Reprenant à Bally (1934/1965 : 36-38) l'<strong>analyse</strong> de l'actualisation phrastique commeapplication d'un mo<strong>du</strong>s à un dictum <strong>et</strong> la distinction entre suj<strong>et</strong> modal <strong>et</strong> suj<strong>et</strong> parlant (que jenommerai respectivement énonciateur <strong>et</strong> locuteur), je dirai que l'énonciateur (E 1 ) modalisepar l'assertion le dictum — le transformant de ce fait en un énoncé actualisé (E) — pourl'énonciataire (E2).La spectacularisation peut être de second degré, c'est-à-dire dialogique : la modalisation deE 1 s'applique à un dictum présenté comme ayant déjà statut d'énoncé (soit e), c'est-à-direcomme ayant fait l'obj<strong>et</strong> d'une modalisation par un autre énonciateur, que je désigne par e1 :(1a) l'opposition prétend que les manifestants posent <strong>des</strong> questions sans apporter deréponses 1 .L'énonciateur E1 attribue l'assertion [les manifestants posent <strong>des</strong> questions sans apporter deréponses.] à un énonciateur e1 (explicité comme l'opposition) <strong>et</strong> se charge de m<strong>et</strong>tre en doutesa valeur de vérité par le verbe prétendre.Le dialogisme est donc conçu comme un spectacle de spectacle, qui fonctionne sur undédoublement énonciatif, à savoir— qu'il convient de distinguer deux énoncés (E <strong>et</strong> e), deux énonciateurs (E1 <strong>et</strong> e1), deuxénonciataires (E2 <strong>et</strong> e2) <strong>et</strong>, au-delà, deux systèmes de coordonnées spatio-temporelles ;— que ces différents éléments, dans le <strong>discours</strong> réalisé, fonctionnent hiérarchiquement (cequ'essaie de noter la différence de caractères typographiques). E domine syntaxiquement e(enchâssement E(e)), comme E1 domine énonciativement e1 (E1(e1))— que E1 réfère à l'instance <strong>du</strong> suj<strong>et</strong>, qui lorsqu'elle est explicitée, se réaliselinguistiquement comme 1 re personne, alors que e1 peut référer à E1 (explicitationlinguistique sous forme de 1 re personne, autodialogisme), à l'énonciataire E2 (explicitationlinguistique sous forme de 2 e personne, cas de dialogisme interpersonnel), ou à un tiers(explicitation linguistique sous forme de non-personne, cas de dialogisme interdiscursif) 2 . Dela sorte, E1 <strong>et</strong> e1 peuvent être co-référentiels [E1 = e1] (<strong>discours</strong> rapporté en 1 re personne, parex.), ou renvoyer à <strong>des</strong> instances différentes [E1 e1] (cas le plus fréquent où e1 correspond àune 2 e ou 3 e pers.). E1 peut également être inclus dans e1 [E1 e1] (e1 représente uneinstance collective, par ex. le on de vérité générale). Je m'intéresserai, dans le cadre de c<strong>et</strong>terecherche sur l'autre en <strong>discours</strong>, principalement aux énoncés où le dialogisme repose sur [E1 e1], c'est-à-dire aux cas où l'hétérogénéité énonciative se réalise comme altéritéénonciative.Dédoublement <strong>et</strong> hiérarchisation énonciatifs sont <strong>des</strong> processus récurrents : laspectacularisation peut être de troisième, quatrième niveau <strong>et</strong>c. : mise en abyme, eff<strong>et</strong> vachequi rit. Soit une occurrence de détriplement énonciatif :(1b) selon Le Figaro, l'opposition prétend que les manifestants posent <strong>des</strong> questionssans apporter de réponses1 Les exemples sont extraits d'un corpus d'articles de presse écrite fortement dialogiques(éditorial, points de vue, débats). Les occurrences notées (a) ou (b) sont <strong>des</strong> variationsque je propose à partir de l'énoncé authentique.2 Avec bien sûr les mixtes (1 re + 2 e pers.), (1 re + 3 e pers.), (2 e + 3 e pers.). Dans cedernier cas, le dialogisme est simultanément interpersonnel <strong>et</strong> interdiscursif.
dans laquelle E1 m<strong>et</strong> en scène un autre énonciateur (explicité comme Le Figaro), m<strong>et</strong>tantlui-même en scène un autre énonciateur (explicité comme l'opposition).Si la pro<strong>du</strong>ction discursive se réalise dans la rencontre <strong>des</strong> <strong>discours</strong> autres sur le mêm<strong>et</strong>hème (mémoire) <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>discours</strong>-réponse de l'autre (l'énonciataire, par anticipation), quellessont les traces, au niveau <strong>du</strong> <strong>discours</strong> pro<strong>du</strong>it, de c<strong>et</strong>te double interaction, qui seules peuventperm<strong>et</strong>tre d'étudier linguistiquement le dialogisme ?Ces traces sont nombreuses, leurs signifiants hétérogènes, leur mode d'être très variable (del'explicite clairement marqué à l'implicite laissé à l'interprétation) 1 . Le <strong>discours</strong> rapporté <strong>et</strong> lamodalisation autonymique sont les marqueurs de dédoublement énonciatif les plus évidents,les plus fréquents <strong>et</strong> les mieux étudiés 2 : je ne m'y attarderai donc pas. Parmi les autresmanières de convoquer d'autres voix, de signifier l'hétérogénéité énonciative, je présenteraiici 3 , de façon forcément superficielle, l'interrogation, l'extraction, le détachement <strong>et</strong> quelquesphénomènes d'hétérogénéité masquée.3. De quelques marqueurs dialogiques3.1. InterrogationCertaines interrogations totales font entendre deux voix qui s'organisent de la sorte : E1m<strong>et</strong> en débat l'assertion de e1 4 . Ce dont on peut rendre compte psychomécaniquement(Moign<strong>et</strong> 1966 : 52) en opposant à l'acte « thétique, qui tend à poser, [<strong>et</strong>] crée la phraseassertive, […] sous-ten<strong>du</strong>e par un mouvement de pensée ouvrant, allant <strong>du</strong> moins au plus »,l'acte nommé « dialectique parce qu'il vise à m<strong>et</strong>tre en discussion, (<strong>et</strong>) crée la phraseinterrogative, […] sous-ten<strong>du</strong>e par un mouvement de pensée fermant, allant <strong>du</strong> plus aumoins ». Dans le cas de l'interrogation dialogique, la mise en discussion se fait sur un énoncéattribué à e1. Selon que le mouvement de pensée fermant fait l'obj<strong>et</strong> d'une saisie précoce,intermédiaire ou tardive, la mise en discussion correspond à une demande de confirmation, àune « interrogation qui équilibre le positif <strong>et</strong> le négatif » ou à la quasi réfutation de l'énoncé dee1 par E1 . Je ne m'intéresse ici qu'aux deux dernières saisies (que seul perm<strong>et</strong> de distinguer leco-texte).3.1.1. Interrogation à saisie moyenne(2) Claude Allègre […] a-t-il donné <strong>des</strong> « instructions » à l'Inserm de manière à bloquerla publication <strong>du</strong> rapport d'expertise sur les risques pour la santé d'une exposition àl'amiante ? La célèbre revue scientifique britannique Nature l'affirme. Le ministre <strong>et</strong>l'Inserm démentent.1Certaines d'entre elles ont fait l'obj<strong>et</strong> de <strong>des</strong>cription (notammant Ducrot 1984, Authier-Revuz1992), dans <strong>des</strong> perspectives <strong>et</strong> <strong>des</strong> ca<strong>des</strong> théoriques différents <strong>des</strong> miens.2On ne saurait toutefois limiter l'<strong>analyse</strong> <strong>du</strong> dialogisme à leur <strong>analyse</strong>, comme le fait par ex.Lagadec 1996.3C<strong>et</strong> article fait partie d'un travail plus ample, qui donne matière à une publicationcomplémentaire de celle-ci (Bres 1998), dans laquelle se trouve développée l'<strong>analyse</strong> d'autresmarqueurs dialogiques (conditionnel, négation, comparaison, renchérissement, confirmation,concession <strong>et</strong> opposition, subordination).4« Rendre l'affirmation de l'autre sous forme de question suffit déjà à provoquer le heurt dedeux significations dans un seul mot : car nous ne faisons pas qu'interroger, nous rendonsproblématique l'affirmation de l'autre » (Bakhtine 1963/1970 : 227).
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