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le français une langue pour l'entreprise.qxd - Délégation générale à ...

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Rencontres3-4.12.07Le <strong>français</strong>,<strong>Délégation</strong> généra<strong>le</strong> <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e et aux <strong>langue</strong>s de France<strong>une</strong> <strong>langue</strong><strong>pour</strong>l’entreprise


Ministère de la Culture et de laCommunication<strong>Délégation</strong> généra<strong>le</strong> <strong>à</strong> la <strong>langue</strong><strong>français</strong>e et aux <strong>langue</strong>s de FranceLe <strong>français</strong>,<strong>une</strong> <strong>langue</strong><strong>pour</strong>l’entrepriseColloque organisé dans <strong>le</strong> cadre de la rencontreannuel<strong>le</strong> des Conseils supérieurs et organismes de la<strong>langue</strong> <strong>français</strong>e3-4 décembre 2007Centre de conférences internationa<strong>le</strong>s,Paris


SommaireJournée du 3 décembre9 Un panorama des usagesOuvertureXavier North15 Quelques résultats sur l’usage des <strong>langue</strong>s étrangèresdans <strong>le</strong>s entreprises <strong>français</strong>es,<strong>à</strong> partir de l’enquête 2006Sophie BRESSÉ21 Le <strong>français</strong> des étrangers :études de cas dans l’entreprise6Isabel<strong>le</strong> GRATIANT31 Utilisation du <strong>français</strong> au travail :suivi de la situation au Québec <strong>à</strong> l’aide d’indicateursPierre BOUCHARD et Claire CHÉNARD36 L’anglais dans <strong>le</strong> milieu du travail : où <strong>le</strong> compromisdevient-il compromettant ?Nathalie ST-LAURENT42 Le bilinguisme coûte (que coûte)Laurence METTEWIE et Luk VAN MENSEL


Journée du 4 décembre101 Les acteurs sociaux en première ligneOuvertureXavier NORTH102 Le travail en <strong>français</strong> : <strong>une</strong> question de territoireet d’identité linguistiquesClaire CHÉNARD112 Travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>, l’impossib<strong>le</strong> consensus ?Tab<strong>le</strong> ronde134 Quel<strong>le</strong>s stratégies francophones ?Tab<strong>le</strong> ronde8


Journée9du 3 décembre


Un panorama des usagesOuvertureXavier NORTH,Délégué général <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e et aux <strong>langue</strong>s de France, ministèrede la Culture et de la Communication, FranceMes premiers mots seront <strong>à</strong> l’intention des délégations francophones<strong>à</strong> qui je souhaite la plus cha<strong>le</strong>ureuse des bienvenues en France. C’estévidemment un grand honneur <strong>pour</strong> la délégation généra<strong>le</strong> <strong>à</strong> la <strong>langue</strong><strong>français</strong>e et aux <strong>langue</strong>s de France de vous accueillir, <strong>à</strong> l’occasion dela rencontre annuel<strong>le</strong> des conseils et organismes chargés de la politiquede la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e en Belgique, en Suisse, au Québec et enFrance.Selon <strong>une</strong> tradition désormais bien établie, cette rencontre - qu’ilincombe <strong>à</strong> chacun des quatre partenaires d’organiser <strong>à</strong> tour de rô<strong>le</strong>dans son pays - comporte un vo<strong>le</strong>t public qui, sous la forme d’un colloqueou d’un séminaire, vise <strong>à</strong> faire <strong>le</strong> point sur un grand thème depolitique linguistique.10Il nous a paru souhaitab<strong>le</strong> cette année de nous saisir de la question des<strong>langue</strong>s qu’utilisent <strong>le</strong>s entreprises dans nos pays respectifs, et si nousavons choisi de faire porter notre attention sur la place qu’occupe <strong>le</strong><strong>français</strong> dans <strong>le</strong>ur fonctionnement, <strong>le</strong>ur production, la commercialisationde <strong>le</strong>urs produits, c’est parce que <strong>le</strong>s choix linguistiques des entreprises- et singulièrement l’espace qu’el<strong>le</strong>s concèdent <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>edans un monde (celui des affaires, du commerce international)dont el<strong>le</strong> n’est pas la <strong>langue</strong> véhiculaire, alors même qu’el<strong>le</strong> reste la<strong>langue</strong> de la citoyenneté et la <strong>langue</strong> comm<strong>une</strong> de la vie quotidienne -nous ont paru, dans chacun de nos pays, plus que jamais lourdes d’enjeuxculturels, économiques et sociaux.Malgré un titre résolument militant, ces deux journées de réf<strong>le</strong>xionn’ont évidemment pas <strong>pour</strong> ambition d’intervenir directement sur <strong>le</strong>s


11pratiques linguistiques des entreprises : <strong>une</strong> tel<strong>le</strong> initiative nous auraitconduits <strong>à</strong> mobiliser <strong>le</strong>s milieux économiques, dans un autre contexte,avec d’autres moyens. Aurions-nous d’ail<strong>le</strong>urs caressé pareil<strong>le</strong> ambition,qu’el<strong>le</strong> aurait eu toutes <strong>le</strong>s chances de se solder par un échec :comme l’a clairement montré <strong>une</strong> étude publiée en 2002 par <strong>le</strong>CREDOC, en matière de stratégie économique, <strong>le</strong> pragmatisme règneen maître et <strong>le</strong> choix des <strong>langue</strong>s - du moins en France - ne susciteaucun état d’âme. Tout au plus notre colloque s’est-il assigné <strong>pour</strong>objectif de confronter modestement, mais rigoureusement, <strong>le</strong>s pointsde vue, <strong>le</strong>s expériences et <strong>le</strong>s enquêtes des organismes nationauxchargés de mettre en œuvre <strong>une</strong> politique de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e, dansdes pays que rapproche <strong>le</strong>ur niveau de développement et l’usage d’<strong>une</strong><strong>langue</strong> partagée (nous parlons volontiers entre nous d’<strong>une</strong> « francophoniedu Nord ») mais que sépare <strong>le</strong>ur histoire, <strong>le</strong>urs traditions culturel<strong>le</strong>s,voire <strong>le</strong>ur organisation politique et socia<strong>le</strong>. Cette confrontation est légitime,dès lors que nous appartenons <strong>à</strong> un même ensemb<strong>le</strong> « géo-linguistique» et qu’il revient <strong>à</strong> l’État, dans chacun de nos pays, de se préoccuperde la <strong>langue</strong> du travail et de l’activité économique.En choisissant ce thème, nous n’avons pas non plus cherché <strong>à</strong> camouf<strong>le</strong>rl'évidente montée en puissance de la <strong>langue</strong> anglaise dans <strong>le</strong>smilieux économiques. Il faudrait être aveug<strong>le</strong>, ou plus exactementsourd, <strong>pour</strong> nier aujourd’hui que <strong>le</strong> flux des échanges, l’ouverture ducapital des entreprises aux investissements étrangers, <strong>le</strong>s stratégies departenariat et d’alliances qu’implique la conquête de nouveaux marchés,l’uniformisation entre filia<strong>le</strong>s d’<strong>une</strong> même entreprise des techniquesde production et d’information - autant de phénomènes quicaractérisent ce qu’il est convenu d’appe<strong>le</strong>r « l’internationalisation deséconomies », et auxquels il faudrait ajouter la croissance de la mobilitéet donc de l'hétérogénéité de la masse salaria<strong>le</strong> - militent <strong>pour</strong> <strong>le</strong> choix(pragmatique, je l’ai dit) d’<strong>une</strong> <strong>langue</strong> véhiculaire. La fluidité de la communicationinterne - entre filia<strong>le</strong>s et maison mère - et externe, entre <strong>le</strong>sdifférents acteurs d’<strong>une</strong> opération, qu’el<strong>le</strong> soit financière ou commercia<strong>le</strong>,en dépend. Le choix de l’anglais, dicté par <strong>le</strong> contexte économiqueglobal, participe de l’adaptation de l’entreprise <strong>à</strong> son environnementet peut être dès lors considéré par de nombreux chefs d’entreprisecomme générateur de compétitivité.


Mais ce constat <strong>une</strong> fois posé - et il l’a été cent fois - est loin d’épuiserla question des <strong>langue</strong>s dans l’entreprise. Cette évolution des pratiqueslinguistiques va-t-el<strong>le</strong> toujours dans <strong>le</strong> sens de l’intérêt des entrepriseset de <strong>le</strong>urs salariés ? Quel<strong>le</strong>s conséquences tangib<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong>s politiquesde recrutement et de management ? Le <strong>français</strong> garde-t-il des atoutssuffisants <strong>pour</strong> conserver sa fonctionnalité dans l’entreprise ? Dansquel<strong>le</strong>s conditions peut-il être <strong>une</strong> <strong>langue</strong> uti<strong>le</strong> dans la compétitioninternationa<strong>le</strong> ? Et quel<strong>le</strong>s formes peut revêtir l’action publique dans cedomaine ?Pour tenter d’y répondre, il nous a paru indispensab<strong>le</strong>, dans un premiertemps, de brosser un panorama des usages, et de cerner au plus près<strong>le</strong>s pratiques linguistiques réel<strong>le</strong>s des entreprises, aujourd’hui. Il estfrappant de constater <strong>à</strong> quel point nous manquons dans ce domained’informations précises, malgré <strong>le</strong>s enquêtes ponctuel<strong>le</strong>s effectuées iciou l<strong>à</strong> : trop souvent, <strong>le</strong>s impressions se substituent aux connaissancesavérées <strong>pour</strong> nourrir, <strong>à</strong> des fins qui ne sont pas toujours désintéressées,des discours catastrophistes ou nostalgiques : <strong>le</strong>s entreprisesauraient massivement basculé vers l’anglais, dit-on, au risque de provoquerdes tensions socia<strong>le</strong>s dont quelques procès récents nous ontoffert <strong>une</strong> illustration retentissante. D’autres mettent en avant <strong>le</strong> développementcontinu de compétences linguistiques nouvel<strong>le</strong>s au sein del’entreprise <strong>pour</strong> souligner <strong>le</strong>ur capacité d’adaptation. Mais on ne construitpas <strong>une</strong> politique des <strong>langue</strong>s sur des impressions ou des sentiments.Qu’en est-il réel<strong>le</strong>ment ? Pour ce qui concerne la France, nousavons profité d’<strong>une</strong> enquête sur <strong>le</strong>s « changements organisationnels etl’informatisation » menée auprès de 18 000 salariés et 13 700 entreprises<strong>pour</strong> y introduire <strong>une</strong> série de questions relatives <strong>à</strong> l’usage des <strong>langue</strong>sdans <strong>le</strong> travail : c’est la première fois que nous disposons de donnéesfiab<strong>le</strong>s <strong>pour</strong> un échantillon aussi large et diversifié, puisqu’ilconcerne 8 millions de salariés dans des entreprises privées de 20salariés et plus (jusqu’ici <strong>le</strong>s études <strong>le</strong>s plus sérieuses étaient fondéessur de simp<strong>le</strong>s sondages). Cette enquête n’est pas étrangère au thèmeque nous avons choisi <strong>pour</strong> ce colloque ; je crois savoir qu’el<strong>le</strong> réservequelques surprises : c’est vous dire avec quel<strong>le</strong> impatience nous enattendons <strong>le</strong>s résultats, qui vous seront présentés aujourd’hui en avantpremière.Mais je suis persuadé que l’analyse des situations québé-12


coise, bruxelloise, ou suisse ne sera pas moins riche d’enseignementsur la diversité des choix effectués par <strong>le</strong>s entreprises et <strong>pour</strong>ra éclaireruti<strong>le</strong>ment notre propos.13Dans un second temps, et <strong>une</strong> fois posé <strong>le</strong> diagnostic, nous feronsporter notre attention sur <strong>le</strong> dispositif légal et rég<strong>le</strong>mentaire qui encadrel’usage de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e dans <strong>le</strong> monde du travail en Franceet au Québec puisqu’aussi bien la première des missions confiées <strong>à</strong>l’action publique consiste <strong>à</strong> la faire respecter, <strong>à</strong> veil<strong>le</strong>r <strong>à</strong> son application.Dès lors en effet que l’emploi de <strong>langue</strong>s autres que <strong>le</strong> <strong>français</strong> sedéveloppe dans <strong>le</strong>s entreprises, dès lors que l’anglais y progressed’<strong>une</strong> manière que <strong>le</strong>s uns jugent souhaitab<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s autres inconsidérée,l’État - qui doit garantir la possibilité <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s citoyens de communiquerentre eux - ne saurait se désintéresser des évolutions en cours.Non pas de manière castigatrice, en stigmatisant (<strong>le</strong> mot est <strong>à</strong> la mode)<strong>le</strong>s chefs d’entreprise, mais en <strong>le</strong>s aidant <strong>à</strong> améliorer <strong>le</strong>s performanceslinguistiques de <strong>le</strong>urs salariés, tout en garantissant <strong>à</strong> ces derniers cequ’on <strong>pour</strong>rait appe<strong>le</strong>r un « droit au <strong>français</strong> », c’est-<strong>à</strong>-dire <strong>le</strong> droit des’exprimer et de recevoir <strong>une</strong> information dans <strong>le</strong>ur <strong>langue</strong>.Ce droit a quelque titre <strong>à</strong> être défendu, qu’il faut chercher dans <strong>le</strong>scapacités expressives de notre <strong>langue</strong> el<strong>le</strong>-même. Bien qu’il ne fail<strong>le</strong>pas confondre l’efficacité et la fonctionnalité d’<strong>une</strong> <strong>langue</strong>, <strong>le</strong> <strong>français</strong>,grâce <strong>à</strong> la mobilisation des gouvernements que nous représentons, est<strong>une</strong> <strong>langue</strong> qui évolue afin de continuer <strong>à</strong> décrire et <strong>à</strong> exprimer <strong>le</strong>s réalitéscontemporaines. Nos dispositifs d’enrichissement respectifs, quitravail<strong>le</strong>nt en étroite concertation, sont de précieux atouts <strong>pour</strong> offriraux entreprises la possibilité de désigner en <strong>français</strong> de nouveauxconcepts. À travers l’exemp<strong>le</strong> du secteur de l’automobi<strong>le</strong>, nous verronsd’ail<strong>le</strong>urs comment la terminologie peut garantir la vitalité de notre<strong>langue</strong> dans <strong>le</strong> secteur économique.Plus généra<strong>le</strong>ment, il est rassurant de constater que si l’internationalisationdes entreprises milite <strong>pour</strong> un recours accru <strong>à</strong> l’anglais, voire <strong>à</strong>d’autres <strong>langue</strong>s, <strong>le</strong> droit du travail n’a pas cédé dans nos pays auxattraits, et peut être aux mirages, de la <strong>langue</strong> unique, et il sera particulièrementintéressant sur ce point de confronter <strong>le</strong>s expériences<strong>français</strong>e et québécoise. Pour que <strong>le</strong>s salariés maîtrisant mal <strong>une</strong>


<strong>langue</strong> étrangère ne soient pas pénalisés, mais aussi dans <strong>le</strong> souci delimiter <strong>le</strong>s risques de litige et de protéger la santé et la sécurité des personnes,la loi du 4 août 1994, en France, a introduit l’obligation <strong>pour</strong>l’employeur de rédiger en <strong>français</strong> « tout document comportant desobligations <strong>pour</strong> <strong>le</strong> salarié ou des dispositions dont la connaissance estnécessaire <strong>à</strong> celui-ci <strong>pour</strong> l’exécution de son travail ». Un vo<strong>le</strong>t importantde l’action de la DGLFLF vise <strong>à</strong> garantir ce droit des salariés <strong>à</strong> s’exprimeret <strong>à</strong> recevoir <strong>une</strong> information en <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e. El<strong>le</strong> s’appuiesur la circulaire du 19 mars 1996, qui impose la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e <strong>pour</strong>la rédaction des offres d’emploi, des contrats de travail, des règ<strong>le</strong>mentsintérieurs et des conventions col<strong>le</strong>ctives. Comme toutes <strong>le</strong>sdispositions du droit du travail, ces obligations, qui s’imposent auxemployeurs, sont susceptib<strong>le</strong>s d’être contrôlées par l’inspection du travail.Deux élus ayant joué un rô<strong>le</strong> majeur dans la mise en place ducadre légal en France, l’ancien ministre Jacques Toubon, auteur de laloi qui porte son nom, et <strong>le</strong> sénateur Jacques Legendre, qui en a été <strong>le</strong>rapporteur, viendront exprimer <strong>le</strong>ur point de vue, en pointant <strong>le</strong>s avancéespermises par la loi, mais aussi peut-être ses limites ou ses insuffisances,dans <strong>le</strong>s domaines où el<strong>le</strong> n’a pas produit tous ses effets.14Mais l’entreprise, on l’oublie trop souvent, est aussi un acteur social, etmême, dans <strong>une</strong> économie libéra<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> est en première ligne desacteurs sociaux, et ceci doub<strong>le</strong>ment. D’abord parce que <strong>le</strong>s choix linguistiqueseffectués par <strong>le</strong>s entreprises ont des effets structurants trèsprofonds sur <strong>le</strong> reste de la société. Ces effets ont été insuffisammentétudiés, et nous n’aurons pas la possibilité de <strong>le</strong>s analyser ici, maisnous <strong>le</strong>s évoquerons <strong>à</strong> partir de la situation québécoise, qui fera apparaître<strong>le</strong>ur évidente, <strong>le</strong>ur considérab<strong>le</strong> portée symbolique, en termes deterritoire et d’identité linguistique. Et d’autre part, l’entreprise est aussiun acteur social, par cela seul qu’el<strong>le</strong> est <strong>le</strong> principal lieu de vie etd’échanges <strong>pour</strong> nos concitoyens. À l’inverse des thuriféraires du« tout-anglais », certains chefs d’entreprise estiment ainsi que l’adoptionau travail d’<strong>une</strong> autre <strong>langue</strong>, non maternel<strong>le</strong> <strong>pour</strong> l’écrasantemajorité des salariés, peut conduire non seu<strong>le</strong>ment <strong>à</strong> un appauvrissementdes échanges ou <strong>à</strong> des incompréhensions, mais <strong>à</strong> des situationsde souffrance au travail, de discrimination, voire de fracture linguistiqueentre cadres et employés, préjudiciab<strong>le</strong>s <strong>à</strong> la rentabilité même de


l’entreprise. La généralisation de l’anglais - si son usage devait êtreexclusif ou imposé - a un coût, humain, social, économique, qu’il importede mettre en balance avec <strong>le</strong> profit que l’on espère retirer du recours<strong>à</strong> la <strong>langue</strong> globa<strong>le</strong> : parce que la question des <strong>langue</strong>s est appelée <strong>à</strong>s’imposer dans <strong>le</strong> dialogue social, nous demandons aux acteurssociaux eux-mêmes, syndicalistes et chefs d’entreprises, <strong>le</strong>urs pointsde vue sur son évolution.15Enfin, nous nous interrogerons sur la possibilité de définir des stratégiesfrancophones, <strong>à</strong> l’intérieur de l’entreprise comme dans <strong>le</strong>s relationsde l’entreprise avec ses partenaires. À l’international, <strong>le</strong> <strong>français</strong>est encore bien présent dans plusieurs secteurs d’activité. Porté par laqualité des savoir-faire industriels de nos pays, il est souvent indissociab<strong>le</strong>de l’image de marque de nos produits et son usage constituealors un avantage concurrentiel. Mais surtout, ceux qui préconisaientl’usage ou l’apprentissage <strong>à</strong> marches forcées de l’anglais, en s’arrêtantl<strong>à</strong>, ont un train de retard : il est désormais acquis que la connaissancede l’anglais ne suffit plus, et par <strong>une</strong> ironie du sort, <strong>le</strong> constat en estétabli par <strong>le</strong> monde anglophone lui-même. On se doutait depuis longtempsque, si l’on peut acheter en anglais ou dans sa propre <strong>langue</strong>, onvend toujours beaucoup mieux dans la <strong>langue</strong> du client ; grâce <strong>à</strong> <strong>une</strong>étude conduite récemment par <strong>une</strong> université anglaise et citée par laCommission européenne, on mesure désormais, en espèces sonnanteset trébuchantes, <strong>le</strong>s pertes induites - <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s entreprises anglophones- par <strong>le</strong> choix du monolinguisme sur <strong>le</strong>s marchés allophones.Gagner des parts de marché nécessite de disposer de cadres maîtrisant<strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s de la clientè<strong>le</strong>. Ce souci du plurilinguisme de certainschefs d'entreprise confortera de facto l'usage de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e.En tentant de définir des pistes de travail et peut-être des stratégiescomm<strong>une</strong>s, on verra se dessiner alors <strong>une</strong> politique linguistique cherchant<strong>à</strong> concilier ces deux impératifs, qui sont loin d’être contradictoires: la nécessaire ouverture aux échanges internationaux, qui passepar <strong>le</strong> plurilinguisme, et la non moins nécessaire promotion de la<strong>langue</strong> nationa<strong>le</strong>. Car <strong>pour</strong> par<strong>le</strong>r d’autres <strong>langue</strong>s, il faut être biendans la sienne, et <strong>pour</strong> par<strong>le</strong>r la sienne avec confiance, rien ne vaut laconnaissance d’autres <strong>langue</strong>s.


Quelques résultats sur l'usage des <strong>langue</strong>sétrangères dans <strong>le</strong>s entreprises <strong>français</strong>es, <strong>à</strong>partir de l'enquête COI (Changements organisationnelset informatisation) 2006Sophie BRESSÉCentre d'études de l'emploi, FranceXavier NORTHSophie Bressé est chargée de mission au Centre d'études de l'emploi,un établissement public administratif placé sous la doub<strong>le</strong> tutel<strong>le</strong> duministère du Travail et du ministère de l'Enseignement supérieur et dela Recherche. El<strong>le</strong> nous présente <strong>une</strong> enquête de grande amp<strong>le</strong>ur.Sophie BRESSÉLes données présentées restent encore provisoires. L'objectif principalde l'enquête « Changements organisationnels et informatisation » n'estpas d'étudier l'usage des <strong>langue</strong>s dans <strong>le</strong>s entreprises, mais de mesurer<strong>le</strong>s changements des organisations et <strong>le</strong>urs conséquences sur l'organisationdu travail. Il s'agit d'<strong>une</strong> enquête couplée : nous avons séparémentinterrogé des entreprises et des salariés. Ces derniers sontissus des entreprises consultées dans un certain nombre de cas, ce quipermet de confronter <strong>le</strong>s deux points de vue. Huit partenaires coordonnéspar <strong>le</strong> CEE, dont la DGLFLF, ont participé <strong>à</strong> l'élaboration de cetteenquête.16Nous avons interrogé 15 000 salariés d'entreprises de 20 salariés etplus, et 13 700 entreprises de 10 salariés et plus. Le couplage a portésur ces 15 000 salariés issus des 7 000 entreprises d'au moins20 salariés. Le chiffre initia<strong>le</strong>ment annoncé était de 18 000 salariés,car l'enquête comportait deux extensions réalisées auprès des salariésde la fonction publique d'État et hospitalière. À la demande de laDGLFLF, nous avons distingué <strong>le</strong>s échantillons de salariés de la fonctionpublique de ceux d'entreprises privées. Le redressement n'est pas


encore terminé ; je ne peux malheureusement pas vous communiquer<strong>le</strong>s résultats du premier échantillon aujourd'hui.Les questions portant sur l'usage des <strong>langue</strong>s étrangères au travailn'ont été posées qu'aux salariés, <strong>le</strong> questionnaire étant différent <strong>pour</strong><strong>le</strong>s entreprises. Je vous présenterai uniquement la partie concernant<strong>le</strong>s salariés des entreprises de 20 salariés et plus.Les thèmes abordés au fil du questionnaire sont <strong>le</strong>s suivants :17> <strong>le</strong>s horaires ;> <strong>le</strong>s outils du poste de travail ;> <strong>le</strong> lieu et <strong>le</strong>s col<strong>le</strong>ctifs de travail ;> <strong>le</strong>s responsabilités ;> l'entraide et l'autonomie ;> <strong>le</strong>s rythmes ;> <strong>le</strong>s compétences et la formation professionnel<strong>le</strong> ;> la rémunération et l'évaluation ;> <strong>le</strong>s changements dans <strong>l'entreprise</strong> ces trois dernières années.L'enquête a été menée en décembre 2006. La DGLFLF a financé undispositif de questions sur <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s, posées de façon transversa<strong>le</strong> auquestionnaire, <strong>à</strong> la base des résultats maintenant présentés.Ces questions visent <strong>à</strong> appréhender l'utilisation des <strong>langue</strong>s étrangèresau travail. La première est posée <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s salariés : « Votre travailimplique-t-il de par<strong>le</strong>r ou écrire <strong>une</strong> autre <strong>langue</strong> que <strong>le</strong> <strong>français</strong> ? ».S'ils répondent « fréquemment » ou « occasionnel<strong>le</strong>ment », nous <strong>le</strong>urdemandons de quel<strong>le</strong> <strong>langue</strong> il s'agit. S'ils en utilisent plusieurs, ils doiventnoter la <strong>langue</strong> utilisée <strong>le</strong> plus fréquemment. La deuxième série dequestions est aussi posée <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s salariés : « Vous arrive-t-il dedevoir utiliser des documents comme des notices, des modes d'emplois(etc.) qui ne sont pas rédigés en <strong>français</strong> ? ». Les personnesrépondant par l'affirmative doivent indiquer si cela gène <strong>le</strong> bon dérou<strong>le</strong>mentde <strong>le</strong>ur travail. Cette question très intéressante sur la gêneoccasionnée par cet usage n'a cependant pas été posée aux salariés


devant par<strong>le</strong>r ou écrire dans <strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère au travail. Les résultatsportant sur cette gêne au travail ne concernent donc que <strong>le</strong>s salariésayant indiqué qu'ils étaient amenés <strong>à</strong> lire des documents rédigésdans <strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère. Il convient de bien noter la différence. Parail<strong>le</strong>urs, l'enquête étant déclarative, l'appréciation de la gêne est laisséeaux salariés. Leurs réponses peuvent masquer des vécus différents.26 % des salariés des entreprises de 20 salariés et plus ont un travailimpliquant de par<strong>le</strong>r et/ou écrire <strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère. Il s'agit de l'anglaisdans 89 % des cas, et des trois autres <strong>langue</strong>s statistiquement <strong>le</strong>splus répandues dans 8 % des cas, c'est-<strong>à</strong>-dire l'al<strong>le</strong>mand, l'espagnol etl'italien. 3 % des salariés utilisent éga<strong>le</strong>ment d'autres <strong>langue</strong>s étrangères.Dans cette catégorie, toutes <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s mentionnées sont utiliséespar moins de 1 % des salariés interrogés. 32 % des salariés sontamenés <strong>à</strong> lire des documents rédigés dans <strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère.Parmi eux, 22 % déclarent que cela gène <strong>le</strong> bon dérou<strong>le</strong>ment de <strong>le</strong>urtravail, soit 7 % des salariés des entreprises de 20 salariés et plus.J'ai défini trois groupes d'utilisateurs <strong>à</strong> partir des résultats aux questionsprésentées précédemment sur la pratique et la <strong>le</strong>cture des <strong>langue</strong>sétrangères au travail et la gêne éventuel<strong>le</strong>ment occasionnée :18> <strong>le</strong>s « utilisateurs comp<strong>le</strong>ts »Ils sont amenés <strong>à</strong> par<strong>le</strong>r ou écrire <strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère d'<strong>une</strong> part, et<strong>à</strong> lire des documents rédigés en <strong>langue</strong> étrangère dans <strong>le</strong> cadre de <strong>le</strong>urtravail d'autre part ; ils déclarent que la <strong>le</strong>cture de ces documents ne<strong>le</strong>s gêne pas dans <strong>le</strong> bon dérou<strong>le</strong>ment de <strong>le</strong>ur travail. Ils représentent15 % des salariés des entreprises de 20 salariés et plus.> <strong>le</strong>s « utilisateurs gênés »Ils sont amenés <strong>à</strong> lire des documents rédigés dans <strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangèredans <strong>le</strong> cadre de <strong>le</strong>ur travail et en souffrent ; ils représentent 7 %des salariés interrogés. Un peu moins de la moitié d'entre eux sont enoutre amenés <strong>à</strong> par<strong>le</strong>r ou écrire <strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère.


<strong>le</strong>s utilisateurs des autres <strong>langue</strong>s étrangèresIls représentent 1 % des salariés étudiés et sont insuffisamment représentésdans notre échantillon <strong>pour</strong> fournir un résultat statistiquementfiab<strong>le</strong>.Par ail<strong>le</strong>urs, 60 % des salariés n'utilisent pas de <strong>langue</strong> étrangère autravail.Groupe 1 : <strong>le</strong>s utilisateurs comp<strong>le</strong>tsÀ partir de l'enquête COI 2006, on estime <strong>le</strong> nombre d'utilisateurscomp<strong>le</strong>ts entre 1,1 million et 1,2 million en France métropolitaine ausein des entreprises de 20 salariés et plus (en fait un peu plus d'unmillion).19CaractéristiquesUtilisateurscomp<strong>le</strong>tsÉtudes supérieures 80 % 35 %Études de très haut niveau(grandes éco<strong>le</strong>s)27 % 6 %Cadres 59 % 19 %Ouvriers 3 % 32 %Salariés exerçant des fonctionsd'encadrement48 % 29 %Femmes 28 % 37 %Salariés dont <strong>l'entreprise</strong>intervient sur <strong>le</strong> marchéinternational82 % 53 %Population de référenceSalariés dont <strong>l'entreprise</strong>compte 250 salariés ou plus71 % 62 %Nous remarquons éga<strong>le</strong>ment :> plus de je<strong>une</strong>s de 25 <strong>à</strong> 34 ans par rapport <strong>à</strong> la population de référence;> plus de salariés travaillant dans l'industrie automobi<strong>le</strong> et des biensd'équipement, dans la finance ou <strong>le</strong>s services aux entreprises, et moins


de salariés travaillant dans la construction et <strong>le</strong>s industries agroalimentairesou de biens de consommation ;> l'augmentation de la part des utilisateurs comp<strong>le</strong>ts en fonction croissantede la tail<strong>le</strong> de <strong>l'entreprise</strong> ;> l'utilisation dans <strong>le</strong>ur travail d'<strong>une</strong> de <strong>le</strong>urs <strong>langue</strong>s maternel<strong>le</strong>s <strong>pour</strong>16 % des utilisateurs comp<strong>le</strong>ts.Nous avons constaté <strong>le</strong>s circonstances d'utilisation suivantes : 29 %des « utilisateurs comp<strong>le</strong>ts » utilisent la <strong>langue</strong> étrangère dans <strong>le</strong>ursrelations avec <strong>le</strong>urs collègues, 16 % avec <strong>le</strong>urs supérieurs hiérarchiques,43 % avec <strong>le</strong>urs fournisseurs, 53 % avec <strong>le</strong>urs clients et 54 %avec d'autres personnes extérieures.Groupe 2 : <strong>le</strong>s utilisateurs gênésLes utilisateurs gênés représentent entre 500 000 et 600 000 salariésdes entreprises de 20 salariés ou plus. Les fourchettes sont larges,mais ces estimations seront affinées dès que <strong>le</strong> redressement serafinalisé. Comme dans <strong>le</strong> groupe des utilisateurs comp<strong>le</strong>ts, <strong>le</strong>s femmessont moins présentes (26 %) que dans la population de référence(37 %). Les je<strong>une</strong>s sont en revanche moins représentés alors que <strong>le</strong>ssalariés de 45 ans et plus sont proportionnel<strong>le</strong>ment plus nombreux.Les cadres et professions intermédiaires sont plus représentés (45 %)que dans la population de référence. Le niveau d'étude reste proche dela population de référence, bien qu'un peu plus de salariés exercentdes professions d'encadrement.2062 % des utilisateurs gênés ont suivi <strong>une</strong> formation proposée par <strong>le</strong>uremployeur depuis <strong>le</strong>ur entrée dans <strong>l'entreprise</strong>, soit plus que la moyenne.Cependant, seuls 10 % parmi ces derniers ont suivi <strong>une</strong> formationen <strong>langue</strong>s, en anglais dans 99 % des cas.Groupe 3 : <strong>le</strong>s utilisateurs d'autres <strong>langue</strong>s étrangèresOn estime <strong>le</strong> nombre d'utilisateurs d'autres <strong>langue</strong>s étrangères <strong>à</strong> unpeu moins de 50 000 salariés des entreprises de 20 salariés et plus. Ils


utilisent <strong>le</strong> plus souvent <strong>le</strong> portugais ou l'arabe, la centaine d'autres<strong>langue</strong>s étant très peu représentée. La plupart d'entre eux sont issusde l'immigration. Parmi eux, 66 % ont appris <strong>le</strong> <strong>français</strong> dans <strong>le</strong>urenfance et 52 % ont appris plusieurs <strong>langue</strong>s. Un cinquième n'a apprisque <strong>le</strong> <strong>français</strong>, c'est-<strong>à</strong>-dire qu'ils ont acquis <strong>une</strong> <strong>langue</strong> rare, peureprésentée statistiquement, dans <strong>le</strong> cadre de <strong>le</strong>ur scolarité. J'aimeraisdévelopper ces résultats, mais nos chiffres ne sont pas représentatifs,car seu<strong>le</strong>s 75 personnes utilisatrices d'<strong>une</strong> autre <strong>langue</strong> étrangère ontété interrogées dans <strong>le</strong> cadre de l'enquête COI.21Xavier NORTHMerci. Je soulignerai <strong>le</strong>s principaux enseignements de cette enquête,très instructifs <strong>pour</strong> la politique linguistique. Le travail d'un salarié surquatre implique de par<strong>le</strong>r ou d'écrire dans <strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère. Cetteproportion considérab<strong>le</strong> s'élève <strong>à</strong> un sur trois <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s compétencesdites réceptives. Pour la première fois, nous disposons d'un chiffreaussi significatif sur l'internationalisation de l'économie <strong>français</strong>e. Parail<strong>le</strong>urs, un tiers des salariés amenés <strong>à</strong> pratiquer <strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangèreau travail l'utilisent <strong>pour</strong> communiquer <strong>à</strong> l'intérieur des entreprises(avec <strong>le</strong>urs collègues et/ou avec <strong>le</strong>urs supérieurs), ce qui est révélateurde <strong>le</strong>ur mode de fonctionnement. Nous remarquons que l'internationalisationest intériorisée. Enfin, plus de 500 000 salariés sont gênés parl'utilisation réceptive d'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère. Cela peut entraîner dessituations d'insatisfaction, influençant <strong>le</strong>s profits de <strong>l'entreprise</strong>. Cestrois enseignements méritent réf<strong>le</strong>xion. Leur confrontation avec l'étudede nos amis québécois sera très intéressante.


Le <strong>français</strong> des étrangers : études de cas dans<strong>l'entreprise</strong>Isabel<strong>le</strong> GRATIANTForum francophone des affaires, FranceXavier NORTHIsabel<strong>le</strong> Gratiant est déléguée généra<strong>le</strong> d'un groupement d'entrepriseset membre du Forum francophone des affaires. Le Forum est un organismeofficiel de la francophonie rassemblant des entreprises francophones.Il fut associé au sommet de la francophonie dès sa création <strong>à</strong>Québec en 1987. Isabel<strong>le</strong> Gratiant explore <strong>le</strong> domaine particulier etsouvent négligé des pratiques linguistiques des cadres étrangers travaillanten France.Isabel<strong>le</strong> GRATIANTNous tenterons de déterminer <strong>le</strong> profil des entreprises ayant choisi des'implanter en France ainsi que <strong>le</strong>ur degré d'intérêt <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s questionslinguistiques lors de l'analyse initia<strong>le</strong> d'investissement. Nous établirons,<strong>le</strong> cas échéant, <strong>le</strong>s liens entre la décision d'implantation et <strong>le</strong>saspects linguistiques. Enfin, nous examinerons <strong>le</strong>s politiques de ressourceshumaines et <strong>le</strong>s formations dans <strong>le</strong>s maisons mères étrangèreset en France.22La France est un territoire d'accueil des entreprises étrangères. Lemouvement des investissements directs <strong>à</strong> l'étranger (IDE) constitue<strong>une</strong> tendance forte de l'ouverture de l'économie. Il s'agit d'investissementsstratégiques sous forme de rachat d'activités, de fusions acquisitions,de coentreprises, afin d'accroître l'activité économique enimpliquant l'investisseur dans la gestion directe de l'activité. Desétudes officiel<strong>le</strong>s décrivent <strong>une</strong> France attractive grâce <strong>à</strong> ses infrastructuresde qualité, <strong>à</strong> sa main-d'œuvre qualifiée et <strong>à</strong> sa qualité de vie.En 2006, la Banque de France a placé la France au troisième rang mondialdes IDE après <strong>le</strong>s États-Unis et <strong>le</strong> Royaume-Uni, avec 55 milliards


d'euros. L'Agence <strong>français</strong>e <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s investissements internationauxévalue <strong>à</strong> environ 20 000 <strong>le</strong>s entreprises étrangères installées enFrance, généra<strong>le</strong>ment des filia<strong>le</strong>s. Un salarié sur sept y travail<strong>le</strong>, soitproportionnel<strong>le</strong>ment plus qu'en Al<strong>le</strong>magne, au Royaume-Uni et auxÉtats-Unis.Ainsi, Microsoft, Motorola, Shiseido, Coca-Cola entre autres, disposentd'<strong>une</strong> base logistique ou d'un siège européen en France. Nous avonsinterrogé <strong>le</strong>s dirigeants de certaines de ces entreprises transnationa<strong>le</strong>safin d'étudier la dimension linguistique de l'investissement en France.Leur président, directeur général ou directeur des ressources humainesconnaissent parfaitement <strong>le</strong> processus d'installation et <strong>le</strong> dispositifd'encadrement.Présentation de l'enquête23Notre enquête qualitative porte sur des sociétés ayant réalisé un investissementinitial ou de développement au cours de ces cinq dernièresannées. Nous avons étudié <strong>le</strong>ur politique de ressources humaines sousl'ang<strong>le</strong> du recrutement, du niveau de qualification, de l'expatriation decadres et techniciens depuis la maison mère, de l'environnementsocial et familial de ces cadres et de la politique de formation. Parsouci de confidentialité, ces entreprises ne sont pas explicitementnommées. Nous avons en outre rencontré des PME ainsi que <strong>le</strong>s structuresd'appui <strong>le</strong>s assistant dans <strong>le</strong>urs démarches d'internationalisation.Ces cabinets généralistes ou spécialistes facilitent <strong>le</strong>ur arrivée enFrance et <strong>le</strong>ur adaptation linguistique. Ainsi, Natixis PramexInternational, premier cabinet européen d'accompagnement des entreprises<strong>à</strong> l'international, a participé <strong>à</strong> l'enquête, tout comme l'Agence<strong>français</strong>e <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s investissements internationaux.Une vingtaine d'entreprises sur quarante approchées ont répondu. Lesautres ne l'ont pas souhaité faute d'intérêt ou <strong>pour</strong> cause d'indisponibilitédu dirigeant. Parmi <strong>le</strong>s cas atypiques se trouvent deux sociétésjaponaises ayant transféré <strong>le</strong>ur activité <strong>à</strong> Londres, ainsi que deux sociétésjaponaise et chinoise de transport aérien dont <strong>le</strong>s dirigeants ne par-


laient pas <strong>français</strong>. Malgré <strong>le</strong>ur bonne volonté, pareil constat suffisait<strong>pour</strong> répondre <strong>à</strong> notre enquête. En outre, certaines filia<strong>le</strong>s étrangèresdotées d'équipes <strong>français</strong>es travail<strong>le</strong>nt uniquement avec des francophonesbasés au siège, rendant notre questionnaire caduc.Nous avons interrogé <strong>une</strong> majorité de sociétés japonaises dans <strong>le</strong>s secteursde l'agroalimentaire et plus particulièrement de la nutrition anima<strong>le</strong>,des cosmétiques moyen et haut de gamme, des transports et lalogistique, de la chimie, de la construction automobi<strong>le</strong>. Les sociétésaméricaines sont un cabinet d'avocats internationaux, un agent devoyage en ligne ou des entreprises du secteur bancaire. Un équipementierchinois, un fabricant coréen de composants é<strong>le</strong>ctroniques et<strong>une</strong> société d'hôtel<strong>le</strong>rie de luxe basée <strong>à</strong> Hong-Kong et Singa<strong>pour</strong> composent<strong>le</strong> corpus asiatique. Enfin, des sociétés al<strong>le</strong>mandes, grecques,suédoises, ainsi qu'<strong>une</strong> société canadienne et austro-canadiennereprésentent <strong>le</strong> reste de l'échantillon.L'histoire de certaines entreprises étrangères avec la France s'avèreparticulière, <strong>à</strong> l'exemp<strong>le</strong> de la société suédoise interrogée. El<strong>le</strong> fut lapremière <strong>à</strong> s'y implanter au début du XX e sièc<strong>le</strong>. En revanche, <strong>le</strong>s sociétéschinoises sont présentes depuis moins de cinq ans. Toutes cesentreprises ont un statut de filia<strong>le</strong> <strong>à</strong> l'exception des cabinets deconseil. Certaines furent créées par partenariat initial avec <strong>une</strong> entreprise<strong>français</strong>e, mais toutes supposent l'appui de personnel venu del'étranger. El<strong>le</strong>s ont donc accueilli des collaborateurs non francophonesexpatriés au sein d'équipes majoritairement <strong>français</strong>es ou francophones.Leur nombre est faib<strong>le</strong>, mais <strong>une</strong> attention particulière <strong>le</strong>ur estportée, car il s'agit de hauts dirigeants ou de techniciens devant rapidementtransférer <strong>le</strong>urs compétences spécifiques.24Les filia<strong>le</strong>s affectent <strong>le</strong>ur personnel étranger en région parisienne, souventaux services centraux, ou en régions dans <strong>le</strong> cas des techniciens,où el<strong>le</strong>s disposent d'un site de production. El<strong>le</strong>s produisent, distribuent,commercialisent des biens et services, contrôlant ainsi l'intégralitédu processus, <strong>à</strong> l'image de la société de cosmétiques haut degamme interrogée. Les politiques d'accueil et de formation sont indé-


pendantes de la tail<strong>le</strong> des entreprises puisque toutes doivent anticiper<strong>le</strong>s éventuel<strong>le</strong>s difficultés linguistiques.L'entreprise reste essentiel<strong>le</strong>ment un acteur économique dont <strong>le</strong>s ressourcessont mobilisées <strong>pour</strong> vendre. El<strong>le</strong> relègue la question de la<strong>langue</strong> en arrière-plan et résout <strong>le</strong>s difficultés, considérées commetechniques, de manière ponctuel<strong>le</strong> et pragmatique sans réfléchir <strong>à</strong><strong>le</strong>urs causes. Auc<strong>une</strong> doctrine n'est élaborée autour de la <strong>langue</strong>, rarementenvisagée avec ses dimensions identitaires et culturel<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong> estperçue comme un simp<strong>le</strong> outil au service des objectifs de <strong>l'entreprise</strong>.Notre travail s'articu<strong>le</strong> autour de deux questions centra<strong>le</strong>s, dont la premièreest d'ordre descriptif : « Travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>, unité ou diversité? ». La seconde est plus analytique : nous nous demanderons si travail<strong>le</strong>ren <strong>français</strong> est <strong>une</strong> nécessité ou un agrément.L'entreprise, ses collaborateurs et la question linguistique25Malgré des profils hétérogènes, <strong>le</strong>s entreprises adoptent toujours lamême attitude lors de l'investissement. Pour des raisons économiques,la question de la <strong>langue</strong> de travail n'entrave pas la décision d'implantationen France, pays <strong>pour</strong>tant unilingue. Les entreprises contournent ladifficulté linguistique en déléguant <strong>le</strong>s opérations sur place <strong>à</strong> des partenaires<strong>français</strong>, avec qui el<strong>le</strong>s communiquent dans <strong>le</strong>ur <strong>langue</strong> ou enanglais. El<strong>le</strong>s affectent éga<strong>le</strong>ment en France des cadres <strong>français</strong> dotésd'<strong>une</strong> expérience significative au siège ou <strong>à</strong> l'international. Enfin, el<strong>le</strong>sse rapprochent des structures d'appui déj<strong>à</strong> évoquées, qui maîtrisentsoit la <strong>langue</strong> de l'investisseur, soit l'anglais. Ne pas par<strong>le</strong>r <strong>français</strong>n'apparaît pas comme un handicap insurmontab<strong>le</strong>. Auc<strong>une</strong> entrepriseinterrogée n'a mentionné <strong>une</strong> formation en <strong>français</strong> <strong>pour</strong> envisager l'investissementen France. Une fois la décision prise, la communicationest assurée directement si <strong>le</strong> responsab<strong>le</strong> de l'opération est <strong>français</strong> etfait l'interface avec l'étranger, ou indirectement avec l'appui des organismesde conseil. La <strong>langue</strong> de l'investisseur est plus rarement utiliséeque l'anglais.


Critères linguistiques de sé<strong>le</strong>ction des collaborateurs après l'installationLorsque la filia<strong>le</strong> est dirigée par un étranger non francophone, un collaborateurproche maîtrisant <strong>le</strong>s deux <strong>langue</strong>s l'accompagne. Le dirigeant<strong>français</strong> est polyglotte dans la plupart des cas. Les impatriéssont proportionnel<strong>le</strong>ment peu présents dans <strong>le</strong>s équipes toujoursmajoritairement <strong>français</strong>es. Ils sont au maximum 40 parmi plusieurscentaines de collaborateurs. Ces derniers sont exclusivement sé<strong>le</strong>ctionnés<strong>pour</strong> <strong>le</strong>urs compétences techniques, indépendamment de <strong>le</strong>urconnaissance du <strong>français</strong>, bien que cela constitue un avantage supplémentaire.Cela explique que beaucoup d'entreprises consultéesemploient des étrangers ne parlant pas toujours <strong>français</strong>.Les personnes qui choisissent de passer quelques années en Francesont en majorité des cadres dirigeants, parfois des cadres de très hautniveau menant <strong>une</strong> carrière quasi exclusivement internationa<strong>le</strong>, et plusrarement des agents de maîtrise affectés <strong>à</strong> des postes très techniques.Les étrangers dirigeant la filia<strong>le</strong> apprennent <strong>le</strong> <strong>français</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong>urs missionsde représentation et se font éventuel<strong>le</strong>ment assister par des traducteurs.Les cadres internationaux peuvent se passer d'un apprentissagestructuré du <strong>français</strong> du fait de <strong>le</strong>ur mobilité géographique au seindu groupe. L'anglais est souvent la <strong>langue</strong> de travail, d'ail<strong>le</strong>urs suffisante<strong>pour</strong> assurer <strong>le</strong>ur vie professionnel<strong>le</strong> et personnel<strong>le</strong>. L'affectation enFrance s'inscrit dans <strong>une</strong> dynamique de carrière. Il s'agit toujoursd'<strong>une</strong> opportunité, voire d'<strong>une</strong> promotion quasi-imposée par la maisonmère par choix stratégique.26En outre, <strong>le</strong> France jouit d'<strong>une</strong> image attrayante supposant un séjouragréab<strong>le</strong>. La cote d'<strong>une</strong> expérience en France dépend du secteur d'activité.Une tel<strong>le</strong> expérience est recherchée si la filia<strong>le</strong> <strong>français</strong>e pèsedans <strong>le</strong> groupe comme dans <strong>le</strong> cas des cosmétiques, de l'hôtel<strong>le</strong>rie etdu tourisme. Il est toutefois indispensab<strong>le</strong> de maîtriser sommairement<strong>le</strong> <strong>français</strong>. En revanche, la communication en <strong>français</strong> est plus raredans <strong>le</strong> domaine de l'informatique et des techniques de communication,où <strong>le</strong>s documents de références sont rédigés en anglais.


27Politiques de formation linguistique mises en œuvre dans <strong>le</strong> pays d'origine<strong>pour</strong> préparer l'expatriationContrairement aux idées répandues sur la gestion prévisionnel<strong>le</strong> desressources humaines, <strong>le</strong>s affectations sont rapides. Ainsi, dans l'<strong>une</strong>des sociétés japonaises, 15 jours s'écou<strong>le</strong>nt entre la décision d'affectationet l'arrivée en France. Par conséquent, <strong>le</strong>s services de ressourceshumaines en France sont chargés de la formation linguistique.L'entreprise favorise généra<strong>le</strong>ment la formation ad hoc. La mise enplace du nouveau contrat d'accueil et d'intégration a plusieurs fois étéévoquée. En obligeant <strong>le</strong>s collaborateurs <strong>à</strong> être évalués sur <strong>le</strong>ur niveaude <strong>français</strong>, voire formés, ce dispositif paraît modifier <strong>le</strong>s perceptionset <strong>le</strong>s pratiques. La spécificité des cadres dirigeants ne semb<strong>le</strong> pasêtre prise en compte. Ces derniers ont peu de temps <strong>à</strong> consacrer <strong>à</strong> <strong>une</strong>activité perçue comme extraprofessionnel<strong>le</strong>, bien qu'ils soient sensib<strong>le</strong>s<strong>à</strong> la qualité de <strong>le</strong>ur environnement. L'entreprise souscrit <strong>à</strong> cetaccueil bien qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong> ressente peu adapté au niveau socioculturel deces cadres. Ce dispositif va sans doute évoluer.Accompagnement familial des cadresLes Américains et <strong>le</strong>s Européens viennent volontiers accompagnés de<strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong>, enfants compris. Les Asiatiques sont en revanche plus réticents.L'explication ne vaut pas uniquement <strong>pour</strong> la France ; certainsaffirment que <strong>le</strong>s épouses s'intégreraient diffici<strong>le</strong>ment et que <strong>le</strong>senfants risqueraient d'être pénalisés, <strong>à</strong> <strong>le</strong>ur retour dans <strong>le</strong>ur paysd’origine. Les Chinois, Japonais et Coréens viennent majoritairementseuls en France, malgré quelques cas de famil<strong>le</strong>s japonaises parfaitementintégrées. Les entreprises veil<strong>le</strong>nt <strong>à</strong> ce que <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s puissentaccéder <strong>à</strong> des structures, parfois associatives, d'apprentissage. À cestade, la <strong>langue</strong> est souvent couplée <strong>à</strong> la sensibilisation culturel<strong>le</strong>.


Travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>Unité ou diversité ?Les entreprises déploient <strong>une</strong> stratégie comm<strong>une</strong> face <strong>à</strong> la perspectivedu travail en <strong>français</strong>. La connaissance de cette <strong>langue</strong> n'est pasdécisive <strong>pour</strong> <strong>une</strong> affectation. Les services de ressources humainesdes filia<strong>le</strong>s et des pays d'origine connaissent <strong>le</strong>s formations.Cependant, ils <strong>le</strong>s considèrent comme <strong>une</strong> option et non comme <strong>une</strong>obligation.Nécessité ou agrément ?Le statut du <strong>français</strong> au sein des populations concernées est au centrede la problématique. Au risque de surprendre, <strong>le</strong>s étrangers n'ont pasbesoin de par<strong>le</strong>r <strong>français</strong> <strong>pour</strong> travail<strong>le</strong>r en France. Bien que <strong>le</strong> <strong>français</strong>soit en partie la <strong>langue</strong> de travail dans toutes <strong>le</strong>s entreprises interrogées,l'anglais s'impose toujours lorsque l'interlocuteur ne comprendpas <strong>le</strong> <strong>français</strong>.Le recours <strong>à</strong> l'anglais est systématique dans ces filia<strong>le</strong>s lorsque l'oncommunique avec <strong>le</strong> siège, l'on développe des projets en réseau avecdes clients ou l'on associe un tiers non francophone. Deux Chinoisentre eux par<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>ur <strong>langue</strong>. Selon <strong>le</strong>s entreprises et <strong>le</strong>ur secteur,30 <strong>à</strong> 90 % des échanges au niveau supérieur ont lieu en anglais, qu'ils'agisse d'entretiens téléphoniques ou de courriels. Les cadres ne s'exprimentplus en <strong>français</strong> au-del<strong>à</strong> d'un certain niveau de responsabilitélors d'interactions hors de France.28La ligne de rupture linguistique passe entre <strong>le</strong>s cadres, dont la <strong>langue</strong>dominante est l'anglais, et <strong>le</strong> personnel d'exécution, <strong>pour</strong> <strong>le</strong>quel il s'agitdu <strong>français</strong>. Les relations interpersonnel<strong>le</strong>s ont lieu en <strong>français</strong>, bienque cela soit moins marqué dans <strong>le</strong>s filia<strong>le</strong>s d'origine étrangère. Cettetendance s'observe dans toutes <strong>le</strong>s entreprises. Les cadres impatriés,immédiatement sollicités, disposent de peu de temps <strong>pour</strong> al<strong>le</strong>r plusloin qu'<strong>une</strong> formation initia<strong>le</strong>, d'ail<strong>le</strong>urs suffisante. Pourquoi <strong>le</strong>s cadresvoués <strong>à</strong> <strong>une</strong> carrière internationa<strong>le</strong> investiraient-ils dans l'apprentissagedu <strong>français</strong>, qu'ils n'utiliseront que <strong>le</strong> temps de <strong>le</strong>ur affectation enFrance ? Les sociétés américaines du secteur bancaire et juridique


indiquent d'ail<strong>le</strong>urs ne pas avoir besoin du <strong>français</strong>. Leurs interlocuteurs<strong>français</strong> sont suffisamment compétents en anglais, <strong>langue</strong> <strong>à</strong>laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong> recours semb<strong>le</strong> naturel.Les Européens non anglophones, c'est-<strong>à</strong>-dire <strong>le</strong>s Al<strong>le</strong>mands, <strong>le</strong>sSuédois, <strong>le</strong>s Danois et <strong>le</strong>s Italiens, ont des notions de <strong>français</strong> etapprennent vite, du fait de la proximité culturel<strong>le</strong>. Cela <strong>le</strong>ur permet detravail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>, du moins d'y recourir <strong>pour</strong> des échanges simp<strong>le</strong>s.Les équipes européennes ont en fait trois <strong>langue</strong>s de travail, <strong>le</strong>sFrançais parlant aussi l'al<strong>le</strong>mand. Nous avons rencontré <strong>le</strong> cas atypiqued'<strong>une</strong> société japonaise considérant <strong>le</strong> <strong>français</strong> indispensab<strong>le</strong><strong>pour</strong> l'activité de sa filia<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> favorise ainsi <strong>le</strong> recrutement de Japonaisparlant déj<strong>à</strong> <strong>le</strong> <strong>français</strong>.29Les sociétés asiatiques privilégient <strong>le</strong> résultat économique. La dirigeanted'<strong>une</strong> entreprise chinoise d'équipement en télécommunicationss'est exclamée que l'on pouvait parfaitement vivre en France sansconnaître un mot de <strong>français</strong>. Recrutée après ses études en France,el<strong>le</strong> affirme que ses équipes travail<strong>le</strong>nt uniquement en anglais avec<strong>le</strong>urs interlocuteurs <strong>français</strong>. Ces derniers sont dotés d'un niveau d'anglaiséquiva<strong>le</strong>nt <strong>à</strong> celui de ses collaborateurs. El<strong>le</strong> estime d'ail<strong>le</strong>urs qu'i<strong>le</strong>st suffisant <strong>pour</strong> se faire comprendre et <strong>pour</strong> vendre. Les sociétés chinoisessont implantées depuis 2000 et disposent d'équipes de plus de100 salariés, dont la moitié ne possède que des rudiments de <strong>français</strong>.Leur objectif n'est pas de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>, mais de faciliter la viequotidienne des salariés. Les Chinois francophones assurent d'ail<strong>le</strong>ursl'interface si nécessaire.En revanche, <strong>une</strong> autre dirigeante chinoise considère qu'il est pénalisant<strong>pour</strong> ses équipes de ne pas pouvoir communiquer en <strong>français</strong> avec<strong>le</strong>s clients. El<strong>le</strong> se demande comment dégager du temps <strong>pour</strong> l'apprentissagealors qu'il est déj<strong>à</strong> insuffisant <strong>pour</strong> l'activité. D'<strong>une</strong> part, <strong>le</strong> <strong>français</strong>est utilisé <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s échanges entre Français et Chinois dirigeants.D'autre part, <strong>le</strong>s collaborateurs utilisent l'anglais de manière généra<strong>le</strong>.Le recours <strong>à</strong> des traducteurs est généralisé dans <strong>le</strong>s entreprises. Plusces dernières sont importantes et internationalisées, mieux el<strong>le</strong>s en


perçoivent la nécessité <strong>pour</strong> des raisons d'image et d'efficacité. Dans<strong>le</strong>s domaines sensib<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s entreprises sont particulièrement attentivesaux questions de sécurité et emploient par conséquent du personne<strong>le</strong>xpérimenté <strong>pour</strong> éviter tout risque d'erreur. Un constructeur automobi<strong>le</strong>a même mis en place des traducteurs afin de faciliter la communication.Son directeur des ressources humaines décrit <strong>une</strong> cultured'entreprise vigilante sur <strong>le</strong>s questions d'interprétation, car l'anglaisn'est pas la <strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong> des deux dirigeants <strong>français</strong> et japonais.Face aux difficultés posées par l'usage d'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> tierce, ils ont dûapprendre <strong>à</strong> vérifier la compréhension mutuel<strong>le</strong> de <strong>le</strong>urs attentes.Les entreprises, dans <strong>le</strong>ur diversité, adoptent <strong>une</strong> attitude comm<strong>une</strong>face aux questions linguistiques. El<strong>le</strong>s connaissent <strong>le</strong> cadre juridique etlégislatif, et <strong>le</strong>urs collaborateurs peuvent être formés au <strong>français</strong> sinécessaire. Cependant, la maîtrise du <strong>français</strong> n'est pas toujoursnécessaire <strong>pour</strong> un cadre étranger ; el<strong>le</strong> relève de l'agrément. C'est<strong>pour</strong>quoi la promotion du <strong>français</strong> comme <strong>langue</strong> de travail est un défi<strong>à</strong> re<strong>le</strong>ver. En admettant la fonction instrumenta<strong>le</strong> de la <strong>langue</strong>, nousadmettons <strong>le</strong> manque d'intérêt <strong>à</strong> l'égard du <strong>français</strong>. Personne ne cherchera<strong>à</strong> <strong>le</strong> pratiquer s'il n'est pas uti<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> travail, car il représenteraitun investissement peu rentab<strong>le</strong>. Ce raisonnement est valab<strong>le</strong> <strong>pour</strong>la vie professionnel<strong>le</strong>, car il est agréab<strong>le</strong> de pouvoir s'exprimer dans la<strong>langue</strong> du pays dans sa vie personnel<strong>le</strong>.30Par<strong>le</strong>r <strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère reste un atout. Faire vivre <strong>une</strong> <strong>langue</strong> dansla vie des affaires permet de remporter des succès économiques. Dans<strong>le</strong>s secteurs de l'excel<strong>le</strong>nce <strong>français</strong>e, <strong>le</strong> <strong>français</strong> est nécessaire. Dans<strong>le</strong>s domaines des technologies de l'information, des finances et partoutoù la concurrence est vive, nous devons <strong>pour</strong>suivre <strong>le</strong>s actionsdéj<strong>à</strong> engagées <strong>pour</strong> promouvoir <strong>le</strong> <strong>français</strong> et empêcher son recul. Lespolitiques linguistiques et culturel<strong>le</strong>s <strong>français</strong>es sont reconnues etappréciées <strong>à</strong> l'étranger, où <strong>le</strong>s entreprises <strong>le</strong>s sollicitent. Ainsi, un dirigeantgrec rencontré, parfaitement francophone, a rendu hommageaux lycées <strong>français</strong> <strong>à</strong> l'étranger l'ayant formé.Promouvoir <strong>le</strong> <strong>français</strong> comme <strong>langue</strong> économique nécessiterait deveil<strong>le</strong>r <strong>à</strong> enseigner <strong>le</strong>s disciplines de gestion au niveau supérieur en


<strong>français</strong> en France et <strong>à</strong> l'étranger, contrairement aux pratiques actuel<strong>le</strong>s.En outre, il convient d'adapter <strong>le</strong>s formations linguistiques aux dirigeantsde haut niveau socioculturel afin de souligner l'intérêt de sefamiliariser avec notre <strong>langue</strong>. Nous devons explorer ces voies <strong>pour</strong>re<strong>le</strong>ver <strong>le</strong> défi du <strong>français</strong> professionnel auprès des cadres étrangers.Pareil<strong>le</strong> démarche va de pair avec l'ambition économique, dont <strong>le</strong>sacteurs, créateurs de richesses réel<strong>le</strong>s ou symboliques, sont aussi <strong>le</strong>sambassadeurs actuels du <strong>français</strong>.Xavier NORTHCette passionnante enquête alimentera la réf<strong>le</strong>xion des personnes proposantdes certifications et formations en <strong>français</strong> professionnel. Letravail reste considérab<strong>le</strong> ; vous avez parfaitement cerné <strong>le</strong> défi.31


Utilisation du <strong>français</strong> au travail : suivi de lasituation au Québec <strong>à</strong> l'aide d'indicateursPierre BOUCHARD et Claire CHÉNARDSociologues, QuébecXavier NORTHPierre Bouchard, sociologue et ancien directeur de l'Office québécoisde la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e (OQLF) et Claire Chénard, sociologue éga<strong>le</strong>ment,nous offrent un premier déplacement au Québec.Claire CHÉNARDL'artic<strong>le</strong> 4 de la Charte de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e adoptée en 1977 promulgue<strong>le</strong> droit fondamental de tout Québécois de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>. LaCharte consacre <strong>une</strong> dizaine d'artic<strong>le</strong>s <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> du travail et <strong>une</strong>vingtaine <strong>à</strong> la francisation des entreprises afin de faire respecter cedroit. France Boucher, présidente directrice généra<strong>le</strong> de l'OQLF examineracette question cet après-midi. Depuis 2002, l'Office doit surveil<strong>le</strong>rl'évolution de la situation linguistique et présenter un rapport, notammentsur l'usage et <strong>le</strong> statut du <strong>français</strong>, au moins tous <strong>le</strong>s cinq ans auministre. L'artic<strong>le</strong> 160 de la Charte inclut la <strong>langue</strong> de travail dans sestrès larges mandats.32Par conséquent, l'Office a dû élaborer deux systèmes d'indicateurs. Lepremier vise <strong>à</strong> gérer <strong>le</strong> processus de francisation de <strong>l'entreprise</strong>. Ilpermet d'observer la situation instantanée et ses évolutions, de prendredes mesures correctives si nécessaire. Il contribue éga<strong>le</strong>ment <strong>à</strong> laplanification stratégique et <strong>à</strong> mesurer l'atteinte des objectifs. Lesecond suit l'évolution de la situation linguistique en général, dontl'utilisation du <strong>français</strong> au travail, et permet d'élaborer <strong>le</strong> rapport auministre.Suivi du processus de francisation de <strong>l'entreprise</strong>Les indicateurs relatifs au suivi de la francisation des entreprises exis-


tent depuis l'adoption de la Charte. Au début cependant, <strong>le</strong>s donnéesprésentées n'étaient pas toujours organisées. Depuis <strong>le</strong> rapport annuel1984-1985, <strong>le</strong> rapport inclut systématiquement un tab<strong>le</strong>au général auminimum, permettant de visualiser l'avancée du processus. Les entreprisesde cinquante employés et plus franchissent plusieurs étapes afind'obtenir un certificat de francisation attestant que <strong>le</strong> <strong>français</strong> y estgénéralisé selon <strong>le</strong>s termes de l'artic<strong>le</strong> 141 de la Charte.Pierre BOUCHARDLes entreprises doivent s'inscrire auprès de l'OQLF, qui analyse <strong>le</strong>ursituation linguistique. Si el<strong>le</strong>s ne satisfont pas aux éléments de laCharte, el<strong>le</strong>s doivent élaborer puis appliquer un programme de francisation.Une fois <strong>le</strong> certificat de francisation délivré avec ou sans programme,<strong>le</strong>s entreprises ont l'obligation de continuer <strong>à</strong> suivre la situation<strong>pour</strong> évaluer <strong>le</strong> maintien du <strong>français</strong> généralisé.33Claire CHÉNARDÀ l'aide de ces étapes, nous pouvons produire un indicateur général del'évolution du processus de francisation. Le processus a culminé entre1997-1998 et 2001-2002. Depuis, <strong>le</strong> taux de certification a augmentéde 9 points en passant de 71,4 % <strong>à</strong> fin mars 2002 <strong>à</strong> 80,7 % <strong>à</strong> fin mars2007. Le nombre d'entreprises en évaluation se stabilise autour de600, tandis que <strong>le</strong> nombre de cel<strong>le</strong>s devant appliquer un programme adiminué.L'indicateur a permis d'établir un portrait instantané puis évolutif de lafrancisation. Ainsi, en 2000-2001, 19 % des entreprises se trouvaienten évaluation, 8,8 % appliquaient un programme et 72,2 % étaient certifiées.Par rapport aux exercices antérieurs, nous constatons : la stagnationde la certification, l'augmentation de l'évaluation, la diminutionde l'application d'un programme. Cette évaluation nous est très uti<strong>le</strong>.El<strong>le</strong> permet aux gestionnaires d'intervenir en affectant des ressourcessupplémentaires dans certains secteurs, en établissant de nouvel<strong>le</strong>spriorités ou en menant toute autre action jugée pertinente.En outre, <strong>le</strong>s données ont servi aux responsab<strong>le</strong>s de la planification


stratégique de l'Office. Ils ont élaboré un objectif opérationnel <strong>pour</strong>re<strong>le</strong>ver <strong>le</strong> taux de certification en diminuant notamment <strong>le</strong> nombred'entreprises en évaluation. Le plan stratégique 2001-2005 comporteun objectif d'augmentation annuel<strong>le</strong> de 5 % des entreprises ayant généralisél'utilisation du <strong>français</strong> <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s niveaux. Le plan 2005-2008 a<strong>pour</strong> objectif annuel l'obtention d'un certificat, ou l'application d'unprogramme, par au moins 25 % des entreprises n'en disposant pas.Grâce aux indicateurs, nous avons suivi la situation au cours des seizederniers exercices et agi <strong>pour</strong> réduire <strong>le</strong> nombre d'entreprises en évaluationet faire progresser certains longs programmes de francisation.Nous avons ainsi atteint 80,5 % de certification <strong>à</strong> fin mars 2007, avecplus de 1 500 certificats délivrés <strong>le</strong>s six années passées. Le nombred'entreprises non certifiées a conséquemment diminué. Au cours del'exercice 2004-2005, <strong>le</strong>s entreprises en évaluation rejoignent ennombre cel<strong>le</strong>s appliquant un programme.Suivi de l'utilisation du <strong>français</strong> au travailLe système de suivi de la situation linguistique comporte plusieurs indicateurssur l'utilisation du <strong>français</strong> au travail. Un fascicu<strong>le</strong> a été publiéen 2006 <strong>à</strong> ce sujet. Onze indicateurs élaborés <strong>à</strong> partir des données durecensement de 2001 traitent de la principa<strong>le</strong> <strong>langue</strong> de travail auQuébec et de l'intensité d'utilisation du <strong>français</strong> et de l'anglais. Denombreux autres indicateurs doivent encore être mis en place, et plusieursindicateurs en cours d'élaboration ou finalisés concernent la<strong>langue</strong> de travail. Les données utilisées <strong>pour</strong> obtenir nos résultats proviennentde tous ces éléments. El<strong>le</strong>s permettent en outre la comparaisonde la situation québécoise avec cel<strong>le</strong> observée en France parSophie Bressé.34L'utilisation d'<strong>une</strong> autre <strong>langue</strong> que <strong>le</strong> <strong>français</strong>Pierre BOUCHARDNous avions besoin de questions spécifiquement adaptées <strong>à</strong> notrebesoin.


À la première question (« votre travail implique-t-il de par<strong>le</strong>r ou écrire<strong>une</strong> autre <strong>langue</strong> que <strong>le</strong> <strong>français</strong> ? »), 27 % des travail<strong>le</strong>urs ont répondu« fréquemment » et 35 % « occasionnel<strong>le</strong>ment », soit 62 % de réponsesaffirmatives, contre 26 % <strong>pour</strong> la France. Nous <strong>le</strong>ur avons demandé la<strong>langue</strong> utilisée <strong>le</strong> plus souvent au travail. Au Québec, il s'agit du <strong>français</strong>(75 %), suivi par l'anglais (10 %). Les deux <strong>langue</strong>s sont utiliséesensemb<strong>le</strong> dans 15 % des cas.Parmi <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs qui utilisent fréquemment <strong>le</strong> <strong>français</strong> et l'anglais,deux sur cinq utilisent <strong>le</strong> plus souvent <strong>le</strong> <strong>français</strong>. La proportion s'élève<strong>à</strong> huit dixièmes <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s utilisateurs occasionnels d'<strong>une</strong> autre<strong>langue</strong>. Il s'agit cependant d'<strong>une</strong> analyse préliminaire <strong>à</strong> approfondirafin de comprendre la signification des réponses <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s personnesinterrogées. Il est étrange de constater que <strong>le</strong>s utilisateurs de <strong>français</strong>en premier lieu recourent aussi fréquemment <strong>à</strong> <strong>une</strong> autre <strong>langue</strong>. Pour<strong>le</strong>s Québécois, l'autre <strong>langue</strong> est généra<strong>le</strong>ment l'anglais.35Le cas des relations avec <strong>le</strong>s collèguesLes travail<strong>le</strong>urs québécois utilisant l'anglais <strong>le</strong> font dans <strong>le</strong>s relationsavec <strong>le</strong> supérieur immédiat dans 27,5 % des cas contre 16 % <strong>pour</strong> <strong>le</strong>sFrançais, et avec <strong>le</strong>urs collègues dans 49 % des cas contre 21 % <strong>pour</strong><strong>le</strong>s Français. Globa<strong>le</strong>ment, plus de travail<strong>le</strong>urs utilisent l'anglais auQuébec qu'en France. J'ai approfondi l'analyse des travail<strong>le</strong>urs utilisantl'anglais avec <strong>le</strong>urs collègues en fonction de la <strong>langue</strong> de ces derniers.S'ils sont francophones, 28 % utilisent l'anglais. S'ils sont anglophones,77 % l'utilisent. Dans <strong>le</strong> cas d'un collègue de <strong>langue</strong> tierce, <strong>français</strong> etanglais sont pratiqués <strong>à</strong> proportions éga<strong>le</strong>s. Je souligne avec intérêtque la <strong>langue</strong> des collègues influe sur l'utilisation de l'anglais.Le cas des relations avec <strong>le</strong>s clients et fournisseursLorsque <strong>le</strong>s clients et fournisseurs proviennent du Québec, environ untiers des travail<strong>le</strong>urs utilisent l'anglais. Lorsqu'ils proviennent de l'extérieur,la proportion s'élève <strong>à</strong> huit dixièmes. Quel<strong>le</strong> que soit <strong>le</strong>ur provenance,<strong>le</strong>s fournisseurs devraient utiliser la <strong>langue</strong> du client, soit <strong>le</strong><strong>français</strong> au Québec. Or, un tiers des répondants utilisent malgré toutl'anglais. Les travail<strong>le</strong>urs pouvant utiliser l'anglais dans <strong>le</strong>urs relations


avec <strong>le</strong>s clients et fournisseurs utilisent cependant <strong>le</strong> <strong>français</strong> dansdeux tiers des cas lorsqu'ils proviennent du Québec et dans un tiersdes cas lorsqu'ils sont extérieurs au Québec. Par ail<strong>le</strong>urs, seuls 2 % destravail<strong>le</strong>urs n'utilisent que l'anglais avec <strong>le</strong>s clients et fournisseurs duQuébec, et 4 % utilisent plus fréquemment l'anglais que <strong>le</strong> <strong>français</strong>.Cette ventilation permet de pondérer l'utilisation de l'anglais. En revanche,un tiers des travail<strong>le</strong>urs communique logiquement en anglais uniquementavec <strong>le</strong>s fournisseurs et clients hors Québec, et un quart utiliseplus l'anglais que <strong>le</strong> <strong>français</strong>.Le cas des notices et modes d'emploi non rédigés en <strong>français</strong>20 % des travail<strong>le</strong>urs y sont fréquemment confrontés et 27 % occasionnel<strong>le</strong>ment,soit 47 % au total, contre 32 % en France. Cela gène 12 %des travail<strong>le</strong>urs au Québec et 22 % des travail<strong>le</strong>urs en France. Je précise<strong>à</strong> nouveau que ces données proviennent d'analyses préliminaires,mais offrent <strong>une</strong> bonne idée de la situation du Québec par rapport <strong>à</strong>cel<strong>le</strong> de la France.Claire CHÉNARDNous devons rester conscients des fonctions distinctes des deux indicateursprésentés. Le premier est destiné <strong>à</strong> gérer <strong>le</strong> processus de francisationtandis que <strong>le</strong> second permet de suivre l'évolution de la situationlinguistique. Sans <strong>le</strong>ur utilisation, l'Office rencontrerait des difficultés<strong>à</strong> assurer ses mandats.36Xavier NORTHBien que l'anglais soit plus présent au Québec qu'en France, <strong>le</strong>sQuébécois en semb<strong>le</strong>nt moins gênés. Ils sont peut-être d'autant plusenclins <strong>à</strong> défendre <strong>le</strong> <strong>français</strong> du fait de disposer d'<strong>une</strong> seconde<strong>langue</strong>.


L'anglais dans <strong>le</strong> milieu du travail : où <strong>le</strong> compromisdevient-il compromettant ?Nathalie ST-LAURENTSociologue <strong>à</strong> l'emploi, Conseil supérieur de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e,QuébecXavier NORTHNous <strong>pour</strong>suivons notre analyse de la situation québécoise et de l'anglaisau travail. Nathalie St-Laurent, agent de recherche au Conseilsupérieur de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e, tente de déterminer où <strong>le</strong> compromispeut devenir compromettant.37Nathalie ST-LAURENTJe présenterai quelques résultats d'<strong>une</strong> enquête qualitative en cours definalisation. Nous avons organisé des groupes de discussion composésde je<strong>une</strong>s travail<strong>le</strong>urs québécois âgés de 24 <strong>à</strong> 35 ans, originaires dedivers milieux socio-économiques et régions. 90 je<strong>une</strong>s adultes provenantde six vil<strong>le</strong>s différentes y ont participé. La maîtrise du <strong>français</strong>, lagestion des <strong>langue</strong>s au travail et dans l'espace public, l'identité québécoiseet l'intégration linguistique des immigrants ont été abordées.Présentation de l'étudeUne génération inédite de trentenairesJe me limiterai aux représentations des je<strong>une</strong>s quant <strong>à</strong> l'usage des <strong>langue</strong>sdans <strong>le</strong> milieu du travail. Nous <strong>le</strong>s étudions, car ils incarnentl'avenir de la société tout en contribuant <strong>à</strong> construire <strong>le</strong> présent. Leurgestion de <strong>le</strong>urs compétences et apports linguistiques est un bon indicateurdes mutations sociéta<strong>le</strong>s actuel<strong>le</strong>s. En outre, <strong>le</strong>s trentenairesreprésentent la première génération d'allophones scolarisée dans deséco<strong>le</strong>s <strong>français</strong>es. Avant la loi 101, <strong>le</strong>s nouveaux arrivants s'intégraientmassivement <strong>à</strong> la communauté anglophone et <strong>le</strong>s enfants étaient majoritairementscolarisés dans ses éco<strong>le</strong>s. La loi 101 a radica<strong>le</strong>ment inverséla tendance : 80 % des enfants allophones étaient inscrits <strong>à</strong> éco<strong>le</strong>


<strong>français</strong>e en 1997-1998 contre seu<strong>le</strong>ment 20 % vingt ans auparavant.L'éco<strong>le</strong> <strong>français</strong>e fut l'un des premiers laboratoires de la diversité culturel<strong>le</strong>où <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s générations ont expérimenté <strong>le</strong> <strong>français</strong> en tantque <strong>langue</strong> comm<strong>une</strong> et interculturel<strong>le</strong> du Québec.L'expérience de la diversité aurait influé sur <strong>le</strong>urs va<strong>le</strong>urs, puisque derécents sondages font état d'un important clivage générationnel. Lesje<strong>une</strong>s sont plus ouverts face <strong>à</strong> l'immigration et <strong>à</strong> la diversité culturel<strong>le</strong>.Nous pouvons supposer <strong>une</strong> attitude similaire quant <strong>à</strong> la diversitélinguistique. La majorité des je<strong>une</strong>s rencontrés s'estiment bilingues, aumoins fonctionnel<strong>le</strong>ment <strong>à</strong> l'oral, voire plurilingues dans <strong>le</strong> cas desimmigrants et enfants d'immigrants. Ils affirment cependant utiliserprincipa<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> <strong>français</strong> au travail et occasionnel<strong>le</strong>ment l'anglais.Dans la région de Montréal, l'anglais est plus présent au travail puisquela moitié des je<strong>une</strong>s déclarent utiliser <strong>le</strong>s deux <strong>langue</strong>s <strong>à</strong> parts éga<strong>le</strong>s.Études préalab<strong>le</strong>s sur l'impression de travail<strong>le</strong>r dans <strong>une</strong> <strong>langue</strong>Malgré cet usage fréquent, <strong>le</strong>s je<strong>une</strong>s Montréalais n'ont pas systématiquementl'impression de travail<strong>le</strong>r en anglais. Claire Chénard etNicolas Van Schendel ont étudié <strong>le</strong>s deux principa<strong>le</strong>s dimensions formantl'impression de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>, indépendamment de la fréquenced'usage de l'anglais. La première, la <strong>langue</strong> du territoire, s'appuiesur des référents territoriaux, comme <strong>le</strong> travail dans un environnementfrancophone. La seconde, <strong>le</strong> territoire de la <strong>langue</strong>, renvoie <strong>à</strong> laplace et <strong>à</strong> l'usage du <strong>français</strong> au travail. Cette dimension se réfère <strong>à</strong> lapossibilité de s'exprimer en <strong>français</strong>, <strong>à</strong> un temps de communicationsupérieur <strong>à</strong> celui de l'anglais et <strong>à</strong> l'absence d'obligation d'utiliser <strong>une</strong>autre <strong>langue</strong> <strong>à</strong> l'exception des échanges extérieurs. Le type de communicationest éga<strong>le</strong>ment déterminant. Malgré l'association de l'anglaisaux situations formel<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> sentiment de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong> peut perdurers'il est lié <strong>à</strong> l'espace personnel et aux rapports conviviaux avec<strong>le</strong>s collègues.38De même, Paul Béland a tenté de définir <strong>le</strong>s circonstances dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>sil est normal que <strong>le</strong> <strong>français</strong> soit moins généralisé. Il affirme quel'impression de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong> dépend de l'espace de communi-


cation et des interlocuteurs, en outre du temps de travail en <strong>français</strong>dans <strong>une</strong> journée type. En effet, <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs perçoivent différemmentl'utilisation de l'anglais selon <strong>le</strong> contexte. Ainsi, ils considèrentson usage comme normal dans <strong>le</strong> cadre des relations internationa<strong>le</strong>sgrâce <strong>à</strong> son statut de <strong>langue</strong> internationa<strong>le</strong>. En revanche, dans <strong>le</strong> cadrede la communication interne, l'anglais est perçu comme <strong>une</strong> <strong>langue</strong>loca<strong>le</strong> différente de l'identité linguistique du territoire du travail<strong>le</strong>ur.L'analyse du discours des je<strong>une</strong>s confirme ces observations. Nousavons organisé des exercices pratiques <strong>pour</strong> cerner <strong>le</strong>s contextes oùl'usage du <strong>français</strong> est considéré comme essentiel, ceux où <strong>le</strong>s je<strong>une</strong>ssont enclins au compromis et ceux où <strong>le</strong> compromis est inacceptab<strong>le</strong>.Divers aspects de la vie professionnel<strong>le</strong> impliquant l'usage oral ou écritdes deux <strong>langue</strong>s ont été abordés : la vie administrative, <strong>le</strong> contrat detravail, <strong>le</strong>s relations avec <strong>le</strong>s ressources humaines, la communicationinterne et externe, y compris avec <strong>le</strong> siège social de <strong>l'entreprise</strong> fictivebasé en Californie, la formation et la consultation de documents.39Différents niveaux de compromis en fonction des situations professionnel<strong>le</strong>sLes situations où l'usage du <strong>français</strong> reste essentielLes je<strong>une</strong>s considèrent certaines situations plus crucia<strong>le</strong>s que d'autres.Selon eux, certains aspects de la vie interne devraient être entièrementfrancophones, voire bilingues avec prédominance du <strong>français</strong>.Il est primordial de signer un contrat de travail, de recevoir un re<strong>le</strong>vé derémunération et de communiquer avec <strong>le</strong>s ressources humaines en<strong>français</strong>. De même, tous <strong>le</strong>s éléments ayant un fort impact sur <strong>le</strong>ur travailcomme la <strong>langue</strong> de recrutement ou <strong>le</strong>s aspects de sécuritédevraient être préférab<strong>le</strong>ment en <strong>français</strong>, voire traduits si nécessaire.Le <strong>français</strong> seul est toujours insuffisant, car <strong>le</strong>s je<strong>une</strong>s s'attendent <strong>à</strong> un<strong>français</strong> de qualité et non <strong>à</strong> <strong>une</strong> traduction imparfaite pouvant provoquerdes ma<strong>le</strong>ntendus. Ces aspects essentiels de la vie interne de <strong>l'entreprise</strong>contribuent <strong>à</strong> renforcer l'impression de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>,conférant de fait <strong>une</strong> identité francophone <strong>à</strong> <strong>l'entreprise</strong>, où l'on s'attend<strong>à</strong> ce que <strong>le</strong> <strong>français</strong> y soit dominant.


Les situations où <strong>le</strong>s je<strong>une</strong>s sont enclins au compromisLes je<strong>une</strong>s préfèrent <strong>le</strong> <strong>français</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s relations formel<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>urscollègues en interne, mais demeurent toutefois ouverts <strong>à</strong> l'anglais sibesoin. Suivant <strong>le</strong> principe d'efficacité, ils s'adaptent au cas par cas enfonction des capacités linguistiques de l'interlocuteur, du contexte etdes dynamiques internes propres au groupe. La communication avecson supérieur immédiat anglophone ou avec <strong>le</strong> siège et ses succursa<strong>le</strong>simplique davantage de compromis d'après <strong>le</strong> même principe. Lesje<strong>une</strong>s considèrent comme normal de communiquer en anglais avecdes collègues anglophones extérieurs, par courriels ou lors de réunion,même lorsque la situation implique éga<strong>le</strong>ment des collègues francophones.Toutefois, plusieurs d'entre eux privilégient <strong>le</strong> bilinguisme lorsqu'il estpossib<strong>le</strong>. L'entreprise devrait alors recourir <strong>à</strong> des services de traduction<strong>pour</strong> favoriser <strong>une</strong> meil<strong>le</strong>ure compréhension généra<strong>le</strong> et offrir auxtravail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong> choix de <strong>le</strong>ur <strong>langue</strong> d'expression. Bien que <strong>le</strong>s je<strong>une</strong>s semontrent compréhensifs avec <strong>le</strong>ur supérieur immédiat ou l'employeuranglophone au début de la relation, <strong>le</strong>urs attentes s'amplifient avec <strong>le</strong>temps. Ils considèrent que ces derniers devraient apprendre un minimum<strong>le</strong> <strong>français</strong> par respect <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s employés.40D'autres aspects supposent encore plus de compromis. Les formations<strong>à</strong> l'extérieur, la documentation spécialisée et certains outils detravail laissent un choix de <strong>langue</strong> restreint, <strong>pour</strong> des raisons d'accessibilité.L'usage de l'anglais est accepté, bien que plusieurs je<strong>une</strong>s souhaitentque <strong>l'entreprise</strong> fournisse des outils concrets tels qu'un servicede traduction ou <strong>une</strong> formation linguistique. Certains je<strong>une</strong>s sollicitentdes versions <strong>français</strong>es ou bilingues de manuels d'instructions ou delogiciels. En revanche, <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs des secteurs des nouvel<strong>le</strong>s technologies<strong>à</strong> Montréal préfèrent <strong>le</strong>s versions origina<strong>le</strong>s, soit parce qu'ilsont appris <strong>le</strong>ur fonctionnement en anglais, soit parce que ces outilssont disponib<strong>le</strong>s plus rapidement que <strong>le</strong>s versions francisées. Demême, certains je<strong>une</strong>s favorisent <strong>le</strong>s termes techniques francisés alorsque d'autres privilégient <strong>le</strong> vocabulaire commun anglais.


De nombreux aspects professionnels supposent un certain niveau decompromis linguistique. D'<strong>une</strong> part, l'accessibilité <strong>à</strong> <strong>une</strong> version bilingueou <strong>à</strong> <strong>une</strong> traduction restreint <strong>le</strong> choix de la <strong>langue</strong> de la formation,de la documentation et des outils. Les je<strong>une</strong>s consentent alors de bongré <strong>à</strong> utiliser l'anglais. D'autre part, <strong>le</strong> principe d'efficacité, variab<strong>le</strong>selon <strong>le</strong>s individus, sous-tend ces situations de communication. Lesje<strong>une</strong>s pensent que <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs doivent pouvoir choisir <strong>le</strong>ur <strong>langue</strong>de travail dans ces conditions.41Les situations où <strong>le</strong> compromis devient obligatoire, voire compromettantD'autres situations, comme la communication avec <strong>le</strong>s clients, n'impliquentpas de choix individuel. La <strong>langue</strong> du client, voire cel<strong>le</strong> danslaquel<strong>le</strong> il est <strong>le</strong> plus <strong>à</strong> l'aise, prévaut par logique d'efficacité et de mercatique.Qui veut séduire n'impose pas sa propre <strong>langue</strong>. Les je<strong>une</strong>sacceptent de par<strong>le</strong>r anglais <strong>à</strong> l'extérieur du Québec, notamment avec<strong>le</strong>s fournisseurs, puisqu'ils perçoivent l'anglais comme la <strong>langue</strong> internationa<strong>le</strong>.La <strong>langue</strong> d'usage suit la loi du marché international.Certains compromis sont inacceptab<strong>le</strong>s <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s je<strong>une</strong>s malgré <strong>le</strong>uresprit d'ouverture, comme l'usage unique de l'anglais écrit et oral,notamment dans <strong>le</strong>s relations informel<strong>le</strong>s. À l'inverse, ils s'opposent <strong>à</strong>l'interdiction d'employer la <strong>langue</strong> de son choix dans ces mêmes relations,y compris <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s courriels. Il s'agit d'un espace quasi-privédans <strong>le</strong>quel la liberté de choix reste primordia<strong>le</strong>.Bien que <strong>le</strong>s je<strong>une</strong>s souhaitent l'environnement de travail <strong>le</strong> plus francisépossib<strong>le</strong>, ils adoptent concrètement <strong>une</strong> attitude f<strong>le</strong>xib<strong>le</strong>. Ilsacceptent et dédramatisent la présence de l'anglais au travail dans uncontexte mondialisé. L'anglais est la <strong>langue</strong> du commerce, qui donneaccès <strong>à</strong> l'international. Les je<strong>une</strong>s étant relativement <strong>à</strong> l'aise enanglais, ils valorisent <strong>le</strong> dynamisme individuel. Un je<strong>une</strong> doit présenterun curriculum vitae avantageux sur <strong>le</strong> marché du travail afin de valorisersa candidature face <strong>à</strong> la concurrence. La maîtrise de l'anglais estvue comme un gage de polyva<strong>le</strong>nce et <strong>une</strong> compétence recherchée,voire incontournab<strong>le</strong>.


Cependant, la maîtrise du <strong>français</strong> écrit et oral est aussi associée <strong>à</strong> <strong>une</strong>bonne image professionnel<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> est primordia<strong>le</strong> <strong>pour</strong> décrocher unbon emploi. L'anglais est considéré comme un atout supplémentaire,un moyen <strong>pour</strong> réussir. Selon <strong>le</strong>s je<strong>une</strong>s, il est même préférab<strong>le</strong> deconnaître trois ou quatre <strong>langue</strong>s plutôt que deux, surtout <strong>pour</strong> <strong>le</strong>simmigrants et enfants d'immigrants. Beaucoup se déclarent trilinguesvoire quadrilingues, ils ont appris <strong>une</strong> tierce <strong>langue</strong> en raison des avantagesconférés sur <strong>le</strong> marché du travail.En définitive, l'usage d'<strong>une</strong> autre <strong>langue</strong> au travail ne menace pas <strong>le</strong>uridentité de travail<strong>le</strong>ur francophone. Ces je<strong>une</strong>s entretiennent souventun rapport instrumental avec l'anglais et sont prêts au compromis danscertaines situations, mais pas <strong>à</strong> n'importe quel prix. Les notions d'effortset de réciprocité sont essentiel<strong>le</strong>s : l'adaptation doit être mutuel<strong>le</strong>.Aucun compromis sur la prédominance du <strong>français</strong> n'est consentidans <strong>le</strong>s espaces de communication où l'investissement identitaire est<strong>le</strong> plus important. Si ces conditions ne sont pas respectées, <strong>le</strong> compromisdevient compromettant, voire inacceptab<strong>le</strong> au point de changer demilieu de travail.42


Le bilinguisme coûte (que coûte)Laurence METTEWIE et Luk VAN MENSELChargée de cours et chercheur aux Facultés universitaires de Namur(FUNDP), BelgiqueXavier NORTHNous retournons en Europe afin d'observer <strong>le</strong>s pratiques des entreprisesbruxelloises grâce <strong>à</strong> Laurence Mettewie, chargée de cours de<strong>langue</strong> et de linguistique néerlandaise <strong>à</strong> Namur. Ses recherches s'articu<strong>le</strong>ntautour de l'enseignement et de l'acquisition des <strong>langue</strong>s étrangèresdans <strong>le</strong> contexte communautaire belge, un sujet actuel<strong>le</strong>mentbrûlant. El<strong>le</strong> est assistée par Luk Van Mensel, qui est chercheur dansla même unité.43Luk VAN MENSELIl n'est plus nécessaire de vous présenter la Belgique, ni Bruxel<strong>le</strong>s,connue <strong>pour</strong> ses institutions européennes, la Grand-Place, l'Atomiumet ses communautés linguistiques parfois divergentes.Quelques particularités bruxelloises ont pu influencer <strong>le</strong>s résultats denotre étude. Bruxel<strong>le</strong>s est <strong>une</strong> région bilingue néerlandais-<strong>français</strong>encadrée par la Flandre néerlandophone et la Wallonie francophone.El<strong>le</strong> accueil<strong>le</strong> aussi plusieurs institutions et entreprises internationa<strong>le</strong>s,dont la Commission européenne et l'OTAN. Pourtant, diverses enquêtescommandées par des unions d'employeurs et agences de recrutementconfirment que la maîtrise d'<strong>une</strong> seconde <strong>langue</strong> <strong>à</strong> la sortie del'enseignement secondaire ne répond pas aux attentes du marché del'emploi.Présentation de l'étudeNotre étude, financée par <strong>le</strong> ministère de l'Économie et de l'Emploide Bruxel<strong>le</strong>s-Capita<strong>le</strong>, analyse la réalité des pratiques et des besoinsen <strong>langue</strong>s étrangères des entreprises bruxelloises. Nous avons tentéd'évaluer <strong>le</strong> coût lié au manque éventuel de multilinguisme, et avons


ecueilli <strong>le</strong>s propositions des entreprises <strong>pour</strong> y pallier.Notre étude relève d'<strong>une</strong> doub<strong>le</strong> approche, quantitative et qualitative.Nous avons diffusé un questionnaire en ligne en trois <strong>langue</strong>s : anglais,<strong>français</strong> et néerlandais. Face aux lac<strong>une</strong>s de cette méthode, nousavons en outre mené des entretiens semi-directifs en face <strong>à</strong> face avecdes responsab<strong>le</strong>s de ressources humaines, des représentants sectorielset des agences de recrutement, d'intérim et d'externalisation. Latail<strong>le</strong> et <strong>le</strong> secteur d'activité des entreprises sont <strong>le</strong>s principaux paramètrespris en compte. Cette doub<strong>le</strong> approche nous permet d'obtenirun échantillon représentatif.Analyse des résultatsLe constat des pratiquesLaurence METTEWIENotre première interrogation concernait <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s ou combinaisonsde <strong>langue</strong>s utilisées dans <strong>le</strong>s entreprises bruxelloises. Nous en avonsrecensé 22 dans l'échantillonnage, dont <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong> <strong>français</strong>,<strong>le</strong> néerlandais, l'anglais, l'al<strong>le</strong>mand et dans <strong>une</strong> moindre mesure,l'espagnol et l'italien. Le <strong>français</strong> domine <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s communicationsinterne et externe. Étonnamment, <strong>le</strong> néerlandais occupe <strong>une</strong> placeimportante <strong>à</strong> Bruxel<strong>le</strong>s, <strong>pour</strong>tant considérée comme <strong>une</strong> vil<strong>le</strong> majoritairementfrancophone. En interne, <strong>le</strong> <strong>français</strong> et <strong>le</strong> néerlandais sontdominants face <strong>à</strong> l'anglais, utilisé dans moins de 50 % des cas.L'anglais rattrape son retard en représentant plus de 80 % des communicationsexternes. En interne, quelques irréductib<strong>le</strong>s n'utilisent encorequ'<strong>une</strong> seu<strong>le</strong> <strong>langue</strong>. La majorité des entreprises en emploie deux outrois, soit <strong>le</strong> <strong>français</strong>, <strong>le</strong> néerlandais et l'anglais, voire l'al<strong>le</strong>mand enquatrième <strong>langue</strong>. Le monolinguisme disparaît quasiment en externe.Le bilinguisme ne suffit plus et <strong>le</strong> multilinguisme s'impose commenorme comm<strong>une</strong>. En effet, <strong>le</strong> marché bruxellois est interrégional etinternational. En outre, il s'internationalise en interne : un plombier ouun livreur de pizza doit connaître plusieurs <strong>langue</strong>s <strong>pour</strong> survivre face<strong>à</strong> la concurrence.44


L'implication des <strong>langue</strong>s lors du recrutementPrès de 90 % des entreprises ont récemment cherché <strong>à</strong> embaucher dupersonnel multilingue, de combinaison <strong>français</strong>, néerlandais et anglaisdans 80 % des cas, et ce <strong>pour</strong> toutes <strong>le</strong>s fonctions, quel que soit <strong>le</strong>niveau. Cependant, <strong>le</strong>s entreprises bruxelloises manquent étonnammentmoins de multilingues que de bilingues <strong>français</strong> et néerlandais.Ce manque de bilingues est lié <strong>à</strong> un apprentissage problématique de la<strong>langue</strong> de « l'autre communauté » en Belgique. Plusieurs études ontconfirmé que l'attitude négative envers la <strong>langue</strong> de l'autre bloquel'apprentissage linguistique, ce qui apparaît évident dans <strong>le</strong> cas du <strong>français</strong>et du néerlandais, tandis que l'anglais reste valorisé. Pareil<strong>le</strong>s attitudestémoignent des tensions actuel<strong>le</strong>s entre <strong>le</strong>s deux communautéslinguistiques. Une étude montre que <strong>le</strong>s Bruxellois n'utilisent généra<strong>le</strong>mentque <strong>le</strong>ur première <strong>langue</strong> et limitent ainsi <strong>le</strong>s contacts avec« l'autre » <strong>langue</strong> et communauté.45Les fonctions critiques par manque de connaissances linguistiquesToutes <strong>le</strong>s annonces d'<strong>une</strong> agence d'intérim type exigent des candidatsbilingues, voire trilingues. En effet, la maîtrise de la deuxième <strong>langue</strong>représente <strong>une</strong> condition <strong>à</strong> l'emploi et <strong>une</strong> preuve de f<strong>le</strong>xibilité. Cetteplus-value témoigne d'un engagement sur <strong>le</strong> marché du travail nationa<strong>le</strong>t international. Le degré de multilinguisme demandé dépend logiquementdu marché de <strong>l'entreprise</strong> et du poste : <strong>le</strong>s exigences sont différentesentre un cadre et un chauffeur. Les fonctions de cadre, cadreadministratif, commercial, responsab<strong>le</strong> de projet demandent <strong>le</strong> plussouvent des compétences linguistiques et ne sont dès lors pas toujours<strong>pour</strong>vues. Toutefois, <strong>le</strong>s postes administratifs, <strong>le</strong>s emplois peu qualifiés,certaines fonctions commercia<strong>le</strong>s et techniques, même de hautniveau, manquent aussi fortement de candidats bilingues et multilingues.Les réponses des entreprises au manque de candidats multilinguesLes entreprises affirment chercher un équilibre entre compétencestechniques et linguistiques. 60 % d'entre el<strong>le</strong>s favorisent <strong>le</strong>s compétencestechniques uniquement <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s postes très spécialisés en cas de


déséquilibre. En revanche, dans <strong>le</strong> cas des fonctions commercia<strong>le</strong>s etadministratives, 25 % des entreprises préfèrent embaucher un candidatmultilingue sans connaissance particulière, puis <strong>le</strong> former au métier.El<strong>le</strong>s ne consentent <strong>à</strong> investir dans la formation linguistique quelorsque <strong>le</strong> candidat possède un haut niveau technique et maîtrise aumoins <strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère.L'évaluation du niveau linguistique des candidatsLa majorité des entreprises se contentent d'un court entretien <strong>pour</strong>déterminer <strong>le</strong> niveau linguistique des candidats. El<strong>le</strong>s n'appliquent pasou rarement des critères objectivab<strong>le</strong>s dans l'évaluation linguistique etn'utilisent pas <strong>le</strong>s outils existants, comme l'Europass ou <strong>le</strong> Cadre européencommun de référence <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s (CECR). Les entreprisessollicitent dans <strong>le</strong>s entretiens d'embauche avant tout <strong>le</strong>s compétencescommunicatives, mais aussi interculturel<strong>le</strong>s.Le coût du manque de multilinguisme40 % des entreprises interrogées affirment perdre des contrats parmanque de multilinguisme de <strong>le</strong>ur personnel, contre 11 % <strong>à</strong> l'échel<strong>le</strong> del'Europe. Le risque de perte augmente d'autant plus que <strong>le</strong> multilinguismeest faib<strong>le</strong>, surtout lorsque la deuxième <strong>langue</strong> régiona<strong>le</strong> n'est pasmaîtrisée. Les petites entreprises sont <strong>le</strong>s plus vulnérab<strong>le</strong>s, car el<strong>le</strong>sdisposent de ressources plus faib<strong>le</strong>s <strong>pour</strong> des besoins similaires. Moinsde 30 % des PME investissent dans des formations linguistiques contre75 % des grandes entreprises.46Il est diffici<strong>le</strong> d'évaluer <strong>le</strong> coût du manque de multilinguisme. La problématiqueest d'autant plus sensib<strong>le</strong> que certains chefs d'entrepriseseux-mêmes monolingues refusent de <strong>le</strong> savoir, ou que des responsab<strong>le</strong>sdes ressources humaines déclinent la question. La dispersion descoûts dans divers postes incluant la traduction, la formation, <strong>le</strong>s déplacements,empêche <strong>une</strong> vision globa<strong>le</strong>. Cependant, la majorité descoûts générés sont liés <strong>à</strong> la gestion du personnel : il est plus diffici<strong>le</strong>de remplacer un salarié multilingue malade qu'un monolingue. D'autrescoûts, tels que la perte de temps, de productivité, de qualité, d'opportunitésne sont pas chiffrab<strong>le</strong>s, ou bien <strong>le</strong>s sommes indiquées sont


astronomiques. Enfin, <strong>le</strong>s entreprises doivent inclure l'investissementen matériel ou en services. Ainsi, <strong>le</strong>s entreprises bruxelloises investissententre 300 et 2 000 euros par employé et par an, en cours de<strong>langue</strong>s. Dans <strong>le</strong>s grandes entreprises, la note peut s'é<strong>le</strong>ver <strong>à</strong>400 000 euros en frais réels par an, uniquement <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s formationslinguistiques.Conclusions et recommandations47Luk VAN MENSELEn somme, <strong>le</strong> <strong>français</strong> se maintient <strong>à</strong> Bruxel<strong>le</strong>s face <strong>à</strong> l'anglais, enconcurrence avec <strong>le</strong> néerlandais. Le <strong>français</strong> est incontournab<strong>le</strong> dansun contexte de bilinguisme officiel, de présence d'entreprises internationa<strong>le</strong>s,de proximité des marchés francophones et de prédominancedu secteur tertiaire. Plus de 90 % des entreprises utilisent <strong>le</strong> <strong>français</strong>,qui est présenté comme un outil de mercatique. Simultanément, <strong>le</strong>sacteurs économiques ont cependant conscience de la plus-value dumultilinguisme. Nous pouvons re<strong>le</strong>ver des similitudes entre Bruxel<strong>le</strong>s etd'autres contextes multilingues, tels que la Suisse ou la frontièrefranco-al<strong>le</strong>mande. D'autres situations, par exemp<strong>le</strong> <strong>une</strong> entité monolingueincluse dans <strong>une</strong> région monolingue, relèvent en revanche dedynamiques différentes.Il conviendrait de soutenir l'enseignement des <strong>langue</strong>s <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>sniveaux, y compris <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s filières qualifiantes de haut niveau. Il faudraitdévelopper la maîtrise d'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère chez <strong>le</strong>s francophonessans craindre la cohabitation avec <strong>le</strong> <strong>français</strong>, qui reste un marqueuridentitaire en opposition avec <strong>le</strong>s néerlandophones.L'orientation des marchés ne changera pas, même en cas de scissionde la Belgique. Nous conseillons de « vendre » <strong>le</strong> <strong>français</strong> aux non-francophonescomme <strong>une</strong> <strong>langue</strong> économique <strong>à</strong> va<strong>le</strong>ur ajoutée, plutôtqu'uniquement littéraire et culturel<strong>le</strong>. Il serait en outre nécessaire derenforcer <strong>le</strong>s échanges et stages dans <strong>le</strong>s zones frontalières, de faciliteraux PME l'accès aux outils de formation, et enfin de diffuser des


outils d'évaluation communs tels qu'Europass, un passeport de <strong>langue</strong>très peu utilisé.Xavier NORTHLa connaissance de la <strong>langue</strong> de l'autre reste un atout considérab<strong>le</strong><strong>pour</strong> <strong>l'entreprise</strong> et, me semb<strong>le</strong>-t-il, <strong>une</strong> invitation <strong>à</strong> l'optimisme.J'observe que la logique des marchés ne va pas dans <strong>le</strong> sens de laséparation des communautés linguistiques.48


Le <strong>français</strong> au travail dans la Suisse plurilingue: approches quantitatives et qualitativesGeorges LÜDIProfesseur docteur <strong>à</strong> l'université de Bâ<strong>le</strong>, SuisseXavier NORTHNous accueillons l'un des plus grands linguistes suisses, Georges Lüdi,auteur de nombreux ouvrages et artic<strong>le</strong>s en <strong>français</strong> et en al<strong>le</strong>mand.Georges Lüdi a coordonné <strong>le</strong> programme du Fonds national suisse derecherche scientifique sur <strong>le</strong> pluralisme culturel et l'identité nationa<strong>le</strong>.Il s'est éga<strong>le</strong>ment engagé dans <strong>le</strong> projet universitaire européen deDynamique des <strong>langue</strong>s et de gestion de la diversité (DYLAN), visant <strong>à</strong>démontrer que la diversité linguistique est un atout plutôt qu'un obstac<strong>le</strong>.49Georges LÜDIJe remercie <strong>le</strong>s organisateurs de cette rencontre, <strong>à</strong> laquel<strong>le</strong> je participe<strong>pour</strong> la seconde fois en dix ans. Lors de ma première venue en1998, <strong>à</strong> Québec, j'avais découvert avec intérêt que la francophoniecouvrait <strong>le</strong> bilinguisme. Le fait semb<strong>le</strong> depuis acquis ; on ne conçoitplus de <strong>le</strong>s opposer.Je m'appuierai sur deux enquêtes très différentes. Tout d'abord, <strong>le</strong>recensement général 2000 qui nous a fourni des données solides surl'emploi des <strong>langue</strong>s en Suisse, ensuite <strong>le</strong>s premiers résultats du projetDYLAN, auquel participe François Grin ici présent, que je livrerai aprèsun an de coopération.Le recensement général 2000L'usage du <strong>français</strong> dans <strong>le</strong>s différentes régions linguistiques> La Suisse romandeLa question du <strong>français</strong> au travail se pose différemment <strong>à</strong> l'intérieur ou<strong>à</strong> l'extérieur du territoire francophone. La Suisse romande comptabili-


se entre 68 % et 99 % d'utilisation du <strong>français</strong>. Il s'agit de la <strong>langue</strong> principa<strong>le</strong>de 81,6 % des habitants, qui la par<strong>le</strong>nt en famil<strong>le</strong> <strong>à</strong> hauteur de88,4 %. De nombreux immigrés par<strong>le</strong>nt <strong>le</strong> <strong>français</strong> en famil<strong>le</strong>, sans qu'ilsoit dominant. Enfin, il s'agit de la <strong>langue</strong> parlée au travail <strong>à</strong> hauteur de97,9 %. Bien que la Suisse romande ne soit pas unilingue francophone,cette <strong>langue</strong> y est bien établie. Toutes <strong>le</strong>s régions ont d'ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong>urpart de locuteurs de <strong>langue</strong> non loca<strong>le</strong>. En comparaison, l'italien estparlé en famil<strong>le</strong> <strong>à</strong> 90,6 % et l'al<strong>le</strong>mand <strong>à</strong> 89,5 % dans <strong>le</strong>ur région linguisiquerespective. De même, l'al<strong>le</strong>mand est utilisé <strong>à</strong> hauteur de 88 % autravail et l'italien <strong>à</strong> 98,6 %.Au premier abord, chac<strong>une</strong> des régions linguistiques utilise sa <strong>langue</strong>au travail de façon absolument dominante, <strong>à</strong> l'exception de la Suisseromanche. En réalité, l'anglais et l'al<strong>le</strong>mand sont massivementemployés en Suisse romande, notamment parmi <strong>le</strong>s catégories professionnel<strong>le</strong>s<strong>le</strong>s plus rémunérées. Entre 1990 et 2000, l'emploi de l'al<strong>le</strong>mandstagne <strong>à</strong> haut niveau <strong>à</strong> 30 % parmi <strong>le</strong>s dirigeants et <strong>à</strong> 26 % parmi<strong>le</strong>s professions intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>s. En revanche, l'anglais progresse fortement.En 2000, 46,1 % des dirigeants et 42,4 % des professions intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>sl'utilisent, contre 17 % en moyenne. En comparaison des données<strong>français</strong>es, un Suisse romand sur cinq et un dirigeant suisseromand sur deux utilisent régulièrement l'anglais au travail. Un tierspar<strong>le</strong> en outre l'al<strong>le</strong>mand. Le monde du travail apparaît très nettementplurilingue, d'autant plus que la catégorie professionnel<strong>le</strong> est é<strong>le</strong>vée. Ilfaut être plurilingue <strong>pour</strong> gagner confortab<strong>le</strong>ment sa vie.50> La Suisse alémaniqueLe <strong>français</strong> est la <strong>langue</strong> principa<strong>le</strong> de 1,4 % des habitants de Suissealémanique, qui <strong>le</strong> par<strong>le</strong>nt en famil<strong>le</strong> <strong>à</strong> hauteur de 4,6 %, et au travail <strong>à</strong>20 %. On remarque que <strong>le</strong>s régions zurichoise, bernoise et bâloise utilisentplus <strong>le</strong> <strong>français</strong> qu'<strong>une</strong> grande partie de la Suisse alémanique. Le<strong>français</strong> au travail n'est pas uniformément employé sur l'ensemb<strong>le</strong> dupays, mais on l'utilise dans <strong>le</strong>s zones économiques et aux frontières linguistiques,ce que confirment <strong>le</strong>s chiffres cantonaux. L'utilisation estchiffrée <strong>à</strong> 30,6 % <strong>pour</strong> Bâ<strong>le</strong> et 21,1 % <strong>pour</strong> Zurich, soit au-dessus de lamoyenne <strong>à</strong> 19,9 %. Ail<strong>le</strong>urs, el<strong>le</strong> n'est pas signifiante.


Nous observons un phénomène similaire <strong>à</strong> la Suisse romande quantaux pratiques linguistiques en fonction des catégories professionnel<strong>le</strong>s.Plus d'un dirigeant sur deux utilise régulièrement l'anglais. En deç<strong>à</strong> deshauts dirigeants, <strong>le</strong> <strong>français</strong> reste <strong>une</strong> <strong>langue</strong> supplémentaire trèsimportante, répandue en moyenne <strong>à</strong> 35 %.L'usage des <strong>langue</strong>s en fonction de la tail<strong>le</strong> de <strong>l'entreprise</strong>Une enquête de la haute éco<strong>le</strong> spécialisée de So<strong>le</strong>ure a étudié <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>sutilisées au travail en fonction de la tail<strong>le</strong> de <strong>l'entreprise</strong>. Dans <strong>le</strong>sentreprises de moins de 10 employés, l'anglais prime sur <strong>le</strong> <strong>français</strong>,tandis que cel<strong>le</strong>s de 10 <strong>à</strong> 249 employés privilégient <strong>le</strong> <strong>français</strong> face <strong>à</strong>l'anglais et que <strong>le</strong>s grandes entreprises utilisent majoritairement l'anglais.Il n'existe pas de règ<strong>le</strong> en matière linguistique sur <strong>le</strong> marché dutravail, <strong>le</strong>s facteurs de différenciation sont nombreux. Entre 1990 et2000, on observe la stagnation du <strong>français</strong> et la progression de l'anglais.51Actions et mesures législativesDans <strong>le</strong> système éducatif suisse, <strong>le</strong>s cantons décident des <strong>langue</strong>senseignées dans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s. Un canton a par exemp<strong>le</strong> décidé d'abandonner<strong>le</strong> <strong>français</strong> <strong>à</strong> l'éco<strong>le</strong> au profit de l'anglais. La conférence suissede coordination <strong>pour</strong> la recherche en éducation a tenté de régu<strong>le</strong>r lasituation. Ainsi, deux <strong>langue</strong>s sont enseignées dès l'éco<strong>le</strong> primairedans l'ordre choisi par <strong>le</strong>s régions. La Suisse romande a choisi l'al<strong>le</strong>mandpuis l'anglais. Pour la majorité des cantons de Suisse alémanique,il s'agit de l'anglais puis du <strong>français</strong>. Les cantons frontalierscommencent en général avec <strong>le</strong> <strong>français</strong>.Des référendums ont parfois été organisés <strong>à</strong> ce sujet. À Zurich, <strong>le</strong>senseignants estimaient l'apprentissage de deux <strong>langue</strong>s trop lourd etsoutenaient l'anglais face au <strong>français</strong>. La proposition fut nettementrejetée. À Bâ<strong>le</strong>-Campagne, <strong>le</strong> conseil d'éducation, soutenu par <strong>le</strong>Gouvernement, a décidé de commencer avec l'anglais. Le par<strong>le</strong>ment arenversé la décision en faveur du <strong>français</strong>. Nous sommes confrontés <strong>à</strong>un enjeu politique émotionnel.Depuis <strong>le</strong> 5 octobre 2007, nous sommes dotés d'<strong>une</strong> loi fédéra<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s


<strong>langue</strong>s peu régulatrice, dont l'artic<strong>le</strong> 15 concerne l'enseignement. Leschambres ont débattu <strong>pour</strong> déterminer la priorité des <strong>langue</strong>s nationa<strong>le</strong>s,ou au contraire <strong>pour</strong> laisser ce choix aux cantons. Tous <strong>le</strong>s milieuxpolitiques pensaient que l'imposition de la <strong>langue</strong> nationa<strong>le</strong> serait massivementrejetée en cas de référendum. Le Conseil national avait votéen sa faveur. Le Conseil des États, parfois qualifié de « Conscience politiquede la Suisse » a modifié la mention « <strong>langue</strong> nationa<strong>le</strong> » en« <strong>langue</strong> d'enseignement » au premier alinéa. Le second alinéa prévoitque l'enseignement « assure des compétences dans <strong>une</strong> deuxième<strong>langue</strong> nationa<strong>le</strong> au moins, ainsi que dans <strong>une</strong> autre <strong>langue</strong> étrangère», bien que l'ordre ne soit plus présumé.Actuel<strong>le</strong>ment, la <strong>langue</strong> nationa<strong>le</strong> loca<strong>le</strong>, <strong>une</strong> seconde <strong>langue</strong> nationa<strong>le</strong>et l'anglais sont obligatoires <strong>pour</strong> tous dès l'éco<strong>le</strong> primaire, <strong>le</strong>sautres étant facultatives. Comme <strong>à</strong> Bruxel<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s résultats sontmoyens. Au baccalauréat, <strong>le</strong> niveau d'anglais est évalué <strong>à</strong> B2, tandisque <strong>le</strong> <strong>français</strong> se positionne au maximum <strong>à</strong> B1. Bien que <strong>le</strong> <strong>français</strong>soit enseigné <strong>le</strong> plus longtemps, <strong>le</strong> niveau d'anglais est bien meil<strong>le</strong>ur.52Premiers résultats du projet DYLANLe modu<strong>le</strong> bâlois avait <strong>pour</strong> tâche : d'analyser et comprendre la manièredont des entreprises élaborent <strong>le</strong>urs stratégies linguistiques ; demesurer l'impact de ces dernières ; de <strong>le</strong>s confronter avec des pratiquesactuel<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s mêmes entreprises. Pour cela, nous noussommes demandé comment <strong>le</strong>s employés mobilisent <strong>le</strong>urs ressourceslinguistiques.« Pharma A » est <strong>une</strong> entreprise internationa<strong>le</strong> basée en Suisse. El<strong>le</strong>compte 90 000 employés dont 11 000 en Suisse. « Service public A »est <strong>une</strong> entreprise du service public et compte 42 500 employés, dont39 000 en Suisse. Ces proportions différentes s'illustrent au traversdes politiques de <strong>l'entreprise</strong> et des pratiques des employés.Les annonces d'emploi> « Service public A »Sur <strong>le</strong> site internet du « Service public A », 104 annonces sont rédigées


en al<strong>le</strong>mand, 25 en <strong>français</strong>, 9 en italien et auc<strong>une</strong> en anglais.Comparativement, la Suisse compte 63 % de germanophones, 20 % defrancophones et 9 % d'italophones. L'al<strong>le</strong>mand est surreprésenté, <strong>le</strong><strong>français</strong> et l'italien légèrement sous-représentés. « Service public A »recherche la parité, comme l'exigent <strong>le</strong>s autorités fédéra<strong>le</strong>s, mais <strong>le</strong>sLatins font défaut. En revanche, « Pharma A » publie 185 annonces enanglais, 14 en al<strong>le</strong>mand, 4 en <strong>français</strong> et auc<strong>une</strong> en italien.Le « Service public A » s'affirme plurilingue, propose des cours de <strong>langue</strong>s,favorise <strong>le</strong>s échanges, et encourage la constitution d'équipesmixtes suivant plusieurs critères, dont la <strong>langue</strong>. Francophones, germanophones,voire italophones se côtoient au quotidien sans service detraduction. La documentation est fournie dans la <strong>langue</strong> du travail<strong>le</strong>ur,mais <strong>le</strong> principe d'intercompréhension, <strong>à</strong> notre ordre du jour, est fortementvalorisé. Par conséquent, lorsqu'<strong>une</strong> offre est rédigée en <strong>français</strong>,el<strong>le</strong> demande malgré tout la maîtrise du <strong>français</strong> et de l'al<strong>le</strong>mand,voire de l'anglais et de l'italien.53> « Pharma A »Les quatre annonces rédigées en <strong>français</strong> sur <strong>le</strong> site « Pharma A » renvoient<strong>à</strong> des postes basés <strong>à</strong> Saint-Aubin et Nyon, dans <strong>le</strong>s filia<strong>le</strong>sromandes. Cel<strong>le</strong>s rédigées en al<strong>le</strong>mand correspondent <strong>à</strong> des postes <strong>à</strong>Stein, Schweizerhal<strong>le</strong> et Berne, en marge de la frontière linguistique.Toutes <strong>le</strong>s annonces concernant <strong>le</strong>s postes basés <strong>à</strong> Bâ<strong>le</strong> sont enanglais ; nous observons <strong>une</strong> politique de l'emploi radica<strong>le</strong>ment différentede cel<strong>le</strong> du « Service public A ».Les annonces rédigées en <strong>français</strong> exigent la maîtrise de l'anglais, cequi écarte la question de la gêne dès l'embauche. Les responsab<strong>le</strong>saffirment d'ail<strong>le</strong>urs que la <strong>langue</strong> d'entreprise est l'anglais internationalaméricain. Cette perception se retrouve <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s niveaux de <strong>l'entreprise</strong>.Les employées du restaurant, en majorité alsaciennes, attestentque l'anglais est <strong>une</strong> condition d'embauche. Le trilinguisme est nécessaire<strong>pour</strong> être serveuse au restaurant du campus « Pharma A ». 77 %des annonces exigent l'anglais, 56 % l'al<strong>le</strong>mand et 11 % <strong>le</strong> <strong>français</strong>.L'al<strong>le</strong>mand est plus présent qu'il ne l'est dans la <strong>langue</strong> de rédaction.


compte <strong>une</strong> doctorante ukrainienne, <strong>une</strong> Polonaise et des laborantinssuisses al<strong>le</strong>mands. L'al<strong>le</strong>mand est la <strong>langue</strong> comm<strong>une</strong> <strong>à</strong> 60 % bien que<strong>le</strong> chef ne la par<strong>le</strong> pas et doive l'apprendre. Quel<strong>le</strong> <strong>langue</strong> par<strong>le</strong>r lorsdes réunions comm<strong>une</strong>s ? En pratique, <strong>le</strong>s réunions sont plurilingues etnon pas en anglais, comme dans <strong>le</strong>s équipes mixtes du « Servicepublic A ». On exige <strong>une</strong> compétence passive au minimum en anglais eten al<strong>le</strong>mand, moins en <strong>français</strong>. Il est surprenant de constater que lapolitique de <strong>l'entreprise</strong> favorise l'anglais, tandis que <strong>le</strong>s pratiques sonttrès plurilingues.Les procès-verbaux des réunions témoignent de ces pratiques mélangées: des informaticiens utilisent des terminologies techniques anglaises,par<strong>le</strong>nt en al<strong>le</strong>mand et en <strong>français</strong>, tandis que <strong>le</strong> biologiste marocains'adapte et dicte des données en al<strong>le</strong>mand.55En conclusion, nous observons des compétences dépassant largement<strong>le</strong> multilinguisme affiché dans <strong>le</strong>s annonces. El<strong>le</strong>s sont conçues par <strong>le</strong>sacteurs, <strong>à</strong> moindre titre par <strong>le</strong>s dirigeants, comme <strong>une</strong> ressource <strong>à</strong> utiliserde façon pragmatique. Cette ressource configure <strong>le</strong>s interactionsendolingues, entre francophones, ou exolingues, soit interculturel<strong>le</strong>s.Toutes <strong>le</strong>s interactions peuvent exister en fonction du profil linguistiquedes acteurs. Notre question n'était pas la place du <strong>français</strong> au travail,mais <strong>le</strong> fonctionnement d'<strong>une</strong> entreprise plurilingue et l'exploitationoptima<strong>le</strong> des ressources linguistiques <strong>pour</strong> en augmenter ses bénéfices.Xavier NORTHNous vous remercions d'avoir sou<strong>le</strong>vé cette dernière interrogation. LaSuisse représente un cas d'espèce très intéressant en tant que microcosmede l'Europe. Chacun jugera de sa qualité de modè<strong>le</strong> linguistique.Nous ne soutenons pas <strong>le</strong> choix de l'anglais comme première <strong>langue</strong>apprise <strong>à</strong> l'éco<strong>le</strong>, bien que l'Europe <strong>le</strong> fasse en réalité.


Débat avec <strong>le</strong> publicDe la sal<strong>le</strong>Je m'adresse <strong>à</strong> l'équipe de Namur. Comment fonctionne la prime aumultilinguisme ?Laurence METTEWIEEn l'absence de règ<strong>le</strong>, cela dépend des entreprises. Certaines ont affirméen tenir compte. Il s'agit d'un supplément <strong>à</strong> ajouter au salaire sil'employé est multilingue, c'est-<strong>à</strong>-dire plus f<strong>le</strong>xib<strong>le</strong>. Les réponses furentprudentes, car la question reste délicate.Jean-Claude AMBOISE, avocat et administrateur de l'associationDéfense de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>eJe suis très intéressé par <strong>le</strong>s conférences, qui ont souligné l'importancedu multilinguisme sans y nier <strong>le</strong> poids de l'anglais. La première questions'adresse <strong>à</strong> l'équipe de Namur : pouvez-vous confirmer <strong>le</strong> caractèreobligatoire de l'apprentissage du <strong>français</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s néerlandophonestandis que la réciproque est fausse ? La seconde question s'adresseaux Canadiens. Georges Lüdi a indiqué que <strong>le</strong> monde francophones'est ouvert au multilinguisme. Est-ce <strong>le</strong> cas du monde anglophone, o<strong>une</strong> se trouvera-t-il pas dans la situation actuel<strong>le</strong> des francophones dans10 ans ?56Laurence METTEWIEL'enseignement dépend des communautés linguistiques et en partiedes régions, puisqu'en Flandre, <strong>le</strong> <strong>français</strong> est obligatoire en première<strong>langue</strong> étrangère. Dans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s francophones de Bruxel<strong>le</strong>s et descomm<strong>une</strong>s <strong>à</strong> facilités, il s'agit du néerlandais. En Wallonie, <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>schoisissent entre <strong>le</strong> néerlandais, l'al<strong>le</strong>mand qui est tout de même notretroisième <strong>langue</strong> nationa<strong>le</strong> et l'anglais.Georges LÜDIÀ titre d'anecdote, <strong>le</strong> seul cadre <strong>à</strong> Bâ<strong>le</strong> qui ne fournissait pas effort<strong>pour</strong> par<strong>le</strong>r al<strong>le</strong>mand était <strong>le</strong> chef canadien anglophone de la communication.


De la sal<strong>le</strong>Les portraits de la Suisse et du Canada sont très intéressants ; <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>sy ont conflué par vagues historiques. Comment <strong>une</strong> entreprisepeut-el<strong>le</strong> fonctionner longtemps et efficacement avec <strong>une</strong> tel<strong>le</strong> dichotomieentre <strong>langue</strong> de direction et <strong>langue</strong> d'action ?Georges LÜDILa progression de l'anglais <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s niveaux est terrifiante dans larégion bâloise. Tout comme <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s serveuses de la cafétéria, il estexigé des employés des entreprises sous-traitantes de nettoyage et dejardinage qu'ils par<strong>le</strong>nt anglais. Des employés de sécurité déclarentêtre forcés <strong>à</strong> suivre des cours d'anglais. « Pharma A » paye stratégiquementces cours <strong>à</strong> tous.57Cependant, nous refusons la stratégie officiel<strong>le</strong> de la Conférence desdirecteurs de l'instruction publique, qui voudrait que <strong>le</strong>s élèves aientacquis des compétences en seconde <strong>langue</strong> nationa<strong>le</strong> et en anglais <strong>à</strong>la fin de la scolarité obligatoire. En effet, cet objectif est <strong>pour</strong>suivi aucours de la formation professionnel<strong>le</strong>. De plus en plus d'éco<strong>le</strong>s professionnel<strong>le</strong>ssont bilingues. À Zurich, <strong>le</strong> projet « Bili » vise <strong>à</strong> dispenser desformations de laborantin ou de mécanicien en al<strong>le</strong>mand et en anglais.De nombreux cours de master se dérou<strong>le</strong>nt maintenant exclusivementen anglais. Le directeur de l'éco<strong>le</strong> polytechnique de Lausanne juge <strong>le</strong><strong>français</strong> secondaire face <strong>à</strong> l'anglais. Les compétences en anglais vontlogiquement s'améliorer, d'ail<strong>le</strong>urs plus rapidement chez <strong>le</strong>s je<strong>une</strong>sque chez <strong>le</strong>s salariés <strong>le</strong>s plus âgés, et plus fortement dans <strong>le</strong>s catégoriesprofessionnel<strong>le</strong>s é<strong>le</strong>vées.L'idée du bilinguisme <strong>français</strong>-anglais en Suisse romande et al<strong>le</strong>mandanglaisen Suisse alémanique est réaliste. Cependant, <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> suisserepose sur l'intercompréhension entre <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s nationa<strong>le</strong>s, commedans <strong>le</strong> cas du « Service public A » et de nombreuses autres entreprises.Je n'ose pas avancer de pronostic <strong>pour</strong> l'avenir. Tout fonctionnecorrectement actuel<strong>le</strong>ment, mais je suis sceptique.


Jean-Marie KLINKENBERG, Conseil de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e et de la politiquelinguistique, Communauté <strong>français</strong>e de BelgiqueSophie Bressé, votre questionnaire n'autorise qu'<strong>une</strong> seu<strong>le</strong> réponse <strong>à</strong>la question de la <strong>langue</strong> utilisée en sus du <strong>français</strong>. Cela ne fait-il pascourir <strong>le</strong> risque de mal estimer la présence de l'anglais, masqué par<strong>une</strong> première réponse ? Nous ignorons <strong>le</strong> régime des autres <strong>langue</strong>s.Avez-vous <strong>une</strong> idée de <strong>le</strong>ur répartition ?Sophie BRESSÉJe ne dispose malheureusement d'aucun moyen de mesurer la placed'<strong>une</strong> seconde <strong>langue</strong>.De la sal<strong>le</strong>Vos présentations montrent qu'il s'avère fina<strong>le</strong>ment plus uti<strong>le</strong> deconnaître des <strong>langue</strong>s de travail spécialisées plutôt que des <strong>langue</strong>scomplètes, comme l'anglais ou l'al<strong>le</strong>mand. Existe-t-il <strong>une</strong> offre de formationdans ces <strong>langue</strong>s spécialisées ? El<strong>le</strong>s seraient souvent suffisantesen matière de compréhension dans <strong>l'entreprise</strong> ou l'usine, avecquelques centaines de termes, et <strong>pour</strong>raient répondre aux besoins demultilinguisme.58Laurence METTEWIEÀ Bruxel<strong>le</strong>s, étant donnée la prise de conscience de la nécessité dubilinguisme <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s échelons professionnels, l'organisme de chômagea mis en place des modu<strong>le</strong>s de formation linguistique. Ils sont enfonction du type d'emploi recherché et fonctionnent surtout du côténéerlandophone <strong>pour</strong> <strong>le</strong> moment.Georges LÜDIDe la même manière, l'assurance chômage suisse offre des cours de<strong>langue</strong>s, ce qui est fréquent et normal. Il ne s'agit pas toujours de l'anglais,tout dépend du profil professionnel de l'individu. Les spécialistesen <strong>langue</strong>s du « Service public A » affirment que <strong>le</strong> langage technique


Le droit au <strong>français</strong> dansl’entrepriseLe <strong>français</strong> dans <strong>le</strong>s entreprises : l'expériencequébécoiseFrance BOUCHERPrésidente-directrice généra<strong>le</strong> de l'Office québécois de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e61Xavier NORTHFrance Boucher, présidente-directrice généra<strong>le</strong> de l'Office québécoisde la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e depuis deux ans et demi nous décrit l'expériencequébécoise du droit au <strong>français</strong> dans <strong>l'entreprise</strong> et <strong>le</strong>s conditionsd'application de la loi 101, trentenaire depuis quelques semaines.France BOUCHERLe 26 août, nous fêtions en effet l'anniversaire de l'adoption de laCharte de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e par l'Assemblée nationa<strong>le</strong> québécoise.El<strong>le</strong> fut instituée en 1977 <strong>pour</strong> protéger et développer <strong>le</strong> <strong>français</strong>,notamment dans <strong>le</strong>s entreprises. L'idée date toutefois du début desannées 1960, lorsqu'<strong>une</strong> élite intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> demanda au Gouvernementla création d'<strong>une</strong> structure officiel<strong>le</strong> <strong>pour</strong> améliorer la qualité du <strong>français</strong>.Historique du cadre légalLes prémisses du cadre légal« La <strong>langue</strong> est un bien commun, et c'est <strong>à</strong> l'État comme tel de la protéger.L'État protège <strong>le</strong>s orignaux, <strong>le</strong>s perdrix et <strong>le</strong>s truites. L'État protège<strong>le</strong>s parcs nationaux, et il fait bien : ce sont l<strong>à</strong> des biens communs. La<strong>langue</strong> est aussi un bien commun, et l'État devrait la protéger avec autant


de rigueur. Une expression vaut bien un orignal, un mot vaut bien <strong>une</strong>truite. »C'est ainsi que s'est exprimé Jean-Paul Desbiens, alias <strong>le</strong> frère Untel,dans l'<strong>une</strong> ses fameuses envolées épistolaires publiées dans <strong>le</strong> quotidienLe Devoir entre novembre 1959 et juin 1960. Ce je<strong>une</strong> enseignantavait fait <strong>le</strong> constat public de l'évidence partagée dans <strong>le</strong> milieu intel<strong>le</strong>ctuelfrancophone. Sans <strong>une</strong> mobilisation politique et la réforme del'enseignement, <strong>le</strong> <strong>français</strong> se dégraderait rapidement.Jean-Marc Léger, écrivain, journaliste et futur premier directeur del'Office, fit un commentaire semblab<strong>le</strong> lors d'<strong>une</strong> entrevue télévisée en1960, traduisant ainsi l'inquiétude de la communauté francophone :« J'estime qu'il nous reste peut-être dix ou quinze ans si nous voulonsfaire un effort sérieux <strong>pour</strong> restaurer la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e, et conséquemmentla sauver. Sinon, el<strong>le</strong> deviendra <strong>une</strong> sorte de patois dont nousaurons honte, <strong>une</strong> petite <strong>langue</strong> familia<strong>le</strong> <strong>à</strong> saveur folklorique qui ne serviraplus vraiment qu'au véhicu<strong>le</strong> de notre pensée chez nous ».En réaction, <strong>le</strong> Gouvernement Lesage crée en 1961 l'Office québécoisde la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e et institue <strong>le</strong> ministère des Affaires culturel<strong>le</strong>s.L'Office doit veil<strong>le</strong>r <strong>à</strong> la correction et <strong>à</strong> l'enrichissement de la <strong>langue</strong>ora<strong>le</strong> et écrite. Des slogans tels que « Parlons bien », « Corrigeonsnous» et « Pas de bouche mol<strong>le</strong> » donnent <strong>le</strong> ton du mouvement déj<strong>à</strong>amorcé dans <strong>le</strong> milieu scolaire. La rédaction d'<strong>une</strong> norme du <strong>français</strong>sera l'un des premiers travaux de l'Office. Le rapport remis au ministèredes Affaires culturel<strong>le</strong>s en 1964 déclare que « l'Office a <strong>pour</strong> objetpropre de restaurer <strong>le</strong> <strong>français</strong> dans <strong>le</strong> Québec en y propageant <strong>le</strong> <strong>français</strong>international. Toute <strong>langue</strong> est un ensemb<strong>le</strong> de représentations quirelève <strong>à</strong> la fois de la grammaire et du vocabulaire par <strong>le</strong>quel s'exprime lamentalité du groupe qui par<strong>le</strong> cette <strong>langue</strong>. Dans son développement,<strong>une</strong> <strong>langue</strong> obéit <strong>à</strong> <strong>une</strong> impulsion interne qui correspond aux exigencesmenta<strong>le</strong>s et aux habitudes linguistiques des sujets parlants. Dès l'instantoù, <strong>pour</strong> des raisons historiques, géographiques, économiques, psychologiquesou autres, cette impulsion faiblit, on peut dire que la <strong>langue</strong> estentrée dans <strong>une</strong> phase critique de son développement et que la commu-62


nauté linguistique doit alors se considérer dans un état d'a<strong>le</strong>rte ».Personne ne contestera ces observations.63Le facteur de dégradation <strong>le</strong> plus nocif reste l'absence de motivationsocio-économique <strong>pour</strong> l'emploi du <strong>français</strong>. L'Office comprend qu'ildoit considérer ce facteur en sus de la normalisation linguistique, maisses actions ne visent encore que <strong>le</strong>s administrations publiques, <strong>le</strong>s tribunauxet l'enseignement. Il s'intéresse aux textes administratifs, <strong>à</strong> lasignalisation routière et aux manuels scolaires. En 1965, l'Office forme<strong>une</strong> commission consultative qui souligne l'incompatibilité entre <strong>le</strong>sbesoins culturels et économiques du Québec. Les travail<strong>le</strong>urs doiventpar<strong>le</strong>r anglais <strong>pour</strong> accéder aux emplois <strong>le</strong>s mieux rémunérés, et <strong>le</strong>sécarts salariaux rendent l'apprentissage de l'anglais indispensab<strong>le</strong>. Laquestion de l'intégration des immigrants est éga<strong>le</strong>ment appréhendée.Ces derniers comprennent rapidement que l'anglais seul assurera <strong>le</strong>ursubsistance et s'intéressent peu au <strong>français</strong>. En inscrivant <strong>le</strong>ursenfants dans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s anglophones des métropo<strong>le</strong>s, ils révè<strong>le</strong>nt lamenace de l'anglicisation <strong>à</strong> venir.Par conséquent, l'Office conseil<strong>le</strong> au Gouvernement d'instituer <strong>le</strong> <strong>français</strong>comme <strong>langue</strong> de travail. Faute de recommandation pratique, <strong>le</strong>Gouvernement ne saisit pas l'importance de légiférer. En 1968 <strong>à</strong>Montréal, <strong>le</strong> ministre des Affaires culturel<strong>le</strong>s décrira l'Office comme<strong>une</strong> académie linguistique devant fixer <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s du <strong>français</strong>. Il estimeque <strong>le</strong>s entreprises doivent être interpellées avant tout par la persuasionet <strong>le</strong> partage de travaux terminologiques.Les premières lois linguistiquesLa loi <strong>pour</strong> promouvoir la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e au Québec est promulguéeen novembre 1969. El<strong>le</strong> accorde <strong>le</strong> libre choix de la <strong>langue</strong> d'enseignement,mais oblige <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s anglophones <strong>à</strong> assurer <strong>une</strong> connaissanced'usage du <strong>français</strong> aux enfants. Cette première loi linguistique susciteun débat public hou<strong>le</strong>ux, car el<strong>le</strong> expose la volonté du Gouvernementde franciser <strong>le</strong>s entreprises. L'artic<strong>le</strong> 4 indique que « l'Office québécoisde la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e doit, sous la direction du ministre, conseil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>Gouvernement sur toute mesure législative ou administrative qui <strong>pour</strong>rait


être adoptée <strong>pour</strong> faire en sorte que la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e soit la <strong>langue</strong>d'usage dans <strong>le</strong>s entreprises publiques et privées au Québec ». Il doitéga<strong>le</strong>ment « élaborer de concert avec <strong>le</strong>s entreprises des programmes<strong>pour</strong> faire en sorte que la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e y soit la <strong>langue</strong> d'usage, et<strong>pour</strong> assurer <strong>à</strong> <strong>le</strong>urs dirigeants et <strong>à</strong> <strong>le</strong>urs employés <strong>une</strong> connaissanced'usage de cette <strong>langue</strong> ».L'arrivée d'un nouveau Gouvernement cinq mois plus tard concrétiserace concept. En juin 1970, <strong>le</strong> Premier ministre Robert Bourassaconvie <strong>une</strong> trentaine d'entreprises de plus de 3 000 salariés <strong>à</strong> <strong>une</strong> rencontre<strong>pour</strong> annoncer <strong>le</strong> processus de francisation des entreprises. Auvu de l'urgence, <strong>le</strong> Gouvernement entend prendre tous <strong>le</strong>s moyensnécessaires <strong>pour</strong> promouvoir <strong>le</strong> <strong>français</strong>. Cependant, <strong>le</strong> ministre invite<strong>le</strong>s entreprises <strong>à</strong> collaborer avec l'Office. Il compte <strong>le</strong>s persuader et<strong>le</strong>ur assure qu'il ne recourra pas <strong>à</strong> la coercition. 17 entreprises répondent<strong>à</strong> l'appel, mais l'Office manque encore de moyens et d'expérienceface <strong>à</strong> <strong>une</strong> tel<strong>le</strong> opération.Il sera progressivement réorganisé entre 1971 et 1974 afin de concrétiserla volonté politique en plan d'action efficace et réaliste. Il doit élaborerex-nihilo un processus de francisation s'appuyant sur l'analysepréalab<strong>le</strong> des communications internes et externes de <strong>l'entreprise</strong>.Trois entreprises ont fina<strong>le</strong>ment accepté <strong>le</strong> programme de francisationde l'Office, prouvant l'inefficacité de la persuasion, tandis que <strong>le</strong> bilande la loi de 1969 est désastreux. Les entreprises ne se francisent paset <strong>le</strong>s immigrants continuent de scolariser massivement <strong>le</strong>urs enfantsdans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s anglophones.64Le projet de loi 22 est adopté <strong>le</strong> 31 juil<strong>le</strong>t 1974. La loi sur la <strong>langue</strong> proclame<strong>le</strong> <strong>français</strong> seu<strong>le</strong> <strong>langue</strong> officiel<strong>le</strong> et restreint l'accès aux éco<strong>le</strong>sanglophones aux personnes connaissant déj<strong>à</strong> l'anglais. La loi mécontentetoutes <strong>le</strong>s parties : <strong>le</strong>s anglophones se retrouvent en position degroupe minoritaire, tandis que <strong>le</strong>s francophones estiment que la <strong>langue</strong>officiel<strong>le</strong> unique occulte <strong>le</strong> bilinguisme réel.L'adoption de la Charte de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>eEn 1976, <strong>le</strong> nouveau Gouvernement Lévesque souhaite réformer la loi


22 et définit <strong>une</strong> véritab<strong>le</strong> politique linguistique <strong>à</strong> partir des travaux denombreuses commissions et de l'Office. Le projet de politique québécoisede la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e, alors distribué dans tous <strong>le</strong>s foyers finmars 1977, suscite <strong>le</strong> débat. Cette politique appel<strong>le</strong> <strong>à</strong> la concertationde tous <strong>le</strong>s acteurs socio-économiques et propose un projet global desociété, dotée du <strong>français</strong> comme <strong>langue</strong> comm<strong>une</strong>. Ainsi, <strong>le</strong> projet deloi 101, dite Charte de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e, est adopté <strong>le</strong> 26 août 1977.Deux ans auparavant, <strong>le</strong> Gouvernement avait adopté la Charte québécoisedes droits et libertés <strong>à</strong> la personne. Il refuse d'assujettir cettedernière <strong>à</strong> la loi 101 comme toutes <strong>le</strong>s autres lois, excluant ainsi de hiérarchiser<strong>le</strong>s droits individuels et linguistiques.65La Charte concerne l'administration publique, <strong>le</strong>s entreprises, <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs,<strong>le</strong>s ordres professionnels et commerçants, <strong>le</strong>s publicitaires, <strong>le</strong>monde de l'éducation et <strong>le</strong>s immigrants. El<strong>le</strong> institue un droit <strong>à</strong> la<strong>langue</strong> <strong>français</strong>e et compte sur <strong>le</strong>s citoyens <strong>pour</strong> l'intégrer <strong>à</strong> <strong>le</strong>ur quotidien.La Charte modifie profondément la société en commençant parson visage linguistique. Ainsi, l'affichage public a lieu exclusivement en<strong>français</strong> jusqu'<strong>à</strong> l'assouplissement de la loi en 1993, qui autorise l'affichagebilingue avec nette prédominance du <strong>français</strong>. Les anglophonessont devenus de plus en plus bilingues, ils travail<strong>le</strong>nt et vivent davantageen <strong>français</strong> puisque la plupart de <strong>le</strong>urs enfants doivent être scolarisésen <strong>français</strong>. Les francophones ont désormais accès <strong>à</strong> des postesde commande et <strong>à</strong> un meil<strong>le</strong>ur niveau de vie.Depuis trente ans, la Charte a subi plusieurs contestations juridiquesmenant souvent jusqu'<strong>à</strong> la Cour suprême du Canada. Cependant,aucun Gouvernement n'a jamais remis en cause sa pertinence ou sesfondements. Tandis que <strong>le</strong>s Québécois s'intéressent <strong>à</strong> la question desaccommodements raisonnab<strong>le</strong>s, certains réclament un renforcementde l'application de la Charte. Le mandat de l'Office demeure d'actualité: « L'Office définit et conduit la politique québécoise en matière d'officialisationlinguistique, de terminologie, ainsi que de francisation del'administration et <strong>le</strong>s entreprises ». Il assure éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> respect dela loi. Seul l'artic<strong>le</strong> concernant l'enseignement lui échappe et relève duministère de l'Éducation, des Loisirs et du Sport.


Le rô<strong>le</strong> de l'Office québécois de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>eLes obligations léga<strong>le</strong>sLes trois artic<strong>le</strong>s sur la <strong>langue</strong> du travail, sur la <strong>langue</strong> du commerce etdes affaires et sur la francisation touchent <strong>l'entreprise</strong>, de manière différenteselon <strong>le</strong> nombre d'employés. Celui sur la <strong>langue</strong> du travail visetoutes <strong>le</strong>s entreprises établies au Québec. Les conventions col<strong>le</strong>ctiveset <strong>le</strong>s communications adressées par l'employeur <strong>à</strong> son personnel doiventêtre rédigées en <strong>français</strong>. Il est interdit de congédier, de mettre <strong>à</strong>pied, de déplacer ou de rétrograder un employé <strong>pour</strong> la seu<strong>le</strong> raisonqu'il ne connaît pas suffisamment <strong>une</strong> autre <strong>langue</strong> que <strong>le</strong> <strong>français</strong>.L'employeur ne peut exiger la connaissance d'<strong>une</strong> autre <strong>langue</strong> que sil'accomplissement de la tâche l'exige.L'artic<strong>le</strong> sur la <strong>langue</strong> du commerce et des affaires vise éga<strong>le</strong>menttoutes <strong>le</strong>s entreprises. Ses dispositions exigent la présence du <strong>français</strong><strong>pour</strong> toute inscription sur un produit et son contenant, sur la documentationd'accompagnement, sur tout document promotionnel relatif <strong>à</strong> unproduit en vente, ainsi que <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s contrats d'adhésion, <strong>le</strong>s factures et<strong>le</strong>s bons de commande. En instituant la nette prédominance du <strong>français</strong><strong>pour</strong> l'affichage public, <strong>le</strong> législateur témoigne de sa compréhensiondes enjeux et des conséquences de l'utilisation du <strong>français</strong> surl'ouverture au monde extérieur.66La Charte impose en outre aux entreprises d'au moins cinquanteemployés l'objectif de privilégier <strong>le</strong> <strong>français</strong> comme <strong>langue</strong> principa<strong>le</strong>.S'il est atteint, l'Office <strong>le</strong>ur remet un certificat de francisation. Il peutêtre obtenu au terme d'<strong>une</strong> démarche s'échelonnant de quelques mois<strong>à</strong> plusieurs années : moins d'<strong>une</strong> centaine d'entreprises ont même misjusqu'<strong>à</strong> vingt ans. Une étape de la démarche consiste en l'analyse dela situation linguistique de <strong>l'entreprise</strong>. Il s'agit d'examiner la connaissancedu <strong>français</strong> des dirigeants et du personnel, ainsi que la <strong>langue</strong> dutravail, de l'affichage interne <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s niveaux, des documents de travail,des communications externes de toutes sortes et de l'affichagepublic. Enfin, nous devons aujourd'hui considérer la <strong>langue</strong> des technologiesde l'information, notamment <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s logiciels et périphériques.


Cette analyse établit l'amp<strong>le</strong>ur du travail <strong>à</strong> accomplir. Si el<strong>le</strong> révè<strong>le</strong>l'utilisation généralisée du <strong>français</strong>, l'Office délivre <strong>le</strong> certificat. Sinon,<strong>l'entreprise</strong> soumet <strong>à</strong> l'approbation de l'Office un programme de francisationcomprenant <strong>le</strong>s mesures qu'el<strong>le</strong> s'engage <strong>à</strong> prendre. Le certificatde francisation sera remis au terme du programme en cas desuccès.67En 1977, <strong>le</strong> législateur avait fixé l'échéance de la francisation des entreprises<strong>à</strong> 1983. À l'approche de cette date, il fallut toutefois reconnaîtrela sous-évaluation du délai <strong>pour</strong> <strong>une</strong> tel<strong>le</strong> opération. Le processusde francisation est en outre tributaire de l'environnement changeantdes entreprises. La Charte fut alors modifiée en 1983 <strong>pour</strong> rendre permanentce processus. Le développement de l'informatique dans <strong>le</strong>sannées 80 a souligné la fragilité d'<strong>une</strong> démarche <strong>à</strong> échéance fixe : certainesentreprises titulaires d'un certificat ont régressé <strong>à</strong> cause de lagénéralisation de l'informatique. Les entreprises munies d'un certificatdoivent dorénavant produire un rapport triennal sur l'état de la francisation,pouvant éventuel<strong>le</strong>ment entraîner un plan de redressement.La Charte oblige éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s entreprises d'au moins 100 employés <strong>à</strong>mettre sur pied un comité de francisation composé d'au moins six personnesreprésentant <strong>à</strong> parts éga<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s employeurs et <strong>le</strong>s employés. Ilsurveil<strong>le</strong> l'état d'avancement de la francisation, conformément au souhaitdu législateur d'impliquer <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs dans <strong>le</strong> processus.Les artic<strong>le</strong>s sur la <strong>langue</strong> du travail et la francisation décou<strong>le</strong>nt du droitfondamental garanti au travail<strong>le</strong>ur par la Charte d'exercer ses activitésen <strong>français</strong>. Bien que tous <strong>le</strong>s employeurs doivent <strong>le</strong> respecter, la loiautorise certains accommodements. L'Office atténue ainsi la règ<strong>le</strong> del'usage du <strong>français</strong> lorsque <strong>l'entreprise</strong> entretient des rapports étroitsavec l'extérieur du Québec. Il tient éga<strong>le</strong>ment compte des personnesproches de la retraite ou travaillant depuis longtemps dans <strong>l'entreprise</strong>.Les employeurs peuvent démontrer qu'il est nécessaire de connaître<strong>une</strong> autre <strong>langue</strong> nécessaire <strong>pour</strong> accéder <strong>à</strong> un poste. La Charteprévoit éga<strong>le</strong>ment l'administration d'un régime d'exception <strong>pour</strong> <strong>le</strong>ssièges sociaux et <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s centres de recherches d'entreprises recon-


nus admissib<strong>le</strong>s par l'Office. Ce régime fut <strong>à</strong> l'origine conçu <strong>pour</strong> éviter<strong>le</strong> départ des sièges sociaux, et doit s'adapter aux nouvel<strong>le</strong>s réalitésdes entreprises qui essaiment <strong>à</strong> l'étranger. Les ententes en cours viennentd'être actualisées suivant la modification de la loi en 2002.Les entreprises ne sont jamais laissées <strong>à</strong> el<strong>le</strong>s-mêmes <strong>pour</strong> se franciser.L'Office est un agent de changement chargé de modu<strong>le</strong>r certainesexigences de la loi, d'en suivre l'application et de conseil<strong>le</strong>r <strong>l'entreprise</strong>,voire de lui suggérer des solutions techniques relatives aux technologiesde l'information. Il dispose d'<strong>une</strong> quarantaine de conseil<strong>le</strong>rschargés d'accompagner et de soutenir <strong>le</strong>s entreprises, mais aussi de<strong>le</strong>ur faire découvrir sa gamme de services, dont <strong>le</strong> Grand dictionnaireterminologique gratuit en ligne, consulté <strong>à</strong> plus de 71 millions de reprises.Nous devons éga<strong>le</strong>ment mentionner la banque de dépannage linguistique,<strong>le</strong> service d'assistance terminologique, la base de donnéesdes Produits informatiques en <strong>français</strong> (PIF), <strong>le</strong> Banc d'évaluationtechno-linguistique (Bétel) et de nombreux <strong>le</strong>xiques et chroniques linguistiques.La politique de partenariatPour mener <strong>à</strong> bien ses missions, l'Office a développé des partenariatsavec plusieurs ministères. Je soulignerai tout particulièrement la collaborationdu ministère de l'Immigration et des Communautés culturel<strong>le</strong>s<strong>pour</strong> l'organisation de cours de <strong>français</strong> aux immigrants souhaitant pratiquerl'<strong>une</strong> des 45 professions encadrées par un ordre professionnel.L'Office a tissé des liens étroits avec certaines centra<strong>le</strong>s syndica<strong>le</strong>s,dont il finance <strong>une</strong> partie des actions de francisation. L'ang<strong>le</strong> de vuedes syndicats ouvriers permet de nuancer <strong>le</strong>s rapports d'état parfoistrop optimistes des entreprises et de dresser un portrait plus équilibréde l'avancement de la francisation.68De même, <strong>le</strong>s associations patrona<strong>le</strong>s sont des partenaires primordiauxdans un contexte où <strong>le</strong>s effets des problèmes de francisation s'étendent<strong>à</strong> plusieurs entreprises, requérant <strong>une</strong> stratégie d'interventionaudacieuse. L'Office entretient éga<strong>le</strong>ment des relations étroites avec <strong>le</strong>Conseil québécois de commerce de détail, et a établi des partenariats


ponctuels avec l'Association canadienne du logiciel de divertissementet l'Association québécoise du camionnage. Enfin, nous comptonscomme partenaires <strong>le</strong>s groupes de défense du <strong>français</strong>, présents dans<strong>le</strong>s échelons administratifs où il est <strong>le</strong> plus menacé. Ils dénoncentpubliquement <strong>le</strong>s infractions <strong>à</strong> la Charte, et <strong>le</strong>urs critiques incisives,mais uti<strong>le</strong>s, n'épargnent pas l'Office lui-même.69Les succès remportés par l'OfficeSur <strong>le</strong>s 5 640 entreprises inscrites <strong>à</strong> l'Office, 80,7 % avaient obtenu uncertificat au 31 mars 2007. Dans la plupart des secteurs, plus de 75 %des entreprises ont généralisé l'usage du <strong>français</strong>. Le taux est encoreplus é<strong>le</strong>vé dans <strong>le</strong>s industries du bois, du papier, des produits minérauxet métalliques, de l'agroalimentaire et dans <strong>le</strong> secteur de la finance. Eneffet, el<strong>le</strong>s restent majoritairement composées de producteurs rurauxtraditionnel<strong>le</strong>ment francophones. Le secteur de la finance obtient éga<strong>le</strong>mentun fort taux de certification grâce <strong>à</strong> sa forte proportion declients québécois. Les progrès sont moins rapides <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s entreprisesdu secteur de l'aéronautique et de l'aérospatia<strong>le</strong>, certifiées <strong>à</strong> 55 %, soit<strong>à</strong> peine moins que cel<strong>le</strong>s des industries des produits é<strong>le</strong>ctriques eté<strong>le</strong>ctroniques. Cela s'explique par <strong>le</strong> contexte d'interdépendance etd'intégration dans <strong>le</strong>quel el<strong>le</strong>s évoluent.Parallè<strong>le</strong>ment, l'Office intervient sur des questions <strong>à</strong> fort impact linguistique.Son plus grand succès est l'entente conclue avecl'Association canadienne du logiciel de divertissement en septembre2007. Tous <strong>le</strong>s nouveaux jeux vidéo <strong>pour</strong> ordinateur développés depuis<strong>le</strong> 1 er octobre 2007 et vendus au Québec devront être disponib<strong>le</strong>s en<strong>français</strong> si la version <strong>français</strong>e est disponib<strong>le</strong> ail<strong>le</strong>urs dans <strong>le</strong> monde.Au 1 er avril 2009, tous <strong>le</strong>s jeux vidéo <strong>pour</strong> conso<strong>le</strong>s et ordinateursdevront répondre <strong>à</strong> ces exigences. En 2001, <strong>une</strong> intervention sectoriel<strong>le</strong>similaire avait été entreprise avec <strong>le</strong>s fabricants, distributeurs etcommerçants de l'industrie informatique afin de comb<strong>le</strong>r <strong>le</strong> manqueflagrant d'ordinateurs portatifs disponib<strong>le</strong>s en <strong>français</strong> dans <strong>le</strong> commerce.Depuis, plusieurs modè<strong>le</strong>s bilingues sont disponib<strong>le</strong>s auQuébec.


Des interventions sont en cours dans <strong>le</strong>s domaines du camionnage etdes appareils é<strong>le</strong>ctroménagers, où nous devons négocier la francisationdes acteurs extérieurs au Québec, tandis que de nouvel<strong>le</strong>s démarchessont prévues dans l'industrie automobi<strong>le</strong>. Certaines interventionsinitiées par nos conseil<strong>le</strong>rs profitent aujourd'hui aux entreprises de toutun secteur <strong>à</strong> l'échel<strong>le</strong> du Québec. Ainsi, <strong>le</strong>s balances é<strong>le</strong>ctroniques dessupermarchés sont <strong>à</strong> présent équipées d'un processeur permettantl'affichage et l'impression des étiquettes en <strong>français</strong>. Cependant, l'interventionsectoriel<strong>le</strong> dans l'aéronautique et l'aérospatia<strong>le</strong> demeure laplus durab<strong>le</strong> et audacieuse. Une tab<strong>le</strong> ronde regroupe des travail<strong>le</strong>ursd'<strong>une</strong> quinzaine d'entreprises. Tous sont membres d'un comité de francisation.Ils se réunissent régulièrement en présence de représentantsde l'Office et tissent des liens étroits avec des travail<strong>le</strong>urs <strong>français</strong> dumême secteur.Les Québécois ont récemment réalisé <strong>le</strong>ur pouvoir d'influence sur <strong>le</strong>sentreprises prenant des décisions contraires <strong>à</strong> l'épanouissement du<strong>français</strong>. L'hiver dernier, Esso cédait sous la pression populaire et nerebaptisait pas « On the run » ses enseignes « Marché express » parsouci d'uniformisation. Plus récemment, la chaîne de cafés SecondCup n'a songé que deux jours <strong>à</strong> revoir sa politique d'affichage. El<strong>le</strong> asubi de vives protestations suite <strong>à</strong> l'annonce de sa décision de retirer<strong>le</strong>s mots <strong>français</strong> « Les cafés » et a aussitôt reculé.70Les trente dernières années nous ont appris que <strong>le</strong>s habitudes linguistiquessont profondément ancrées et que <strong>le</strong> changement supposé parla francisation des entreprises exige du temps. L'emploi d'<strong>une</strong> maind'œuvreimmigrante, <strong>le</strong> recrutement de personnel spécialisé hors duQuébec, l'interdépendance des établissements <strong>à</strong> l'échel<strong>le</strong> continenta<strong>le</strong>voire mondia<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s systèmes informatiques communs et l'emploid'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> dite « internationa<strong>le</strong> » représentent de nombreux défis <strong>à</strong>re<strong>le</strong>ver. Néanmoins, l'Office a atteint en 2007 <strong>le</strong> plus fort taux de certificationdepuis plus de quinze ans grâce aux avantages qu'apporte lafrancisation. Le principal reste <strong>le</strong> gain de productivité : un employé quicomprend mieux la nature du travail <strong>à</strong> exécuter fournit un rendementsupérieur. Cette affirmation n'est pas scientifiquement démontrée,


mais repose sur <strong>le</strong>s observations de plusieurs employeurs.Les progrès techniques contribuent aussi eux-mêmes <strong>à</strong> faciliter la francisation,puisque certains logiciels sont de plus en plus souvent disponib<strong>le</strong>sen <strong>français</strong>. Le Québec jouit des avantages de sa localisation. Ladisponibilité accrue de produits informatiques confirme la possibilitéde s'épanouir professionnel<strong>le</strong>ment en <strong>français</strong> au Québec.La Cour suprême du Canada proposait la nette prédominance du <strong>français</strong>dans l'affichage publicitaire dans un arrêt en 1988. El<strong>le</strong> l'avait justifiéen reconnaissant la vulnérabilité du <strong>français</strong> au Québec du fait de :> la baisse du taux de natalité parmi la population francophone ;> la diminution de la population francophone hors du Québec parl'assimilation ;> la plus forte assimilation des immigrants par la communauté anglophone;71> la domination de la <strong>langue</strong> anglaise aux plus hauts échelons économiques.Nous devons présumer que ces mêmes motifs justifient aujourd'hui <strong>le</strong>smesures législatives de promotion du <strong>français</strong> dans <strong>le</strong>s entreprises etla garantie du droit des travail<strong>le</strong>urs d'exercer <strong>le</strong>ur activité en <strong>français</strong>.Bien qu'il représente 2 % de la population de l'Amérique du Nord, <strong>le</strong>Québec est <strong>une</strong> terre d'accueil attractive <strong>pour</strong> tous <strong>le</strong>s francophones.Notre Charte est la potion magique qui fait de nous un peup<strong>le</strong> de7 millions d'irréductib<strong>le</strong>s Gaulois, qui survit avec fierté et harmonie sur<strong>le</strong> continent au milieu de quelques centaines de millions d'anglophoneset d'hispanophones.Xavier NORTHJe vous remercie d'avoir retracé la merveil<strong>le</strong>use histoire de la loi 101. I<strong>le</strong>st exemplaire dans l'histoire de l'humanité qu'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> retrouve sonusage grâce <strong>à</strong> <strong>une</strong> volonté politique exprimant la volonté des citoyens.


Débat avec <strong>le</strong> publicJean-Marie KLINKENBERGJe fus président douze ans durant du plus vieux centre universitaired'études québécoises en Europe, mais j'ignore encore <strong>à</strong> ce jour quelssont <strong>le</strong>s intérêts juridiques et fiscaux qu’il y a <strong>à</strong> obtenir un certificat defrancisation.Xavier NORTHQuels sont <strong>le</strong>s désavantages <strong>à</strong> ne pas l'obtenir ?France BOUCHERLa Charte prévoit que toute entreprise de plus de 50 employés doit êtrefrancisée. Il n'y a pas de négociation possib<strong>le</strong> ; <strong>le</strong> processus est enc<strong>le</strong>nchéquel<strong>le</strong> qu'en soit sa durée, parfois plus de vingt ans comme je l'aisignalé dans certains cas. Auc<strong>une</strong> aide fisca<strong>le</strong> n'est prévue.Jean-Marie KLINKENBERGN'y a-t-il pas de sanction d'ordre fiscal <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s non-détenteurs de certificat?72France BOUCHERNon, la seu<strong>le</strong> sanction serait <strong>le</strong>s plaintes des citoyens, si par exemp<strong>le</strong><strong>le</strong>s produits offerts par <strong>l'entreprise</strong> n'étaient pas conformes <strong>à</strong> laCharte. La loi prévoit alors des amendes d'un montant croissant <strong>pour</strong>sanctionner <strong>le</strong>s entreprises.De la sal<strong>le</strong>J'apporterai un complément d'information. L'administration publiquene peut pas conclure de contrat avec des entreprises non certifiées,par exemp<strong>le</strong> un institut de sondages.France BOUCHERBombardier, par exemp<strong>le</strong>, a récemment dû renouve<strong>le</strong>r son certificat<strong>pour</strong> travail<strong>le</strong>r avec l'administration publique.


Christian TREMBLAY, président de l'Observatoire européen du plurilinguismeParmi <strong>le</strong>s grandes entreprises internationa<strong>le</strong>s francisées, certainessont-el<strong>le</strong>s satisfaites et susceptib<strong>le</strong>s d'incarner un modè<strong>le</strong> différent de« Pharma A » ?France BOUCHERJe pense que c'est <strong>le</strong> cas. Des entreprises établies aux États-Unis nousappel<strong>le</strong>nt <strong>pour</strong> interpréter la Charte, car el<strong>le</strong>s souhaitent œuvrer auQuébec. Beaucoup d'entreprises s'établissant chez nous ont des ambitionsd'expansion. Pourquoi ne pas utiliser cette expérience québécoise<strong>pour</strong> ensuite s'implanter ail<strong>le</strong>urs ? Cet argument fonctionne dans <strong>le</strong>contexte actuel. Le secteur des jeux vidéo connaît actuel<strong>le</strong>ment <strong>une</strong>grande effervescence <strong>à</strong> Montréal et de nombreuses entreprises viennents'implanter chez nous en toute connaissance de cause.73De la sal<strong>le</strong>Le dernier critère invoqué par la Cour suprême canadienne m'a interpellé.A-t-el<strong>le</strong> reconnu que la francophonie pouvait être un moteur économiqueprimordial <strong>pour</strong> <strong>le</strong> pays ? Quel était son argumentaire ?France BOUCHERJe rappel<strong>le</strong> que cette décision remonte <strong>à</strong> 1988, et la Cour suprême nes'est pas <strong>à</strong> nouveau prononcée sur ces critères depuis. Des débats sedérou<strong>le</strong>nt actuel<strong>le</strong>ment <strong>à</strong> la Cour d'appel ; ils se <strong>pour</strong>suivront éventuel<strong>le</strong>menten Cour suprême et l'amèneront <strong>à</strong> revoir <strong>le</strong>s critères del'époque. Le taux de natalité et l'assimilation des populations francophonesrestent effectivement préoccupants. Les données de 2006 surla <strong>langue</strong> du travail dont par<strong>le</strong> Pierre Bouchard indiquent cependant<strong>une</strong> modification <strong>pour</strong> <strong>le</strong> quatrième critère. Depuis 1988, la situation aévolué en faveur des francophones, puisqu'ils sont plus diplômés, plusbilingues et ont davantage accès <strong>à</strong> des postes de cadre.Georges LÜDIJ'admire <strong>le</strong>s réalisations de nos amis canadiens ces quarante dernières


années. J'ignore si cela aurait été aussi aisé aujourd'hui, dans lamesure où l'anglais n'incarne pas uniquement un problème canadien,mais est devenu la <strong>langue</strong> mondia<strong>le</strong>.Suite <strong>à</strong> la question de Christian Tremblay, je signa<strong>le</strong> que « Pharma A »n'a pas opté <strong>pour</strong> l'anglais universel. Toute la correspondance officiel<strong>le</strong>de « Pharma A » se fait dans la <strong>langue</strong> de l'employé, et ce sansauc<strong>une</strong> obligation léga<strong>le</strong>. Il est admirab<strong>le</strong> que <strong>l'entreprise</strong> <strong>le</strong> fasse parsouci d'efficacité sans imposer l'anglais. L'anglais est cependant laseconde <strong>langue</strong>.De la sal<strong>le</strong>Lorsqu'<strong>une</strong> grande entreprise étrangère instal<strong>le</strong> au Québec <strong>une</strong> branchede moins de cinquante collaborateurs, quel régime s'applique ?France BOUCHERLes dispositions relatives au processus de francisation ne seront pasapplicab<strong>le</strong>s, quel<strong>le</strong> que soit la tail<strong>le</strong> de <strong>l'entreprise</strong> par ail<strong>le</strong>urs. Enrevanche, si el<strong>le</strong> compte plus de cinquante collaborateurs sur <strong>le</strong> territoirequébécois, el<strong>le</strong> sera sujette <strong>à</strong> <strong>une</strong> analyse de situation linguistiqueaprès six mois.74Jean-Claude AMBOISEJe souhaiterais revenir sur la question des jeux vidéo. D'<strong>une</strong> part, <strong>le</strong> faitqu'ils doivent être distribués au Québec en version <strong>français</strong>e si el<strong>le</strong>existe déj<strong>à</strong> souligne l'importance de disposer d'<strong>une</strong> tel<strong>le</strong> version, toutcomme <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s logiciels. Le Québec peut s'appuyer sur ces versionsdistribuées en France par exemp<strong>le</strong> <strong>pour</strong> exiger l'application de laCharte. D'autre part, il semb<strong>le</strong>rait que la qualité des traductions poseproblème. L'Office peut-il intervenir <strong>à</strong> ce sujet ?France BOUCHERJ'ai souligné l'entente conclue sur <strong>le</strong>s jeux vidéo, car el<strong>le</strong> représente unimmense succès. Nous avons réalisé l'exploit de convaincre <strong>une</strong> industriequi résistait depuis dix ans. Depuis mon entrée en fonction, nous y


avons consacré beaucoup d'énergie. Cependant, l'Office n'a pas <strong>pour</strong>mandat de s'occuper de la traduction, bien que nous puissions jugerde la piètre qualité d'<strong>une</strong> traduction. Il appartient <strong>à</strong> d'autres organismestels que l'Union des artistes d'intervenir sur davantage de traductionset d'améliorer <strong>le</strong>ur qualité.Xavier NORTHPouvez-vous commenter <strong>le</strong> fait que 62 % des salariés ont un travail quiimplique de par<strong>le</strong>r ou d'écrire dans <strong>une</strong> <strong>langue</strong> autre que <strong>le</strong> <strong>français</strong> ?Ce chiffre indique-t-il <strong>le</strong> chemin restant <strong>à</strong> parcourir avant la francisationtota<strong>le</strong> ou bien dévoi<strong>le</strong>-t-il la vocation de la loi 101 d'imposer <strong>le</strong> <strong>français</strong>dans <strong>l'entreprise</strong> et non de chasser l'anglais ?75France BOUCHERVous avez raison de rappe<strong>le</strong>r que la Charte ne vise pas <strong>à</strong> interdire l'anglais,mais bien <strong>à</strong> promouvoir l'utilisation du <strong>français</strong> comme <strong>langue</strong>comm<strong>une</strong>. Nous devrons examiner <strong>le</strong>s données préliminaires dévoiléespar Pierre Bouchard <strong>à</strong> la lumière des informations sur l'utilisation del'anglais issues du dernier recensement. Il serait trop prématuré de meprononcer dès maintenant.Xavier NORTHL'objectif est-il de promouvoir <strong>le</strong> bilinguisme ? Ma remarque est volontairementprovocatrice.France BOUCHERL'objectif premier de la Charte est de faire du <strong>français</strong> la <strong>langue</strong> officiel<strong>le</strong>du Québec, contrairement <strong>à</strong> la loi sur <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s officiel<strong>le</strong>s auCanada. Nous affirmons cette volonté depuis 1974.


De l'utilité d'<strong>une</strong> législationJacques TOUBONAncien ministre, député européen, FranceXavier NORTHMalgré <strong>le</strong> pragmatisme des milieux économiques, <strong>le</strong> Québec et laFrance sont dotés d'un cadre législatif sur la <strong>langue</strong> du travail. Vousêtes <strong>à</strong> l'origine de la loi du 4 août 1994 qui porte votre nom. Pourquoifaut-il légiférer ? Pouvez-vous rétrospectivement identifier <strong>le</strong>s lac<strong>une</strong>sde la loi, ou <strong>le</strong>s domaines où el<strong>le</strong> n'a pas encore produit tous seseffets ? Nous vous remercions <strong>une</strong> fois encore de votre présence.Jacques TOUBONJe suis très sensib<strong>le</strong> <strong>à</strong> votre invitation. J'arrive d'un colloque <strong>à</strong>Strasbourg traitant de l'adoption par <strong>le</strong> Conseil de l'Europe d'un manifestesur la multi-appartenance culturel<strong>le</strong>. Ce thème est lié <strong>à</strong> notre colloque.En effet, nous sommes confrontés partout dans <strong>le</strong> monde et enEurope, notamment depuis 1989, <strong>à</strong> <strong>une</strong> permanente dia<strong>le</strong>ctique entreuniversalité et différence, universalité et égalité, identité et volonté departager des va<strong>le</strong>urs comm<strong>une</strong>s. La question de la <strong>langue</strong> est semblab<strong>le</strong>.La <strong>langue</strong> nous permet de communiquer, certes moins bien que lamusique qui est dé<strong>pour</strong>vue de vocabulaire, mais plus universel<strong>le</strong>ment.El<strong>le</strong> définit en outre <strong>une</strong> forme d'identité et traduit notre rapport <strong>à</strong> lanature et <strong>à</strong> l'humanité. L'enfant nomme <strong>le</strong>s objets <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s définir.76La problématique de la politique des <strong>langue</strong>s doit être élargie. Nousfrancophones, et particulièrement en France et au Québec, avons longtempsété accusés de passéisme. Aujourd'hui, la politique linguistiqueest pratiquée par de nombreux États où el<strong>le</strong> joue un rô<strong>le</strong> important, parexemp<strong>le</strong> aux États-Unis. Nous devons la situer dans un contexte de tensionperpétuel<strong>le</strong> entre communication globa<strong>le</strong> et recherche d'identité.Dès lors, il n'est pas illégitime de conduire <strong>une</strong> politique de la <strong>langue</strong><strong>français</strong>e.


Les raisons de légiférerTout d'abord, nous avons légiféré en 1994, car la question s'était poséedepuis fort longtemps. Catherine Tasca avait préparé un premierprojet, cependant il existait <strong>une</strong> loi fondatrice, bien que platonique. Eneffet, Pierre Bas et Marc Lauriol avaient osé légiférer en faveur de la<strong>langue</strong> <strong>français</strong>e <strong>pour</strong> la première fois <strong>à</strong> la fin des années 70.77Toutefois, la raison majeure provient du contexte du début desannées 90. La perspective généra<strong>le</strong> de l'exception culturel<strong>le</strong> prédominait: la culture ne devait pas être considérée comme <strong>une</strong> marchandiseou un service dans <strong>le</strong> contexte d'extension des marchés économiques,mais el<strong>le</strong> devait jouir d'un statut particulier. Il semblait évidentqu'il était inuti<strong>le</strong> de protéger <strong>le</strong>s politiques culturel<strong>le</strong>s si la base mêmedu langage et des œuvres tendait <strong>à</strong> s'effilocher, et si la raison deconduire <strong>le</strong>s politiques culturel<strong>le</strong>s devait disparaître. Cette logique del'exception culturel<strong>le</strong> est aujourd'hui devenue la « diversité culturel<strong>le</strong> »,en particulier dans la convention de l'Unesco 2006.En outre, cette loi ne fait pas office de police de la <strong>langue</strong>. La fixationet la recommandation de l'usage relèvent de l'Académie <strong>français</strong>e etont lieu sous forme d'autorégulation. Les écrivains et utilisateurs sonteux-mêmes considérés comme légitimes <strong>pour</strong> définir <strong>le</strong> sens et l'usagedu <strong>français</strong>, contrairement au pouvoir politique. En revanche, la loipeut définir <strong>le</strong>s circonstances socia<strong>le</strong>s, économiques, culturel<strong>le</strong>s,scientifiques, politiques dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s nous devons utiliser <strong>le</strong> <strong>français</strong>,ou du moins assurer <strong>une</strong> traduction.Parce que la loi vise l'usage et non <strong>le</strong> contenu de la <strong>langue</strong>, il n'est pasillégitime de légiférer. Il appartient <strong>à</strong> l'État de conduire <strong>une</strong> tel<strong>le</strong> politique.Le remplacement des mots et phrases par des onomatopéespuis par des comportements physiques aimab<strong>le</strong>s ou vio<strong>le</strong>nts constitue<strong>le</strong> signe <strong>le</strong> plus flagrant de la régression de nos organisations socia<strong>le</strong>s.L'usage de la <strong>langue</strong> est un fait de civilisation, un élément prépondérant<strong>pour</strong> éviter <strong>le</strong> glissement vers d'autres moyens de communication.Cela s'applique tout <strong>à</strong> fait <strong>à</strong> la situation actuel<strong>le</strong> dans certains quar-


tiers. Si en 1994 nous en étions encore éloignés, j'avais affirmé que lapromotion de l'usage du <strong>français</strong> était aussi <strong>une</strong> manière de se mettreau service de ceux <strong>pour</strong> <strong>le</strong>squels il était <strong>le</strong> seul trésor. Ces personnesen disposent naturel<strong>le</strong>ment, quel<strong>le</strong> que soit <strong>le</strong>ur pauvreté éducationnel<strong>le</strong>,matériel<strong>le</strong> ou familia<strong>le</strong>. Nous devons promouvoir <strong>le</strong> <strong>français</strong>, car ils'agit du seul moyen <strong>pour</strong> s'en sortir. Or, <strong>le</strong> recul du <strong>français</strong> dans certainsquartiers est un symptôme flagrant du recul social.Application de la loi et situation actuel<strong>le</strong>Nous souhaitions prévoir l'usage du <strong>français</strong> ou d'<strong>une</strong> traduction dans<strong>le</strong>s relations entre la puissance publique et <strong>le</strong>s citoyens, dans toutes <strong>le</strong>ssituations de consommation, mais aussi dans certaines relations privées,c'est-<strong>à</strong>-dire dans <strong>le</strong>s entreprises, entre <strong>le</strong>s entreprises et <strong>le</strong>sconsommateurs ainsi que dans <strong>le</strong> secteur de la communication, de lapresse et de l'audiovisuel. Cependant, <strong>le</strong> Conseil constitutionnel a invalidél'artic<strong>le</strong> 2 de la loi votée en juil<strong>le</strong>t 1994 en invoquant l'artic<strong>le</strong> 11 surla liberté d'expression de la Déclaration des droits de l'homme et ducitoyen de 1789. Le Conseil a rejeté <strong>le</strong>s dispositions entre entités privéeset cel<strong>le</strong>s concernant la presse et l'audiovisuel.78Aujourd'hui, la loi porte principa<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong>s situations de consommationet de travail. El<strong>le</strong> est assez précise sur <strong>le</strong>s droits linguistiquesdes consommateurs et des travail<strong>le</strong>urs, mais reste évanescente sur lagestion des entreprises et la prise de décision. La loi est loin d'êtreaussi forte que <strong>le</strong> Par<strong>le</strong>ment l'avait votée. Il est paradoxal que l'annulationrésulte de la requête du groupe par<strong>le</strong>mentaire socialiste. A priori,il aurait dû tout comme moi et la majorité concevoir la <strong>langue</strong> commemoyen d'insertion socia<strong>le</strong> au bénéfice de tous. De même, je reprocheraitoujours au président du Conseil constitutionnel de l'époque,Robert Badinter, d'avoir pris parti contre ce texte et <strong>pour</strong> <strong>une</strong> liberté quin'était pas mise en cause.Xavier North <strong>pour</strong>rait discourir mieux que moi du Rapport au Par<strong>le</strong>mentsur l'emploi de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e, rapport annuel de l'application de laloi du 4 août 1994. Je pense qu'il est extrêmement important de faire


cet état des lieux, bien que sa <strong>le</strong>cture suscite l'amertume. Il nouspermet de mesurer notre avancement et de décider des actions <strong>à</strong>mener. Je <strong>le</strong> considère comme un instrument de promotion du <strong>français</strong>.Nous y constatons que <strong>le</strong> secteur privé, et en particulier celui de <strong>l'entreprise</strong>,y est faib<strong>le</strong>, cela <strong>pour</strong> <strong>une</strong> raison administrative. Le ministèredu Travail fut <strong>le</strong> dernier <strong>à</strong> rédiger la circulaire d'application, alors que18 ministères ont rédigé <strong>le</strong>ur texte entre 1994 et 1998.79De mauvaises habitudes se sont créées. Malgré la restriction, la partiepermettant d'engager un contentieux <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s salariés a été préservée.Il est par conséquent possib<strong>le</strong> de faire appliquer la loi par <strong>le</strong> juge,contrairement <strong>à</strong> la loi Bas-Lauriol. La jurisprudence General E<strong>le</strong>ctricnous a montré que <strong>le</strong> juge est <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur protecteur des droits des salariés.Dans <strong>le</strong> domaine de la consommation, la situation est relativementbonne, quel<strong>le</strong>s que soient nos difficultés avec <strong>le</strong>s autoritésbruxelloises. El<strong>le</strong> est plus inéga<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> domaine de la publicité et desgrands services publics. Les justifications ne semb<strong>le</strong>nt pas évidentes,car il est tout <strong>à</strong> fait possib<strong>le</strong> de par<strong>le</strong>r <strong>français</strong> sur <strong>le</strong> territoire <strong>français</strong> ;l'usage de l'anglais n'est pas indispensab<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s lignes aériennes.Nous rencontrons des difficultés dans <strong>le</strong> domaine des travaux scientifiques,où nous essayons de soutenir <strong>le</strong>s travaux et congrès en <strong>français</strong>afin d'éviter la distorsion avec la concurrence. Enfin, dans <strong>le</strong> domainedes relations au travail, la loi serait aujourd'hui en mauvaise posturesans la jurisprudence. Heureusement, <strong>le</strong> juge a fait <strong>une</strong> applicationexacte de la loi et <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs se trouvent davantage protégés.Je ne crois pas que <strong>le</strong> <strong>français</strong> puisse être considéré comme la <strong>langue</strong>de <strong>l'entreprise</strong>, mais nous ne pouvons absolument pas exclure qu'il soit<strong>une</strong> <strong>langue</strong> <strong>pour</strong> <strong>l'entreprise</strong>. Il peut parfaitement être <strong>une</strong> <strong>langue</strong> de lagestion et du commerce. Nous devons cependant accepter un partagedes rô<strong>le</strong>s. Depuis la disparition de l'artic<strong>le</strong> 2, auc<strong>une</strong> disposition nenous oblige <strong>à</strong> utiliser <strong>le</strong> <strong>français</strong>. Celui-ci doit se battre <strong>pour</strong> défendresa part de marché et gagner face <strong>à</strong> la concurrence. Les praticiens doiventfaire des efforts d'adaptation, car incontestab<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> <strong>français</strong>en tant que <strong>langue</strong> de <strong>l'entreprise</strong> doit être plus moderne. Nous nedevons plus imaginer que <strong>le</strong> terrain linguistique des finances, de l'éco-


nomie et de <strong>l'entreprise</strong> globa<strong>le</strong> doit être abandonné face aux tournuresanglo-saxonnes. Le <strong>français</strong> peut être employé de tel<strong>le</strong> sorte qu'ilsoit adaptab<strong>le</strong>, réactif et conforme aux nécessités. Autrement dit, jesuis un défenseur acharné du <strong>français</strong> <strong>à</strong> condition qu'on <strong>le</strong> défendecomme instrument d'action et de relation dans la société, et non entant que pièce de musée.Nous avons tendance <strong>à</strong> radicaliser notre combat, c'est-<strong>à</strong>-dire <strong>à</strong> considérertoute compromission comme <strong>le</strong> début de la reddition alors quenous devons pouvoir penser l'évolution de la <strong>langue</strong>. Il est nécessaire<strong>pour</strong> cela que <strong>le</strong>s chefs d'entreprises, <strong>le</strong>s responsab<strong>le</strong>s de servicesfinanciers, <strong>le</strong>s trésoriers qui utilisent ce langage bien éloigné de celuide Shakespeare se réunissent <strong>pour</strong> réfléchir <strong>à</strong> la manière de progresser.Je suis profondément convaincu que nous pouvons avancer si nousne nous conduisons pas comme des conservateurs du patrimoine,mais si nous brandissons au contraire <strong>le</strong> <strong>français</strong> comme <strong>une</strong> armedans <strong>le</strong>s combats économiques et <strong>le</strong>s rapports sociaux.Recommandations80Tout d'abord, l'enseignement du <strong>français</strong> est primordial. Je suis coprésidentdu Haut Conseil culturel franco-al<strong>le</strong>mand, un organisme consultatifcréé en 1988 par Helmut Kohl et François Mitterrand. Il comprenddiverses personnalités culturel<strong>le</strong>s, se réunissant plusieurs fois par an<strong>pour</strong> faire des recommandations <strong>à</strong> <strong>le</strong>urs gouvernements respectifs.Nous traitons de la question essentiel<strong>le</strong> de la <strong>langue</strong>, et en particulierde l'apprentissage de l'al<strong>le</strong>mand en France et du <strong>français</strong> enAl<strong>le</strong>magne. Nous sommes actuel<strong>le</strong>ment inquiets, après <strong>une</strong> périodepositive. En 2004, lorsque François Fillon était ministre de l'Éducationnationa<strong>le</strong>, nous avions conclu un accord sur un plan de relance. Celuicifut bien appliqué en France, puisque <strong>le</strong> nombre d'élèves apprenantl'al<strong>le</strong>mand est remonté par rapport <strong>à</strong> celui des élèves apprenant l'espagnoldans plusieurs académies, y compris <strong>à</strong> Montpellier. Il semb<strong>le</strong>raitque <strong>le</strong> Gouvernement ra<strong>le</strong>ntisse cette mesure aujourd'hui. LesAl<strong>le</strong>mands feront de même, même s'il est diffici<strong>le</strong> de coordonner17 Länder.


Au-del<strong>à</strong> de cette loi, cet exemp<strong>le</strong> montre que l'avenir du <strong>français</strong> <strong>à</strong> longterme sera de comptabiliser <strong>le</strong> plus grand nombre de locuteurs de par<strong>le</strong> monde. Le seul moyen est d'exporter notre <strong>langue</strong> et surtout d'importerdes étrangers qui viennent apprendre <strong>le</strong> <strong>français</strong> en Suisse, auQuébec, en Belgique ou en France. Nous constatons partout que <strong>le</strong><strong>français</strong> est influent dès que des individus ou des groupes tels que desentreprises, des famil<strong>le</strong>s ou des gouvernements l'ont appris l<strong>à</strong> où il estla <strong>langue</strong> la plus couramment pratiquée.81Il est indispensab<strong>le</strong> de multiplier massivement <strong>le</strong> nombre de boursespermettant <strong>à</strong> des étudiants de venir dans notre pays. Néanmoins, noussavons que <strong>le</strong> budget du Quai d'Orsay suit la tendance inverse. L'enjeubudgétaire est ridicu<strong>le</strong> face <strong>à</strong> l'enjeu culturel <strong>pour</strong>tant fondamental.J'étais en Afrique du Sud la semaine dernière, un pays largement fondépar des Français avant d'être repris par <strong>le</strong>s Pays-Bas. Après plus de300 ans, il s'agit d'un pays anglo-saxon et afrikaner. Cependant, on yremarque des individus affiliés <strong>à</strong> notre <strong>langue</strong> grâce <strong>à</strong> <strong>le</strong>urs études ou<strong>à</strong> <strong>une</strong> période professionnel<strong>le</strong> passée en France.Je pense que <strong>le</strong> moyen législatif est dérisoire par rapport <strong>à</strong> la politiqueéducative. Canadiens, Suisses, Belges, vous devez faire honte <strong>à</strong> laFrance de ne pas mener cette politique d'apprentissage de la <strong>langue</strong>par l'accueil d'étrangers. Ceux qui viennent se nourrir de notre <strong>langue</strong>et de notre culture restent marqués <strong>pour</strong> toujours, quels que soient <strong>le</strong>sefforts du Financial Times et de CNN.Enfin, il est très diffici<strong>le</strong> de faire <strong>le</strong> bilan de la loi. Cependant, si el<strong>le</strong> n'avaitpas existé, je crois que nous serions plus mal.


Débat avec <strong>le</strong> publicJocelyne CHABERT, CGT, déléguée du personnel General E<strong>le</strong>ctricMalgré <strong>une</strong> re<strong>le</strong>cture attentive des débats ayant précédé l'adoption dela loi en 1994, je ne comprends pas <strong>pour</strong>quoi <strong>le</strong>s documents reçus del'étranger ne sont pas soumis <strong>à</strong> la loi même lorsque <strong>le</strong>s destinatairessont des salariés <strong>français</strong>. Nous sommes actuel<strong>le</strong>ment en cour de cassationdu fait de cette exception.Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>pour</strong>quoi la proposition de loi Marini-Legendre corrigeantcela et votée <strong>à</strong> l'unanimité au Sénat en novembre 2005 ne passe-t-el<strong>le</strong>pas au Par<strong>le</strong>ment malgré tous <strong>le</strong>s efforts déployés depuis ?Jacques TOUBONJ'estime que la tendance globa<strong>le</strong> du pouvoir politique actuel va dans <strong>le</strong>sens de l'adoption de la proposition Marini-Legendre. Il serait cohérentd'inscrire ce texte <strong>à</strong> l'ordre du jour et j'ignore <strong>pour</strong>quoi cela n'est pasencore <strong>le</strong> cas.La loi du 4 août 1994 a fait l'objet de nombreux arbitrages entre nouset <strong>le</strong>s différents ministères. Cette disposition restrictive fut introduite <strong>à</strong>la demande du ministère de l'Économie et probab<strong>le</strong>ment du Quaid'Orsay. Ils considéraient qu'il était impossib<strong>le</strong> et inopportun d'imposerquelque chose en dehors de notre juridiction. Je suis parti du projet deCatherine Tasca fin 1992 ; nous avons commencé <strong>à</strong> préparer <strong>le</strong> textedurant l'été 1993 et il fut présenté au Par<strong>le</strong>ment au printemps 1994.Nous avons connu neuf mois de vives discussions. Les avis étaient partagésau sein de la classe politique et certains, notamment des publicitaires,ont mené <strong>une</strong> campagne forcenée contre moi. Cela rend <strong>à</strong>présent opportun l'adoption du texte Marini-Legendre.82François GRINJe poserai <strong>une</strong> question au sujet de Bruxel<strong>le</strong>s, bien que vous ayez choiside ne pas en par<strong>le</strong>r. Une décision de la Commission européenne datantd'environ dix ans autorise la vente dans un État membre d'un bien étiqueté« dans <strong>une</strong> <strong>langue</strong> aisément comprise par <strong>le</strong>s consommateurs ».


Il ne s'agit pas de s'appesantir sur <strong>le</strong> choix de la <strong>langue</strong>. Dans quel<strong>le</strong>mesure la loi de 1994 constitue-t-el<strong>le</strong> <strong>une</strong> protection du consommateur? J'ai de la peine <strong>à</strong> <strong>le</strong> cerner en tant que ressortissant d'un Étatnon-membre. Cette disposition doit-el<strong>le</strong> être considérée comme unproblème sérieux ou secondaire ? Dans <strong>le</strong> premier cas, que doit-onfaire ?83Jacques TOUBONLa loi de 1994 est supplantée par la loi communautaire. J'ai siégé auConseil d'État et je vous renvoie <strong>à</strong> la décision de Francis Lamy d'annu<strong>le</strong>rla circulaire visant <strong>à</strong> obvier <strong>à</strong> la mise en demeure de la Commission.Nous entretenons des relations diplomatiques avec la loi communautaire.Bien qu'il soit relativement diffici<strong>le</strong> d'imposer la loi de 1994 sur <strong>le</strong>plan juridique, nous disposons de nombreux moyens politiques <strong>pour</strong>protéger son application. Grâce <strong>à</strong> l'arrivée de nouveaux membres en2004 puis 2007, la Commission européenne est aujourd'hui plus encline<strong>à</strong> laisser <strong>le</strong>s États membres libres de rég<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s questions identitaires.Je pense que rien ne changera sur <strong>le</strong> plan juridique et que noussommes condamnés d'avance au titre de la loi communautaire.Cependant, la loi de 1994 continuera <strong>à</strong> s'appliquer concrètement sinous sommes suffisamment diplomates. La Commission européennene cherchera pas <strong>à</strong> détruire notre dispositif. De ce point de vue, nousavons progressé par rapport au contentieux de 2002. Il s'agit d'un travailconstant.Relativement <strong>à</strong> la question de Jocelyne Chabert, j'ajouterai qu'adopterla loi Marini-Legendre <strong>pour</strong>rait bou<strong>le</strong>verser l'équilibre et provoquer <strong>une</strong>réaction de la Commission, alors qu'el<strong>le</strong> est actuel<strong>le</strong>ment encline <strong>à</strong>nous laisser appliquer notre législation. Le secrétaire général auxAffaires européennes est du même avis. D'un autre point de vue, lameil<strong>le</strong>ure défense serait d'attaquer en complétant <strong>le</strong> dispositif.Toutefois, nous devons prendre en compte ce paramètre.Jean-Claude AMBOISEMa première observation concerne l'évolution de la <strong>langue</strong>. Lors de


l'élaboration de la loi, il n'était pas question de laisser l'évolution de la<strong>langue</strong> aux écrivains. Avant la censure du Conseil constitutionnel, la loicomportait des dispositions sur la qualité de la <strong>langue</strong>, <strong>le</strong> recours <strong>à</strong> <strong>une</strong>terminologie officiel<strong>le</strong> et <strong>à</strong> des équiva<strong>le</strong>nts en <strong>français</strong>.Jacques TOUBONCela a été accompli dans <strong>le</strong> décret de 1996.Jean-Claude AMBOISELa décision du Conseil a été décisive.Jacques TOUBONEl<strong>le</strong> a créé <strong>une</strong> ambiance négative.Jean-Claude AMBOISEMon second constat nuance l'absence d'obligation du <strong>français</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong>sdocuments étrangers. J'irai dans <strong>le</strong> sens du droit communautaire, carl'employeur est assujetti <strong>à</strong> <strong>une</strong> obligation de sécurité au bénéfice desemployés. Cette jurisprudence <strong>français</strong>e reconnue par la Cour de cassationen 1986 fut reprise par plusieurs directives communautaires,dont <strong>une</strong> datant de 1989 et instaurant un cadre général d'obligation desécurité <strong>à</strong> la charge de l'employeur. Les documents engageant la sécuritédoivent être rédigés dans <strong>une</strong> <strong>langue</strong> nationa<strong>le</strong>. Une directive de2002 rend obligatoires <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s nationa<strong>le</strong>s <strong>pour</strong> tous <strong>le</strong>s modesd'emploi des machines.84Jacques TOUBONNous l'avons encore modifiée.Jean-Claude AMBOISEEl<strong>le</strong> ne s'appuie pas sur votre loi, mais sur cette obligation de sécurité.Jacques TOUBONL'argument de sécurité du consommateur et du travail<strong>le</strong>ur est <strong>le</strong> plusfort que nous ayons invoqué, et il a toujours été reçu.


Jean-Claude AMBOISEEn effet, car il s'agit d'un principe général. Le non-respect de cetteobligation a été mis en avant dans l'affaire d'Épinal.De la sal<strong>le</strong>Au-del<strong>à</strong> des questions stratégiques, comment <strong>le</strong> monde syndical peutilagir sur <strong>le</strong> terrain ? Nous devons nous défendre au jour <strong>le</strong> jour alorsque nous sommes protégés par votre loi. El<strong>le</strong> nous permet de négocieret constitue <strong>une</strong> protection curative contre la volonté politique de nousimposer l'anglais. Cependant, comment agir en l'absence d'un élémentphare sur <strong>le</strong>s orientations de la politique linguistique ? Nous mesurons<strong>le</strong>s écarts entre <strong>le</strong>s déclarations politiques et <strong>le</strong>s conséquences sur <strong>le</strong>terrain. Comment affirmer que nous ne sommes pas dans un muséesans message politique fort ?85Jacques TOUBONLa proposition Marini-Legendre est cohérente avec la ligne politique duPrésident et du Gouvernement actuels. Il serait logique de l'inscrire <strong>à</strong>l'ordre du jour, car el<strong>le</strong> illustrerait cette ligne politique de manière éclatante.J'utilise cet argument avec certains amis de l'Élysée. J'espèreque <strong>le</strong> Gouvernement débloquera la situation.De la sal<strong>le</strong>Nous vivons ce processus d'anglicisation au quotidien dans <strong>le</strong>s entreprises.Nous avons besoin d'<strong>une</strong> réponse claire et d'<strong>une</strong> orientationforte du Gouvernement <strong>pour</strong> mener ce combat, ce qui n'est pas <strong>le</strong> cas.Vous n'avez pas cité <strong>le</strong>s représentants du personnel dans votre intervention.Vous avez éga<strong>le</strong>ment affirmé que nous étions condamnés d'avance,ce qui m'effraie quelque peu. Dans ces conditions, est-il encoreuti<strong>le</strong> de se battre ou ne vaut-il mieux pas prendre d'autres dispositions<strong>pour</strong> être plus performants en <strong>langue</strong> anglaise par exemp<strong>le</strong> ?Jacques TOUBONJe parlais bien des syndicats au sujet de la jurisprudence GeneralE<strong>le</strong>ctric, puisqu'ils ont mené cette action et l'ont remportée. Nous


sommes condamnés d'avance si nous menons un combat juridiquefrontal contre la loi communautaire. Le Conseil d'État l'a affirmé sur labase du rapport de ma sous-section et des conclusions de FrancisLamy. Ce dernier était conseil<strong>le</strong>r d'Édouard Balladur lorsque nousavons élaboré la loi, c'est-<strong>à</strong>-dire peu favorab<strong>le</strong> aux exigences communautaires.Nous devons appliquer la loi de toutes <strong>le</strong>s manières possib<strong>le</strong>ssans nous diriger vers l'affrontement juridique, car la Cour de justiceeuropéenne déciderait d'abroger la loi Toubon. Nous devons <strong>pour</strong>suivreun combat diplomatique <strong>pour</strong> éviter cette ultime situation. Letraité de Lisbonne nous fournit plusieurs arguments par <strong>le</strong> biais de ladiversité culturel<strong>le</strong>. Il est toutefois clair que notre loi est incompatib<strong>le</strong>dans <strong>le</strong> domaine du commerce international. L'argument de la sécuritéest valab<strong>le</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong> législateur européen, mais je doute qu'il soitdéterminant <strong>pour</strong> la Cour de justice européenne.Ceci ne résulte pas des textes actuels ou du traité de Maastricht, maisdes artic<strong>le</strong>s 95 et 86 du traité de Rome de 1958 ou des bases desquatre libertés qui y sont posées. Nous devons faire preuve d'intelligencede situation afin de ne pas voir la loi démantelée.86


La <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e dans <strong>l'entreprise</strong> sous <strong>le</strong>regard du jugeDavid MÉTINAvocat en droit social, FranceXavier NORTHL'affaire Général E<strong>le</strong>ctric Medical Systems (Gems) a défrayé la chronique,<strong>à</strong> l'instar de l'affaire d'Épinal. David Métin est avocat au barreaude Versail<strong>le</strong>s, spécialisé dans <strong>le</strong> droit administratif et pénal du travail. Ila plaidé en faveur des organisations syndica<strong>le</strong>s et a joué un rô<strong>le</strong> majeurdans l'indemnisation des salariés de Gems.87David MÉTINJe précise avoir plaidé en faveur du syndicat CGT, en l'absence d'intersyndica<strong>le</strong>au procès. La CGT et des institutions représentatives du personneltel<strong>le</strong>s que <strong>le</strong> CE et plusieurs comités d'hygiène et de sécurité(CHSCT) étaient présentes.Cette affaire risque de vous interpel<strong>le</strong>r. Jacques Toubon ne m'a absolumentpas convaincu, notamment en affirmant que nous ne devons pasengager d'action au risque de perdre en Cour européenne. En tantqu'avocat, je considère qu'il n'a pas entièrement tort, car un procèsest synonyme d'échec des négociations. Or, <strong>le</strong> dialogue a été engagéchez General E<strong>le</strong>ctric (GE) en 2004. Toutes <strong>le</strong>s institutions représentativesdu personnel demandaient l'application de la loi depuis 1998.Malgré des débats et des interventions en CE et CHSCT, la directionn'a jamais voulu appliquer <strong>le</strong> droit. Nous étions alors contraints d'engager<strong>une</strong> procédure judiciaire longue. El<strong>le</strong> a abouti <strong>à</strong> un arrêt magnifiquede la cour d'appel de Versail<strong>le</strong>s qui dépasse <strong>le</strong> texte. Il s'agitd'<strong>une</strong> grande victoire <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs. Je suis un avocat travaillistequi ne défend que <strong>le</strong>s salariés, <strong>le</strong>s syndicats et <strong>le</strong>s représentants dupersonnel par éthique. Je tiens ainsi un discours homogène ; il m'estinconcevab<strong>le</strong> de défendre la loi aujourd'hui puis de défendre ensuite un


employeur qui licencierait un employé parce qu'il ne connaît pas l'anglais.Certains employés de GE ont été scanda<strong>le</strong>usement licenciés<strong>pour</strong> ce motif.Le cadre légal de l'usage du <strong>français</strong> au travailLe droit du travail n'a pas cédé au monolinguisme grâce <strong>à</strong> la loi Toubon.Toutefois, d'autres dispositions normatives existantes auraient peutêtrepermis d'éviter cette loi, dont l'alinéa 2 constitue <strong>une</strong> ineptie. Ilprécise aux travail<strong>le</strong>urs <strong>français</strong> que <strong>le</strong>s documents en provenance del'étranger n'ont pas <strong>à</strong> être traduits. Si nous devions scrupu<strong>le</strong>usementrespecter la loi, <strong>le</strong> pack Office de Microsoft resterait en anglais. Desdécisions de justice ont évidemment contredit ce principe.La loi Toubon préconise la primauté du lieu du travail, ce qui semb<strong>le</strong>logique au regard de l'artic<strong>le</strong> 2 de la Constitution, précisant que <strong>le</strong> <strong>français</strong>est la <strong>langue</strong> de la République. Cependant, nous constatons quela <strong>langue</strong> du marché du travail s'applique. Le code du travail prévoit que<strong>le</strong>s offres d'emploi doivent être rédigées en <strong>français</strong> lorsque l'emploiest offert par <strong>une</strong> entreprise <strong>français</strong>e. Il indique éga<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>ursétrangers voulant s'instal<strong>le</strong>r durab<strong>le</strong>ment en France doiventjustifier d'<strong>une</strong> connaissance suffisante du <strong>français</strong>, sanctionnée par lavalidation des acquis. En outre, la lutte contre l'il<strong>le</strong>ttrisme et l'apprentissagedu <strong>français</strong> font partie des objectifs de la formation professionnel<strong>le</strong>,et <strong>le</strong>s conventions et règ<strong>le</strong>ments intérieurs doivent être rédigésen <strong>français</strong>. Nous disposons déj<strong>à</strong> d'un arsenal juridique préconisant <strong>le</strong><strong>français</strong>. Pourquoi avons-nous intégré au code du travail la loi Toubon,créée sur la base de l'exception culturel<strong>le</strong> ?88Un seul artic<strong>le</strong> y figure. L'artic<strong>le</strong> L 122-39-1 rappel<strong>le</strong> que « tout documentcomportant des obligations <strong>pour</strong> <strong>le</strong> salarié ou des dispositions dontla connaissance est nécessaire <strong>à</strong> celui-ci <strong>pour</strong> l'exécution de son travaildoit être rédigé en <strong>français</strong>. Il peut être accompagné de traductions en<strong>une</strong> ou plusieurs <strong>langue</strong>s étrangères ». Beaucoup d'entreprises préfèrentignorer cette obligation et présument de la capacité de <strong>le</strong>ursemployés <strong>à</strong> lire en anglais des logiciels, des notes de services et des


documents techniques. La maîtrise de l'anglais devient <strong>une</strong> conditiond'accès et de maintien dans tous <strong>le</strong>s emplois, même <strong>le</strong>s plus modestes.Un récent artic<strong>le</strong> des Échos démontre d'ail<strong>le</strong>urs la part de l'anglaisdans <strong>le</strong>s entreprises.Historique du procès89Nous avons dû saisir <strong>le</strong>s tribunaux face aux problèmes de l'emploi etde la sécurité. GE compte 300 000 salariés. La division Gems <strong>à</strong> Bucdans <strong>le</strong>s Yvelines regroupe 1 800 salariés et 144 nationalités. Parconséquent, la direction souhaitait <strong>une</strong> <strong>langue</strong> universel<strong>le</strong>, bien évidemmentl'anglais. Il existe un risque potentiel dû au maniement desrayons X, <strong>à</strong> l'instar de l'affaire d'Épinal. Or, GE estime que <strong>le</strong> caractèreparticulièrement concurrentiel du secteur de la haute technologie exigel'usage de l'anglais, qui doit être la seu<strong>le</strong> <strong>langue</strong> de communication<strong>pour</strong> tous. À Buc, <strong>le</strong>s formations se dérou<strong>le</strong>nt en anglais et tous <strong>le</strong>ssalariés reçoivent <strong>le</strong>s documents en anglais sur <strong>le</strong>ur messagerie. Avant<strong>le</strong> procès, certains salariés ne comprenaient rien et demandaient latraduction des courriels. La direction n'a jamais accepté de l'entendre,bien que la question ait été sou<strong>le</strong>vée en CE.Nous avons décidé d'agir rapidement lorsque la CGT m'a sollicité, cardes discussions étaient engagées depuis 1998. Nous voulions engager<strong>une</strong> procédure d'urgence sans toutefois utiliser <strong>le</strong> référé, qui n'auraitpu résister <strong>à</strong> <strong>une</strong> contestation sérieuse. Nous avons invoqué l'urgence,sur la base du rapport d'un expert. Celui-ci pointait <strong>le</strong> risque de contamination<strong>à</strong> cause de l'éventuel<strong>le</strong> incompréhension des communicationsen anglais. Le juge arrêta très rapidement <strong>une</strong> date <strong>pour</strong> plaider<strong>le</strong> dossier, deux mois après la décision d'engager <strong>une</strong> action. Un dispositiflourd fut mis en place <strong>pour</strong> apporter <strong>le</strong>s pa<strong>le</strong>ttes entières de copiesdes documents en anglais non traduits, ni même fournis en <strong>français</strong>.Il est demandé <strong>à</strong> des ingénieurs <strong>français</strong> du site de Buc de rédiger <strong>une</strong>notice en anglais <strong>pour</strong> <strong>une</strong> machine construite sur place. Il est paradoxalque nous devions saisir <strong>une</strong> juridiction <strong>pour</strong> faire appliquer la loidu lieu d'exécution du contrat de travail dans pareil<strong>le</strong>s conditions. Le


processus étonne d'autant plus qu'il ne correspond pas <strong>à</strong> l'exceptionde l'artic<strong>le</strong> L 122-39-1, car <strong>le</strong>s documents sont élaborés en France. Encas de condamnation, GE risquait de faire exécuter la documentationen anglais dans <strong>le</strong>s filières suisse ou belge. Malgré la lourde condamnation,<strong>le</strong>s traductions sont réalisées et auc<strong>une</strong> externalisation n'estsignalée.Le tribunal nous a donné raison via des attendus lapidaires, mais clairs.Il semb<strong>le</strong> que <strong>le</strong> juge défendait vigoureusement l'utilisation du <strong>français</strong>.Par conséquent, après avoir changé d'avocat, GE décida de maintenirl'appel et nous livra 80 pages de conclusions démontrant la nécessitédu monolinguisme anglais dans <strong>une</strong> société dénombrant 144 nationalités.Je suis revenu plaider devant la cour d'appel, qui avait déj<strong>à</strong> saisila difficulté du cas. El<strong>le</strong> dépassa la loi en déclarant que tout documentdestiné <strong>à</strong> des Français devait être traduit. En effet, GE demandait auxsalariés <strong>français</strong> de rédiger <strong>le</strong>s notices en anglais, car el<strong>le</strong>s sont mondia<strong>le</strong>mentdiffusées. J'opposai l'argument que si un seul Françaisdevait recevoir ce document, celui-ci devrait être rédigé en <strong>français</strong>. Lacour nous approuva et souligna un risque potentiel.90L'obligation de sécurité pèse sur l'employeur et relève de la loi communautairesans exception possib<strong>le</strong>. Je pense alors que la loi Toubonn'était pas nécessaire dans <strong>le</strong> droit du travail, d'autant plus que jecrains l'exception de l'artic<strong>le</strong> L 122-39-1. Si toutes <strong>le</strong>s entreprisesexternalisent la traduction, cela ne sera plus applicab<strong>le</strong> aux Françaistravaillant en France. Un véritab<strong>le</strong> risque pèse sur <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs.L'arrêt de la cour de Versail<strong>le</strong>s a fait l'objet d'un <strong>pour</strong>voi en cassation.Nous ignorons ce que cela signifie, bien que tout soit mis en œuvre<strong>pour</strong> qu'il n'y ait jamais d'arrêt en cassation sur <strong>le</strong> dossier Gems. Lerisque existe, dans la mesure où la cour de Versail<strong>le</strong>s est allée au-del<strong>à</strong>de la loi. La cour de cassation <strong>pour</strong>rait déclarer que l'arrêt n'est pasconforme <strong>à</strong> l'artic<strong>le</strong> L 122-39-1.Cet arrêt, incarnant <strong>une</strong> victoire <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs, suscite <strong>une</strong> véritab<strong>le</strong>volonté de négocier de la part des représentants du personnel etdes directions. Nous devons garder l'arrêt et la loi <strong>à</strong> l'esprit <strong>pour</strong> invi-


ter <strong>le</strong>s directions <strong>à</strong> négocier. En cour d'appel, GE a demandé quelsdocuments nous souhaitions traduire et consentait volontiers <strong>à</strong> y procéder.Nous avons refusé, car <strong>le</strong> texte porte sur « tout document comportantdes obligations <strong>pour</strong> <strong>le</strong> salarié ». La cour reprit notre argumentationen indiquant que l'employeur doit connaître <strong>le</strong>s documentsnécessaires <strong>à</strong> la compréhension du travail. Nous avons refusé de luifournir <strong>une</strong> liste, au nom du principe général de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e.L'arrêt vise la traduction de tous <strong>le</strong>s documents, même obsolètes, etprévoit <strong>une</strong> astreinte de 20 000 euros par document non traduit. Il estconséquemment possib<strong>le</strong> de faire voter par <strong>le</strong>s organisations syndica<strong>le</strong>sdes accords col<strong>le</strong>ctifs négociés avec l'employeur et désignant <strong>le</strong>sdocuments re<strong>le</strong>vant de l'exception. Cela se conçoit dans de grandessociétés où certains documents obsolètes ne nécessitent pas de traduction.91Je préfère la négociation au procès, et certains documents, destinés <strong>à</strong><strong>une</strong> minorité de cadres dirigeants quasi-polyglottes, peuvent ne pasêtre traduits. Les sanctions risqueraient de ne pas tomber. Or, certainssalariés sont isolés, car la documentation est en anglais. Certains peuventêtre licenciés parce qu'ils ne connaissent pas suffisamment cette<strong>langue</strong>, alors qu'ils travail<strong>le</strong>nt en France et peuvent prétendre <strong>à</strong> obtenir<strong>le</strong>s documents en <strong>français</strong> et <strong>à</strong> s'exprimer en <strong>français</strong>. Entre <strong>le</strong> tribuna<strong>le</strong>t la cour d'appel, GE a déclaré qu'il appartenait aux salariés de venirréclamer <strong>le</strong> pack Office en <strong>français</strong>. Cette requête était perverse, car <strong>le</strong>salarié devait s'exposer et cette demande se répercutait sur <strong>le</strong> budgetdes managers. Il fallut imposer <strong>à</strong> la société de fournir <strong>le</strong> logiciel <strong>à</strong> l'ensemb<strong>le</strong>des salariés. Face <strong>à</strong> la réalité du terrain, nous devons continuer<strong>à</strong> nous battre sans nécessairement emprunter la voie judiciaire.En effet, <strong>le</strong> tribunal peut être saisi par <strong>une</strong> action civi<strong>le</strong> ou péna<strong>le</strong>. Or,l'action péna<strong>le</strong> peut entraîner la condamnation de l'employeur par <strong>une</strong>contravention de quatrième classe de quelques milliers d'euros, et surtoutl'infraction doit être constatée par procès-verbal par un inspecteurdu travail ou un officier de police judiciaire <strong>pour</strong> saisir la juridictiondans <strong>le</strong>s cinq jours suivant <strong>le</strong> constat. En revanche, <strong>le</strong> juge civil peut


estimer si <strong>le</strong>s documents comportent des obligations <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s salariéset doivent être traduits. J'ai ainsi soutenu que <strong>le</strong> logiciel en anglais utilisépar l'assistante <strong>pour</strong> commander un bil<strong>le</strong>t d'avion au PDG devaitêtre traduit. GE a rétorqué que cela n'était pas nécessaire. Il s'agit<strong>pour</strong>tant d'<strong>une</strong> obligation, car <strong>le</strong> salarié peut être sanctionné si <strong>le</strong> bil<strong>le</strong>tn'est pas fourni.Il est important de faire valoir la loi. Or, la loi est interprétation et mieuxvaut éviter <strong>le</strong>s contentieux. Ils sont peu nombreux avec GE ; <strong>le</strong> jugementd'Europ Assistance fut définitif et un autre est en cours. D'autrescontentieux se préparent faute de négociation dans certaines sociétés.Jacques Toubon a affirmé après son intervention qu'il ne fallait pasdéposer l'amendement Marini-Legendre au risque d'attirer l'attentionde la Commission : l'information remonterait <strong>à</strong> la Cour et notre loi <strong>pour</strong>raitdisparaître. Je ne pense pas que nous devions nous satisfaire decette réponse. Nous resterions alors sur nos acquis au motif que degrands pontes européens risquent de nous nuire. À l'inverse, des petitessociétés vont externaliser aux portes de l'Europe aux dépens destravail<strong>le</strong>urs. Je ne suis pas favorab<strong>le</strong> aux contentieux, mais je ne suispas <strong>pour</strong> autant partisan de l'inaction.92Xavier NORTHCela nous promet <strong>une</strong> tab<strong>le</strong> ronde particulièrement animée, où l'affaireGems sera certainement citée. Notre mission étant de sensibiliserl'opinion publique, nous admirons la façon dont vous avez conduit cetteaffaire et dont vous l'avez portée devant el<strong>le</strong>.


Des mots <strong>français</strong> <strong>pour</strong> <strong>l'entreprise</strong>Jean-Pierre JERABEKPrésident de la commission de terminologie et de néologie de l'automobi<strong>le</strong>,FranceXavier NORTHLe passage <strong>à</strong> l'anglais dans <strong>le</strong>s entreprises est parfois justifié par l'idéeque <strong>le</strong> <strong>français</strong> ne dispose pas des ressources terminologiques <strong>pour</strong>désigner <strong>le</strong>s réalités nouvel<strong>le</strong>s lorsqu'el<strong>le</strong>s apparaissent. Nous demandonsson point de vue <strong>à</strong> Jean-Pierre Jerabek, président de l'<strong>une</strong> des18 commissions de terminologie et de néologie de France. Doté del'expérience de l'industrie automobi<strong>le</strong>, il fut vice-président del'Automobi<strong>le</strong> Club, chargé des affaires internationa<strong>le</strong>s, et est spécialistede mercatique.93Jean-Pierre JERABEKNous aboutirons <strong>à</strong> quelques exemp<strong>le</strong>s concrets quotidiennement vécusdepuis maintenant <strong>une</strong> décennie avec cette commission. Tout d'abord,je reviendrai <strong>à</strong> quelques fondamentaux et distinguerai <strong>le</strong>s grandesentreprises des PME et des commerces dont la position n'est pasnégligeab<strong>le</strong> <strong>pour</strong> notre sujet.Quelques éléments fondamentauxL'entreprise est <strong>une</strong> communauté humaine dont <strong>le</strong> résultat, rapidementet aisément quantifiab<strong>le</strong>, est la seu<strong>le</strong> raison d'être. Toute action engagéeest au service de sa survie. J'ose <strong>le</strong> raccourci en affirmant que l<strong>à</strong>commencent <strong>le</strong>s soucis des locuteurs du <strong>français</strong>. Les éléments constitutifsde <strong>l'entreprise</strong>, c'est-<strong>à</strong>-dire <strong>le</strong>s hommes, <strong>le</strong>s capitaux et <strong>le</strong>soutils de communication ne peuvent pas être similairement perçus. Lescapitaux priment en général. Le dosage de <strong>le</strong>urs origines nationa<strong>le</strong>s etlinguistiques donne <strong>le</strong> ton. Les hommes sont évalués au sein de <strong>l'entreprise</strong>,mais bénéficient de dispositifs de protection. La <strong>langue</strong> est<strong>une</strong> nécessité si peu perçue comme essentiel<strong>le</strong> que son choix souvent


évident n'est pas discuté et son adaptation aux étapes de vie de <strong>l'entreprise</strong>est souvent négligée.Ces situations nous intéressent. Ainsi, <strong>une</strong> entreprise bien géréerespectera ses capitaux et avoirs tandis que <strong>le</strong>s responsab<strong>le</strong>s des ressourceshumaines seront attachés aux rapports avec <strong>le</strong>s salariés.Cependant, la <strong>langue</strong> fera l'objet de contraintes et de compromis sanssanction particulière, sauf dans <strong>le</strong> cas exceptionnel relaté par DavidMétin. Ce tab<strong>le</strong>au peut paraître réducteur et sans nuance. Nousdevons néanmoins admettre que <strong>le</strong> <strong>français</strong> dans <strong>le</strong>s entreprises <strong>français</strong>esou étrangères sur notre territoire se trouve dans <strong>une</strong> situationdouloureuse <strong>à</strong> observer, du moins de l'extérieur. Nous illustrerons laconfrontation entre <strong>le</strong> « bien-gérer » et <strong>le</strong> « bien-par<strong>le</strong>r » <strong>à</strong> l'aided'exemp<strong>le</strong>s issus du secteur automobi<strong>le</strong>.Dans toutes <strong>le</strong>s entreprises entièrement <strong>français</strong>es en France quel<strong>le</strong>que soit <strong>le</strong>ur tail<strong>le</strong>, la place du <strong>français</strong> n'est jamais remise en cause nimême évoquée. Pourtant, si <strong>le</strong>ur développement implique <strong>le</strong> dépassementdes frontières linguistiques <strong>pour</strong> des motifs commerciaux ou <strong>pour</strong>l'achat de technologies nouvel<strong>le</strong>s, la <strong>langue</strong> est malmenée, troublant <strong>le</strong>fonctionnement des services. La tendance bien <strong>français</strong>e <strong>à</strong> céder <strong>à</strong> lafacilité en adoptant des vocab<strong>le</strong>s anglais ou américains s'exprime p<strong>le</strong>inement.Une certaine loi de nostalgie, voire d'abandon s'applique automatiquement,sans égard <strong>pour</strong> la <strong>langue</strong> ni conscience de concourir <strong>à</strong>son déclin. Les abus apparaissent dès <strong>le</strong>s premières discussions commercia<strong>le</strong>s.Les locuteurs justifient l'utilisation de termes nouveaux parl'absence d'équiva<strong>le</strong>nt en <strong>français</strong>. Ces intrus pénètrent notre vocabulairedu fait d'<strong>une</strong> mauvaise appréciation du sens du terme étranger etde l'empressement <strong>à</strong> <strong>le</strong>s employer.94Les grandes entreprises du secteur automobi<strong>le</strong>RenaultLa grande entreprise réagit généra<strong>le</strong>ment rapidement. Ainsi, l'anglaisest la <strong>langue</strong> officiel<strong>le</strong> de Renault dans ses relations avec Nissan. Lasituation est rapidement devenue extrême. Des courriels en anglais ontpar exemp<strong>le</strong> été échangés entre cadres <strong>français</strong> sur des sujets n'impli-


quant pas Nissan. En outre, <strong>le</strong> faib<strong>le</strong> niveau d'anglais de certains collaborateursa conduit <strong>à</strong> la création d'un langage mixte, <strong>le</strong> « Renault ». Desgroupes de réf<strong>le</strong>xion ont dû créer des glossaires internes afin que <strong>le</strong>sservices concernés, composés entre autres d'ingénieurs, adoptent desacceptions identiques de termes diversifiés. Le « Renault » allait générerdes dia<strong>le</strong>ctes. Lorsque <strong>le</strong>s experts par<strong>le</strong>nt aux experts, nous devonscraindre que des pans entiers de la connaissance échappent <strong>à</strong> <strong>une</strong><strong>langue</strong>. Par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> domaine de l'informatique échappe au danois,car tout s'exprime en anglais.95Renault réagit au ma<strong>le</strong>ntendu contenu dans la directive diffusée <strong>à</strong> tout<strong>le</strong> personnel : « l'anglais est la <strong>langue</strong> de l'alliance Renault-Nissan » encréant un groupe de travail « politique de la <strong>langue</strong> ». Il vise <strong>à</strong> privilégier<strong>le</strong> respect du <strong>français</strong> et de son domaine ainsi que <strong>le</strong> respect de la loiToubon, tout en prenant en compte <strong>le</strong>s difficultés et inconvénients derédiger des documents en anglais. Le pragmatisme l'emporte sur <strong>le</strong>sarguments culturels. Le <strong>français</strong> est moins négligé tandis que <strong>le</strong> bilinguismeréel se voit favorisé. Le bilinguisme nécessite <strong>une</strong> bonne maîtrisede l'anglais, mais il induit éga<strong>le</strong>ment <strong>une</strong> meil<strong>le</strong>ure appréciationde l'usage du <strong>français</strong> et de ses nouveaux mots éventuels.Concrètement, s'évader des textes en « Renault » dé<strong>pour</strong>vus de phraseset p<strong>le</strong>ins d'acronymes implique de fournir <strong>à</strong> <strong>l'entreprise</strong> un <strong>français</strong>adapté <strong>à</strong> ses besoins.Nous ne devons pas abandonner <strong>le</strong>s grandes entreprises face <strong>à</strong> lareconquête linguistique. La condamnation rapide et injuste de Renault<strong>à</strong> l'époque de l'alliance, désormais élargie <strong>à</strong> Samsung, ne doit pas nousfaire oublier ses problèmes immenses, éga<strong>le</strong>ment rencontrés dans tout<strong>le</strong> secteur automobi<strong>le</strong> qui est massivement exportateur. Aujourd'hui,<strong>le</strong>s experts du groupe de travail présentent des résultats positifs. Laversion <strong>français</strong>e fait foi <strong>pour</strong> toute documentation destinée au marchénon francophone. Ces documents sont majoritairement bilingues en<strong>français</strong> et dans l'<strong>une</strong> des 25 <strong>langue</strong>s loca<strong>le</strong>s utilisées. Un droit au <strong>français</strong>s'exprime dorénavant dans <strong>l'entreprise</strong>. Le groupe assume <strong>le</strong> coûttrès é<strong>le</strong>vé d'un tel dispositif, composé de groupes de travail et d'unvaste réseau de traducteurs.


Renault TrucksRenault Trucks, dont la raison socia<strong>le</strong> est fort décevante, a suivi un parcourslinguistique comparab<strong>le</strong> quoique plus délicat. Son partenaireprincipal étant suédois, il a fallu considérer la tierce <strong>langue</strong>. Celapermit <strong>une</strong> prise de conscience des questions linguistiques et l'adoptionde mesures. Bien que certains collaborateurs francophones aientdû s'initier au suédois et que l'anglais soit rapidement devenu <strong>langue</strong>officiel<strong>le</strong>, notamment <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s rapports internationaux, <strong>le</strong>s locuteursfrancophones ont mal vécu la pression d'<strong>une</strong> autre <strong>langue</strong> et l'ont faitsavoir. Les Suédois font certes des efforts de traduction, mais certainssalariés sont déstabilisés. Malgré l'exigence d'un minimum de connaissancede l'anglais <strong>à</strong> l'embauche, la présence des non-francophonespèse parfois sur <strong>le</strong>s rapports sociaux.Beaucoup de salariés se contentent aussi du franco-anglais peu orthodoxeparlé au sein de Renault Trucks. Les rapports sociaux en Francesont toutefois gérés en <strong>français</strong>. Le <strong>français</strong> rencontrera <strong>à</strong> l'avenir denouveaux défis dans <strong>le</strong> domaine technique, notamment lorsque <strong>le</strong>s plateformescomm<strong>une</strong>s de construction des véhicu<strong>le</strong>s apparaîtront etlorsque <strong>le</strong>s composants communs se multiplieront. Renault Trucks sepréoccupe actuel<strong>le</strong>ment de surmonter <strong>le</strong>s difficultés <strong>à</strong> venir en évaluantses besoins linguistiques, et suggère de se faire assister.96Peugeot PSABien que Peugeot PSA soit confronté <strong>à</strong> des impératifs voisins des groupesprécédents, <strong>le</strong> postulat de base est différent. En conclusion naturel<strong>le</strong>d'<strong>une</strong> politique de développement par implantation, la <strong>langue</strong>d'usage y est <strong>le</strong> <strong>français</strong>. La <strong>langue</strong> suit <strong>le</strong> schéma économique. Parconséquent, <strong>le</strong>s réunions internationa<strong>le</strong>s se dérou<strong>le</strong>nt en <strong>français</strong>. Legroupe doit néanmoins résoudre <strong>le</strong>s problèmes du vocabulaire techniqueet de l'émergence de vocab<strong>le</strong>s intrus nécessitant l'élaboration deglossaires internes. PSA observe en permanence l'évolution de la<strong>langue</strong> dans ses services, qui ressentent <strong>le</strong> besoin de nouveaux motsdès la conception d'un véhicu<strong>le</strong>.La politique linguistique vise <strong>à</strong> réagir promptement aux intrusions et <strong>à</strong>


observer des étapes de validation notamment <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s publicationscommercia<strong>le</strong>s. D'<strong>une</strong> part, <strong>le</strong>s dispositifs mis en place n'évitent pas laconfrontation avec d'autres <strong>langue</strong>s nationa<strong>le</strong>s. En Chine et enAmérique du Sud, l'anglais ne répond pas <strong>à</strong> toutes <strong>le</strong>s questions, sibien que PSA a organisé hors de France des cours d'apprentissage du<strong>français</strong> <strong>pour</strong> ses collaborateurs non francophones. Cette initiativefonctionne particulièrement bien en Slovaquie. D'autre part, la communicationvers <strong>le</strong> grand public peut déraper, comme <strong>le</strong> prouvent malheureusement<strong>le</strong>s récentes opérations Blue Lion et Blue Eco. La soumissionau globish ne devrait pas aveug<strong>le</strong>r au point d'estimer que Blue Lionest plus compréhensib<strong>le</strong> en Chine ou en Argentine que « Lion B<strong>le</strong>u ».97De même, Citroën a lancé en 2005 son modè<strong>le</strong> C3 équipé du systèmeStop and Start, dont <strong>le</strong> nom a été choisi par son créateur <strong>français</strong>Va<strong>le</strong>o. Le constructeur a repris et déposé ce nom. Le 16 novembre2007, Le Figaro consacrait un artic<strong>le</strong> <strong>à</strong> l'extension du système <strong>à</strong> lagamme des diesels, suivant <strong>une</strong> filière de l'intrusion et de la contagion.Les composants fournis par <strong>le</strong>s équipementiers représentent 75 % duprix de revient final d'<strong>une</strong> automobi<strong>le</strong>. Cet exemp<strong>le</strong> prouve combien la<strong>langue</strong> est tributaire de l'économie.Un groupe francophone qui ouvre des établissements rencontre <strong>le</strong>smêmes problèmes qu'un groupe qui en acquiert ou qui s'allie avec dessociétés non francophones. Les remèdes sont toutefois plus aisés <strong>à</strong>appliquer lorsque <strong>le</strong>s capitaux et <strong>le</strong>s savoir-faire <strong>français</strong> sont majoritaires.Je souligne toutefois la vigueur des intentions favorab<strong>le</strong>s au <strong>français</strong>dans <strong>le</strong>s trois groupes présentés, où existent des dispositifs dont<strong>le</strong>s responsab<strong>le</strong>s sont en relation permanente. De même, Michelindispose d'<strong>une</strong> politique linguistique extrêmement intéressante.Les PMEUne petite entreprise, <strong>une</strong> entreprise artisana<strong>le</strong> ou un commerce estdavantage perméab<strong>le</strong> <strong>à</strong> l'air du temps, <strong>à</strong> l'exemp<strong>le</strong> donné par <strong>le</strong>sacteurs économiques et <strong>à</strong> la négligence des médias <strong>à</strong> l'égard de la<strong>langue</strong>. Les PME suivent au moins partiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s tendances des


grandes sociétés, dont el<strong>le</strong>s sont souvent <strong>le</strong>s sous-traitantes. Or, certainesgrandes entreprises associent <strong>le</strong>urs fournisseurs <strong>à</strong> la sauvegardedu <strong>français</strong> via <strong>le</strong>ur documentation. D'autres devraient associer<strong>le</strong>urs clients <strong>à</strong> la sauvegarde de la santé, évitant ainsi des cas malheureuxd'erreurs dues <strong>à</strong> des notices ou logiciels peu compréhensib<strong>le</strong>s.Les directions des PME doivent être sensibilisées <strong>à</strong> la protection d'un<strong>français</strong> convenab<strong>le</strong> et ne pas céder <strong>à</strong> la mode, voire <strong>à</strong> la maladie del'anglicisation.Pourtant, <strong>le</strong>s paysages urbains et périurbains témoignent d'initiativescurieuses, exprimant <strong>le</strong> peu de rigueur des PME et commerces. J'airécemment re<strong>le</strong>vé sur un rond-point d'Annonay, en Ardèche, <strong>le</strong> florilègesuivant : « happy peop<strong>le</strong> », « new baby », « create life » et « visagisterelooking », soit quatre enseignes sur cinq ou six commerces. Je n'oseimaginer <strong>le</strong>s efforts des résidents locaux <strong>pour</strong> prononcer ces invitesparadisiaques. Cette tendance n'est pas un phénomène marginal. Laraison socia<strong>le</strong> devrait raison garder et <strong>le</strong>s mots du <strong>français</strong> suffire, surtoutlorsque Quick, McDonald's et Toys'R Us prolifèrent sans entrave.Que pouvons-nous dire du nouveau site Pets dating et de la chaîne <strong>français</strong>ePink ? Enfin, l'enseigne Champion va disparaître au profit deCarrefour Market…98Pistes de réf<strong>le</strong>xion et recommandationsToutes <strong>le</strong>s entreprises ont grand besoin de mots <strong>français</strong> nouveaux ounouvel<strong>le</strong>ment acceptés. De multip<strong>le</strong>s organismes linguistiques disposentdes moyens <strong>pour</strong> détecter et satisfaire ces besoins. Les commissionsspécialisées de terminologie s'acquittent d'un travail de rechercheet offrent des solutions. Néanmoins, je suis convaincu que nouspouvons offrir plus et mieux.Nous avons noté que la phase crucia<strong>le</strong> <strong>pour</strong> l'adoption d'un nom <strong>français</strong>se situe lors de la conception d'un produit ou service.Actuel<strong>le</strong>ment, tous <strong>le</strong>s départements ministériels sont dotés d'<strong>une</strong>commission spécialisée de terminologie. Cependant, <strong>le</strong>s entreprisesqui en relèvent n'ont pas la même facilité ou volonté d'accès que


Renault ou PSA, qui participent <strong>à</strong> <strong>le</strong>ur commission. Comment <strong>le</strong>s aider<strong>à</strong> faire valoir <strong>le</strong>ur droit <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> ?Ma première piste de réf<strong>le</strong>xion mène au renforcement de l'interactivitédu dispositif général d'enrichissement de la <strong>langue</strong> au niveau des institutionsprofessionnel<strong>le</strong>s. Un représentant, même bénévo<strong>le</strong>, intervenanten relation avec la commission spécialisée compétente, permettraitdes a<strong>le</strong>rtes rapides et des solutions sur mesure. Des acteurs du secteurautomobi<strong>le</strong> m'ont clairement formulé ce besoin d'interactivité élargiequi <strong>pour</strong>rait éviter des ma<strong>le</strong>ntendus. De même, nous éviterionsl'utilisation abusive du simili anglais par <strong>le</strong>s commerces si <strong>une</strong> mise engarde linguistique était possib<strong>le</strong> lors de la délivrance de l'autorisationd'ouverture. La puissance publique peut interdire des éléments deschartes graphiques des chaînes de distribution <strong>pour</strong> préserver l'architecturedes vil<strong>le</strong>s. Pourquoi abandonne-t-el<strong>le</strong> pareil<strong>le</strong> démarche lorsqu'ils'agit de la <strong>langue</strong> ?99Ma seconde piste suggérerait de mieux valoriser l'existant. Favoriser<strong>une</strong> meil<strong>le</strong>ure connaissance de nos travaux apporterait un atout supplémentaireaux entreprises soucieuses de <strong>le</strong>urs mots et donnerait desidées aux autres. Le décret de création et d'organisation du dispositifactuel légitime d'ail<strong>le</strong>urs <strong>une</strong> tel<strong>le</strong> promotion.Il serait en outre nécessaire d'assurer <strong>le</strong> respect de la loi Toubon par<strong>le</strong>s sociétés agissant sur notre territoire. L'attitude récente de la présidentede Lucent qui ne conçoit pas d'apprendre <strong>le</strong> <strong>français</strong> et de l'utiliserdans son groupe après l'absorption d'Alcatel frise la provocation.Les expériences de confrontation du <strong>français</strong> <strong>à</strong> <strong>une</strong> autre <strong>langue</strong> noussemb<strong>le</strong>nt indispensab<strong>le</strong>s afin d'adapter notre attitude.Enfin, malgré <strong>le</strong> lien entre notre <strong>langue</strong> et la diffusion d'innovations enmatière de produits, de services et de biens culturels, nous devonsnous demander si nous <strong>pour</strong>rions reprendre l'approche spécifique decertaines nations avec l'aide des entreprises. Des projets commencentheureusement <strong>à</strong> se développer <strong>pour</strong> ne pas envisager la Chine comme<strong>pour</strong>voyeuse de millions de néolocuteurs anglophones. Les succès,même limités, nourriraient notre persévérance.


L'écrivain hongrois Sándor Márai exprimait son angoisse d'écrire dans<strong>une</strong> <strong>langue</strong> connue d'<strong>à</strong> peine 10 millions d'hommes. Il produisit <strong>pour</strong>tant<strong>une</strong> œuvre exceptionnel<strong>le</strong>. Lorsque l'universel est exprimab<strong>le</strong> en<strong>une</strong> <strong>langue</strong>, ses locuteurs doivent la perpétuer. Le <strong>français</strong>, plus portéque jamais par <strong>le</strong>s entreprises, se trouve dans <strong>le</strong> même cas. Malgrél'anglomanie linguistique, l'al<strong>le</strong>mand attire <strong>à</strong> nouveau nos lycéens etcollégiens grâce au dialogue permanent de Jacques Toubon et surtoutgrâce au groupe Tokyo Hotel.Comme toutes <strong>le</strong>s communautés humaines, <strong>l'entreprise</strong> est perméab<strong>le</strong>au par<strong>le</strong>r actuel composé de cohérences douteuses, d'<strong>une</strong> syntaxeapproximative et d'un vocabulaire réduit. La réduction est amplifiée pardes émissions télévisuel<strong>le</strong>s dites populaires. El<strong>le</strong>s n'utilisent que 200 <strong>à</strong>300 mots, accumu<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s simplismes et <strong>le</strong>s clichés, jong<strong>le</strong>nt avec desmots anglais ou américains souvent détournés de <strong>le</strong>ur sens originel.Peu de Français échappent <strong>à</strong> ces options culturel<strong>le</strong>s. Je me déso<strong>le</strong>d'entendre <strong>une</strong> chaîne publique <strong>français</strong>e par<strong>le</strong>r de « low cost » avectant d'insistance que <strong>le</strong> spectateur distrait comprend « holocauste » etde constater que <strong>le</strong> Premier ministre entend « booster » notre économie,tandis que d'autres vantent <strong>le</strong>s mérites des véhicu<strong>le</strong>s « f<strong>le</strong>x-fuel ».100Toutefois, l'artic<strong>le</strong> 2 de notre Constitution, selon <strong>le</strong>quel « <strong>le</strong> <strong>français</strong> estla <strong>langue</strong> de la République », peut encore raviver <strong>le</strong>s ardeurs de nosentreprises. Voulons, imaginons, agissons sans cesse <strong>pour</strong> que notre<strong>langue</strong> ne soit jamais <strong>le</strong> terreau d'irréversib<strong>le</strong> soumission.Xavier NORTHJe vous remercie <strong>pour</strong> cette très spirituel<strong>le</strong> intervention qui clôt la journéeavec éclat.


Journée101du 4 décembre


Les acteurs sociauxen première ligneOuvertureXavier NORTH,Délégué général <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e et aux <strong>langue</strong>s de France,Ministère de la Culture et de la Communication, FranceNous voici <strong>à</strong> nouveau réunis dans <strong>le</strong> cadre du colloque des conseilssupérieurs et organismes de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e. Hier matin, nousavons dressé un panorama des usages de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e dans <strong>l'entreprise</strong>en France, au Québec, en Suisse et en Belgique. Nous avonséga<strong>le</strong>ment rappelé <strong>le</strong> cadre légal et rég<strong>le</strong>mentaire de l'usage de la<strong>langue</strong> <strong>français</strong>e en France et au Québec. Nous avions en particulierentendu Jacques Toubon, l'initiateur de la loi en la matière.102Avant d'introduire notre deuxième matinée, je souhaiterais revenir sur<strong>le</strong>s motifs qu'évoquent <strong>le</strong>s détracteurs de notre cadre légal <strong>pour</strong> endemander l'évolution. Ce cadre - nous disent-ils - me semb<strong>le</strong> paradoxa<strong>le</strong>menttémoigner d'<strong>une</strong> certaine défiance vis-<strong>à</strong>-vis de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e.Ils avaient, <strong>pour</strong> étayer <strong>le</strong>ur point de vue, deux arguments contradictoires.Selon <strong>le</strong> premier, la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e serait un élément deprofit <strong>pour</strong> <strong>l'entreprise</strong>, ce qui impliquerait d'en laisser la régulation aumarché. Selon <strong>le</strong> second, la <strong>langue</strong> échapperait <strong>à</strong> la logique économiqueet cel<strong>le</strong>-ci faisant <strong>pour</strong> ainsi dire loi, <strong>le</strong> cadre légal n'avait pas deréel<strong>le</strong> utilité.De <strong>le</strong>ur côté, <strong>le</strong>s défenseurs de la loi soulignent que différents facteursentrent en compte dans <strong>le</strong> fonctionnement de <strong>l'entreprise</strong>. En particulier,la logique <strong>à</strong> l'œuvre dans l'usage de la <strong>langue</strong> ne se résume pas <strong>à</strong><strong>une</strong> logique de profit. En effet, la <strong>langue</strong> est éga<strong>le</strong>ment un élément decommunication interne et de cohésion. C'est <strong>pour</strong>quoi on ne peut ignorersa dimension culturel<strong>le</strong> et symbolique.


103Avant de confronter la vision des acteurs sociaux au cours de la matinée,il est donc intéressant de faire un point sur la dimension symboliquede la <strong>langue</strong> dans son rapport au territoire et <strong>à</strong> l'identité.L'expérience québécoise représente <strong>une</strong> illustration tout <strong>à</strong> fait éclairantedes autres fonctions de la <strong>langue</strong> dans <strong>le</strong> contexte économique.Claire Chénard, chercheuse <strong>à</strong> l'université de Laval, va nous présenterce sujet.


Le travail en <strong>français</strong> : <strong>une</strong> question de territoireet d'identité linguistiquesClaire CHÉNARDSociologue chercheuse, QuébecJe vais vous présenter <strong>une</strong> étude réalisée en 2001 par l'Office québécoisde la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e. Cette étude s'appuie sur <strong>le</strong> constat selon<strong>le</strong>quel <strong>le</strong> contexte dans <strong>le</strong>quel nous évoluons s'est profondément modifiédepuis 30 ans, en particulier en raison de la mondialisation et dudéveloppement des techniques de communication qui ont eu <strong>une</strong> incidencesur <strong>le</strong>s utilisations de la <strong>langue</strong> de travail.L'étude qualitative ainsi réalisée porte sur la signification de la <strong>langue</strong><strong>français</strong>e dans des entreprises de petite tail<strong>le</strong>, de 10 <strong>à</strong> 49 employés, etde tail<strong>le</strong> plus importante, de 50 <strong>à</strong> 99 employés. Au cours de 14 entrevues,nous avons interrogé <strong>le</strong>s gestionnaires ainsi que <strong>le</strong>s employés de110 entreprises. Les salariés représentaient <strong>le</strong>s deux tiers des personnesinterrogées, et <strong>le</strong>s gestionnaires un tiers. Par ail<strong>le</strong>urs, 79 % des personnesinterrogées avaient <strong>le</strong> <strong>français</strong> <strong>pour</strong> <strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong>.104Les résultats de cette étude font ressortir l'émergence de nouveauxrepères. À cet égard, <strong>une</strong> des personnes interrogées considère que travail<strong>le</strong>ren <strong>français</strong>, c'est avant tout penser en <strong>français</strong>, ce qui attested'<strong>une</strong> dimension forte et symbolique de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e.La question suivante a été posée aux gestionnaires et employés :« Qu'est ce que signifie <strong>pour</strong> vous travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong> ? » Les réponsesont permis de tracer des frontières linguistiques avec, d'<strong>une</strong> part, <strong>le</strong>territoire d'affaires qui correspond au territoire externe de <strong>l'entreprise</strong>,et d'autre part, <strong>le</strong> lieu de travail qui représente <strong>le</strong> territoire interne de<strong>l'entreprise</strong>. L'interface entre <strong>le</strong>s territoires externe et interne peut serésumer par cette phrase d'un employé interrogé : « À l'intérieur de<strong>l'entreprise</strong>, on par<strong>le</strong> plus en <strong>français</strong>, mais dès qu'on est en contactavec l'extérieur, cela se fait plus ou moins en anglais. »Dans <strong>le</strong>s petites entreprises, <strong>le</strong> territoire externe, c'est-<strong>à</strong>-dire <strong>le</strong>s liens


d'échanges, renvoie souvent <strong>à</strong> des territoires ou des sous-territoiresquébécois. Cependant, l'internationalisation tend <strong>à</strong> élargir <strong>le</strong>s liensd'échanges. Quel<strong>le</strong> est alors l'incidence des territoires d'affaires sur la<strong>langue</strong> de travail ?De façon généra<strong>le</strong>, l'anglais est la <strong>langue</strong> comm<strong>une</strong> des liens d'affaireset de la communication avec <strong>le</strong>s clients et <strong>le</strong>s fournisseurs. Cependant,<strong>le</strong> degré d'utilisation de l'anglais diffère selon la tail<strong>le</strong> de <strong>l'entreprise</strong>.En effet, <strong>le</strong>s petites entreprises possèdent des liens plus faib<strong>le</strong>s <strong>à</strong>l'extérieur, ce qui a <strong>pour</strong> conséquence un usage ponctuel de l'anglais.En revanche, <strong>le</strong>s entreprises de plus grande tail<strong>le</strong> connaissent unvolume plus important de liens d'échanges avec l'extérieur, ce quiimplique un usage plus répandu de l'anglais.105Nous avons constaté que <strong>le</strong>s francophones déplorent <strong>le</strong> manque deréciprocité dans l'utilisation de la <strong>langue</strong>. Ce constat souligne laconcurrence potentiel<strong>le</strong> que l'anglais <strong>pour</strong>rait connaître face <strong>à</strong> <strong>une</strong>autre <strong>langue</strong> tel<strong>le</strong> que l'espagnol, dans un contexte de mondialisation.Une personne interrogée mentionne en particulier que l'implantationde nouveaux laboratoires en Amérique latine a nécessité l'apprentissagede la <strong>langue</strong> espagno<strong>le</strong> par l'équipe québécoise.En ce qui concerne <strong>le</strong> territoire interne, nous distinguons d'<strong>une</strong> part <strong>le</strong>rapport avec <strong>le</strong>s maisons mères, <strong>le</strong>s filia<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s sièges sociaux horsdu Québec, et d'autre part, <strong>le</strong> rapport <strong>à</strong> l'intérieur de <strong>l'entreprise</strong> auQuébec (secteurs ou départements). Nous avons constaté que <strong>le</strong>straits linguistiques du territoire interne ont <strong>une</strong> incidence nettementplus importante sur la <strong>langue</strong> de travail que <strong>le</strong> territoire d'affaires. La<strong>langue</strong> dépend notamment de la localisation de la maison mère. Sicel<strong>le</strong>-ci se situe hors du Québec, l'anglais sera utilisé dans <strong>le</strong>s communicationsinternes et externes. De plus, la <strong>langue</strong> subit éga<strong>le</strong>ment lamultiplication des filia<strong>le</strong>s d'<strong>une</strong> entreprise <strong>à</strong> l'étranger. En effet, <strong>le</strong>semployés des entreprises de plus grande tail<strong>le</strong>, qui sont <strong>le</strong>s plusconcernées par la création de filia<strong>le</strong>s, constatent que tous <strong>le</strong>s courrielsarrivent en anglais, de même que <strong>le</strong>s notes de service sont rédigéesexclusivement en anglais.


Pour <strong>le</strong>s rapports verticaux, <strong>le</strong>s contacts entre employés et gestionnairesse font plutôt en <strong>français</strong>, sauf lorsque <strong>le</strong>s interlocuteurs sont nonfrancophones. De manière généra<strong>le</strong>, dans la communication ora<strong>le</strong>, <strong>le</strong>bilinguisme est plus fréquent. Au niveau de l'axe horizontal, qui correspondaux liens entre employés, la <strong>langue</strong> comm<strong>une</strong> des échangesdépend du profil ethnolinguistique des interlocuteurs. S'il existe <strong>une</strong>majorité francophone, la <strong>langue</strong> utilisée sera <strong>le</strong> <strong>français</strong>, mais lorsquel'anglais devient la <strong>langue</strong> de la majorité, la <strong>langue</strong> utilisée sera l'anglais.On distingue en outre <strong>le</strong>s critères suivants du travail en <strong>français</strong> :> La <strong>langue</strong> du territoireCel<strong>le</strong>-ci recouvre l'impression de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>, cel<strong>le</strong>-ci reposantsur des référents territoriaux, <strong>le</strong> Québec étant <strong>le</strong> principal d'entreeux. Si <strong>le</strong> lieu de travail est francophone, quel que soit <strong>le</strong> volumed'usage de l'anglais, <strong>le</strong> sentiment de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong> domine. Lafrancophonie des gérants de <strong>l'entreprise</strong> renforce ce sentiment, dansla mesure où <strong>le</strong>s lignes d'autorité se font en <strong>français</strong>.106> Le territoire de la <strong>langue</strong>Il s'agit de l'espace linguistique de la communication et de la production,c'est-<strong>à</strong>-dire l'ensemb<strong>le</strong> des tâches et activités qui s'effectuent en<strong>français</strong> (tel<strong>le</strong>s que la prise de notes, la communication, etc.). De plus,nous avons constaté que <strong>le</strong> territoire de la <strong>langue</strong> revêt <strong>à</strong> la fois <strong>une</strong>dimension effective et <strong>une</strong> dimension affective. À titre d'illustration, jeciterai deux personnes interrogées. Un cadre explique : « On travail<strong>le</strong> en<strong>français</strong>, mais on deal en anglais », ce qui témoigne de la dimensioneffective du territoire de la <strong>langue</strong>. Le second, un employé, s'exprimede la manière suivante : « On travail<strong>le</strong> en anglais, mais on s'amuse en<strong>français</strong> », ce qui renvoie <strong>à</strong> <strong>une</strong> dimension affective dans laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong><strong>français</strong> occupe l'espace des rapports conviviaux au sein de <strong>l'entreprise</strong>alors que l'anglais renvoie aux rapports de production.La communication généra<strong>le</strong>, et tout particulièrement son caractèreinformel, semb<strong>le</strong> donc être un critère déterminant de perception de la


<strong>langue</strong> de travail <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s employés des entreprises de grande tail<strong>le</strong>. Àl'heure actuel<strong>le</strong>, <strong>le</strong> <strong>français</strong> peut être considéré comme <strong>une</strong> <strong>langue</strong> decommunication dans <strong>l'entreprise</strong> au Québec alors qu'il s'agissait auparavantd'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> réservée aux rapports familiaux.L'étude réalisée met en avant la prédominance de l'influence des traitslinguistiques du territoire interne de <strong>l'entreprise</strong> sur l'utilisation du <strong>français</strong>comme <strong>langue</strong> de travail, en comparaison avec l'importanceaccordée aux liens avec <strong>le</strong>s fournisseurs et clients. De plus, nous avonsidentifié l'existence de territoires linguistiques ayant <strong>une</strong> influence surl'usage du <strong>français</strong> en entreprise. Par ail<strong>le</strong>urs, la création de filia<strong>le</strong>s <strong>à</strong>l'étranger ainsi que l'intensification des liens avec <strong>le</strong> territoire extérieurhors du Québec tendent <strong>à</strong> représenter un frein <strong>à</strong> l'usage du <strong>français</strong>comme <strong>langue</strong> de travail. Enfin, nous avons constaté que la <strong>langue</strong> deséchanges au sein d'<strong>une</strong> entreprise dépend fortement de la <strong>langue</strong>maternel<strong>le</strong> des gestionnaires et de la composition ethnolinguistique dupersonnel.107Dans <strong>le</strong>s grandes entreprises, la <strong>langue</strong> de communication est l'anglaislorsque la majorité des travail<strong>le</strong>urs sont anglophones, tandis qu'un critèredéterminant la perception de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong> est constituépar la <strong>langue</strong> de la communication écrite. En revanche, dans <strong>le</strong>s PME,<strong>le</strong> <strong>français</strong> est devenu la <strong>langue</strong> des affaires courantes. C'est doncplutôt dans <strong>le</strong>s grandes entreprises qu'il faudrait veil<strong>le</strong>r <strong>à</strong> la coexistencede l'anglais et du <strong>français</strong>.Xavier NORTHJe vous remercie de nous avoir fait mesurer la comp<strong>le</strong>xité de l'expression« travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong> », qui prend des sens très divers selon <strong>le</strong>scontextes étudiés. Nous avons pu constater que l'espace dédié au<strong>français</strong> est <strong>à</strong> géométrie variab<strong>le</strong>. En effet, comme vous nous l'aviez faitremarquer hier, 62 % des salariés au Québec affirment être contraintsde posséder des compétences actives en anglais alors même qu'ilsconsidèrent travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>.Je vais <strong>à</strong> présent demander aux participants de formu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>urs ques-


tions éventuel<strong>le</strong>s relatives <strong>à</strong> l'expérience québécoise.Débat avec <strong>le</strong> publicJean-Claude AMBOISEJe souhaite émettre un commentaire. Il me semb<strong>le</strong> important de mentionnerqu'instituer la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e comme <strong>langue</strong> de travail dans<strong>le</strong>s textes de loi ne signifie pas nécessairement que l'ensemb<strong>le</strong> desactivités doit être réalisé en <strong>français</strong>.De la sal<strong>le</strong>J'ai été particulièrement sensib<strong>le</strong> <strong>à</strong> votre approche de la répartition territoria<strong>le</strong>de la <strong>langue</strong>. En effet, l'idée selon laquel<strong>le</strong> la production se faiten anglais alors que <strong>le</strong>s rapports de convivialité sont exprimés en <strong>français</strong>me paraît intéressante et réaliste. À l'heure actuel<strong>le</strong>, <strong>le</strong> lieu de productionest nettement dissocié du lieu de vente. Or, je me demandecomment vous envisagez l'évolution du <strong>français</strong> dans <strong>le</strong> contexte actueloù l'activité de service prend, de surcroît, énormément d'importancepar rapport <strong>à</strong> l'activité de production ?108Claire CHÉNARDPour <strong>le</strong>s petites entreprises, <strong>le</strong> problème se pose assez peu puisque<strong>le</strong>urs liens avec l'extérieur sont moindres. En revanche, <strong>le</strong>s grandesentreprises affichent <strong>une</strong> ouverture très franche en faveur de l'anglais.Cela étant dit, il convient de distinguer <strong>le</strong> fait de communiquer en <strong>français</strong><strong>à</strong> l'intérieur de <strong>l'entreprise</strong> et l'utilisation de l'anglais dans <strong>le</strong>s rapportsextérieurs. Je ne pense pas qu'il fail<strong>le</strong> réel<strong>le</strong>ment craindre l'extensiondes marchés dans la mesure où des espaces de travail restentprotégés et maintenus <strong>pour</strong> <strong>le</strong> <strong>français</strong>, malgré <strong>une</strong> forte propension <strong>à</strong>par<strong>le</strong>r anglais. En revanche, on constate un malaise plus considérab<strong>le</strong>lorsqu'on est soumis <strong>à</strong> <strong>une</strong> exigence de service en anglais alors quel'on se trouve en territoire québécois. Dans ce cas, la disposition desemployés est négative. Il importe avant tout de maintenir <strong>le</strong> statut du<strong>français</strong>.


De la sal<strong>le</strong>Je voudrais établir un lien entre l'étude quantitative présentée hier etl'étude qualitative dont nous venons d'entendre <strong>le</strong>s résultats afind'offrir <strong>une</strong> évaluation de la situation de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e dans <strong>l'entreprise</strong>au Québec. Si <strong>le</strong> fait de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong> consiste principa<strong>le</strong>ment<strong>à</strong> utiliser cette <strong>langue</strong> dans des situations de communicationsignificatives (<strong>pour</strong> l'employé et <strong>l'entreprise</strong>), <strong>le</strong> temps passé <strong>à</strong> l'usaged'<strong>une</strong> autre <strong>langue</strong> devient alors moindre. Dans ce contexte, c'estl'identité personnel<strong>le</strong> et corporative qui est déterminante. Dès lors, nefaut-il pas changer de perspective au cours de l'évaluation d'<strong>une</strong> situationde ce type ? Au lien d'analyser la place de chaque <strong>langue</strong>, il s'agiraitplutôt de cib<strong>le</strong>r des situations de communication bien définies, afinde porter un jugement sur <strong>le</strong>s moments où <strong>le</strong> <strong>français</strong> est utilisé.Raisonner de façon globa<strong>le</strong> ne me semb<strong>le</strong> pas apporter de conclusionsclaires.109Claire CHÉNARDNous avons présenté <strong>une</strong> étude qualitative, qui se fonde nécessairementsur des perceptions. Je pense que M me Boucher <strong>pour</strong>ra vousrépondre plus précisément.Xavier NORTHJe vais joindre <strong>une</strong> remarque <strong>pour</strong> M me Boucher. Une grande majoritéde salariés québécois semb<strong>le</strong>nt être bilingues puisque 62 % d'en-treeux ont besoin de posséder des compétences actives en anglais. Jedemande alors aux Français présents dans la sal<strong>le</strong> ce que signifie, dansce contexte, l'expression « franciser » <strong>une</strong> entreprise. S'agit-il uniquementde doter <strong>l'entreprise</strong> des outils lui permettant de travail<strong>le</strong>r en<strong>français</strong> ?France BOUCHERIl ne s'agit pas simp<strong>le</strong>ment du fait de « par<strong>le</strong>r » <strong>français</strong>. La charte dontje parlais hier prévoit un régime d'exception <strong>pour</strong> tenir compte du territoireextérieur de <strong>l'entreprise</strong>. En effet, il n'est pas envisageab<strong>le</strong> d'interdirel'anglais puisque <strong>le</strong>s relations avec <strong>le</strong>s fournisseurs et <strong>le</strong>s


clients, qui s'intensifient avec la tail<strong>le</strong> de <strong>l'entreprise</strong>, amènent <strong>à</strong> unusage fréquent de l'anglais.De son côté, l'analyse des données quantitatives reste nécessairementincomplète, car nous devons prendre en considération des nuancesqualitatives. En effet, <strong>le</strong>s chiffres ne suffisent pas <strong>à</strong> déterminer des différencesdans <strong>le</strong>s situations d'utilisation d'<strong>une</strong> <strong>langue</strong>. La multitude decontextes que nous pouvons rencontrer nécessite <strong>une</strong> analyse plusfine.Xavier NORTHLe modè<strong>le</strong> québécois est souvent cité en France comme un exemp<strong>le</strong> <strong>à</strong>suivre en termes d'utilisation de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e dans <strong>l'entreprise</strong>,mais nous pouvons justement constater que <strong>le</strong> maintien du <strong>français</strong>n'exclut en aucun cas l'usage de l'anglais.Claire CHÉNARDJe voudrais formu<strong>le</strong>r <strong>une</strong> remarque sur la perception qu'ont <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>ursde l'utilisation de l'anglais. J'ai constaté au cours d'entretiensavec des salariés qu'ils peuvent avoir l'impression que <strong>le</strong>ur postenécessite de réel<strong>le</strong>s compétences linguistiques en anglais alors qu'aucours d'<strong>une</strong> journée, ils ont en réalité uniquement besoin de passer uncoup de téléphone ou d'écrire un courriel en anglais. Il faut donc vérifierquel<strong>le</strong> est la réalité sous-jacente aux propos que tiennent <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urssur <strong>le</strong>ur <strong>langue</strong> de travail, car l'espace réel occupé par l'anglaisne correspond pas nécessairement aux perceptions des salariésde <strong>l'entreprise</strong>.110France BOUCHEREn ce qui concerne <strong>le</strong>s données chiffrées, nous recensons près de5 600 entreprises comptant plus de 50 % de <strong>le</strong>urs employés inscrits <strong>à</strong>l'Office québécois de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e. Je rappel<strong>le</strong> en outre que cesont plutôt <strong>le</strong>s employés des petites entreprises qui sont concernés.


Marie-José BEGUELINEn Suisse, <strong>le</strong>s pratiques de travail stipu<strong>le</strong>nt que chacun doit s'exprimerdans sa propre <strong>langue</strong>, que ce soit au niveau oral ou écrit. Pourrait-onenvisager d'appliquer ce modè<strong>le</strong> d'échanges en France ou au Québec ?Claire CHÉNARDAu Québec, <strong>le</strong>s francophones ont tendance <strong>à</strong> par<strong>le</strong>r instinctivementl'anglais dès qu'un anglophone est présent dans <strong>une</strong> réunion ou ungroupe de discussion. De plus, <strong>le</strong>s anglophones ne maîtrisant généra<strong>le</strong>mentpas assez <strong>le</strong> <strong>français</strong>, c'est souvent l'anglais qui sera prédominant.Martine LAMONIERLorsqu'un responsab<strong>le</strong> directeur est anglophone, quel<strong>le</strong> <strong>langue</strong> utiliset-ilquand il s'adresse <strong>à</strong> des employés francophones ?111Claire CHÉNARDEn général, <strong>le</strong> directeur par<strong>le</strong>ra en <strong>français</strong> <strong>pour</strong> adopter la <strong>langue</strong> del'employé. La loi <strong>le</strong>s contraint <strong>à</strong> adopter <strong>le</strong> <strong>français</strong>.Martine LAMONIERJe peux vous donner un exemp<strong>le</strong> tiré de mon entreprise, Alcatel. Ayantfusionné avec <strong>une</strong> société américaine, nous sommes dans <strong>une</strong> situationdans laquel<strong>le</strong> nos dirigeants ne font pas l'effort d'apprendre <strong>le</strong><strong>français</strong>. Lorsqu'ils viennent en France <strong>pour</strong> présenter de nouveauxproduits, ils ne <strong>le</strong> font qu'en anglais. Dans ce contexte, faire appliquerla loi devient diffici<strong>le</strong>. En effet, <strong>le</strong>s dirigeants des grandes entreprisesdécrètent que la <strong>langue</strong> « corporate » est l'anglais et, de ce fait, nerespectent pas la loi. Malheureusement, personne ne se charge de lafaire respecter !Claire CHÉNARDLes rapports linguistiques sur <strong>le</strong> territoire québécois s'organisent defaçon <strong>à</strong> ce que <strong>le</strong>s patrons par<strong>le</strong>nt en <strong>français</strong>. Néanmoins, dans certainessituations (sièges sociaux ou dirigeants se situant en dehors du


Québec), l'usage de la <strong>langue</strong> anglaise est imposé au cours de certainesréunions, ce qui crée un malaise de la part de certains salariéspuisque je vous rappel<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s Québécois ne sont pas tous bilingues.France BOUCHERLes seu<strong>le</strong>s mesures prévues dans <strong>le</strong>s rapports d'entreprises québécoisconcernent des accords particuliers avec <strong>le</strong>s entreprises dont <strong>le</strong> siègesocial est <strong>à</strong> l'extérieur. La Charte prévoit donc des dispositions particulières,qui constituent <strong>une</strong> exception au régime général. Ces mesuress'appliquent <strong>pour</strong> autant en parallè<strong>le</strong> au programme de francisation.Xavier NORTHLes dernières remarques nous rapprochent du thème de notre tab<strong>le</strong>ronde que nous allons entamer <strong>à</strong> présent.112


Travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>, l'impossib<strong>le</strong> consensus ?Tab<strong>le</strong> rondeParticipent <strong>à</strong> la tab<strong>le</strong> ronde :Jean-Loup Cuisiniez, porte-paro<strong>le</strong> du col<strong>le</strong>ctif « Pour <strong>le</strong> droit de travail<strong>le</strong>ren <strong>français</strong> ».Jean-Pierre Corniou, président d'EDS Consulting.Bertrand Moineau, associé fondateur du Cabinet Louvre Alliance.Jane Kassis, professeur au département <strong>langue</strong>s et communicationinternationa<strong>le</strong> de l'ESCP-EAP.La tab<strong>le</strong> ronde est animée par Jean-François Polo, journaliste auxÉchos.113Jean-François POLOBonjour <strong>à</strong> tous. Je suis interpellé par l'intitulé de la tab<strong>le</strong> ronde que j'animedans la mesure où nous vivons aujourd'hui <strong>une</strong> nouvel<strong>le</strong> ère dedialogue entre <strong>le</strong>s différents acteurs sociaux, comme en témoigne parexemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> Grenel<strong>le</strong> de l'environnement. Par ail<strong>le</strong>urs, j'ai eu la chancede rencontrer récemment <strong>le</strong> directeur général du Credoc qui expliquaitque sur des thèmes divers tels que <strong>le</strong>s retraites, l'université, etc., onassiste <strong>à</strong> l'émergence progressive d'<strong>une</strong> nouvel<strong>le</strong> méthode de dialogueentre des acteurs confrontés <strong>à</strong> <strong>une</strong> réalité très différente. Pour en revenirau thème de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e dans <strong>l'entreprise</strong>, <strong>le</strong>s points de vuedes interlocuteurs (dirigeants, salariés, fournisseurs, clients, administration,etc.) divergent certes, mais je pense qu'ils peuvent éga<strong>le</strong>mentse rejoindre sur certains points. C'est <strong>pour</strong>quoi notre réf<strong>le</strong>xion sur unpotentiel consensus me semb<strong>le</strong> très pertinente.Je demande maintenant <strong>à</strong> chaque intervenant de se présenter brièvementet d'intervenir sur un thème plus personnel, puis nous passeronsaux échanges.


Jean-Loup CUISINIEZJ'interviens aujourd'hui en tant que délégué du personnel CFTC etcomme porte-paro<strong>le</strong> du col<strong>le</strong>ctif « Pour <strong>le</strong> droit de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>en France ». Je précise que je suis polyglotte.Bertrand MOINEAUJe suis associé fondateur du cabinet de conseil Louvre Alliance, créé enpartenariat avec <strong>le</strong> cabinet de Jacques Attali. Nous intervenons sur desproblématiques stratégiques de culture d'entreprise. Étant donné quenotre cabinet est américain <strong>à</strong> 50 %, nous avons <strong>une</strong> bonne appréhensiondes problématiques de l'utilisation de la <strong>langue</strong> anglaise en entreprise.Jane KASSISJ'occupe un poste de professeur au département des <strong>langue</strong>s et de lacommunication internationa<strong>le</strong> au sein d'<strong>une</strong> éco<strong>le</strong> internationa<strong>le</strong> degestion. Je suis sensib<strong>le</strong> au thème de la diversité des <strong>langue</strong>s. En effet,j'enseigne l'anglais, mais j'apprends éga<strong>le</strong>ment <strong>à</strong> mes étudiants l'importancede la diversité des <strong>langue</strong>s et j'insiste toujours sur <strong>le</strong> fait quel'anglais n'est qu'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> parmi <strong>le</strong>s autres.114Jean-Pierre CORNIOUPour ma part, je suis un pur produit du système méritocratique <strong>français</strong>puisque j'ai effectué mes études <strong>à</strong> l'Éco<strong>le</strong> nationa<strong>le</strong> d'administration.Je n'ai réel<strong>le</strong>ment découvert la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e qu'au Québec, au seinde l'administration québécoise. Cette expérience m'a éga<strong>le</strong>ment faitcomprendre que la méritocratie <strong>français</strong>e devait se confronter <strong>à</strong> d'autressystèmes. Par la suite, je me suis orienté vers <strong>le</strong> monde des technologiesde l'information, dans <strong>le</strong>quel je pratique <strong>le</strong> « globish ». En tantque directeur des systèmes d'information chez Renault, j'ai étéconfronté <strong>à</strong> la nécessité du passage <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> anglaise lors du rachatde Nissan. Aujourd'hui, je suis président d'<strong>une</strong> société de conseil dans<strong>une</strong> société américaine et je me sens <strong>français</strong> dans <strong>une</strong> culture numériquegloba<strong>le</strong>.


Jean-François POLOJe vais <strong>à</strong> présent demander <strong>à</strong> chaque membre de la trib<strong>une</strong> d'intervenir.M. Moineau va dans un premier temps évoquer l'apparent consensusdans l'utilisation de la <strong>langue</strong>.Bertrand MOINEAUMon but n'est pas de remettre en question la <strong>langue</strong> anglaise en tantque tel<strong>le</strong>, mais plutôt « l'espéranto des affaires » et <strong>le</strong>s habitudes prisesen entreprise face <strong>à</strong> cette forme de langage.Il me semb<strong>le</strong> indispensab<strong>le</strong> de replacer ma réf<strong>le</strong>xion dans <strong>le</strong> discourssur des territoires translinguistiques. Dans <strong>le</strong> présent contexte, <strong>le</strong> discoursprend un sens large : il correspond <strong>à</strong> l'ensemb<strong>le</strong> des signes, desparo<strong>le</strong>s ou d'écrits, qui laissent encore la possibilité <strong>à</strong> l'individu d'enfaire ce qu'il veut.115Avant de par<strong>le</strong>r de discours, je vais revenir rapidement <strong>à</strong> la question dela <strong>langue</strong> des affaires dans <strong>le</strong>s grandes entreprises <strong>français</strong>es. Nouspouvons nous rendre compte que cette <strong>langue</strong> ne correspond pas <strong>à</strong>l'anglais appris <strong>à</strong> l'éco<strong>le</strong>, ni <strong>à</strong> l'anglais « de la culture ». Il s'agit d'<strong>une</strong><strong>langue</strong> moyenne et neutre. En revanche, la <strong>langue</strong> des affaires possède<strong>le</strong>s caractéristiques d'un langage fort.Pour définir un langage fort, je m'appuierai sur la définition de RolandBarthes qui retient trois caractéristiques principa<strong>le</strong>s. Premièrement,cette <strong>langue</strong> invente son propre <strong>le</strong>xique, ce qui aboutit <strong>à</strong> des néologismeset anglicismes qui peuvent être esthétiques (comme « due diligence» ou « executive summary ») ou non (comme <strong>le</strong> « mail »). Quel quesoit <strong>le</strong> vocabulaire employé, il permet <strong>à</strong> celui qui l'utilise de déployer<strong>une</strong> scène sonore qui semb<strong>le</strong> parfois produire <strong>une</strong> réel<strong>le</strong> « jouissancehystérique ». Je constate en effet au cours de certaines réunions <strong>le</strong> plaisirqui vient <strong>à</strong> certains interlocuteurs lorsqu'ils utilisent ces mots.Deuxièmement, un langage fort peut être employé par n'importe quiparce qu'il ne nécessite pas de compétences spécifiques.Troisièmement, la vio<strong>le</strong>nce caractérise un langage fort : il s'agit d'<strong>une</strong><strong>langue</strong> qui réussit <strong>à</strong> s'imposer ainsi qu'<strong>à</strong> exclure celui qui ne la par<strong>le</strong>pas. On peut citer <strong>à</strong> titre d'illustration <strong>le</strong> langage psychanalytique ou <strong>le</strong>


langage juridique. Nous pouvons éga<strong>le</strong>ment constater que la <strong>langue</strong>des affaires possède <strong>le</strong>s caractéristiques que je viens d'expliciter.Le travail au quotidien dans <strong>l'entreprise</strong> impose <strong>le</strong> langage des affairesdont la figure emblématique est l'expression « straight to the point »,très utilisée dans <strong>l'entreprise</strong> et qui signifie « al<strong>le</strong>z <strong>à</strong> l'essentiel » ou« soyez concis ». La <strong>langue</strong> des affaires contraint donc <strong>à</strong> <strong>une</strong> certaineforme de discours, et même <strong>à</strong> <strong>une</strong> façon de faire et de penser. Je peuxciter d'autres exemp<strong>le</strong>s qui sont utilisés lors de formations au coursdesquel<strong>le</strong>s on incite <strong>à</strong> la clarté, <strong>à</strong> rédiger des phrases courtes, ou <strong>à</strong>l'utilisation de « bul<strong>le</strong>t points ».Par ail<strong>le</strong>urs, l'anglais des affaires permet d'employer des expressionsqui possèdent un sens assez vague <strong>pour</strong> s'avancer masquées. On peutciter <strong>le</strong>s expressions « human capital » ou « management » qui, traduitesdans un anglais classique, ne <strong>pour</strong>raient pas être utilisées. Je penseque des discours qui se construisent autour de ce genre de termessont critiquab<strong>le</strong>s et dommageab<strong>le</strong>s parce qu'ils laissent entrevoir <strong>une</strong>dimension inhumaine de soumission. Cette <strong>langue</strong> appauvrit <strong>le</strong> discourset la pensée en entreprise dans la mesure où <strong>le</strong> fait de raccourcir<strong>une</strong> phrase s'accompagne nécessairement du raccourcissementd'<strong>une</strong> pensée. En évitant systématiquement <strong>le</strong>s nuances et la subtilité,<strong>l'entreprise</strong> perd en richesse et donc en profit. En effet, l'anglais desaffaires favorise <strong>une</strong> pensée qui va <strong>à</strong> l'encontre de la productivité de<strong>l'entreprise</strong>.116Pour conclure, il <strong>pour</strong>rait être intéressant <strong>pour</strong> <strong>l'entreprise</strong> de s'inspirerde discours différents. À ce titre, je vais vous lire un extrait duFragment d'un discours amoureux de Roland Barthes dans <strong>le</strong>quel celuicioppose <strong>le</strong> discours normé au discours de l'amoureux : « Tu aimesCharlotte : ou bien tu as quelque espoir, et alors tu agis ; ou bien tu n'enas aucun, et alors tu renonces. Tel est <strong>le</strong> discours du sujet « sain » : oubien, ou bien. Mais <strong>le</strong> sujet amoureux répond (c'est ce que fait Werther) :j'essaie de glisser entre <strong>le</strong>s deux membres de l'alternative : c'est-<strong>à</strong>-direje n'ai aucun espoir, mais tout de même… ou encore : je choisis obstinémentde ne pas choisir ; je choisis la dérive : je continue. »


Jane KASSISJe vous propose <strong>une</strong> réf<strong>le</strong>xion sur l'interculturalité puisque je travail<strong>le</strong>en France <strong>à</strong> ESCP-EAP en tant qu'enseignante de <strong>langue</strong> anglaise et decommunication interculturel<strong>le</strong>.Pour situer <strong>le</strong> contexte, ESCP-EAP, European School of Management,est <strong>une</strong> éco<strong>le</strong> de gestion avec cinq campus en Europe (Paris, Londres,Berlin, Madrid et Turin) et qui a noué de nombreux partenariats avecdes universités dans tous <strong>le</strong>s continents. Dans <strong>le</strong> programme Grandeéco<strong>le</strong>, 45 % des élèves ne sont pas francophones.La diversité des nationalités des étudiants et notre proximité avec <strong>le</strong>sentreprises internationa<strong>le</strong>s nous rendent très sensib<strong>le</strong>s <strong>à</strong> la questionde la maîtrise des <strong>langue</strong>s, et notamment du <strong>français</strong>.117Sur <strong>le</strong> campus parisien, <strong>le</strong>s cours de gestion sont naturel<strong>le</strong>ment en<strong>français</strong>. Pour <strong>une</strong> population d'étudiants qui ne maîtrisent pas <strong>le</strong> <strong>français</strong>,il existe par ail<strong>le</strong>urs <strong>une</strong> filière d'études en <strong>langue</strong> anglaise. Pources étudiants qui sont intéressés par la France et la culture <strong>français</strong>e,la <strong>langue</strong> anglaise <strong>le</strong>ur permet d'intégrer un cursus d'études en France.Bien que ces étudiants suivent <strong>le</strong>urs cours de gestion en anglais, ilscommencent éga<strong>le</strong>ment dès <strong>le</strong>ur arrivée <strong>à</strong> Paris un apprentissage de la<strong>langue</strong> <strong>français</strong>e. D'ail<strong>le</strong>urs, ils doivent passer un test d'évaluation du<strong>français</strong> afin d'être diplômés de l'éco<strong>le</strong>. Un test mis en place par laChambre de commerce et d'industrie de Paris permet en outre d'évaluer<strong>le</strong>s compétences linguistiques. Les Chinois constituent <strong>une</strong> populationd'étudiants qui choisissaient auparavant <strong>le</strong> cursus en anglais,mais ils tendent de plus en plus <strong>à</strong> effectuer directement <strong>le</strong>urs étudesen <strong>français</strong>.De façon généra<strong>le</strong>, de nombreux étudiants étrangers souhaitent commencer<strong>le</strong>ur carrière en France, la maîtrise du <strong>français</strong> est doncindispensab<strong>le</strong> <strong>pour</strong> eux.La politique linguistique de l'ESCP-EAP qui exige la validation de deux<strong>langue</strong>s étrangères <strong>pour</strong> être diplômé permet aux étudiants d'évoluerplus faci<strong>le</strong>ment dans des milieux professionnels internationaux. Cette


politique correspond aux besoins de compétences exprimés par <strong>le</strong>sentreprises. En effet, au-del<strong>à</strong> des compétences linguistiques, <strong>le</strong>s entreprisescherchent <strong>à</strong> embaucher des je<strong>une</strong>s cadres qui possèdent lacapacité de travail<strong>le</strong>r dans des équipes plurilingues et savent s'adapter<strong>à</strong> des interlocuteurs d'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong> différente.En tant que chercheuse, j'ai analysé la question de l'utilisation des <strong>langue</strong>sen entreprise au sein des équipes internationa<strong>le</strong>s. Les entretiensque j'ai menés m'ont permis d'identifier un enjeu principal : la mise enconfiance réciproque entre <strong>le</strong>s individus. À titre d'exemp<strong>le</strong>, je vais vousciter <strong>le</strong> propos d'<strong>une</strong> des personnes interrogées : « Lors d'<strong>une</strong> co-entreprise(joint venture), il existait des tensions et un climat de méfiancedans <strong>une</strong> équipe composée de Français et de Britanniques. Quand <strong>le</strong>sFrançais ont appris que <strong>le</strong>s Britanniques se donnaient la peine de suivredes cours de <strong>français</strong>, un climat de confiance s'est installé, même si l'anglaisétait toujours la <strong>langue</strong> de travail. »L'impact des <strong>langue</strong>s dans la mise en place de relations de confiancea été souligné par des chercheurs en management interculturel ; d'après<strong>le</strong>urs travaux, « <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> coût de la diversité des <strong>langue</strong>s ne peutpas être mesuré <strong>à</strong> l'a<strong>une</strong> de la rémunération des traducteurs, mais <strong>à</strong>cel<strong>le</strong> des relations qui se détériorent. »118Par ail<strong>le</strong>urs, la socialisation dans des équipes plurilingues est un enjeude plus grande importance que <strong>le</strong>s aspects techniques de la <strong>langue</strong>,car <strong>le</strong>s termes techniques sont souvent identiques dans <strong>le</strong>s différentes<strong>langue</strong>s. Ce n'est donc pas <strong>à</strong> ce niveau que se posent <strong>le</strong>s difficultés.Mes travaux de recherche font aussi apparaître que la seu<strong>le</strong> maîtrise del'anglais n'est pas suffisante. Lorsque j'ai interrogé un cadre al<strong>le</strong>manddont la <strong>langue</strong> de travail était l'anglais, celui-ci m'a indiqué que saconnaissance de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e influençait sa façon de comprendre.Lorsqu'il est face <strong>à</strong> un Français, la possibilité de par<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>facilite <strong>le</strong>s relations en dehors des réunions de travail.Dans <strong>le</strong>s cas où l'anglais est adopté comme la <strong>langue</strong> de travail, j'aiconstaté qu'<strong>une</strong> politique de traduction systématique et rigide compor-


te des risques, notamment en raison d'<strong>une</strong> potentiel<strong>le</strong> perte de sens oud'un appauvrissement. La solution consiste dans certains cas <strong>à</strong> maintenir<strong>une</strong> expression origina<strong>le</strong> sans la traduire en tentant d'expliquer laspécificité des connotations culturel<strong>le</strong>s.Pour conclure, je souhaite récuser l'amalgame fréquemment fait entre« international » et « anglais ». Je pense que l'idée selon laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong> <strong>français</strong>serait <strong>une</strong> <strong>langue</strong> de culture et l'anglais <strong>une</strong> <strong>langue</strong> de communicationinternationa<strong>le</strong> est <strong>une</strong> vision réductrice fondée sur <strong>une</strong> erreur deperception.119Enfin, je souhaite clarifier la question de l'utilisation de l'anglais dans<strong>le</strong>s études de gestion. En réalisant <strong>une</strong> enquête auprès de mes collèguesenseignants en gestion <strong>français</strong> et étrangers, qui enseignent aussibien en <strong>français</strong> qu'en anglais, j'ai pu remarquer que, dans de nombreuxcas, l'utilisation de l'anglais est superficiel<strong>le</strong>, artificiel<strong>le</strong> et superflue.On affirme souvent que <strong>le</strong>s étudiants doivent être exposés <strong>à</strong> la<strong>langue</strong> anglaise parce que cel<strong>le</strong>-ci est importante <strong>pour</strong> la gestion. Or,<strong>une</strong> tel<strong>le</strong> approche peut donner lieu <strong>à</strong> des situations absurdes. Je penseen particulier <strong>à</strong> l'exemp<strong>le</strong> d'un professeur mexicain qui devait donnerun cours en anglais <strong>à</strong> des étudiants espagnols parce que l'administrationde son université l'exigeait.Jean-Pierre CORNIOUDe nombreux éléments pertinents ont déj<strong>à</strong> été évoqués.En tant que président d'EDS Consulting, je considère que, dans saréf<strong>le</strong>xion, un dirigeant doit avant tout s'efforcer de comprendre <strong>le</strong>monde. Pour atteindre cet objectif, il faut être en possession d'outilsspécifiques. L'un d'entre eux est la <strong>langue</strong>. Notre compréhension dumonde se fait <strong>à</strong> travers un langage qui est celui de nos parents. Ceuxcinous ont appris <strong>à</strong> nommer <strong>le</strong>s objets et nous ont transmis la subtilitéde la <strong>langue</strong>, qui fait partie de notre patrimoine. Mais la <strong>langue</strong> peutéga<strong>le</strong>ment servir comme outil de propagande et de pouvoir. Il existe<strong>une</strong> <strong>langue</strong> de la dominante <strong>français</strong>e sur <strong>le</strong>s Français.Aujourd'hui, nous sommes entrés dans un monde de globalisation


numérique dans <strong>le</strong>quel <strong>le</strong>s échanges économiques se sont généralisésen même temps que l'utilisation du langage « globish ».Dans ce contexte, je pense que c'est la <strong>langue</strong> anglaise qui est la plusmenacée. Cette <strong>langue</strong> riche de 300 000 mots, qui possède deuxmanières différentes de nommer <strong>le</strong>s mêmes choses, se trouve appauvriepar la <strong>langue</strong> des affaires qui n'utilise pas plus de 5 000 motsréducteurs, répétés tels des slogans pendant <strong>le</strong>s réunions où chacunfait semblant de <strong>le</strong>s comprendre. Les cadres <strong>français</strong> utilisent ainsi unlangage qui amalgame un <strong>français</strong> souvent appauvri et un anglaismédiocre.Or, la <strong>langue</strong> représente avant tout un outil de communication, <strong>le</strong> verbe« communiquer » étant un verbe transitif puisqu'on communiquequelque chose <strong>à</strong> quelqu'un par un message, par un support, et <strong>à</strong> traversun référentiel commun. La communication demande en outre unretour, et c'est cette dimension qui me semb<strong>le</strong> occultée dans <strong>le</strong> mondede <strong>l'entreprise</strong> <strong>à</strong> l'heure actuel<strong>le</strong>. S'agit-il alors d'un problème d'émetteur,de récepteur ou de référentiel ?120Le monde du travail est constitué d'un processus autour duquel se rassemb<strong>le</strong>ntdes individus avec l'objectif de transformer de la matière etdes idées en produit ou service. La création de va<strong>le</strong>ur qui en décou<strong>le</strong>est codifiée. Or, aujourd'hui, nous sommes confrontés <strong>à</strong> trois rupturesmajeures qui se sont produites dans <strong>le</strong> contexte de la globalisationnumérique.Nous avons toujours été amenés <strong>à</strong> travail<strong>le</strong>r avec des gens qui n'utilisentpas notre <strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong>. Par exemp<strong>le</strong>, l'activité d'export exigeaitde par<strong>le</strong>r la <strong>langue</strong> du client <strong>pour</strong> que celui-ci puisse exploiter <strong>le</strong>sproduits qu'il achetait. C'est <strong>pour</strong>quoi nous faisions l'effort d'apprendrecette <strong>langue</strong>. Or, maintenant, nous utilisons un langage tiers quicorrespond au plus petit dénominateur commun entre <strong>le</strong>s pays quicomposent la communauté d'échanges. La connaissance de la <strong>langue</strong>du client et la compréhension du consommateur étranger ont été remplacéespar un outil réducteur, <strong>le</strong> globish. Nous sommes donc face <strong>à</strong>des problèmes de récepteur et d'émetteur qui engendrent un proces-


sus de destruction de va<strong>le</strong>ur. La <strong>langue</strong> des affaires est utilisée defaçon simplificatrice ; c'est <strong>pour</strong>quoi el<strong>le</strong> devient <strong>une</strong> <strong>langue</strong> totalitairequi élimine la diversité. La globalisation nous incite <strong>à</strong> croire que la<strong>langue</strong> anglaise menace la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e, mais il s'agit d'<strong>une</strong> erreurde jugement. En effet, <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> problème vient de la <strong>langue</strong> desaffaires qui appauvrit aussi bien <strong>le</strong> <strong>français</strong> que l'anglais. Pour résoudrece problème, nous devons apprendre <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s étrangères et doncl'anglais afin d'éviter de par<strong>le</strong>r l'anglais des affaires, <strong>le</strong> globish.121> Ce sont <strong>le</strong>s Américains qui ont inventé <strong>le</strong>s technologies de l'information,ce qui explique <strong>pour</strong>quoi <strong>le</strong>s noms des logiciels (Word,Powerpoint, etc.) s'utilisent spontanément en anglais. Lorsque je travaillaischez Renault, nous étions dotés d'un centre de services multilinguequi apportait des informations aux collaborateurs dans <strong>le</strong>ur<strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong>. Je préconise donc l'usage du multilinguisme <strong>pour</strong>résoudre <strong>le</strong>s problèmes d'utilisation de la <strong>langue</strong> et créer de la va<strong>le</strong>ur !Les technologies de l'information ne sont pas appauvrissantes en soi.En effet, nous pouvons d'ores et déj<strong>à</strong> constater <strong>une</strong> grande diversitédes sites internet, tels que l'encyclopédie en ligne Wikipédia qui sedécline dans <strong>une</strong> centaine de <strong>langue</strong>s. Chacun doit faire <strong>le</strong> choix derechercher cette diversité.> La <strong>langue</strong> peut être considérée comme un outil de pouvoir. Parconséquent, <strong>une</strong> <strong>langue</strong> réductrice qui limite la diversité va éga<strong>le</strong>ment<strong>à</strong> l'encontre du libre arbitre dans la <strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong>. Dans ce contexte,certaines personnes utilisent <strong>le</strong> globish dans <strong>le</strong> monde des affaires<strong>pour</strong> faire du « deal », mais conçoivent et créent dans <strong>le</strong>ur <strong>langue</strong>maternel<strong>le</strong> qui permet de développer l'intelligence et la subtilité de lapensée.Pour conclure, je voudrais partager avec vous l'<strong>une</strong> de mes expériencesprofessionnel<strong>le</strong>s. Lorsque j'étais directeur des systèmes d'informationschez Renault, je me suis trouvé en contact avec mon homologuejaponais chez Nissan. Or, aucun de nous ne parlait la <strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong>de l'autre, mais nous essayions <strong>pour</strong>tant de nous comprendre, sanssuccès. En effet, un Japonais peine <strong>à</strong> penser de façon systémique


tandis qu'un Français échappe au réalisme pragmatique en lui préférantla spéculation intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>. Dans cette situation, l'anglais nous aservi d'outil pratique <strong>pour</strong> résoudre des problèmes. En revanche, lorsde rencontres dans nos pays d'origine respectifs, nous prenionschacun un grand plaisir <strong>à</strong> partager la culture de l'autre. On peut parfaitementjouer d'un rapport dia<strong>le</strong>ctique entre <strong>le</strong> monde du réalisme pragmatiquedans <strong>le</strong>quel on utilise <strong>une</strong> <strong>langue</strong> comm<strong>une</strong>. En revanche, <strong>pour</strong>exprimer <strong>le</strong>s subtilités d'<strong>une</strong> pensée, on doit recourir <strong>à</strong> sa propre<strong>langue</strong>.Jean-François POLOM. Cuisiniez va maintenant nous présenter la meil<strong>le</strong>ure manière defaire respecter dans <strong>l'entreprise</strong> <strong>le</strong> cadre légal qui s'applique <strong>à</strong> l'utilisationde la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e.Jean-Loup CUISINIEZEn tant que délégué du personnel, je me trouve confronté <strong>à</strong> <strong>une</strong> réalitéde plus en plus inquiétante concernant <strong>le</strong>s conditions de travail et <strong>le</strong>bien-être en entreprise. L'utilisation de la <strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong> en Franceest conditionnée par l'existence d'un espace francophone tandis quel'apprentissage d'autres <strong>langue</strong>s n'est quant <strong>à</strong> lui envisageab<strong>le</strong> que si<strong>le</strong>s entreprises donnent <strong>le</strong>s moyens <strong>à</strong> <strong>le</strong>urs salariés de bénéficier d'<strong>une</strong>formation.122Pour accéder au droit <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e en entreprise, il faut souventen passer par des procès, ce qui permet de faire évoluer lajurisprudence. Bien que <strong>l'entreprise</strong> ait plutôt intérêt <strong>à</strong> obtenir desavancées par <strong>le</strong> dialogue, cette solution implique un manque de médiatisation.À l'inverse, lorsqu'un procès a lieu, la presse relate <strong>le</strong>s faits et<strong>le</strong>s cabinets anglo-saxons commencent ainsi <strong>à</strong> s'intéresser <strong>à</strong> ce qui sepasse dans <strong>le</strong>s entreprises en France.Dans <strong>le</strong> cadre de son travail, un salarié a <strong>le</strong> droit de comprendre et dese faire comprendre par un collègue. Qui plus est, certaines incompréhensionspeuvent entraîner <strong>une</strong> faute qui conduira ensuite <strong>à</strong> la recherched'un responsab<strong>le</strong> et <strong>à</strong> sa sanction. Les événements qui ont eu lieu


123<strong>à</strong> l'hôpital d'Épinal marquent un tournant de ce point de vue. Cetteaffaire a impliqué des radiologues utilisant des logiciels de radiothérapieen anglais. Ceux-ci ont appliqué des instructions qu'ils pensaient <strong>à</strong>tort avoir comprises. Or, <strong>le</strong>urs erreurs ont affecté 4 500 victimes, dont5 sont mortes. Parmi <strong>le</strong>s 32 mesures prises suite <strong>à</strong> cet accident,Mme Roselyne Bachelot a pris acte de la défense du <strong>français</strong> et de lavérification des outils de travail afin que ceux-ci soient normés en<strong>langue</strong> <strong>français</strong>e. Cependant, je déplore qu'en France, <strong>le</strong> ministère dela Santé ne se décide enfin <strong>à</strong> réagir que lorsque de tel<strong>le</strong>s dérives causentdes victimes. De plus, j'ai été choqué de constater que deux organisationssyndica<strong>le</strong>s représentées <strong>à</strong> l'hôpital d'Épinal n'étaient pas aucourant du dispositif législatif. Pire, en 1989, <strong>le</strong>s personnes qui réclamaient<strong>le</strong> droit au <strong>français</strong> étaient considérées comme ridicu<strong>le</strong>s, voirefascistes. En 2007, suite <strong>à</strong> l'affaire de l'hôpital Épinal, nous assistonsheureusement <strong>à</strong> <strong>une</strong> prise de conscience du monde syndical. C'est<strong>pour</strong>quoi, de notre côté, nous incitons <strong>à</strong> la résistance linguistique dans<strong>le</strong>s entreprises. Les délégués du personnel ont notamment un rô<strong>le</strong>important <strong>à</strong> jouer dans la défense du droit <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e.Je souhaite m'appuyer sur deux exemp<strong>le</strong>s concrets, tirés de <strong>l'entreprise</strong>où je travail<strong>le</strong> : Axa Assistance. Tout d'abord, nous avons obtenu,par <strong>le</strong> dialogue, la mise en place d'<strong>une</strong> commission de terminologie quipermettra, <strong>à</strong> mon sens, de résoudre des conflits. En ce qui concernel'usage des autres <strong>langue</strong>s, je tiens <strong>à</strong> souligner qu'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> n'est pasen compétition avec <strong>une</strong> autre. Au contraire, l'acquisition de compétenceslinguistiques constitue un élément positif.J'estime par ail<strong>le</strong>urs que l'exclusion socia<strong>le</strong> débute par l'exclusion linguistique.C'est <strong>pour</strong>quoi, en tant que citoyen européen, j'ai tout intérêt<strong>à</strong> connaître la <strong>langue</strong> des autres. Cependant, la possibilité d'apprendredes <strong>langue</strong>s n'est pas accessib<strong>le</strong> <strong>à</strong> tous. Par exemp<strong>le</strong>, je considèreque mon boucher, qui vit dans mon quartier de Chartres, n'a nul<strong>le</strong>mentbesoin de par<strong>le</strong>r l'anglais. Néanmoins, <strong>à</strong> l'heure actuel<strong>le</strong>, rien nepermet d'affirmer que ce je<strong>une</strong> apprenti n'aura pas, au cours des prochainesannées, <strong>à</strong> apprendre l'anglais.


Pour en revenir aux pratiques en cours chez Axa, nous permettons auxsalariés qui rencontreraient des problèmes de compréhension sur unmot, d'en faire part <strong>à</strong> notre commission de terminologie. Cel<strong>le</strong>-ci seréunit régulièrement <strong>pour</strong> étudier la pertinence de certains termes utilisésau sein de <strong>l'entreprise</strong>. En septembre, la commission a par exemp<strong>le</strong>étudié la notion de « coût <strong>à</strong> bas tarif » qui paraissait inadéquate eta été transformée en « <strong>à</strong> bas coût » (traduction de « low cost »). Unautre mot en <strong>langue</strong> anglaise, du fait de son utilisation depuis plus de25 ans par <strong>le</strong>s salariés de <strong>l'entreprise</strong>, a quant <strong>à</strong> lui été accepté commefaisant partie du jargon d'Axa Assistance. La commission de terminologiepermet donc de garantir que <strong>le</strong>s mots utilisés sont bien comprispar tous, ce qui rassure <strong>le</strong>s salariés.Le deuxième exemp<strong>le</strong> que je vais évoquer concerne la branche assistanced'Axa. Dans <strong>le</strong> contexte de l'application de la loi Toubon, nousavons proposé la négociation d'un accord au niveau de la conventioncol<strong>le</strong>ctive nationa<strong>le</strong>. Cet accord engage <strong>l'entreprise</strong> <strong>à</strong> mettre <strong>à</strong> dispositiondes salariés et en <strong>français</strong> tout document, notice, logiciel, ainsique tout support matériel ou immatériel relatif <strong>à</strong> <strong>le</strong>ur environnement.Cet engagement s'inscrit dans <strong>le</strong> cadre des conditions de travail et desécurité et décou<strong>le</strong> de l'application du code du travail. J'ajoute quecette proposition a reçu l'accord de toutes <strong>le</strong>s organisations syndica<strong>le</strong>s.Cependant, nous devrons continuer <strong>à</strong> nous battre, car la résistancese fait par des actes.124Il me paraît inadmissib<strong>le</strong> que lorsque l'on achète un bil<strong>le</strong>t d'avion audépart de Montpellier et <strong>à</strong> destination de Paris, donc sur <strong>le</strong> territoirenational, <strong>le</strong> coupon de vol d'Air France soit libellé en <strong>langue</strong> anglaise.Par ail<strong>le</strong>urs, un pilote <strong>français</strong> qui s'apprête <strong>à</strong> changer d'avion doit pouvoirconsulter dans sa <strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong> la documentation concernant<strong>le</strong>s outils de sécurité de l'appareil. Même si ce pilote possède des compétencesavérées en anglais, il s'agit d'<strong>une</strong> fatigue supplémentaire delire un document dans <strong>une</strong> <strong>langue</strong> autre que sa <strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong>.La pérennité de l'utilisation du <strong>français</strong> dans l'espace francophone se


trouve bel et bien entre <strong>le</strong>s mains des organisations syndica<strong>le</strong>s. Si nousn'exerçons pas de résistance, notre <strong>langue</strong> se trouvera marginalisée.À cet égard, je conclurai en évoquant <strong>le</strong> dernier acte de résistance quenous avons accompli dans <strong>le</strong> cadre d'un organisme paritaire de gestionde fonds destinés <strong>à</strong> la formation. Nous devions examiner deux dossiersde subvention déposés par un employeur afin d'obtenir <strong>le</strong> financementd'<strong>une</strong> formation. En constatant qu'<strong>une</strong> des formations était libellée enanglais, nous nous sommes opposés <strong>à</strong> la <strong>le</strong>vée des fonds.Le monde des affaires peut utiliser la <strong>langue</strong> de son choix. Cependant,si on considère par exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong>s entreprises de construction en France,dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>nt généra<strong>le</strong>ment des immigrés dont la <strong>langue</strong>maternel<strong>le</strong> est l'arabe, <strong>le</strong> portugais, etc., nous pouvons constater quel'anglais ne tient pas sa place. Le plurilinguisme doit s'affirmer par lapossibilité de transmettre <strong>à</strong> ces travail<strong>le</strong>urs des documents dans <strong>le</strong>ur<strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong>.125Pour finir, je soulignerai que plus nous intenterons de procès dans cedomaine, plus <strong>le</strong> monde politique œuvrera dans <strong>le</strong> sens d'<strong>une</strong> préservationde la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e.Jean-François POLOJe reviens sur un thème que vous avez abordé. Vous avez fait remarquerque l'exclusion socia<strong>le</strong> commence par l'exclusion linguistique. Jedemande aux autres intervenants de s'exprimer sur ce thème de lafonction socia<strong>le</strong> de la <strong>langue</strong> dans <strong>l'entreprise</strong> ainsi que sur <strong>le</strong>s risquesde « fracture socia<strong>le</strong> ».Jean-Pierre CORNIOUJe pense qu'il faut apprendre des <strong>langue</strong>s étrangères. À mon sens, l'exclusionsocia<strong>le</strong> provient non pas directement de l'exclusion linguistique,mais plutôt de l'inadaptation du système scolaire <strong>à</strong> faire apprendre<strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s. Par ail<strong>le</strong>urs, j'estime que <strong>le</strong>s Français par<strong>le</strong>ront d'autantmieux <strong>le</strong>ur propre <strong>langue</strong> qu'ils par<strong>le</strong>ront éga<strong>le</strong>ment l'anglais etd'autres <strong>langue</strong>s. Pour lutter contre l'exclusion socia<strong>le</strong>, il faut augmen-


ter <strong>le</strong> niveau culturel général.Bertrand MOINEAULa vigilance doit être de rigueur lorsqu'on considère <strong>le</strong> domaine de laconsommation et l'utilisation d'un produit. En effet, <strong>le</strong> consommateurpossède un droit d'accès <strong>à</strong> sa <strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong>, plus particulièrementlorsque <strong>le</strong>s produits peuvent être dangereux.En ce qui concerne <strong>le</strong>s discours qui peuvent se tenir en entreprise, <strong>le</strong>ssalariés n'ont pas nécessairement accès <strong>à</strong> l'intégralité des informationsquand <strong>une</strong> direction d'entreprise s'exprime dans <strong>une</strong> <strong>langue</strong>étrangère. Si des besoins d'utilisation d'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère existent,il revient <strong>à</strong> <strong>l'entreprise</strong>, <strong>à</strong> la personne mora<strong>le</strong> en question, d'assurerl'accès <strong>à</strong> <strong>une</strong> formation.Jane KASSISL'anglais est communément reconnu comme <strong>une</strong> <strong>langue</strong> faci<strong>le</strong> <strong>à</strong>apprendre, ce qui constitue <strong>pour</strong>tant <strong>une</strong> idée fausse. Ce que nousappelons la <strong>langue</strong> des affaires ne correspond en réalité qu'<strong>à</strong> unnombre restreint d'expressions prêtes <strong>à</strong> l'emploi que nous retrouvonsdans des manuels tels que « Comment faire des affaires en anglais ? ».Dans ces conditions, n'importe qui peut s'approprier l'anglais et l'utiliser<strong>à</strong> sa façon.126Par ail<strong>le</strong>urs, je constate que <strong>le</strong>s Français n'osent pas penser en anglais.En effet, en France, certains préjugés, fondés sur l'héritage d'<strong>une</strong>façon d'enseigner, prédisposent <strong>le</strong>s individus <strong>à</strong> viser la perfection. Ainsinaît <strong>une</strong> angoisse <strong>à</strong> l'idée d'utiliser <strong>une</strong> <strong>langue</strong> dont la maîtrise seraautomatiquement inférieure <strong>à</strong> cel<strong>le</strong> des natifs. Par exemp<strong>le</strong>, je rencontresouvent des étudiants qui se demandent s'ils peuvent utiliser <strong>une</strong>expression en anglais (« Est-ce que cela se dit en anglais ? »). Pour mapart, je pense qu'il faut oser s'exprimer, car c'est la seu<strong>le</strong> façon de seconfronter <strong>à</strong> la réaction des anglophones et de vérifier ainsi si <strong>une</strong>expression est compréhensib<strong>le</strong> ou non.Le problème des anglophones qui ne par<strong>le</strong>nt pas d'autres <strong>langue</strong>s est


souvent mentionné. Cependant, on peut considérer que <strong>le</strong>s anglophonessont bilingues dans la mesure où ils par<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>ur anglais natal etl'anglais international, l'utilisation de cette seconde <strong>langue</strong> nécessitant<strong>une</strong> certaine capacité d'adaptation de <strong>le</strong>ur part.Jean-François POLOQuel<strong>le</strong> est la teneur de la politique linguistique menée par <strong>le</strong>s entreprises? En particulier, quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s mesures prises dans <strong>le</strong> cadre dudroit d'utilisation de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e ou bien s'agissant du droit dese former aux <strong>langue</strong>s étrangères ?127Jean-Loup CUISINIEZJe voudrais d'abord répondre <strong>à</strong> M. Corniou. Je pense que je me suismal fait comprendre, car je ne suis pas opposé <strong>à</strong> l'apprentissage des<strong>langue</strong>s ni <strong>à</strong> <strong>une</strong> politique linguistique en faveur de la formation <strong>à</strong> l'anglaisdans <strong>le</strong>s entreprises. Je considère simp<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong> plurilinguismene peut être <strong>une</strong> fin en soi. Il faut ménager un espace francophoneen entreprise et veil<strong>le</strong>r <strong>à</strong> ce que l'anglais ne soit pas systématiquementimposé quand son utilisation est inuti<strong>le</strong>. Les francophones vont êtremenacés si <strong>le</strong> <strong>français</strong> n'est plus utilisé dans <strong>l'entreprise</strong>.Les politiques linguistiques des entreprises tendent vers <strong>une</strong> batail<strong>le</strong>permanente <strong>pour</strong> accéder <strong>à</strong> des formations en anglais. Les entreprisesdoivent assumer <strong>le</strong>s conséquences de cette orientation et donner <strong>à</strong><strong>le</strong>urs salariés <strong>le</strong> droit d'accéder <strong>à</strong> de tel<strong>le</strong>s formations. Si <strong>une</strong> entrepriseimpose l'utilisation de la <strong>langue</strong> anglaise, el<strong>le</strong> a la responsabilité definancer cette formation. Par ail<strong>le</strong>urs, je considère que, dans la mesureoù ils imposent l'usage de <strong>le</strong>ur <strong>langue</strong>, <strong>le</strong> Commonwealth et <strong>le</strong>s États-Unis devraient éga<strong>le</strong>ment offrir <strong>une</strong> contribution financière <strong>pour</strong> permettreun accès plus large <strong>à</strong> des formations <strong>à</strong> l'anglais.Jean-François POLOJ'ai été frappé par <strong>le</strong>s résultats d'<strong>une</strong> enquête réalisée dans <strong>le</strong>s entreprises<strong>français</strong>es, qui montre que parmi <strong>le</strong> quart des salariés utilisant<strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère dans <strong>le</strong> cadre de <strong>le</strong>ur activité professionnel<strong>le</strong>,


20 % d'entre eux se sentent malheureux d'utiliser des références linguistiquesqui ne sont pas <strong>le</strong>s <strong>le</strong>urs.Jean-Pierre CORNIOULes problèmes liés <strong>à</strong> l'usage d'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère se cumu<strong>le</strong>nt généra<strong>le</strong>ment<strong>à</strong> de nombreuses autres sources de stress. Certains salariésont <strong>le</strong> sentiment que <strong>le</strong>ur manque de compétences linguistiques <strong>le</strong>urinterdit de progresser dans <strong>le</strong>ur carrière, ce qui crée <strong>une</strong> source de tensions.Au vu de ces circonstances particulières, il me paraît regrettab<strong>le</strong>que l'apprentissage d'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> ne soit pas un acte libérateur, surtoutsi l'on considère <strong>à</strong> quel point l'acquisition de compétences linguistiquesreprésente <strong>une</strong> tâche diffici<strong>le</strong>.Pour ma part, je travail<strong>le</strong> dans <strong>une</strong> entreprise certes anglo-américaine,mais cel<strong>le</strong>-ci a veillé <strong>à</strong> ce que tous ses sites intranet en France soienten <strong>français</strong>. Je pratique <strong>à</strong> la fois l'anglais <strong>pour</strong> m'exprimer avec mescollègues et <strong>le</strong> <strong>français</strong> dans mes contacts avec mes clients. De plus,<strong>le</strong> fait de pratiquer plusieurs <strong>langue</strong>s me semb<strong>le</strong> un exercice intel<strong>le</strong>ctuelintéressant. L'utilisation de l'anglais lors du partenariat de Renaultavec Nissan nous a permis d'accéder <strong>à</strong> des informations particulièrementuti<strong>le</strong>s. Lorsque prime <strong>une</strong> logique de respect entre <strong>le</strong>s interlocuteurs,aucun n'occupera <strong>une</strong> position dominante vis-<strong>à</strong>-vis de l'autre.128D'ail<strong>le</strong>urs, l'équilibre fondé sur <strong>le</strong> respect tel qu'il se pratique en Suisseest un exemp<strong>le</strong> <strong>à</strong> suivre. En effet, <strong>le</strong> fait de par<strong>le</strong>r dans sa propre <strong>langue</strong>tout en comprenant la <strong>langue</strong> de l'autre crée <strong>une</strong> relation de respect etun espace col<strong>le</strong>ctif constructif. Cette méthode permet d'éviter unécueil vers <strong>le</strong>quel nous tendons aujourd'hui, c'est-<strong>à</strong>-dire <strong>une</strong> utilisationmédiocre de l'anglais dans <strong>le</strong>s entreprises qui risque de détruire <strong>le</strong> goûtdes gens <strong>à</strong> par<strong>le</strong>r des <strong>langue</strong>s étrangères, <strong>à</strong> quoi s'ajoute <strong>une</strong> perte desens. L'entreprise doit pouvoir construire des référentiels communs.Jane KASSISJe souhaite aborder <strong>le</strong> thème des anglophones monolingues qui travail<strong>le</strong>ntdans des milieux internationaux. Nous pouvons remarquer quedans des rapports informels de convivialité, <strong>le</strong>s anglophones se sentent


mal <strong>à</strong> l'aise et éprouvent <strong>une</strong> gêne au niveau intel<strong>le</strong>ctuel. Sur la basede ce constat, des solutions existent, mais malheureusement, l'enseignementdes <strong>langue</strong>s se fait de moins en moins obligatoire.Bertrand MOINEAUEn entreprise, la notion de menace est parfois volontaire, mais souvent,el<strong>le</strong> s'impose d'el<strong>le</strong>-même. En parallè<strong>le</strong> de ce mouvement, onobserve <strong>une</strong> part de snobisme de la part de certains, ce qui contribue<strong>à</strong> renforcer la menace. En effet, je constate qu'<strong>une</strong> partie de la populationadopte vis-<strong>à</strong>-vis de l'utilisation de la <strong>langue</strong> anglaise <strong>une</strong> attitudemarquée par <strong>une</strong> certaine affectation et un certain nombre de nondits.129Jean-Loup CUISINIEZLe bien-être au travail repose sur <strong>le</strong> sentiment d'avoir bien compris. Lemonde de <strong>l'entreprise</strong> peut être assimilé <strong>à</strong> un monde d'exclusion dans<strong>le</strong>quel la question linguistique nécessite <strong>une</strong> prise de conscience sur <strong>le</strong>besoin d'accès <strong>à</strong> la formation.Par nature, l'homme est paresseux. C'est <strong>pour</strong>quoi, dès lors qu'il peutse faire comprendre en anglais dans n'importe quel pays, il n'auraauc<strong>une</strong> motivation <strong>à</strong> apprendre d'autres <strong>langue</strong>s.Les syndicalistes s'appuient sur des textes juridiques. Cependant,quel<strong>le</strong> attitude <strong>le</strong>s pouvoirs politiques adopteront-ils quand ces textesseront abrogés ? Dans un document que j'ai apporté, M. BernardKouchner explique que « la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e n'est pas indispensab<strong>le</strong> » etque « l'anglais est l'avenir de la France ». Ce qui m'inquiète dans cegenre de propos, c'est que certains vont réel<strong>le</strong>ment y croire !La diffusion du globish peut aboutir, quant <strong>à</strong> el<strong>le</strong>, <strong>à</strong> un scénario catastrophiquedans <strong>le</strong>quel seul subsisteraient quelques « dia<strong>le</strong>ctes » dont <strong>le</strong><strong>français</strong>, l'al<strong>le</strong>mand et même l'anglais littéraire feraient partie.Une enseignante en Seine-Saint-Denis, confrontée quotidiennement <strong>à</strong>l'il<strong>le</strong>ttrisme, souligne que la <strong>langue</strong> n'est pas uniquement utiliséecomme un outil d'échanges et de communication. El<strong>le</strong> possède


« quelque chose en plus », qui appartient <strong>à</strong> l'homme. Cette vision meparaît particulièrement intéressante. J'ajouterai <strong>pour</strong> finir que c'est parla vio<strong>le</strong>nce qu'on s'exprime lorsqu'on ne sait pas utiliser correctement<strong>une</strong> <strong>langue</strong>.Jean-François POLOL'utilisation de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e dans <strong>l'entreprise</strong> est de plus en plussouvent évoquée : en effet, nous assistons <strong>à</strong> de plus en plus de débatssur ce thème. Doit-on considérer ce phénomène comme un dernierbaroud d'honneur ou s'agit-il du début d'<strong>une</strong> ère nouvel<strong>le</strong> liée <strong>à</strong> <strong>une</strong>véritab<strong>le</strong> prise de conscience ?Jean-Pierre CORNIOUNous assistons <strong>à</strong> deux mouvements parallè<strong>le</strong>s, d'<strong>une</strong> part <strong>le</strong> globish etd'autre part la régénérescence des <strong>langue</strong>s.Jane KASSISDepuis quelques années, dans <strong>le</strong>s travaux d'études, nous trouvons deplus en plus de réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s dans <strong>l'entreprise</strong>. Il s'agitd'un sujet comp<strong>le</strong>xe qui soulève un réel intérêt de la part des chercheurs.130Bertrand MOINEAUJe suis plutôt optimiste, car je pense que <strong>le</strong> sujet de l'utilisation de la<strong>langue</strong> <strong>français</strong>e dans <strong>l'entreprise</strong> s'affirme progressivement. Il nes'agit pas seu<strong>le</strong>ment d'<strong>une</strong> lutte entre <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s.Jean-François POLOJe vais maintenant demander au public de prendre la paro<strong>le</strong>.Martine LAMONIERJe souhaite faire <strong>une</strong> remarque sur <strong>le</strong>s problèmes de terrain que j'observe<strong>à</strong> mes fonctions d'élue CGT chez Alcatel. J'ai entendu par<strong>le</strong>r d'unsalarié de <strong>l'entreprise</strong> Renault qui s'est suicidé, notamment par peur dene pas être <strong>à</strong> la hauteur. Il me semb<strong>le</strong> qu'<strong>une</strong> véritab<strong>le</strong> discrimination


s'exerce <strong>à</strong> l'encontre des personnes qui ne par<strong>le</strong>nt pas ou comprennentmal l'anglais. Lorsque certains mots <strong>le</strong>ur sont inconnus, <strong>le</strong>s salariésn'osent pas dire qu'ils n'ont pas compris.Dans notre entreprise par exemp<strong>le</strong>, notre PDG refuse d'apprendre <strong>le</strong><strong>français</strong>. Nous sommes par ail<strong>le</strong>urs confrontés <strong>à</strong> des licenciements<strong>pour</strong> <strong>le</strong>squels <strong>le</strong>s rapports sont rédigés en anglais. Les informations necircu<strong>le</strong>nt plus qu'en anglais. C'est <strong>pour</strong>quoi je souhaite dire ici que l'anglaisconstitue un danger et pas uniquement <strong>une</strong> menace. Les salariéssont révoltés et ils souhaitent voir <strong>le</strong>s pouvoirs politiques prendre desmesures <strong>pour</strong> préserver la place du <strong>français</strong> dans <strong>le</strong>s entreprises.131De la sal<strong>le</strong>Je travail<strong>le</strong> dans <strong>une</strong> multinationa<strong>le</strong> que j'ai intégrée avec l'objectifd'apprendre <strong>à</strong> par<strong>le</strong>r l'anglais. Je constate, comme cela a été mentionnéau cours du débat, la généralisation de la diffusion du globish. Deplus, ayant vécu de nombreuses années <strong>à</strong> l'étranger, j'ai été frappé <strong>à</strong>mon retour par <strong>le</strong> manque de respect de la loi en France. Or, <strong>le</strong> combatne <strong>pour</strong>ra avancer que si la loi est respectée.Jean-Marie KLINKENBERGJe souhaite intervenir en tant que linguiste et même sociolinguiste,<strong>pour</strong> rectifier certains des propos qui ont été tenus. En effet, ce quel'on appel<strong>le</strong> « la <strong>langue</strong> du client » n’est pas <strong>une</strong> chose simp<strong>le</strong>. Sonusage obéit <strong>à</strong> un principe fort : ceux qui produisent ne sont intéresséspar la <strong>langue</strong> du client que dans la mesure où celui-ci possède <strong>une</strong>force d'achat suffisante. C'est ainsi que certaines <strong>langue</strong>s s'imposentpar un rapport de forces.Pour lutter contre ces pouvoirs, <strong>le</strong> seul moyen passe par la mise enplace de contre-pouvoirs. Or, dans <strong>une</strong> économie de la dérégulation quiest la nôtre, la régulation représente <strong>le</strong> seul contre-pouvoir existant.François GRINJ'appartiens <strong>à</strong> la délégation de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e de la Suisse, mais jevais intervenir en tant que professeur d'économie <strong>à</strong> l'université deGenève.


Je souhaite clarifier certains points concernant <strong>le</strong> globish qui constitue<strong>à</strong> mon avis <strong>une</strong> invention médiatique. Je suis <strong>le</strong> vice-coordinateur d'unprojet européen qui s'intéresse <strong>à</strong> la question des <strong>langue</strong>s et un de nossous-projets porte sur <strong>une</strong> certaine forme syntaxique qui émerge dansl'usage différent de l'anglais. En effet, certains usages particuliersde l'anglais correspondent <strong>à</strong> un contexte international dans <strong>le</strong>quel<strong>le</strong>s interlocuteurs ne sont pas de <strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong> anglaise. La notionde <strong>langue</strong> tierce me paraît inadéquate dans la mesure où cel<strong>le</strong>-ci nerevêt auc<strong>une</strong> importance, que ce soit au niveau économique ou auniveau sociolinguistique. La norme anglaise provient du simp<strong>le</strong> fait que<strong>le</strong> monde compte 380 millions de locuteurs de <strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong>anglaise.Ainsi, <strong>le</strong> globish ne modifie pas fondamenta<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>s enjeuxde pouvoir. La confusion qui règne autour du globish ne sert pas <strong>le</strong>sintérêts de la <strong>langue</strong>.Jean-Pierre CORNIOUSi l'anglais possède <strong>une</strong> tel<strong>le</strong> prééminence dans <strong>le</strong> monde, c'est parceque <strong>le</strong> pouvoir sociotechnique des États-Unis a succédé au pouvoir dela Grande-Bretagne <strong>à</strong> la fin du XIX e sièc<strong>le</strong>. En effet, <strong>le</strong>s Américains ontinventé <strong>le</strong>s technologies de l'information qui se sont propagées dans <strong>le</strong>monde sous l'impulsion des États-Unis avec la création d'IBM en 1923.Depuis, aucun autre pays n'a réussi <strong>à</strong> reprendre <strong>le</strong> pouvoir sur <strong>le</strong> plandes technologies de l'information. La situation est sensib<strong>le</strong>ment similaireen ce qui concerne <strong>le</strong>s grandes compagnies pétrolières. Le pouvoirtechnique et économique précède ainsi <strong>le</strong> pouvoir de la <strong>langue</strong>anglaise.132Nous pouvons donc constater qu'un revers historique s'est produit aucours duquel la France a perdu son rang, de la même manière que <strong>le</strong>sÉtats-Unis vont probab<strong>le</strong>ment céder <strong>le</strong>ur place au milieu du XXI e sièc<strong>le</strong>.À l'heure actuel<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s contacts avec <strong>le</strong>s pays extérieurs se font de plusen plus faci<strong>le</strong>ment, ce qui constitue un progrès important. Néanmoins,il ne faut pas oublier que la <strong>langue</strong> est éga<strong>le</strong>ment un outil de dominationmilitaire, même si cet aspect a perdu en partie de sa pertinence.


Christian TREMBLAYJe souhaite poser <strong>une</strong> question <strong>à</strong> M. Cuisiniez. Je reconnais qu'unprocès, par <strong>le</strong> jugement qui s'ensuit, constitue un moyen d'action trèsperformant, <strong>à</strong> condition toutefois de <strong>le</strong> gagner. Or, je m'interroge sur lacompatibilité de la loi Toubon avec la rég<strong>le</strong>mentation européenne. Jepense en particulier <strong>à</strong> <strong>une</strong> mise en demeure de la Commission européenneintervenue en 2001-2002 sur des questions d'étiquetage.Cette mise en demeure se référait néanmoins <strong>à</strong> <strong>une</strong> directive européennequi a été abrogée entre-temps. Dans ce contexte, il me paraîtimportant de vérifier ces questions de compatibilité <strong>pour</strong> s'assurer quelorsqu'on arrive devant la Cour, tous <strong>le</strong>s jugements précédents neseront pas annulés.133Jean-Loup CUISINIEZÀ ma connaissance, <strong>le</strong>s questions de l'étiquetage se rapportent <strong>à</strong> l'artic<strong>le</strong>16, alinéa 2, selon <strong>le</strong>quel tout produit doit être commercialisédans <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s, c'est-<strong>à</strong>-dire que <strong>le</strong>s mentions qu'il porte doivent figurerdans <strong>une</strong> ou plusieurs des <strong>langue</strong>s officiel<strong>le</strong>s de l'Union européenne.Sachant que la Communauté compte 23 <strong>langue</strong>s officiel<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>problème se pose lorsque <strong>le</strong>s mentions d'étiquetage n'existent quedans <strong>une</strong> <strong>langue</strong>. Une directive datant de 1974 mentionne, quant <strong>à</strong> el<strong>le</strong>,la <strong>langue</strong> la plus faci<strong>le</strong>ment compréhensib<strong>le</strong> par <strong>le</strong> plus grand nombrede personnes. On assiste par ail<strong>le</strong>urs <strong>à</strong> <strong>une</strong> volonté de la part desemployeurs de réduire <strong>le</strong>s coûts de traduction. Dans ce contexte, encas de procès, si la Cour européenne de justice est saisie, el<strong>le</strong> <strong>pour</strong>ras'appuyer sur l'artic<strong>le</strong> 2 et nous ne <strong>pour</strong>rons pas donner de suite.Jean-Pierre LAMONIERJe souhaite apporter un témoignage personnel sur <strong>le</strong>s conséquencesde l'utilisation de l'anglais dans <strong>l'entreprise</strong>. Selon l'abbé Lacordaire,« la liberté opprime, la loi affranchit ». Vous avez parlé de scienceshumaines ainsi que du respect de l'autre. Or, selon moi, <strong>le</strong> respect del'autre en entreprise exige que <strong>le</strong>s dirigeants par<strong>le</strong>nt la <strong>langue</strong> des salariés.De plus, je constate que par <strong>le</strong> passé, nous savions utiliser <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>sétrangères lorsqu'il s'agissait de faire des affaires. À l'heure


actuel<strong>le</strong>, <strong>pour</strong> citer un exemp<strong>le</strong>, l'utilisation de logiciels en anglais enFrance me semb<strong>le</strong> incohérente. De plus, <strong>le</strong> globish est inadapté quandnous traitons avec des compagnies juridiques internationa<strong>le</strong>s, car ils'agit d'un langage qui ne possède pas de culture.J'observe de manière généra<strong>le</strong> <strong>une</strong> moindre maîtrise de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>een entreprise. Même <strong>le</strong>s responsab<strong>le</strong>s de service ne savent plusformu<strong>le</strong>r de phrase en <strong>français</strong> correct sans y inclure des mots ou desexpressions en anglais ou en globish. Face <strong>à</strong> cette situation qui sedégrade, je me dois d'intervenir en tant qu'élu au CE <strong>pour</strong> rappe<strong>le</strong>r auxresponsab<strong>le</strong>s de <strong>l'entreprise</strong> <strong>le</strong> processus d'acculturation qui est ainsien cours.Jane KASSISL'intervention de M me Lamonier m'a paru très intéressante dans lamesure où cel<strong>le</strong>-ci démontre <strong>le</strong>s risques liés au fait d'imposer l'anglaisaux employés. J'estime que <strong>pour</strong> apprendre <strong>une</strong> <strong>langue</strong>, un individu doitêtre mû par sa volonté propre et <strong>une</strong> envie réel<strong>le</strong>. L'apprentissaged'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> doit se faire par amour de la <strong>langue</strong> et non parce qu'ils'impose.134Martine LAMONIERÀ présent, <strong>le</strong>s données des salariés de notre entreprise sont exportéesaux États-Unis. Pour déposer un CV <strong>le</strong>s recherches ne peuvent se faireque par <strong>le</strong> biais d'un outil informatique qui ne fonctionne qu'en anglais,ce qui est inadmissib<strong>le</strong>.Jean-François POLOJe remercie <strong>le</strong>s intervenants de la tab<strong>le</strong> ronde ainsi que <strong>le</strong>s membresdu public <strong>pour</strong> <strong>le</strong>urs questions et interventions.


Quel<strong>le</strong>s stratégiesfrancophones ?Tab<strong>le</strong> rondeParticipent <strong>à</strong> la tab<strong>le</strong> ronde :Jacques Legendre, sénateur, secrétaire général de l'Assemblée par<strong>le</strong>mentairede la Francophonie, France.Conrad Ouellon, président du Conseil supérieur <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e,Québec.Jean-Marie Klinkenberg, Conseil de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e et de la politiquelinguistique, Communauté <strong>français</strong>e de Belgique.135François Grin, <strong>Délégation</strong> <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e, Suisse romande.René Leduc, conseil<strong>le</strong>r <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e et <strong>à</strong> la diversité culturel<strong>le</strong>du secrétaire général de l'OIF.La tab<strong>le</strong> ronde est animée par Yvan Amar, journaliste <strong>à</strong> RFI.Xavier NORTHAprès avoir dressé un état des lieux de l'utilisation de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>een entreprise et suite <strong>à</strong> l'analyse du dispositif légal et des pratiquesdes entreprises dans <strong>le</strong>s quatre pays représentés (France, Québec,Belgique et Suisse), cet après-midi sera consacré aux stratégies <strong>à</strong>mettre en œuvre. Nous procéderons par <strong>une</strong> tab<strong>le</strong> ronde, et j'invitedonc <strong>le</strong>s intervenants, responsab<strong>le</strong>s de la politique linguistique dans<strong>le</strong>s pays cités, <strong>à</strong> venir me rejoindre.Yvan AMARJe me suis penché avec intérêt et interrogation sur <strong>le</strong> titre de cettetab<strong>le</strong> ronde que l'on m'a demandé d'animer, car la question des stratégiesfrancophones peut revêtir deux sens. D'<strong>une</strong> part, il peut s'agir


des stratégies permettant aux entreprises <strong>français</strong>es de prospérer parl'usage de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e. D'autre part, <strong>le</strong>s stratégies peuvent renvoyeraux entreprises qui permettent <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e de se maintenir.Pour commencer, je donnerai la paro<strong>le</strong> <strong>à</strong> M. Legendre qui fait partie dela représentation nationa<strong>le</strong> <strong>français</strong>e et qui est l'un des maîtres d'œuvredes modifications proposées <strong>à</strong> la loi généra<strong>le</strong> sur la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e(la loi Toubon). Cette loi datant de 1994 a été votée avant <strong>le</strong> développementd'internet. C'est <strong>pour</strong>quoi certaines modifications ont éténécessaires afin que <strong>le</strong>s textes soient en accord avec la réalité de la viedes entreprises.Jacques LEGENDREDans un premier temps, je vous propose de dresser un rapide état deslieux des modifications de la loi. J'ai été <strong>le</strong> rapporteur de la loi préparéepar Jacques Toubon qui a été entourée de grandes polémiques auSénat. Nous l'avons soutenue <strong>à</strong> un moment où el<strong>le</strong> a été caricaturéecomme <strong>une</strong> chasse <strong>à</strong> l'anglicisme (qui aurait visé <strong>à</strong> remplacer parexemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> mot football par « bal<strong>le</strong> au pied »). C'est <strong>pour</strong>quoi il a fallulivrer <strong>une</strong> véritab<strong>le</strong> batail<strong>le</strong> <strong>pour</strong> déterminer <strong>le</strong>s conditions dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>sla <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e devait garder tout son rô<strong>le</strong> en France. La loi de1964 sur la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e n'avait pas provoqué <strong>le</strong>s mêmes réactionspassionnel<strong>le</strong>s puisqu'el<strong>le</strong> avait été votée <strong>à</strong> l'unanimité.136Nous avons donc été confrontés <strong>à</strong> un certain nombre de problématiques<strong>pour</strong> défendre <strong>le</strong> <strong>français</strong> dans des domaines dans <strong>le</strong>squels il semarginalisait progressivement, en partie <strong>à</strong> cause du développementd'internet.Avec la commercialisation de certains produits issus des technologiesde l'information, <strong>le</strong>s indications fournies en <strong>langue</strong>s étrangères peuventlaisser <strong>le</strong>s utilisateurs perp<strong>le</strong>xes. Dans ces conditions, la loiToubon avait <strong>pour</strong> objectif de permettre aux consommateurs <strong>français</strong>de bénéficier de modes d'emploi dans <strong>le</strong>ur <strong>langue</strong> maternel<strong>le</strong>.Un autre problème accompagnant l'utilisation de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e sesituait dans <strong>le</strong> monde des transports. En effet, <strong>pour</strong> citer un exemp<strong>le</strong>


tiré du domaine de l'aviation civi<strong>le</strong>, tout aéronef atterrissant ou décollanten France doit fournir des informations en <strong>français</strong> aux passagers.On part en effet du principe que des personnes <strong>français</strong>es se trouvent<strong>à</strong> bord de l'avion.137Il convenait éga<strong>le</strong>ment de déterminer qui contrô<strong>le</strong>rait l'application dela loi. Il nous a semblé judicieux de donner dans cette perspective unrô<strong>le</strong> plus important aux organismes de défense des consommateurs ouaux organismes défenseurs de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e <strong>pour</strong> qu'ils puissentse mobiliser. Les consommateurs ont <strong>le</strong> droit d'obtenir des informationssur <strong>le</strong>s produits qu'ils utilisent, au risque d'être confrontés <strong>à</strong> dessituations dramatiques comme en témoigne <strong>le</strong> cas de l'hôpital d'Épinaloù <strong>le</strong>s utilisateurs des appareils radiologiques n'ont pas compris certainesinstructions en anglais. En revanche, même si <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de ces organismespeut s'accroître, ils ne possèdent pas <strong>le</strong> pouvoir de verbaliser.Or, nous sommes confrontés <strong>à</strong> des entreprises qui se mettent délibérémenten infraction et refusent d'appliquer <strong>le</strong>s mesures en faveur del'utilisation de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e.Nous avons estimé que <strong>le</strong>s grandes entreprises de plus de 300 salariésdevaient diffuser des informations concernant <strong>le</strong>s orientations de <strong>le</strong>urpolitique linguistique afin que des débats soient suscités avec <strong>le</strong>s salariésau sein de <strong>l'entreprise</strong>. Cet aspect revêt <strong>une</strong> importance particulièredevant <strong>le</strong> constat de relations du travail dégradées du fait de cesproblématiques d'utilisation de la <strong>langue</strong>.La proposition de loi a fina<strong>le</strong>ment été adoptée par <strong>le</strong> Sénat <strong>à</strong> l'unanimitéil y a trois ans. Malgré cela, <strong>le</strong> texte n'a jamais été inscrit depuis auxdébats de l'Assemblée nationa<strong>le</strong>. Le ministre en charge s'est toutefoisengagé <strong>à</strong> ce que cela soit fait prochainement.La loi constitue <strong>une</strong> première étape de la mobilisation que nous devonsopérer afin de résoudre <strong>le</strong>s problèmes de la francophonie dans <strong>le</strong>sentreprises. Cependant, ses résultats ne seront probants que si cetteloi est effectivement appliquée.Yvan AMAR


Je remercie M. Legendre de son intervention, et propose maintenant <strong>à</strong>M. Ouellon de réagir sur ce qui vient d'être exposé. Pourriez-vous nousindiquer en particulier quel<strong>le</strong> est la législation en vigueur au Québec etsi cel<strong>le</strong>-ci est effectivement mise en place ? Peut-on comparer <strong>le</strong>ssituations <strong>français</strong>e et québécoise ?Conrad OUELLONAu Québec, <strong>le</strong> <strong>français</strong> est la <strong>langue</strong> officiel<strong>le</strong>. Les institutions duCanada sont quant <strong>à</strong> el<strong>le</strong>s supposées être bilingues, ce qui ne signifiepas <strong>pour</strong> autant que toute la population par<strong>le</strong> l'anglais et <strong>le</strong> <strong>français</strong>. En1977, l'adoption d'<strong>une</strong> charte stipulant que <strong>le</strong> <strong>français</strong> est la <strong>langue</strong>officiel<strong>le</strong> offre <strong>le</strong> droit de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>. Auparavant, <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>ursfrancophones n'avaient pas accès <strong>à</strong> un certain nombre depostes, en particulier <strong>le</strong>s postes de dirigeants ou <strong>à</strong> responsabilités.Le pouvoir financier et économique était donc détenu par <strong>le</strong>s anglophones,de même que <strong>le</strong>s manuels et modes d'emploi étaient rédigésen anglais. La situation a commencé <strong>à</strong> se renverser en 1977, etMme Boucher nous a présenté hier un rappel historique sur ce thèmede la francisation.138À l'heure actuel<strong>le</strong>, l'affirmation du droit de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong> semb<strong>le</strong>être acquise, mais des difficultés subsistent. En effet, dans de nombreuxcas, il faut être bilingue <strong>pour</strong> avoir accès <strong>à</strong> certains postes. Deplus, <strong>le</strong>s promotions sont en partie liées <strong>à</strong> la connaissance de l'anglaiset, malgré la protection de la loi, <strong>le</strong>s salariés risquent d'être licenciéss'ils n'apprennent pas l'anglais. Ces tendances sont particulièrementmarquées dans <strong>le</strong>s régions frontalières au Canada.Une récente enquête réalisée par <strong>le</strong> Conseil supérieur <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>efait apparaître quelques motifs d'inquiétude. En effet, cetteenquête qui a été conduite pendant deux jours auprès de je<strong>une</strong>s travail<strong>le</strong>ursde 28 <strong>à</strong> 35 ans montre que <strong>le</strong> rapport <strong>à</strong> l'anglais des je<strong>une</strong>sgénérations est fondamenta<strong>le</strong>ment différent de celui de <strong>le</strong>urs aînés.Auparavant, l'apprentissage de l'anglais obéissait <strong>à</strong> la volonté de progresserdans sa carrière professionnel<strong>le</strong> alors qu'aujourd'hui, <strong>le</strong>sje<strong>une</strong>s connaissent l'anglais international et prennent plaisir <strong>à</strong> appren-


dre cette <strong>langue</strong> qui <strong>le</strong>ur offre <strong>le</strong> moyen de quitter <strong>le</strong> Québec. Dans cecontexte, <strong>le</strong> fait de par<strong>le</strong>r l'anglais est devenu courant et n'est parconséquent pas considéré comme <strong>une</strong> menace. Comme <strong>le</strong>s résultatsde l'enquête présentée ce matin <strong>le</strong> démontrent, dans <strong>l'entreprise</strong>, l'anglaissemb<strong>le</strong> être réservé au domaine du travail tandis que <strong>le</strong> <strong>français</strong>ne conserve <strong>une</strong> place que dans <strong>le</strong>s rapports de convivialité.Les données recueillies par l'Office et <strong>le</strong> Conseil de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>eau Québec démontrent <strong>une</strong> nécessité accrue de penser <strong>le</strong>s rapportsdes salariés aux <strong>langue</strong>s et, en particulier, el<strong>le</strong>s attestent d'un besoinde s'interroger sur <strong>le</strong> discours linguistique des je<strong>une</strong>s.Par rapport aux problèmes que j'ai évoqués, on peut se demander si<strong>une</strong> modification de la loi ne serait pas raisonnab<strong>le</strong>. Faut-il notammentrenforcer <strong>le</strong>s exigences linguistiques et jusqu'<strong>à</strong> quel<strong>le</strong> limite est-il envisageab<strong>le</strong>de <strong>le</strong> faire ?139Le dernier point que je souhaite aborder tient aux nouveaux arrivantsau Québec, qui représentent entre 40 000 et 50 000 personnes tous<strong>le</strong>s ans. Jusqu'<strong>à</strong> présent, <strong>le</strong>s enfants des immigrés ont l'obligationd'être inscrits <strong>à</strong> l'éco<strong>le</strong> <strong>français</strong>e, mais la Commission qui traite desquestions d'immigration <strong>pour</strong>rait préconiser l'assouplissement de cesexigences.Jean-Marie KLINKENBERGEn Belgique, la situation diffère sensib<strong>le</strong>ment de ce qui se passe auQuébec sur <strong>le</strong> plan linguistique. La primauté historique du <strong>français</strong> quiest <strong>à</strong> l'origine de la fameuse question belge a créé un retard dans ladéfense de la francophonie. En effet, <strong>une</strong> majorité de la populationbelge utilise <strong>le</strong> néerlandais longtemps minoré, et sa revendication historiquefut <strong>le</strong> droit de vivre la vie publique en néerlandais. C'est <strong>pour</strong>quoi<strong>une</strong> grande partie des réf<strong>le</strong>xions s'est concentrée sur la gestiondes zones de pratique des deux <strong>langue</strong>s.Ainsi, <strong>le</strong>s questions sociolinguistiques sont restées en dehors du débat.Pendant longtemps, <strong>le</strong>s intel<strong>le</strong>ctuels francophones belges ont prétenduvivre en symbiose avec la France, et ce n'est que vers la moitié du 20 e


sièc<strong>le</strong> que sont apparus <strong>le</strong>s premiers questionnements concernant <strong>le</strong>positionnement de la <strong>langue</strong> dans la société. La situation de la Belgiques'est fragilisée, d'<strong>une</strong> part, avec l'affirmation d'un sentiment de « minoration» chez de nombreux francophones et, d'autre part, avec la mondialisationdes échanges. Une politique linguistique a donc tardé <strong>à</strong> semettre en place en Belgique. Progressivement, <strong>le</strong>s Belges ont prisconscience que la politique de la <strong>langue</strong> fait partie intégrante de la politiqueculturel<strong>le</strong>, mais aussi de la politique socia<strong>le</strong> et économique.La <strong>le</strong>nteur avec laquel<strong>le</strong> s'est opérée l'intégration de ces différentsenjeux a débouché sur la création tardive d'instruments, tels que <strong>le</strong>Conseil de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e qui souffre aujourd'hui d'un manque demoyens humains et financiers. La mobilisation qui a lieu en France etau Québec exerce cependant <strong>une</strong> influence grandissante dans <strong>le</strong>smesures prises en faveur de la francophonie.Je vais apporter deux réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong>s potentiel<strong>le</strong>s orientations d'<strong>une</strong>politique linguistique.Premièrement, d'après <strong>le</strong>s études qualitatives et quantitatives qui ontété réalisées, nous pouvons constater que <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> du symbolique estrelativement faib<strong>le</strong>. Les raisonnements sur <strong>le</strong>squels se fondent tous <strong>le</strong>sdébats sur la politique linguistique des entreprises concernent larecherche de profit qui ne peut être atteint qu'avec des approchesrationnel<strong>le</strong>s. Le postulat de rationalité se retrouve dans tous <strong>le</strong>s discourséconomiques. Or, nous savons que la va<strong>le</strong>ur des actions d'<strong>une</strong>entreprise comprend éga<strong>le</strong>ment <strong>une</strong> part d'irrationnel. Les <strong>langue</strong>ssont présentées comme des instruments <strong>pour</strong> <strong>l'entreprise</strong>, mais il nefaut pas oublier que <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s, et l'anglais en particulier, jouent unrô<strong>le</strong> de sé<strong>le</strong>ction socia<strong>le</strong> et de distinction. L'anglais ne peut donc pasuniquement être considéré comme un instrument pragmatique. Il faudraitréaliser des enquêtes sociologiques <strong>pour</strong> déterminer quand l'anglaisrelève d'<strong>une</strong> nécessité objective et quand il joue un rô<strong>le</strong> de distinction.140Deuxièmement, l'orientation de la politique linguistique pose la questiondes représentations. Il faut susciter des discours <strong>pour</strong> agir sur la


politique. À mon sens, nous devons nous efforcer d'améliorer l'imagede la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e. En effet, cel<strong>le</strong>-ci souffre actuel<strong>le</strong>ment d'un déficitd'image : certes, <strong>le</strong> <strong>français</strong> est considéré comme la <strong>langue</strong> de l'excel<strong>le</strong>nce,mais est inadapté au monde des affaires. Par ail<strong>le</strong>urs, il s'agiraiten particulier de produire des discours de représentation sur l'étatexact du marché des <strong>langue</strong>s. En effet, <strong>le</strong>s Belges manquent d'informationssur la façon d'améliorer <strong>le</strong>urs compétences linguistiques, car ilspossèdent <strong>une</strong> connaissance insuffisante des offres actuel<strong>le</strong>s enmatière de formation en <strong>langue</strong>s. À mon sens, l'accès aux informationssur <strong>le</strong> marché des <strong>langue</strong>s joue un rô<strong>le</strong> en termes de compétitivité.François GRINMon propos va certainement recouper celui de M. Klinkenberg.Pour ma part, je crois <strong>à</strong> la rationalité des entreprises tout en sachantque cel<strong>le</strong>s-ci fonctionnent en se basant sur des informations imparfaites.141Les enjeux de la francophonie présentent un caractère global <strong>pour</strong>deux raisons. D'<strong>une</strong> part, <strong>le</strong>s questions importantes dépassent <strong>le</strong>scontextes nationaux et renvoient au poids des différentes <strong>langue</strong>s dansla diversité. Par exemp<strong>le</strong>, même si je représente la Suisse <strong>à</strong> cette tab<strong>le</strong>,je pense qu'il faut tenter de dépasser <strong>le</strong> domaine national dans notreréf<strong>le</strong>xion sur la francophonie. Les cas spécifiques des contextes nationauxdoivent cependant nous éclairer sur <strong>le</strong>s enjeux plus généraux.D'autre part, et comme <strong>le</strong> mentionnaient plusieurs collègues au coursde ce colloque, <strong>le</strong>s enjeux de la francophonie dans <strong>le</strong>s entreprises serapportent directement <strong>à</strong> la vie économique. L'économie constitue unchamp très large ; il s'agit d'<strong>une</strong> manière d'interroger <strong>le</strong> réel. Ensuite,en partant d'un concept vaste, on s'oriente vers des domaines plusrestreints, tels que la production, <strong>le</strong>s échanges, etc. De <strong>le</strong>ur côté, <strong>le</strong>sentreprises sont nécessairement affectées par ce qui se passe dans <strong>le</strong>monde, que ce soit au niveau international ou local.Je rappel<strong>le</strong> que <strong>l'entreprise</strong> se fonde sur <strong>une</strong> rationalité généra<strong>le</strong> quivise un objectif ultime : vendre. Lorsqu'on s'interroge sur la place du


<strong>français</strong> dans <strong>l'entreprise</strong>, notamment <strong>pour</strong> tirer parti des conditionsdu marché, il s'agit avant tout de comprendre comment <strong>le</strong>s notions deproductivité, marge, coût ou profit sont affectées par l'utilisation dediverses <strong>langue</strong>s.Je pense que la réf<strong>le</strong>xion sur <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> des <strong>langue</strong>s dans cette quête duprofit doit être approfondie. Depuis <strong>le</strong>s premières enquêtes australiennesdans <strong>le</strong>s années 1980 sur <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> des <strong>langue</strong>s dans la profitabilitédes entreprises, nous progressons en ce sens. Néanmoins, selon moi,il faudrait analyser de façon plus systématique <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s comme undéterminant du profit, car l'adoption par l’entreprise d'<strong>une</strong> stratégie oud’<strong>une</strong> autre peut conduire <strong>à</strong> des conséquences très différentes.Jusqu'<strong>à</strong> présent, <strong>le</strong>s propos se sont concentrés sur la pratique desentreprises, mais rien n'a été mentionné sur <strong>le</strong> « lien algébrique » etdonc sur l'impact que <strong>le</strong> choix d'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> de travail peut avoir sur laprofitabilité. Il faudrait <strong>pour</strong> cela recourir <strong>à</strong> la théorie économique fondamenta<strong>le</strong><strong>pour</strong> « injecter » des variab<strong>le</strong>s linguistiques dans <strong>le</strong> modè<strong>le</strong>économique, avant de procéder <strong>à</strong> des estimations économétriques. Àl'heure actuel<strong>le</strong>, des mesures doivent être prises <strong>à</strong> ce niveau. Toutefois,<strong>le</strong>s données que nous détenons ne permettent pas encore de réaliserce travail. En Suisse, nous avons commencé <strong>à</strong> travail<strong>le</strong>r sur un telprojet, qui fait partie d'un programme de recherche du Fonds nationalsuisse de la recherche scientifique. À ma connaissance, c'est la premièrefois que ce genre d'étude, qui analyse <strong>le</strong> lien entre <strong>langue</strong> et profitabilité,est lancé. Pourtant, l'économie des <strong>langue</strong>s est <strong>une</strong> disciplinequi existe depuis près de 40 ans sans que cet aspect n'ait étéabordé.142La recherche que nous effectuons en Suisse vise <strong>à</strong> ouvrir un programmede recherche en coopération avec d'autres pays européens. Notreambition ne va pas jusqu'<strong>à</strong> espérer tirer des conclusions systématiquessur <strong>le</strong>s liens entre <strong>le</strong> choix de l'usage des <strong>langue</strong>s et la profitabilité desentreprises, mais nous <strong>pour</strong>rons certainement dresser un certainnombre de constats. Afin d'élargir <strong>le</strong> travail entrepris en Suisse, jelance un appel <strong>pour</strong> réaliser <strong>une</strong> étude qui serait coordonnée avec un


consortium d'universités et d'organismes en Europe.Il ne s'agit pas uniquement de re<strong>le</strong>ver <strong>le</strong>s pratiques des entreprises, carnous sommes confrontés <strong>à</strong> <strong>une</strong> problématique plus vaste, qui est cel<strong>le</strong>du poids des différentes <strong>langue</strong>s ainsi que des enjeux politiques et géopolitiquesqui en décou<strong>le</strong>nt. De plus, il me semb<strong>le</strong> nécessaire de replacerla réf<strong>le</strong>xion dans <strong>le</strong> contexte de la démocratie linguistique.Je souhaite terminer mon intervention par quelques remarques.143Premièrement, je note que sans <strong>le</strong> plurilinguisme, <strong>le</strong> <strong>français</strong> est amené<strong>à</strong> perdre sa place. Deuxièmement, il faut se défier de la « tentation oligarchique». En effet, nous ne pouvons que constater que <strong>le</strong>s instanceseuropéennes font régner <strong>une</strong> sorte d'oligarchie linguistique, que ce soitl'Office européen d'harmonisation du marché intérieur qui retient cinq<strong>langue</strong>s de travail ou l'Office européen des brevets et la Commissioneuropéenne qui en pratique ne comptent que trois <strong>langue</strong>s de travail (<strong>le</strong><strong>français</strong>, l'al<strong>le</strong>mand et l'anglais, dites « <strong>langue</strong>s de procédure »). Or, jepense que <strong>le</strong>s autres membres de l'Union européenne ne soutiendrontpas un régime dont ils sont exclus. Dans ce contexte, non seu<strong>le</strong>mentl'hégémonie linguistique, mais aussi l’oligarchie linguistique même siel<strong>le</strong> fait (<strong>pour</strong> <strong>le</strong> moment) place <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e, constituent <strong>une</strong>menace <strong>pour</strong> la diversité des <strong>langue</strong>s, et donc <strong>pour</strong> <strong>le</strong> <strong>français</strong>.Enfin, nous avons abordé ce matin <strong>le</strong>s problèmes de compatibilité quipeuvent se poser entre <strong>le</strong>s législations <strong>français</strong>e et européenne. Il seconfirme que la législation de l'Union européenne conduit <strong>à</strong> la prédominancedu droit européen sur <strong>le</strong> droit <strong>français</strong>. Il faut donc réfléchir defaçon tactique en optant <strong>pour</strong> <strong>le</strong> déploiement de stratégies francophonesau niveau européen. Le plurilinguisme doit s'affirmer dans uncontexte européen, et je propose en particulier d'introduire des mesuresd'accompagnement, tels que <strong>le</strong>s systèmes de rotation, ou <strong>le</strong>s systèmesd’intercompréhension comme ils se pratiquent en Suisse - dumoins en principe ! Les stratégies francophones devront se fonder surun large éventail d'actions mises en place de façon coordonnée dansplusieurs pays.


Yvan AMARJe remercie M. Grin <strong>pour</strong> son exposé qui nous a offert <strong>une</strong> vision pluséconomique des problématiques de l'utilisation des <strong>langue</strong>s en entreprise.Du point de vue de la francophonie rég<strong>le</strong>mentaire, quel<strong>le</strong> estvotre réaction, M. Leduc, par rapport aux interventions précédentes ?René LEDUCLe thème du <strong>français</strong> comme <strong>langue</strong> de <strong>l'entreprise</strong> ne se situe pas aucœur des préoccupations de l'OIF. Bien que certains questionnementscommencent <strong>à</strong> émerger, l'OIF ne propose pas de stratégie ni de pland'action sur ce thème. Nous fonctionnons en tant qu'organisation multilatéra<strong>le</strong>,<strong>à</strong> partir de mandats des États membres ou <strong>à</strong> partir de textesrég<strong>le</strong>mentaires et d'orientations généra<strong>le</strong>s qui nous sont fournis par <strong>le</strong>sÉtats. À l'heure actuel<strong>le</strong>, bien que nous soyons sensib<strong>le</strong>s aux problématiquesde la francophonie, nous n'envisageons pas de mesures concrètes<strong>pour</strong> favoriser l'utilisation de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e dans <strong>l'entreprise</strong>.Le seul biais par <strong>le</strong>quel on <strong>pour</strong>rait se rattacher au sujet en questioncorrespond au mandat exercé par <strong>le</strong> secrétaire général <strong>pour</strong> la promotionde la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e. En effet, <strong>le</strong> cadre stratégique de l'OIF luidonne vocation <strong>à</strong> renforcer l'usage et <strong>à</strong> assurer la promotion de la<strong>langue</strong> <strong>français</strong>e. En déclinant ce cadre en objectifs plus opérationnels,il s'agit de renforcer l'usage du <strong>français</strong> dans <strong>le</strong>s organisations internationa<strong>le</strong>s,dans <strong>le</strong> paysage audiovisuel international <strong>à</strong> travers TV5 quiconstitue un des grands opérateurs de la francophonie. Il s'agit éga<strong>le</strong>mentde faire du <strong>français</strong> <strong>une</strong> <strong>langue</strong> de modernité, notamment dans <strong>le</strong>cadre scientifique et technique <strong>à</strong> travers la coopération des universitésfrancophones, de promouvoir l'usage du <strong>français</strong> dans <strong>le</strong>s technologiesde l'information grâce <strong>à</strong> l'institut francophone numérique et enfin depromouvoir l'apprentissage du <strong>français</strong>. En revanche, <strong>le</strong> <strong>français</strong>comme <strong>langue</strong> de <strong>l'entreprise</strong> et comme <strong>langue</strong> de travail, n'a pas étépris en compte par l'organisation.144À partir de cette réalité, un moyen d'action consiste <strong>à</strong> étudier ce qui sepasse dans l'espace francophone par <strong>le</strong> lien de notre cellu<strong>le</strong> d'observationdu <strong>français</strong> dans la vie internationa<strong>le</strong>. Cel<strong>le</strong>-ci a en effet <strong>pour</strong>


mission d'observer la réalité du <strong>français</strong> y compris dans <strong>le</strong> monde dutravail. Sur la base de ce travail, la cellu<strong>le</strong> conseil<strong>le</strong> <strong>le</strong> secrétaire généralsur <strong>le</strong>s orientations stratégiques <strong>à</strong> prendre.Nous pouvons éga<strong>le</strong>ment agir par l'intermédiaire du secrétaire général.Celui-ci a vocation <strong>à</strong> faire <strong>le</strong> plaidoyer de la francophonie, <strong>une</strong> missionqu'il assure de manière efficace dans la mesure où il est un personnagenon négligeab<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> plan international, dont l'engagement et <strong>le</strong>charisme <strong>le</strong> conduisent <strong>à</strong> al<strong>le</strong>r <strong>à</strong> la rencontre des groupes qui <strong>le</strong> sollicitent<strong>à</strong> travers <strong>le</strong> monde francophone.145Nous sommes cependant confrontés <strong>à</strong> <strong>une</strong> contrainte relative <strong>à</strong> la souverainetédes États. En effet, <strong>l'entreprise</strong> privée entretient des liensavec <strong>le</strong>s États et <strong>le</strong>s gouvernements. Or, l'OIF se doit de respecter lasouveraineté des États, ainsi que <strong>le</strong>urs <strong>langue</strong>s et cultures. De même,il s'agit d'<strong>une</strong> organisation qui respecte la neutralité dans <strong>le</strong>s questionsde politique intérieure. Dans ces conditions, <strong>le</strong>s interventions potentiel<strong>le</strong>sde notre secrétaire général ne peuvent qu'être limitées. Cependant,nous pouvons envisager, si <strong>le</strong>s États devaient nous mandater <strong>pour</strong> agir,d'inscrire cette préoccupation dans nos activités dans la prochaineprogrammation de l'OIF.En effet, je pense que nous pouvons renforcer la dimension économiquede la francophonie. D'ail<strong>le</strong>urs, nous pouvons constater qu'unForum francophone des affaires existe déj<strong>à</strong>, mais il constitue la seu<strong>le</strong>organisation active <strong>à</strong> ce jour. La direction du développement durab<strong>le</strong> etde la solidarité se préoccupe certes de thèmes <strong>à</strong> caractère économique,mais se concentre plutôt sur des sujets tels que l'énergie oul'environnement. Si l'OIF prend effectivement des mesures prochainementen faveur de la francophonie dans <strong>l'entreprise</strong>, nous devrons toutefoisfaire face <strong>à</strong> un problème de ressources. Pour <strong>le</strong> résoudre, ilfaudra revoir l'ordre de nos priorités d'actions qui sont constituées parla <strong>langue</strong>, la culture, l'éducation et <strong>le</strong> droit <strong>à</strong> la démocratie, <strong>le</strong> développementet la solidarité.Lors de la dernière conférence ministériel<strong>le</strong> sur la francophonie quis'est récemment tenue au Laos, j'ai été frappé par des débats qui


avaient <strong>pour</strong> thème l'enjeu suivant : « La <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e, outil de solidarité<strong>pour</strong> la protection de la diversité culturel<strong>le</strong> et linguistique ». Lesdifférentes interventions nous ont permis de constater que cinq ou sixÉtats membres étaient confrontés <strong>à</strong> un problème de tail<strong>le</strong> : dans cespays, la je<strong>une</strong>sse en vient <strong>à</strong> se demander si <strong>le</strong> <strong>français</strong> est <strong>une</strong> <strong>langue</strong>uti<strong>le</strong> <strong>pour</strong> trouver un emploi intéressant. Dans <strong>le</strong> cadre de cette problématique,je tiens <strong>à</strong> mentionner que 39 de nos États membres n'utilisent<strong>le</strong> <strong>français</strong> que comme <strong>langue</strong> étrangère, tandis que 29 Étatsreconnaissent au <strong>français</strong> <strong>le</strong> statut de <strong>langue</strong> officiel<strong>le</strong> (partagée ounon avec <strong>une</strong> autre <strong>langue</strong>).Pour conclure, j'insiste sur la nécessité d'agir sur l'image de notre<strong>langue</strong>. L'OIF peut jouer un rô<strong>le</strong> majeur <strong>pour</strong> rendre <strong>le</strong> <strong>français</strong> attirantauprès des je<strong>une</strong>s et des entrepreneurs. Nous avons un important travailde mobilisation <strong>à</strong> réaliser, tout en sachant que <strong>le</strong>s outils dont nousdisposons ne sont ni rég<strong>le</strong>mentaires ni législatifs. Les mesures prisesne peuvent qu'être incitatives. Une action doit être tentée <strong>pour</strong> pallierl'utilisation souvent exclusive de l'anglais dans <strong>le</strong>s entreprises francophones.146Yvan AMARPour dresser un rapide bilan, je constate que <strong>le</strong>s préoccupationsvarient très fortement d'un pays <strong>à</strong> l'autre dans la mesure où <strong>le</strong>s problématiques(construites sur des différences en termes de poids démographique,d'habitudes commercia<strong>le</strong>s, etc.) ne prennent pas <strong>le</strong>smêmes formes. Je vais demander <strong>à</strong> M. North quel<strong>le</strong>s sont ses réactionspar rapport <strong>à</strong> toutes <strong>le</strong>s interventions.Xavier NORTHJe ne pense pas être en mesure de conclure, mais je voudrais revenir<strong>à</strong> quelques-uns des enseignements que nous pouvons tirer de ces deuxjournées de débats.Tout d'abord, j'ai été frappé par <strong>le</strong>s résultats de l'enquête du centred'études de l'emploi sur l'usage des <strong>langue</strong>s dans <strong>le</strong>s entreprises <strong>français</strong>es.En effet, près de 600 000 salariés contraints de recourir <strong>à</strong> <strong>une</strong>


autre <strong>langue</strong> en éprouvent <strong>une</strong> gêne dans l'accomplissement de <strong>le</strong>urtravail. Cette situation de discrimination et d'insécurité linguistique justifie<strong>à</strong> mon sens l'intervention de l'État. Néanmoins, il s'agit maintenantde déterminer dans quel<strong>le</strong> direction doivent s'orienter <strong>le</strong>s actions <strong>à</strong>mener. L'État doit garantir aux Français la possibilité de communiquerentre eux dans la mesure où <strong>le</strong> droit <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> fait partie des droitsdes citoyens.J'assistais récemment <strong>à</strong> <strong>une</strong> émission de radio de RFI au cours delaquel<strong>le</strong> l'affaire des irradiés d'Épinal était évoquée. Un des participants,membre de la communauté scientifique, était scandalisé par <strong>le</strong>manque de compétence linguistique des Français en anglais, qui constituait<strong>pour</strong> lui <strong>le</strong> principal problème en cause. En effet, ce scientifiqueévoquait l'insuffisance de la pratique de l'anglais des médecins et infirmièresde l'hôpital d'Épinal.147Face <strong>à</strong> ce troub<strong>le</strong> de la cohésion socia<strong>le</strong>, deux réponses distinctes peuventêtre envisagées. La première solution consisterait <strong>à</strong> agir <strong>pour</strong> unrespect plus vigilant du droit au <strong>français</strong>, ce qui n'est toutefois pasincompatib<strong>le</strong> avec l'ouverture <strong>à</strong> d'autres <strong>langue</strong>s. En effet, <strong>pour</strong> êtreapte <strong>à</strong> par<strong>le</strong>r <strong>une</strong> autre <strong>langue</strong>, on doit d'abord se sentir <strong>à</strong> l'aise dansl'usage de sa propre <strong>langue</strong>. Si <strong>le</strong> droit d'utilisation du <strong>français</strong> dans<strong>l'entreprise</strong> est respecté, l'anglais cesse de constituer <strong>une</strong> menace. Laseconde solution serait de favoriser <strong>le</strong>s formations linguistiques au seinde <strong>l'entreprise</strong>. L'expérience québécoise est éclairante face <strong>à</strong> cetteproblématique anglophone puisque nous avons pu constater qu'aumoins un Québécois sur deux possède <strong>une</strong> connaissance courante del'anglais sans <strong>pour</strong> autant renoncer <strong>à</strong> l'usage du <strong>français</strong>. Face <strong>à</strong> laréalité économique de la France, il faut adapter l'apprentissage des <strong>langue</strong>sétrangères aux marchés visés.Je rappel<strong>le</strong> en outre que la loi du 4 mai 2004 confirme que la maîtrisede la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e constitue <strong>une</strong> compétence professionnel<strong>le</strong>reconnue dans <strong>l'entreprise</strong>. C'est <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> des pouvoirs politiques d'informer<strong>le</strong>s milieux économiques de ces dispositions léga<strong>le</strong>s. Un sondagede la SOFRES réalisé <strong>pour</strong> <strong>le</strong> compte de Force Ouvrière en 2000montrait que seuls 30 % des sondés connaissaient cette loi. De plus,


lorsque <strong>le</strong> contenu de la loi était expliqué aux sondés, 92 % d'entre euxy étaient favorab<strong>le</strong>s.À mon avis, un consensus entre <strong>le</strong>s différents acteurs sociaux consisterait<strong>à</strong> concilier <strong>le</strong>s deux approches que j'ai évoquées.Pour conclure, je souhaite réagir au propos de Jean-Marie Klinkenbergqui rappelait la nécessité d'organiser des contre-pouvoirs dans <strong>le</strong> cadrede rapports de force. Il insistait notamment sur <strong>le</strong> besoin de régulationet je suis en accord total avec cette idée. En effet, sans organisationde la politique linguistique, la logique du profit conduira la <strong>langue</strong> duplus fort <strong>à</strong> s'imposer dans <strong>l'entreprise</strong> comme <strong>à</strong> l'extérieur. La questionqui se pose maintenant est la suivante : comment organiser la coexistencedes <strong>langue</strong>s dans nos pays respectifs et <strong>le</strong>s ensemb<strong>le</strong>s géopolitiquesauxquels nous appartenons ?Des instruments de régulation existent déj<strong>à</strong>, mais il reste <strong>à</strong> déterminerdans quel domaine il convient de <strong>le</strong>s utiliser. En ce qui concerne <strong>le</strong> passaged'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> <strong>à</strong> l'autre, la traduction peut constituer un instrumentd'organisation efficace. Par exemp<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong> cas de l'affaire de l'hôpitald'Épinal, la solution aurait été, évidemment de traduire <strong>le</strong> logiciel.148


Débat avec <strong>le</strong> publicJacques LEGENDREM. Grin nous a mis en garde contre la tentation oligarchique en mentionnantl'importance relative des <strong>langue</strong>s ainsi que <strong>le</strong>s rapports deforces qui <strong>le</strong>s caractérisent. Je souhaite apporter <strong>une</strong> précision d'ordrelinguistique. En effet, nous pouvons classer <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s selon qu'el<strong>le</strong>sjouent un rô<strong>le</strong> international ou non (certaines <strong>langue</strong>s ne souhaitantpas ou plus jouer ce rô<strong>le</strong>). Les <strong>langue</strong>s doivent pouvoir continuer <strong>à</strong> s'exprimersi la volonté est présente de conserver un rô<strong>le</strong> dans l'ensemb<strong>le</strong>des activités humaines. Le Conseil de l'Europe s'inscrit dans cettelogique : en effet, il utilise deux <strong>langue</strong>s officiel<strong>le</strong>s (<strong>le</strong> <strong>français</strong> et l'anglais)et cinq <strong>langue</strong>s de travail, la traduction étant assurée autour deces sept <strong>langue</strong>s, ce qui permet <strong>à</strong> tous de comprendre et de se fairecomprendre.149Je suis très inquiet quand j'entends mettre en avant, lors d'assemblées,<strong>le</strong>s coûts de traduction. Au Sénat, j'ai demandé la diversification de lagamme des <strong>langue</strong>s étrangères apprises en France. Mais <strong>le</strong>s Françaisne peuvent apprendre qu'un nombre limité de <strong>langue</strong>s et c'est <strong>pour</strong>quoiil faut accepter <strong>le</strong>s frais de traduction qui sont légitimes. Si noussouhaitons voir <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s rester vivantes, chacun doit pouvoir s'exprimerdans sa propre <strong>langue</strong>, ce qui conditionne <strong>le</strong> maintien de la diversitélinguistique, en particulier dans <strong>le</strong>s organismes internationaux.Nous vivons dans <strong>une</strong> société de traduction dans laquel<strong>le</strong> l'utilisationd'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> globa<strong>le</strong>, <strong>le</strong> globish, ne permet pas de résoudre <strong>le</strong>s problèmesde communication.Yvan AMARJe propose aux membres du public de formu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>urs questions et <strong>le</strong>urscommentaires.Martine LAMONIEREn tant que membre du col<strong>le</strong>ctif « Pour <strong>le</strong> droit de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong>», je remercie <strong>le</strong>s membres de la tab<strong>le</strong> ronde <strong>pour</strong> la qualité de


<strong>le</strong>urs interventions et propose plusieurs axes de réf<strong>le</strong>xion sur <strong>le</strong>s stratégiesfrancophones <strong>à</strong> adopter. Après avoir passé 34 ans au sein de lamême société, j'ai pu observer la généralisation progressive de l'usagede l'anglais et <strong>le</strong> développement parallè<strong>le</strong> d'un sentiment selon <strong>le</strong>quelil n'est plus possib<strong>le</strong> de travail<strong>le</strong>r sans utiliser la <strong>langue</strong> anglaise. Il mesemb<strong>le</strong> que cette situation est intenab<strong>le</strong> et c'est <strong>pour</strong>quoi ma premièreproposition serait d'inciter <strong>le</strong>s pouvoirs politiques <strong>à</strong> intervenir <strong>pour</strong>contrecarrer cette tendance. De plus, <strong>le</strong>s membres du Medef doiventêtre sensibilisés <strong>à</strong> cette problématique, car <strong>pour</strong> <strong>le</strong> moment, ils sont« obnubilés » par l'anglais. Deuxièmement, je propose que l'on cessede fournir aux salariés des logiciels en anglais. Par ail<strong>le</strong>urs, on ne peutpas continuer <strong>à</strong> « inonder » la je<strong>une</strong>sse <strong>français</strong>e de jeux édités enanglais.Yvan AMARLe Medef est absent de notre colloque et ne peut donc pas se défendre.En ce qui concerne <strong>le</strong>s logiciels produits par des sociétés anglo-saxonnes,nous devrions non pas cesser de <strong>le</strong>s instal<strong>le</strong>r en anglais (puisqu'ilsapparaissent comme tels sur <strong>le</strong> marché), mais plutôt demander <strong>à</strong> <strong>le</strong>sfaire traduire et rendre <strong>le</strong>ur traduction obligatoire.150Je formu<strong>le</strong>rai juste <strong>une</strong> petite remarque sur <strong>le</strong>s jeux en anglais. Il mesemb<strong>le</strong> que la <strong>langue</strong> dans laquel<strong>le</strong> sont commercialisés <strong>le</strong>s jeux n'influenceen rien <strong>le</strong> désir des enfants de jouer.Jean-Marie KLINKENBERGNous avons fait remarquer au cours de ces deux jours que <strong>le</strong> multilinguismeparaît indispensab<strong>le</strong> quel<strong>le</strong>s que soient la tail<strong>le</strong> de <strong>l'entreprise</strong>et la nature de ses activités. Le fait de protéger la <strong>langue</strong> du travail<strong>le</strong>ursemb<strong>le</strong> quelque peu en contradiction avec ce constat. L'histoire dessociétés est caractérisée <strong>à</strong> la fois par <strong>le</strong> contact avec la <strong>langue</strong> de l'autreet l'assise donnée par sa propre <strong>langue</strong>. Il me semb<strong>le</strong> nécessaire debien distinguer ces deux aspects, qui donnent lieu <strong>à</strong> deux types demesures. D'<strong>une</strong> part, il s'agit d'assurer <strong>le</strong>s compétences et la présen-


ce de l'ensemb<strong>le</strong> des <strong>langue</strong>s <strong>pour</strong> soutenir la compétitivité. Dans cebut, il faut veil<strong>le</strong>r <strong>à</strong> améliorer la connaissance du marché de la formationet développer <strong>le</strong>s formations au sein des entreprises. D'autre part,nous devons favoriser <strong>le</strong>s mesures qui visent <strong>à</strong> assurer la « <strong>langue</strong> del'assise » qui correspond <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> des communications au sein de<strong>l'entreprise</strong> et qui s'appuie sur la sécurité et <strong>le</strong>s relations humaines.Ces deux types de mesures portent sur des objets différents, mais neme paraissent pas être en contradiction. Les pouvoirs politiques peuventquant <strong>à</strong> eux régu<strong>le</strong>r la répartition des deux fonctions évoquées <strong>à</strong>l'instant.151Albert SALONJe suis directeur d'<strong>une</strong> association <strong>pour</strong> la promotion du <strong>français</strong>.Des stratégies supposent la bonne connaissance du réel et la définitionde directions d'actions. Le travail d'observation s'intensifie, mais sur <strong>le</strong>deuxième point qui concerne <strong>le</strong>s actions <strong>à</strong> mener, on peut constater denombreux manques. Certains sujets n'ont pas été traités.Premièrement, je par<strong>le</strong>rai de l'Europe. Nous pouvons agir contre ouface <strong>à</strong> ce que fait l'Europe, qui représente un fervent défenseur del'usage de la <strong>langue</strong> anglaise. Par exemp<strong>le</strong>, nous constatons que <strong>le</strong>sinstitutions européennes imposent <strong>à</strong> nos administrations nationa<strong>le</strong>s detravail<strong>le</strong>r sur des textes de l'Union européenne qui sont fournis uniquementen anglais. Voici donc un premier point sur <strong>le</strong>quel nous pouvonsagir. Ensuite, des actions sont <strong>à</strong> mener en coordination avec l'ensemb<strong>le</strong>des pays francophones. En effet, <strong>pour</strong> l'instant, nous assistons <strong>à</strong><strong>une</strong> forme de cloisonnement entre <strong>le</strong>s actions de ces différents pays.Nous pouvons constater par exemp<strong>le</strong> <strong>une</strong> absence de réel<strong>le</strong> relation decoopération entre <strong>le</strong>s initiatives de la France et du Québec en Afrique.Enfin, <strong>le</strong> dernier élément d'action concerne <strong>le</strong>s sociétés civi<strong>le</strong>s qui ontun rô<strong>le</strong> <strong>à</strong> jouer dans la défense de la francophonie. Les associationsmanquent encore d'<strong>une</strong> reconnaissance officiel<strong>le</strong>. Il n'existe pas nonplus de coopération entre <strong>le</strong>s organismes de défense des diverses<strong>langue</strong>s.


François GRINJ'ai évoqué la nécessité d'actions coordonnées et concertées parcequ'<strong>une</strong> approche dispersée ne permettrait certainement pas d'aboutir.Comme <strong>le</strong> soulignait mon collègue belge, il va de l'intérêt d'un acteurisolé de s'adapter <strong>à</strong> <strong>une</strong> <strong>langue</strong> dominante. Pour préserver la francophonie,l'action comm<strong>une</strong> de différents organismes ou <strong>une</strong> étudemenée en parallè<strong>le</strong> par un consortium d'universités peut exercer <strong>une</strong>influence certaine et déterminer un panel d'actions <strong>à</strong> mener. Uneapproche interdisciplinaire entre linguistes et économistes <strong>pour</strong>rait parexemp<strong>le</strong> présenter un intérêt spécifique et permettre d'identifier <strong>le</strong>schamps d'intervention <strong>le</strong>s plus efficaces.En ce qui concerne <strong>le</strong>s frais de traduction, je fais remarquer que, d'après<strong>une</strong> estimation des coûts dans <strong>le</strong> régime maximaliste, <strong>le</strong> coûtmoyen de traduction par citoyen européen et par an représente environ2 euros. Or, il me semb<strong>le</strong> qu'il s'agit d'un prix raisonnab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>citoyen européen est prêt <strong>à</strong> payer <strong>pour</strong> assurer <strong>une</strong> certaine diversitélinguistique. Si <strong>le</strong>s traductions sont abandonnées, la population européennese verra imposer l'apprentissage d'<strong>une</strong> <strong>langue</strong> unique et hégémonique,ce transfert induisant un coût de plusieurs milliards d'euros.Se pose alors un grave problème d'équité dans la mesure où ce transfertse fait en faveur de quelques privilégiés.152Jean-Claude AMBOISEJe suis <strong>le</strong> conseil<strong>le</strong>r des associations de défense de la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e.Vos réf<strong>le</strong>xions et interventions de ces deux journées m'ont notammentpermis de noter l'existence de deux niveaux d'emploi des <strong>langue</strong>sétrangères. D'<strong>une</strong> part, on peut considérer la pratique d'<strong>une</strong> <strong>langue</strong>étrangère comme <strong>une</strong> <strong>langue</strong> instrumenta<strong>le</strong> utilisée dans <strong>le</strong>s relationsavec <strong>le</strong>s fournisseurs et clients <strong>à</strong> l'étranger. D'autre part, et c'est cetusage qui me paraît plus inquiétant, la <strong>langue</strong> étrangère est utiliséecomme <strong>langue</strong> d'intégration <strong>à</strong> titre vertical, c'est-<strong>à</strong>-dire qu'el<strong>le</strong> se substitueau <strong>français</strong>. M me Lamonier nous a présenté <strong>le</strong>s risques liés <strong>à</strong>l'usage abusif de la <strong>langue</strong> anglaise, en particulier <strong>le</strong> risque d'exclusiondes salariés. J'ai été interpellé par nombre de salariés qui sont gênés


par cette situation. Je pense qu'<strong>une</strong> réf<strong>le</strong>xion doit être <strong>pour</strong>suivieconcernant l'usage de l'anglais en entreprise, notamment <strong>pour</strong> déterminer<strong>le</strong>s circonstances d'utilisation de l'anglais afin de prévoir desmesures adaptées. Il faut créer en France un dispositif de respect dela loi Toubon ou de l'obligation de l'employeur de respecter la <strong>langue</strong>nationa<strong>le</strong>.En ce qui concerne l'enseignement, nous devons prévoir l'apprentissagede plusieurs <strong>langue</strong>s étrangères, tel<strong>le</strong>s que <strong>le</strong> chinois qui prend <strong>une</strong>place de plus en plus importante, <strong>le</strong> russe qui devient <strong>à</strong> nouveau <strong>une</strong><strong>langue</strong> des affaires ou l'al<strong>le</strong>mand qui connaît un regain. Le champ desrecherches et des mesures <strong>à</strong> prendre me semb<strong>le</strong> donc vaste.153Dans la continuité des travaux conduits aujourd'hui, je me permets dementionner qu'un colloque aura lieu <strong>à</strong> la fin de la semaine <strong>à</strong> l'universitéde Nantes. Organisé par <strong>le</strong> centre de recherche des identités nationa<strong>le</strong>s,il portera sur <strong>le</strong> thème suivant : « Entreprise, culture nationa<strong>le</strong> etmondialisation ». Les réf<strong>le</strong>xions continuent donc sur des sujets tels que<strong>le</strong>s <strong>langue</strong>s et <strong>le</strong> monde des affaires ou la culture d'entreprise.Jean-Loup CUISINIEZJe souhaite poser <strong>une</strong> question dans <strong>le</strong> cadre de mon intérêt <strong>pour</strong> <strong>le</strong>sdifférentes pistes de travail envisageab<strong>le</strong>s. Je constate que <strong>le</strong>s organisationssyndica<strong>le</strong>s des différents pays francophones ne sont pas suffisammentassociées. Une rencontre internationa<strong>le</strong> des organisationssyndica<strong>le</strong>s francophones ne <strong>pour</strong>rait-el<strong>le</strong> pas présenter un intérêt ?Dans quel<strong>le</strong> mesure <strong>pour</strong>rait-on <strong>le</strong>s associer, par exemp<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> modè<strong>le</strong>du Forum francophone des affaires ?Par ail<strong>le</strong>urs, je ne comprends pas <strong>pour</strong>quoi <strong>le</strong> drapeau de l'OIF porte<strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs b<strong>le</strong>u, blanc, rouge de la France. Un tel drapeau ne peut pasreprésenter la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e : <strong>le</strong> <strong>français</strong> n'est pas assimilé <strong>à</strong>la France ! Je pense qu'un Québécois ou un Africain est en désaccordavec ce drapeau. Il faudrait éga<strong>le</strong>ment augmenter la visibilité d'undrapeau de l'OIF. Je précise qu'il s'agit l<strong>à</strong> d'<strong>une</strong> proposition deM me Rama Yade.


Yvan AMARJe pense que si ce drapeau n'était pas b<strong>le</strong>u, blanc, rouge, on comprendraitmoins rapidement qu'il s'agit de la représentation de la francophonie.On ne peut nier <strong>le</strong> caractère symbolique du drapeau b<strong>le</strong>u,blanc, rouge.René LEDUCLe regroupement de syndicats existe déj<strong>à</strong>. Pour rejoindre ce regroupement,l'organisation doit être internationa<strong>le</strong>. Il s'agit d'un outil de communicationavec la société civi<strong>le</strong>.Nous avons récemment réalisé un document qui reprend l'ensemb<strong>le</strong>des interventions que nous menons et auxquel<strong>le</strong>s sont associés <strong>le</strong>smembres du regroupement. Sur <strong>une</strong> année, 6 millions d'euros, distribués<strong>à</strong> partir de notre budget de programmation de 58 millions d'euros,reviennent auprès des associations qui interviennent comme maîtresd'œuvre de certains types d'interventions politiques. Le dialogueavec <strong>le</strong>s groupements syndicaux se fait donc <strong>à</strong> travers ce mécanisme.Les organisations syndica<strong>le</strong>s se réunissent déj<strong>à</strong> <strong>à</strong> diverses occasionset nous <strong>pour</strong>rions profiter de ces rassemb<strong>le</strong>ments <strong>pour</strong> échanger surcertains thèmes plus spécifiques.154Martine LAMONIERJe ne suis pas tout <strong>à</strong> fait d'accord avec votre vision des choses. Eneffet, en tant que syndicaliste, nous observons que <strong>le</strong> problème duregroupement des syndicats passe au second plan après la questiondes délocalisations. Si nous étions davantage soutenus par <strong>le</strong>s pouvoirspolitiques, nous <strong>pour</strong>rions mener davantage d'actions. Les salariésveu<strong>le</strong>nt en priorité pouvoir conserver <strong>le</strong>ur emploi.Yvan AMARLa diversité des situations selon <strong>le</strong>s pays me frappe <strong>à</strong> nouveau. Eneffet, <strong>le</strong> fait de travail<strong>le</strong>r en <strong>français</strong> en entreprise revêt des aspectstota<strong>le</strong>ment différents d'un État <strong>à</strong> l'autre. Les problématiques de l'utilisationdu <strong>français</strong> varient notamment selon que <strong>le</strong> <strong>français</strong> est la seu<strong>le</strong>


<strong>langue</strong> officiel<strong>le</strong> du pays ou bien selon que ce pays est traversé par destensions intralinguistiques ou se trouve dans la zone d'influence de« l'anglais international ».Au Québec, l'anglais utilisé ne correspond pas au globish, mais réel<strong>le</strong>ment<strong>à</strong> la <strong>langue</strong> anglaise parfaitement maîtrisée par <strong>une</strong> grande partiede la population québécoise. La situation diffère sensib<strong>le</strong>ment enFrance, en Belgique ou en Suisse. Dès lors, comment dépasser ladimension « mosaïque » de la francophonie ? Comment adopter <strong>une</strong>stratégie francophone généra<strong>le</strong> qui <strong>pour</strong>rait être appliquée dans l'ensemb<strong>le</strong>des col<strong>le</strong>ctivités ? Pour ma part, je suis dépassé par cettemosaïque de la francophonie qui en fait <strong>pour</strong>tant tout l'intérêt.155Conrad OUELLONDes instruments stratégiques de défense de la francophonie existentdéj<strong>à</strong> <strong>à</strong> l'heure actuel<strong>le</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s logiciels ou <strong>le</strong>s jeux en anglais. Reste <strong>à</strong>savoir comment positionner <strong>le</strong> discours <strong>pour</strong> tenir compte d'<strong>une</strong> réalitésocia<strong>le</strong>. Cette question <strong>pour</strong>rait faire l'objet d'<strong>une</strong> réf<strong>le</strong>xion intéressante.Jean-Claude AMBOISEIl faut se méfier du terme « globish » qui ne correspond <strong>à</strong> auc<strong>une</strong><strong>langue</strong>. En effet, lorsque la Commission européenne envoie par exemp<strong>le</strong>des dossiers <strong>à</strong> nos administrations nationa<strong>le</strong>s, il s'agit généra<strong>le</strong>mentde documents de plusieurs centaines de pages, et ceux-ci sontrédigés dans un anglais qui sert <strong>à</strong> constituer des rapports et ne peutdonc bien évidemment pas être assimilé <strong>à</strong> du globish ! Je rejoins donc<strong>le</strong> propos de François Grin qui dénonçait l'invention médiatique du globish.Yvan AMARJe tiens <strong>à</strong> préciser que, lorsque nous utilisons <strong>le</strong> terme de globish, nousfaisons référence <strong>à</strong> un langage de communication minima<strong>le</strong>, qui nes'applique pas <strong>à</strong> l'anglais utilisé dans <strong>le</strong>s rapports de la Commissioneuropéenne.


Jean-Marie KLINKENBERGJ'aurais voulu <strong>pour</strong>suivre la réf<strong>le</strong>xion commencée hier sur <strong>le</strong>s actions <strong>à</strong>mener au niveau européen. M. Toubon a mentionné hier qu'il ne souhaitaitpas créer de conflit entre la loi <strong>français</strong>e et la législation européenne.Dans <strong>le</strong> cadre du débat sur la domination de l'Europe sur <strong>le</strong>sÉtats membres, je constate en particulier un phénomène de confiscationdu pouvoir du citoyen qu'il s'agirait donc de reconquérir. En effet,aujourd'hui, <strong>le</strong> citoyen européen est dépossédé de son pouvoir vis-<strong>à</strong>-visdes institutions européennes. Un moyen de reconquérir ce pouvoirconsiste <strong>à</strong> participer activement aux divers débats actuels surl'Europe.Yvan AMARNous allons clore ce colloque des conseils supérieurs et organismes dela <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e. La réf<strong>le</strong>xion se <strong>pour</strong>suivra <strong>à</strong> huis clos demainmatin.Je remercie nos intervenants et tous ceux qui nous ont accompagnéstout au long de ces travaux.156


AnnexesL’usage des <strong>langue</strong>s étrangères au travail dans<strong>le</strong>s entreprises de 20 salariés et plus <strong>à</strong> partir del’enquête COIÉtude réalisée par <strong>le</strong> Centre d’études de l’emploi (CEE) par Sophie Bressé<strong>pour</strong> la <strong>Délégation</strong> généra<strong>le</strong> <strong>à</strong> la <strong>langue</strong> <strong>français</strong>e et aux <strong>langue</strong>s de France157Présentation de l’enquêteChangements organisationnels et informatisation (COI) 2006L’enquête COI est <strong>une</strong> enquête couplée entreprises/salariés sur <strong>le</strong>s changementsdes organisations et du travail (dont l’informatisation).8 partenaires, dont la DGLFLF, coordonnés par <strong>le</strong> CEE, ont participé <strong>à</strong> son élaborationet <strong>à</strong> sa réalisation.Ont été interrogés :> 15 000 salariés d’entreprises de 20 salariés et plus ;> 13 700 entreprises de 10 salariés et plus ;> couplage sur 7 000 entreprises de 20 salariés et plus.Deux extensions de l’enquête ont aussi été réalisées :> dans la fonction publique d’État ;> dans la fonction publique hospitalière.L’étude porte ici sur <strong>le</strong>s seuls salariés des entreprises privées de 20 salariés etplus ayant fait l’objet d’un appariement (14 333 salariés interrogés).Les thèmes de l’enquête « Salariés » :> <strong>le</strong>s horaires de travail ;> <strong>le</strong>s outils du poste de travail ;> <strong>le</strong> lieu de travail et <strong>le</strong>s col<strong>le</strong>ctifs de travail ;> <strong>le</strong>s responsabilités, l’entraide et l’autonomie au travail ;> <strong>le</strong>s rythmes de travail ;> <strong>le</strong>s compétences et la formation professionnel<strong>le</strong> ;> la rémunération et l’évaluation du travail ;> <strong>le</strong>s changements dans l’entreprise dans <strong>le</strong>s 3 dernières années.La DGLFLF a notamment financé un dispositif de questions sur <strong>le</strong>s <strong>langue</strong>stransversal au questionnaire.


Les questions permettant d’appréhender l’utilisation des <strong>langue</strong>s étrangèresau travail et qui structurent la présente étude(Question posée <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s salariés)Votre travail implique-t-il de par<strong>le</strong>r ou écrire <strong>une</strong> autre <strong>langue</strong> que <strong>le</strong> <strong>français</strong> ?1. Fréquemment2. Occasionnel<strong>le</strong>ment3. Jamais ou presque(Question posée uniquement <strong>à</strong> ceux qui ont répondu « Fréquemment » ou « Occasionnel<strong>le</strong>ment »)De quel<strong>le</strong> <strong>langue</strong> s’agit-il ?(Si plusieurs <strong>langue</strong>s étrangères utilisées, noter la plus fréquente)(Question posée <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s salariés)Vous arrive-t-il de devoir utiliser des documents comme des notices, desmodes d’emploi qui ne sont pas rédigés en <strong>français</strong> ?1. Fréquemment2. Occasionnel<strong>le</strong>ment3. Jamais ou presque(Question posée uniquement <strong>à</strong> ceux qui ont répondu « Fréquemment » ou « Occasionnel<strong>le</strong>ment »)Cela gêne-t-il <strong>le</strong> bon dérou<strong>le</strong>ment de votre travail ?1. Oui2 Non158Les groupes d’utilisateurs étudiés26 % des salariés des entreprises de 20 salariés et plus ont un travail impliquantde par<strong>le</strong>r et/ou écrire <strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère.> Anglais : 89 % ;> Autres <strong>langue</strong>s <strong>le</strong>s plus répandues (al<strong>le</strong>mand : 5 %, espagnol : 2 %, italien:1 %) : 8 % ;> Autres <strong>langue</strong>s : 3%.32% des salariés sont amenés <strong>à</strong> lire dans <strong>le</strong> cadre de <strong>le</strong>ur travail des documentsrédigés dans <strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère.> 22% d’entre eux déclarent que cela gêne <strong>le</strong> bon dérou<strong>le</strong>ment de <strong>le</strong>ur travail,soit 7% des salariés des entreprises de 20 salariés et plus.


Les groupes d’utilisateurs étudiésChamps : <strong>le</strong>s salariés des entreprises de 20 salariés et plusPersonnes dont<strong>le</strong> travail :implique de par<strong>le</strong>rou écrire <strong>une</strong><strong>langue</strong> étrangèrerépandueau travailimplique de par<strong>le</strong>rou écrire <strong>une</strong>autre <strong>langue</strong>étrangèreau travailn’implique pasde par<strong>le</strong>r ouécrire <strong>une</strong> <strong>langue</strong>étrangèreau travailtotaln’implique pasde liredes documentsrédigés en <strong>langue</strong>étrangère8 %-60 %nonutilisateurs68 %implique de liredes documentsrédigés en <strong>langue</strong>étrangère et quien sont gênéesdans <strong>le</strong>ur travail3 %-4 % 7 %utilisateursgênés159implique de liredes documentsrédigés en <strong>langue</strong>étrangère et quin’en sont pasgênées dans <strong>le</strong>urtravail15 %utilisateurscomp<strong>le</strong>tstotal 26 % 1 %utilisateursd’autres <strong>langue</strong>s-10 % 25 %73 % 100 %Source : enquête COI 2006, CEE-DARES-INSEE


Groupe 1 : Les utilisateurs comp<strong>le</strong>ts(dont <strong>le</strong> travail implique de par<strong>le</strong>r et/ou écrire <strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère, et qui lisent des documentsrédigés en <strong>langue</strong> étrangère sans en éprouver de gêne).On estime qu’ils sont entre 1,1 et 1,2 millions de salariés travaillant au seind’<strong>une</strong> entreprises de 20 salariés et plus en France métropolitaine..Principa<strong>le</strong> spécificité : un niveau d’études très é<strong>le</strong>vé par rapport <strong>à</strong> la populationde référence.> 80 % :études supérieures (contre 35 % en moyenne) ;> 27 %: études de très haut niveau (contre 6 % en moyenne)..Une très forte surreprésentation des cadres :> 59 % contre 19 % dans la population de référence ;> <strong>une</strong> quasi absence des ouvriers (3 % contre 32 %)..48 % d’entre eux exercent des fonctions d’encadrement (contre 29 % del’ensemb<strong>le</strong> des salariés).Plus de je<strong>une</strong>s de 25 <strong>à</strong> 34 ans..Moins de femmes (28 %), que dans la population de référence (37 %)..Plus de salariés travaillant dans l’industrie automobi<strong>le</strong> et des biensd’équipement, dans la finance ou <strong>le</strong>s services aux entreprises, et moins desalariés travaillant dans la construction et <strong>le</strong>s industries agroalimentaires ou debiens de consommation..82 % travail<strong>le</strong>nt dans <strong>une</strong> entreprise intervenant sur <strong>le</strong> marché international,contre 53 % dans la population de référence..71 % travail<strong>le</strong>nt dans <strong>une</strong> entreprise de 250 salariés ou plus, (contre 62 %).> la part des utilisateurs « comp<strong>le</strong>ts » sur l’ensemb<strong>le</strong> des salariés augmenteavec la tail<strong>le</strong> de l’entreprise..16 % utilisent dans <strong>le</strong> cadre de <strong>le</strong>ur travail <strong>une</strong> de <strong>le</strong>urs <strong>langue</strong>s maternel<strong>le</strong>s..29 % utilisent cette <strong>langue</strong> dans <strong>le</strong>urs relations avec <strong>le</strong>urs collègues.160.16 % dans <strong>le</strong>urs relations avec <strong>le</strong>urs supérieurs hiérarchiques..43 % dans <strong>le</strong>urs relations avec <strong>le</strong>urs fournisseurs..53 % dans <strong>le</strong>urs relations avec <strong>le</strong>urs clients..54 % dans <strong>le</strong>urs relations avec d’autres personnes extérieures.


Groupe 2 : Les individus gênés par l’utilisation d’<strong>une</strong> <strong>langue</strong> étrangère(dont <strong>le</strong> travail implique de lire des documents en <strong>langue</strong> étrangère et qui en éprouvent <strong>une</strong>gêne au travail).Ils représentent entre 500 000 et 600 000 salariés des entreprises de 20salariés ou plus..Les femmes sont moins représentées (26 %) que dans la population de référence(37 %)..Les je<strong>une</strong>s (moins de 35 ans) sont moins représentés et <strong>le</strong>s 45 ans et plussont proportionnel<strong>le</strong>ment nettement plus nombreux..Les cadres et <strong>le</strong>s professions intermédiaires sont plus représentés que dansla population de référence..Mais <strong>le</strong> niveau d’études est assez semblab<strong>le</strong> <strong>à</strong> celui de la population de référence..Ils sont un peu plus nombreux <strong>à</strong> exercer des fonctions d’encadrement (34 %)que dans la population de référence (29 %).161.62 % d’entre eux ont suivi <strong>une</strong> formation proposée par <strong>le</strong>ur employeur depuis<strong>le</strong>ur entrée dans l’entreprise (contre 52 % de l’ensemb<strong>le</strong> des salariés)..Mais seuls 10 % parmi ces derniers ont suivi <strong>une</strong> formation en <strong>langue</strong>s..Il s’agit alors d’<strong>une</strong> formation en anglais dans 99 % des cas.Groupe 3 : Les utilisateurs d’autres <strong>langue</strong>s étrangères(dont <strong>le</strong> travail implique de par<strong>le</strong>r et/ou écrire <strong>une</strong> autre <strong>langue</strong> étrangère).On estime qu’ils représentent un peu moins de 50 000 salariés des entreprisesde 20 salariés et plus..La <strong>langue</strong> qu’ils utilisent au travail est souvent (1 cas sur 6) <strong>le</strong> portugais oul’arabe..Ils sont <strong>pour</strong> la plupart issus de l’immigration :> <strong>le</strong>s deux parents sont nés <strong>à</strong> l’étranger : 75 % ;> un des deux parents est né <strong>à</strong> l’étranger : 5 %..Parmi eux :> 66 % ont appris <strong>le</strong> <strong>français</strong> dans <strong>le</strong>ur enfance ;> 52 % ont appris plusieurs <strong>langue</strong>s ;> 1/5 n’ont appris que <strong>le</strong> <strong>français</strong> dans <strong>le</strong>ur enfance et ont donc probab<strong>le</strong>mentacquis cette <strong>langue</strong> étrangère dans <strong>le</strong> cadre de <strong>le</strong>ur scolarité.


Données de cadrage sur <strong>le</strong>s différents souséchantillonsétudiésPoids dans l’échantillon 14 333 1 908 993Variab<strong>le</strong>s Modalités Salariés desentreprises de20 salariés etplusSexeHommesFemmes63 %37 %Personnes parlantet lisant<strong>une</strong> <strong>langue</strong> couranteau travailsans en êtregênées72 %28 %Personnesgênées dans<strong>le</strong>ur travail par la<strong>le</strong>cture dedocuments en<strong>langue</strong>étrangère74 %26 %Âgemoins de 25 ans5 %2 %2 %25-34 ans23 %28 %17 %35-44 ans32 %32 %31 %45 ans et plus40 %38 %50 %162PCSCadres19 %59 %25 %Professions intermédiaires27 %28 %45 %Employés21 %10 %8 %Ouvriers32 %3 %22 %Diplôme<strong>le</strong> plus é<strong>le</strong>véAvant secondaireSecondaire généralBac proSup. 1 er cyc<strong>le</strong>Sup. 2 e cyc<strong>le</strong>Sup. 3 e cyc<strong>le</strong>Grandes éco<strong>le</strong>s, etc.47 %9 %9 %17 %6 %6 %6 %Secteur Industrie33 %d’activité Construction, transports 14 %Commerce21 %Finance, service, entreprises32 %Source : enquête COI 2006, CEE-DARES-INSEE9 %6 %5 %24 %12 %17 %27 %36 %8 %14 %42 %46 %8 %11 %19 %7 %4 %6 %45 %13 %12 %30 %


Ministère de la Culture et de laCommunication<strong>Délégation</strong> généra<strong>le</strong> <strong>à</strong> la <strong>langue</strong><strong>français</strong>e et aux <strong>langue</strong>s de France6 rue des Pyramides75001 Paristéléphone : 01 40 15 73 00télécopie : 01 40 15 36 76courriel : dglflf@culture.gouv.frwww.dglf.culture.gouv.frDélégué généralXavier NorthDélégué général adjointJean-François BaldiCoordination des publicationsDominique Bard-CavelierRéalisationÉva Stella-Moragues<strong>Délégation</strong> généra<strong>le</strong> <strong>à</strong> la <strong>langue</strong><strong>français</strong>e et aux <strong>langue</strong>s de France6 rue des Pyramides, 75001 Paristéléphone : 01 40 15 73 00télécopie : 01 40 15 36 76courriel : dglflf@culture.gouv.frwww.dglf.culture.gouv.frISSN : 1958-5268

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