JOURNAL OFFICIEL - Débats parlementaires de la 4e République

M. René Camphin. Vous ôtez les barreaux de l'échelle !M. Arthur Musmeaux. Ce n'est pas l'échelle mobile, c'estl'échelle branlante.M. le rapporteur. Vos amis et vous la voterez, en définitive,monsieur Musmeaux.M. Camille Titeux. "Au cours du débat d'investiture M. le présidentdu conseil a confirmé sa position sur ce point et aprécisé que le pourcentage de 5 p. 100 ne serait pas non plusmis en cause.Notre groupe a accepté d'accorder au Gouvernement le délaid'un mois car le motif invoqué par lui correspondait exactementà notre souci constant, que j'ai réaffirmé tout à l'heure,de voir le Gouvernement user de ses pouvoirs non pas pourl'application de la loi, mais, au contraire, pour empêcher, enassurant la stabilité des prix, que les conditions du déclenchementautomatique des hausses de salaires ne soient créées.M. René Camphin. C'est le Gouvernement qui élève sans cesseles prix. C'est lui qui donne le mauvais exemple.M. Marcel David. Vous signalez votre présence, monsieur Camphin,en faisant beaucoup de bruit!M. Camille Titeux. Conformément à sa promesse, le Gouvernementa déposé, un projet de loi sur la variation automatiquedu salaire minimum, reprenant les éléments essentiels de ladéclaration ministérielle.Personne ne sera surpris dans cette Assemblée si j'affirmeque ce projet ne nous donne pas totalement satisfaction.(Exclamations à l'extrême droite)...M. le rapporteur. Bien sûr.M. Camille Titeux. ...et que nous avons fait le nécessairepour qu'à la commission du travail certaines précisions soientfournies et certains amendements adoptés.Toutefois, ce texte, tel qu'il est, a causé déjà bien des soucisà certains membres du Gouvernement, qui auraient fortementdésiré qu'il se rapprochât un peu plus de celui du Conseil dela République.Ceux qui s'efforçaient qu'il en fût ainsi violaient l'engagementqu'ils avaient implicitement pris lors du vote d'investituredu président du conseil.Je rappelle de nouveau que les questions précises poséespar M. Albert Gazier et les réponses non équivoques qui ont étédonnées ne pouvaient laisser subsister aucun doute dansl'esprit de quiconque ; ceux qui ont voté la confiance avaienttrès bien compris qu'il leur fallait accepter l'échelle mobiletelle qu'elle était définie par le président du conseil pourobtenir les suffrages du groupe socialiste. (Applaudissementsà gauche.)Dans ces conditions, nous serions en droit de penser que lesgroupes qui ont accepté de participer au Gouvernement et quise refuseraient à voter l'échelle mobile commettraient une véritableescroquerie morale dont notre groupe ne manquerait pasde tirer toutes les conséquences. (Applaudissements sur lesmêmes bancs. — Interruptions à droite.)Je voudrais maintenant indiquer dans quel esprit nousentendons discuter le texte gouvernemental. 11 me faut préciserque ce texte, qui est tout dilférent du rapport Coûtant adoptéen première lecture, ne vise que la variation du salaire minimumgaranti, sans modifier les modalités de détermination dece salaire, prévues à l'article 31 x de la loi du 11 lévrier 1950.H reste bien entendu que nous serons appelés à tout, mettreen œuvre pour que le montant de ce salaire soit conforme aubudget type prévu dans la loi du U février. 11 est pénible deconstater qu'au bout de deux ans la composition du budgettype et son chiffrage n'ont pas encore été arrêtés.Que devons-nous penser ? Devons-nous dire que les libérauxqui manifestent leur hostilité à ce projet et qui, en d'autrescirconstances, déploient leurs efforts pour empêcher la miseau point de ce budget type, sont animés de la crainte que cettepublication ne fasse trop nettement ressortir la différence quiexiste entre la quantité de produits nécessaires à la vie d'untravailleur et la quantité de produits que le salaire minimumlui permet d'acquérir ?Vous savez pourtant tous, mais vous feignez parfois del'ignorer, que la justice et l'équité voudraient que chaque travailleurreçoive en contre-partie de son travail la part deproduction indispensable à sa vie et à celle de sa famille.(Applaudissements à gauche.)Oui donc pourrait affirmer qu'il en est ainsi ? Je vais vousdonner la preuve qu'il n'en'est rien en citant quelques chiffrestrès simples, mais dont je vous garantis l'authenticité.Je ne suis ni un économiste, ni un mathématicien. Je nésuis qu'un primaire, un ouvrier, mais les chiffres que je vaisindiquer, je les connais bien* car j'ai vécu de longues annéesdans la situation qu'ils expriment. Lorsque j'aurai fini, je yousdemanderai de me dire si, sur de telles bases, il vous seraitpossible d'équilibrer votre budget.Je prends l'exemple d'un manœuvre touchant le salaireminimum garanti en province, dans ma région des Ardennesnotamment, c'est-à-dire 92 francs de l'heure pour 200 heurespar mois, soit un salaire mensuel de 18.400 francs, duquel ilfaut déduire G p. 100 do cotisation à la sécurité sociale. U restai17.300 francs.Supposons que ce manœuvre soit marié et père d'un enfant.Le ménage n'a plus droit aux allocations familiales; il perçoitseulement l'allocation de salaire unique. Il faut donc ajoutei1.250 francs aux 17.300 francs, ce qui donne un total da18.550 francs par mois.Avez-vous déjà essayé de « décortiquer » un tel budget pourfaire vivre trois personnes pendant un mois ? Comme je 111*3permets d'en douter, je vais le faire devant vous; je le puisd'autant mieux que j'ai connu ces difficultés pendant desannées.Prenons un exemple moyen.Location d'un petit logement, 1.000 francs par mois; chautface— pour nos régions je vais être au-dessous de la vérité,soyez-en persuadés — 150 kilogrammes de charbon par mois,à 1.400 francs les 100 kilogrammes, soit 2.100 francs; électricité,25 kilowatts à 20 francs, soit 500 francs par mois ; partmensuelle de contributions, 200 francs par mois; coopérativescolaire de l'enfant et étude du soir, 200 fianc-s par mois.Total : 4.000 frarïcs par mois.Cette somme représente déjà 21 p. 100 du salaire total, avantqu'il ait été subvenu aux besoins journaliers. 11 reste alors àl'ouvrier 14.550 francs, soit 485 francs par jour, ipour fairevivre trois personnes pendant un mois.Quelle part de la production nationale peut-il s'offrir aveccette somme ?Peut-être certains d'entre vous ne se sont-ils jamais posécette,question. Permettez-moi de combler cette lacune.Un kilogramme de pain, soit 330 grammes par personne,50 francs; un litre de lait, 40 francs; 50 grammes de Leurre,40 francs; 50 grammes de graisse de cuisine, 30 francs;un kilogramme de pommes de terre, 25 francs; un litre de vin,85 francs; légumes divers pour la soupe, 35 francs; café etsucre, 20 francs; viande de ragoût ou pot-au-feu •— 250 grammespour trois personnes — 140 francs; un paquet de tabac pourquatre jours, 20 francs. Au total, 485 francs.Voilà la répartition exacte et théorique de cette somme. Jedis: théorique, car, dans la pratique, les dépenses sont biensupérieures, ainsi que vous allez le voir.Dans la liste que je viens d'établir ne figurent ni dessertpour l'enfant, m journaux pour le père, ni une soirée aucinéma pour la famille.Dans la réalité, comment les choses se passent-elles ?Le petit déjeuner du malin consiste bien souvent, pour lesparents, en un quignon de pain sec dans du mauvais cafébouilli, afin que le beurre soit laissé à l'enfant.Le déjeuner, bien souvent composé d'une ratatouille deilégumes or'i se cache un petit morceau de lard gras; le dîner,consiste fréquemment en une cocote de patates cuites « àla pelure » et couvertes d'un beau lit d'oignons, ce que l'onappelle chez nous une bonne bayenne. Tout cela, pour permettrel'achat, de temps à autre, de la tablette de chocolat oude l'orange dont le gosse a tellement envie!Comme il n'est pas possible de marcher pieds nus ni d'aller,au travail ou à l'école sans vêtements, la ménagère, pour faireface à ces besoins, doit supprimer l'essentiel do la nourriture.I.a viande, qui coûte le plus cher, n'apparaît alors qu'unefois par semaine sur la table familiale, ainsi que le verre devin du papa.Croyez-vous vraiment qu'un Gouvernement et un Parlementqui tolèrent un tel état de choses et le laissent se perpétuerdans une période où l'on affirme que la production nationaleatteint 140 p. 100 de celle de 1938 puissent prétendre appartenirà une nation civilisée ? (Applaudissements à gauche etau centre.)M. Marius Patinaud. Ajoutez à cela que Jules Moch faisaittirer sur les ouvriers en grève, luttant contre cette misère !M. Camille Titeux. Je vous assure, mes chers collègues, quetous vos beaux raisonnements, toutes vos belles théories seheurtent à la simplicité de ces quelques chiffres et que vousaurez beau dire à la classe ouvrière que la stabilité de lamonnaie et l'avenir du pays sont mis en cause par le systèmede l'échelle mobile, vous ne serez jamais compris. (Inlerrup-.lions à l'extrême droile et au centre.)M. René Moatti. Nous ne disons rien de semblable!M. Camille Titeux. Vous méconnaissez totalement la nécessitéabsolue, pour la classe ouvrière de se défendre actuellementpour assurer son maigre minimum vital. (Interruptions àl'extrême droite, au centre et à l'extrême gauche.\