Mark Rudkin Mark Rudkin - Société Nationale d'Horticulture de France
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Art <strong>de</strong>s Jardins<br />
Portrait d’un paysagiste<br />
d’aujourd’hui<br />
<strong>Mark</strong> <strong>Rudkin</strong><br />
20 JARDINS DE FRANCE MARS 2007<br />
En exclusivité pour les<br />
lecteurs <strong>de</strong> Jardins <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong>, l’un <strong>de</strong>s grands<br />
paysagistes d’aujourd’hui<br />
s’exprime sur la<br />
naissance <strong>de</strong> sa vocation<br />
et les plus belles <strong>de</strong><br />
ses réalisations.<br />
Deux personnalités du<br />
mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s jardins<br />
ont bien voulu y joindre<br />
leurs propres témoignages.<br />
F. PERNEL F. PERNEL F. PERNEL
Enfant, je rampais avec joie sur les gazons,<br />
j’adorais chaque brin d’herbe,<br />
chaque petit insecte ailé, tous aussi<br />
envoûtants qu’un papillon. Nous habitions<br />
une gran<strong>de</strong> propriété à la campagne. Ma<br />
mère s’occupait <strong>de</strong>s jardins à fleurs, mon<br />
père <strong>de</strong>s arbres et <strong>de</strong>s arbustes : il avait<br />
planté mille pommiers. En grandissant, je<br />
commençais à partager leurs passions :<br />
j’avais un petit jardin à moi, pas vraiment<br />
beau, mais avec le temps j’ai pu en acquérir<br />
une meilleure compréhension. Un<br />
<strong>de</strong> mes frères avait épousé une jeune fille<br />
dont la mère était une paysagiste réputée.<br />
Je l’estimais énormément, et entre seize et<br />
dix-huit ans j’ai beaucoup travaillé avec<br />
elle. Elle disposait par ailleurs d’une<br />
gran<strong>de</strong> influence sur mes parents, et elle<br />
leur a permis d’améliorer les plantations<br />
autour <strong>de</strong> notre rési<strong>de</strong>nce. C’est ainsi que<br />
j’ai emprunté tout doucement un itinéraire<br />
<strong>de</strong> jardinier et <strong>de</strong> paysagiste.<br />
En <strong>France</strong> où je suis venu vivre dans les<br />
années 1950, j’ai visité nombre <strong>de</strong> parcs<br />
et jardins, appréciant beaucoup l’architecture<br />
classique et celle du Moyen Âge.<br />
Puis je suis parti découvrir l’Autriche,<br />
l’Angleterre, l’Irlan<strong>de</strong>, le Maroc et d’autres<br />
pays où je continuais à apprendre.<br />
En 1967, j’ai acquis <strong>de</strong>ux hectares <strong>de</strong><br />
sous-bois à l’est <strong>de</strong> la vallée <strong>de</strong> Chevreuse.<br />
Il y avait <strong>de</strong> beaux arbres : châtaigniers,<br />
▲<br />
chênes, bouleaux, et un sol aci<strong>de</strong>. J’ai<br />
commencé par planter quantité <strong>de</strong> rhodo<strong>de</strong>ndrons<br />
et <strong>de</strong> camellias, et avec les années<br />
tout s’est fortement développé. Puis<br />
mes voisins en bas du sous-bois ont pris<br />
leur retraite et m’ont vendu leur terrain. Il<br />
était plat alors que mon domaine était très<br />
en pente. J’ai pu créer un jardin <strong>de</strong>ssiné<br />
avec <strong>de</strong>s haies <strong>de</strong> buis, <strong>de</strong> charmes et <strong>de</strong><br />
cyprès <strong>de</strong> Lawson. Ce n’est pas un espace<br />
à la française, plutôt un mélange <strong>de</strong> sensibilités<br />
internationales, fruit <strong>de</strong> mes voyages,<br />
<strong>de</strong> mes livres pleins d’illustrations et<br />
<strong>de</strong> mon enfance. Il fut souvent photographié<br />
et fit l’objet <strong>de</strong> plusieurs recensions.<br />
Accédant au Bois du Fay par le haut <strong>de</strong> la propriété, le visiteur <strong>de</strong>scend vers la vallée en<br />
découvrant <strong>de</strong>s paysages <strong>de</strong> plus en plus saisissants.<br />
F. PERNEL F. PERNEL<br />
MARS 2007 JARDINS DE FRANCE 21
En 1992 Jack Lang, alors ministre <strong>de</strong> la<br />
Culture, m’a proposé <strong>de</strong> reprendre les jardins<br />
du Palais-Royal. Peu après, je me suis<br />
investi dans ceux du château <strong>de</strong> Blérancourt,<br />
le musée <strong>de</strong> la coopération franco-américaine.<br />
Depuis, j’interviens chaque année<br />
au Palais-Royal, et à Blérancourt <strong>de</strong> temps<br />
Les jardins du Palais-Royal, redéfinis par <strong>Mark</strong> <strong>Rudkin</strong>.<br />
Un Américain à Paris<br />
Paula Deitz<br />
<strong>Mark</strong> <strong>Rudkin</strong> apporte une nouvelle touche<br />
aux jardins, avec un style flamboyant<br />
qui met l’accent sur <strong>de</strong> généreuses<br />
plantations en camaïeu. Enfant, il exerça<br />
ses talents à Fairfield dans le Connecticut,<br />
en cultivant <strong>de</strong>s bordures aux côtés <strong>de</strong> sa<br />
mère Margaret <strong>Rudkin</strong>, fondatrice <strong>de</strong> la<br />
célèbre entreprise <strong>de</strong> biscuits Pepperidge<br />
Farm (qui tire son nom <strong>de</strong> l’arbre à gomme<br />
poivrée qui poussait sur leur terrain). À la<br />
suite <strong>de</strong> ses étu<strong>de</strong>s universitaires, il apprit<br />
la danse à New York avec Martha Graham.<br />
Le sage conseil que celle-ci lui donna en<br />
22 JARDINS DE FRANCE MARS 2007<br />
en temps. Daniel Terra m’a <strong>de</strong>mandé ensuite<br />
<strong>de</strong> réaménager l’espace en faça<strong>de</strong> du<br />
Musée d’art américain <strong>de</strong> Giverny. Plus récemment,<br />
Félix Rohatyn, ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s<br />
États-Unis en <strong>France</strong>, a voulu que j’intervienne<br />
pour rénover les espaces extérieurs<br />
<strong>de</strong> sa rési<strong>de</strong>nce, et nous avons tout refait.<br />
1954 – “il est temps que tu ailles à Paris“ –<br />
transforma son existence. Il vit en <strong>France</strong><br />
<strong>de</strong>puis cette époque.<br />
Il se lança dans la peinture et excella à la<br />
fois dans le style figuratif et expressionniste<br />
abstrait, mais sa sensibilité fut <strong>de</strong> nouveau<br />
réveillée lorsqu’il visita en 1981 le jardin<br />
<strong>de</strong> Sissinghurst en Angleterre. “J’ai été<br />
ébloui par l’architecture du site et ses plantations,<br />
cela m’a donné l’envie <strong>de</strong> créer<br />
mon propre jardin“. C’est ainsi qu’il forma<br />
le projet du Bois du Fay dans la petite ville<br />
du Mesnil-Saint-Denis, au sud-ouest <strong>de</strong><br />
Paris. Surplombant une vallée tapissée <strong>de</strong><br />
champs cultivés, les structures du jardin et<br />
les espaces boisés à flanc <strong>de</strong> colline combinent<br />
formalisme et luxuriance sauvage.<br />
J’ai également réalisé quelques petits jardins<br />
privés à Paris. Peut-être en ferai-je<br />
d’autres ?<br />
<strong>Mark</strong> <strong>Rudkin</strong><br />
MARK RUDKIN<br />
Les pièces <strong>de</strong> verdure s’ouvrent au fil d’une<br />
allée centrale plantée <strong>de</strong> charmes. Dans<br />
la roseraie, bordée <strong>de</strong> banquettes <strong>de</strong> buis<br />
sur fond <strong>de</strong> hêtres bigarrés, s’épanouissent<br />
aussi <strong>de</strong>s compositions <strong>de</strong> lilas et <strong>de</strong> sédums<br />
d’automne. Dans le jardin blanc, <strong>de</strong>s<br />
pavements du XVII e siècle, contenus par <strong>de</strong>s<br />
boules <strong>de</strong> buis, délimitent <strong>de</strong>s parterres <strong>de</strong><br />
digitales et <strong>de</strong> roses anciennes. Enfin à<br />
l’arrière-plan, une clématite s’enroule autour<br />
d’un treillage. Des épis <strong>de</strong> <strong>de</strong>lphiniums<br />
confèrent hauteur et contour au jardin<br />
bleu. Sur un terrain en pente boisé <strong>de</strong><br />
chênes et <strong>de</strong> marronniers, entremêlés <strong>de</strong><br />
camellias et <strong>de</strong> rhodo<strong>de</strong>ndrons, le sol est<br />
tapissé <strong>de</strong> fougères, <strong>de</strong> cyclamens et <strong>de</strong><br />
crocus qui fleurissent au printemps et à<br />
l’automne.
<strong>Mark</strong> <strong>Rudkin</strong>, paysagiste<br />
La communauté <strong>de</strong>s amoureux <strong>de</strong> jardins compte en <strong>France</strong> un petit nombre <strong>de</strong> créateurs sublimes, paysagistes au double sens<br />
du terme, artistes peintres et jardinistes, d’autant plus discrets à l’égard <strong>de</strong> leurs réalisations que leur œuvre s’inscrit généralement<br />
hors <strong>de</strong>s circuits commerciaux : Ferdinand Bac dans l’entre-<strong>de</strong>ux-guerres, Mogens Tve<strong>de</strong> dans les années 1950-1970,<br />
<strong>Mark</strong> <strong>Rudkin</strong> aujourd’hui.<br />
<strong>Mark</strong> <strong>Rudkin</strong> a réalisé <strong>de</strong>s espaces particulièrement enchanteurs. Son chef-d’œuvre au regard <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong>meure sa propriété<br />
du Bois du Fay au Mesnil-Saint-Denis dans les Yvelines, qu’il ouvre généreusement au public lors <strong>de</strong>s Ren<strong>de</strong>z-vous aux jardins en<br />
juin et <strong>de</strong>s Journées du patrimoine en septembre.<br />
Le site pouvait apparaître ingrat : un boisement à flanc <strong>de</strong> collines pentues, donnant sur un plateau modérément étendu. Au cours<br />
<strong>de</strong>s années, cet espace va néanmoins se transformer progressivement en une féerie paysagère. Le visiteur, qui accè<strong>de</strong> au Bois<br />
du Fay par le haut <strong>de</strong> la propriété, est invité à prendre un sentier qui <strong>de</strong>scend sur la vallée. Au fil du cheminement<br />
s’offrent à lui <strong>de</strong>s visions <strong>de</strong> plus en plus saisissantes. Ce sont tout d’abord <strong>de</strong>s arbustes d’intérêt – par leur port, feuillage, couleurs,<br />
etc. – étrangers à la végétation locale qu’il rencontre sur son itinéraire, puis <strong>de</strong>s percées sur les collines ouvrent sur d’autres<br />
compositions végétales intégrées dans le boisement. Et tout se multiplie au fil <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scente pour aboutir en éblouissement<br />
sur un plateau aménagé en compartiments d’une élégance infinie. Un parcours magique !<br />
<strong>Mark</strong> <strong>Rudkin</strong>, qui ne s’était encore jamais exprimé publiquement, a bien voulu accepter <strong>de</strong> nous confier quelques éléments <strong>de</strong><br />
réflexion sur son œuvre <strong>de</strong> paysagiste.<br />
Deux autres personnalités du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s jardins, qui ont pu apprécier <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> longues années son travail, nous ont également<br />
fait l’honneur <strong>de</strong> nous apporter leur concours :<br />
Paula Deitz est rédactrice en chef <strong>de</strong> la Hudson Review, importante revue d’art et <strong>de</strong> littérature. Elle collabore par ailleurs à divers<br />
périodiques en matière d’architecture, <strong>de</strong> décoration et d’art <strong>de</strong>s jardins, et s’exprime régulièrement dans le New York Times.<br />
Elle a rédigé plusieurs catalogues d’exposition et prépare actuellement un ouvrage sur l’itinéraire <strong>de</strong> Thibaut <strong>de</strong> Champagne, poète<br />
du XIII e siècle. Passionnée d’horticulture, Paula Deitz connaît bien notre pays, ses fêtes <strong>de</strong>s plantes et nos jardins.<br />
Judith Pillsbury vit en <strong>France</strong>. Bien<br />
connue <strong>de</strong>s historiens d’art, <strong>de</strong>s conservateurs<br />
<strong>de</strong> musée et <strong>de</strong>s grands amateurs,<br />
pour animer une librairie spécialisée<br />
dans l’estampe ancienne, elle<br />
est <strong>de</strong>venue propriétaire du domaine<br />
<strong>de</strong> La Louve dans le Luberon, qui lui a<br />
été cédé dans ses <strong>de</strong>rniers jours par<br />
une gran<strong>de</strong> dame <strong>de</strong> l’art <strong>de</strong>s jardins<br />
en Provence, Nicole <strong>de</strong> Vésian. Cet<br />
espace est régulièrement ouvert au public<br />
lors <strong>de</strong>s Journées du patrimoine.<br />
Judith Pillsbury est par ailleurs membre<br />
fondateur <strong>de</strong> l’Association <strong>de</strong>s parcs<br />
et jardins <strong>de</strong> Paca.<br />
À tous trois, nous exprimons notre plus<br />
chaleureuse gratitu<strong>de</strong> pour avoir permis<br />
à Jardins <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>de</strong> réunir ces<br />
contributions.<br />
Norbert Parguel<br />
Section Art <strong>de</strong>s Jardins<br />
AGNES JEANJEAN<br />
Les jardins du château <strong>de</strong> Blérancourt.<br />
MARS 2007 JARDINS DE FRANCE 23
Le Bois du Fay fut particulièrement apprécié<br />
<strong>de</strong>s spécialistes. Dans un premier<br />
temps, <strong>de</strong>s amis firent appel aux conseils<br />
<strong>de</strong> <strong>Mark</strong> <strong>Rudkin</strong>, puis quelques comman<strong>de</strong>s<br />
officielles arrivèrent, parmi lesquelles<br />
celle <strong>de</strong> redéfinir les espaces fleuris du jardin<br />
du Palais-Royal, négligés <strong>de</strong>puis longtemps.<br />
“Pas <strong>de</strong> plantes rares ou chères“<br />
indiqua-t-il pour la restauration <strong>de</strong> ce jardin,<br />
établi sur un plan conçu en 1730 par<br />
le fils du duc d’Orléans. Il apparaissait inutile<br />
<strong>de</strong> transformer les parterres historiques,<br />
mais l’idée fut <strong>de</strong> planter <strong>de</strong>s mas-<br />
F. PERNEL<br />
sifs irréguliers <strong>de</strong> plantes annuelles formant<br />
une unité <strong>de</strong> couleur avec <strong>de</strong> subtiles différences<br />
<strong>de</strong> tons. Contenus par <strong>de</strong>s tilleuls<br />
profilés et <strong>de</strong> petites barrières couvertes<br />
<strong>de</strong> lierres et <strong>de</strong> chèvrefeuilles, les parterres<br />
surélevés furent ornés <strong>de</strong> nicotianas, pétunias,<br />
verveines et héliotropes, disposés autour<br />
d’une pelouse centrale. Un autre été,<br />
<strong>de</strong>s nuances <strong>de</strong> bleus le cédèrent au jaune<br />
et au blanc.<br />
24 JARDINS DE FRANCE MARS 2007<br />
De longues promena<strong>de</strong>s au sein <strong>de</strong>s bordures<br />
colorées <strong>de</strong>s parcs parisiens – notamment<br />
à l’époque dans les jardins du<br />
Luxembourg – ainsi qu’à travers les champs<br />
<strong>de</strong> fleurs <strong>de</strong> Provence, ont contribué au<br />
style unique <strong>de</strong> <strong>Mark</strong> <strong>Rudkin</strong>. Dans les jardins<br />
clos du Musée franco-américain du<br />
château <strong>de</strong> Blérancourt, près <strong>de</strong> Compiègne,<br />
il a tapissé les parterres <strong>de</strong> plantes <strong>de</strong>s<br />
Amériques, usant d’une palette d’été finissant,<br />
avec <strong>de</strong>s couleurs lavan<strong>de</strong> et dorées.<br />
À l’instar d’une peinture abstraite, on y<br />
trouve <strong>de</strong>s interventions surprenantes, par<br />
Au Bois du Fay, les structures du jardin et les espaces boisés combinent formalisme et luxuriance sauvage.<br />
exemple lorsque dans un aplat monochrome<br />
se dresse une plante d’une couleur<br />
différente. Au pied d’un ri<strong>de</strong>au <strong>de</strong> peupliers<br />
d’Italie, une cabane <strong>de</strong> jardinier adossée<br />
au mur fournit un environnement accueillant<br />
pour <strong>de</strong>s plantations <strong>de</strong> tournesols et <strong>de</strong> cosmos<br />
orange, séparées <strong>de</strong> vagues d’asters<br />
<strong>de</strong> toutes tonalités, par <strong>de</strong>s thuyas.<br />
Travailler près du jardin <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Monet<br />
pour le Musée américain <strong>de</strong> Giverny re-<br />
présenta aux yeux <strong>de</strong> <strong>Mark</strong> <strong>Rudkin</strong> une<br />
sorte <strong>de</strong> couronnement. Le long <strong>de</strong> la rue<br />
principale, une série <strong>de</strong> jardins clos rappelle<br />
les espaces fleuris <strong>de</strong>s maisons du<br />
village. Édifié sur une terrasse à flanc <strong>de</strong><br />
colline, le bâtiment bas du musée en pierre<br />
calcaire forme un contrepoint aux arches<br />
en treillage métallique sur lesquelles grimpent<br />
<strong>de</strong>s glycines et <strong>de</strong>s belles-<strong>de</strong>-jour. Les<br />
plates-ban<strong>de</strong>s alternées <strong>de</strong> lavan<strong>de</strong> et <strong>de</strong><br />
santoline apportent un complément à la<br />
fois architectural et agraire. Le jardin aboutit<br />
à <strong>de</strong>ux champs fleuris <strong>de</strong> cosmos blancs,<br />
et <strong>de</strong>s graminées ont été plantées pour bor<strong>de</strong>r<br />
un pré dans le paysage environnant.<br />
Ces jardins, conçus par <strong>Mark</strong> <strong>Rudkin</strong> pour<br />
un musée dédié aux Impressionnistes américains<br />
qui travaillèrent avec Monet, forment<br />
une nouvelle marque d’admiration<br />
d’un artiste du Nouveau Mon<strong>de</strong> au maître<br />
<strong>de</strong> Giverny.<br />
[Traduction Emmanuelle Ertel]
Témoignage<br />
Judith Pillsbury<br />
Je connais <strong>Mark</strong> <strong>Rudkin</strong> <strong>de</strong>puis mon arrivée<br />
à Paris en 1965, il y a donc plus<br />
<strong>de</strong> quarante ans.<br />
En 1973, mon mari et moi avons acquis rue<br />
du Bac un appartement en rez-<strong>de</strong>-chaussée<br />
avec, par bonheur, un jardin <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />
400 m2 . Cet espace en contrebas <strong>de</strong> la<br />
cour <strong>de</strong> l’immeuble, <strong>de</strong>meuré longtemps à<br />
l’abandon, conservait quelques forsythias,<br />
<strong>de</strong>s aucubas, <strong>de</strong>s bordures <strong>de</strong> buis, <strong>de</strong>s<br />
fougères, cinq grands érables, un magnifique<br />
figuier… et beaucoup <strong>de</strong> gravier. Il<br />
était ombragé et donnait sur un mur élevé<br />
couvert <strong>de</strong> lierre, ce qui lui conférait un<br />
aspect relativement privé. Outre le figuier,<br />
l’élément le plus intéressant résidait dans un<br />
bel escalier <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> la cour <strong>de</strong> l’immeuble<br />
; aussi l’endroit était-il par ailleurs<br />
protégé du vent. Le terrain s’ouvrait à son<br />
extrémité sur une enfila<strong>de</strong> <strong>de</strong> jardins apportant<br />
<strong>de</strong> la clarté en hiver, du mystère en été.<br />
Quand <strong>Mark</strong> vit la propriété pour la première<br />
fois durant l’hiver 1973, il<br />
travaillait déjà au Bois du Fay –<br />
son propre jardin – et apprécia<br />
ma chance <strong>de</strong> pouvoir disposer<br />
d’un si bel espace. Il m’encouragea<br />
à visiter les expositions<br />
florales <strong>de</strong> la RHS à Vincent<br />
Square (les manifestations<br />
comme celles <strong>de</strong> Courson et<br />
Saint-Jean-<strong>de</strong>-Beauregard<br />
n’existaient pas à l’époque, le<br />
seul diffuseur <strong>de</strong> plantes rares<br />
en <strong>France</strong> était alors Léon<br />
Goarant, dont le bureau se trouvait<br />
près <strong>de</strong> la gare du Nord).<br />
En 1974 nous effectuâmes<br />
un voyage <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux jours en<br />
Angleterre pour visiter Wisley,<br />
propriété <strong>de</strong> la RHS, et<br />
Sissinghurst. C’est au cours <strong>de</strong> ce<br />
séjour que je compris qu’un jardin<br />
pouvait être comparable à<br />
une œuvre d’art.<br />
Entre-temps, j’avais commencé<br />
à redonner vie à mon domaine :<br />
le gravier avait été retiré et une<br />
écurie démolie. Les pierres <strong>de</strong><br />
récupération servirent à l’aménagement <strong>de</strong><br />
chemins, puis d’une terrasse. Connaissant<br />
enfin mieux les nécessités du sol pour les<br />
plantes, je fis procé<strong>de</strong>r à un apport important<br />
<strong>de</strong> terre <strong>de</strong> bruyère dans une partie<br />
du jardin.<br />
Dans les années 1980, <strong>Mark</strong> avait fait la<br />
connaissance <strong>de</strong> Michel Boulcourt, alors<br />
attaché au Jardin <strong>de</strong>s Plantes. Ils commencèrent<br />
à travailler ensemble, et leurs réalisations<br />
faisaient mon admiration. Ayant<br />
compris combien les aspects architecturaux<br />
étaient importants, mon mari et moi<br />
<strong>de</strong>mandâmes à <strong>Mark</strong> et Michel <strong>de</strong> bien<br />
vouloir nous ai<strong>de</strong>r.<br />
Nous voulions créer une composante<br />
aquatique, harmoniser les aspects du jardin<br />
avec la disposition <strong>de</strong> l’immeuble, et<br />
conférer à l’espace une sorte <strong>de</strong> géométrie<br />
tempérée par la végétation. L’élément<br />
minéral étant déjà présent en abondance<br />
(le haut mur <strong>de</strong>rrière le figuier, la voie d’accès<br />
à l’ancienne écurie), nous décidâmes<br />
d’introduire <strong>de</strong>s traverses <strong>de</strong> chemin <strong>de</strong><br />
fer, le bois apparaissant comme un matériau<br />
plus doux. Vis-à-vis du terrain long et<br />
étroit, une différenciation fut effectuée en<br />
réalisant un compartiment carré, centré sur<br />
le figuier et un bassin-miroir, puis un<br />
espace rectangulaire en pelouse <strong>de</strong> façon<br />
à créer un salon d’extérieur. Ces <strong>de</strong>ux<br />
structures <strong>de</strong>vaient enfin être soutenues et<br />
valorisées par <strong>de</strong>s massifs arbustifs élevés :<br />
camellias, viornes, houx, mahonias, et plus<br />
tard hydrangeas et cornouillers du Japon.<br />
L’apport le plus marquant <strong>de</strong> <strong>Mark</strong> <strong>Rudkin</strong><br />
résida dans son sens <strong>de</strong>s volumes. Il<br />
groupa <strong>de</strong>s camellias par gammes <strong>de</strong> coloris,<br />
utilisa <strong>de</strong>s fougères pour délimiter<br />
certaines zones et unit les parterres en une<br />
bordure unique longeant le sentier <strong>de</strong> la<br />
pelouse. Chaque plante conservait sa<br />
forme, tout en se fondant parmi les autres.<br />
Le jardin présentait enfin l’avantage<br />
d’être facile à entretenir et se révélait attractif<br />
tout au long <strong>de</strong> l’année. L’œuvre accomplie<br />
faisait penser à une sculpture <strong>de</strong><br />
Henry Moore.<br />
Cet espace aménagé il y a vingt ans perdure<br />
merveilleusement. Certaines plantes<br />
changent, d’autres s’ajoutent, mais la finesse<br />
<strong>de</strong> conception du <strong>de</strong>ssin <strong>de</strong>meure.<br />
[Traduction Emmanuelle Ertel] �<br />
Aquarelle <strong>de</strong> Fabrice Moireau, représentant le jardin <strong>de</strong> Judith Pillsbury, rue du Bac à Paris.<br />
MARS 2007 JARDINS DE FRANCE 25