la cour et la maison de l'ogre - Chroniques italiennes - Université ...

C. JORI20savoir-vivre, destinés aux élites et à l’éducation de leurs enfants, quifleurissent à la Renaissance. Les opérations considérées désormais commerépugnantes parce que rappelant le lien entre la consommation de viande etl’abattage de l’animal tendent à être refoulées, reléguées dans le hors-scène,dans les coulisses des cuisines. Séparées du moment et du lieu de ladégustation, elles sont confiées à un ensemble de spécialistes maîtrisant lestechniques de la cuisson, de l’assaisonnement et du découpage tels lecuisinier spécialiste des sauces et l’écuyer tranchant, le scalco ou letrinciante, dont l’art très normé et ritualisé fait l’objet d’un traité, Iltrinciante, assorti de plaques anatomiques, publié à Venise en 1582. Il estcurieux que dans Ninnillo e Nennella (V,7), le jeune héros, abandonné dansla forêt par ses parents et séparé de sa sœur, soit recueilli par un princebienveillant qui, pour parfaire son éducation, lui fait apprendre justement lemétier de l’écuyer de table, art honorable et vertueux ; sa sœur, sortie d’unebaleine, l’aperçoit en train d’aiguiser des couteaux sur la terrasse du palais 31 .Les gestes à adopter face à la viande, aux sauces, strictement réglementés,visent à renforcer le sentiment de distinction sociale de ceux qui en ont lamaîtrise, eu égard aux manières barbares ou rustiques des ces figuresfantasmatiques de l’altérité que sont le vilain ou l’homme sauvage.Signalons, parmi de nombreux ouvrages ayant trait aux usages de table, lecélèbre manuel de recettes de A. Latini publié justement à Naples en 1692.L’art de trinciare la viande y est étroitement associé aux idées de noblesseet de modernité :Lo scalco alla moderna : overo l’arte di ben disporre li conviti con le regole piùscelte di scalcheria insegnate, e poste in pratica, a beneficio de’ professori, ed altristudiosi, da Antonio Latini da Colle Amato, Essercitato nel servizio di variPorporati, e’ Principi grandi. Dove s’insegna il modo facile, e nobile di Trinciare,fare Arrosti, Bolliti, Stufati, varie Minestre Signorili…31Un métier, un art d’élite donc dont Ninnillo est fier, associé à l’honneur et à lavertu, à une sorte de "promotion sociale" au sein du monde courtisan. Un scarco est évoquélors d’un autre festin nuptial : il coupe la tourte d’où sort une colombe parlante qui rappelleau prince son amnésie amoureuse, et il est donc associé au rétablissement de la vérité et dela justice, dans La Palomma (II,7).