l’étude <strong>du</strong> dialogisme (Bres 2005b), avant d’aborder ses manifestations précises au niveaumicrotextuel. Nous adoptons dans l’<strong>analyse</strong> une approche <strong>des</strong>cendante, - pour faire vite : del’énoncé-texte à l’énoncé-phrase, à l’opposé p. ex. de l’approche ascendante de la ScaPoLine(Nølke <strong>et</strong> al. 2004, 99-116).Ce positionnement rappelé, il n’en reste pas moins vrai que, pour le linguiste, la matérialitédiscursive <strong>du</strong> dialogisme se manifeste au niveau local de l’énoncé-phrase ; <strong>et</strong> c’est par ce niveaumicrotextuel que nous allons pénétrer plus avant dans la <strong>des</strong>cription de son fonctionnement.1.4. De l’énoncé dialogiqueLe dialogisme prend la forme, au niveau de l’énoncé-phrase, de « microdialogues », pourreprendre une image bakhtinienne que nous faisons fonctionner littéralement. Si dialogue il y a àl’intérieur de l’énoncé-phrase dialogique, c’est qu’il est analysable en, au moins, deux énoncés :un premier énoncé, auquel répond un second énoncé. Mais précisément <strong>du</strong> fait que nous sommesdans le dialogique <strong>et</strong> non dans le dialogal (cf. infra 2.1.), c<strong>et</strong>te interaction se marque non par unealternance de tours mais par la <strong>du</strong>alité (ou la pluralité) énonciative, le deux dans l’un (Authier-Revuz 1995) d’un seul <strong>et</strong> même énoncé. C<strong>et</strong>te <strong>du</strong>alité énonciative peut être marquée en tant qu<strong>et</strong>elle, plus ou moins ouvertement, ou ne pas être marquée, ce qui pose de sérieux problèmes àl’<strong>analyse</strong>. Partons d’une occurrence où le dialogisme se note, prototypiquement, par le signifiantsyntaxique de la négation :(3) L'intérêt de la France <strong>et</strong> l'intérêt de l'Allemagne ne sont pas antagonistes. Il y a eu un tempsoù on pouvait l'affirmer. (…) Aujourd'hui heureusement (…). (F. Bayrou, Le Monde 28. 11. 96)On dira que le dialogisme de l'énoncé « L'intérêt de la France <strong>et</strong> l'intérêt de l'Allemagne ne sontpas antagonistes », que nous appellerons [E], tient à deux éléments : (i) il « rapporte » un autreénoncé, affirmatif compte tenu de son anaphorisation dans le cotexte ultérieur, que nousappellerons [e], que l’on peut reconstruire comme « L'intérêt de la France <strong>et</strong> l'intérêt del'Allemagne sont antagonistes » ; (ii) il l’infirme par l’adverbe ne… pas.L'énoncé [e] n'est pas tiré <strong>du</strong> chapeau <strong>du</strong> linguiste, comme le signale le cotexte ultérieur : « Il y a eu un temps où onpouvait l'affirmer ». Le pronom personnel le est anaphorique non de l’énoncé négatif [E], mais de l’énoncé affirmatif[e], ce qu'atteste son remplacement par l’unité qu’il anaphorise : « il y a eu un temps où on pouvait affirmer que l'intérêt dela France <strong>et</strong> l'intérêt de l'Allemagne étaient antagonistes ».Les différentes approches dialogiques ou polyphoniques recourent à ce type d'<strong>analyse</strong>, mais ne s'accordent pas sur le statutde ce que nous nommons énoncé [e]. Il peut s'agir 1 :- d'un acte de paroles (Ducrot 1980 <strong>et</strong> al.) ;- d'un point de vue (Ducrot 1984, Anscombre 1990, Haill<strong>et</strong> 2002, Nølke <strong>et</strong> al. 2003) ;- d'une phrase virtuelle (Anscombre 2005) ;- d'un énoncé: c'est notre position, que nous allons brièvement argumenter.Dans une perspective praxématique, on pose que l'indivi<strong>du</strong> devient suj<strong>et</strong> comme être de <strong>discours</strong>,c'est-à-dire qu'il est structuré en tant que tel non seulement par la langue mais aussi par les<strong>discours</strong>. Ces <strong>discours</strong> - <strong>et</strong> c'est également la perspective de Bakhtine - sont contextualisés, <strong>et</strong> ontune existence réelle socialement que leur confère leur matérialité. Et ce sont ces <strong>discours</strong>, bienréels, avec lesquels le locuteur entre en interaction dialogique. Pour autant, nous ne prétendonspas que, dans l'énoncé dialogique, l'énoncé [e] "rapporté" soit la citation exacte d'un fragmentemprunté à tel ou tel <strong>discours</strong> - on sait que c'est rarement le cas même dans le <strong>discours</strong> rapportédirect -, mais que, pour le locuteur, il a le statut d'un énoncé actualisé. Reprenant à Bally lanotion d’actualisation, nous posons que l’énoncé dialogique se distingue de l’énoncé monologiquede la façon suivante : dans l’énoncé monologique l’actualisation déictique <strong>et</strong> modale porte sur undictum ; dans l’énoncé dialogique, c<strong>et</strong>te opération s’effectue non sur un dictum, mais sur (ce quiest présenté comme) un énoncé déjà actualisé.Reprenons l’occurrence (3). L’actualisation modale de [E], en tant que affirmation + négation,porte sur une unité qui a déjà été actualisée <strong>et</strong> a statut d’énoncé, à savoir [e]. On dira quel'énonciateur E1 attribue l'assertion de l’énoncé [e] [L'intérêt de la France <strong>et</strong> l'intérêt de1 Nous remercions J. Cl. Anscombre <strong>des</strong> éclaircissements qu’il a apportés sur ce point lors d’une journée d’étudeà Aarhus ( mars 2005).
l'Allemagne sont antagonistes] à un autre énonciateur (e1), <strong>et</strong> se charge quant à lui de la rej<strong>et</strong>erpar la négation.L’énoncé dialogique présente donc une <strong>du</strong>alité énonciative hiérarchisée. A la différence de ce quise passe dans le dialogue externe, où les tours de parole sont à égalité énonciative, - chacun a p.ex. ses marques d’actualisation déictique <strong>et</strong> modale propres, chacun a un locuteur –, dans ledialogue interne <strong>du</strong> dialogisme, l’énoncé [e] est enchâssé énonciativement dans l’énoncé [E], cequi se manifeste entre autres par les faits suivants : ses marques d’actualisation déictique <strong>et</strong>modale propres sont effacées (à l’exception de ce qui se passe en <strong>discours</strong> direct) ; il perd partieou tout de son vocabulaire <strong>et</strong> de sa syntaxe, <strong>et</strong> plus significativement encore, il n’a plus delocuteur. Nous distinguons les deux instances de l’énonciateur <strong>et</strong> <strong>du</strong> locuteur sur la basesuivante : l’énonciateur est l’instance actualisatrice responsable notamment <strong>des</strong> actualisationsdéictique <strong>et</strong> modale ; le locuteur est l’instance responsable de l’actualisation phonétique ougraphique consistant à inscrire l’énoncé dans le mode sémiotique choisi, oral ou écrit. Seull’énoncé [E] a un locuteur, qui correspond à l’énonciateur E1 (l’instance de locution ne saurait êtreque singulière : seul un locuteur peut parler à la fois) ; l’énoncé [e] dispose d’un énonciateur e1mais non d’un locuteur, ce qui est à m<strong>et</strong>tre au compte <strong>du</strong> fait que l’énoncé dialogique m<strong>et</strong> enrelation, selon différentes formes d’intégration syntaxique, deux (ou plusieurs) énoncés en leshiérarchisant énonciativement.L’<strong>analyse</strong> que nous proposons ne va pas sans soulever de nombreux problèmes : nousn’aborderons ici que ceux liés au statut de l’énoncé enchâssé [e]. Si dans un exemple comme (3),sa présence comme sa « reconstruction » ne font pas difficulté, il n’en va pas toujours ainsi.Notons tout d’abord que les formes – que nous appelons x - que prend l’énoncé [e] <strong>du</strong> fait de sonenchâssement dans [E] sont fort variables, <strong>et</strong> se répartissent selon une gradation complexe (Bres2005a), qui va (i) <strong>du</strong> pôle de sa manifestation la plus ouverte (ii) au pôle de sa présence sousenten<strong>du</strong>e.(i) la forme x se présente comme l’équivalent de l’énoncé [e]. C’est notamment le cas <strong>du</strong> <strong>discours</strong>direct, ou de certains tours négatifs comme :(4) Il est faux de dire que « les 35 heures ne seront plus la <strong>du</strong>rée légale <strong>du</strong> travail » (Le Monde,février 2005, Aubry ? Tout faux, de D. Gautier-Sauvagnac)A la différence de la négation prédicative en ne… pas, qui amalgame [e] dans [E], ce type de tour,grâce à la subordination, rapporte [e] à sa l<strong>et</strong>tre supposée (comme le confirment les guillem<strong>et</strong>s).Dans ce cas, la forme x est l’équivalent exact de [e].(ii) L’énoncé [e] n’a pas de claire manifestation x, comme dans la négation restrictive ou leclivage simple (Bres <strong>et</strong> Nowakowska 2004). Soit le fragment textuel suivant dont l’horizondiscursif dialogique est la construction de l’Europe :(5) La Commission de Bruxelles est le pouvoir exécutif, le gouvernement de c<strong>et</strong> Etat. Le conseil<strong>des</strong> ministres <strong>et</strong> même le conseil <strong>des</strong> chefs d’Etat <strong>et</strong> de gouvernement n’en est, contrairement àce que croient les Français, que le pouvoir législatif. (Ch. Pasqua, Le Monde, 10. 1. 98)Dans l’énoncé restrictif « Le conseil <strong>des</strong> ministres <strong>et</strong> même le conseil <strong>des</strong> chefs d’Etat <strong>et</strong> degouvernement n’en est […] que le pouvoir législatif », on ne saurait m<strong>et</strong>tre entre guillem<strong>et</strong>s aucunsyntagme comme relevant de l’énoncé [e] auquel s’oppose l’énoncé [E]. Si l’on enchaîne par uneanaphore comme en (2) : « Le conseil <strong>des</strong> ministres <strong>et</strong> même le conseil <strong>des</strong> chefs d’Etat <strong>et</strong> degouvernement n’en est […] que le pouvoir législatif, comme l’affirment certains », c’est l’énoncé[E] qui est anaphorisé, <strong>et</strong> non l’énoncé [e]. L’on ne saurait faire apparaître <strong>des</strong> traces x del’énoncé [e] de sorte que l’on pourrait, dans ce type d’occurrence, m<strong>et</strong>tre en doute sa présence.Et pourtant, c’est bien au contact d’un énoncé [e] que l’on peut reconstruire cotextuellementcomme : « le conseil <strong>des</strong> ministres en est le pouvoir exécutif », <strong>et</strong> en rej<strong>et</strong> implicite de son rhème(« pouvoir exécutif ») pour le remplacer par un autre rhème (« pouvoir législatif ») que se pro<strong>du</strong>itl’énoncé [E], comme le confirme le SP « contrairement à ce que croient les Français ». Onpourrait dire que, dans ce type de cas, l’énoncé [e] est sous-enten<strong>du</strong>. Il nous semble qu’on peutmême aller jusqu’à affirmer qu’il est présupposé, dans la mesure où le marqueur syntaxique ne…que, sans appartenir à l’énoncé [e], ne se justifie que de sa présupposition.
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