Forts de c<strong>et</strong>te <strong>analyse</strong>, nous faisons de polyphonie un terme secondaire <strong>et</strong> complémentaire de celui de dialogisme 1 : alors quedans le dialogisme les voix sont hiérarchisées énonciativement (infra 1.4.), la polyphonie - <strong>et</strong> ceci en accord avec l'acceptionmusicale <strong>du</strong> terme - les présente à égalité, sans que l'une ne prenne le pas sur l'autre. On trouve ce <strong>du</strong>el ou ce pluriel <strong>des</strong>voix non hiérarchisées notamment dans deux domaines : (i) celui de l'écriture romanesque contemporaine quiprésente parfois, dans un même énoncé, différentes voix à égalité, exprimant différents points devue souvent contradictoires, ce qui problématise la pro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> sens, voire, au dire de certains,la brouille, de sorte que la polyphonie est au risque de la cacophonie ; (ii) celui <strong>du</strong> lapsus de laparole quotidienne, <strong>et</strong> au-delà, <strong>du</strong> fonctionnement inconscient <strong>du</strong> <strong>discours</strong>.Une fois explicitée la distinction dialogisme / polyphonie, revenons à la définition proposée <strong>du</strong>dialogisme comme orientation <strong>du</strong> <strong>discours</strong>, constitutive <strong>et</strong> au principe de sa pro<strong>du</strong>ction comme <strong>des</strong>on interprétation, vers d’autres <strong>discours</strong>, afin d’en <strong>analyse</strong>r les différentes dimensions.1.2. Les dimensions <strong>du</strong> dialogismeNous distinguons quatre dimensions <strong>du</strong> dialogisme : constitutif, interdiscursif, interlocutif, intralocutif(ou autodialogique) 2 . Seules les trois dernières ont été clairement posées par Bakhtine.1.2.1. Dialogisme constitutifL’indivi<strong>du</strong> devient suj<strong>et</strong> dans <strong>et</strong> par les <strong>discours</strong> antérieurs / extérieurs. Bakhtine l’a clairementpointé :Les indivi<strong>du</strong>s ne reçoivent pas en partage une langue prête à l'usage, ils prennent place dans lecourant de la communication verbale, ou, plus exactement, leur conscience ne sort <strong>des</strong> limbes <strong>et</strong>ne s'éveille que grâce à son immersion dans ce courant. (1929 : 117)Mais il nous semble qu’il n’a pas vraiment tiré toutes les conséquences de ce fait : si je ne devienssuj<strong>et</strong> que <strong>des</strong> <strong>discours</strong> antérieurs / extérieurs, cela a pour premier eff<strong>et</strong> que ce que j’appelle mon<strong>discours</strong> est constitué de ces autres <strong>discours</strong> en un oubli au principe de l’eff<strong>et</strong> suj<strong>et</strong> : je croit tenirun <strong>discours</strong>, alors que de fait je est tenu par ces <strong>discours</strong>. On reconnaît là les problématiquesfamilières de l’Ecole française d’<strong>analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>discours</strong> : celle de l’interpellation <strong>du</strong> suj<strong>et</strong>, del’inter<strong>discours</strong>, <strong>des</strong> formations discursives, de l’hétérogénéité constitutive, que la notion dedialogisme, dans le sens éten<strong>du</strong> que nous en faisons, perm<strong>et</strong> de rencontrer. Articulons seulementles notions d’inter<strong>discours</strong> <strong>et</strong> de dialogisme : l’inter<strong>discours</strong> peut être défini comme « l’ensemble<strong>des</strong> formulations auquel l’énoncé se réfère implicitement ou non, qui le domine <strong>et</strong> à partir <strong>du</strong>quelil fait sens » (Détrie <strong>et</strong> al. 2001 : 155). L’inter<strong>discours</strong> est un fait symbolique qui est au principede tous les <strong>discours</strong> <strong>et</strong> qui les domine, à la manière dont l’intersubjectivité précède <strong>et</strong> est unecondition de la subjectivité. Le dialogisme, dans la première acception que nous avançons, en estla conséquence : ce qui fait l’intérieur de tel <strong>discours</strong>, sa consistance, est d’être l’actualisation enreprise, le plus souvent à l’insu <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> qui le tient, d’un ensemble de <strong>discours</strong> antérieurs /extérieurs qui lui perm<strong>et</strong>tent de faire sens. Dialectique <strong>du</strong> même <strong>et</strong> de l’autre : les <strong>discours</strong> danslesquels il se reconnaît, les voix auxquelles il s’identifie, le locuteur tend à les effacer en tant qu<strong>et</strong>els dans l’appropriation qu’il en fait, avec l’illusion constitutive qu’il en est l’origine énonciative,comme si sa voix saisissait la réalité <strong>des</strong> faits sans le filtre discursif <strong>des</strong> autres voix. C<strong>et</strong>tedimension dialogique <strong>du</strong> <strong>discours</strong>, qu’il est possible de m<strong>et</strong>tre en relation avec ce qu’Authier-Revuz 1995 appelle hétérogénéité constitutive, pose à l’<strong>analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>discours</strong> <strong>des</strong> problèmesspécifiques de <strong>des</strong>cription : de marques, de corpus, de conceptualisation. C’est sur ce type deproblèmes qu’avaient buté les recherches de Michel Pêcheux ; on trouvera dans les travaux deMoirand 2003, 2004 ; <strong>et</strong> d’Amossy 2005 d’intéressantes propositions pour avancer.1.2.2. Dialogisme interdiscursifMon <strong>discours</strong>, dans sa saisie d’un obj<strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>discours</strong>, rencontre les <strong>discours</strong> antérieurs tenus pard’autres sur ce même obj<strong>et</strong>, avec lesquels il entre en interaction. C<strong>et</strong>te dimension que Bakhtinenomme « relation dialogique avec les mots d’autrui dans l’obj<strong>et</strong> » (Bakhtine1934/1975/1978 :1 Différentes articulations <strong>des</strong> deux notions ont été proposées lors <strong>du</strong> colloque de Cerisy 2004. Cf. Bres <strong>et</strong> al.2005, Présentation.2 Nous ne présentons ici, pour <strong>des</strong> raisons d’espace, que les trois premières dimensions.
105, « dialogicheskoe vzaimo<strong>des</strong>tvo s chuzymi slovami v predm<strong>et</strong>e ») se voit actuellementdésignée par l’appellation heureuse de dialogisme interdiscursif. On peut la m<strong>et</strong>tre en relationavec la notion d’intertextualité, mais elle ne s’y résume pas. A la différence de ce que l’on entendhabituellement par intertextualité – relation qu’un texte pose localement avec ou tel autre texte -,le dialogisme interdiscursif structure fondamentalement tout texte, en ce que celui-ci estobligatoirement réponse (Bakhtine 1952/1979/1984a : 298-299) à <strong>des</strong> textes antérieurs. Un peucomme un tour de parole est toujours à comprendre globalement comme une réponse auprécédent tour, tout <strong>discours</strong>, aussi monologal <strong>et</strong> long soit-il, interagit avec <strong>des</strong> <strong>discours</strong>antérieurs : Les Confessions de Rousseau p. ex « répondent » notamment à deux textes : l’acted’accusation <strong>du</strong> libelle Sentiment <strong>des</strong> citoyens publié anonymement (de fait l’auteur en étaitVoltaire) révélant que Rousseau avait abandonné ses enfants à l’hospice <strong>des</strong> Enfants-Trouvés ; <strong>et</strong>Les Confessions de Saint-Augustin.1.2.3. Dialogisme interlocutifL’orientation <strong>du</strong> <strong>discours</strong> vers <strong>des</strong> <strong>discours</strong> antérieurs va systématiquement de pair avec une autredimension dialogique, son « orientation vers le <strong>discours</strong>-réponse » prévu (1934/1975/1978 : 105)(« napravlenost’ slova na slovo-otv<strong>et</strong> »), soit le dialogisme interlocutif. Tout <strong>discours</strong>, qu’il soitmonologal ou dialogal, est déterminé par l’autre à qui il est adressé. La façon dont Bakhtine comprendc<strong>et</strong>te seconde dimension dialogique est plus riche qu’il n’y paraît. On peut penser qu’il vise par là lefait, abondamment décrit par la rhétorique, la sociolinguistique, la pragmatique ou l’<strong>analyse</strong>conversationnelle, selon lequel le locuteur mo<strong>du</strong>le son <strong>discours</strong> en fonction de son interlocuteur (ou del’image qu’il se fait de lui), <strong>des</strong> connaissances qu’il lui prête, <strong>du</strong> but qu’il poursuit, <strong>et</strong>c. (notion p. ex.d’audience <strong>des</strong>ign (Bell 1984)). Certes, mais ce serait considérablement restreindre c<strong>et</strong>te dimension. Cequ’ajoute le dialogisme interlocutif, c’est (i) que c<strong>et</strong>te prise en compte de l’interlocuteur vise àfaçonner la réponse de l’autre ; <strong>et</strong> surtout (ii) que le locuteur anticipe sans cesse sur c<strong>et</strong>te réponse qu’ilimagine, <strong>et</strong> que c<strong>et</strong>te réponse imaginée influence en r<strong>et</strong>our son <strong>discours</strong> (Bakhtine 1952/1979/1984a: 303). Illustrons ce fonctionnement d’un exemple particulièrement explicite :(1) La xénophobie <strong>et</strong> le racisme feront tâche d’huile. Le terreau sur lequel prospèrent le populisme <strong>et</strong> l’extrême droite serarenforcé de façon inimaginable. Est-ce de l’exagération ? Regardons autour de nous. Dans la plupart <strong>des</strong> pays de l’Union,<strong>des</strong> partis populistes <strong>et</strong> d’extrême droite prolifèrent (…). (J. Nikonoff, Le Monde, 24 mai 2005)L’interrogation « Est-ce de l’exagération ? » m<strong>et</strong> dialogiquement en débat l’énoncé que nousreconstruisons comme : « C’est de l’exagération », qui correspond à la réponse prêtée par le scripteurau <strong>des</strong>tinataire, à la lecture <strong>du</strong> tableau politique particulièrement noir qu’il est en train de brosser.Revenons sur les deux dimensions interdiscursive <strong>et</strong> interlocutive <strong>du</strong> <strong>discours</strong>. En accord avec la racinedialog-, Bakhtine pose le <strong>discours</strong> comme réponse, dans une double interaction qui le constitue en tantque tel : réponse à son amont (dialogisme interdiscursif), <strong>et</strong> à son aval (dialogisme interlocutif).C<strong>et</strong>te distinction, parfaitement pertinente pour les textes monologaux, devient parfois problématique,dans le dialogal. Soit l’enchaînement <strong>des</strong> deux tours suivants :(2) A1 – alors <strong>et</strong> ta fille ça va mieux ?B2 – ma fille, maintenant plus de problèmesLa reprise en B2 <strong>du</strong> SN « ma fille » est analysable en termes de dialogisme interdiscursif dans lamesure où B reprend un segment de l’énoncé de A ; mais également en termes de dialogismeinterlocutif dans la mesure où le <strong>discours</strong> repris est celui de l’interlocuteur. Le dialogal présente denombreux cas de neutralisation de la distinction de ces deux dimensions dialogiques (infra 2.1.).1.3. Les niveaux <strong>du</strong> dialogisme : <strong>du</strong> global au localC’est d’abord au niveau macrotextuel que le <strong>discours</strong> s’inscrit dans une formation discursive, estreprise de (dialogisme constitutif) <strong>et</strong> réponse à (dialogismes interdiscursif <strong>et</strong> interlocutif) d’autres<strong>discours</strong>. C’est donc, par homologie, par le niveau textuel global qu’il convient de commencer
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