travail, soit par uneapproche plus marxiste qui analyserait c<strong>et</strong>tesouffrance comme une dialectique productrice tout àla fois <strong>de</strong> biens <strong>et</strong> <strong>de</strong> rapports sociaux.La dynamique contribution <strong>de</strong> la Confédérationgénérale du travail (CGT) nous rappelle à l’ordre endénonçant la dérive ultra libérale <strong>de</strong>s employeurs <strong>de</strong>l’animation, consignée dans un livre noir à paraîtreprochainement : certes le secteur <strong>de</strong> l’animation est enpleine expansion, mais ce secteur se construit dans laprécarité <strong>et</strong> l’acceptation <strong>de</strong>s normes les plus basses :contrats à durée déterminée renouvelés, vacationsoccasionnelles, horaires non respectés,contractualisation permanente dans la fonctionpublique, <strong>et</strong>c. Le secteur associatif estparticulièrement visé. Les valeurs <strong>de</strong> l’association sontmobilisées pour justifier <strong>de</strong>s comportementsantisociaux, produisant <strong>de</strong>s discours tels qu’« on nepeut pas augmenter les salaires, car il faudraitaugmenter les participations <strong>de</strong>s usagers <strong>et</strong> ce neserait plus <strong>de</strong> l’éducation populaire » ou bien « lamunicipalité ne peut pas augmenter la subvention,donc c’est ça ou disparaître », <strong>et</strong>c. Dans c<strong>et</strong>te optiqueon ne peut ignorer l’hypothèse qu’idéologies <strong>et</strong>valeurs auraient <strong>de</strong>s fonctions dérivées perm<strong>et</strong>tantd’obtenir la meilleure rentabilité <strong>de</strong>s salariésanimateurs dans une optique <strong>de</strong> productivité, mêmes’il s’agit d’une production sociale. Le simple refus <strong>de</strong>ces notions (la productivité, le marché) dans le champ<strong>de</strong> l’animation est un indicateur <strong>de</strong> l’impensé qu’ellesrecouvrent, alors que les employeurs d’animateursten<strong>de</strong>nt à <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong>s prestataires <strong>de</strong>services répondant aux appels d’offres publics (oud’organisations parapubliques ou nongouvernementales). L’animation apparaît <strong>de</strong> c<strong>et</strong>tefaçon comme un nouveau métier constammentdérégulé par une offre publique qui se soustraitgénéralement aux contraintes du droit du travail enmultipliant les exceptions <strong>et</strong> les dispositifstemporaires. Les animateurs peinent ainsi à constituerune catégorie professionnelle structurée dans <strong>de</strong>srapports dialectiques avec <strong>de</strong>s employeurs habitués àruser en utilisant un discours pétri <strong>de</strong> valeurs.Un autre intervenant indique l’urgence qu’il y ad’introduire un espace critique à l’intérieur <strong>de</strong>sformations par un enseignement qui perm<strong>et</strong>trait àl’animateur d’analyser les contradictions voire lesi<strong>de</strong>ntités plurielles <strong>de</strong> sa profession à l’aune <strong>de</strong>smécanismes d’instrumentalisation dont elle subit plusque jamais les eff<strong>et</strong>s. L’espoir d’une« conscientisation » d’un prolétariat <strong>de</strong> l’animationpasse-t-il par la structuration <strong>de</strong> la profession avec seshiérarchies, les références à <strong>de</strong>s qualifications réelles<strong>et</strong> non relatives uniquement à <strong>de</strong>s fonctions, <strong>de</strong>scompétences, <strong>de</strong>s « ressources éthiques » ? Queresterait-il alors <strong>de</strong>s animateurs s’ils se défaisaient du« sens <strong>de</strong> l’action » ?UNE APPROCHE COMPARATIVELe troisième mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> lecture <strong>de</strong> l’atelier estl’analyse comparative du traitement <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>sproposés selon les pays. La contribution d’unecollègue anthropologue peut ouvrir c<strong>et</strong>te partie <strong>de</strong> lasynthèse. La lecture <strong>de</strong> l’« autre » au travers <strong>de</strong> sesanalogies (avec soi) peut apparaître comme un point<strong>de</strong> vue réducteur dans une perspectiveanthropologique. La possible rencontre <strong>de</strong> ladiscipline anthropologie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la profession pourraitêtre au contraire (toujours selon notre collègue) d’uneCahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 75


Synthèse <strong>de</strong>s ateliersgran<strong>de</strong> utilité aux animateurs pour comprendre ce quise joue autour <strong>de</strong> l’appellation « animateur », ce qui sejoue avec les publics, comment c<strong>et</strong>te professions’organise dans <strong>de</strong>s sociétés différentes, <strong>et</strong>c.L’animation peut apparaître à son tour comme unepratique <strong>culturelle</strong>. Les postures changent : on choisitl’immersion dans les milieux, on « se mouille » aurisque <strong>de</strong> l’« i<strong>de</strong>ntification » ou <strong>de</strong> la « manipulation ».À l’inverse, l’obstacle à l’efficacité <strong>de</strong> l’animateur, c’estle « malentendu culturel » qui peut être entr<strong>et</strong>enu par<strong>de</strong>s concepts opérationnels forgés par l’expertise : onparle « d’aire maghrébine », <strong>de</strong> « culture africaine » ;l’« interculturel » <strong>de</strong>vient une notion englobante quischématise dans <strong>de</strong>s concepts opérationnels <strong>de</strong>sréalités complexes <strong>et</strong> oriente l’animateur vers <strong>de</strong>sinterprétations stigmatisantes. Le colloque dont faitpartie c<strong>et</strong> atelier court ce risque : commentcomprendre l’intervention <strong>de</strong> notre collègue portugais– justement anthropologue – si l’on ne situe pas sonaction dans un Alentejo rural, dans lequel la notion <strong>de</strong>développement local (social <strong>et</strong> économique) s’articul<strong>et</strong>rès fondamentalement avec le patrimoine <strong>et</strong> les arts<strong>et</strong> les traditions populaires ? Comment utiliserl’apport spectaculaire <strong>de</strong> notre collègue cubain, saconviction sur l’efficacité future <strong>de</strong>s universitéspopulaires qu’il développe sans le replacer dans unlangage, une histoire politique, un contexteéconomique <strong>et</strong> géopolitique ? Il n’est pas sûr que lelangage commun <strong>de</strong> l’animation professionnelle soitsuffisant pour perm<strong>et</strong>tre la réalisation d’un<strong>et</strong>raduction qui ren<strong>de</strong> compte <strong>de</strong>s différencesimportantes qui existent entre l’exempleguatémaltèque <strong>et</strong> celui du Brésil ou <strong>de</strong> l’Argentine,mais aussi entre l’exemple d’une constructioncollective d’un référentiel <strong>de</strong> compétences en Suisse(en l’absence <strong>de</strong> toute préconisation <strong>de</strong> l’État) <strong>et</strong> laprescription <strong>de</strong>scendante <strong>de</strong> référentiels <strong>de</strong> formationconstruits par les administrations centralisées enFrance ?La communication faite sur le transfert d’uneformation d’animateurs socioculturels en Guyanefrançaise inaugure une réflexion sur les enjeux <strong>de</strong> cequi pourrait fonctionner, malgré <strong>de</strong> bonnes intentions,comme une classique transposition <strong>de</strong>s anciensrapports coloniaux. Une <strong>de</strong>s participantes <strong>de</strong> l’atelierne faisait-elle pas remarquer son badge sur lequel estinscrit son nom avec la mention « France-Gua<strong>de</strong>loupe » (pourquoi pas France-Br<strong>et</strong>agne) ? Àl’inverse, la fraternité professionnelle qui s’exprimedans le colloque rend ses participants plus sensiblesaux comparaisons qui les rapprochent <strong>et</strong> auxnouvelles perspectives <strong>de</strong> connaissances qui endécoulent qu’à ce qui les opposerait, par exemple dansune confrontation Nord-Sud. On peut trouver làquelques indices d’un fon<strong>de</strong>ment d’une culturecommune <strong>de</strong> l’animation professionnelle, idée que lesparticipants <strong>de</strong> l’atelier « bénévolat, volontariat,engagement <strong>et</strong> professionnalisation <strong>de</strong>s acteurs,quelles formations ? » n’ont à aucun momentcontestée, bien au contraire, pendant les six heuresd’exposés <strong>et</strong> <strong>de</strong> discussions <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te journée.Éducation populaire, temps libre,recréation <strong>et</strong> animation,par Jean-Marie MignonConseiller <strong>de</strong> jeunesse <strong>et</strong> d’éducation populaireQuel est l’obj<strong>et</strong> commun qui nous a réunis pendantc<strong>et</strong>te journée ? Il est difficile <strong>de</strong> trouver un filcommun, qui, comme celui d’Ariane, nous auraitmenés, à travers le dédale <strong>de</strong>s mots, <strong>de</strong>spréoccupations <strong>et</strong> <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s d’analyse <strong>et</strong> d’action,au but recherché. Tous, nous aurions pu alors leséluci<strong>de</strong>r, <strong>et</strong> nous serions ensuite repartis, sans nousperdre, chacun dans son pays, la tâche exécutée. Nousavions tous, sans doute, le même but, mais le dédaleemprunté avait plusieurs parcours. Certains prenaientcelui-ci, d’autres celui-là. C’est d’ailleurs, beaucoupmieux ainsi, la richesse <strong>de</strong> la diversité, portée parchacun, en aurait souffert.Il faut aussi, <strong>et</strong> surtout, remercier les orateurs quiont été terriblement bousculés par la rencontre d’untemps absolument inélastique <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurcommunication, potentiellement très compressible.Merci aussi à la traductrice, Ilia Castro, désignéevolontaire, qui nous a permis <strong>de</strong> suivre ces orateursgrâce à ses traductions parfois périlleuses, au milieu<strong>de</strong> l’espagnol, du portugais <strong>et</strong> du français, ces troislangues parlées en Europe comme en Amérique.D’où venaient-ils ? Du Brésil, d’Espagne(Catalogne, Castille), <strong>de</strong> France, d’Argentine, duQuébec (Canada), <strong>de</strong>s Pays-Bas, <strong>de</strong> Belgique, <strong>de</strong>Colombie, du Cameroun, <strong>de</strong> Suisse <strong>et</strong> d’Uruguay.Merci à vous tous <strong>et</strong> comprenez que je ne ferais quereprendre, <strong>de</strong> vos interventions, qu’une p<strong>et</strong>ite partie<strong>de</strong> ce que j’ai cru en comprendre.Avec, en surplus, une prise <strong>de</strong> position. Car je croisque, dans un travail sur les analogies, malgré seslimites <strong>et</strong> le risque <strong>de</strong> tout mélanger dans ce jeu <strong>de</strong>miroirs biaisés, on sait bien qu’il y a quelque chose <strong>de</strong>l’ordre <strong>de</strong> l’absolument nécessaire à connaître l’autre,car l’autre me renvoie à ce que je suis, m’explique ceque je suis. L’analogie, pour moi, est « ce qui renvoieune ressemblance ». Pas moins, mais pas plus.Pour ce faisceau <strong>de</strong> termes liés ensemble dans l<strong>et</strong>itre <strong>de</strong> l’atelier, « Éducation populaire, temps libre,recréation <strong>et</strong> animation », il a donc fallu travailler surles mots pour comprendre ce que disait l’autre, tousles autres.LE TEMPS LIBRECe temps délié <strong>de</strong>s contraintes professionnelles,familiales ou sociales. Un temps, donc, où l’on fait ceque l’on veut. On consomme, même mal, même trop,ou insuffisamment. On est, <strong>de</strong> toute façon, dans une76 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Éducation populaire, temps libre, recréation <strong>et</strong> animation,par Jean-Marie Mignonsituation qui fuit, qui se r<strong>et</strong>ire <strong>de</strong> ce que les autresveulent imposer.Le temps libre <strong>et</strong> la liberté sont-ils la même chose ?La liberté est relativisée par la conception que l’on ena. C’est le temps qui peut renvoyer à un momentd’oisiv<strong>et</strong>é, <strong>de</strong> vie hédoniste, l’« entertainement », « lepasse-temps ». Temps inconnu <strong>de</strong> ceux qui n’ont pasles moyens <strong>de</strong> le dégager <strong>de</strong>s incontournablesemprises quotidiennes. Ce peut être aussi un tempsperdu, un temps <strong>de</strong> la frustration, un temps impossibleà user avec profit. Le temps désoccupé n’est pasforcément du temps libre.On ne peut pas l’analyser en soi. Vouloir réfléchirsur la valeur temps libre impose <strong>de</strong> travailler aussi surla valeur travail. Selon certains commentateurs, laFrance, qui avait érigé le temps libre enadministration d’État, dans les années quatre-vingt,aurait péché par manque <strong>de</strong> lucidité sur ce point.Ce temps libre, celui-là justement, est un momentque veulent saisir les animateurs <strong>et</strong> le réutiliser dansun proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> la personne, du groupe,<strong>de</strong> la communauté (le mot « communauté » chez lesAméricains du Sud <strong>et</strong> du Nord ne serait pas vécu, dansson aspect socio-politique, <strong>de</strong> la même façon qu’enFrance : Y. Hurtubise, Québec). Elle doit être inclusedans <strong>de</strong>s objectifs (P.A. Waichman, Argentine). C’estun temps qui <strong>de</strong>vrait être, donc, celui <strong>de</strong> lamoralisation <strong>de</strong> la personne, d’éducation, quand lesautres métho<strong>de</strong>s, plus classiques, n’existent pas ou ontéchoué. C’est le temps <strong>de</strong> la conscientisation qui faitque l’on découvre que l’on est dans la vie politique <strong>et</strong>que les règles <strong>de</strong> la démocratie sont à dégager <strong>de</strong>l’écrasement subi par <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> force, <strong>de</strong>srapports <strong>de</strong> classe inégaux. Le temps libre est aussil’apprentissage <strong>de</strong> la liberté, qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> vivre sapropre expérience (P.A. Waichman, Argentine).Mais n’y a-t-il pas un risque, dans c<strong>et</strong>te volonté <strong>de</strong>moralisation, une attitu<strong>de</strong> qui s’inscrirait à côtéd’autres institutions, celles qui sont chargéesd’encadrer les personnes <strong>et</strong> les groupes <strong>et</strong> pour quic<strong>et</strong>te liberté du temps doit être, au mieux, contrôlée ?C<strong>et</strong>te question n’est sans doute pas uniquement unequestion franco-française.LA RECRÉATIONEn France, en Suisse, on ne m<strong>et</strong>trait pas ces <strong>de</strong>uxmots <strong>de</strong> « recréation » <strong>et</strong> d’« animation » côte à côtesans quelques réticences. En Suisse, par exemple, larécréation serait toujours <strong>de</strong> l’ordre du loisir. AuBrésil, par contre, c’est une métho<strong>de</strong>, une action quiperm<strong>et</strong> <strong>de</strong> dépasser l’ordre social établi en vue d’eninstaller un autre. Ce mot <strong>de</strong> recréation est riche <strong>de</strong>sens <strong>et</strong> j’ai vu le Québec <strong>et</strong> l’Amérique latine (F. Vilas,Uruguay) se comprendre mutuellement. Alors, jen’écris qu’avec un seul accent aigu le mot <strong>de</strong>recréation, <strong>et</strong> non <strong>de</strong>ux, pour mieux le différencierdans ce qu’il montre comme capacité <strong>de</strong>renouvellement <strong>et</strong> d’invention sociaux.La recréation comme pédagogie. La recréationcomme développement <strong>de</strong> la liberté (G.R. Coppola,Argentine). La recréation comme modèled’intervention sociale, apte à gérer <strong>de</strong>s situationscomplexes, par <strong>de</strong>s techniques, par <strong>de</strong>s actions,perm<strong>et</strong>tant un accès plus ouvert, diversifié, aupatrimoine culturel commun. La recréation est mêmeconsidérée comme un nécessaire outil qui prend saplace dans la lutte contre la gran<strong>de</strong> dégradationsociale <strong>de</strong> certains pays. Il est clair que le dictionnaireanalogique <strong>de</strong>vra faire <strong>de</strong>s efforts pour m’ai<strong>de</strong>r àcomprendre tous les sens <strong>de</strong> ce mot !L’ANIMATIONAvec ce mot-là, aussi, quand j’entends parler lesSud-Américains, j’entends parler d’une intricationplus forte, que celle qu’on entend en France, du proj<strong>et</strong>socioculturel dans les enjeux politiques. Et la critique,que l’on peut porter sur le rapport que l’animationentr<strong>et</strong>ient avec le politique, ne peut faire oublier que,<strong>de</strong> toute façon, ce rapport existe, qu’il soit affirmé ounié. Le discours <strong>de</strong> l’animation peut se couler dans undiscours commun – on va dire bourgeois – ou bienaffronter une réalité socio-politique que l’on pensefavoriser les classes les plus riches.Car l’animation a son public. C’est celui <strong>de</strong>s faibles :faibles parce qu’ils ne sont pas encore <strong>de</strong>s adultes ouparce qu’ils sont démunis <strong>de</strong> biens, réduits à <strong>de</strong>sexpédients pour vivre. Il y a un risque, peut-être, àdonner une vision doloriste <strong>de</strong> personnes, <strong>de</strong> groupes,dont la vie est, malgré tout, toujours plus diverse quel’on ne l’imagine. Il n’empêche. La violence socialenon maîtrisée est présente. Et c<strong>et</strong>te violence-là naîttoujours <strong>de</strong> rapports <strong>de</strong> forces politiques par tropinégaux.L’ÉDUCATION POPULAIREC’est un terme qui nous change sans ambiguïté <strong>de</strong>sautres termes dont je viens <strong>de</strong> parler : temps libre,récréation, animation. On rentre là dans un proj<strong>et</strong>éducatif qui dit sa spécificité dans son adjectif.C<strong>et</strong>te éducation populaire s’inscrit dans unprocessus d’émancipation. Un mot très riche, très fort,qui a beaucoup <strong>de</strong> portée en Amérique du Sud <strong>et</strong>, parvagues concentriques, dans bien <strong>de</strong>s parties dumon<strong>de</strong>. On pense, bien sûr, d’abord, à l’œuvre <strong>de</strong>Paulo Freire (Brésil).L’émancipation, qui renvoie à l’autonomie, même sipar un eff<strong>et</strong> pervers, ce mot, magnifié par Yvan Illich,qui est synonyme <strong>de</strong> libération (J.O. Lozano Escobar,Colombie), peut être r<strong>et</strong>ourné <strong>et</strong> compris commel’assimilation à un système politique néo-libéral (J.W.Duyvendack, Pays-Bas). Émancipation <strong>et</strong>, en mêm<strong>et</strong>emps, insertion sociale (E. <strong>de</strong> Drummond Alves,Brésil). Exotisme <strong>de</strong>s mots, difficulté à connaître touteleur richesse, leur portée symbolique, dans chacun <strong>de</strong>spays ici présents.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 77


Synthèse <strong>de</strong>s ateliersC<strong>et</strong>te éducation populaire (en France, dans legouvernement actuel, on parle <strong>de</strong> l’« autreéducation »…), permanente (J.V. Merino Fernan<strong>de</strong>z,Espagne) est décrite, par certains <strong>de</strong>s orateurs,comme étant un double mouvement d’intégrationsociale <strong>et</strong> <strong>de</strong> libération politique. Ces termes, qui nesont absolument pas antinomiques, sont forts pournotre vieille Europe qui cependant en saisitimmédiatement le sens.Si l’on écoute plus précisément chacun <strong>de</strong>s orateurs,on entend bien que c<strong>et</strong>te éducation populaire a étéprofondément façonnée par les histoires nationales,régionales ; que les résonances <strong>culturelle</strong>s,idéologiques, voire politiques, n’en donnent paspartout le même son ; que les grands traumatismesnationaux (immigrations, révolutions, émeutes, coupsd’État, ingérences étrangères, …) sont présents dansl’histoire <strong>de</strong> l’éducation populaire.Après ce survol sémantique <strong>de</strong> l’énoncé du thèmequi nous réunissait, nous avons dégagé quelquesthèmes transversaux aux orateurs.L’ENGAGEMENTL’engagement est moral ; il est social, doncpolitique (V. Andra<strong>de</strong> <strong>de</strong> Melo, Brésil). C’estl’engagement <strong>de</strong>s bénévoles, <strong>de</strong>s « voluntarios ».Selon certains participants, c<strong>et</strong>te vertu ne peut êtreassumée que par <strong>de</strong>s bénévoles. Mais les salariés nepourraient-ils pas, eux aussi, s’engager, simplementparce qu’ils seraient prisonniers <strong>de</strong> leur contratd’emploi, <strong>de</strong> tâches précises à exécuter ? (A. Thibault,Québec).LA GESTION DES CONFLITSLe thème <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong>s conflits est celui <strong>de</strong> laquestion <strong>de</strong> l’ordre, versus le désordre, en vue d’unnouvel ordre, espéré meilleur. Un ordre social refusépour son iniquité, qui doit être « désorganisé » (V.Andra<strong>de</strong> <strong>de</strong> Melo, Brésil). J’entends : bousculé,démocratisé.Certains orateurs ém<strong>et</strong>tent une critique <strong>de</strong> la sociétéactuelle, <strong>de</strong> leur société, une critique très violente,radicale. L’homme y est comme un obj<strong>et</strong> manipulé,consommateur <strong>de</strong> biens ou <strong>de</strong> publicités, sans gran<strong>de</strong>capacité <strong>de</strong> distanciation, <strong>de</strong> choix, <strong>de</strong> critique. Lalutte contre la société <strong>de</strong> consommation reste vivedans les pays du Sud. Au Nord, un « paternalismeattentif » (J.W. Duyvendack, Pays-Bas) affirme qu’ilpeut porter un objectif d’émancipation à long terme.J’y vois plutôt, personnellement, l’avènement d’une« société <strong>de</strong> consolation », comme le dit JérémieLefebvre dans un ouvrage du même nom.LE RAPPORT AUX INSTITUTIONSPUBLIQUESLe travail d’éducation populaire se fait avec, oucontre les institutions publiques, l’État, l’Église. C<strong>et</strong>hème renvoie à l’histoire <strong>de</strong>s pays <strong>et</strong> aux violencesqui leur sont faites. C<strong>et</strong>te histoire peut être vécuecomme déterminante pour expliquer le travaild’éducation populaire. L’apport <strong>de</strong> certaines forcespolitiques, pas forcément au pouvoir, le rôle positif<strong>de</strong>s Élise est n<strong>et</strong>tement affirmé dans plusieurs pays.Le travail d’éducation populaire renvoie aussi au rôle<strong>de</strong> la société civile dans la nation toute entière (G.Ntebe Bomba, Cameroun).LA MÉTHODE D’ANALYSE, L’ART DE LAPRATIQUELes orateurs ont montré une gran<strong>de</strong> diversité <strong>de</strong>questionnement <strong>de</strong>s problèmes auxquels ils ont vouluse confronter : ces fragments <strong>de</strong> vie que sont lestemps <strong>de</strong> l’animation, <strong>de</strong> la recréation, <strong>de</strong> l’éducationpopulaire ; ces fractions <strong>de</strong> la société qui sont leur« public ». Le choix <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> compréhension,d’analyse a donc été beaucoup évoqué. La multiplicité<strong>de</strong>s pays, <strong>de</strong>s institutions, <strong>de</strong>s formations <strong>de</strong>sintervenants est d’une telle richesse, d’une tellediversité, que leurs présentations nécessiteraient àelles seules plus que le temps accordé à présenter cerapport. Les métho<strong>de</strong>s d’analyse, les constructionsthéoriques, les logiques mises en oeuvre, la <strong>recherche</strong>action(J.O. Lozano Escobar, Colombie), croisent lestechniques d’intervention, l’action sociale <strong>et</strong>socio<strong>culturelle</strong>, l’engagement politique. La questionest posée, dans certains pays, sur ce qui serait ledélitement <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong> l’éducation populaire,<strong>de</strong>vant l’avancée <strong>de</strong> la technologie <strong>de</strong> l’animation : quisont ces nouveaux animateurs ? (P. Marty, France).Théorie <strong>et</strong> pratique. J’ai, parfois, été dépassé par ladiversité <strong>de</strong>s approches théoriques, par la diversité <strong>de</strong>sactivités (P. Marty, France), qu’elles soient<strong>culturelle</strong>s, sociales, sportives, parfois mêmepolitiques. J’ai r<strong>et</strong>enu, cependant, la force <strong>de</strong> quelquesimages, qui en disent plus que l’on ne le penserait : cesphotographies <strong>de</strong> la capoeira, par exemple, cemélange <strong>de</strong> lutte <strong>et</strong> <strong>de</strong> danse <strong>de</strong> rue (E. <strong>de</strong> DrummondAlves Jr, Brésil), qui s’introduit par le chemin <strong>de</strong>squartiers défavorisés en France.LA FORCE DU JEULe jeu apparaît, à beaucoup d’animateurs, très utile.Le goût du risque par lequel les adolescents essaientleurs forces juvéniles ; les mythes qui construisent ceque les personnes disent <strong>de</strong> leur représentation dumon<strong>de</strong> ; les rituels <strong>de</strong> reconnaissance commune auxgroupes (J.O. Lozano Escobar, Colombie), lessymboliques <strong>de</strong>s jeux d’équipes ou individuels (E. <strong>de</strong>Drummond Alves Jr, Brésil) sont repris <strong>et</strong> canaliséspar les animateurs. « L’animateur est un coach quifacilite le réseautage » (Y. Hurtubise, Québec). Le jeuest, aussi, <strong>de</strong>puis toujours, un exercice d’appui aupassage vers la vie d’adulte.Il faut aller chercher les jeunes là où ils se trouvent.Sur le terrain <strong>de</strong> leurs jeux, qu’ils soient sta<strong>de</strong> ou rue78 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Éducation populaire, temps libre, recréation <strong>et</strong> animation,par Jean-Marie Mignon(E. <strong>de</strong> Drummond Alves Jr, Brésil). Son attractivitédoit être utilisée. Et puis, il faut se méfier <strong>de</strong>sjugements hâtifs. Les jeunes peuvent utiliser leséléments les plus heurtant <strong>de</strong> la société <strong>de</strong>consommation : ils peuvent se déguiser enprésentateurs <strong>de</strong> Star Académie, en acteurs <strong>de</strong>téléréalité, ils conservent toujours leur sens critique(J.O. Lozano Escobar, Colombie).LE RAPPORT À L’OBJET ARTISTIQUE, AUPATRIMOINEAutre thème que j’extrais, parmi d’autres encore,celui <strong>de</strong> l’obj<strong>et</strong> artistique. Le rapport à l’art n’est passeulement celui d’un rapport <strong>de</strong> classe. Il faut accepterl’ambiguïté <strong>de</strong> la démocratisation <strong>de</strong> la culture,dépasser le clivage socioculturel <strong>et</strong> culturel. C’estaussi un rapport au plaisir, un apprentissage à l’amour<strong>de</strong> l’art. L’animateur est passeur vers l’œuvre d’art.Par là, il ai<strong>de</strong> les personnes à construire leur i<strong>de</strong>ntité,à se réapproprier leur existence. Dans la construction<strong>de</strong> soi par sa capacité réflexive, il fait un travaild’éducation populaire (F. Liot, France).L’esthétique est, aussi, développée comme éthique,comme une philosophie qui développe les capacités <strong>de</strong>l’acte <strong>de</strong> juger, <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r (F. Vilas, Uruguay).De même, le rapport au patrimoine, dont l’approcheest idéologiquement si sensible, <strong>et</strong> qui relie l’homme àson histoire, qui la transm<strong>et</strong>, mais qui peut, aussi,favoriser le fait <strong>de</strong> n’oser affronter son avenir. Lepatrimoine, défini comme construction socialeporteuse <strong>de</strong> valeurs relatives symboliques. La notion<strong>de</strong> nature, qui concerne une large part du patrimoine,n’est pas la même sur tous les continents. La questionqui traverse ceux qui ont pour mission <strong>de</strong> protéger lepatrimoine est : qu’est-ce qui est digne d’être transmis<strong>et</strong>, donc, quel rôle l’animateur peut jouer dans ce quifait l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> représentations différentes ? (L.Larroque-Choun<strong>et</strong>, France).POUR FINIR MON RAPPORT…, non pas pour le conclure – mission impossible ! –j’ai été frappé par l’importance du politique dansnombre <strong>de</strong> communications, par le sentimentd’urgence éducative dans les champs <strong>de</strong> la pédagogienon formelle, <strong>de</strong> l’éducation populaire ; par ce tempslibéré, vécu là comme un luxe rare, ici comme unedonnée bien installée.Jean-Clau<strong>de</strong> Gill<strong>et</strong> avait parlé du fil d’Ariane pourtrouver une sortie honorable à tous ces cheminsofferts à la réflexion <strong>et</strong> au débat : <strong>et</strong>, bien, merci à tousces intervenants qui se sont évertués à multiplier lesbrins <strong>de</strong> fil en me laissant plutôt égaré dans c<strong>et</strong>immense labyrinthe intercontinental ! Tresserensemble les brins <strong>de</strong> fil est difficile, mais le fil tresséen est plus soli<strong>de</strong>.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 79


ConclusionConclusionDes perspectives à poursuivreautour <strong>de</strong>s enjeux sur l’animation :bilan d’un colloque en formed’ouverture,par Jean-Pierre AugustinProfesseur à l’université Michel <strong>de</strong> Montaigne-Bor<strong>de</strong>aux3Prendre la parole à la fin d’un colloque constitueune position privilégiée car elle perm<strong>et</strong> d’avoir unevision d’ensemble <strong>de</strong>s interventions, <strong>de</strong>s débats <strong>et</strong> <strong>de</strong>séchanges qui ont eu lieu tout au long <strong>de</strong> ces journées.Trois jours d’un rassemblement internationalréunissant plus <strong>de</strong> 200 participants <strong>et</strong> près <strong>de</strong> 100communications réparties dans quatre ateliers <strong>et</strong>plusieurs panels ne peuvent cependant pas se résumeren quelques lignes. Il reste possible <strong>de</strong> proposer troisentrées concernant un premier bilan <strong>et</strong> ouvrant <strong>de</strong>sperspectives à poursuivre. Entrées largementdialogiques car elles n’expriment pas qu’un ressentipersonnel mais témoignent d’interactions multiples.TROIS MOTS POUR UN PREMIER BILANLe premier mot qui vient à l’esprit est celui <strong>de</strong>satisfaction. Pourquoi cacher le plaisir éprouvé tout aulong du colloque, plaisir <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver <strong>de</strong>sconnaissances, <strong>de</strong>s collègues, <strong>de</strong>s amis. Plaisir aussid’accueillir ceux qui venaient <strong>de</strong> loin, <strong>de</strong>s quatre coins<strong>de</strong> la France, <strong>de</strong>s quatre coins d’Europe <strong>et</strong> <strong>de</strong>s quatrecoins du mon<strong>de</strong>. Gran<strong>de</strong> satisfaction ensuite pour laqualité <strong>de</strong>s propos entendus, <strong>de</strong>s interventionsprononcées <strong>et</strong> <strong>de</strong> la richesse <strong>de</strong>s échanges. Dans leurdiversité, dans leur enracinement particulier, maisaussi dans les liens établis, les discours <strong>et</strong> lesquestions posées donnaient sens à <strong>de</strong>s interrogationscommunes. Plaisir aussi <strong>de</strong>s émotions partagées dansles moments festifs, les repas <strong>et</strong> en particulier la soiréepartagée avec les acteurs, les chanteurs <strong>et</strong> lesmusiciens. Satisfaction enfin, après <strong>de</strong>s mois <strong>de</strong>préparation <strong>et</strong> d’organisation du colloque, <strong>de</strong> mesurerqu’il avait atteint les objectifs fixés.Le <strong>de</strong>uxième mot est celui <strong>de</strong> frustration. Il n’estpas contradictoire avec le premier, mais au moment <strong>de</strong>se séparer, il prend toute sa force. Après trois joursd’effervescence <strong>et</strong> <strong>de</strong> contacts, on mesure que les liensétablis risquent <strong>de</strong> se distendre. Un colloque esttoujours trop court, on se connaît à peine <strong>et</strong> il faut seséparer. Ce sentiment est d’autant plus fort quel’ouverture internationale était large. Heureusement,c<strong>et</strong>te frustration est compensée par les suites qui sontmaintenant envisagées <strong>et</strong> la volonté <strong>de</strong> renforcer lesrelations personnelles <strong>et</strong> institutionnelles.Le troisième est donc prolongation. Non pas ausens d’une prolongation sportive qui implique <strong>de</strong>trouver une fin mesurable à une compétition, mais ausens d’une continuation. Des liens personnels <strong>et</strong>institutionnels existaient déjà, d’autres se m<strong>et</strong>tent enplace <strong>et</strong> <strong>de</strong>s échanges d’adresses, d’invitationsmutuelles ont été une <strong>de</strong>s marques <strong>de</strong> cerassemblement. C<strong>et</strong>te volonté <strong>de</strong> prolongement s’estconcrétisée lors <strong>de</strong> la rencontre proposant la création<strong>de</strong> réseaux autour <strong>de</strong> l’animation. Outre le réseaufrançais déjà constitué, plusieurs sont en gestation surle plan international : un réseau européen surl’animation (RESA), un réseau américain (RESAM) <strong>et</strong>un réseau africain (RESAF). C<strong>et</strong>te organisationréticulaire est envisagée à partir <strong>de</strong> pôles quipourraient s’établir au Brésil, au Québec, auCameroun <strong>et</strong> en Tunisie <strong>et</strong> se développer en réseauxinterconnectés autour du site Intern<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’ISIAT. Lacarte <strong>de</strong>s participants au colloque tisse déjà la toile<strong>de</strong>s liens existants sur plusieurs continents.LES ANALOGIES AUTOUR DE L’ANIMATIONLa question centrale du colloque était celle <strong>de</strong>l’animation <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses analogies. A-t-on réussi àprogresser dans ce sens ? Sans aucun doute, leséchanges <strong>et</strong> les débats ont permis <strong>de</strong> mieuxcomprendre ce qui, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s mots, fondait lesformes d’action collective. Mais nos histoires, noscultures, nos mo<strong>de</strong>s d’intervention sont tellementdifférents que le chemin sera encore long pour arriverà une parfaite compréhension. Aucun mot ne réussit àrésumer la diversité <strong>de</strong>s formes d’action entreprise.<strong>Animation</strong>, culture <strong>et</strong> éducation populaire, loisir,organisation communautaire, vie associative, tempslibre, autant <strong>de</strong> mots familiers qui procè<strong>de</strong>nt d’unidéal commun dont il est possible <strong>de</strong> montrer lafiliation avec <strong>de</strong>s valeurs qui servent <strong>de</strong> trait d’unionentre passé <strong>et</strong> avenir. Voilà plus <strong>de</strong> vingt ans quej’essaie avec mes amis québécois <strong>de</strong> réfléchir à c<strong>et</strong>tequestion. Nous avançons lentement <strong>et</strong> le panel surl’animation en France <strong>et</strong> au Québec, qui a réuni plus<strong>de</strong> 80 participants, a montré, une fois encore, que nousne m<strong>et</strong>tons pas le même sens sur les mots, enparticulier autour <strong>de</strong>s concepts <strong>de</strong> communauté <strong>et</strong>d’animation. Les actions communautaires, si présentesdans le paysage québécois semblent cependantsouvent proches <strong>de</strong>s formes d’animation si présentesen France.L’organisation communautaire est définie par Jean-François Médard 1 « comme une métho<strong>de</strong> <strong>de</strong>changement social planifié au niveau local qui reposesur la participation <strong>de</strong>s habitants à leur proprechangement, sous l’influence <strong>et</strong> la stimulationd’animateurs professionnels ». En France, une <strong>de</strong>spremières définitions <strong>de</strong> l’animation formulée parJean-Paul Imhof la présente « comme une action1 MÉDARD (JF), Communauté locale <strong>et</strong> organisation communautaireaux États-Unis, Armand Colin, 1969 (Cahier172 <strong>de</strong> la fondation nationale <strong>de</strong> science politique)80 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


Des perspectives à poursuivre autour <strong>de</strong>s enjeux sur l’animation : bilan d’un colloque en forme d’ouverture,par Jean-Pierre Augustinvolontaire sur la vie d’un groupe pour améliorer lesrelations à l’intérieur <strong>de</strong> ce groupe <strong>et</strong> augmenter laparticipation <strong>de</strong> chacun à la vie du groupe ». Biend’autres approches sont possibles, mais celles-cisoulignent déjà qu’il s’agit toujours d’une volontéd’améliorer les formes <strong>de</strong> participation <strong>et</strong> d’actioncollective.Les propos introductifs <strong>de</strong> Marcel Bolle <strong>de</strong> Bal ontmontré les besoins <strong>de</strong> reliance qui conditionnent levivre ensemble 1 . Ces besoins sont d’autant plus fortsque ce vivre ensemble est malmené par <strong>de</strong>s processussocioculturels qui innervent l’ensemble <strong>de</strong> la société.Sans les développer plus avant, cinq d’entre eux ontsouvent été soulignés : celui <strong>de</strong> la mobilité accéléréequi favorise un changement d’échelle rem<strong>et</strong>tant enquestion la distance physique comme indice <strong>de</strong>proximité sociale ; celui <strong>de</strong> la rétraction du social quicorrespond au délitement <strong>de</strong> l’organisationtraditionnelle au profit d’un espace <strong>de</strong> parcours entre<strong>de</strong> multiples lieux ; celui <strong>de</strong> la multiplication <strong>de</strong>smoyens d’information <strong>et</strong> <strong>de</strong> communication qui agitdans l’espace social au détriment <strong>de</strong>s relationspersonnelles directes ; celui <strong>de</strong> la remise en cause <strong>de</strong>l’intégration par le travail qui a longtemps été un <strong>de</strong>sfon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> l’organisation sociale ; <strong>et</strong> enfin, celui <strong>de</strong>l’individuation qui <strong>de</strong>vient un principe fondateur sedistinguant <strong>de</strong> l’individualisme conçu comme un replisur soi.Si l’on s’arrête un instant aux mutations <strong>de</strong>s tempssociaux, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En France,les historiens estiment qu’en 1900 le temps <strong>de</strong> travailmoyen pour un individu était <strong>de</strong> 200 000 heures paran (40 % du temps <strong>de</strong> vie) <strong>et</strong> le temps libre (horssommeil <strong>et</strong> hors travail) <strong>de</strong> 100 000 heures. Un siècleplus tard, le temps <strong>de</strong> travail est réduit à 67 000heures (10 % du temps <strong>de</strong> vie) <strong>et</strong> le temps librereprésente 400 000 heures (dont 100 000 absorbés parl’écoute <strong>de</strong> la télévision). Le nombre d’heurestravaillées a été diminué par trois <strong>et</strong> le temps libremultiplié par quatre. Une véritable révolution queJoffre Dumazedier avait annoncée sans être toujoursécouté 2 . Mais, dans ce contexte, l’animation <strong>et</strong> sesanalogies ne peuvent se réduire à organiser les tempslibérés <strong>et</strong> plusieurs intervenants ont souligné que« l’animation ne consiste pas à remplir un vase mais àallumer un feu ».CRITIQUES ET ENJEUX DE L’ANIMATIONLes débats sur l’animation, l’organisation <strong>de</strong>s loisirs<strong>et</strong> du temps libre sont anciens. En France, la revueLes Cahiers <strong>de</strong> l’animation a enrichi les réflexions encherchant à cerner les contours d’un conceptfluctuant, à prendre en compte l’évolution <strong>de</strong>s réalitéssociales <strong>et</strong> à saisir les enjeux <strong>de</strong>s activités1 BOLLE <strong>de</strong> BAL (M), Voyage au cœur <strong>de</strong>s sciences humaines,De la reliance, Paris, L'Harmattan, 1996, 2 tomes.2 DUMAZEDIER (J), Révolution <strong>culturelle</strong> du temps libre1968-1988, Paris, Méridiens-Klinscksieck, 1988.d’animation 3 . La revue Agora, débats, jeunesse qui lui asuccédé poursuit ces analyses <strong>et</strong> apporte unecontribution aux questions concernant l’animation <strong>et</strong>la vie associative en France <strong>et</strong> dans le mon<strong>de</strong> 4 . Lesdébats sur l’éducation populaire ont été réactivés autournant <strong>de</strong>s années 2000 par l’offre publique <strong>de</strong>réflexion du ministère <strong>de</strong> la Jeunesse <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Sportsqui, lancée en 1998, a permis <strong>de</strong> réaliser un état <strong>de</strong>slieux sur le rôle <strong>de</strong> la culture dans la transformationsociale 5 . Les réflexions menées par 125 groupes <strong>de</strong>travail répartis sur le territoire ont été rassemblésdans un livre blanc <strong>de</strong> l’éducation populaire 6 quiaffirme qu’elle ne doit pas se borner à occuper l<strong>et</strong>emps libre, mais doit relier <strong>de</strong>s savoirs fragmentéspour transformer la société. Comme le note LucCarton :L’heure n’est plus d’ingérer <strong>de</strong>s activités ni <strong>de</strong> se limiter àconduire un travail social <strong>de</strong> réparation. Il s’agit <strong>de</strong> refon<strong>de</strong>rl’éducation populaire comme un processus <strong>de</strong> création collective <strong>de</strong>savoir critique, une mobilisation populaire <strong>de</strong> l’intelligence <strong>et</strong> <strong>de</strong> lasensibilité <strong>de</strong>s groupes exploités, aliénés <strong>et</strong> dominés, pour nourrirla transformation sociale <strong>et</strong> politique par une action collectiveproduite à partir <strong>de</strong> l’expression, <strong>de</strong> l’analyse <strong>et</strong> <strong>de</strong> la capacité <strong>de</strong>débats <strong>de</strong> ceux qui sont précisément victimes du libéralisme.Le colloque <strong>de</strong> Montpellier en octobre 2003, intitulé« À quoi sert l’animation aujourd’hui ? » s’est aussiinterrogé sur la capacité <strong>de</strong> l’animation <strong>et</strong> <strong>de</strong>l’éducation populaire à trouver <strong>de</strong>s réponses auxnouvelles questions sociales.Les organisateurs du colloque <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux, qui ontlargement participé à ces réflexions sur l’animation <strong>et</strong>l’éducation populaire, ont pris en compte l’ensemble<strong>de</strong>s questionnements évoqués <strong>et</strong> cherchés à élargirdébat au plan international. Les thèmes r<strong>et</strong>enus pourles quatre ateliers témoignent <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te volontéd’ouverture <strong>et</strong> <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> poursuivre laréflexion critique sur la question sociale, sur lesmo<strong>de</strong>s d’intervention <strong>et</strong> sur les enjeux <strong>de</strong> l’animation<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’éducation populaire :• A : <strong>Animation</strong>, citoyenn<strong>et</strong>é, marché <strong>et</strong> démocratie• B : Bénévolat, volontariat, engagement <strong>et</strong>professionnalisation <strong>de</strong>s acteurs.• C : <strong>Animation</strong>, développement, territoires <strong>et</strong>gouvernances locales• D : Éducation populaire, temps libre, récréation <strong>et</strong>animationLes références à Tocqueville <strong>et</strong> à Marx n’ont pasmanqué, mais nous avons changé <strong>de</strong> siècles. Lesinjustices, criantes dans l’hexagone, évoquées lors dupanel consacré à la politique <strong>de</strong> la ville ont montré, àla fois, les actions entreprises <strong>et</strong> les résistances aux3 Les chemins <strong>de</strong> l'animation : 1972-1987, numéro spécial61-62, Les <strong>cahiers</strong> <strong>de</strong> l'animation, 19874 AGORA, débats/jeunesse, Institut national <strong>de</strong> la jeunesse<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'éducation populaire, 32 no parus5 LEPAGE (F), Le travail <strong>de</strong> la culture dans la transformationsociale, rapport d'étape, Janvier 20016 LETERRIER (JM), Citoyens, Chiche ! Le livre blanc <strong>de</strong>l'éducation populaire, Paris, éditions <strong>de</strong> l'Atelier, 2001Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 81


Conclusionchangements. Ces résistances sont apparues encoreplus visibles dans les communications consacrées àl’Amérique latine <strong>et</strong> à l’Afrique. Elles prennent <strong>de</strong>sformes diverses selon la sensibilité accordée auxquatre variables suivantes : le rapport global-local, lerapport privé-public, le rapport gouvernementgouvernance<strong>et</strong> le rapport autonomie-hétéronomie.Face à ces enjeux, l’animation reste marginale tantque les défis concernant la société ne seront pastraités qu’il s’agisse d’une démocratie à redéfinir, <strong>de</strong>sinégalités à réduire, d’une économie à soustraire ducarcan d’un ultra-libéralisme économique <strong>et</strong> financier.L’animation participe cependant d’une dénonciation<strong>de</strong> la légitimité d’un mon<strong>de</strong> en construction <strong>et</strong> elle yoffre un espace d’imagination réaliste. Elle n’est pasun mouvement produit par <strong>de</strong>s marchands <strong>de</strong> rêve <strong>et</strong>reste, potentiellement, une médiation mobilisatriceentre une réalité environnante <strong>et</strong> une consciencecritique 1 . Tout n’est donc pas déjà écrit, <strong>et</strong> beaucoupreste à faire pour imaginer <strong>de</strong>s formes d’actionscollectives compatibles avec les aspirations <strong>de</strong>l’ensemble <strong>de</strong> la société <strong>et</strong> particulièrement avec celles<strong>de</strong>s plus défavorisés. Le vivre ensemble reste uneurgence politique, au sens fort du terme, avant d’êtreun obj<strong>et</strong> d’analyse si l’on adm<strong>et</strong> que la société n’estpas seulement une situation, une organisation, maisune action.Conclusions du colloque,par Jean-Clau<strong>de</strong> GILLETJe crois que nous n’avons pas évité nos différences,voire nos conflits à l’intérieur du colloque, <strong>de</strong> façonapaisée mais ferme, autour <strong>de</strong> la question <strong>de</strong> ladéfinition <strong>de</strong> « l’animation <strong>et</strong> (<strong>de</strong>) ses analogies àl’étranger » : <strong>et</strong> nous avons bien fait puisque « l’art <strong>de</strong>vivre ensemble ressemble plus à une lutte qu’à unedanse », même si par ailleurs l’hip-hop <strong>et</strong> la capoieranous montrent que les <strong>de</strong>ux sont intimement mêlés.Nous avons participé d’un mouvement social aucours <strong>de</strong> ces quelques jours à plusieurs titres,reprenant ainsi <strong>de</strong>s dérivés <strong>de</strong> mouvoir <strong>et</strong> se mouvoir,à partir du latin moveo• nous avons vécu <strong>de</strong>s émotions, <strong>de</strong>s rencontres quiremuent le cœur <strong>et</strong> nous ont touché affectivement• nous avons sondé nos mobiles, nos motifs <strong>et</strong> nosmotivations dans le déroulement <strong>de</strong> c<strong>et</strong>teinitiative <strong>et</strong> <strong>de</strong> la force qui nous y animait.Comme l’écrit Jean-Paul Sartre : « les mots nesont impuissants que lorsque d’abord les hommesadm<strong>et</strong>tent qu’ils le sont ». Ce colloque a été unlieu <strong>de</strong> paroles qui nous incitent à prolonger ladémarche.1 AUGUSTIN (JP) ET GILLET (JC), L'animation professionnelle: histoire, acteurs, enjeux, Paris, L'Harmattan,2000• Nous n’avons pas provoqué d’émeute, mais noussavons comme le chante Manu Chao que « larésignation est un suici<strong>de</strong> permanent ».Je veux rappeler ici que la fonction d’animation estune fonction collective ce qui la distingue <strong>de</strong> beaucoupd’autres approches plus classiques du travail social. Ac<strong>et</strong> égard le nombre <strong>de</strong> métiers qui coexistent dans cechamp (une quinzaine, sans compter les emploisjeunesaux intitulés plus bariolés les uns que lesautres, ni les tentatives <strong>de</strong> nouveaux métiers liés à lapolitique <strong>de</strong> la ville) a toujours surpris mesinterlocuteurs latino-américains. La division dutravail que révèle c<strong>et</strong>te diversité prend parfois <strong>de</strong>sdimensions étonnantes, mais nous avons à l’inversel’avantage <strong>de</strong> pouvoir affirmer que les seulsprofessionnels qui se revendiquent d’une démarche <strong>et</strong>d’une approche collective sont les animateurs. Il nefaut absolument pas qu’ils abandonnent c<strong>et</strong>tecaractéristique qui constitue leur culture <strong>et</strong> leuridéologie, les distinguant <strong>de</strong> façon originale <strong>de</strong>s autresmétiers du social <strong>et</strong> du culturel.Je vous propose aussi <strong>de</strong> revenir sur la question <strong>de</strong>la « nouveauté » : nouveaux contextes, nouveauxmétiers, nouvelles formations, <strong>et</strong>c. Certes lanouveauté fait souvent peur à l’image <strong>de</strong> c<strong>et</strong>teremarque aci<strong>de</strong> <strong>de</strong> Victor Hugo, à propos <strong>de</strong> la batailled’Hernani : « Les vielles noix n’aiment pas qu’onsecoue les arbres ». Partant à la r<strong>et</strong>raite dans quelquesjours, vous n’aurez pas à provoquer ma chute !Perm<strong>et</strong>tez-moi donc <strong>de</strong> vous dire que, comme lesuggèrent les sociologues Hess <strong>et</strong> Authier, le nouveaun’est jamais que <strong>de</strong> l’ancien recyclé. Ceci signifie quele champ <strong>de</strong> l’animation professionnelle d’hierperpétue l’héritage issu <strong>de</strong> l’Éducation populaire, fait<strong>de</strong> valeurs liées aux luttes contre les inégalités <strong>et</strong> lesinjustices. Mais en même temps, comme l’expliqueMichel Cornaton, chercheur en sciences <strong>de</strong>l’éducation, pour les enseignants que nous sommes, laformation n’est pas ni une conformation, ni unedéformation, mais une <strong>recherche</strong> <strong>de</strong> transformation(réciproque d’ailleurs entre le formateur <strong>et</strong>l’apprenant par les interactions produites). Toutproj<strong>et</strong> pédagogique est révélateur d’un proj<strong>et</strong> <strong>de</strong>société <strong>et</strong> l’approfondissement <strong>de</strong> la démocratie est unproj<strong>et</strong> bien actuel au sens où Albert Camus lepropose : « L’avenir n’est pas une amélioration, c’estautre chose ». Le marché étouffe la démocratie : il fautchanger <strong>de</strong> cap. Plusieurs parmi vous ont souhaité àjuste titre que le caractère scientifique <strong>de</strong> ce type <strong>de</strong>manifestation reste fortement présent : ils ont raison<strong>et</strong> en même temps je ne peux m’empêcher <strong>de</strong> mesouvenir <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te phrase du sociologue Ehrenberg : «Le XIX e siècle avait les curés. On a maintenant lessociologues <strong>et</strong> les économistes. A chaque époque sesmarchands <strong>de</strong> somnifères ». Ceci signifie qu’il faut quenous associions aux chercheurs patentés encore pluslargement ces producteurs <strong>de</strong> savoirs théoriquesd’action que sont les responsables d’associations, lesvolontaires <strong>et</strong> les militants, les bénévoles <strong>et</strong> lesprofessionnels. À propos <strong>de</strong>s contradictions qui nous82 Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1


traversent, il me semble essentiel aussi <strong>de</strong> rappeler àvous tous que ce qui peut différencier nos points <strong>de</strong>vue, ce ne sont pas les valeurs <strong>de</strong> référence, maisplutôt les stratégies que nous élaborons pouratteindre <strong>de</strong>s objectifs communs. L’histoire générale<strong>de</strong>s groupes, <strong>de</strong>s institutions, du mouvement ouvrier<strong>et</strong> populaire montre, me semble-t-il, que ce sont lesmoyens <strong>et</strong> les métho<strong>de</strong>s qui ont divisé les acteurs <strong>et</strong>non pas la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> la société idéale qu’ilscherchaient à construire. Et c’est vrai que la questiondu pouvoir (qu’il soit associatif ou d’État, <strong>de</strong> parole ou<strong>de</strong> lobby) est en enjeu complexe, car, comme le dit unproverbe brésilien (dont j’espère qu’il n’a pas été créépour les circonstances particulières <strong>de</strong> l’exercice dupouvoir par Lula, au nom du P.T. au Brésil) « Quandon est dans l’opposition, on est aussi soli<strong>de</strong> que lapierre ; quand on est au gouvernement, on <strong>de</strong>vientfragile comme du verre ». C<strong>et</strong>te façon <strong>de</strong> penser peutmodérer la différence <strong>de</strong> nos visions, tout en restantfidèles à l’utopie réaliste que représente l’animation enFrance <strong>et</strong> ses analogies à l’étranger. Monapparentement personnel à une perspectivepraxéologique m’incite à accepter notreenrichissement mutuel entre ceux « qui voient leschoses comme elles sont <strong>et</strong> qui se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ntpourquoi » <strong>et</strong> ceux « qui rêvent les choses commeelles n’ont jamais été <strong>et</strong> qui se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt pourquoipas » (Bernard Shaw).De toute façon, <strong>de</strong>vant l’ampleur <strong>de</strong> la crisemondiale, l’heure nous encourage au débat dans lafraternité, car « il ne sert à rien <strong>de</strong> discourir sur lafaçon dont va couler le bateau, seuls importent lapassion <strong>et</strong> même l’enthousiasme avec lesquelsécoperont <strong>et</strong> répareront les brèches, même en granddébor<strong>de</strong>ment, ceux qui n’ont ni peur <strong>de</strong> vivre, ni <strong>de</strong>mourir » (Pierre Rhabi).Ce débat nous le poursuivrons à Sao Paulo en 2005.Cahiers <strong>de</strong> l’action <strong>culturelle</strong>, Vol. 3, no 1 83

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