les grandes théories de la linguistique de la grammaire comparée à ...

MISCELLANEAÀ LIRE • PROPOSALS FOR READINGLES GRANDES THÉORIES DE LA LINGUISTIQUEDE LA GRAMMAIRE COMPARÉE À LA PRAGMATIQUERuxandra CONSTANTINESCU-ŞTEFĂNELLe livre de Marie-Anne Paveau et de GeorgesElia Safarti «Les grandes theories de lalinguistique. De la grammaire comparée à lapragmatique», paru en 2003 chez ArmandColin, présente les caractéristiques des plusimportantes théories linguistiques des XIXe et XXesiècles, tout en poursuivant les ascendances et lesfiliations des grandes idées ayant traversé ledomaine depuis sa création. La science du langagey apparaît ainsi comme un tout qui se tient, malgréles oppositions manifestes entre la pensée desdifférents chercheurs.Une coïncidence trouble le lecteur qui le parcourt.La pensée des deux siècles connaît une rupture dansles années 60-70. En effet, le XIXe est le siècle dela grammaire, dominé jusqu’aux années 60-70 parla grammaire comparée qui fait place à cette époqueà la néo-grammaire. Le XXe est le siècle de lalinguistique proprement dite. Sous l’influence deSaussure, les chercheurs ayant écrit jusqu’auxannées 60-70 ont proclamé le primat de lalinguistique de la langue, tandis que les 30 dernièresannées ont vu l’émergence de la linguistique de laparole.L’ouvrage est structuré en 11 chapitres, les troispremiers étant dédiés aux grammairiens, lequatrième, au fondateur de la linguistique moderne,Ferdinand de Saussure, les chapitres cinq à huit àl’héritage de celui-ci et les trois derniers, auxlinguistiques de la parole.L’acte de naissance de la grammaire comparée, quifait l’objet du premier chapitre remonte à la fin duXVIIIe siècle, à la découverte du brahmi (lesanskrit) et de ses affinités avec le latin et le grecqui ont fait supposer l’existence d’une languecommune d’origine, l’indo-européen. Cepedant, descomparaisons avaient été entreprises par desprédécesseurs comme H.W.Ludlof, G.W.Leibnitz,A.Tugeot, J.C.Adelung et P.S.Pallas.Le propre de la grammaire comparée a été detravailler sur l’écrit et de rendre compte de larégularité des correspondances entre les langues. Lecréateur du terme a été F. Von Schlegel dans sapublication «De la langue et du savoir des Indiens»(1808). D’autres représentants de marquementionnés par Paveau et Safarti sont A.W. vonSchlegel, F. Bopp, qui a orienté la discipline surl’examen de l’organisation morphologique desmots, W. Von Humboldt, père de l’anthropologielinguistique, qui a jeté les bases de la conceptiondynamique et structurale de la langue, etA. Schleicher, fondateur de la linguistique historique.Le deuxième chapitre porte sur le nouveau courantqui s’est développé à partir des années 1860-1870autour de G. Curtius, la néo-grammaire, dont lafiliation s’étend jusqu‘ à Ferdinand de Saussure.Les néo-grammairiens ont mis l’accent sur larégularité des lois phonétiques, en appuyant leurstravaux sur les principes du positivisme. Leurpostulat de base, à savoir le primat des loisphonétiques, a entraîné une mutation théorique quia bouleversé les habitudes de travail et lesorientations en place à l’époque. Dorénavant, larecherche linguistique procédera par enquêtesapprofondies assorties d’une réflexionméthodologique générale. Le but de l’analyselinguistique sera de produire une explicationpositive des causes ayant conduit aux changementsobservés entre deux ou plusieurs états de langueapparentés. Paveau et Safarti mentionnent commereprésentants importants de ce courant: H. Paul, R.Meringer, Vossler et surtout W.D.Whitney, quiréunit dans ses travaux les exigences de lagrammaire comparée et celles d’une science dulangage et définit la linguistique générale paropposition à la philologie.La partie concernant la grammaire du XIXe siècles’achève par un aperçu de la réception française dela discipline (chapitre 3). Y sont mentionnésG. Paris, J. Gilliéron. J. P. Ropusselot, P. Passy,M. Grammont, ainsi que les grands: M. Bréal,précurseur de Bally, Benveniste et Ducrot,Dialogos • 12/2005 131

MISCELLANEAÀ LIRE • PROPOSALS FOR READINGV. Henry, qui établit les conditions d’une sciencedu langage, et A. Meillet, qui définit l’objet de lalinguistique générale.Le quatrième chapitre est entièrement dédié àFerdinand de Saussure, qui, d’un point de vuecognitif, occupe la place de mythe fondateur de lalinguistique. Ses principales contributions sontpassées en revue: la définition du domaine de lalinguistique, la théorie du signe et la théorie de lalangue comme système. Sa distinctionfondamentale langue/parole traversera toute lascience du langage au XXe siècle.La réception francophone des travaux de Saussure aconduit à la création des structuralismes, présentésdans le chapitre cinq. Trois chercheurs dominentces courants: Ch. Bally, fondateur de la stylistique,G. Guillaume, créateur de la psychomécanique, etL. Tesnière, qui a introduit le terme de syntaxestructurale, dont l’objet est l’étude de la phrase.L’héritage non-francophone de Saussure, examinédans le sixième chapitre, a donné lieu àl’interprétation structuro-fonctionnaliste du « Coursde linguistique générale ». On y retrouve, d’unepart, les membres du Cercle de Prague, dont lesplus importants sont R. Jakobson, créateur d’unecélèbre typologie des fonctions de la langue, etN. Troubetskoï, fondateur de la phonologie, à quinous devons le concept de phonème. D’autre part, ily a le Cercle linguistique de Copenhague, groupéautour de L. Hjelmslev, père de la glossématique.Le septième chapitre s’occupe de la lecturefonctionnaliste de l’apport de Saussure, ayantconduit à ce que les auteurs appellent les «troisessais de reconstruction de la science linguistique»,réalisés par A. Martinet, inventeur du concept depertinence communicative et de la théorie de ladouble articulation du langage humain,M. Halliday, auteur d’une grammaire fonctionnellequi incorpore la dimension sociale à la linguistique,et R. Jakobson, qui a étroitement lié littérature etlinguistique, en fondant la poétique.Le huitième chapitre étudie le formalisme d’OutreAtlantique, avec ses représentants de marqueL. Bloomfield, partisan d’une perspectivebehavioriste du langage, Z.S.Harris, créateur de cequ’il appelle la linguistique fonctionnelle, K. Pike,dont la conception est connue sous le nom detagmémique, et, le plus fameux de tous,N. Chomsky, fondateur du générativisme, à qui lalinguistique doit les notions fécondes decompétence et performance et de structure profondeet superficielle.Les trois derniers chapitres du livre sont dédiés à lalinguistique de la parole qui, dans les années 60-70,a supplanté la linguistique de la langue.Le chapitre neuf porte sur l’énonciation, dont onprésente la définition, l’appareil formel et les troisgrands représentants E. Benveniste, O. Ducrot etA. Culioli.Le chapitre dix s’intéresse aux linguistiquesdiscursives qui se fondent sur la prise en compte dela dimension transphrastique du texte. En tant quereprésentant, Paveau et Safarti citent J.M.Adam. Ony présente aussi l’analyse du discours et lasémantique des textes de F. Rastier.Le dernier chapitre du livre est dédié aux théoriespragmatiques. Y sont décrites tour à tour la théoriedes actes de langage de J. L. Austin et J. Searle, lathéorie de P. Grice, fondée sur l’intention decommunication, la rhétorique de C. Perelman, qui està l’origine du renouveau des études argumentatives.Le chapitre continue par la pragmatique intégrée deO. Ducrot et la pragmatique cognitive de A. Sperberet D. Wilson, bâtie autour du principe de pertinence,et s’achève par un aperçu de la pragmatique culturellede l’Ecole de Palo Alto.L’ouvrage de Marie-Anne Paveau et Georges EliaSafarti est, selon nous, une lecture indispensablepour tous ceux qui s’intéressent à la science dulangage, mais surtout pour les jeunes chercheurs, àqui il offre à la fois une perspective vaste et aviséede la discipline, et une base à des lecturesultérieures, plus approfondies, du domainelinguistique de choix.RÉFÉRENCESPAVEAU, M.A.; SAFARTI, G.E., 2003, Les grandes théories de la linguistique. De la grammaire comparéeà la pragmatique, Armand Colin, Paris132Dialogos • 12/2005