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La chimie thérapeutique : de la biologie chimique ... - Mediachimie.org

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<strong>La</strong> <strong>chimie</strong><strong>thérapeutique</strong> :<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong>à <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> nouveauxmédicaments1 Révolutiongénomique et <strong>chimie</strong><strong>La</strong> récente révolution génomiqueavait <strong>de</strong>ux objectifsprincipaux. Le premier étaitle séquençage complet <strong>de</strong>l’ADN du génome humaindistribué dans nos 23 paires<strong>de</strong> chromosomes et porteur<strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> notre informationgénétique. L’essentiel<strong>de</strong> ce travail a été achevé en2003 et a permis d’i<strong>de</strong>ntifierles quelque 25 000 gènes <strong>de</strong>notre génome (Figure 1, pouren savoir plus, voir le chapitre<strong>de</strong> C. Giovannangeli).Mais <strong>la</strong> caractérisation d’ungène ne donne aucune indicationsur <strong>la</strong> fonction <strong>de</strong> <strong>la</strong> (ou<strong>de</strong>s) protéine(s) qu’il génère.Or, les protéines constituentles véritables chevillesouvrières <strong>de</strong> l’<strong>org</strong>anisme enremplissant <strong>de</strong>s fonctionstrès diverses indispensables à<strong>la</strong> structuration et à <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>scellules. Un second objectif estdonc l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> <strong>la</strong> fonctionet du profil d’expression<strong>de</strong> toutes les protéines codéespar ces gènes (le protéome,voir le chapitre <strong>de</strong> D. Mansuy,encart « Dans <strong>la</strong> famille <strong>de</strong>s“omes” »). <strong>La</strong> tâche est ardueet immense puisqu’en raison<strong>de</strong> différents mécanismescellu<strong>la</strong>ires, il existe au moinsdix fois plus <strong>de</strong> protéines que<strong>de</strong> gènes (voir le chapitre<strong>de</strong> C. Giovannangeli, paragraphe1.2), et l’on n’est qu’audébut <strong>de</strong> l’aventure…Jean-Pierre Maffrand <strong>La</strong> <strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong> : <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>biologie</strong><strong>chimique</strong> à <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> nouveaux médicamentsFigure 1Notre ADN, porté par l’ensemble<strong>de</strong> nos quelque 25 000 gènes.Quelles fonctions ces gènescomman<strong>de</strong>nt-ils ?


<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> et <strong>la</strong> santéFigure 2En <strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong>, on produit<strong>de</strong>s petites molécules présentantune forte affinité avec une protéine,avec <strong>la</strong>quelle elle va pouvoir selier. L’interaction petite molécule– protéine va activer ou inactiver<strong>la</strong> protéine, et déclencher uneréponse fonctionnelle au sein <strong>de</strong>l’<strong>org</strong>anisme.Évi<strong>de</strong>mment, cette multitu<strong>de</strong>d’informations <strong>de</strong>vrait faciliter<strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> nouveauxmédicaments avec <strong>de</strong>s mécanismesd’action originaux,afin <strong>de</strong> répondre à <strong>de</strong>s besoinsmédicaux insatisfaits.Il existe <strong>de</strong> nombreusesapproches scientifiques ettechniques pour éluci<strong>de</strong>r lesfonctions <strong>de</strong>s protéines, eti<strong>de</strong>ntifier celles qui pourraientavoir un lien avec <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong>dieset constituer <strong>de</strong> ce fait<strong>de</strong> nouvelles cibles <strong>thérapeutique</strong>spour <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong>candidats médicaments. Onpeut citer l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong>diesgénétiques, d’animauxtransgéniques, l’utilisationd’antisens ou <strong>de</strong> petits ARNinterférents (voir le chapitre<strong>de</strong> C. Giovannangeli, encart« Les ARN interférents : unegran<strong>de</strong> innovation dans <strong>la</strong><strong>biologie</strong> molécu<strong>la</strong>ire ») pour« éteindre » les gènes, l’utilisationd’anticorps monoclonauxou d’aptamères pourneutraliser sélectivement <strong>de</strong>sprotéines, etc. Mais toutes cesapproches peuvent prendrebeaucoup <strong>de</strong> temps et neconduisent souvent qu’à uneconnaissance limitée <strong>de</strong> <strong>la</strong>cible.En fait, les généticiens et lesbiologistes ont réalisé que leschimistes pouvaient apporterune précieuse contributionà l’élucidation <strong>de</strong> <strong>la</strong> fonction<strong>de</strong>s protéines. Ce que l’onappelle <strong>la</strong> <strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong>(« chemical biology ») est undomaine <strong>de</strong> recherche enpleine évolution, dont l’objectifambitieux est <strong>de</strong> disséquerles processus biologiquesdans les cellules et les <strong>org</strong>anismes,en produisant <strong>de</strong>petites molécules hautementspécifiques et fortementaffines – <strong>de</strong>s ligands ou« molécules-son<strong>de</strong>s » – pourchaque protéine exprimée.De telles interactionsdirectes entre petites moléculeset protéines (Figure 2)peuvent activer ou inactiver<strong>la</strong> protéine, et déclencherune réponse fonctionnelle(dite « phénotypique ») d’unecellule ou d’un <strong>org</strong>anismeentier, dévoi<strong>la</strong>nt ainsi <strong>la</strong> fonction<strong>de</strong> <strong>la</strong> protéine. Nul douteque cette discipline révéleraaussi <strong>de</strong> nouvelles cibles<strong>thérapeutique</strong>s.62


<strong>La</strong> <strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong>est un domaine <strong>de</strong>recherche qui al’objectif ambitieux<strong>de</strong> disséquer lesprocessus biologiquesdans les cellules et les<strong>org</strong>anismes.C’est aussi le rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> traditionnelle<strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong>que <strong>de</strong> produire <strong>de</strong>scandidats médicaments agissantsur <strong>de</strong>s cibles protéiques.En ce sens, <strong>la</strong> <strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong>peut être considéréecomme un sous-ensemble<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong>puisque, dans les <strong>de</strong>ux cas, onrecherche <strong>de</strong>s ligands sélectifs<strong>de</strong> protéines et que l’onutilise pour ce<strong>la</strong> <strong>de</strong>s approchesi<strong>de</strong>ntiques ou voisines.Mais nous verrons par <strong>la</strong> suiteque les candidats médicamentsdoivent satisfaire à plus<strong>de</strong> conditions que les petitesmolécules-son<strong>de</strong>s qui ontpour seul but <strong>de</strong> disséquer lesmécanismes biologiques.2Les approches <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong> et<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong>2.1. <strong>La</strong> génétique <strong>chimique</strong>directeUne première approcheappelée génétique <strong>chimique</strong>directe (« forward chemicalgenetics ») correspond enfait au crib<strong>la</strong>ge fonctionnel(« screening phénotypique »)qui a été abondammentpratiqué dans le passé pour<strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> nouveauxmédicaments. Si quelques-uns<strong>de</strong> ces crib<strong>la</strong>gesanciens se pratiquaient surcellules isolées, <strong>la</strong> plupartétaient réalisés in vivo chezl’animal, sur <strong>de</strong>s modèlescensés mimer <strong>de</strong>s pathologieshumaines. Ce<strong>la</strong> prenaitbeaucoup <strong>de</strong> temps, limitait lenombre <strong>de</strong> molécules testéeset nécessitait d’en synthétiser<strong>de</strong>s quantités appréciables.Néanmoins, <strong>de</strong> grands médicamentsont été découvertspar cette approche, et sontencore <strong>la</strong>rgement utilisésaujourd’hui.Dans <strong>la</strong> version mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong><strong>la</strong> génétique <strong>chimique</strong> directe,on procè<strong>de</strong> en trois étapes(Figure 3, à gauche) :1) Tests fonctionnels(crib<strong>la</strong>ge) : un grand nombre<strong>de</strong> molécules sont testées invitro sur <strong>de</strong>s cellules, ou, plusrarement sur <strong>de</strong> petits <strong>org</strong>anismesentiers (drosophile,némato<strong>de</strong> C. elegans, poissonzèbre).2) On sélectionne celles quiproduisent <strong>la</strong> réponse fonctionnellerecherchée, et, sinécessaire, on met en œuvreun programme <strong>chimique</strong> pourtransformer et optimiserles meilleures molécules(« leads »).3) Il reste ensuite à i<strong>de</strong>ntifier<strong>la</strong> (les) protéine(s)responsable(s) <strong>de</strong> ces effets.Si un dysfonctionnement<strong>de</strong> cette protéine peut êtreassocié à une ma<strong>la</strong>die, elle<strong>de</strong>vient une cible <strong>thérapeutique</strong>.Pour mettre en œuvre cetteapproche, il faut disposer <strong>de</strong>quatre technologies.1) En premier lieu, une« librairie <strong>chimique</strong> » ou« chimiothèque » contenantun grand nombre <strong>de</strong>molécules à tester. Les<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong> : <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong> à <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> nouveaux médicaments63


<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> et <strong>la</strong> santé64Figure 3Les principes <strong>de</strong> <strong>la</strong> génétique<strong>chimique</strong>.Figure 4Les chimiothèques ou « librairies<strong>chimique</strong>s », une collection <strong>de</strong>molécules pour réaliser lestests <strong>de</strong> crib<strong>la</strong>ge sur <strong>de</strong>s cibles<strong>thérapeutique</strong>s. On peut citer<strong>la</strong> chimiothèque nationale duCNRS dont <strong>la</strong> mission principaleest <strong>de</strong> fédérer les collections <strong>de</strong>produits <strong>de</strong> synthèse et d’extraits<strong>de</strong> substances naturelles existantdans les <strong>la</strong>boratoires publicsfrançais, et d’en promouvoir<strong>la</strong> valorisation scientifique etindustrielle.compagnies pharmaceutiquesont <strong>de</strong>s chimiothèques quidépassent souvent le million<strong>de</strong> composés, même si tousne sont pas criblés systématiquementsur tous les testspratiqués. Ces molécules,obtenues par synthèse ou parextraction <strong>de</strong> sources biologiquesdiverses (p<strong>la</strong>ntes, bactéries,<strong>org</strong>anismes terrestresou marins… voir le chapitre <strong>de</strong>F. Albericio, paragraphe 2.1),résultent généralement <strong>de</strong>sdifférents programmes <strong>de</strong>recherche conduits danschaque société sur unelongue pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> temps. Deschimiothèques importanteset <strong>de</strong> qualité sont aujourd’huicommercialisées, et doncgénéralement accessibles auxchercheurs du secteur public(Figure 4).2) Pour tester ces molécules, ilfaut disposer <strong>de</strong> tests phénotypiquesin vitro sur cellulesentières ou <strong>org</strong>anismes entiers.Ces tests doivent être automatisables,fiables, reproductibleset pertinents. Des automatesou <strong>de</strong>s robots (Figures 5 et 6)sont utilisés pour un crib<strong>la</strong>ge<strong>de</strong> haute ou très haute capacité.Certains robots sont capables<strong>de</strong> traiter une centaine<strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> molécules parjour ! Lorsque ces tests ontpour but <strong>de</strong> détecter <strong>de</strong>s candidatsmédicaments, ils doiventêtre pertinents, c’est-à-diremimer un effet biologique quel’on souhaite modifier dans<strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die visée. Un systèmeinformatique puissant estnécessaire pour stocker etanalyser <strong>la</strong> masse <strong>de</strong> résultatsgénérés.3) Un groupe <strong>de</strong> chimistesest également nécessairepour optimiser les meilleuresmolécules, les « leads »,issues du crib<strong>la</strong>ge. Il est eneffet très rare <strong>de</strong> trouver


directement <strong>la</strong> molécule optimaledans <strong>la</strong> chimiothèquetestée, en particulier lorsqu’onrecherche un candidatmédicament. On procè<strong>de</strong>alors à diverses variationsstructurales par synthèse<strong>chimique</strong>, pour améliorerles propriétés attendues <strong>de</strong>s« leads ».4) Enfin, et ce n’est pas <strong>la</strong>tâche <strong>la</strong> plus facile, il fautdisposer d’une panoplie <strong>de</strong>techniques pour i<strong>de</strong>ntifieraussi rapi<strong>de</strong>ment que possible<strong>la</strong> (ou les) cible(s) biologique(s)responsable(s) <strong>de</strong>s effetsproduits par les moléculesfinalement sélectionnées. Onpeut distinguer <strong>de</strong>ux typesd’approches – biologiques etgénomiques – mais elles neseront pas détaillées ici.Illustrons l’approche bio<strong>chimique</strong>par un exemple dansle domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> rechercheanticancéreuse. Suite à uncrib<strong>la</strong>ge phénotypique <strong>de</strong>petites molécules sur unpanel <strong>de</strong> dix types <strong>de</strong> cellulestumorales, l’une d’entre elles,le SSR 250411, a déclenché<strong>la</strong> mort par apoptose (mortcellu<strong>la</strong>ire programmée) <strong>de</strong> <strong>la</strong>majorité <strong>de</strong> ces cellules. Par<strong>de</strong>s techniques faisant intervenirnotamment <strong>la</strong> photoaffinité,<strong>la</strong> chromatographie et<strong>la</strong> spectrométrie <strong>de</strong> masse,il a été montré que ces effetsétaient dus à <strong>la</strong> liaison <strong>de</strong> cettemolécule sur <strong>de</strong>ux protéines– l’α-tubuline et <strong>la</strong> kinésinemitotique CENP-E – qui jouentun rôle essentiel dans <strong>la</strong> divisioncellu<strong>la</strong>ire. Ces protéinessont dès lors considéréescomme <strong>de</strong>s cibles <strong>thérapeutique</strong>spour <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong>nouveaux médicaments. Si <strong>la</strong>sous-unité β <strong>de</strong> <strong>la</strong> tubulineétait déjà reconnue commecible <strong>de</strong> divers anticancéreuxdont le Taxol ® et le Taxotère ®(taxanes, voir le chapitre <strong>de</strong>F. Albericio, paragraphe 2.1.1),<strong>la</strong> sous-unité α n’a pas étéjusqu’ici exploitée. De même,aucun antitumoral commercialisén’affecte <strong>la</strong> protéineCENP-E.En résumé, un crib<strong>la</strong>gephénotypique nous a permis<strong>de</strong> sélectionner une moléculeantitumorale agissant par unmécanisme d’action originalen se fixant simultanémentsur <strong>de</strong>ux cibles protéiquesnouvelles. Ce produit s’estrévélé particulièrement intéressantpour traiter <strong>de</strong>scancers résistants aux taxanessur <strong>de</strong>s modèles animaux.En fait, c’est une moléculeanalogue, plus puissante,avec <strong>de</strong> meilleures propriétéspharmacocinétiques, mais unmême mécanisme d’action,qui a été sélectionnée pour undéveloppement clinique (voir<strong>la</strong> Figure 11).Lorsqu’une cible originale aété ainsi découverte grâceà une molécule issue d’unFigure 5Les compagnies pharmaceutiquessont armées <strong>de</strong> robots <strong>de</strong> plusen plus performants permettant<strong>de</strong> tester en quelques joursleurs chimiothèques qui peuventdépasser le million <strong>de</strong> molécules.Celles-ci sont obtenues parsynthèse ou par extraction <strong>de</strong>milieux naturels. Par ailleurs,plusieurs millions <strong>de</strong> moléculessont aujourd’hui commercialementdisponibles.Figure 6Robot pour le crib<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>molécules.<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong> : <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong> à <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> nouveaux médicaments65


<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> et <strong>la</strong> santé66crib<strong>la</strong>ge phénotypique, il peutêtre intéressant <strong>de</strong> poursuivre<strong>la</strong> recherche d’analoguesplus puissants à travers uncrib<strong>la</strong>ge direct sur cette cible,comme nous allons le décrireci-après.2.2. <strong>La</strong> génétique <strong>chimique</strong>inverseLe principal objectif dans<strong>la</strong> majorité <strong>de</strong>s <strong>la</strong>boratoiresreste aujourd’hui <strong>la</strong>recherche <strong>de</strong> molécules ayantune forte affinité pour <strong>de</strong>scibles protéiques présélectionnées,afin d’en modifieret d’en révéler leurs fonctions,lorsque celles-ci sontinconnues ou mal connues(<strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong>), ou <strong>de</strong>détecter <strong>de</strong>s candidats médicamentslorsque les connaissancesdéjà acquises sur cesprotéines <strong>la</strong>issent soupçonnerleur implication dans <strong>de</strong>sma<strong>la</strong>dies (<strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong>).Cette approche correspondà ce qui est appelé <strong>la</strong>génétique <strong>chimique</strong> inverse(« reverse chemical genetics »)(Figure 3, à droite).Ici encore, plusieurs technologiessont nécessaires :1) Une librairie <strong>chimique</strong>, quipeut être <strong>la</strong> même que celle<strong>de</strong> l’approche précé<strong>de</strong>nte, estindispensable.2) Des tests <strong>de</strong> crib<strong>la</strong>ge doiventévaluer l’affinité <strong>de</strong>s moléculessur <strong>la</strong> protéine présélectionnée.Il en existe plusieurstypes mais le plus pratiquéest le crib<strong>la</strong>ge bio<strong>chimique</strong>qui mesure une réponsebiologique donnée. On peutaussi réaliser un crib<strong>la</strong>gebiophysique basé sur unemesure physico-<strong>chimique</strong> <strong>de</strong>sinteractions entre <strong>la</strong> moléculeet <strong>la</strong> protéine cible. Enfin, lescrib<strong>la</strong>ges virtuels utilisent<strong>la</strong> modélisation molécu<strong>la</strong>ireassistée par ordinateur (voirle chapitre <strong>de</strong> F. Dar<strong>de</strong>l). Il enexiste différents types, maisdès lors que l’on dispose <strong>de</strong> <strong>la</strong>structure tridimentionnelle <strong>de</strong><strong>la</strong> protéine cible – déterminéepar étu<strong>de</strong> cristallographiqueaux rayons X, ou en solutionpar résonance magnétiquenucléaire (RMN) –, <strong>la</strong> métho<strong>de</strong><strong>de</strong> choix consiste à analyser <strong>la</strong>complémentarité structuraled’un grand nombre <strong>de</strong> moléculespour un site particulier<strong>de</strong> <strong>la</strong> protéine cible (c’estle « docking »). Les ligandsainsi sélectionnés doiventêtre ensuite hiérarchisés sur<strong>la</strong> base <strong>de</strong> <strong>la</strong> force estimée<strong>de</strong> leurs interactions avec<strong>la</strong> cible (c’est le « scoring »)(Figure 7). Il existe plusieurslogiciels <strong>de</strong> docking et scoringet, en général, on en utiliseplusieurs simultanément. Onpeut ainsi tester virtuellement<strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> moléculesdont celles présentesdans nos librairies, cellescommercialisées dont on nedispose pas encore, et même<strong>de</strong>s molécules qui n’ontencore jamais été produitesmais dont <strong>la</strong> synthèse paraîtréalisable ! Ces crib<strong>la</strong>gesvirtuels sont séduisants maisencore très approximatifset ne doivent être utilisésqu’en parallèle <strong>de</strong>s autresmétho<strong>de</strong>s. Ici encore, il faut<strong>de</strong>s puissants ordinateurspour gérer tous ces résultatset calculs.3) Comme dans l’approcheprécé<strong>de</strong>nte, il faut <strong>de</strong>schimistes pour optimiserles « leads » résultant ducrib<strong>la</strong>ge.4) Si <strong>la</strong> cible est ici connue dèsle départ, il faudra mettre en


p<strong>la</strong>ce différents tests complémentairesin vitro et in vivopour voir et comprendre leseffets biologiques déclenchéspar <strong>la</strong> fixation d’un bon ligandsur cette cible, c’est-à-direpour découvrir ou approfondirsa fonction.Tous ces crib<strong>la</strong>ges sur ciblesprotéiques présélectionnéesont conduit à <strong>de</strong> nombreuxligands puissants et sélectifsqui ont constitué un apportfondamental à <strong>la</strong> connaissance<strong>de</strong> <strong>la</strong> fonction <strong>de</strong> cesprotéines. Une minorité <strong>de</strong>ces ligands présentent lespropriétés requises pour être<strong>de</strong>s candidats médicaments etsont testés chaque année chez<strong>de</strong>s patients. Hé<strong>la</strong>s, beaucoupd’entre eux ne présentent pasle rapport bénéfice/risqueescompté et sont abandonnés.Seul un petit nombre <strong>de</strong> cesligands <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s avancées<strong>thérapeutique</strong>s. C’est leprix à payer pour <strong>la</strong> recherche<strong>de</strong> médicaments innovants,<strong>de</strong>s « first-in-c<strong>la</strong>ss » !Mais ces échecs <strong>thérapeutique</strong>srestent un succès scientifiquedans <strong>la</strong> mesure où cesmolécules servent d’outils« chirurgicaux » pour éluci<strong>de</strong>r<strong>la</strong> fonction <strong>de</strong>s protéines qu’ilsaffectent.3Les approchesrationnellesÀ côté <strong>de</strong>s crib<strong>la</strong>ges phénotypiquesou sur cibles bio<strong>chimique</strong>sprésélectionnées, quisont par définition aléatoires,<strong>de</strong>s approches plus rationnellespeuvent aussi être utiliséespour produire <strong>de</strong>s outilspharmacologiques ou <strong>de</strong>scandidats médicaments. Ce<strong>la</strong>signifie que, sur <strong>la</strong> base <strong>de</strong>connaissances scientifiquesexistantes, on peut concevoirà l’avance <strong>de</strong>s moléculesqui ont <strong>de</strong> bonnes chancesd’atteindre <strong>la</strong> cible visée. Àl’inverse, <strong>la</strong> structure <strong>de</strong>smolécules issues <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxtypes <strong>de</strong> crib<strong>la</strong>ge évoquésplus haut est généralementinattendue.Les approches rationnellessont très variées et nousprésentons ci-après troisexemples qui utilisent tous <strong>de</strong>smolécules bifonctionnelles,constituées <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux partiesopérationnelles M1 et M2,liées entre elles par un brasappelé espaceur (« linker »).3.1. Le Mylotarg ® , contre lesleucémies myéloï<strong>de</strong>s aiguësLe premier exemple concernele Mylotarg ® , une moléculeFigure 7Le crib<strong>la</strong>ge virtuel permet <strong>de</strong>tester <strong>de</strong> très grands nombres<strong>de</strong> molécules existantes dans leschimiothèques ou le commerceou non encore existantes. Pourl’instant, cet outil est surtoututilisé en appui <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>sexpérimentales <strong>de</strong> crib<strong>la</strong>gebio<strong>chimique</strong>s ou biophysiquespour trouver <strong>de</strong>s molécules seliant spécifiquement aux ciblesprotéiques. <strong>La</strong> modélisationmolécu<strong>la</strong>ire permet aussi d’affiner<strong>la</strong> structure <strong>de</strong> molécules activessélectionnées par crib<strong>la</strong>geexpérimental.<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong> : <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong> à <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> nouveaux médicaments67


<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> et <strong>la</strong> santé68développée par les <strong>la</strong>boratoiresWyeth, qui constitueune thérapie très ciblée <strong>de</strong>sleucémies myéloï<strong>de</strong>s aiguës.Ce médicament est constitué<strong>de</strong> plusieurs molécules d’uncytotoxique 1 très puissantaccrochées par l’intermédiaired’un espaceur à un anticorpsmonoclonal qui va reconnaîtreet se lier fortement à un antigènespécifique <strong>de</strong>s cellulesleucémiques. Ce complexeva ensuite pénétrer dans <strong>la</strong>cellule, <strong>de</strong>s liaisons faibles <strong>de</strong>l’espaceur vont être rompues,et le cytotoxique ainsi libéré àl’intérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> cellule va <strong>la</strong>tuer (Encart « Les moléculesbifonctionnelles : <strong>de</strong>s médicamentsintelligents »).3.2. L’idrabiotaparinux ®Le <strong>de</strong>uxième exemple correspondà un concept unique en<strong>thérapeutique</strong> humaine pourstopper très rapi<strong>de</strong>ment l’actiond’un médicament dansl’<strong>org</strong>anisme en cas <strong>de</strong> besoin.Le médicament en questionest un anticoagu<strong>la</strong>nt et unantithrombotique (empêche<strong>la</strong> formation <strong>de</strong> caillots dansles vaisseaux sanguins), dontl’histoire est racontée dansl’encart « Les moléculesbifonctionnelles : <strong>de</strong>s médicamentsintelligents ». <strong>La</strong>partie active <strong>de</strong> <strong>la</strong> moléculeest un pentasacchari<strong>de</strong> <strong>de</strong>synthèse (idraparinux), quimime le plus petit fragment<strong>de</strong> l’héparine encore pourvu<strong>de</strong> propriétés anticoagu<strong>la</strong>nteset antithrombotiques.À un endroit judicieusementchoisi <strong>de</strong> ce pentasacchari<strong>de</strong>est attachée une molécule <strong>de</strong>biotine (vitamine H ou B8) par1. Cytotoxique : qui tue lescellules.l’intermédiaire d’un espaceurqui est ici stable dans l’<strong>org</strong>anisme.Ce montage permet <strong>de</strong>conserver toutes lespropriétés pharmacodynamiqueset pharmacocinétiques<strong>de</strong> <strong>la</strong> partie pentasacchari<strong>de</strong>,et <strong>de</strong> supprimer presqueinstantanément ces effets, encas d’hémorragie, en injectant<strong>de</strong> l’avidine (une protéineextraite <strong>de</strong> l’œuf <strong>de</strong> poule) quia <strong>la</strong> propriété <strong>de</strong> se lier trèsfortement à <strong>la</strong> partie biotineprovoquant une éliminationtrès rapi<strong>de</strong> du complexe ainsiformé (Figure 9).3.3. Le SAR 106881 ®Le troisième exemple <strong>de</strong>recherche rationnelle <strong>de</strong>molécules se fixant sélectivementà une cible pourraits’intituler « comment obtenir<strong>de</strong>s agonistes à partir d’antagonistes».Les FGF (Fibrob<strong>la</strong>st GrowthFactors) sont une famille<strong>de</strong> vingt-<strong>de</strong>ux protéines quiagissent dans l’<strong>org</strong>anismepar fixation sur quatre types<strong>de</strong> récepteurs. Cette fixationprovoque <strong>la</strong> dimérisation etl’activation <strong>de</strong> ces récepteursproduisant divers effetspossibles selon les FGF et<strong>la</strong> localisation <strong>de</strong>s cellulesréceptrices. Un effet bienconnu est <strong>la</strong> stimu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong><strong>la</strong> prolifération <strong>de</strong>s cellulesendothéliales, cellules quitapissent <strong>la</strong> paroi intérieure<strong>de</strong>s vaisseaux sanguins etqui jouent un rôle clé dans <strong>la</strong>formation <strong>de</strong> néovaisseaux(angiogenèse).À <strong>la</strong> suite d’un crib<strong>la</strong>ge surrécepteur isolé et <strong>de</strong> l’optimisation<strong>chimique</strong> <strong>de</strong>s « leads »détectés, il avait été montré


LES MOLÉCULES BIFONCTIONNELLES : DES MÉDICAMENTS INTELLIGENTSLe Mylotarg ® , contre les leucémies myéloï<strong>de</strong>s aiguësDans les leucémies myéloï<strong>de</strong>s aiguës, les cellules tumorales expriment à leur surface uneprotéine particulière : le CD33. Celle-ci peut être indirectement une cible <strong>de</strong> médicament.Comment ? Les chercheurs ont conçu une molécule bifonctionnelle, le Mylotarg ® , qui estconstitué d’un anticorps anti-CD33 lié à plusieurs molécules d’un puissant cytotoxique,<strong>la</strong> calichéamicine, par l’intermédiaire d’un espaceur comportant <strong>de</strong>ux liaisons covalentesfaibles (Figure 8). Lorsque l’on injecte ce médicament dans le corps d’un patient, il va sefixer sélectivement sur les cellules tumorales, grâce à l’établissement d’une liaison entrel’anticorps anti-CD33 et le CD33 (« reconnaissance »). Après internalisation dans <strong>la</strong> cellule,les liaisons faibles qui liaient <strong>la</strong> calichéamicine à l’anticorps sont rompues dans <strong>de</strong>scompartiments aci<strong>de</strong>s (lysosomes), et ce toxique ainsi libéré va tuer les cellules tumoralesaprès fixation sur le petit sillon <strong>de</strong> leur ADN.Plusieurs autres molécules bifonctionnelles, conçues sur ce principe <strong>de</strong> « charger » unanticorps, sont en développement aujourd’hui.<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong> : <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong> à <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> nouveaux médicamentsFigure 8Le Mylotarg ® , médicament bifonctionnel, est constitué d’un anticorps anti-CD33 (en rouge), lié par unbras, appelé « espaceur » à un dérivé <strong>de</strong> <strong>la</strong> calichéamicine (en violet). <strong>La</strong> calichéamicine est produite parfermentation d’un micro<strong>org</strong>anisme, le Micromonospora echinospora.L’idrabiotaparinux ® , contre les thrombosesRappelons que l’héparine est un mé<strong>la</strong>nge complexe <strong>de</strong> polysacchari<strong>de</strong>s sulfatés, extraitd’intestins <strong>de</strong> porcs ou <strong>de</strong> poumons <strong>de</strong> bœufs, et ayant une activité anti-thrombotique : c’estun anticoagu<strong>la</strong>nt qui empêche <strong>la</strong> formation <strong>de</strong> caillots dans les vaisseaux sanguins. Dansles années 1980, l’industrie pharmaceutique française a réussi à isoler et à synthétiser leplus petit fragment <strong>de</strong> l’héparine encore pourvu d’une activité anti-thrombotique. C’est unpentasacchari<strong>de</strong> dont <strong>la</strong> synthèse en une soixantaine d’étapes a constitué un exploit industrie<strong>la</strong>yant permis <strong>la</strong> commercialisation d’un médicament.69


<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> et <strong>la</strong> santéPar <strong>la</strong> suite, une autre molécule <strong>de</strong> structure simi<strong>la</strong>ire (un « analogue synthétique »),l’idraparinux, a été créée par les chimistes et présente une activité encore plus puissante,avec une durée <strong>de</strong> vie plus longue (une centaine d’heures chez l’homme, ce qui permet uneseule administration par semaine par voie sous-cutanée). Mais tout anticoagu<strong>la</strong>nt comporteun risque hémorragique et même si l’idraparinux semb<strong>la</strong>it moins hémorragipare quel’héparine standard dans <strong>de</strong>s modèles animaux, <strong>la</strong> sécurité d’emploi d’un tel produit avecune si longue durée d’action et sans antidote connu était préoccupante. Les chercheursont alors trouvé une astuce : par l’intermédiaire d’un espaceur stable, ils ont fixé <strong>la</strong> biotine,molécule connue pour se lier très fortement à l’avidine – à un endroit judicieusement choisi<strong>de</strong> l’idraparinux. Ils ont ainsi obtenu une molécule bifonctionnelle, l’idrabiotaparinux ® , qui aconservé les propriétés pharmacodynamiques et pharmacocinétiques du produit parent. Unefois injectée dans l’<strong>org</strong>anisme, <strong>la</strong> partie idraparinux va se lier à sa cible protéique (ATIII) pourexercer son activité anticoagu<strong>la</strong>nte habituelle. Mais si l’on veut éliminer ce médicament <strong>de</strong>l’<strong>org</strong>anisme (en raison d’une hémorragie), il suffira d’injecter au patient <strong>de</strong> l’avidine, qui vase lier fortement à <strong>la</strong> biotine et entraîner l’élimination rapi<strong>de</strong> du complexe formé. En effet,l’avidine est une molécule qui s’élimine en seulement quelques minutes (Figure 9).De bons résultats ont été obtenus avec l’idrabiotaparinux ® par voie sous-cutanée chezl’homme : il a présenté une activité anticoagu<strong>la</strong>nte maximale au bout <strong>de</strong> quatre heures etl’injection intraveineuse d’avidine à ce moment-là a provoqué une disparition quasi immédiate<strong>de</strong> l’effet anticoagu<strong>la</strong>nt.Figure 970L’idrabiotaparinux ® est une molécule bifonctionnelle constituée d’une biotine couplée à l’idraparinux. <strong>La</strong>partie idraparinux se lie fortement à sa cible <strong>thérapeutique</strong>, l’antithrombine III (ATIII), dont elle va catalyser<strong>la</strong> fonction naturelle d’anticoagu<strong>la</strong>nt en stimu<strong>la</strong>nt sa fixation neutralisante sur le facteur <strong>de</strong> coagu<strong>la</strong>tion Xa.En cas d’hémorragie, on peut forcer l’élimination du médicament en injectant <strong>de</strong> l’avidine qui va se lierfortement à <strong>la</strong> biotine et permettre l’élimination rapi<strong>de</strong> du complexe par les voies naturelles.


qu’une petite molécule, leSSR128129, était capabled’antagoniser les effets <strong>de</strong>sFGF en empêchant compétitivementleur liaison sur <strong>la</strong>partie extracellu<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> leurrécepteur. Ce produit présentait,comme attendu, <strong>de</strong> puissantseffets antiangiogèneset antitumoraux dans diversmodèles in vitro et in vivo chezl’animal.Il a été ensuite imaginé qu’endimérisant cette molécule ou<strong>de</strong>s analogues proches (M)à l’ai<strong>de</strong> d’un espaceur stable<strong>de</strong> longueur appropriée (M-L-M), on pourrait provoquerle rapprochement, <strong>la</strong> dimérisationet l’activation <strong>de</strong>srécepteurs à l’instar <strong>de</strong>s FGFnaturels.Ce concept a été vérifiépuisqu’une telle molécule,le SAR106881 ® , est entréerécemment en développementpréclinique après avoir montréqu’elle stimu<strong>la</strong>it effectivementl’angiogenèse dans diversmodèles <strong>la</strong>issant espérer unintérêt <strong>thérapeutique</strong> pourrevascu<strong>la</strong>riser <strong>de</strong>s territoiresischémiés (infarctus dumyocar<strong>de</strong>, artérite…).4<strong>La</strong> <strong>biologie</strong><strong>chimique</strong> et <strong>la</strong><strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong> :<strong>de</strong>s finalités et <strong>de</strong>scontraintes différentesBien qu’en utilisant <strong>de</strong>s techniqueset <strong>de</strong>s approches trèsvoisines, <strong>la</strong> <strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong>et <strong>la</strong> <strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong>ont <strong>de</strong>s finalités différentes.Comme ce<strong>la</strong> a déjà étésouligné, <strong>la</strong> <strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong>a pour objectif <strong>de</strong> produire<strong>de</strong>s petites molécules trèsaffines et très sélectives pourun maximum <strong>de</strong> protéineshumaines afin d’ai<strong>de</strong>r, àcôté d’autres approches, àcomprendre leur fonction.<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong> aquant à elle pour mission <strong>de</strong>découvrir <strong>de</strong>s médicamentsdont <strong>la</strong> plupart sont aussi <strong>de</strong>spetites molécules se liant à<strong>de</strong>s protéines. Mais on ne s’intéresseici qu’aux protéinespotentiellement impliquéesdans <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong>dies, ce quireprésente un nombre trèslimité par rapport à toutescelles du protéome. Selonles estimations, il n’y auraitqu’un nombre limité <strong>de</strong> cibles<strong>thérapeutique</strong>s (<strong>de</strong> quelquescentaines à moins <strong>de</strong> 2 000),dont environ 300 auraient étéexploitées par les médicamentsexistants. Par ailleurs,<strong>la</strong> fonction <strong>de</strong> ces protéinesest en général assez bienconnue lorsqu’elles sont choisiescomme cibles <strong>thérapeutique</strong>s.Une autre différence notableest que les exigences <strong>de</strong>sélectivité d’une moléculepour sa cible sont généralementmoindres en <strong>chimie</strong><strong>thérapeutique</strong>. Le mé<strong>de</strong>cin etle patient sont plus concernéspar le rapport bénéfice/risqueque par <strong>la</strong> sélectivité, et beaucoup<strong>de</strong> médicaments doiventen fait leur intérêt à leurseffets simultanés sur <strong>de</strong>scibles multiples. <strong>La</strong> « polypharmacologie» n’est passystématiquement liée à <strong>de</strong>seffets indésirables.Par ailleurs, un médicamentdoit satisfaire à touteune série <strong>de</strong> contraintesauxquelles peuvent échapperles molécules produites dansune seule perspective <strong>biologie</strong><strong>chimique</strong>. Dès le débutd’un projet <strong>de</strong> recherche,<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong> : <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong> à <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> nouveaux médicaments71


<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> et <strong>la</strong> santéle chimiste thérapeute doitprendre en compte plusieurscritères pour synthétiser<strong>de</strong>s molécules actives parmilesquelles seront sélectionnésun ou <strong>de</strong>ux candidats en développementpréclinique (Encart« De <strong>la</strong> molécule au médicament: un chemin parseméd’embûches », Figure 10).Un tel candidat doit être lemeilleur compromis entretous les critères <strong>de</strong> sélectionexigés et n’est pas forcément<strong>la</strong> molécule <strong>la</strong> plus active <strong>de</strong><strong>la</strong> série.<strong>La</strong> route sera ensuite longue,périlleuse et coûteuse avantque le produit ne <strong>de</strong>vienneun médicament commercialisé.Les abandons serontnombreux puisque, enmoyenne, sur trente candidatsentrant en développementpréclinique, seulementdix parviendront au sta<strong>de</strong><strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s cliniques, et unseul <strong>de</strong>viendra finalement unmédicament agréé par lesautorités <strong>de</strong> santé (Encart « De<strong>la</strong> molécule au médicament :un chemin parsemé d’embûches», Figure 11 et le chapitre<strong>de</strong> F. Albericio, Figure 2).Encore plus <strong>de</strong> <strong>chimie</strong> au service<strong>de</strong>s Sciences <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie72Il est hors <strong>de</strong> doute que <strong>la</strong> Biologie <strong>chimique</strong>et <strong>la</strong> Chimie <strong>thérapeutique</strong> s’intègrent dansles Sciences <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie et constituent un apportconsidérable dans <strong>la</strong> compréhension <strong>de</strong> <strong>la</strong>fonction <strong>de</strong>s protéines.Dès lors qu’une petite molécule se liesélectivement à une protéine et en modifie <strong>la</strong>(les) fonction(s), on est renseigné sur le rôle <strong>de</strong>cette protéine dans les processus biologiquesqui <strong>la</strong> mettent en œuvre, in vitro et in vivo.Une telle approche présente <strong>de</strong>s avantagesindéniables, dans les étu<strong>de</strong>s in vivo, par rapportà l’invalidation <strong>de</strong> gènes dans les c<strong>la</strong>ssiquessouris KO. Les petites molécules permettentpar exemple :– d’éviter les problèmes <strong>de</strong> létalitésembryonnaires et <strong>de</strong> mécanisme <strong>de</strong>compensation fréquemment observés dans lessouris KO ;– <strong>de</strong> s’affranchir <strong>de</strong>s longs dé<strong>la</strong>is <strong>de</strong> constructionet <strong>de</strong> mise à disposition <strong>de</strong> ces souris ;


DE LA MOLÉCULE AU MÉDICAMENT : UN CHEMIN PARSEMÉ D’EMBÛCHES<strong>La</strong> Figure 10 présente quelques-unes <strong>de</strong>s fourches caudines auxquelles doivent êtresoumises les molécules synthétisées par le chimiste thérapeute, avant même leur passageen développement préclinique. Elles doivent être brevetables, industrialisables, possé<strong>de</strong>r<strong>de</strong> bonnes propriétés physico-<strong>chimique</strong>s (état cristallin, solubilité, stabilité…), être bienabsorbées après administration orale, correctement distribuées dans l’<strong>org</strong>anisme, ni trop, nitrop peu transformées par voie métabolique. Elles ne <strong>de</strong>vraient pas générer <strong>de</strong> métabolitestoxiques, ni être sources d’interactions médicamenteuses néfastes ; <strong>la</strong> vitesse d’éliminationet <strong>la</strong> durée d’action pharmacologique <strong>de</strong> ces molécules doivent être appropriées à leur futureutilisation clinique. Enfin, elles doivent être dépourvues d’effets toxiques (cardiovascu<strong>la</strong>ires,hépatiques, mutagènes, tératogènes…), appréciées à travers <strong>de</strong>s tests préliminaires, in vitropour <strong>la</strong> plupart, qui seront complétés par <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s toxicologiques plus lour<strong>de</strong>s lors dudéveloppement préclinique (Figure 11). Ces nombreux paramètres sont tous à prendre encompte : l’optimisation simultanée <strong>de</strong> plusieurs d’entre eux est un véritable casse-tête pourle chimiste thérapeute, mais c’est le prix à payer pour réduire autant que possible le nombred’échecs et d’abandons après <strong>la</strong> mise en développement. Malgré toutes ces précautions, leschances <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir un médicament restent faibles.<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong> : <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong> à <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> nouveaux médicamentsFigure 10De <strong>la</strong> molécule au médicament : un ensemble <strong>de</strong> paramètres à optimiser.73


<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> et <strong>la</strong> santéFigure 11De <strong>la</strong> cible <strong>thérapeutique</strong> au médicament : un long parcours.74– <strong>de</strong> moduler seulement un aspect fonctionneld’une protéine en préservant les autres ;– d’agir au moment choisi, directement chez unanimal adulte.Certes, les petites molécules présentent uninconvénient fréquent qui est un manque <strong>de</strong>spécificité. Ce<strong>la</strong> est gênant dans l’optique<strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong> mais peut être bénéfiquedans une perspective <strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong>si cette « poly pharmacologie » est finalementresponsable <strong>de</strong> l’efficacité d’un médicament.En fait, il paraît crucial <strong>de</strong> combiner à <strong>la</strong> fois<strong>de</strong>s approches génétiques, bio<strong>chimique</strong>s et<strong>chimique</strong>s pour éluci<strong>de</strong>r <strong>la</strong> fonction <strong>de</strong>s protéineset i<strong>de</strong>ntifier et vali<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s cibles <strong>thérapeutique</strong>s.Pour rechercher ces petites molécules-son<strong>de</strong>sou candidats médicaments, il paraît important<strong>de</strong> « ne pas mettre tous ses œufs dans le même


panier » en se limitant au crib<strong>la</strong>ge favori surcible protéique i<strong>de</strong>ntifiée (génétique <strong>chimique</strong>inverse). Le crib<strong>la</strong>ge phénotypique (génétique<strong>chimique</strong> directe) et <strong>la</strong> <strong>chimie</strong> rationnelle sont<strong>de</strong>s approches complémentaires majeures.Cette <strong>chimie</strong> au service <strong>de</strong>s sciences du vivant<strong>de</strong>vrait se développer fortement pour plusieursraisons :– Tout d’abord <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> conscience par <strong>la</strong>communauté scientifique et les autorités que<strong>la</strong> <strong>chimie</strong> est une discipline précieuse pour <strong>la</strong>connaissance <strong>de</strong>s mécanismes biologiques et<strong>la</strong> mise au point <strong>de</strong> nouveaux médicaments,même si une nouvelle vague médiatique remetles biomédicaments (biotherapeutics) loin<strong>de</strong>vant les petites molécules <strong>de</strong> synthèse (voirle chapitre <strong>de</strong> B. Meunier, paragraphe 1.2.4). Parexemple aux États-Unis, le National Instituteof Health (NIH) a créé le Molecu<strong>la</strong>r LibrariesScreening Center Network (MLSCN) qui est unconsortium <strong>de</strong> dix centres ayant chacun uneexpertise dans <strong>la</strong> mise au point <strong>de</strong> tests, dansles crib<strong>la</strong>ges haute capacité (HTS), dans <strong>la</strong><strong>chimie</strong> et l’informatique. L’objectif du MLSCNest c<strong>la</strong>irement <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s son<strong>de</strong>s<strong>chimique</strong>s sélectives pour éluci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> nouveauxmécanismes bio<strong>chimique</strong>s.– Des chimiothèques <strong>de</strong> qualité et <strong>de</strong>s automates<strong>de</strong> crib<strong>la</strong>ge performants à <strong>de</strong>s prix abordablessont récemment apparus sur le marché. Deplus en plus d’équipes <strong>de</strong> recherche du secteurpublic peuvent ainsi acquérir ces technologieset se livrer à <strong>de</strong>s activités autrefois réservéesaux compagnies pharmaceutiques.– Des bases <strong>de</strong> données publiques et accessiblesà tous (par exemple Pubchem, Connectivity Map,Drugbank, Chembank…) se sont développées,principalement aux États-Unis et au Canadapour mettre en commun l’énorme massed’information sur <strong>la</strong> structure et l’activité <strong>de</strong>s<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> <strong>thérapeutique</strong> : <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>biologie</strong> <strong>chimique</strong> à <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> nouveaux médicaments75


<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> et <strong>la</strong> santépetites molécules et stimuler <strong>de</strong> nouvellesrecherches.Bien loin <strong>de</strong> décliner, <strong>la</strong> Biologie <strong>chimique</strong>, auservice <strong>de</strong> <strong>la</strong> connaissance scientifique, et <strong>la</strong>Chimie <strong>thérapeutique</strong>, au service <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé,se fertiliseront mutuellement en aidant àmieux comprendre <strong>la</strong> <strong>chimie</strong> du vivant et sesdérèglements.76


<strong>La</strong> <strong>chimie</strong> et <strong>la</strong> santéCréditsphotographiques– Fig. 2 et 3 : Protéine : CNRSPhotothèque/MussacchioA., UPS 2682 – Moléculeset cibles <strong>thérapeutique</strong>s– Roscoff Ce<strong>de</strong>x.– Fig. 3 et 4 : Chimiothèque :CNRS Photothèque/Robin<strong>La</strong>urent, UMR 6005 – Institut<strong>de</strong> Chimie Organique etAnalytique (ICOA) – Orléans.– Fig. 6 : CNRS Photothèque/Perrin Emmanuel, UMR 3145– Modélisation et ingénierie<strong>de</strong>s systèmes complexespour le diagnostic – Montpellier.– Fig. 11 : « Synthèse parallèle» : CNRS Photothèque/Schmitt Sophie, UPS 2682– Molécules et cibles <strong>thérapeutique</strong>s– Roscoff Ce<strong>de</strong>x ;« Galénique » : CNRS Photothèque/Sagascience/Cail<strong>la</strong>ud François, UMR 8612– Physico-Chimie, Pharmacotechnie,Biopharmacie– Châtenay-Ma<strong>la</strong>bry.

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