Vie pédagogique 132, septembre-octobre2004LES FUTURS ENSEIGNANTS DU QUÉBECSONT-ILS BIEN PRÉPARÉS À INTÉGRER LES TIC?par Thierry KarsentiUn jour, les gens apprendront à travers <strong>de</strong>s circuits électroniques.Marshall McLuhan, 1965Pour plusieurs, MarshallMcLuhan a été un précurseur,en annonçant dès lesannées soixante que les technologiesjoueraient un rôle central ené<strong>du</strong>cation. Mais plus <strong>de</strong> 50 ansavant McLuhan, un autre visionnaire,Thomas Edison, prédisaitdéjà un grand avenir aux technologiesdans les écoles. En eff<strong>et</strong>, en1911, peu <strong>de</strong> temps après avoirréalisé un film <strong>de</strong>stiné à l’é<strong>du</strong>cation,Edison déclarait : « Les livresseront incessamment désu<strong>et</strong>s.[…] Il est possible d’enseignertoutes les fac<strong>et</strong>tes <strong>du</strong> savoirhumain par le film. Notre systèmed’é<strong>du</strong>cation sera complètementtransformé d’ici dix ans ». Celafait donc près d’un siècle que l’onprom<strong>et</strong> aux technologies un rôlemajeur dans l’é<strong>du</strong>cation.Au Québec, c’est dès la fin <strong>de</strong>s annéessoixante-dix que les enseignantsinitient les élèves à l’ordinateurainsi qu’à l’utilisation <strong>de</strong> certainslogiciels. Le Québec semble doncpromis à un bel avenir en décidant,<strong>de</strong>ux ans avant la France, d’investir<strong>de</strong> façon massive dans l’achat <strong>de</strong>70 000 ordinateurs pour les écoles 1 .Malheureusement, l’aventure <strong>de</strong>sordinateurs <strong>de</strong> Comterm-Matra(voir Lemieux, 1992) fait reculer leQuébec, qui se r<strong>et</strong>rouve, au début<strong>de</strong>s années 90, au <strong>de</strong>rnier rang <strong>de</strong>sprovinces canadiennes pour lenombre d’élèves par ordinateur.Après c<strong>et</strong> échec, il faut attendre lemilieu <strong>de</strong>s années 90 pour que laquestion <strong>de</strong> la pénurie d’ordinateursdans les écoles refasse lesmanch<strong>et</strong>tes. Les écoles <strong>du</strong> Québecont <strong>de</strong>ux fois moins d’ordinateursqu’elles ne le <strong>de</strong>vraient, selon unrapport <strong>de</strong> l’Organisation <strong>de</strong> coopération<strong>et</strong> <strong>de</strong> développement économiques(OCDE) <strong>de</strong> 1996. Il fautattendre la fin <strong>de</strong>s années 90 pourvoir le Québec réellement émergersur la scène canadienne. En eff<strong>et</strong>, le14 juin 1999, le ministre <strong>de</strong> l’É<strong>du</strong>cationFrançois Legault annonceque toutes les écoles <strong>du</strong> Québecsont branchées 2 , qualifiant <strong>de</strong> grandsuccès le plan d’action ministérielrelatif aux technologies <strong>de</strong> l’information<strong>et</strong> <strong>de</strong> la communication. LeQuébec <strong>de</strong>vient ainsi la premièreprovince <strong>du</strong> Canada où toutes lesécoles ont un accès à Intern<strong>et</strong>.Parallèlement à c<strong>et</strong>te annonce,L’élève rapaillé, <strong>de</strong> Robert Bibeau,est publié sur Intern<strong>et</strong> 3 . Ce texte,que plusieurs n’hésitent pas à qualifier<strong>de</strong> pamphl<strong>et</strong>, fait couler beaucoupd’encre <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés <strong>de</strong>l’Atlantique. Bibeau (1999) prétendcarrément – <strong>et</strong> avec raison – queles TIC sont présentes partout dansla société sauf dans les classes <strong>de</strong>sécoles <strong>du</strong> Québec. Écoles branchées<strong>et</strong> pédagogie débranchée, voilà quipourrait résumer les conclusions<strong>de</strong> son manuscrit. Il reprend ainsicertains <strong>de</strong>s propos <strong>de</strong> chercheursbelges qui affirmaient quelquesannées plus tôt que « les établissementsoù l’on peut réellementconsidérer que les NTI sont utiliséessur une base régulière pourtransm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong>s connaissances <strong>et</strong>faire acquérir <strong>de</strong>s compétencespar les élèves restent très peunombreux » (Depover <strong>et</strong> Strebelle,1996, p. 76).Finalement, au tournant <strong>du</strong> XXI e siècle,l’intégration <strong>de</strong>s TIC en é<strong>du</strong>cationest également marquée par uneforte volonté <strong>du</strong> gouvernement <strong>du</strong>Québec <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre à tous lesélèves d’être outillés <strong>et</strong> d’être formésaux défis technologiques <strong>de</strong> lasociété <strong>du</strong> savoir. Le ministère <strong>de</strong>l’É<strong>du</strong>cation croit que l’école, enplus <strong>de</strong> veiller à développer <strong>de</strong>scompétences technologiques chezles élèves <strong>et</strong> <strong>de</strong> favoriser l’intégration<strong>de</strong>s TIC dans l’ensemble <strong>de</strong>sdisciplines scolaires, doit aussi« amener tous les élèves à diversifierl’usage qu’ils en font [<strong>de</strong>stechnologies] <strong>et</strong> à développer unsens critique à leur endroit »(MEQ, 2001, p. 28). C<strong>et</strong>te volontés’est tra<strong>du</strong>ite par <strong>de</strong> nombreuxinvestissements dans les écoles,notamment pour l’achat d’équipements,le soutien technique <strong>et</strong> l’ai<strong>de</strong>pédagogique. Une <strong>de</strong>s actions concrètes<strong>du</strong> gouvernement <strong>du</strong> Québecpour ai<strong>de</strong>r les enseignants à intégrerles TIC <strong>de</strong> façon pédagogique apermis la création <strong>du</strong> Réseau pourle développement <strong>de</strong>s compétencespar l’intégration <strong>de</strong>s technologies 4(RÉCIT), qui a remplacé les Centresd’enrichissement en micro-informatiquescolaire (CEMIS).Bien que les prédictions d’Edisonaient tardé à se concrétiser, nousserions tentés <strong>de</strong> croire, en 2004,que nous n’en sommes pas trèsloin. Nous sommes aussi à mêmed’espérer que les enseignants nouvellementformés disposent <strong>de</strong>scompétences nécessaires pour faireun usage régulier <strong>et</strong> pédagogique<strong>de</strong>s technologies. Est-ce vraimentle cas?LES TIC ET LA FORMATIONDES MAÎTRES AU QUÉBECDepuis 1990, le ministère <strong>de</strong> l’É<strong>du</strong>cation<strong>du</strong> Québec invite les universitésquébécoises à repenser laformation <strong>de</strong>s maîtres, <strong>et</strong> ce, enrecourant à divers savoirs ancrésdans <strong>de</strong>s pratiques exercées enmilieu scolaire telles que les stages(MEQ, 1997). Par ailleurs, l’Étatconvie <strong>de</strong>puis longtemps les facultésd’é<strong>du</strong>cation à favoriser l’intégration<strong>de</strong>s TIC en formation à laprofession enseignante, dans uneperspective <strong>de</strong> cohérence <strong>de</strong> laformation initiale <strong>de</strong>s enseignantsavec les nouvelles réalités scolaires(MEQ, 1997). C’est le 29 janvier1997 que le ministère <strong>de</strong> l’É<strong>du</strong>cation<strong>du</strong> Québec lance son plan d’interventionintitulé Les technologies<strong>de</strong> l’information <strong>et</strong> <strong>de</strong> la communicationen é<strong>du</strong>cation. Pour leMEQ, l’objectif « […] est <strong>de</strong> contribuerà une meilleure préparationPÉDAGOGIQUE 45Photo : Denis Garon<strong>DOSSIER</strong>
<strong>DOSSIER</strong><strong>de</strong>s futurs enseignants <strong>et</strong> enseignantes[…] au regard <strong>de</strong> l’intégration<strong>de</strong>s TIC dans leurenseignement. » <strong>Dans</strong> ce pland’action, on déplore le manque <strong>de</strong>préparation <strong>de</strong>s futurs enseignantsconcernant l’utilisation <strong>de</strong>s TIC :« […] Le nombre <strong>de</strong> cours offertsest faible […] ». On reprocheégalement aux universités <strong>de</strong> considérerla formation technologiquecomme « une spécialité <strong>et</strong> noncomme un instrument d’applicationgénérale en didactique <strong>et</strong> enpédagogie. » (MEQ, 1997).D’une formation centrée exclusivementsur les TIC, nous sommespassés, dans plusieurs facultésd’é<strong>du</strong>cation <strong>de</strong>s universités <strong>du</strong>Québec, à une « intégration transversale» <strong>de</strong>s TIC, c’est-à-dire quel’on souhaite r<strong>et</strong>rouver les TIC nonpas dans un seul cours <strong>de</strong> la formation<strong>de</strong>s maîtres, mais plutôt dansl’ensemble <strong>de</strong>s activités <strong>du</strong> programme<strong>de</strong> formation. Ce viragefait notamment suite au documentministériel La formation à l’enseignement: les orientations, les compétencesprofessionnelles (MEQ,DIRECTION DE LA FORMATION INI-TIALE DU PERSONNEL ENSEIGNANT,2001). Ce document regroupe douzecompétences que <strong>de</strong>vraient maîtriserles futurs enseignants à l’issue <strong>de</strong>leur formation. La Compétence 8,qui traite particulièrement <strong>de</strong>s technologies<strong>de</strong> l’information <strong>et</strong> <strong>de</strong> lacommunication, est ainsi formulée :« Intégrer les technologies <strong>de</strong> l’information<strong>et</strong> <strong>de</strong>s communicationsaux fins <strong>de</strong> préparation <strong>et</strong> <strong>de</strong>pilotage d’activités d’enseignement-apprentissage,<strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>l’enseignement <strong>et</strong> <strong>de</strong> développementprofessionnel ».Quoique ce virage d’orientation <strong>de</strong>la formation initiale <strong>de</strong>s maîtres –d’une formation technologique àune formation axée surtout sur l’intégrationpédagogique <strong>de</strong>s technologies– constitue un juste r<strong>et</strong>our <strong>du</strong>balancier, il y a dans c<strong>et</strong>te façon<strong>de</strong> faire un certain danger. Si onsouhaite r<strong>et</strong>rouver les technologiesdans l’ensemble <strong>de</strong> la formation,ne risquent-elles pas aussi <strong>de</strong> ser<strong>et</strong>rouver nulle part? N’aurait-il pasété plus sage d’ajouter un nouveaucours au programme? Est-ce que lefait <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>s professeurs <strong>et</strong> <strong>de</strong>schargés <strong>de</strong> cours utiliser le logicielPowerPoint <strong>de</strong> Microsoft pourenseigner <strong>de</strong> façon magistrale est legage d’une formation qui vise àdévelopper <strong>de</strong>s compétences enmatière <strong>de</strong> TIC 5 ? Il est facile d’endouter. C<strong>et</strong>te incertitu<strong>de</strong> relativementaux nouveaux aménagements<strong>de</strong> la formation <strong>de</strong>s maîtres nous aamenés à nous questionner sur lacompétence <strong>de</strong>s futurs enseignantsà intégrer les TIC. C’est ainsi quenous avons décidé d’entreprendrel’une <strong>de</strong>s plus importantes enquêtessur les TIC <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong>smaîtres jamais réalisées en Amérique<strong>du</strong> Nord ou en Europe 6 .LES RÉSULTATS D’UNEENQUÊTE MENÉE AUPRÈS DE6 998 FUTURS ENSEIGNANTSET ENSEIGNANTES DU QUÉBECNous présentons ci-après les principauxrésultats <strong>de</strong> notre recherche :une enquête menée auprès <strong>de</strong>quelque 6 998 futurs enseignants <strong>et</strong>enseignantes qui étudient dans lesneuf universités francophones <strong>du</strong>Québec offrant un programme <strong>de</strong>formation initiale à l’enseignement.Les résultats <strong>de</strong>s analyses statistiquesnous renseignent d’abord surles personnes qui ont répon<strong>du</strong> auquestionnaire : 84 % <strong>de</strong> femmes <strong>et</strong>16 % d’hommes, ce qui est la répartitionque l’on r<strong>et</strong>rouve en généralen formation <strong>de</strong>s maîtres au Québec.La proportion <strong>de</strong> femmes est toutefoisbeaucoup plus forte dans leprogramme <strong>de</strong> formation initiale<strong>de</strong>s maîtres au préscolaire <strong>et</strong> au primaire(94 %). Les données recueilliesfournissent aussi un éclairagefort intéressant sur les attitu<strong>de</strong>s <strong>et</strong>les compétences relatives aux TICpour les enseignants nouvellementformés. Mais comme nous avonsinterrogé <strong>de</strong>s personnes qui effectuaientun stage, les résultats <strong>de</strong>c<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tent égalementun coup d’œil privilégié sur l’utilisation<strong>de</strong>s technologies dans près<strong>de</strong> 7 000 classes <strong>du</strong> Québec.LES FUTURS ENSEIGNANTSET ENSEIGNANTES ETLA MAÎTRISE DES TICNous avons posé diverses questionssur les technologies afin <strong>de</strong> mieuxcomprendre l’accès que les futursenseignants ont à ces outils, maisaussi leur <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> maîtrise <strong>de</strong>sTIC. Les résultats <strong>de</strong> notre enquêtemontrent que 95 % <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniersont accès à un ordinateur à leurdomicile, <strong>et</strong> que 85 % ont aussi uneconnexion Intern<strong>et</strong>. Quelque 91 %se considèrent « bons » à « experts »en ce qui a trait à l’utilisation <strong>du</strong>traitement <strong>de</strong> texte, outil dont ilsfont surtout usage pour la planification<strong>et</strong> la gestion <strong>de</strong> l’enseignement.Toutefois, lorsqu’il est question <strong>de</strong>l’utilisation d’un logiciel <strong>de</strong> présentation(PowerPoint), plus <strong>de</strong> 55 %indiquent se sentir « novices », <strong>et</strong>moins <strong>de</strong> 1 % se considèrent comme<strong>de</strong>s experts. En ce qui a trait à lacréation <strong>de</strong> pages Web, c’est près<strong>de</strong> 86 % <strong>de</strong>s répondants qui se considèrentnovices, <strong>et</strong> moins d’unrépondant sur 700 se considère« expert ». En résumé, on observeque les futurs enseignants ont engran<strong>de</strong> majorité un accès aux TIC.Néanmoins, en ce qui a trait à lamaîtrise d’outils (logiciels) pouvantêtre utilisés en salle <strong>de</strong> classe (logiciels<strong>de</strong> présentation ou <strong>de</strong> création<strong>de</strong> page Web), ils ne se disent pas<strong>de</strong>s utilisateurs chevronnés. Ce résultatpeut paraître surprenant, surtoutlorsque l’on sait qu’un logiciel <strong>de</strong>présentation comme PowerPointexiste <strong>de</strong>puis bientôt vingt ans. Ence qui a trait à la création <strong>de</strong> pagesWeb, une habil<strong>et</strong>é qui, pour plusieurs,est au cœur <strong>de</strong>s innovationspédagogiques en classe, il estsurprenant <strong>de</strong> constater que tantd’enseignants se sentent toujoursnovices.ATTITUDE DES FUTURSENSEIGNANTS ETENSEIGNANTES ENVERSLES TICDe nombreuses étu<strong>de</strong>s ont montréque <strong>de</strong>s facteurs humains tels que lamotivation <strong>et</strong> le sentiment <strong>de</strong> compétencesont susceptibles d’appuyerVIE 46 Vie pédagogique 132, septembre-octobre2004Photo : Denis Garon
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