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98. La sociolinguistique

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DEUXIÈME ASSISE THÉORIQUELA SOCIOLINGUISTIQUEMarina CIOLACDéfinition, sources, histoireConstituée comme discipline à part entière audébut de la deuxième moitié du XX e , la<strong>sociolinguistique</strong> (= SL) est un desdomaines de recherche modernes de la linguistiqueactuelle auxquels la perspective communicative estconstamment sous-jacente. Située en principal dansune zone de contact entre la linguistique et lasociologie, mais bénéficiant aussi des suggestionsde plusieurs autres disciplines, branchesscientifiques ou directions de recherche, la SL sepropose d’étudier le fonctionnement de la langue(envisagée dans son ensemble et/ou sous sesdiverses parties composantes) dans son milieusocioculturel et situationnel naturel, autrement ditdans son contexte micro- et macrosocial réel.L’apparition de cette discipline de frontièreest attribuée, d’une part, à des raisons de natureépistémologique (telle, par exemple, la nécessité dedépasser certaines limites imposées par unelinguistique strictement « décontextualisée ») et,d’autre part, à des raisons pratiques de nature socialeet politique (visant, par exemple, à résoudrecorrectement des problèmes concernant l’éducationlinguistique (et communicative) essentielle dans lasocialisation des jeunes, l’intégration linguistique etsociale des immigrants, le choix d’une langueofficielle locale dans les pays qui n’en ont pas une,le statut et le fonctionnement des langues et desvariétés linguistiques dans les sociétés plurilingues,etc.).Il est reconnu aujourd’hui que les racines dela SL sont profondément européennes et qu’ellesdoivent être cherchées dans quelques disciplines dela linguistique et de la sociologie qui, prenant enconsidération la relation entre les donnéeslinguistiques et les facteurs extralinguistiques,appartiendraient, par leurs contributions, à une soidisant« préhistoire » de la SL. Il s’agit notammentde recherches du domaine de la dialectologie et de lagéographie linguistique, de l’histoire de la langue,de l’étude du bi- et plurilinguisme, de la sociologiedu langage [1']. À ces sources de la SL s’ajoutel’influence des études d’anthropologie culturelle etd’ethnologie entreprises aux USA dans lescommunautés indigènes, et ultérieurement lessuggestions de la psychologie et de lapsycholinguistique, de l’ethnographie et del’ethnographie de la communication, etc.L’acte de naissance de la SL proprement ditea été signé aux États Unis. Le chercheur H. C.Currie [10] y emploie pour la première fois le termesocio-linguistics (angl.). Même si ultérieurement il yaura bien des hésitations et des tâtonnements quantau choix du nom de la discipline nouvellementconstituée, le terme <strong>sociolinguistique</strong> finira parl’emporter sur celui de sociologie de la langue ainsique sur d’autres noms comme dialectologie sociale,dialinguistique, écologie de la langue, etc. [2'] En1963, toujours aux USA, a été fondée laCommission de <strong>sociolinguistique</strong>, et une année plustard, à Bloomington aura lieu le premier colloqued’ethno- et <strong>sociolinguistique</strong>. [3'] À partir de cettedate, la SL connaîtra une évolution ascendante aussibien sur les continents américains qu’en Europe, etbien qu’elle s’y soit développée d’une façon nonunitaire, voire éclatée, l’abondance des ouvrages quis’en réclament et dont la publication est loin defaiblir, les symposiums et les tables rondesorganisés en différents pays, ainsi que les chaires deSL créées dans bien des universités témoignent del’essor de cette nouvelle discipline. Voici cequ’affirme H. Boyer [3, p. 7] à propos de l’évolutionde la SL: « Elle va conquérir ses lettres de noblessed’abord outre-Atlantique pour ensuite prospérer enEurope et singulièrement en France, où elleconstitue aujourd’hui un vaste territoire scientifiqueparticulièrement prolifique. »Au début de son existence, la nouvellediscipline a été représentée en premier lieu par desétudes de type covariationnel (v. par exemple [4]),qui étaient censées mettre en évidence la covariancesystématique des structures linguistique et socialeou, en d’autres termes, relever l’influence exercéepar la variation des faits sociaux sur la variationlinguistique à l’intérieur d’une communautésocioculturelle donnée (v., à ce titre, les travaux de98Dialogos 8/2003


DEUXIÈME ASSISE THÉORIQUEW. <strong>La</strong>bov [31], [32]). Les recherches ultérieures,accueillant des propositions issues de lapragmatique, de la microsociologie américaine de E.Goffman [19], [20] et des autres approches centréessur l’interaction, deviendront plus nuancées et, biensouvent, plus complexes, sans rien perdre de leurrigueur, ni de l’ampleur de leur démarche.L’objet de la SLSe proposant de cerner le champ de leurspréoccupations spécifiques sur le vaste terrain desrelations qui existent entre la langue et la société, lessociolinguistes, après quelques essais initiauxpartiellement voués à l’échec [37, [35], ont fini parrecourir à deux types de démarches : l’une quiprocède à une addition synthétique (plus ou moinsdétaillée) des problèmes essentiels qui intéressent laSL, et l’autre qui tâche de circonscrire le domainede façon théorique analytique. Néanmoins, quelleque soit la nature de la tentative visant àappréhender l’objet de la SL, chacune des positionsadoptées place au centre des préoccupations de cettediscipline la détermination sociale de la langue dansle processus de communication.<strong>La</strong> première de ces démarches réunit dans uneliste les principales questions qui intéressent la SL.Le nombre des noyaux problématiques variesouvent en fonction du degré de généralisationauquel recourt l’auteur de l’énumération, ainsi qu’enfonction du regard qu’il porte sur les phénomènessocio-langagiers. Bien souvent il a été considéré quel’objet de la SL se compose à peu près des parcellesd’étude suivantes: la communication verbale (voire l’interaction) endifférents contextes situationnels et sociauxrapportée à la norme <strong>sociolinguistique</strong> de lacommunauté étudiée; la situation linguistique et sa typologie dans lacommunauté socioculturelle envisagée; le fonctionnement des langues et des variétéslinguistiques dans une communauté linguistiquenationale; le rapport entre les variétés standard/non standards, leurs influences linguistiquesréciproques (dues à des facteursextralinguistiques); la constitution, la propagation et lefonctionnement d’une norme littéraire(prescriptive) dans la communauté linguistiquenationale; langues et variétés linguistiques en contact;modification des fonctions sociocommunicativesde celles-ci; bi- et plurilinguisme; diglossie;langues créoles, sabirs, pidgins, etc. le changement linguistique en cours dedéroulement; attitudes et « croyances » ethnoculturelles,représentations et réactions métalinguistiques deslocuteurs; la politique linguistique et la planificationlinguistique; l’éducation linguistique et la socialisation desenfants issus de milieux socioculturelsdéfavorisés.(À cela on devrait ajouter les préoccupationsde la SL qui se situent au point de contact avec lastylistique du texte littéraire et celles qui visent latechnique de la traduction.)En se rapportant strictement à la SL françaisedes années 1968-1983, B. <strong>La</strong>cks [33] arrive, affirmeH. Boyer [3, p. 15] à «inventorier treize pôlesconstitutifs de la <strong>sociolinguistique</strong>, depuis le pôle’linguistique sociale’ de l’école de Rouen jusqu’aupôle ’dialectologie’ ou même au ’pôle desréférences’ (il s’agit des travaux faisant référence àdes auteurs comme Foucault ou Bourdieu), enpassant par le ’pôle „<strong>sociolinguistique</strong> occitane” ’dugroupe de Montpellier constitué autour de Robert<strong>La</strong>font au début des années soixante-dix ». À sontour, H. Boyer [3, p. 18-21], tout en tirant profit dequelques acquis de la démarche théorique (voirinfra), propose un inventaire de neuf directions danslesquelles «s’illustre la <strong>sociolinguistique</strong>contemporaine» [3, p. 18]. Cet inventaire n’a rien defigé, ni d’indiscutable, souligne l’auteur, et n’aaucunement la prétention de tenir lieu de panoramaexhaustif de la SL. Entre, à une extrémité, ladimension sociolangagière prioritaire au niveaucommunautaire et intercommunautaire, et, à l’autreextrémité la perspective sociolangagière sur lacommunication au niveau du groupe ou del’individu, l’auteur essaie « de mettre en évidenceles problématiques dominantes, en particulier parleur notoriété (et donc par la diffusion desrecherches qui leur sont consacrées) », [3, p. 21]. Onpourrait donc distinguer, précise H. Boyer, lespoints d’intérêt suivants de la SL : la gestion des langues, « autrement dit, lestraitements glottopolitiques des plurilinguismes »[3, p. 18]; l’analyse de la dynamique <strong>sociolinguistique</strong> desconflits diglossiques; l’analyse de la variation <strong>sociolinguistique</strong> au seind’un groupe ou d’une communauté linguistique; l’analyse des phénomènes de créolisation etétude des créoles; l’analyse des phénomènes liés aux contacts delangues dans les situations de migrations internesDialogos 8/2003 99


DEUXIÈME ASSISE THÉORIQUE(sur le même territoire national : par exemple soitlors d’un exode de zone rurale en zone urbaine,soit lors du déménagement dans une autre airedialectale du pays), ou dans les situations demigrations externes (dans un autre pays); « cesconditions spécifiques du contact des languesdans la migration suscitent en effet chez lesmigrants (enfants comme adultes) des usages<strong>sociolinguistique</strong>s à la mesure de la modificationde leur répertoire linguistique » [3, p. 19]; le traitement lexicologique/lexicométrique desdiscours sociaux (politiques, syndicaux,médiatiques, etc.); l’analyse <strong>sociolinguistique</strong> des interactionsverbales.En ce qui concerne la démarche de naturethéorique, nous nous limiterons ici à mentionnerdeux des tentatives destinées à cerner l’objet de laSL.<strong>La</strong> première appartient à J.A Fishman [14],[15] et prend en considération la communication encontexte social à deux niveaux différents degénéralisation : le niveau du comportement verbalindividuel – objet d’étude de lamicro<strong>sociolinguistique</strong> et, respectivement, lacommunication au niveau de la communautélinguistique (nationale) – objet d’étude de lamacro<strong>sociolinguistique</strong>. L’auteur propose une suitede questions qui sont censées circonscrire, par lesréponses qu’elles exigent, le champ d’investigationde la micro<strong>sociolinguistique</strong>. Les quatre questions(complétées par une cinquième dans la variantefrançaise de son ouvrage – v. Fishman [15]) sont :Who speaks what language to whom and when? et,respectivement : Qui parle, quelle langue, à proposde quoi, quand et avec quels interlocuteurs?Par extrapolation, ces questions peuvent êtreappliquées aussi à la communication au niveaumacrosocial, afin d’appréhender le fonctionnementdes langues et des variétés linguistiques dans lacommunauté linguistique nationale.Une autre position théorique que nous avonschoisi de mentionner est celle du linguiste EugenCoseriu [9], [4']). Considérant que l’activitécommunicative devrait être envisagée à troisniveaux - individuel/ historique (particulier)/universel -, l’auteur soutient qu’à ces niveaux-ci ilcorrespond, respectivement, une SL du discours /une SL des langues historiques / une SL du langage(ou de la communication) en général (Coseriu [9, p.8]). À chacun de ces niveaux, la SL a despréoccupations spécifiques. <strong>La</strong> tâche de la SL dudiscours serait d’étudier « les discours et les typesde discours traditionnels en tant qu’attributs de la100catégorie sociale » du locuteur [9, p. 26]. <strong>La</strong>préoccupation essentielle d’une SL des langueshistoriquement constituées serait l’étude de lavariation diastratique (sociale) et des variétéssynstratiques qui en résultent (notamment dessociolectes) ainsi que l’étude de leurs relationsréciproques dans une communauté linguistiquenationale. Enfin, la SL du langage en général a pourtâche, selon E. Coseriu, de déterminer le degré deconnaissance et d’emploi des normes générales(universelles) de la communication verbale(notamment le respect de quelques principes depensée et de connaissance du monde, tels lesprincipes de clarté, de cohérence, de noncontradiction,de non-tautologie, etc.), « en relationavec la structure sociale (ou socioculturelle) descommunautés linguistiques » [9, p. 17].Paradigmes de recherche, principesthéoriques et méthodologiquesAussi bien les paradigmes de recherche queles principes théoriques généraux adoptés par lessociolinguistes se soumettent à l’orientationépistémologique (plus ample) à laquelle leschercheurs ont décidé d’adhérer.On désigne en géneral par paradigme derecherche l’ensemble des problèmes à étudier et lestechniques appropriées à leur étude. H.Stammerjohann [39, p. 389] a décelé dans lesouvrages appartenant à une première étape dudéveloppement de la SL les trois paradigmessuivants: 1) l’hypothèse de la relativité linguistique;2) l’hypothèse du déficit; 3) la conception de ladifférence.1) L’hypothèse de la relativité linguistiqueremonte en Allemagne jusqu’à Wilhelm vonHumboldt (1767-1835) et aux États-Unis jusqu’auxrecherches d’anthropologie culturelle entreprises parWhorf et Sapir au cours de la première moitié duXX e siècle. Cette hypothèse considère que lesexpériences et les pratiques sociales d’une sociétémarquent leurs traces dans la structure linguistique,déterminant ensuite, par socialisation linguistique, lamanière de penser et les attitudes sociales deslocuteurs. À force de mettre en relation la diversitélinguistique et la diversité cognitive, précise H.Stammerjohann [39, p. 393], cette hypothèse aabouti souvent a bien des exagérations. Toutefois, lalégitimité d’une telle conception pourrait êtreprouvée par des travaux ultérieurs, souligne l’auteur,tout en citant, pour la période en question, lesouvrages de J. Gumperz et D. Hymes (v., parDialogos 8/2003


DEUXIÈME ASSISE THÉORIQUEexemple, Gumperz/ Hymes [23]).2) L’hypothèse du déficit a été formuléed’abord aux États-Unis par L. Schatzmann et A.Strauss (1955) étant reprise ensuite par lesociologue anglais B. Bernstein vers la fin de lasixième décennie : dans une société, la structuresociale détermine les „façons” de parler et celles-ci,par l’intermédiaire de la socialisation linguistique,reproduisent la structure sociale d’origine. Il enrésulte que le déficit social initial (notammentl’appartenance à une classe défavorisée) engendreun déficit linguistique chez les enfants issus descatégories sociales pauvres et que ce déficit est lacause de l’échec scolaire et, ultérieurement, de lanon-réussite sociale de ces locuteurs. Parconséquent, le cercle de la pauvreté se referme. B.Bernstein [1] considérait même que la classedéfavorisée utiliserait un code restreint (à savoir unefaçon de communiquer pauvre et facile à prédire),tandis que la classe moyenne disposerait d’un codeélaboré. Dénonçant les exagérations selon lesquellesle déficit linguistique des classes pauvresimpliquerait aussi un déficit logico-conceptuel, H.Stammerjohann précise cependant que les relationsentre la langue et la pensée, entre le comportementlangagier et le statut socio-économique étant encorepeu élucidées, la réponse à la question sil’hypothèse du déficit est valable ou non ne pourraêtre trouvée qu’en résolvant ces quelques problèmesde base.3) <strong>La</strong> conception de la différence est apparuesurtout comme une réaction aux exagérations del’hypothèse précédemment mentionnée. Lespartisans de cette hypothèse soutiennent la nécessitéd’une approche multilatérale et multidimensionnelledu rapport qui existe entre la structure linguistiqueet la structure sociale. Les variétés linguistiquesemployées par les différentes classes et catégoriessociales présentent évidemment des différences,précisent les tenants de cette théorie, néanmoins ilne s’agit aucunement de différences de naturelogico-cognitive. Toutes les variétés linguistiquessont également aptes à être employées dans lacommunication (étant donné qu’on peut parlerlogiquement dans chacune d’elles), mais elles sontdifféremment valorisées du point de vue social etpolitique dans la société en question. Cela revient àdire que le comportement linguistique et cognitifdes classes défavorisées « ne se trouve pas endéficit, mais en conflit socio-politique avec lesnormes de la classe moyenne » [39, p. 396]. Si lesenfants des catégories sociales basses échouent dansleur parcours scolaire et social c’est parce qu’ilsemploient en contextes de communication quisupposent un certain degré de formalité une variétélinguistique différente de celle qui est officiellementvalorisée et non pas parce que leur façon des’exprimer serait déficitaire. Suite à cetteconception, le comportement langagier et la variétélinguistique de chaque classe et catégorie socialesont considérés par les sociolinguistes des entitésayant leurs propres normes objectives (les normesde l’usage) et deviennent un objet d’étude en soi,cessant d’être traités comme des écarts par rapport àla norme (prescriptive) de la variété standardvalorisée.Les principes théoriques que lessociolinguistes ont adoptés et respectés se retrouventensemble ou séparément dans leurs ouvrages, biensouvent sans être énoncés de façon explicite. Lesprincipes théoriques ci-dessous sous-tendent lesrecherches <strong>sociolinguistique</strong>s.1) Le principe fondamental de la SL est sansaucun doute celui qui postule que la langue doit êtreétudiée en tant qu’activité, notamment dans sonfonctionnement effectif. Ainsi la déterminationsociale de la langue est-elle envisagée au cours duprocessus de la communication. À la base de cetteposition théorique se retrouve le schéma de lacommunication élaboré par le mathématicien C.E.Shannon, transposé en linguistique par R. Jakobson[28], et complété en <strong>sociolinguistique</strong> par D. Hymes[25, p. 115-124] [5'].2) <strong>La</strong> langue doit être étudiée dans descontextes naturels, réels, de communication (nonpas dans des situations virtuelles, imaginées). <strong>La</strong> SLs’avère donc en premier lieu une science qui recourtà l’enquête de terrain. Aux généralisationsthéoriques on n’arrive que plus tard, après ledépouillement d’un corpus suffisammentreprésentatif de données empiriques (appeléesvariables linguistiques) cueillies dans des situationsconcrètes et mises en relation avec des faitsextralinguistiques (appelés paramètresextralinguistiques). Bien souvent les conclusionsthéoriques finales sont précédées par (et s’appuientsur) des calculs statistiques.3) Le comportement verbal des individus, entant que représentants d’une classe, d’un groupesocial, socioprofessionnel ou sociopolitique, doitêtre considéré comme faisant partie de leurcomportement communicatif général. Lecomportement non verbal complète le messagelinguistique, et, par ailleurs, il transmet par luimêmedes informations socio- et ethnoculturelles,indispensables pour saisir le profil <strong>sociolinguistique</strong>des locuteurs, groupes, classes et catégoriesDialogos 8/2003 101


DEUXIÈME ASSISE THÉORIQUEsociales.4) Une place très importante doit être accordéeau côté subjectif du comportement langagier deslocuteurs: les attitudes, les réactions de ceux-ci visantleur propre activité communicative ou bien celle desautres, leur propre variété linguistique ou encorecelles des autres retiennent l’attention dessociolinguistes. Les commentaires métalinguistiqueset métacommunicatifs exprimant l’attachement à unevariété linguistique (désigné par le terme loyauté oufidélité linguistique) ou bien le désir – souventformulé explicitement – d’abandonner une languepour passer à une autre (angl. language shift) sontconfrontés avec les aspects objectifs ducomportement communicatif des sujets enquêtés.Selon W. <strong>La</strong>bov, par exemple, dans une mêmecommunauté linguistique «les attitudes socialesenvers la langue sont d’une extrême uniformité»[32, p 338]. Il est donc important pour lesociolinguiste, précise H. Boyer [3, p. 34] « de mettreen évidence ce que <strong>La</strong>bov appelle les réactionssubjectives régulières (et inconscientes le plussouvent) aux usages de la langue, c’est-à-dire [...] lesvaleurs attribuées à telle ou telle variation, les images(plus ou moins stéréotypées) qu’alimente tel ou telusage ». Il s’agit selon le même sociolinguistefrançais de «tout un imaginaire collectif qui investitl’activité linguistique, composé de représentationspartagées par l’ensemble des membres de lacommunauté ou par un (ou plusieurs) groupe(s)d’usagers» [3, p. 34]. D’autre part, l’attituded’insécurité linguistique dont témoignent bien deslocuteurs moins instruits, le recours àl’hypercorrection, l’emploi de formes qu’onpourrait appeler « semi-cultivées » trahissent laprise de conscience d’un handicap socioculturel.C’est pourquoi les pages consacrées à ces questionsoccupent une place importante dans les travaux dessociolinguistes qui tiennent à respecter ce principethéorique.5) En tant que discipline issue de bien desnécessités réelles, la SL doit dépasser sa dimensiondescriptive et explicative afin d’acquérir aussi uncôté prospectif et une large applicabilité pratique.Les principes méthodologiques de la SLdécoulent logiquement des principes théoriques déjàénoncés, et concernent les deux étapes de larecherche, à savoir la collection du matériel et,respectivement, l’interprétation des données.Pour ce qui est de la collection du matériel,les sociolinguistes respectent, en général plusieursprincipes dont voici quelques-uns:1) Les méthodes et les techniques employéesau cours de l’enquête doivent être choisies en102fonction de la réalité à étudier et de l’objectifpoursuivi. C’est l’observation directe qui est le plusrecommandée si l’on veut examiner lacommunication dans des situations naturelles. Àcelle-ci peut s’ajouter la conversation dirigéeenregistrée. Toutefois, si le but de l’enquête estd’appréhender le comportement communicatif dessujets en différents contextes situationnels (ycompris dans des situations très formelles),l’interview enregistrée, les questionnaires et les tests(oraux et/ou écrits) s’avèrent eux aussi très utiles.2) Normalement, toute enquête de terrain doitcomprendre deux étapes: a) l’enquête préliminaire(de prospection); b) l’enquête proprement dite.a) <strong>La</strong> phase préliminaire représente une prisede contact avec la réalité à étudier. Cette étape estcensée permettre d’observer les faits linguistiquesqui seront étudiés en tant que variables linguistiques,de choisir les facteurs extralinguistiques quireprésenteront les paramètres <strong>sociolinguistique</strong>s de larecherche, de fixer l’étendue de l’échantillon delocuteurs à enquêter (appelé échantillonreprésentatif).b) L’enquête proprement dite doit êtreminutieusement préparée et doit se dérouler d’aprèsun protocole approprié à la réalité à étudier,protocole identique pour tous les sujets del’échantillon représentatif. On récolte d’habitude uncorpus de base, qui sera analysé systématiquement,et un corpus de référence, moins complet, auquelseront rapportés certains éléments au cours de larecherche.3) Le type de l’enquête proprement dites’adapte lui aussi au but poursuivi: l’enquête peutêtre rapide et menée chez des informateursanonymes, ou bien de longue durée et entreprisechez des locuteurs à identité connue. Quelle que soitl’alternative choisie, le chercheur doit s’astreindre àcontourner ce que W. <strong>La</strong>bov [32] appelait lesparadoxes de l’enquêteur. Le plus important de cesparadoxes relève le fait que le sociolinguiste veutobtenir des données naturelles concernant lecomportement des locuteurs tout en déterminantceux-ci, par sa recherche, à ne plus avoir uncomportement naturel. Pour surmonter cettecontradiction, W. <strong>La</strong>bov suggère qu’on recoure àdes questions qui, grâce à une forte implicationaffective du sujet, puissent déterminer celui-ci àoublier les contraintes de la situation d’enquête.(<strong>La</strong>bov lui-même a recouru à la question: „ Avezvousjamais été en danger de mort?”)L’interprétation du corpus respecte elle aussiquelques principes importants:1) Elle doit en premier lieu tenir compteDialogos 8/2003


DEUXIÈME ASSISE THÉORIQUEeffectivement des paramètres extralinguistiques quiont été impliqués dans l’enquête de terrain.2) Toute interprétation du matériel cueillisuppose plusieurs étapes : a) la transcription dumatériau oral enregistré sur cassette, sur bandemagnétique, etc.; b) la classification, en fonction desparamètres extralinguistiques de la recherche, dumatériau oral transcrit, du matériau oral noté surplace et du corpus écrit ramassé; c) la sélection et ledépouillement des variables linguistiques; d) trèssouvent, le calcul statistique afin de mettre enévidence le sens de la variation et/ou une certainerégularité dans la diversité linguistique étudiée; e) lacomparaison des résultats et le dégagement desconclusions finales.3) Une grande prudence est nécessaire dansl’interprétation des données afin d’éviter toute idéepréconçue, toute exagération ainsi que lesconclusions fausses.Quelques concepts de la SL<strong>La</strong> SL dispose aussi bien de concepts propres,développés au sein de cette discipline de frontière,que de concepts empruntés à d’autres domaines derecherche, qu’elle a adaptés à ses besoinsspécifiques. Certains de ces concepts ont déjà étémentionnés au cours de la discussion ci-dessus.L’approche restreinte qui suit ne retiendra quequelques-uns des concepts qui au niveau micro- et,respectivement, macro-SL attestent que ladimension communicative sous-tend toute démarche<strong>sociolinguistique</strong>.Le concept-clé de communication est utiliséavec ses éléments composants (émetteur,destinataire, message, code, canal, contextesituationnel) surtout au niveau de la micro-SL,quoique certaines de ces notions aient ététransposées aussi dans la macro-SL.S’occupant de la communication au niveaudes individus et des petits groupes, la micro-SLprend en considération les paramètres liés auxcomposants de l’interaction verbale et premièrementceux qui caractérisent l’émetteur et le destinatairedu message, notamment: l’âge, le sexe, l’origineethnique, la zone géographique et administratived’origine et de résidence, le statut socioculturel etles rôles (institutionnalisés/ situationnels/psychologiques) assumés, le « jeu » des faces (cf.pour cette notion Goffman [19, p. 9], Kerbrat-Orecchioni [29, p. 231 et suiv.], v. aussi Ciolac [8,p. 102-111; 194-198]. Ces traits, qui sontspécifiques aux interlocuteurs, peuvent,évidemment, ne pas être pertinents tous à la foisdans une même recherche. C’est surtout la prise enconsidération du statut socioculturel (et del’ensemble des attributs de celui-ci - cf. Ciolac[8, p. 78-111]), de l’âge et éventuellement du sexedes communicateurs qui est primordiale pour la SL.D’autres éléments ayant trait à descomposants du processus de communication sontégalement essentiels en micro-SL. Il convient dementionner tout spécialement le type du contextesituationnel. En fonction du cadre spatial ettemporel et du rapport de places c’est-à-dire de laposition relative des interlocuteurs (cf. pour cettenotion, entre autres, [41, p. 80, suiv.]) la situation decommunication peut être très formelle / formelle/moins formelle/ informelle / très informelle,exigeant à chaque fois un comportementcommunicatif approprié. Par ailleurs, selon leurnature « normale » ou « anormale » les contextessituationnels ont été répartis en deux catégories:opportuns et, respectivement, inopportuns[15, p. 60]; à la différence des premiers, ces dernierssupposent une non-concordance entre la nature deleurs éléments constitutifs.Chaque locuteur dispose pour communiquerd’un ensemble d’éléments verbaux qu’il maîtrisesous une forme active (et partiellement uniquementsous forme passive) et qui constituent son répertoireverbal propre. Celui-ci est compartimenté et réunitdes sous-ensembles appelés registres verbaux, quisont censés correspondre, chacun, à un certain typede contexte situationnel. Dans les sociétés modernesactuelles, le répertoire verbal de tout locuteurcontient au moins deux registres verbaux: formel et,respectivement, informel. À son tour, le registreverbal peut être composé de sous-registresstylistiques; le registre formel, par exemple, pourraitréunir: le style du récit écrit, celui de la lecturemodèle, celui de l’exposé oral soigné, etc. L’emploialternatif et complémentaire des registres verbaux(et des sous-registres stylistiques) en fonction dutype du contexte situationnel représente uncomportement diglossique (cf. ci-dessous), étantgouverné par la norme sociolingusitique. Seloncelle-ci, dans une situation formelle decommunication l’émetteur doit mobiliser deséléments du registre formel de son répertoire verbal,alors que dans une situation informelle il est tenu derecourir à son registre informel. <strong>La</strong> connaissance etl’application juste de cette norme relèvent d’unebonne compétence de communication du sujetcommuniquant. Le passage d’un registre à l’autre,appelé en anglais code-swiching, est désignésouvent par le terme commutation.J.A. Fishman [15] a employé pour la premièreDialogos 8/2003 103


DEUXIÈME ASSISE THÉORIQUEfois (au niveau de la micro-SL) le terme idéolecte(ou idiolecte) qui s’applique au répertoire verbald’un individu à un moment donné de l’existence decelui-ci. L’idéolecte des communicateurs peut variersensiblement au cours de leur existence.<strong>La</strong> variation, l’étendue, la richesse et lacompartimentation du répertoire verbal d’unlocuteur, ainsi que le niveau de la compétence decommunication de celui-ci dépendent largement desparamètres extralinguistiques du communicateurdéjà mentionnés.En général, pour étudier le comportementcommunicatif des locuteurs on prend comme baseen micro-SL l’événement de communication. Celuicireprésente une suite d’échanges oraux liés par unecertaine « thématicité », comme le précise parexemple J. Gumperz [22, p. 68-69]. C’est toujoursle sociolinguiste américain qui, dans sonIntroduction à la <strong>sociolinguistique</strong> interactionnelle[22], relève la nécessité pour le chercheurd’observer la façon dont l’événement decommunication est interprété par les interactants, età l’aide de quels indices contextuels cetteinterprétation se réalise.En groupant les événements decommunication du même type, J. Fishman [14], [15,p. 65 et suiv.] introduit, à un niveau plus haut degénéralisation, la notion de domaine<strong>sociolinguistique</strong>. On a distingué ainsi le domainede la vie familiale, celui de l’instruction scolaire,celui de l’éducation religieuse, etc. Par ce concepton réalise le passage vers la macro-SL.Sur le plan de la macro-SL, l’étude de lacommunication s’effectue au niveau de lacommunauté linguistique. Il a été désigné parcommunauté linguistique [21], [15], un grouped’individus qui communiquent entre eux d’unemanière régulière, dans un cadre spatial et temporeldonné, ayant en commun au moins un ensemble designes verbaux ainsi que leurs règles d’emploi.Selon W. <strong>La</strong>bov [32, p. 187] « la communautélinguistique se définit moins par un accord explicitequant à l’emploi des éléments du langage, que parune participation conjointe à un ensemble denormes»; il s’agit donc aussi de ce que d’autreschercheurs appellent les représentations partagéespar l’ensemble des membres de la communauté[3, p.34]. Il est évident, d’après ces définitions, queles dimensions d’une communauté linguistique sontvariables.Toutefois, la description de la situationlinguistique – tâche importante et souvent difficile,voire délicate, pour la SL - prend d’habitude commebase la communauté linguistique nationale. C’est au104niveau de celle-ci que les chercheurs se proposentde cerner la configuration de l’emploi des systèmessociocommunicatifs afin d’offrir des informationsconcernant: a) les langues et les variétéslinguistiques utilisées; b) le nombre des locuteurs etles circonstances exactes dans lesquelles on recourtà chacune d’elles; c) les attitudes des locuteursconcernant les valeurs esthétiques, éthiques,religieuses d’un idiome et, implicitement, lesréactions de ces locuteurs visant la possibilitéd’employer l’idiome en question en tant que variétélittéraire, éducationnelle, etc. [13, p. 154]. Par leterme neutre de variété linguistique on désigne enSL cf. par exemple [15] tout systèmesociocommunicatif appartenant à une langue quelleque soit la nature (géographique, sociale oustylistique) de celui-ci. Les variétés qui dans lacommunauté linguistique nationale correspondent àla variation diastratique sont des variétés sociales ousociolectes (appelées premièrement dialectessociaux); les variétés qui résultent de la variationstylistique (ou diaphasique) sont des niveaux et/oudes registres de langue auxquels s’ajoutent leslangages spéciaux.<strong>La</strong> notion de situation linguistique est liée nonseulement à la réalisation par le chercheur d’uneimage synchronique générale de la réalitélinguistique dans la communauté en question, maisaussi à l’appréhension des tendances quicaractérisent la dynamique des idiomes dansl’espace administratif et politique envisagé. Parailleurs, on reconnaît qu’il est impossible d’établir lahiérarchie sociale des systèmes sociocommunicatifsdans une communauté linguistique nationale sansprendre en considération « la hiérarchie descollectifs linguistiques » [40, p. 138] qui emploientles idiomes en question. <strong>La</strong> typologie des systèmessociocommunicatifs s’appuie, d’habitude, surplusieurs paramètres <strong>sociolinguistique</strong>s, tels :1) Le statut social des langues ou/et desvariétés linguistiques - un double aspect devant êtreenvisagé : le statut officiel (ou juridique) vs. le statutréel (ou la situation de fait).2) Le rôle sociocommunicatif (ou la fonction)qu’assument dans la communauté les variétéslinguistiques ou la langue en question, celles-cipouvant être : a) des moyens de communicationstrictement locale (les variétés dialectales) ourestreinte à un petit groupe (les langages spéciaux),ou encore ayant un emploi réduit à certainsdomaines de communication; b) des moyens decommunication fonctionnant soit au niveau régional(les variétes et/ou les « langues » régionales) soit àl’intérieur de toute une classe sociale (lesDialogos 8/2003


DEUXIÈME ASSISE THÉORIQUEsociolectes); c) des moyens de communicationsuprarégionale dans la communauté nationale, entant que « langue » commune ou bien en tant quelangue véhiculaire interne; d) des moyens decommunication intercommunautaire (les languesvéhiculaires externes).3) Les fonctions symboliques qui sontattribuées aux idiomes par les représentations<strong>sociolinguistique</strong>s. « L’imaginaire collectif »attribue, par exemple, à la variété standard, dans unecommunauté monolingue [18, p. 521], une fonctionunificatrice (car elle réunit les locuteurs autour de cestandard), une fonction séparatrice (qui oppose lesutilisateurs du standard aux autres collectivitéshumaines), une fonction de prestige (qui découle duprestige socioculturel des locuteurs qui emploient lestandard).4) Le domaine <strong>sociolinguistique</strong> : tout commele contexte situationnel en micro-SL, les domainessont de type très formel/ formel/ moins formel/informel, etc. De même que le locuteur individuel,la communauté linguistique dispose d’un répertoireverbal (plus ou moins riche, plus ou moinshierarchisé et compartimenté) constitué de différentsregistres représentés par les variétés linguistiquesqui y sont employées, et qui sont le résultat deplusieurs types de variation linguistique.Conformément à la conception de la différence (voirsupra), ces systèmes sociocommunicatifs, à forced’avoir été utilisés de façon régulière dans lesmêmes domaines de communication, se sont«spécialisés», finissant par devenir les seulsappropriés aux domaines en question. C’est ainsique les différentes variétés d’une langue dans unecommunauté linguistique nationale (ou dans deszones administratives autonomes) ont acquis unstatut socioculturel distinct, devenantcomplémentaires du point de vue fonctionnel. Ondistingue d’une part la variété littéraire (soignée), àstatut haut, qui correspond aux domaines formels (eten tout premier lieu à la communication formelleécrite) et d’autre part les variétés à statutsocioculturel bas, appropriées aux domainesinformels de la vie quotidienne. Le fonctionnementalternatif et complémentaire, non conflictuel, desdeux types de variétés linguistiques, réglementé parla norme <strong>sociolinguistique</strong> de la communauté enquestion, est appelé diglossie [11]. Premièrement ceterme a été appliqué uniquement à la situation d’uneseule langue (ce qu’on appelle aujourd’hui diglossieinterne ou intralinguistique) [6']. Ultérieurement, leconcept de diglossie a été étendu et raffiné, laplupart des sociolinguistes l’utilisant actuellementaussi pour décrire une alternance extralinguistiquedans des communautés plurilingues, notamment unfonctionnement complémentaire de deux langues ouplus précisément de variétés linguistiques à statutdifférent appartenant à deux langues; on parle dansce cas d’une diglossie externe ou interlinguistique[15, ch. III, le chap. III, intitulé Bilinguisme avec etsans diglossie; diglossie avec et sans bilinguisme];v. aussi Ciolac [7. ch. VII]. Selon H. Boyer [3, p.51], à cette perspective plus large sur la diglossie ondevrait rattacher aussi le modèle de la Suissealémanique où les variétés concernées (leschriftdeutsch/ le dialecte), bien que de niveaudifférent (à savoir haut et, respectivement, bas) necomporteraient aucune différence de prestige auxyeux des locuteurs [34, p. 89]. D’autre part, tout enprécisant qu’il s’agit d’un point de vue historique etnon plus d’une démarche synchronique, et endonnant l’exemple du catalan face à l’espagnol et«de l’occitan face au français», H. Boyer mentionneégalement un modèle catalano-occitan, moinsrépandu, celui d’une diglossie externe envisagéecomme conflit: « Le modèle conflictuel opte pourune approche diachronique [...] du phénomène dediglossie: le conflit est envisagé dans la durée etdans sa globalité, car on ne peut en percevoir ladynamique „linguicide” que sur plusieurs décennies,voire sur plusieurs siècles [...] » [3, p. 52-53]; selonce modèle, les représentations contraires à la languedominée arrivent à imprégner les discours sociaux,menant à une « idéologisation de la diglossie » carelle est orientée vers la domination sans partage dela langue haute, situation qui, par substitutionlinguistique, conduira à « l’avènement d’unmonolinguisme auprès duquel ne survivront plusque des „lambeaux” de langue L (basse ou encoreB) » précise H. Boyer [3, p. 54) en reprenantquelques affirmations de P. Gardy [16].Appliqué à la communauté linguistique et enétroite relation tant avec la répartition des idiomesqu’avec les représentations partagées, P. Bourdieu[2] a utilisé (emprunté à l’économie politique) leterme de marché linguistique. L’auteur distinguedans une société un marché linguistique officiel,dominant et d’autres marchés périphériques « oùl’on peut observer, comme sur tous les marchés, descoûts et des gains, des handicaps et des plus-values»[3, p. 34].Afin de pouvoir mieux comparer entre ellesles différentes situations linguistiques nationalesplurilingues, Ch. Ferguson [12, p. 309 et suiv.] aproposé aux chercheurs d’esquisser le profil<strong>sociolinguistique</strong> des communautés envisagées.Celui-ci représenterait une description synthétique(exprimable finalement dans une formuleDialogos 8/2003 105


DEUXIÈME ASSISE THÉORIQUEconcentrée) qui s’appuie sur une série declassifications préétablies en fonction de quelquescritéres. Les plus évidents de ces critères sont lanature, les fonctions et, en fin de compte,l’importance communicative des idiomesconsidérés. Ch. Ferguson distingue d’abord deslangues majeures (dont le rôle communicatif est trèsimportant dans la communauté en question), deslangues mineures (moins importantes) et deslangues à statut spécial (sans une fonction évidentedans la communication courante). Raffinant ensuitecette classification, Ch. Ferguson lui-même etd’autres sociolinguistes ont opéré avec des conceptscomme : langue vernaculaire, langue standard,langue véhiculaire, langue dominée, languedominante, sabirs et pseudo-sabirs (ou„interlangues”), créoles, pidgins, etc.Sur une évaluation correcte de la situationlinguistique dans une communauté linguistiquenationale monolingue ou plurilingue à un momentsynchronique donné s’appuient les résolutions justesde la planification et de la politique linguistique.Leurs décisions concernent le choix de la langue oude la variété linguistique officielle, ledéveloppement et/ou la modernisation d’un standardnational et du code écrit qui lui correspond, la ou lesvariété(s) destinée(s) à servir comme moyen dansl’enseignement, etc.L’appareil conceptuel de la SL estévidemment beaucoup plus riche et diversifié quecette discussion sommaire a pu réussir à le prouver.Dans la perspective que nous avons adoptée ici, ilconvient néanmoins de préciser que quel que soit leproblème précis dont elles traitent, les études de SLse proposent toutes d’appréhender lacommunication, voire de contribuer à l’améliorationde celle-ci à différents niveaux dans des contextes etdomaines sociaux naturels.NOTES1 Cf. pour ces problèmes K. Koerner [1986]; v. aussi Ciolac [1997, p. 12-14]. À son tour, H. Boyer [2001,p. 7] affirme : « Cette discipline [= la SL] était bien évidemment en gestation dans l’œuvre d’un certainnombre de linguistes, avant et après Saussure. »2 Cf., pour quelques-uns des différents noms appliqués initialement à cette nouvelle discipline, Ionescu-Ruxăndoiu / Chiţoran [27, p. 9-14].3 Pour une discussion plus détaillée cf. Ciolac, [5, p. 11 et suiv.] et Ciolac [7, p. 9 et suiv.].4 Pour une discussion plus ample cf. Ciolac [5, p. 17-18].5 Cf. pour ces problèmes Ciolac [8].6 Selon Ch. Ferguson [11, p. 336], la diglossie est « a relatively stable situation in which, in addition tothe primary dialects of the language [...], there is a very divergent, highly codified (often grammaticallymore complex) superposed variety, the vehicle of a large and respected body of written literature, [...],which is learned largely by formal education and is used for most written and formal spoken purposesbut is not used by any sector of the community for ordinary conversation ».106Dialogos 8/2003

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