la cour et la maison de l'ogre - Chroniques italiennes - Université ...

9Modes de l’oralité dans le Cunto de li CuntiEn renonçant à la satisfaction immédiate de ses instincts de prédation, parune habile opération de camouflage des signes, la chatte transforme lanourriture en moyen d’obliger le roi, ainsi qu’en signe trompeur et illusoirede la puissance et de la richesse du donateur, Cagliuso. Comme ce sera lecas chez Perrault (où les offrandes sont le fruit direct de la chasse du chat, etnon d’une activité humaine que l’animal s’approprie comme c’est le caschez Basile), le gibier est détourné de sa fonction première, transformé envaleur-signe par l’adjuvant magique, habile et rusé. Le contre-don du roisera l’invitation de Cagliuso à la Cour, la main de sa fille assortie d’uneriche dot.Que peut bien nous révéler le fonctionnement du don alimentaire desenjeux éthiques qui travaillent souterrainement l’œuvre de Basile, au-delàde motifs attachés à son origine archaïque et populaire ? Les rubriquesinitiales et le proverbe final de Le doie pizzelle et de beaucoup d’autresexaltent la libéralité et la courtoisie – des vertus conformes à l’éthosaristocratique, comme en témoigne l’expression figurée « che faceva odoredi regina » attribuée à un personnage populaire. Des vertus renvoyant à unetradition bien constituée, notamment pour ce qui est l’apanage du féminin,avec tout un éventail allant de l’humilité à la gentillesse, y côtoientnéanmoins un certain nombre de qualités dont l’étiquetage est plusproblématique. Les considérations d’Anne Defrance 11 sur l’oscillation devaleurs que révèlerait le fonctionnement des échanges d’aliments chezPerrault sont très stimulantes pour le contexte napolitain du premier quartdu Seicento, même s’il n’y a évidemment pas de phénomène comparable àla montée de la classe bourgeoise ayant accès à des biens, titres et chargesen France à la fin du règne de Louis XIV. Selon cette lecture, le modèleéconomique mis en place par le chat chez Perrault serait de l’ordre duplacement monétaire, et donc, de l’ordre bourgeois. L’aliment offert au roiconstitue une forme d’investissement à long terme, ce système entrant encompétition avec l’ordre aristocratique de la transmission par héritage. Ceconte célèbre aussi bien chez Basile que chez Perrault les mérites de lacompliment], Trad. F.D., p. 164.11A. Defrance, « Matières, manières de dons alimentaires dans quelques contes deCharles Perrault », in P. Kœppel & T. Van Ton That (dir.), Colloque Nourriture etlittérature (Université d’Orléans, 24-26 avril 2002), Editions des Trois Plumes, 2003, pp.7-10.