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Qu'est-ce qu'une formation professionnelle universitaire des ... - IUFM

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T. PHILIPPOTgéographie sont essentiellement fondés sur <strong>des</strong> questionnaires et/ou <strong>des</strong> entretiens. Or, noussavons que dans <strong>ce</strong>s situations où <strong>des</strong> chercheurs invitent <strong>des</strong> enseignants à dire <strong>ce</strong> qu’ilsfont ou <strong>ce</strong> qu’ils feraient, il existe un écart entre le dire et le faire. Ces écarts ou distorsionspeuvent, par exemple, être liés au fait que les acteurs n’ont pas la mémoire de tous leurs faitset gestes, ou n’ont pas les outils con<strong>ce</strong>ptuels pour mettre en mots leurs pratiques (Lahire,1998). Tout <strong>ce</strong>la revient à dire qu’il ne faut pas discréditer les pratiques enseignantes aumotif qu’elles ne reflètent pas de manière fidèle <strong>ce</strong> que déclarent les enseignants quand ilsévoquent <strong>ce</strong> qu’ils font, le dire et le faire obéissent à <strong>des</strong> logiques profondément différentes.De plus, comme le rappelle Lenoir les recherches sur les pratiques <strong>professionnelle</strong>s <strong>des</strong>enseignants « ont beaucoup porté sur la pensée <strong>des</strong> enseignants, leurs représentations,leurs croyan<strong>ce</strong>s, bref sur le discours relatif à leurs pratiques, peu de recherches ont portésur l’étude empirique <strong>des</strong> pratiques d’enseignement elles-mêmes et tout particulièrementsur <strong>ce</strong> qui se passe effectivement dans la classe » (Lenoir, 2005, p. 6).Nous avons donc choisi une méthodologie fondée sur l’enregistrement audio et vidéo <strong>des</strong>éan<strong>ce</strong>s de classes. Toutefois, nous savons que l’observation d’une situation de classe parune personne extérieure et l’interprétation qui peut en être faite a posteriori ouvrent la porteà de nombreux biais. Par exemple, risque d’investissements affectifs, interprétation d’uneaction qui diffère de <strong>ce</strong>lle qu’aurait pu en donner l’enseignant. Pour limiter <strong>ce</strong>s risques,et pour permettre à l’acteur lui-même de s’exprimer sur sa propre pratique en donnant lasignification de ses actes et les raisons de ses choix, il est indispensable d’adjoindre àl’enregistrement un entretien avec l’enseignant qui a été filmé.L’acteur n’a pas toujours conscien<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong> qu’il fait, il ne garde pas toujours la mémoire <strong>des</strong>es faits et gestes : « Nous ne savons pas constamment <strong>ce</strong> que nous faisons. Et mêmesi nous en avons vaguement conscien<strong>ce</strong>, nous ne savons pas toujours pourquoi nousagissons de la sorte, comme si notre action « allait de soi », était « naturelle », n’exigeaitaucune explication. » (Perrenoud, 1996, p.182). Il faut donc trouver <strong>des</strong> dispositifs qui luipermettent, d’une part, de « revivre ses actions », et d’autre part, de s’exprimer sur sapratique. C’est <strong>ce</strong> qui est possible avec l’auto-confrontation. Selon Roland Goigoux, c’est« une situation de dialogue avec le chercheur au cours de laquelle la maîtresse est incitéeà commenter sa propre activité, restituée par la vidéo. » (Goigoux, 2001, p.127).Le dispositif de recueil <strong>des</strong> données, identique pour chaque enseignant volontaire , comprenddonc l’enregistrement audio et vidéo d’une séan<strong>ce</strong> proposée par l’enseignant, puis quelquessemaines après, un entretien d’auto-confrontation. Cette recherche fait appelle à <strong>des</strong> enseignants volontaires exerçant au cycle 3 de l’école élémentaire, dansdivers contextes professionnels. C’est donc à partir d’un échantillon de convenan<strong>ce</strong> (Maubant & al., 2005),quenous travaillons. Temps né<strong>ce</strong>ssaire à la préparation <strong>des</strong> entretiens et qui s’explique aussi par le fait que les enseignantspris par de nombreuses sollicitations <strong>professionnelle</strong>s et personnelles, n’arrivent pas toujours à se libérerrapidement.10<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Des enseignants de l’école primaire et l’enseignement <strong>des</strong> matières scolaires : réflexions sur la professionnalité enseignantePrésentation <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>s enregistréesEnseignant Classe Discipline Titre de la séan<strong>ce</strong>Claude Cycle 3 CM2 Géographie L’EuropeJulien Cycle 3 CM2 Géographie L’agriculture françaiseBertrand Cycle 3 CM2 Histoire La colonisationVéronique Cycle 3 CE2 – CM1 Histoire La famille au moyen âgeMme P. Cycle3 CE2/CM1 E.P.S Patin à gla<strong>ce</strong>Mme P. Cycle3 CE2/CM1 Scien<strong>ce</strong>s Le mouvementMme Du. Cycle 3 CE2/CM1 Scien<strong>ce</strong>s Mélanges et solutionsMme Dau. Cycle3 CM2 Scien<strong>ce</strong>s La circulation sanguineMme An. Cycle 2 CE1 Arts Plastiques Le volumeMme B. Cycle1 petite section MusiqueMme C. Cycle 3 CM2 Mathématiques NumérationLes deux recueils (film et entretien) ont été scriptés et analysés à l’aide d’une grille issuedu con<strong>ce</strong>pt de « secondarisation ». Cette grille, constituée de huit critères discriminants,permettait de caractériser les contenus analysés dans l’ensemble <strong>des</strong> scripts, en fonction deleur propension à favoriser la construction d’un rapport second au monde chez les élèves.Chaque dimension est spécifiée par une proposition fondée sur une alternative entre <strong>ce</strong> quipeut favoriser l’acquisition d’une attitude de secondarisation par les élèves et <strong>ce</strong> qui peutfaire obstacle à <strong>ce</strong>tte construction :le sens de l’activité : <strong>ce</strong>lui-ci réside dans le registre secondaire de la rationalité et del’objectivité <strong>des</strong> savoirs ou dans le registre premier de l’opinion, l’utilité, l’attractivité, lecontexte familier et quotidien ;l’explicitation <strong>des</strong> enjeux : les enjeux cognitifs et culturels de l’activité sont explicités ou bienrestent très opaques ;l’orientation <strong>des</strong> tâches et consignes : l’élève est conduit à la prise de conscien<strong>ce</strong> et aucontrôle <strong>des</strong> pro<strong>ce</strong>ssus cognitifs à mettre en œuvre, ou bien il est « seulement » conduitvers la réussite et la réalisation de la tâche ;l’ajustement didactique : <strong>ce</strong>lui-ci est correct, adapté au niveau <strong>des</strong> élèves et à l’objectifd’apprentissage visé ou bien il trop faible (sous-ajustement didactique : les règles etles contraintes floues) ou encore trop fort (sur-ajustement didactique : les tâches sontsimplifiées) ;la mobilisation de con<strong>ce</strong>pts : l’enseignant recherche l’abstraction par l’utilisation d’unvocabulaire spécifique ou bien il valorise les aspects concrets, per<strong>ce</strong>ptifs et son vocabulaireest imprécis ;les critères de réussite de la séan<strong>ce</strong> : l’activité <strong>des</strong> élèves est rapportée à la normativité<strong>des</strong> savoirs à acquérir ou bien c’est la participation <strong>des</strong> élèves – et leurs comportementsapparents - qui sont <strong>des</strong> indi<strong>ce</strong>s de réussite aux yeux de l’enseignant ;le rapport aux disciplines scolaires : l’enseignant considère que l’ensemble <strong>des</strong> disciplinesconcourt au développement de la pensée, au contrôle <strong>des</strong> pro<strong>ce</strong>ssus cognitifs ou ilintroduit une distinction entre disciplines scolaires « fondamentales » (dont l’objectif estl’apprentissage) et disciplines « ac<strong>ce</strong>ssoires » (visant plutôt l’expression spontanée et leregistre ludique).le rapport à l’exactitude <strong>des</strong> savoirs transmis par l’enseignant : <strong>ce</strong>tte exactitude est importanteou non pour l’enseignant.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 11


T. PHILIPPOTC’est muni de <strong>ce</strong>tte grille que nous avons analysé les onze séan<strong>ce</strong>s qui constituent notrecorpus.RésultatsL’étude <strong>des</strong> onze séan<strong>ce</strong>s témoigne de la diversité <strong>des</strong> choix <strong>des</strong> enseignants qui sontautant de réponses aux problèmes posés par la diversité et la complexité <strong>des</strong> contextesprofessionnels auxquels ils doivent faire fa<strong>ce</strong>. Elle témoigne également de la complexité <strong>des</strong>professionnalités enseignantes à l’école primaire. Toutefois, quelques composantes de <strong>ce</strong>sprofessionnalités peuvent être dégagées.La forte prégnan<strong>ce</strong> de la gestion de classeL’analyse <strong>des</strong> enregistrements vidéo met en éviden<strong>ce</strong> le poids, que nous n’avionspas envisagé au départ, <strong>des</strong> contraintes liées à la « gestion de classe » dans le travailenseignant. La notion de gestion de classe renvoie aujourd’hui à deux composantes dela professionnalité <strong>des</strong> enseignants. D’une part, à la capacité de maintenir l’ordre dans laclasse, la « discipline ». L’enseignant doit savoir tenir sa classe ; dans tout situation « ilveille à instaurer un cadre de travail permettant l’exerci<strong>ce</strong> serein <strong>des</strong> activités. » (B.O.E.N,2007). D’autre part, à la capacité à planifier et organiser les situations d’enseignementappentissage,d’organiser le travail de la classe (ibid., p. XV)Dans les séan<strong>ce</strong>s étudiées la « gestion de classe » prend une part très importante dans ladurée <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>s. Ainsi, dans une proportion variable, selon les contextes professionnels,les interactions entre l’enseignant et les élèves de la classe visent à préserver un climatfavorable aux apprentissages <strong>des</strong> élèves et à organiser le travail. De <strong>ce</strong> fait, les onze séan<strong>ce</strong>sanalysées présentent une structure en « archipel ». Structure marquée par la juxtapositionde temps plus ou moins long consacrée à la gestion de classe et de temps <strong>ce</strong>ntrés sur lesapprentissages en jeu dans la séan<strong>ce</strong>. La gestion de classe serait devenue un élément quis’impose dans la professionnalité <strong>des</strong> enseignants comme une finalité. être capable defaire fa<strong>ce</strong> à <strong>des</strong> « élèves difficiles » ; gérer les tensions dans la classe ; organiser la classedeviendraient <strong>des</strong> éléments prépondérants ; la question <strong>des</strong> savoirs disciplinaires passeraitau second plan.La forme plus que le fondAu regard de nos huit critères, for<strong>ce</strong> est de constater que les situations de travail proposéespar les enseignants de notre échantillon, favorisent peu la construction d’un rapportsecondarisé au monde par les élèves.Cela ne signifie pas que les objectifs d’apprentissages de savoirs disciplinaires soientabsents <strong>des</strong> préoccupations <strong>des</strong> enseignants. On relève, dans les entretiens <strong>des</strong> indicationsmontrant qu’ils poursuivent de tels objectifs. Mais, bien souvent <strong>ce</strong>ux-ci sont limités aucadre de la situation mise en œuvre, et ils demeurent, pour les élèves très implicites.Aussi, dans <strong>ce</strong>s séan<strong>ce</strong>s, pour les élèves, l’opacité quant aux véritables enjeux cognitifsest importante. Nous avons montré (Philippot et al., 2006), à partir d’exemples tirés <strong>des</strong>éan<strong>ce</strong>s de géographie, comment <strong>ce</strong>tte opacité, pouvait conduire à un écart important entreles messages explicites adressés par l’enseignant aux élèves et les objectifs qu’il poursuit.12<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Des enseignants de l’école primaire et l’enseignement <strong>des</strong> matières scolaires : réflexions sur la professionnalité enseignanteEcart qui peut générer <strong>des</strong> malentendus. Il en est de même, par exemple, en scien<strong>ce</strong>slorsque c’est l’activité d’expérimentation <strong>des</strong> élèves, devenus aux yeux de l’enseignante <strong>des</strong>« petits chercheurs », qui prend le pas sur les notions visées. C’est dans les disciplines dites« de pratiques » (EPS, Arts visuels et musique) que les enseignants sont le plus éloignés<strong>des</strong> pratiques sus<strong>ce</strong>ptibles d’orienter les élèves vers une attitude de secondarisation.Ainsi, <strong>ce</strong>s séan<strong>ce</strong>s présentent en quelque sorte un « habillage » disciplinaire, géographique,scientifique, etc., mais elles sont souvent éloignées <strong>des</strong> finalités et de l’objet <strong>des</strong> disciplinesscolaires. Tout semble indiquer que la maîtrise <strong>des</strong> matri<strong>ce</strong>s disciplinaires (Develay, 1992)est très inégale d’un enseignant à l’autre, mais aussi selon les disciplines. Faute d’unemaîtrise sur le fond <strong>des</strong> disciplines scolaires qu’ils doivent enseigner, les enseignants s’entiennent aux aspects les plus formels, aux tâches les plus rituelles. Il en résulte d’une part,que « dans la classe, les activités intellectuelles sollicitées sont rarement de l’ordre de lamise en relation, de l’abstraction, de l’interprétation », et, d’autre part, que les situationsproposées relèvent « d’un bricolage [qui] permet à la fois de motiver la classe, d’éviterl’ennui, et de faire passer <strong>des</strong> savoirs factuels » (Audigier et al., 2004). Il semble, au vu denos analyses que <strong>ce</strong>s propos, relatifs à l’enseignement de l’histoire et de la géographie,peuvent être étendus à d’autres disciplines.Sur les onze séan<strong>ce</strong>s analysées, cinq ont été réalisées par <strong>des</strong> enseignants qui ont fait<strong>des</strong> étu<strong>des</strong> supérieures dans le champ disciplinaire mis en jeu lors de la séan<strong>ce</strong>. Uneseule séan<strong>ce</strong> (Histoire : la colonisation), se démarque <strong>des</strong> autres. Elle témoigne d’unepréoccupation constante de l’enseignant pour orienter les élèves vers les objectifsd’apprentissage et de secondarisation, en s’appuyant sur la maîtrise <strong>des</strong> savoirs historiqueset l’épistémologique de l’histoire. Or, l’enseignant qui l’a conçue et mise en œuvre n’a pas de<strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> en histoire. De tels constats conduisent à s’interroger sur les relationsentre <strong>ce</strong>s composantes <strong>des</strong> professionnalités et la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants polyvalents.Des rapports complexes à la <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong>Au cours de sa <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong>, l’étudiant s’approprient <strong>des</strong> « savoirs <strong>universitaire</strong>s »,il est dans un rapport au savoir pour « soi », dans un univers contrôlé et homogène. Lepassage de l’étudiant à l’enseignant professionnel, le conduit au monde de la pratique<strong>professionnelle</strong> dans lequel il est confronté à une pluralité de savoirs scolaires. Il semblealors que les professionnalités enseignantes que nous avons pu décrire expriment, enpartie, une tension vive entre <strong>ce</strong>s deux mon<strong>des</strong> : la <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong>, et, la diversité<strong>des</strong> situations <strong>professionnelle</strong>s auxquelles l’ « étudiant spécialiste » devenu enseignantprofessionnel polyvalent doit faire fa<strong>ce</strong> dans sa pratique de classe.Deux « filtres » s’interposent alors entre <strong>ce</strong>s deux mon<strong>des</strong>. Celui de la né<strong>ce</strong>ssité de faireclasse au quotidien, et un « filtre » qui se construit peu à peu au fur et mesure de l’avan<strong>ce</strong>mentdans la carrière qui est <strong>ce</strong>lui de l’expérien<strong>ce</strong> <strong>professionnelle</strong>.Dans notre échantillon, c’est à l’aune de la né<strong>ce</strong>ssité de préparer et de faire classe auquotidien que les enseignants novi<strong>ce</strong>s évaluent les apports <strong>des</strong> savoirs <strong>universitaire</strong>s.En effet, on constate que la <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> est un élément qui donne aux jeunesenseignants un fort sentiment de compéten<strong>ce</strong> lorsqu’ils conçoivent et réalisent une séan<strong>ce</strong>dans leur spécialité. C’est par exemple <strong>ce</strong> qu’exprime, lors de l’entretien, <strong>ce</strong>tte enseignantetitulaire d’une li<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong> de biologie : Séan<strong>ce</strong> réalisée par un maître formateur<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 13


T. PHILIPPOT« Là sur la séquen<strong>ce</strong>, ça ne se voit peut être pas for<strong>ce</strong>ment mais après j’ai <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>squi me permettent de répondre quand même plus aux questions <strong>des</strong> enfants, je vois l’autrejour on avait fait la classification <strong>des</strong> animaux. Bon ben là quand ils me disent <strong>des</strong> trucs,je suis en capacité de dire « oui mais non là, c’est pas possible par<strong>ce</strong> qu’il y a ça… » sansrentrer trop dans les détails de gènes ou d’ADN, je ne vais pas aller jusqu’à là avec eux…Mais c’est vrai que j’ai plus de réponses à apporter… » (extrait entretien)L’entretien fait suite à une séan<strong>ce</strong> de scien<strong>ce</strong>s portant sur le mouvement. La séan<strong>ce</strong> <strong>des</strong>cien<strong>ce</strong>s analysée se déroule dans une classe située en ZEP et comportant 24 élèves deCE2/CM1. Dans le contexte difficile auquel elle doit faire fa<strong>ce</strong>, les savoirs savants acquis lorsde sa <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> sont un moyen pour maîtriser le groupe classe en apportantsystématiquement <strong>des</strong> réponses aux questions <strong>des</strong> élèves.Ce sentiment d’avoir un « bon niveau » dans une discipline peut également entraîner, defaçon peut-être paradoxale, un travail de préparation et de réflexion moins important lorsqu’ils’agit de l’enseigner.Chercheur : Tu penses que tu as toutes les connaissan<strong>ce</strong>s par rapport au programme,c’est ça ?Enseignant : Pour <strong>ce</strong> qui est <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s, oui ; après, c’est <strong>ce</strong> que je disaisje ne suis pas né<strong>ce</strong>ssairement plus performant que quelqu’un d’autre. Par<strong>ce</strong> que jepasse sans doute moins de temps sur <strong>ce</strong>tte matière là. Donc, je prépare moins, jeréfléchis moins sur ma discipline par<strong>ce</strong> que je la connais…Et puis par<strong>ce</strong> que je vaism’en sortir…. » (extrait entretien)Ainsi, au-delà de la confian<strong>ce</strong> en soi, <strong>ce</strong>t enseignant titulaire d’une li<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong> en histoire, estimeque <strong>ce</strong>tte <strong>formation</strong> peut nuire d’une <strong>ce</strong>rtaine façon à la qualité de son travail. Pour lui, sesentant « à l’aise » en histoire-géographie, il réfléchit moins que dans une discipline où iln’est pas spécialiste. On peut penser que pour <strong>ce</strong> jeune enseignant, comme probablementpour d’autres, la nature <strong>des</strong> savoirs qu’il a à enseigner en histoire ou en géographie est trèsproche de <strong>ce</strong>ux qu’il a acquis à l’université. Il sait, et sa réussite au concours l’atteste. Dans<strong>ce</strong>s conditions, une réflexion sur les contenus à enseigner ne s’impose pas. La né<strong>ce</strong>ssitéde préparer chaque jour <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>s dans différentes disciplines apparaît ici comme unecontrainte plus forte.Dans les séan<strong>ce</strong>s analysées, l’expérien<strong>ce</strong> <strong>professionnelle</strong> pèse d’un poids très importantdans les décisions que sont amenés à prendre les enseignants. Ceci, à la fois dans leschoix qu’ils font lorsqu’ils préparent les séan<strong>ce</strong>s et lorsqu’ils sont en situation de travail.Cette expérien<strong>ce</strong> <strong>professionnelle</strong> conduit <strong>ce</strong>rtains enseignants à reconsidérer les apportsde leur <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> à leur pratique <strong>professionnelle</strong>. L’exemple de <strong>ce</strong> que dit lorsde l’entretien <strong>ce</strong>tte enseignante expérimentée, titulaire d’une li<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong> d’histoire, est tout à faitsignificatif de l’évolution du rapport à la <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong>.« comment dire en histoire on étudiait trop <strong>des</strong> pério<strong>des</strong> précises puis c’était trèsapprofondi, et en fait par rapport à la réalité de l’enfant et comment il voit les pério<strong>des</strong>ancienne et tout c’est… d’ailleurs <strong>ce</strong> que je faisais quand j’ai débuté c’était beaucouptrop compliqué, trop riche en vocabulaire trop creusé et maintenant je me dis quitte àdire parfois <strong>des</strong> phrases un peu… pas imprécises, mais je me dirais il y a un historienqui serait là, il tomberait par terre à la renverse mais… pour que les enfants demaintenant pour qu’ils soient motivés on ne peut plus se contenter d’ouvrir les livrescomme ça, il faut que ça vive la leçon, donc il faut avoir un langage parfois un peuplus imagé, être soi-même un peu plus… comment dire… pas magistrale comme on14<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Des enseignants de l’école primaire et l’enseignement <strong>des</strong> matières scolaires : réflexions sur la professionnalité enseignanteétait autrefois donc ça induit plein de choses différentes et c’est vrai que tout <strong>ce</strong> quej’ai appris en faculté […], je ne vois pas comment je pourrais réutiliser ça en classe. »(extrait entretien)Cette enseignante s’est construit une conviction forte selon laquelle l’histoire <strong>des</strong> <strong>universitaire</strong>set <strong>ce</strong>lle de l’école élémentaire sont très différentes. De <strong>ce</strong> fait les savoirs <strong>universitaire</strong>squ’elle convoquait en début de carrière, ne sont plus jugés opératoires car hors de laportée cognitive <strong>des</strong> élèves. Elle reconstruit à sa façon une histoire scolaire, dans laquelleelle transige fortement avec les exigean<strong>ce</strong>s de la rigueur scientifique. À aucun moment,les savoirs <strong>universitaire</strong>s ne sont perçus comme un moyen pour réfléchir sur l’histoire àenseigner.Peu à peu, <strong>ce</strong>rtains enseignants, se détournent <strong>des</strong> savoirs qu’ils jugent trop « théoriques »,qu’ils pensent trop éloignés de leurs pratiques <strong>professionnelle</strong>s. Les ressour<strong>ce</strong>s qu’ilsmobilisent pour préparer leurs séan<strong>ce</strong>s traduisent bien <strong>ce</strong> phénomène. En effet, lorsqueles enseignants abordent <strong>ce</strong> thème pendant les entretiens, ils font beaucoup référen<strong>ce</strong> auxmanuels scolaires de l’enseignement primaire, à <strong>des</strong> revues <strong>des</strong>tinées aux enfants, et àInternet. Ressour<strong>ce</strong>s qu’ils mobilisent essentiellement pour trouver « <strong>des</strong> documents » ; <strong>des</strong>idées de séan<strong>ce</strong>s. Les ouvrages scientifiques ou didactiques sont plus rarement mentionnés,et lorsqu’ils le sont c’est plus le fait de maîtres formateurs.ConclusionTout semble indiquer que la plupart <strong>des</strong> enseignants de notre échantillon ne se sontappropriés que <strong>des</strong> « éléments de surfa<strong>ce</strong> » <strong>des</strong> disciplines qu’ils enseignent. Le manque demaîtrise épistémologique apparaît alors comme un <strong>des</strong> éléments clés pour rendre compteet comprendre les pratiques de <strong>ce</strong>s enseignants (le contexte difficile, le fait de débuter, lapolyvalen<strong>ce</strong> en sont d’autres). Il semble donc que faute d’avoir pu construire au cours deleur parcours de <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> un rapport second aux disciplines à enseigner,ils leur soient difficile de proposer <strong>des</strong> situations d’enseignement-apprentissage qui favorisela construction de <strong>ce</strong>tte posture chez les élèves.Ces professionnalités complexes expriment, pour une part, le passage problématique, dansle cadre d’une <strong>formation</strong> conçue selon un « modèle consécutif », du monde <strong>universitaire</strong>,<strong>ce</strong>lui de l’étudiant spécialiste , au monde de la pratique <strong>professionnelle</strong>, <strong>ce</strong>lui de l’enseignantpolyvalent. Il semble que la <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> spécialisée permettre plus d’acquérir <strong>des</strong>connaissan<strong>ce</strong>s en… que <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s sur… ou la connaissan<strong>ce</strong> de… qui donneraientà l’enseignant les moyens pour réfléchir à l’enseignement <strong>des</strong> disciplines dans le contextede la polyvalen<strong>ce</strong>.Ces éléments invitent, aussi, à questionner la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> initiale et continuée<strong>des</strong> enseignant du premier degré. Quelle pla<strong>ce</strong> donner à une réflexion épistémologique relativeaux disciplines à enseigner ? Mais aussi, et surtout, comment faire entrer l’enseignant, dans<strong>ce</strong>tte posture d’un rapport second aux disciplines à enseigner quand la gestion de classes’impose, quand le « comment faire » l’emporte sur le « pourquoi », « pour quoi » faire ?<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 15


T. PHILIPPOTBibliographieAUDIGIER F., TUTIAUX-GUILLON N. (dir.) (2004) Regards sur l’histoire, la géographieet l’éducation civique à l’école élémentaire. INRP, collection didactiques, apprentissages,enseignements.BAUTIER É. (2006) « Le rôle <strong>des</strong> pratiques <strong>des</strong> maîtres dans les difficultés scolaires<strong>des</strong> élèves. Une analyse <strong>des</strong> pratiques intégrant la dimension <strong>des</strong> difficultés socialementdifférenciées. » - Recherche et Formation n° 51, pp. 105-118.BAUTIER É., GOIGOUX R. (2004) « Difficultés d’apprentissage, pro<strong>ce</strong>ssus de secondarisationet pratiques enseignantes : une hypothèse relationnelle » - Revue Française dePédagogie, n° 148, pp. 89-100.BAUTIER É., ROCHEX J.-Y. (2004) « Activité conjointe ne signifie pas significationspartagées » - Raisons Éducatives n° 8, pp. 199-220.BAUTIER É., ROCHEX J.-Y. (1997) « Apprendre, <strong>des</strong> malentendus qui font la différen<strong>ce</strong> »- in J. P. Terrail La scolarisation de la Fran<strong>ce</strong>. Paris, La Dispute.BOURDONCLE R., MATHEY-PIERRE C. (1995) « Autour du mot ‘‘professionnalité’’ » - Rechercheet Formation n° 19, pp. 137-148.CHERVEL A. (1988) « L’histoire <strong>des</strong> disciplines scolaires. Réflexions sur un domaine derecherche. » - Histoire de l’éducation n° 38, pp. 59-119.CHEVALLARD Y. (1985) La transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné.Grenoble, La Pensée Sauvage Éditions.DEVELAY M.(1992) De l’apprentissage à l’enseignement. Paris, E.S.F.GOIGOUX R. (2002) « Analyser l’activité d’enseignement de la lecture : une monographie »Revue Française de Pédagogie n° 138, pp. 125-134.LAHIRE B. (1998) « Logiques pratiques : le ‘‘faire’’ et le ‘‘dire sur le faire’’ » - Recherche et<strong>formation</strong> n° 27, pp.15-28.LENOIR Y. (2005) « Divers chemins pour saisir la complexité <strong>des</strong> pratiques d’enseignement »in Y. Lenoir (coord.) « Les pratiques enseignantes : analyse <strong>des</strong> données empiriques » - Lesdossiers <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s de l’éducation n° 14, pp. 5-9.PERRENOUD P. (1996) « Le travail sur l’habitus dans la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants, Analyse<strong>des</strong> pratiques et prise de conscien<strong>ce</strong> » - in L. Paquay, M. Altet, É. Charlier et P. Perrenoud(dir.) Former <strong>des</strong> enseignants professionnels. Quelles stratégies ? Quelles compéten<strong>ce</strong>s ?Bruxelles, de Boeck, 3 e éd. 2001, pp. 181-208.PHILIPPOT T., BOUISSOU C. (2006) « Analyse d’une séan<strong>ce</strong> de géographie à l’écoleélémentaire. Regards didactique et socio-didactique » - Actes du Colloque international <strong>des</strong>Journées d’Étu<strong>des</strong> Didactique de l’Histoire et de la Géographie. Reims 23-24 octobre 2006,<strong>IUFM</strong> Champagne-Ardenne.Bulletin officiel de l’Éducation nationale (4-1-2007) Cahier <strong>des</strong> charges de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong>maîtres en <strong>IUFM</strong>, ministère de l’Éducation nationale et de la Recherche, Paris.16<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Formation initiale :l’autre transition université-secondaireEmmanuelle RouyUniversité de Liège, CIFEN – Université de Liège, LADIMATH – Facultés de Namur (Belgique)1. IntroductionPendant la période de <strong>formation</strong> initiale, les « élèves-professeurs » acquièrent <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>ssur différentes aspects de leur futur métier : psychologie, pédagogie, sociologie.Passant d’une posture d’élève à une posture de professeur, nous nous intéresserons à lamanière dont <strong>ce</strong> changement de posture peut se traduire dans leur rapport au savoir, lesmathématiques dans notre cas, et aux actions de <strong>formation</strong> sus<strong>ce</strong>ptibles d’accompagner <strong>ce</strong>changement.Dans le cas d’une <strong>formation</strong> assurée par l’université, après 4 ou 5 ans d’étu<strong>des</strong> <strong>universitaire</strong>s ,<strong>ce</strong>s élèves-professeurs sont en effet dans une nouvelle transition entre institutions. Certes,<strong>ce</strong>s transitions impliquent <strong>des</strong> changements d’environnement, de mo<strong>des</strong> d’étude, d’objectifset de préoccupations, mais une autre caractéristique commune nous semble essentielle :la confrontation de différentes organisations de connaissan<strong>ce</strong>s mathématiques, <strong>ce</strong>lle dusecondaire et <strong>ce</strong>lle de l’université. Félix Klein parlait de « double forgetting », suggérantd’« oublier » les mathématiques scolaires avant d’entrer à l’université, mais aussid’« oublier » les mathématiques de l’université avant de « retourner à l’école ». Quelles sontles manifestations de <strong>ce</strong>t oubli lors de la <strong>formation</strong> initiale ? Est-il inévitable ? Une alternativeconsisterait par exemple à utiliser les connaissan<strong>ce</strong>s <strong>universitaire</strong>s pour questionner lestranspositions proposées dans le secondaire, et développer un discours technologique rationnel, à la fois justificatif et cohérent. Mais peut-il y avoir intégration <strong>des</strong> organisationsou au contraire cohabitation concurrente ? Et quel peut-être le rôle de la <strong>formation</strong> dans<strong>ce</strong>tte mise en perspective <strong>des</strong> savoirs et de leurs transpositions ?Sur un thème mathématique présentant <strong>des</strong> organisations très différentes entre le secondaireet l’université – à savoir l’association <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts de dérivée et de tangente – nousanalyserons comment les choix d’enseignement et les discours <strong>des</strong> élèves-professeurstémoignent d’une cohabitation concurrente <strong>des</strong> savoirs scolaires et <strong>universitaire</strong>s, amenantalors à adopter dans le secondaire une présentation « intermédiaire » <strong>des</strong> savoirs qui enélude pourtant les enjeux rationnels.La <strong>des</strong>cription de différentes actions menées en <strong>formation</strong> montrera la persistan<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>sdifficultés et nous préciserons enfin comment nous proposons l’utilisation <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>sdidactiques pour développer le questionnement du savoir mathématique en tant quecompéten<strong>ce</strong> <strong>professionnelle</strong>. En Belgique, les professeurs du secondaire supérieur sont invités après le 2ème cycle <strong>universitaire</strong> àpréparer l’AESS, titre pédagogique délivré par les universités au terme de 300h de <strong>formation</strong>. Cité par Freudenthal (1973). Au sens de la Théorie Anthropologique du Didactique.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 17Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (17-28) Tome 2


E. ROUY2. Passer de l’université au secondaire : les questionsDans la mesure où nous nous intéressons à la manière dont la <strong>formation</strong> initiales’accompagne ou non d’un changement de posture vis-à-vis de la rationalité mathématique,nous chercherons dans un premier temps <strong>des</strong> éléments d’explication à la fois dans lesdifférents cadres théoriques de didactique <strong>des</strong> mathématiques et dans <strong>ce</strong>rtaines étu<strong>des</strong> surles spécificités de <strong>ce</strong>tte <strong>formation</strong>.2.1. Éclairage <strong>des</strong> cadres théoriques de didactique2.1.1. La Théorie Anthropologique du Didactique (TAD)La TAD d’Yves Chevallard est ici une référen<strong>ce</strong> principale de par son éclairage institutionnel.En effet, les élèves-professeurs sont de <strong>ce</strong> point de vue <strong>des</strong> « mutants », quittant l’universitépour pénétrer une institution dont ils sont sortis 4 ou 5 ans auparavant.La TAD suggère une organisation <strong>des</strong> savoirs mathématiques en « praxéologie » :– T, la tâche c’est-à-dire la question à résoudre (le « pour quoi ») ;– τ, la technique conçue pour la réalisation <strong>des</strong> tâches ;– θ, la technologie ou discours rationnel <strong>des</strong>tiné à expliquer et valider l’usage de <strong>ce</strong>ttetechnique pour réaliser la tâche (le « pourquoi ») ;– Θ, la théorie apportant une justification de niveau supérieur aux assertions que contient lediscours technologique. Dans notre étude, elle constitue un niveau supérieur de rationalité.L’étudiant devenant professeur se trouve donc dans la position inconfortable d’avoir étudiéles théories et de devoir (re)travailler l’articulation tâche/technique pour <strong>des</strong> techniquesnaturalisées, ainsi que la mobilisation d’un discours technologique ne pouvant être la théorie,l’obligeant à relativiser la rigueur éventuellement associée.2.1.2. La Dialectique Outil-Objet (DOO)Au sein de la perspective précédente, la DOO définie par Régine Douady (1992) apparaîtaussi éclairante. Dans le cas étudié ici, <strong>ce</strong>tte dialectique sera à rapprocher de la distinctionentre « objet mental » (notion commune) et con<strong>ce</strong>pt (notion définie mathématiquement),dont nous verrons l’enjeu en <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne la tangente.La notion de changement de cadre permet d’associer à une propriété une explication issued’un autre cadre, mais pose alors la question de distinguer l’explication de la justification. Nousverrons que les étudiants utilisent d’ailleurs très peu les changements de cadre, préférants’attacher à une théorie, caractérisée par la capacité à produire énoncés et justifications demême nature.2.1.3 La Théorie <strong>des</strong> Situations Didactiques (TSD)Les difficultés de transition s’expliquent aussi par la spécificité du contrat et la difficulté à « Praxéologie » peut être utilisée pour parler de l’organisation <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s mathématiques ellesmêmes,mais aussi pour identifier <strong>des</strong> praxéologies didactiques dans lesquelles la tâche sera « enseignerla dérivée », la technique sera par exemple « faire la limite de quotients » ou « construire une tangente ».L’identification <strong>des</strong> discours et théorie associés aux praxéologies didactiques, ainsi que les interactions entrepraxéologies mathématiques et didactiques sur <strong>ce</strong> thème fait l’objet de notre thèse. Notion définie par Freudenthal : « sorte de substituts primitifs <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts proprement mathématiques etqui peuvent à terme opposer <strong>des</strong> difficultés à la <strong>formation</strong> de <strong>ce</strong>ux-ci ». Parmi <strong>ce</strong>s objets mentaux, l’aire et levolume pour lesquels on arrive souvent à une confusion entre la grandeur et le nombre qui la mesure.18<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Formation initiale : l’autre transition université-secondairerevenir sur les apprentissages antérieurs disparus au profit <strong>des</strong> théories. C’est pourquoi lesnotions de contrat et de milieu nous paraissent éclairantes.La TSD de Guy Brousseau met l’ac<strong>ce</strong>nt sur la notion de contrat, intéressante ici puisquel’étudiant est dans un contrat didactique particulier avec les institutions prenant part à la<strong>formation</strong>. Il est souvent encore étudiant de l’université tandis qu’il est également soumisà une « norme de terrain » ainsi qu’à ses propres souvenirs d’élève. Selon le dispositifde <strong>formation</strong>, l’influen<strong>ce</strong> du contrat pourrait empêcher de prendre la distan<strong>ce</strong> requise parrapport à chacune <strong>des</strong> institutions.Dans <strong>ce</strong>tte même TSD, le milieu désigne l’ensemble <strong>des</strong> éléments matériels, sociaux, cognitifs,etc. Dans ses évolutions plus ré<strong>ce</strong>ntes (Margolinas, 2005), le même con<strong>ce</strong>pt est enrichipour inclure les différents niveaux de connaissan<strong>ce</strong> mobilisables par l’enseignant. C’est surles possibilités d’interactions entre <strong>ce</strong>s niveaux que le dispositif de <strong>formation</strong> cherchera àagir.2.2. Formation initiale et rapport au savoirLa criticité de <strong>ce</strong>tte période sur le plan du rapport au savoir a souvent été évoquée . Pourtantl’organisation d’une <strong>formation</strong> initiale continue de se heurter à l’illusion de transparen<strong>ce</strong><strong>des</strong> contenus et à une <strong>ce</strong>rtaine per<strong>ce</strong>ption du métier. En mathématiques, une difficultésupplémentaire est liée au fait que « le simple est proche du complexe » (Freudenthal, 1973),<strong>ce</strong> qui peut en faire l’attrait pour le chercheur développant le fondamental pour expliquerl’élémentaire, mais aussi la difficulté pour le professeur qui doit expliquer l’élémentaire sanspouvoir utiliser le fondamental. Doit-il et peut-il faire comme s’il ne connaissait pas <strong>ce</strong> niveaufondamental de justification ?Au niveau de l’organisation pratique, un consensus semble maintenant s’être installé surune formule mixte articulant une <strong>formation</strong> pratique avec une <strong>formation</strong> plus générale. C’estla part consacrée au questionnement du savoir mathématique et de ses transpositions quiva nous intéresser. Plusieurs recherches ré<strong>ce</strong>ntes abordent en effet une problématiqueproche de <strong>ce</strong>lle nous intéressant.A. Lenfant (2002) constate un malaise <strong>des</strong> stagiaires fa<strong>ce</strong> à l’impossibilité de justifier« correctement » <strong>des</strong> résultats ou corriger <strong>des</strong> déductions d’élèves, avec un paradoxegénéral entre <strong>des</strong> discours du type « règle » et l’attention parfois ex<strong>ce</strong>ssive portée à lajustification ou à la définition. C. Ben Salah Breigeat (2001) constate que chez les enseignantsdébutants, les connaissan<strong>ce</strong>s viennent d’être « stockées » d’une <strong>ce</strong>rtaine manière quia priori ne permettrait pas leur utilisation directe dans l’enseignement et deviendraientd’autant moins disponibles que le manuel de niveau (n) semble bloquer les référen<strong>ce</strong>s à<strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s de niveau (n +p). S. Coppé (2006) analyse l’activité <strong>des</strong> professeurs lorsde la préparation de leçons et identifie <strong>des</strong> caractéristiques potentiellement généralisables :les professeurs partent peu du savoir lui-même et envisagent la préparation comme unréagen<strong>ce</strong>ment de textes existants sur le savoir visé, sans (oser) questionner <strong>ce</strong>s textes.C. Margolinas (2005) analyse <strong>des</strong> réactions de professeurs débutants en observant lesinteractions parfois contradictoires entre 4 niveaux de la situation du professeur : (S+3)-Valeurs et con<strong>ce</strong>ptions ; (S+2)-construction du thème ; (S +1)-projet de séan<strong>ce</strong> ; (S0)-situationdidactique ; (S-1)-observation de l’activité <strong>des</strong> élèves, chaque niveau constituant le milieu Par exemple H. Lebesgue et E. Galois parlaient « d’un effort né<strong>ce</strong>ssaire de compréhension d’ensemble »ou « d’une méditation sur <strong>ce</strong>t amas de connaissan<strong>ce</strong>s ».<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 19


E. ROUYdu niveau suivant (S1 est le milieu de S2). En particulier elle met en éviden<strong>ce</strong> deux maillonsfaibles constituant <strong>des</strong> enjeux de la <strong>formation</strong> : 1) il est difficile d’observer les stratégies <strong>des</strong>élèves en faisant abstraction de ses propres connaissan<strong>ce</strong>s (S-1) ; 2) un travail d’intégrationau niveau S+2 (thème mathématique) est contrarié par les autres niveaux. Citons égalementle travail de G. Cirade en 2006, mettant en éviden<strong>ce</strong> qu’une grande partie <strong>des</strong> difficultésrencontrées par les étudiants préparant le Capes sont en fait directement liées au savoirmathématique et à ses transpositions.3. Le savoir vu par l’université et par le secondaire3.1. Des organisations à orientation contraireSi <strong>ce</strong>s recherches nous confirment l’existen<strong>ce</strong> d’une problématique globale, nous choisironsde l’étudier sur un thème mathématique a priori sus<strong>ce</strong>ptible de mettre en éviden<strong>ce</strong> lesdifficultés supposées, à savoir l’association <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts de tangente et de dérivée. Ce thèmeprésente une double visibilité institutionnelle dans la mesure où « le critère de croissan<strong>ce</strong> »est abondamment utilisé dans le secondaire pour l’exerci<strong>ce</strong> « étude de fonction », maisn’est étudié théoriquement qu’à l’université dans le cadre de l’analyse réelle. De plus, ladémarche pour l’établir comporte <strong>des</strong> enjeux en termes de rigueur et de rationalité qui sontrelatifs aux propriétés <strong>des</strong> nombres réels et à un changement de cadre géométrie/analyse.À partir d’une lecture de l’histoire de la dérivée, nous pouvons proposer une praxéologiecomme suit :1- Type de tâches : problèmes de vitesses variables, de tangentes, d’optimisation, d’approximation(affine).2- Technique : calcul de dérivées.3- Discours technologique : argumentations locales et souvent hybri<strong>des</strong>, liées à l’utilisationde points « infiniment proches » ou d’une argumentation cinématique.4- Théorie : l’analyse réelle basée sur la construction axiomatique de R et l’utilisation d’inégalitéset de quantificateurs.Une analyse de manuels du secondaire et de syllabus <strong>universitaire</strong>s montre comment <strong>ce</strong>scomposantes sont en quelque sorte « réparties » dans les organisations proposées par lesinstitutions con<strong>ce</strong>rnées. On observe alors que <strong>ce</strong>s deux organisations mettent en œuvre<strong>des</strong> dynamiques en sens inverse l’une de l’autre.20<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Formation initiale : l’autre transition université-secondaireTypes de tâchesTechniquesDiscours technologiqueThéorieUniversité : organisation globaleChangement de types de tâchepour <strong>des</strong> tâches associées à lamise en pla<strong>ce</strong> d’une organisationdéductive.Analyse réelle.Axiomatisation de R et définition<strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts fondamentaux :nombre réel, fonction, limite ;Étude systématique <strong>des</strong>propriétés de <strong>ce</strong>s con<strong>ce</strong>pts, dontle critère de croissan<strong>ce</strong> ;Organisation rationnelle globale(travail dans R n ) et « purement »analytique.Secondaire : organisation localeStatut inégal <strong>des</strong> tâches.Intervention « ex<strong>ce</strong>ssive » de latangente tandis que les problèmesd’optimisation, approximation 7et vitesses sont <strong>des</strong> problèmesd’application.Prédominan<strong>ce</strong> de la technique decalcul et de l’utilisation du critèrede croissan<strong>ce</strong>.Pratiquement pas de discourstechnologiqueErsatz de théorie avec <strong>ce</strong>ntrationsur une justification du critère decroissan<strong>ce</strong>. Les transpositions neproposent en général pas d’autreéclaircissement que la figurecorrespondante. La référen<strong>ce</strong> àla théorie consiste en l’énoncéisolé de théorèmes légitimant latechnique.3.2. Difficultés en résultant L’introduction de la notion de dérivée se fait souvent par référen<strong>ce</strong> à la notion de tangente àune courbe. Or la tangente n’est à <strong>ce</strong> stade définie mathématiquement que pour le <strong>ce</strong>rcle etpar une propriété géométrique. On constate alors une argumentation circulaire : le nombredérivé est défini comme coefficient de la tangente puis la tangente est définie comme droiteayant pour coefficient directeur le nombre dérivé. L’enjeu rationnel consistant à faire passerla tangente soit du statut d’objet mental (une droite qui frôle la courbe, ou qui passe par deuxpoints infiniment proches) au statut de con<strong>ce</strong>pt mathématique délivré d’ambiguïté (la droiteayant pour coefficient le nombre dérivé), soit d’objet géométrique à objet analytique, devientinvisible en créant de plus une interféren<strong>ce</strong> entre les deux cadres. Ensuite, pour établir lelien entre le signe de la dérivée et le sens de variation de la fonction, la tangente (toujourspas définie dans <strong>ce</strong>rtains cas) apparaît de nouveau comme intermédiaire. Dans <strong>ce</strong> cas,le fait de passer du constat visuel local (en quelques points la tangente « monte ») à unepropriété numérique sur un intervalle réel est laissé à la charge de l’élève .Plusieurs recherches en didactique viennent d’ailleurs confirmer la difficulté d’enseignementet d’apprentissage de <strong>ce</strong>s notions. C. Castela (1991) montre que la généralisation de latangente au <strong>ce</strong>rcle à la tangente à une courbe quelconque est loin d’être évidente et quele passage du cadre géométrique aux cadres fonctionnel et numérique né<strong>ce</strong>ssite vraimentune prise en charge par le professeur. M. Schneider (1991) montre de plus une « réelle La tâche d’approximation n’est en fait quasiment jamais utilisée comme introduction ni même commeapplication. Même l’élément de théorie fourni, c’est-à-dire le Théorème <strong>des</strong> Accroissements Finis, laisse <strong>ce</strong>t enjeutransparent. De plus, il est essentiellement énoncé sous la forme utilisant un quotient/pente et plus sous laforme d’accroissements.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 21


E. ROUYdifficulté <strong>des</strong> élèves du secondaire à associer la pente d’une tangente à la limite d’unesuite de quotients différentiels », difficulté s’inscrivant dans un obstacle épistémologiqued’hétérogénéité <strong>des</strong> grandeurs, dont fait partie l’obstacle géométrique de la limite : les élèvesconsidérant la tangente comme objet premier par rapport à sa pente procèdent en fait à un« faux » passage à la limite dans le domaine géométrique.La notion de tangente est en effet un objet « hybride » par nature. D’abord géométrique,sa généralisation à d’autres courbes amènera la manipulation de « quantités infinimentpetites » ou de « points infiniment proches », marquant les débuts de <strong>ce</strong> que nous appelonsmaintenant « analyse » quelle qu’en soit la formalisation. C’est aussi par la né<strong>ce</strong>ssité dedévelopper une argumentation sans recours à l’intuition géométrique que l’analyse deviendraun cadre mathématique à part entière. L’histoire montre l’intervention à deux reprisesde la cinématique dans <strong>ce</strong> transfert du continu géométrique aux nombres : d’abord unrenversement de point de vue sur la courbe devenant trajectoire puis représentation de laloi du mouvement, ensuite le recours à une analogie avec la vitesse instantanée pour faireac<strong>ce</strong>pter l’existen<strong>ce</strong> d’un « rapport extrême ».3.3. Transpositions du savoir : entre secondaire et <strong>universitaire</strong>L’analyse de différents manuels montre une grande variabilité dans la manière dont lestranspositions proposées pour le secondaire prennent en compte les enjeux propres à <strong>ce</strong>savoir. Une analyse précise 10 <strong>des</strong> définitions, formulations, notations et représentations graphiquesutilisées amène à identifier :1- pour la définition de la dérivée, deux catégories : les manuels distinguant clairement leschangements de cadre 11 , et les manuels proposant <strong>des</strong> discours juxtaposés ;2- pour le lien entre dérivée et variation, trois catégories : les manuels ne proposant pas dedémonstration, <strong>ce</strong>ux proposant un discours spécifique, et la grande majorité proposant unedémonstration consistant en l’énoncé du TAF avec son illustration géométrique.3.3.1. Discours intermédiaire entre université et secondaireCompte tenu de la « naturalisation » de <strong>ce</strong>tte dernière approche, nous lui avons accordé unintérêt particulier. En la comparant avec le discours théorique nous avons alors été amenéeà la qualifier de « praxéologie à trous 12 ». Le discours théorique enseigné à l’université pourétablir le lien entre le signe de la dérivée et le sens de variation d’une fonction comporte20 étapes dont le fondement est soit l’axiome <strong>des</strong> intervalles emboîtés, soit l’existen<strong>ce</strong>d’une borne supérieure. La plupart <strong>des</strong> transpositions proposent par contre l’énoncé durésultat « démontré » par le TAF 13 , sans autre discours accompagnateur ex<strong>ce</strong>pté l’illustrationgéométrique avec les tangentes. Le discours technologique faisant fonction peut donc êtredécrit comme un « discours à trous ». C’est une adaptation tronquée du discours proprementthéorique dans laquelle un ou deux théorèmes extraits de la théorie donnent un caractère « ultima ratio » de Newton.10 Analyse détaillée dans Rouy (2005) et dans notre thèse.11 Assez curieusement, on retrouve dans <strong>ce</strong>tte catégorie un manuel clairement formaliste (manuel français<strong>des</strong> années 70) et un ouvrage plus ré<strong>ce</strong>nt AHA annonçant une approche heuristique.12 Appellation vraisemblablement à rapprocher <strong>des</strong> organisations incomplètes étudiées par Bosch et Gascon(2004).13 En fait, les énoncés sont seulement présentés l’un après l’autre, le théorème de Rolle étant souventprésenté comme « un cas particulier » du TAF.22<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Formation initiale : l’autre transition université-secondairelégitime à la technique sans pour autant la rendre intelligible 14 . Ce discours constitue enquelque sorte un « intermédiaire » tentant d’accorder entre elles les deux organisations.3.3.2. Discours médiateur entre secondaire et universitéUn autre manuel (AHA) propose explicitement un travail dans une autre organisation. Latangente est d’abord questionnée comme objet mental « une droite qui frôle la courbe » pourarriver à une première définition analytique. Ensuite, les auteurs développent un discoursvoulant mettre en éviden<strong>ce</strong> la né<strong>ce</strong>ssité de préciser <strong>ce</strong> que signifie « en tout point d’unintervalle ». Partant d’un problème cinématique « si x(t) est la position d’un mobile, unevitesse positive provoquera un dépla<strong>ce</strong>ment dans la direction <strong>des</strong> x positifs », l’argumentationfera intervenir la né<strong>ce</strong>ssité de disposer de nombres autres que les seuls rationnels pour queles mathématiques apportent au problème posé une solution qui reste conforme au bonsens. Il est alors possible de proposer une démonstration du résultat annoncé en utilisantexplicitement l’axiome <strong>des</strong> intervalles emboîtés ainsi que <strong>des</strong> outils de pensée spécifiquesà l’analyse : la manipulation d’inégalités, la dichotomie, le rempla<strong>ce</strong>ment d’une fonctionpar une autre très voisine. Cette approche nous semble donc constituer plutôt un discours« médiateur » au sens où il propose <strong>des</strong> éléments pour passer d’un discours purementcinématique à un discours plus théorique en présentant l’ensemble <strong>des</strong> réels comme un« bon modèle » du temps.4. Questions pour la recherche et la <strong>formation</strong>Cette analyse du savoir mathématique pris en compte dans notre étude avait pour but demontrer que la difficulté à élaborer un discours rationnel pour présenter <strong>ce</strong>s notions auniveau du secondaire est donc une réalité que doivent affronter <strong>ce</strong>s étudiants-professeurs.Cela né<strong>ce</strong>ssite en effet l’identification de deux organisations mathématiques relevant decadres de rationalité différents. Les questions pour la recherche et la <strong>formation</strong> sont alors1- comment articulent-ils les différentes organisations rationnelles impliquant <strong>ce</strong>ssujets ?;2- quels choix font-ils et comment les motivent-ils ?3- peut-on lors de la <strong>formation</strong> les aider à construire un discours technologiqueapproprié ?Des observations ont été recueillies auprès <strong>des</strong> étudiants en <strong>formation</strong> initiale à l’Universitéde Liège et aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix (FUNDP). Ce dispositifcomporte les caractéristiques suivantes :1- préparations de cours sans contrainte avec ou sans exposé oral et avec ou sansinterview ;2- dévolution aux élèves-professeurs d’une situation adidactique (le « vase conique »où un problème de débit instantané amène à utiliser la dérivée dans un cadre strictementnumérique, avec <strong>des</strong> arguments de nature physique) ;3- analyse de transpositions dont une est « orthogonale 15 » à <strong>ce</strong>lles habituellementrencontrées ;4- demande explicite de construction d’un discours technologique à partir de tâchesconstituant une ingénierie de la dérivée et de techniques proposées par <strong>des</strong> élèves ;14 En faisant appel à l’aspect visuel de la tangente, donc au sensible, se manifeste par contre une formed’empirisme, qui cohabite curieusement avec le formalisme latent.15 Au sens où elle repose sur une argumentation cinématique refusée par les étudiants.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 23


E. ROUY5- demande explicite d’utilisation <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts de didactique <strong>des</strong> mathématiques pouranalyser <strong>des</strong> transpositions.Il s’agit de différentes actions prenant pla<strong>ce</strong> dans une recherche menée sur 4 ans. L’avantageest en fait à la fois de mieux connaître les potentialités et les limites de chaque type d’action,mais aussi leurs interactions. En particulier, les deux dernières étapes constituent unetentative de susciter le développement d’une praxéologie <strong>professionnelle</strong>, du fait que lesactions précédentes ont surtout montré <strong>des</strong> difficultés particulièrement résistantes liées1- à la difficulté du thème mathématique ;2- aux contraintes et influen<strong>ce</strong>s de nature pédagogique ;3- à la généralisation de la transposition « à trous » devenue difficile à contourner.En nous référant à la <strong>des</strong>cription du milieu de Margolinas 16 , la dernière étape est une manièrede « contraindre » l’élève-professeur à travailler uniquement au niveau de la construction duthème mathématique (S+2) par l’introduction dans son milieu de connaissan<strong>ce</strong>s didactiqueset de questions ne lui permettant pas de « re<strong>des</strong><strong>ce</strong>ndre » au niveau du projet de leçon(S+1) ni de « remonter » au niveau S+3 (con<strong>ce</strong>ptions et valeurs). Dans la mesure où <strong>ce</strong>sdernières étapes nous orientent plus vers la manière d’utiliser la didactique en <strong>formation</strong>,nous exposerons ici les résultats <strong>des</strong> premières investigations plus proches du thèmede notre atelier. Nous allons donc montrer comment les élèves-professeurs envisagentspontanément l’enseignement scolaire de la dérivée.4.1. Choix et discours spontanés4.1.1. Introduction de la dérivéePlus de la moitié <strong>des</strong> étudiants choisissent comme activité d’introduction une activitéimpliquant la tangente. L’analyse <strong>des</strong> nombreuses interactions entre les « définitions » de latangente et de la dérivée 17 montre <strong>ce</strong>pendant une absen<strong>ce</strong> généralisée de prise en chargedu changement de statut de la tangente. Pour un quart <strong>des</strong> observations, le nombre dérivéest explicitement défini à partir de la tangente non définie et on ne relève que 2 préparationsoù le nombre dérivé et la tangente reçoivent une définition ne permettant pas de circularité,dont une correspondant à une approche uniquement théorique 18 .4.1.2. Lien entre dérivée et variationLa grande majorité (4/5) <strong>des</strong> étudiants adopte la « praxéologie à trous » et le recours auvisuel. Quant aux théorèmes de Rolle et Lagrange, on observe <strong>des</strong> énoncés plus que mixtescomme « on voit que f est croissante ssi la tangente est une droite croissante ssi la pente dela tangente est positive » ainsi qu’une tendan<strong>ce</strong> à mettre en avant l’interprétation graphique«[…].alors il existe au moins un réel c de ]a,b[ tel que la tangente au graphe cartésien de fau point (c,f(c)) soit parallèle à la droite comprenant les points (a,f(a)) et (b ;f(b)) <strong>ce</strong> qui setraduit par [..] alors il existe au moins un réel c de ]a,b[ tel que f’(c)= »16 Une analyse complémentaire est en cours en s’appuyant sur l’échelle <strong>des</strong> niveaux de co-déterminationdidactique proposée par Y. Chevallard (2004).17 Détail dans Rouy (2005).18 Cette approche (formaliste) est souvent utilisée par les étudiants disant « vouloir faire de l’analyse et pasde la géométrie ».24<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Formation initiale : l’autre transition université-secondaireLes propriétés que doivent posséder les nombres permettant la connexion géométrie/analysesont précisément un enjeu rationnel de <strong>ce</strong> résultat. Cette question est donc éludée dans lesprojets d’enseignement faisant appel au tracé de tangentes en quelques points et concluant« la dérivée est toujours positive ». Elle est parfois prise en compte, par exemple dans lespréparations posant la question « d’être sûr de la croissan<strong>ce</strong> sur un intervalle entier » ou « entout point d’un intervalle », ou « entre a et a+h pour tout h ». L’insistan<strong>ce</strong> chez un tiers <strong>des</strong>étudiants sur l’équivalen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> notations et nous semble par contre pouvoir êtreinterprétée comme une manifestation de la difficulté proprement numérique de <strong>ce</strong> résultat,mais sous forme de tra<strong>ce</strong> le plus souvent traitée sur le mode symbolique.4.2. Une relation ambiguë à la théorie et persistan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> difficultésLes élèves-professeurs s’orientent donc plus facilement d’une part vers une approchede la dérivée à partir de la tangente au risque de faire apparaître une définition circulaireet, d’autre part, vers <strong>ce</strong> qui a été appelé une « praxéologie à trous » consistant en uneadaptation du discours théorique complet dont on ne garde que les théorèmes pouvant êtreillustrés moyennant le recours à la notion de tangente et donc à l’éviden<strong>ce</strong> visuelle. Cesobservations confirment qu’il n’y a pas de questionnement de la transposition didactiqueproposée dans le secondaire, mais aussi qu’elle est adoptée consciemment puisque <strong>des</strong>choix ont été opérés dans les manuels. De plus, on retrouve <strong>ce</strong>s choix :1- quel que soit le niveau de « contrainte » fixé par le formateur : préparations spontanéesou demande de choix parmi différentes approches ;2- même après que les étudiants aient eux-mêmes mis en œuvre <strong>des</strong> approches différentespour résoudre le problème du vase conique (qui amène à envisager la dérivée et la limiteuniquement pour résoudre un problème de variation de grandeurs sans aucun recours à latangente).Ce choix pourrait donc résulter d’une volonté de rechercher un compromis entre l’organisationthéorique de l’université et <strong>ce</strong> que les étudiants pensent possible dans le secondaire, ou encoreentre deux con<strong>ce</strong>ptions différentes de « la rigueur mathématique » que nous interprétons entermes de deux organisations mathématiques relevant de projets différents. Les réponsesd’étudiants lors d’entretiens suggèrent bien que <strong>ce</strong>tte notion est pour eux problématiquepuisque par exemple l’approche heuristique de AHA est évaluée comme étant aussi bienla plus rigoureuse que la moins rigoureuse (par<strong>ce</strong> qu’elle utilise <strong>des</strong> phrases comme « unedroite qui frôle la courbe »). Le fait d’utiliser <strong>des</strong> énoncés, ou même seulement <strong>des</strong> motsmathématiques dans le cas de la définition comme position limite, semble prédominant surle fait de développer une argumentation ou un discours rationnel. Une autre observation estle rejet de la démonstration par l’absurde utilisant l’axiome <strong>des</strong> intervalles emboîtés qui estalors jugée « trop théorique », <strong>ce</strong> qui peut paraître contradictoire avec le point précédent. Ilsemble donc que le discours proposé lors <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> secondaires (re)devient la référen<strong>ce</strong>essentielle par rapport aux acquis <strong>universitaire</strong>s pourtant plus ré<strong>ce</strong>nts. En rapprochant <strong>ce</strong>spropos de <strong>ce</strong>ux de professeurs d’université qui disent « accueillir <strong>des</strong> élèves “ qui souhaitent<strong>des</strong> techniques, mais le minimum de théorie ” », les deux transitions entre secondaire etuniversité semblent donc être à chaque fois un saut entre « un monde technique » et « unmonde théorique », sans discours permettant de passer d’un monde à l’autre. Le compromischoisi par les élèves-professeurs ne permet pas la médiation et finalement provoque uneinterféren<strong>ce</strong> entre les cadres géométrique et analytique, qui pourrait à moyen terme avoir<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 25


E. ROUY<strong>des</strong> conséquen<strong>ce</strong>s sur l’enseignement de l’analyse : pourquoi faire de l’analyse si « ça sevoit sur le <strong>des</strong>sin » ?4.3. Articulation <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s en didactique et en mathématiquesMême si les résultats précédents montraient surtout une résistan<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong> discourscompromis,il nous a semblé positif de tirer parti de <strong>ce</strong>rtaines réponses d’étudiants. Lorsqu’onleur propose de simplement énon<strong>ce</strong>r le critère de croissan<strong>ce</strong> sans fournir les théorèmes (quine sont par ailleurs pas utilisés pour autre chose dans le cursus actuel), <strong>ce</strong>rtains affirment« mais alors comment donner une raison à <strong>ce</strong> critère ? ».La « dernière » étape (en cours) de <strong>ce</strong> dispositif de recherche – <strong>formation</strong> consiste doncà mettre l’ac<strong>ce</strong>nt sur l’organisation <strong>des</strong> notions mathématiques en insistant sur la fonctionexplicative indépendamment de l’objectif personnel d’enseignement, et <strong>ce</strong> en deux typesd’investigation :1- demander la rédaction d’un discours technologique à partir de tâches permettantd’introduire les résultats en question ;2- demander d’utiliser les con<strong>ce</strong>pts de didactique <strong>des</strong> mathématiques pour analyser <strong>ce</strong>projet d’enseignement.5. Conclusions et perspectivesLa première étape de la recherche 19 a montré que les étudiants en <strong>formation</strong> initiale nese montrent pas conscients de la né<strong>ce</strong>ssité d’un discours technologique basé sur unerationalité autre que <strong>ce</strong>lle proposée par les théories et recherchent un compromis entreles acquis théoriques <strong>universitaire</strong>s et leurs con<strong>ce</strong>ptions de l’enseignement scolaire <strong>des</strong>savoirs. Ceci les amène à adopter un modèle ambiant de discours technologique consistanten un discours théorique « à trous » et à manifester un rapport ambigu à la théorie setraduisant par exemple par l’insistan<strong>ce</strong> sur les éléments de théorie « illustrables » tout enrefusant d’évoquer le rôle de l’axiomatisation de R. Nos objectifs ont ensuite été de chercherà identifier quels éléments d’un dispositif de <strong>formation</strong> permettraient d’accompagner lesétudiants dans <strong>ce</strong>tte transition, en suivant deux axes : d’une part, mener les étudiants (ycompris sur d’autres thèmes) à expliciter la rationalité sous-ja<strong>ce</strong>nte à leurs leçons (notammentune prise de conscien<strong>ce</strong> du rôle de l’axiomatisation) et, d’autre part, sur le thème étudiéplus en profondeur, analyser leurs réactions fa<strong>ce</strong> à la né<strong>ce</strong>ssité de développer un discourstechnologique pour accompagner <strong>des</strong> situations dans lesquelles le graphique et les objetsgéométriques (courbe, tangente) ne servent plus seulement d’argument visuel mais sonteffectivement utilisés et inclus dans un raisonnement en langage naturel.Sur le plan du savoir mathématique, <strong>ce</strong> travail nous paraît se rapprocher <strong>des</strong> programmesré<strong>ce</strong>nts en Fran<strong>ce</strong> recommandant « la réintroduction de définitions explicites pour les limitesen langage naturel, une approche explicite de la complétude à travers les suites adja<strong>ce</strong>ntesou les intervalles emboîtés, et l’incitation d’établir, si la classe s’y prête, à partir d’un de <strong>ce</strong>sénoncés pris comme axiome un <strong>ce</strong>rtain nombre de résultats jusque-là admis ou hors programme» (Artigue, 2005). Plutôt que l’oubli mentionné au début, <strong>ce</strong>tte explicitation pourraitêtre un facteur de trans<strong>formation</strong> <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s d’une institution à l’autre.19 Je remercie les étudiants et professeurs ayant participé à <strong>ce</strong>tte recherche, ainsi que le professeurM. Schneider qui a ac<strong>ce</strong>pté de diriger <strong>ce</strong> travail.26<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Formation initiale : l’autre transition université-secondaireSur le plan de la <strong>formation</strong> initiale, <strong>ce</strong>tte étude vise à mieux comprendre la complexité del’évolution du rapport au savoir chez les élèves-professeurs.BibliographieAHA (1992) « Une approche heuristique de l’analyse » in C. Hauchart et N. Rouche (Éds).L’enseignement de l’analyse aux débutants. Erasme.ARTIGUE M. (2005) Le défi de la transition secondaire-supérieur : que peuvent nous apporterles recherches didactiques et les innovations développées dans <strong>ce</strong> domaine ? Conféren<strong>ce</strong>au LADIMATH (FUNDP).BEN SALAH BREIGEAT C. (2001) Les connaissan<strong>ce</strong>s mathématiques <strong>des</strong> nouveauxenseignants de mathématiques au collège à l’épreuve du feu : une étude de cas. Thèse dedoctorat en didactique <strong>des</strong> mathématiques - Université Paris 7.BLOCH I. (2005) « Peut-on analyser la pertinen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> réactions mathématiques <strong>des</strong>professeurs dans leur classe ? Comment travailler <strong>ce</strong>tte pertinen<strong>ce</strong>, en <strong>formation</strong>,dans <strong>des</strong> situations à dimension adidactique ? » Séminaire national de didactique <strong>des</strong>mathématiques.BOSCH M., FONSECA C., GASCON J. (2004) « Effets de l’incomplétude <strong>des</strong> organisationsmathématiques dans les transitions collège-lycée-université » Recherches en didactique<strong>des</strong> mathématiques. Grenoble, La Pensée Sauvage.BROUSSEAU G., Théorie <strong>des</strong> Situations Didactiques. Grenoble, La Pensée Sauvage.CASTELA C. (1995) « Apprendre avec et contre ses connaissan<strong>ce</strong>s antérieures. Un exempleconcret, <strong>ce</strong>lui de la tangente » Recherches en didactique <strong>des</strong> mathématiques. Grenoble, LaPensée Sauvage. Vol 15, n° 1, pp. 7-47.Chevallard Y. (1999) « L’analyse <strong>des</strong> pratiques enseignantes en théorie anthropologiquedu didactique » Recherches en didactique <strong>des</strong> mathématiques. Grenoble, La PenséeSauvage. Vol 19, n° 2, pp. 221-266.Chevallard Y. (2002) « Recherches en didactique et pratiques de <strong>formation</strong> d’enseignant »Conféren<strong>ce</strong> donnée au LADIMATH, Namur 05 février 2002.CIRADE G. (2006) Devenir professeur de mathématiques : entre problèmes de la professionet <strong>formation</strong> en <strong>IUFM</strong>. Les mathématiques comme problème professionnel. Thèse dedoctorat – Université d’Aix-Marseille.COPPÉ S. (2005) « Les connaissan<strong>ce</strong>s antérieures <strong>des</strong> professeurs de mathématiquesà travers la préparation de séan<strong>ce</strong>s de classe. Cas de stagiaires en <strong>formation</strong> initiale »Séminaire national de didactique <strong>des</strong> mathématiques.DOUADY R. (1992) « Des apports de la didactique <strong>des</strong> mathématiques à l’enseignement »Repères Irem n° 6.FREUDENTHAL H. (1973) Mathematics as an educational task. Kluwer.LENFANT A. (2002) De la position d’étudiant à la position d’enseignants : l’évolution du rapportà l’algèbre de professeurs stagiaires. Thèse de doctorat en didactique <strong>des</strong> mathématiques- Université Paris 7.MARGOLINAS C. (2005) « La préparation de séan<strong>ce</strong> : un élément du travail du professeur »<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 27


E. ROUYColloque de la commission de Recherche sur la Formation <strong>des</strong> Enseignants de Mathématiques.NOËL G. (1992) « Pourquoi l’analyse n’est pas rationnelle » in C. Hauchart et N. Rouche, N.(Eds) L’enseignement de l’analyse aux débutants. Erasme.ROUY E. (2005) Formation initiale <strong>des</strong> professeurs du secondaire supérieur et changementde posture vis-à-vis de la rationalité mathématique. Mémoire de DEA – Université Paris 7.SCHNEIDER M. (1991) « Quelques difficultés d’apprentissage du con<strong>ce</strong>pt de tangente »Repères-Irem n° 5, pp. 65-82.28<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Du dispositif prévu au dispositif effectif :quel est « l’apport <strong>universitaire</strong> »d’une <strong>formation</strong> continue sur l’argumentation orale ?Roxane GagnonUniversité de Genève (Suisse)Notre recherche doctorale en <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants porte à la fois sur un objetd’enseignement, l’argumentation orale, et sur le travail enseignant. Elle vise à proposer<strong>des</strong> outils didactiques à mettre en œuvre pour effectuer le relais <strong>des</strong> contenus au sein dela <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants, de manière à transformer les pratiques enseignantes. Aussi,nous nous intéressons aux trans<strong>formation</strong>s qui s’opèrent au moment de la mise en pla<strong>ce</strong>effective du dispositif de <strong>formation</strong> en établissement pour comprendre le fonctionnement de<strong>ce</strong> dispositif. Nous regardons le travail du formateur <strong>universitaire</strong> de façon à <strong>ce</strong>rner l’objet de<strong>formation</strong> « argumentation orale » effectivement enseigné, de comprendre et d’analyser lescontraintes épistémologiques et les phénomènes didactiques auxquels il est soumis. En outre,nous voulons <strong>ce</strong>rner parmi les nouveautés proposées dans la <strong>formation</strong> continue lesquellessont admises et intégrées par les enseignants. Le présent texte, plus particulièrement,vise à proposer <strong>des</strong> pistes afin d’analyser les enjeux de l’apport <strong>universitaire</strong> d’un dispositifde <strong>formation</strong> continue au secondaire postobligatoire. Il est donc pour nous l’occasion deprésenter les premières étapes de notre parcours doctoral, le traitement et l’analyse de nosdonnées restant à faire.Après avoir présenté les gran<strong>des</strong> lignes de notre recherche, en soulignant les enjeux et lesdéfis qu’elle pose, nous expliciterons notre façon d’observer le travail enseignant, <strong>ce</strong>lui duformateur <strong>universitaire</strong> et <strong>ce</strong>lui de l’enseignant en <strong>formation</strong> continue. Dans la perspectiveque nous adoptons, le travail enseignant se comprend à l’aide <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts d’« outil » etde « gestes » didactiques. Nous nous <strong>ce</strong>ntrons ici sur le geste didactique qui consiste en lamise en pla<strong>ce</strong> de dispositif. Comme métho<strong>des</strong> d’analyse du travail du formateur <strong>universitaire</strong>,nous avons opté pour les techniques de l’entretien d’explicitation et de l’autoconfrontationsimple, laquelle est réalisée à l’aide du synopsis et de la bande vidéo d’une séquen<strong>ce</strong> de<strong>formation</strong>. Ces deux regards différents visent à donner une vision plus complète du travaildu formateur <strong>universitaire</strong>.1. Une recherche en <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtresau secondaire postobligatoire sur l’argumentation oraleFormatri<strong>ce</strong>-chercheuse auprès <strong>des</strong> enseignants du domaine « culture générale » auCEPTA , nous avons voulu proposer <strong>des</strong> pistes didactiques nouvelles dans les contenuset les démarches d’enseignement de l’argumentation orale. Comme l’argumentation oraleconstitue un champ de la discipline français qui joue un rôle clé dans la constructionidentitaire, dans l’établissement du rapport à l’autre, dans la <strong>formation</strong> à l’esprit civique et, L’acronyme signifie Centre d’Enseignement Professionnel Technique et Artisanal. Neuf domaines professionnelssont couverts par le <strong>ce</strong>ntre : la mécanique, l’automobile, le bâtiment, l’horlogerie, l’électronique,l’informatique, l’alimentation, la chimie et l’artisanat.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 29Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (29-39) Tome 2


R. GAGNONsurtout, en raison du travail sur la langue qu’il autorise, nous jugeons que ses contenustrouvent toute leur pertinen<strong>ce</strong> dans les cours de culture générale du CEPTA. Structureunique à la réalité genevoise, <strong>ce</strong>t établissement du secondaire postobligatoire accueilleune population hétérogène : ses apprentis, en plus d’avoir <strong>des</strong> parcours divers, présentent<strong>des</strong> écarts dans la maîtrise de la langue française. Les cours de culture générale qui y sontdispensés veulent assurer la maîtrise de capacités langagières en français, le curriculumproposé correspondant aux attentes énoncées dans les plans d’étu<strong>des</strong> pour la 9 e année dusecondaire obligatoire. Pour beaucoup, <strong>ce</strong>s cours sont la dernière étape de l’apprentissagedu français dans le parcours scolaire; leur impact, étant donné les enjeux culturels,linguistiques, sociaux impliqués, est indéniable.À l’instar de Portugais (1995), nous proposons de former les enseignants du CEPTA à partir<strong>des</strong> contenus d’enseignement propres à l’argumentation orale, de façon à voir comments’opère en situation le passage <strong>des</strong> contenus didactiques par les savoirs d’expérien<strong>ce</strong>.Nous voulons analyser les trans<strong>formation</strong>s, la sélection et la hiérarchisation <strong>des</strong> contenusd’enseignement et les variables didactiques qui déterminent <strong>ce</strong>s choix. L’objectif communde la recherche est de développer <strong>des</strong> outils qui peuvent être utiles aux enseignants pouraméliorer leurs pratiques. En amont, dans une approche qu’on pourrait qualifier d’écologique,il y a la volonté de transformer <strong>ce</strong>rtaines pratiques enseignantes dans un établissement. Dans<strong>ce</strong>tte dynamique, le chercheur, au cours d’une <strong>formation</strong> continue, propose <strong>des</strong> élémentsnouveaux ou différents, lesquels peuvent être admis, partiellement ou complètement, ourejetés par les enseignants. Une technique didactique qui a fait preuve de son efficacitédans un contexte d’innovation n’est pas systématiquement adoptée par les maîtres en dépit<strong>des</strong> éviden<strong>ce</strong>s que la recherche leur donne à voir (Goigoux, 2002). Le mode d’interactionentre le chercheur et les enseignants se fonde sur une né<strong>ce</strong>ssaire collaboration où chacune<strong>des</strong> parties opère dans différents systèmes d’imputabilité, gouvernés par différentes règles,normes et standard (Staub, 2004). Quels effets une <strong>formation</strong> continue dans un établissementpeut-elle avoir sur la mise en œuvre de l’enseignement de l’argumentation orale ?Le dispositif de <strong>formation</strong> continueNotre dispositif de <strong>formation</strong> continue avec les enseignants du CEPTA se compose de troisateliers et dure au total deux jours et demi. Il veut articuler la présentation <strong>des</strong> élémentsthéoriques, la mise en pratique et l’élaboration d’activités d’enseignement. Les deux premiersateliers de notre <strong>formation</strong> se <strong>ce</strong>ntrent sur l’ingénierie didactique et <strong>ce</strong>lle de la <strong>formation</strong>(Chevallard, 1985; Portugais, 1995). Le travail sur <strong>des</strong> situations d’argumentation oraleet la réflexion qui l’accompagne, laquelle se nourrit de plénières où interviennent <strong>ce</strong>rtainséléments théoriques, visent à faire dégager les dimensions enseignables <strong>des</strong> contenus enargumentation orale en fonction <strong>des</strong> élèves à qui chacun enseigne. Nous nous appuyons icisur le modèle didactique développé par Dolz et Schneuwly (1996 ; 1997 ; 1998a ; 1998b ;1999 ; 2001a ; 2001b), car les activités d’enseignement proposées prennent la forme <strong>des</strong>équen<strong>ce</strong>s didactiques portant sur deux genres argumentatifs oraux : l’entretien d’embaucheet le débat régulé. Il s’agira en cours de <strong>formation</strong> de différencier les caractéristiquescommunes <strong>des</strong> deux genres et leurs spécificités. Tous deux polygérés, <strong>ce</strong>s genres diffèrentgrandement du point de vue de la structure communicative et <strong>des</strong> contenus. L’entretiend’embauche se caractérise essentiellement par la présen<strong>ce</strong> de contenus liés de très près àl’individu « interviewé » qui doit « se vendre » alors que le débat fait intervenir <strong>des</strong> contenusmultiples que les participants convoquent afin d’arriver à une réponse collective (si <strong>ce</strong> n’estqu’à <strong>des</strong> accords sur les désaccords) à plusieurs.30<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Du dispositif prévu au dispositif effectif : quel est l’apport <strong>universitaire</strong> d’une <strong>formation</strong> continue sur l’argumentation orale ?Le dispositif prévoit que les enseignants expérimentent eux-mêmes les deux genres,<strong>ce</strong>tte alternan<strong>ce</strong> vise à leur faire mieux comprendre les capacités argumentatives oralessollicitées de façon à <strong>ce</strong> qu’ils puissent adapter le travail sur les genres aux capacités <strong>des</strong>élèves. Avec les enseignants, nous tentons de trouver <strong>des</strong> façons d’aménager, entre eux,une progression externe en analysant les manières de travailler <strong>ce</strong>s genres au cours <strong>des</strong>années d’apprentissage du métier. Nous étudions aussi la progression interne en regardantcomment, dans les séquen<strong>ce</strong>s, les tâches demandées aux élèves peuvent être complexifiéesen jouant, au moment soit de l’élaboration du projet ou de la formulation <strong>des</strong> consignes,sur les habillages situationnels du genre (le contexte, le lieu social, les enjeux sociaux,les caractéristiques du ou <strong>des</strong> <strong>des</strong>tinataire(s), les rôles sociaux, les thèmes traités, etc.),sur les ressour<strong>ce</strong>s linguistiques et paraverbales, sur la planification et sur l’organisationdu texte. L’élaboration et l’exploration avec les enseignants de séquen<strong>ce</strong>s didactiques surles deux genres visent à les aider à déterminer les capacités initiales de leurs élèves etles opérations par lesquelles ils peuvent les faire avan<strong>ce</strong>r. Elles visent aussi à leur montrercomment décomposer les genres argumentatifs, à étaler l’enseignement dans le temps età évaluer les trans<strong>formation</strong>s. Après les deux premières séan<strong>ce</strong>s, nous entreprenons nosobservations dans les classes dont les enseignants ac<strong>ce</strong>ptent de nous ouvrir les portes.La troisième séan<strong>ce</strong> sert à faire un retour collectif sur l’ensemble de la <strong>formation</strong> et seseffets potentiels : nous interrogeons les enseignants sur les points positifs et négatifs de la<strong>formation</strong> dispensée, en notant, s’il y a lieu, les points d’adhésion ou de divergen<strong>ce</strong>s entreenseignants du domaine de culture générale ; nous leur demandons aussi les contenus etles démarches qu’ils ont mis en application dans leurs classes, <strong>ce</strong>ux qu’ils n’ont pas traitéset les raisons de <strong>ce</strong>s intégrations ou de <strong>ce</strong>s rejets ; nous examinons avec eux la possibilitéou non de négocier une progression curriculaire pour <strong>ce</strong>s contenus dans l’établissement et,le cas échéant, sur les conditions de négociation de <strong>ce</strong>tte progression.Le recueil de donnéesNous filmons et transcrivons les trois séan<strong>ce</strong>s de <strong>formation</strong> continue. Puis, en fonction ducontrat de recherche préalablement établi avec les enseignants au début de la <strong>formation</strong>,nous filmons 6 enseignants, chaque fois qu’ils enseignent l’argumentation orale. Ces classessont constituées d’apprentis en première, troisième ou quatrième année d’apprentissage demétier .Ces enregistrements vidéo ont lieu essentiellement entre la deuxième et la troisièmeséan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong>, soit de novembre 2006 à mai 2007. L’œil de notre caméra suit laformatri<strong>ce</strong> <strong>universitaire</strong> et l’enseignant . Nous effectuons nos transcriptions à l’aide dulogiciel TRANSANA.2. Une recherche qui mobilise plusieurs systèmes didactiquesNotre recherche vise à comprendre les relations entre trois systèmes didactiques(Chevallard, 1985). Il y a d’abord la structure constituée par les enseignants du CEPTA qui Nos observations ont eu lieu dans trois classes de 1 re année, <strong>des</strong> élèves en électronique, en hygiènedentaire et en horlogerie, une classe de 3 e année en électronique, deux classes de 4 e , de futurs menuisierset d’horlogers. Le tout, bien sûr, en respectant le code d’éthique approuvé par la FAPSE (faculté de Psychologie et <strong>des</strong>Scien<strong>ce</strong>s de l’éducation) et le DIP.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 31


Du dispositif prévu au dispositif effectif : quel est l’apport <strong>universitaire</strong> d’une <strong>formation</strong> continue sur l’argumentation orale ?s’opèrent au cours de la mise en pla<strong>ce</strong> effective d’un dispositif de <strong>formation</strong> continue, nousfocaliserons essentiellement sur deux systèmes didactiques : <strong>ce</strong>lui formé de la formatri<strong>ce</strong><strong>universitaire</strong>, du formateur en situation de co<strong>formation</strong> et <strong>des</strong> contenus de savoirs de la<strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong>, <strong>ce</strong>s contenus intégrant les contenus de la <strong>formation</strong> continue et lescontenus à enseigner aux apprentis du CEPTA; <strong>ce</strong>lui formé de la formatri<strong>ce</strong> <strong>universitaire</strong>,<strong>des</strong> enseignants et <strong>des</strong> contenus de la <strong>formation</strong> continueDe l’objet de recherche à l’objet de <strong>formation</strong>Notre recherche s’intéresse aux trans<strong>formation</strong>s opérées entre, d’une part, l’objet enseignépar l’enseignant du CEPTA et l’objet à enseigner tel que présenté au cours de la <strong>formation</strong>continue et, d’autre part, entre l’objet de savoir que constitue l’argumentation orale dans larecherche et, à la fois, l’objet à enseigner et l’objet effectivement enseigné. Pour observercomment l’objet de la recherche <strong>universitaire</strong> peut entrer dans la <strong>formation</strong> continue ; lestravaux de recherche peuvent par exemple servir à l’élaboration d’une carte con<strong>ce</strong>ptuelle<strong>des</strong> objets, laquelle sert à identifier et à étayer une série de composantes pouvant êtrea priori abordés dans l’enseignement (Schneuwly, Cordeiro et Dolz, 2006). L’analyse apriori de l’objet tel qu’il est conçu dans la recherche scientifique dépasse la simple cartecon<strong>ce</strong>ptuelle, puisqu’il y a une foule de dimensions qui peuvent être prises en considérationdans l’analyse du travail du formateur. Il nous faut déterminer <strong>des</strong> façons de <strong>ce</strong>rner <strong>ce</strong>sdimensions.Les gestes didactiques et les dimensions <strong>professionnelle</strong>s impliquésIl importe de comprendre <strong>ce</strong> qui caractérise le travail enseignant dans chacun de <strong>ce</strong>s deuxsystèmes didactiques et l’une <strong>des</strong> dimensions fondamentales de la pratique, à savoir lesobjets d’enseignement. Dans la lignée <strong>des</strong> travaux du groupe GRAFE , notre con<strong>ce</strong>ptiondu travail enseignant se <strong>ce</strong>ntre sur la question <strong>des</strong> outils et <strong>des</strong> objets ou contenusd’enseignement.Par « outil », nous référons au moyen culturel élaboré par l’homme pour transformer lanature. Pour Marx (1969), l’un <strong>des</strong> traits caractéristiques de l’humain est d’être un animalfabricateur d’outils. Ces outils fabriqués par l’homme se qualifient de « culturels » puisqu’ilss’inspirent <strong>des</strong> pratiques de l’homme et se transmettent d’une génération à l’autre. Leurtransmission est en grande partie assurée par l’éducation. Les outils techniques permettentaux hommes de contrôler la nature extérieure, mais pour contrôler les comportementshumains, <strong>ce</strong>ux d’autrui comme leurs propres comportements, ils ont créé <strong>des</strong> outilsspécifiques que Vygotski (1933-1985) désigne par symboles ou outils psychologiques. Ilest donc possible de transposer le con<strong>ce</strong>pt d’outil à la réalité psychique humaine, guidéen <strong>ce</strong>la par l’idée générale que la trans<strong>formation</strong> et la maîtrise <strong>des</strong> pro<strong>ce</strong>ssus psychiquesné<strong>ce</strong>ssitent <strong>des</strong> outils mentaux.Suivant les théories de Vygotski, nous con<strong>ce</strong>vons le développement humain comme uneadaptation artificielle, médiatisée par <strong>des</strong> outils psychiques, transformant fondamentalementles capacités psychiques, <strong>ce</strong>lles-ci existant d’abord sous forme ex<strong>ce</strong>ntrée dans les produitsde la société humaine, tel un déjà-là devant être investi de significations. L’outillage mental de L’acronyme signifie Groupe de recherche pour l’analyse du français enseigné. Le groupe, piloté par lesdidacticiens genevois Joaquim Dolz et Bernard Schneuwly, mène une recherche portant sur « La constructionde l’objet enseigné en français », projet FNRS n◦ 1214-068110.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 33


R. GAGNONl’apprenant est un bagage de techniques, de savoir-faire et de connaissan<strong>ce</strong>s accumuléesau cours <strong>des</strong> siècles et transmit par son entourage (Alcorta, 2001). Le développement nepeut se réduire au mouvement de complexification <strong>des</strong> structures initiales; au contraire,il constitue un pro<strong>ce</strong>ssus toujours original par lequel l’apprenant s’approprie, au sein <strong>des</strong>ituations communicatives, les outils culturels les plus élaborés de son temps et se trouvetransformé du fait même de <strong>ce</strong>tte appropriation (Brossard, 2001). Le développementconsiste donc en l’appropriation <strong>des</strong> outils initialement ex<strong>ce</strong>ntrés dans leurs usages, en une(re)construction progressive de <strong>ce</strong> capital culturel initialement ex<strong>ce</strong>ntré (Schneuwly, 1994;Dolz, Moro, Pollo, 2000; Wirthner, 2006). L’articulation entre les outils et le développementse fait par <strong>des</strong> médiations éducatives (Dolz, Moro, Pollo, 2000). Aussi, par outil didactique,nous entendons, à l’instar de Plane et Schneuwly (2000), tout artéfact introduit dans laclasse servant l’enseignement-apprentissage <strong>des</strong> notions et capacités mis au servi<strong>ce</strong> d’unenseignement ou d’un apprentissage particulier. L’outil vient donc transformer le travailenseignant en touchant les contenus, les démarches et les représentations (Wirthner,2006) ; <strong>ce</strong>s outils, porteurs de connaissan<strong>ce</strong>s, peuvent être <strong>des</strong> moyens d’enseignement,<strong>des</strong> supports audiovisuels, <strong>des</strong> technologies nouvelles comme l’Internet, tout autant <strong>des</strong>ituations à disposition <strong>des</strong> enseignants.Nous inscrivons l’analyse du travail enseignant et du travail du formateur <strong>universitaire</strong>et de leurs outils dans une perspective sociohistorique. Pour le formateur comme pourl’enseignant, le travail consiste en la trans<strong>formation</strong> <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> de penser, de parler etd’agir à l’aide d’outils sémiotiques. Dans <strong>ce</strong>tte optique, l’alternan<strong>ce</strong> en <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtrespeut être considérée comme un lieu privilégié de trans<strong>formation</strong> <strong>des</strong> savoirs, comme le lieude la sémiotisation d’un objet de <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> (Cordonier et Ronveaux, 2007).Ainsi, pour l’enseignant comme pour le formateur, toute situation se construit sur une doublesémiotisation : les objets d’enseignement, comme <strong>ce</strong>ux de la <strong>formation</strong>, font l’objet de <strong>ce</strong>pro<strong>ce</strong>ssus de sémiotisation par « présentification » et par « pointage » (Schneuwly, 2000).Autrement dit, <strong>ce</strong>s objets subissent une trans<strong>formation</strong> par le fait que le formateur oul’enseignant les rend présents et les met en éviden<strong>ce</strong> en attirant l’attention sur l’une oul’autre composante. Par ailleurs, l’objet de <strong>formation</strong> étant aussi un objet d’enseignement,<strong>ce</strong> dernier est doté du double statut d’objet à enseigner et d’objet effectivement enseigné.Dans notre analyse du travail de l’enseignant ou de <strong>ce</strong>lle du formateur <strong>universitaire</strong>, ilnous faut nous intéresser à la façon dont <strong>ce</strong>ux-ci gèrent les conditions d’aménagement etd’adaptation. Nous utiliserons le terme de dispositif pour traiter de la présen<strong>ce</strong> d’une séried’éléments qui, ensemble, font qu’il y a trans<strong>formation</strong> possible du rapport de l’apprenantà l’objet culturel qu’il doit s’approprier. Le dispositif correspond à une organisation et à unestructuration mises en pla<strong>ce</strong> à <strong>des</strong> fins didactiques (Schneuwly, 2006) ; <strong>ce</strong>tte « mise enscène de l’objet à enseigner » déploie sa propre dynamique. Le dispositif est un espa<strong>ce</strong>multimodal, car <strong>ce</strong>s trans<strong>formation</strong>s sémiotiques se manifestent à travers l’usage deressour<strong>ce</strong>s d’ordres différents, selon la visée de l’apprentissage et les caractéristiques <strong>des</strong>apprenants (Jewitt et Kress, 2003). Il comprend l’ensemble <strong>des</strong> tâches qui rendent présentl’objet à enseigner dans la classe et permettent notamment aux apprenants de l’analyser, dele manipuler et de l’observer. Il inclut aussi l’ensemble <strong>des</strong> discours, <strong>des</strong> propos, élaboréssur l’objet à enseigner.Sélectionné à travers un ensemble de dispositifs à la disposition de l’enseignant, il constitueégalement un produit historiquement constitué (Schneuwly, 2007). Le terme activité désignetout <strong>ce</strong> que l’apprenant est <strong>ce</strong>nsé faire dans les dispositifs didactiques. Pour Leontiev, l’activitése définit comme une interrelation pratique entre <strong>des</strong> sujets et <strong>des</strong> objets socialement et34<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Du dispositif prévu au dispositif effectif : quel est l’apport <strong>universitaire</strong> d’une <strong>formation</strong> continue sur l’argumentation orale ?historiquement déterminés. L’activité dans le dispositif est une <strong>des</strong> manières d’analyser, demanipuler et d’observer l’objet d’enseignement. À l’instar de Dolz, Schneuwly, Thévenaz etWirthner (2001), nous caractérisons la tâche scolaire par les traits suivants :- elle opérationnalise et matérialise <strong>des</strong> contenus d’enseignement ;- elle est définie par l’enseignant ou par <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pteurs de programmes et manuels ;- elle est déclenchée par une ou <strong>des</strong> consignes ;- elle consiste en un problème à résoudre pour l’élève ;- elle est circonscrite dans l’espa<strong>ce</strong> et dans le temps ;- elle vise un but spécifique qui se traduit en un résultat ou un produit ;- son produit ou son résultat font l’objet d’une évaluation ou d’une validation ;- elle présuppose la mise en œuvre d’une ou de plusieurs procédures, en nombrelimité ;- elle est prescriptive dans la mesure où elle engage l’enseignant et l’élève dans un contratdidactique.Nous avons évoqué trois gestes fondateurs de l’enseignement, à savoir le fait de rendre présentl’objet, de le pointer et de l’élémentariser (Schneuwly, 2007). D’autres gestes viennentaussi fonder le travail enseignant, « [p]orteurs de significations, <strong>ce</strong>s gestes s’intègrent dansle système social complexe de l’activité enseignante qui est régi par <strong>des</strong> règles et <strong>des</strong> co<strong>des</strong>conventionnels, stabilisés par <strong>des</strong> pratiques séculaires constitutives de la culture scolaire »(p. 9). Aux trois gestes fondateurs, s’ajoutent quatre gestes didactiques de l’enseignant,en lien direct avec l’objet enseigné : mettre en pla<strong>ce</strong> <strong>des</strong> dispositifs didactiques, réguler,institutionnaliser, construire la mémoire didactique (De Corte, 1996 ; Sensevy, 2001).Nous intéressant à <strong>ce</strong>s gestes, il nous faudra clarifier les situations et les activités scolairesdans lesquelles ils ont lieu ainsi qu’identifier les outils et démarches assurant leur mise enacte. Pour <strong>ce</strong>tte communication, vous l’aurez compris, nous analysons plus en détail legeste didactique de la mise en pla<strong>ce</strong> de dispositifs.L’analyse du travail enseignant selon Goigoux (2002) doit prendre simultanément en compte5 dimensions : institutionnelle, épistémiques, instrumentales, relationnelles et personnelles.Le travail du formateur <strong>universitaire</strong> est déterminé par l’université; les attentes, lespossibilités et les modalités de travail de <strong>ce</strong>tte institution influent sur le travail du formateur<strong>universitaire</strong>. Il est aussi déterminé par l’établissement dans lequel la <strong>formation</strong> se déroule,mais aussi par le système scolaire duquel l’établissement fait partie. Il y a aussi à considérerles caractéristiques du formateur <strong>universitaire</strong>, son expérien<strong>ce</strong>, son parcours professionnelet <strong>universitaire</strong>, ses attitu<strong>des</strong>, etc. De même qu’il y a à considérer les caractéristiques <strong>des</strong>enseignants auxquels la <strong>formation</strong> est adressée, leur parcours, leurs années d’expérien<strong>ce</strong>,leurs attitu<strong>des</strong>, etc. À <strong>ce</strong>s dimensions, s’ajoute la composante épistémique dans laquelleinterviennent les outils didactiques. Ces dimensions interreliées agissent sur le travailréel du formateur <strong>universitaire</strong> et viennent modifier le dispositif prévu initialement, pour lemeilleur et pour le pire. Dans leurs pratiques effectives, les enseignants sont souvent à larecherche d’un équilibre entre deux logiques de planification et de régulation de leur activité :la logique <strong>des</strong> savoirs enseignés et la logique de la conduite de la classe (Goigoux, 2002).Plus les conditions d’enseignement deviennent difficiles, plus la logique de la conduite de laclasse l’emporte sur <strong>ce</strong>lle <strong>des</strong> savoirs enseignés. Reprenant le con<strong>ce</strong>pt de dispositif, nousproposons une hypothèse plus <strong>ce</strong>ntrée sur l’objet à enseigner : plus le dispositif mis en pla<strong>ce</strong>par l’enseignant est faible, plus les régulations sont nombreuses ; plus il est fort (faisantintervenir une grande quantité d’outils didactiques), moins les régulations sont présentes.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 35


R. GAGNON3. Du dispositif voulu par le formateur <strong>universitaire</strong> au dispositif réaliséQuelles trans<strong>formation</strong>s sont opérées au cours du passage du dispositif prévu au dispositifeffectif ? Quels changements sont observables ? Quels éléments du dispositif prévu sontreçus tels quels par les enseignants en <strong>formation</strong>, lesquels sont sujets à négociation ?Quels contenus de la <strong>formation</strong> font consensus, lesquels suscitent <strong>des</strong> dissensions chez lesenseignants et au sein de l’établissement ? Quelle logique de planification et de régulationa tendan<strong>ce</strong> à l’emporter dans le travail effectif du formateur <strong>universitaire</strong>, <strong>ce</strong>lle de laconduite de la classe ou <strong>ce</strong>lle <strong>des</strong> savoirs ? En définitive, comment la <strong>formation</strong> permet ledéveloppement de compéten<strong>ce</strong>s chez les enseignants et l’introduction d’innovations dansleur établissement scolaire ?De façon à observer les trans<strong>formation</strong>s opérées au moment de la mise en pla<strong>ce</strong> effective dudispositif, deux entretiens seront réalisés : un entretien d’explicitation mené par un formateur<strong>universitaire</strong> puis un entretien d’autoconfrontation simple avec un formateur d’enseignants.L’entretien d’explicitation vise à favoriser, à aider et à solliciter la mise en mots <strong>des</strong>criptivede la manière dont la <strong>formation</strong> a été pensée, puis réalisée (Vermech, 1996). Ce type d’entretiendonne aussi accès aux in<strong>formation</strong>s implicites. Dans notre recherche, il sera menépar un pair formateur <strong>universitaire</strong>. Il s’agira d’abord d’essayer de comprendre les influen<strong>ce</strong>s<strong>des</strong> cadres institutionnels (les liens entre l’établissement secondaire professionnel etl’université notamment), de détailler les objectifs prévus et les objectifs réalisés, les étapesprévues et les étapes réalisées ainsi que l’alternan<strong>ce</strong> prévue et l’alternan<strong>ce</strong> réalisée. Il seraitaussi intéressant d’y aborder le thème <strong>des</strong> disciplines comme notre dispositif de <strong>formation</strong>appartient au cadre de la discipline français et qu’elle s’adresse à <strong>des</strong> enseignants d’uncours de culture générale qui regroupe, en plus du français, <strong>des</strong> cours de droit et d’histoire.Ainsi, on pourrait déterminer, dans les contenus retenus, négociés ou rejetés, la part ducadre disciplinaire. De plus, comme nous sommes à la fois chercheuse et formatri<strong>ce</strong>, nousdevons nous interroger sur <strong>ce</strong> qui relève de la didactique comme discipline de recherche,de la didactique <strong>des</strong> langues comme discipline <strong>universitaire</strong> et <strong>des</strong> savoirs de la disciplinefrançais à enseigner aux apprenants du secondaire postobligatoire. En raison égalementde notre double statut, nous devons traiter <strong>des</strong> différentes postures énonciatives : quelleest la posture de la chercheuse, quelle est <strong>ce</strong>lle de la formatri<strong>ce</strong> ; quelle posture pour quelcontexte ?Dans l’entretien d’autoconfrontation simple, un formateur d’enseignant au CEFEP et laformatri<strong>ce</strong> <strong>universitaire</strong>, en revoyant un extrait vidéo d’une séan<strong>ce</strong> de la <strong>formation</strong> continue,dialogueront sur l’activité au fur et à mesure de son déroulement. Cet entretien a pour butde repérer les niveaux conscients de l’activité de la formatri<strong>ce</strong> <strong>universitaire</strong> et les objectifsd’action qu’elle se donne à elle-même. Le sujet, confronté à l’image de son propre travail,peut se mettre à distan<strong>ce</strong> de lui-même et, dans <strong>ce</strong>tte position, découvrir et retravailler sonactivité (Clot et Faïta, 2000).Du point de vue de la méthode, la proximité <strong>des</strong> genres – social, technique d’un côté, discursif del’autre – s’affirme et se marque au fil du même pro<strong>ce</strong>ssus : le je du discours ouvre la voie au je del’action, et par contraste aux autres acteurs possibles, aux autres manières de faire, à <strong>ce</strong> qu’onaurait pu faire (Clot et Faïta, 2000, p. 29).Nous nous distinguons <strong>des</strong> entretiens habituels d’autoconfrontation sur un point important :dans notre cas, comme la formatri<strong>ce</strong> <strong>universitaire</strong> est aussi la chercheuse, il s’agira deconvenir au préalable avec le formateur associé <strong>des</strong> aspects du travail de la formatri<strong>ce</strong> Centre de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants primaire de Carouge dans le canton de Genève.36<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Du dispositif prévu au dispositif effectif : quel est l’apport <strong>universitaire</strong> d’une <strong>formation</strong> continue sur l’argumentation orale ?à pointer, à commenter et à analyser. Nous utiliserons la macrostructure de la <strong>formation</strong>continue pour que le formateur associé ait une vision d’ensemble de la <strong>formation</strong> donnée.Cette macrostructure est dégagée à l’aide de synopsis selon un modèle proposé parSchneuwly, Cordeiro et Dolz (2006). Destiné à condenser les séquen<strong>ce</strong>s d’enseignement enunités plus « appréhendables » (p. 82), le synopsis permet le repérage de la macrostructurede chacun <strong>des</strong> cours, ainsi que la mise en éviden<strong>ce</strong> <strong>des</strong> séquentialités. Il restitue les activitésde <strong>formation</strong> sous forme de tableau. Cet outil sert donc l’analyse de séquen<strong>ce</strong>s, puisqu’il fixeles critères de sélection <strong>des</strong> éléments, de mise en ordre et de hiérarchisation (Schneuwly,Dolz et Ronveaux, 2005). Traitant et con<strong>ce</strong>ntrant les données transcrites, le synopsis aiderale formateur associé à identifier les principales composantes de la séquen<strong>ce</strong>, les élémentsliés à notre cadre théorique ainsi que les activités observées. Ainsi, le formateur associépourra repla<strong>ce</strong>r l’extrait analysé dans le contexte général de la <strong>formation</strong>. Ce dispositifd’observations vise à permettre de voir les dépla<strong>ce</strong>ments de l’objet « argumentation orale »,traduits par les pro<strong>ce</strong>ssus de sélection et de sémiotisation <strong>des</strong> contenus révélés au cours <strong>des</strong>interactions entre le formateur et les enseignants, en fonction du moment de la <strong>formation</strong>,en fonction du genre argumentatif oral travaillé et en fonction <strong>des</strong> caractéristiques <strong>des</strong>enseignants. L’attention du formateur associé portera aussi sur les dispositifs didactiques(activités, formulation <strong>des</strong> tâches, supports et formes de travail), les réactions à l’imprévuet les effets <strong>des</strong> obstacles rencontrés au cours de l’enseignement sur la construction del’objet.En outre, il sera possible grâ<strong>ce</strong> à <strong>ce</strong>s synopsis de voir quelle logique de planification et derégulation prime, <strong>ce</strong>lle de la conduite de classe ou <strong>ce</strong>lle <strong>des</strong> savoirs enseignés. Les constatsdégagés de <strong>ce</strong>s deux entretiens nous permettront de vérifier la présen<strong>ce</strong> et la manifestation<strong>des</strong> tensions anticipées dans l’articulation directe de la <strong>formation</strong> à la recherche <strong>universitaire</strong>,à savoir la reconnaissan<strong>ce</strong> de l’expertise scientifique par opposition aux risques de dérivesthéoriques ; le potentiel d’innovation opposé à la stigmatisation <strong>des</strong> enseignants formés ; lavolonté d’arrimer la <strong>formation</strong> aux besoins signalés et les dangers du conservatisme.Par le présent texte, nous avons voulu présenter <strong>des</strong> pistes d’analyses d’un dispositif de<strong>formation</strong> continue <strong>universitaire</strong> nourrissant 3 objectifs :1. Un objectif épistémologique ; réfléchir à la manière de mobiliser les savoirs de la rechercheen didactique dans la <strong>formation</strong> et de construire <strong>des</strong> savoirs de la <strong>formation</strong> par la<strong>formation</strong>. C’est aussi l’occasion pour nous de réfléchir en cours de projet.2. Un objectif méthodologique : présenter et examiner les outils méthodologiques proposés(le modèle didactique <strong>des</strong> deux genres, la carte con<strong>ce</strong>ptuelle de l’objet « argumentationorale » et les entretiens d’autoconfrontation simple et d’explicitation.3. Un objectif touchant l’ingénierie de la <strong>formation</strong>. Comme le dispositif de <strong>formation</strong> a étéélaboré grâ<strong>ce</strong> aux recherches et déjà mis en pratique, comment l’adapter s’il est réutilisé.Aussi, au-delà du dispositif concret, la mise en recherche permet de :a. prendre du recul, objectiver ;b. se questionner sur les contenus et les étapes de travail proposés ;c. analyser la mise en circulation <strong>des</strong> savoirs de la recherche en didactique dans la <strong>formation</strong>,<strong>des</strong> résistan<strong>ce</strong>s qu’elles produisent, mais aussi de leurs effets auprès <strong>des</strong> formateurs etpeut-être dans la classe.Le traitement et l’analyse <strong>des</strong> données nous permettront de tester <strong>ce</strong>s choix méthodologiqueset de voir concrètement les liens qui s’instaurent entre les différents systèmes didactiquesimpliqués. Et <strong>ce</strong>, autant dans leur nature que dans leurs conditions d’établissement.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 37


R. GAGNONBibliographieALCORTA M. (2001) « Une approche vygotskienne du développement <strong>des</strong> capacitésd’écrit ; Le brouillon : un outil pour écrire » in M. Brossard et J. Fijalkov Apprendre à l’école :perspectives piagétiennes et vygotskiennes pp. 123-151. Bordeaux, Presses <strong>universitaire</strong>sde Bordeaux.BROSSARD M. (2001) « Approche socio-historique <strong>des</strong> situations d’apprentissage del’écrit » in M. Brossard et J. Fijalkov Apprendre à l’école : perspectives piagétiennes etvygotskiennes pp. 51-80. Bordeaux, Presses <strong>universitaire</strong>s de Bordeaux.BROUSSEAU G. (1998) Théorie <strong>des</strong> situations didactiques. Grenoble, La Pensée Sauvage.CHEVALLARD Y. (1991) « La transposition didactique : du savoir savant au savoir enseigné »Recherche en didactique <strong>des</strong> mathématiques. Grenoble, La Pensée Sauvage.CLOT Y., FAÏTA D. (2000) « Genres et styles en analyse du travail : Con<strong>ce</strong>pts et métho<strong>des</strong> »Travailler. 4, pp. 7-42.CORDONIER N., RONVEAUX C. (2007) Former <strong>des</strong> enseignants de français en alternan<strong>ce</strong>,de l’objet de <strong>formation</strong> à l’objet d’enseignement. (À paraître)DE CORTE E. (dir.) (1996) Les fondements de l’action didactique. Bruxelles, de Boeck, 3 eédition.DOLZ J., SCHNEUWLY B. (1996) « Genres et progression en expression écrite : élémentsde réflexion à propos d’une expérien<strong>ce</strong> romande » Enjeux. 37/38, pp. 49-75.DOLZ J., SCHNEUWLY B. (1997) « Les genres scolaires : <strong>des</strong> pratiques langagières auxobjets d’enseignement » Repères n° 15 , pp. 27-40.DOLZ J., SCHNEUWLY B. (1998a) « Curriculum et progression. La production de textesécrits et oraux » in <strong>IUFM</strong> de l’Académie d’Aix-Marseille (Éd.) Défendre et transformer l’école.Marseille, <strong>IUFM</strong> [CD-Rom].DOLZ J., SCHNEUWLY B. (1998b) Pour un enseignement de l’oral ; Initiation aux genresformels à l’école. Paris, ESF.DOLZ J. SCHNEUWLY B. (1999) « À la recherche de moyens d’enseignement pourl’expression écrite et orale » in S. Plane (dir.) Manuels et enseignement du français. Paris,CNDP (CRDP de Basse Normandie).DOLZ J., NOVERRAZ M., SCHNEUWLY B. (2001a) Séquen<strong>ce</strong>s didactiques pour l’oral etpour l’écrit ; Notes méthodologiques. Vol. II (3 e /4 e ). Bruxelles, de Boeck.DOLZ J., NOVERRAZ M., SCHNEUWLY B. (2001b) Séquen<strong>ce</strong>s didactiques pour l’oral etpour l’écrit ; Notes méthodologiques. Vol. IV (7 e /8 e /9 e ). Bruxelles, de Boeck.DOLZ J., SCHNEUWL B., THÉVENAZ-CHRISTEN T., WIRTHNER M. (2001) Les tâcheset leurs entours en classe de français : Actes du 8 e colloque international de la DFLM(Neuchâtel, 26-28 septembre 2001) [CD-ROM], Neuchâtel, IRDP.DOLZ J., MORO C., POLLO A. (2001) « Le débat régulé : de quelques outils et de leursusages dans l’apprentissage » Repères n° 22, pp. 76-95.GOIGOUX R. (2002) « Tâche et activité en didactique du français : l’apport de la psychologieergonomique » in J. Dolz et al. (dir.) Les tâches et leurs entours en classe de français.38<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Du dispositif prévu au dispositif effectif : quel est l’apport <strong>universitaire</strong> d’une <strong>formation</strong> continue sur l’argumentation orale ?(Conféren<strong>ce</strong> invitée ; VIII e colloque international de didactique du français langue maternelle),Université de Neuchâtel (CD ROM DFLM).GOIGOUX R. (2006) « Ressour<strong>ce</strong>s et contraintes dans l’enseignement de la lecture aucours préparatoire » in B. Schneuwly et T. Thévenaz-Christen (dir.) Analyses <strong>des</strong> objetsenseignés ; le cas du français. Bruxelles, de Boeck, pp. 67-91.JEWITT C., KRESS G. (dir.) (2003) Multimodal Literacy, New York, Peter Lang.MARX K. (1969) Le capital : critique de l’économie politique. Paris, Éditions sociales.PLANE S., SCHNEUWLY B. (2001) « Regards sur les outils de l’enseignement du français.Un premier repérage » Repères n° 22, pp. 3-18.PORTUGAIS J. (1995) Didactique <strong>des</strong> mathématiques et <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants. Berne,Peter Lang.SCHNEUWLY B. (1994) « Genres et types de discours : considérations psychologiques etontogénétiques » in Y. Reuter Les interactions lecture-écriture. Berne, Peter Lang.SCHNEUWLY B. (2000) « Les outils de l’enseignant. Un essai didactique » Repères n° 22,pp. 19-38.SCHNEUWLY B. (2007) « Le travail enseignant » in J. Dolz et B. Schneuwly (dir.) (àparaître).SCHNEUWLY B., CORDEIRO G. S., DOLZ J. (2006) « À la recherche de l’objet enseigné :une démarche multifocale » Les dossiers <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s de l’éducation n° 14, pp. 77-93.SENSEVY G. (2001) « Théorie de l’action et action du professeur » in Baudoin J.-M. et J.Friedrich Théories de l’action en éducation. Bruxelles, de Boeck Raisons Éducatives. (Éds),Théories de l’action et éducation. Bruxelles, de Boeck pp. 203-224.STAUB F. C. (2004) “Transforming educational theory into unable knowledge : a case ofcoconstructing tools for lesson <strong>des</strong>ign and reflection” in B. Ralle et I. Eilks (dir.) Quality inpracti<strong>ce</strong>-oriented research in scien<strong>ce</strong> education pp. 41-52. Aachen, Skaker.VERMECH P. (1994) L’entretien d’explicitation. Paris, ESF.VYGOTSKY L. S. (1933-1985) « Le problème de l’enseignement et du développementmental à l’âge scolaire » in B. Schneuwly et J.-P. Bronckart (dir.) Vygotsky aujourd’hui. Paris,Delachaux et Niestlé.VYGOTSKY L. S. (1934/1997) Pensée et langage. Paris, La Dispute.WIRTHNER M. (2006) La trans<strong>formation</strong> de pratiques d’enseignement par l’outil de travail.Observation de séquen<strong>ce</strong>s d’enseignement du résumé écrit de texte informatif à l’écolesecondaire. Thèse de doctorat en scien<strong>ce</strong>s de l’éducation, Université de Genève (nonpubliée).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 39


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M. JAUBERT, M. REBIÈREDémarche– rappel de l’histoireC’est l’histoire de sept souris aveugles qui, ayant rencontré une chose étrange qu’ellesne peuvent évidemment pas voir, tentent de la reconnaître au toucher. Chaque jour, l’uned’entre elles part à la découverte d’une de ses parties pense avoir identifié la chose. Sixsouris ont déjà fait <strong>des</strong> propositions toutes différentes– hypothèses à partir de l’image de l’album qui met en scène <strong>ce</strong> qui paraît être unedispute ;– recherche, pour vérification, du mot « dispute » à partir de la double page à lireaffichée au tableau + validation ;Mais les autres n’étaient pasd’accord. Ils commencèrent à sedisputer :- un serpent !- une corde !- un éventail !- une falaise !p.30Jusqu’au dimancheoù Souri<strong>ce</strong>tte Blanche,la septième souris,se rendit près de la mare.p.31– confirmation par l’observation de la matérialité du texte de la première page : signestypographiques marquant le dialogue, l’exclamation, brièveté <strong>des</strong> répliques ;– lecture et mise en voix du dialogue qui n’utilise que <strong>des</strong> mots déjà connus ;– lecture collective de la première page avec lecture chorale du dialogue ;– commentaires interprétatifs du texte ;– nouvelles hypothèses sur la suite du texte à partir de l’image qui met en scène lamise en route de la septième et dernière souris ;– lecture de la deuxième partie.Les publications antérieures sur <strong>ce</strong> corpus con<strong>ce</strong>rnent <strong>ce</strong>tte deuxième partie de la séan<strong>ce</strong>et les gestes de tissage entre l’activité métalinguistique qui suppose une focalisation surle code et la technique de déchiffrement et l’activité langagière de production d’un récitcohérent qui suppose de se focaliser sur les personnages, leurs intentions, leurs actions,les causes et conséquen<strong>ce</strong>s etc.Nous nous intéressons aujourd’hui à un moment de la première partie (de la recherche d’unmot dans le texte à la mise en voix du texte 15mn) qui nous semble une étape significativequant aux trois ordres de savoirs (d’expérien<strong>ce</strong>, professionnels, <strong>universitaire</strong>s) que la<strong>formation</strong> doit permettre aux stagiaires de construire.1.2. Fondements de nos choixEn <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne l’apprentissage de la lecture :– les savoirs <strong>universitaire</strong>s con<strong>ce</strong>rnent le fonctionnement et l’acquisition de la langue et42<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Quels savoirs pour apprendre à lire en cours préparatoire ? Savoirs savants, genres professionnels et répertoire d’expérien<strong>ce</strong>s<strong>des</strong> discours, la ré<strong>ce</strong>ption <strong>des</strong> textes, le développement <strong>des</strong> enfants relativement à l’écrit etl’apprentissage. En effet, enseigner la lecture suppose que l’enseignant ait <strong>des</strong> savoirs surl’objet qu’il enseigne, les théories et les pro<strong>ce</strong>ssus d’apprentissage ainsi que les possibilitésper<strong>ce</strong>ptives et con<strong>ce</strong>ptuelles <strong>des</strong> élèves à un âge donné. La méconnaissan<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>s savoirsest sus<strong>ce</strong>ptible de générer <strong>des</strong> points aveugles chez l’enseignant qui de <strong>ce</strong> fait ne peutprendre conscien<strong>ce</strong> <strong>des</strong> difficultés <strong>des</strong> élèves et ne peut imaginer une aide.– les savoirs professionnels con<strong>ce</strong>rnent les genres professionnels en dépôt dans la cultureenseignante quant aux modalités d’action pour apprendre à lire. Un exerci<strong>ce</strong> raisonnéde l’enseignement-apprentissage de la lecture suppose la connaissan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> différentesmétho<strong>des</strong> et stratégies – et non la soumission à un genre unique – leur inscription dansl’histoire de la discipline, leur raison sociale et leur ancrage théorique, quelques variantes etles gestes qui permettent de les mettre en œuvre.– pour que les genres professionnels de l’enseignement puissent prendre corps et guiderl’activité de l’enseignant, ils doivent référer à <strong>des</strong> expérien<strong>ce</strong>s concrètes, <strong>des</strong> savoirsd’expérien<strong>ce</strong> qui donnent chair et sens aux discours abstraits (on pourrait ici faire lacomparaison avec <strong>ce</strong> que dit Vygotski (1934-1985) du né<strong>ce</strong>ssaire ancrage <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>ptssavants dans les con<strong>ce</strong>pts quotidiens, de la dialectique, général/singulier)Il nous est impossible, dans le temps qui nous est imparti, de décliner le cadre, ancré dansla théorie socio-historique, qui nourrit nos recherches et nos choix didactiques, tant en <strong>ce</strong>qui con<strong>ce</strong>rne notre con<strong>ce</strong>ption du fonctionnement de la langue et du langage toujours situésdans <strong>des</strong> contextes qui supposent <strong>des</strong> usages spécifiques, la pla<strong>ce</strong> que nous accordonsdans la didactique à la co-activité maître/élève et dans <strong>ce</strong>tte activité au rôle du langage, outilde dépla<strong>ce</strong>ment <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts via les genres de discours mis en œuvre (Bakhtine, 1984) etleur trans<strong>formation</strong> que nous appelons secondarisation (Jaubert et Rebière, 2005c).2. Analyse du corpusLe corpus étudié con<strong>ce</strong>rne donc un petit moment de la séan<strong>ce</strong> qui articule trois scénariosque nous allons étudier suc<strong>ce</strong>ssivement : la recherche d’un mot clé, la recherche etl’interprétation de <strong>ce</strong>rtains indi<strong>ce</strong>s typographiques et la mise en voix du texte.2.1. La recherche du mot dispute dans le texteLa tâche consiste à vérifier si dans le texte, on peut trouver un mot qui justifierait leshypothèses. Il s’agit là d’un scénario professionnel ancré dans la culture <strong>professionnelle</strong><strong>des</strong> enseignants de CP et qui se fonde sur les trois ordres de savoir :<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 43


M. JAUBERT, M. REBIÈRESéan<strong>ce</strong> de lecture Gestes professionnels SavoirsExpProThéo1 M. <strong>ce</strong> qu’on va faire c’estchercher dans le texte s’il y a lemot dispute ou quelque chose qui yressemble/ alors je vais afficher le texte2 E tu la connais <strong>ce</strong>tte histoireMise en relation sens construit à l’oral etde l’écrit ;Pointage d’un mot dans le continuum del’oralXXXXXX3 E est-<strong>ce</strong> que tu l’as lue4 M. oui je l’ai lue avant de vousla lire/ on recherche le mot disputer/alors comment ça chante5 E oui j’ai vu le mot disputer6 E je l’ai vu7 M. comment ça chante le début/8 E. d-i-s-p-u-t-e-r9 E après il y a 2 petits pointsProposition d’une stratégie pourreconnaître un mot : épellationphonétiqueMalentenduPointage du mot écritXXXX0XXXX10 M tu l’as vu/ tu veux me lemontrer11 E moi je l’ai vuM Paul tu l’as bien vu/ donc <strong>ce</strong> qu’onavait vu sur l’image, c’est bien <strong>ce</strong> qu’il ya dans le texte// tu le soulignesConfirmation du lien oral-écritXXXLa stagiaire possède d’éviden<strong>ce</strong> <strong>des</strong> savoirs d’expérien<strong>ce</strong> :– elle sait, pour l’avoir observé au cours du stage, qu’il est difficile pour les élèves de mettreen relation <strong>ce</strong> qui se dit, s’imagine à propos d’une illustration et <strong>ce</strong> qui se lit ;– elle sait aussi que la reconnaissan<strong>ce</strong> d’un mot repose sur la reconnaissan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> élémentsqui le composent.Ces savoirs d’expérien<strong>ce</strong> sont confortés par la rencontre avec <strong>des</strong> genres professionnelsdécrits en cours ou dans ses lectures :– la connaissan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> deux stratégies d’apprentissage de la lecture historiquement attestées,du sens vers la forme ou de la forme vers le sens, présentées de façon récurrente dans lestextes officiels et la littérature pédagogique ;– la connaissan<strong>ce</strong> de leur complémentarité (textes officiels, cours) ;– la connaissan<strong>ce</strong> de la relation graphèmes – phonèmes. Au début de <strong>ce</strong>tte séan<strong>ce</strong>, onobserve, de la part de la stagiaire, une confusion graphème/phonème : elle ac<strong>ce</strong>pte uneépellation littérale alors qu’elle a demandé une épellation phonique. Cette confusion disparaîtdans la fin de la séan<strong>ce</strong>, preuve d’un savoir professionnel en construction.La démarche de la stagiaire montre qu’elle s’appuie sur <strong>ce</strong>rtains savoirs théoriques :– en <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne la langue : le statut linguistique du mot et la connaissan<strong>ce</strong> du plurisystèmeorthographique,– en <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne l’apprentissage de la lecture : les théories sur la lecture « bottom up »44<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Quels savoirs pour apprendre à lire en cours préparatoire ? Savoirs savants, genres professionnels et répertoire d’expérien<strong>ce</strong>s(pilotée par le déchiffrement) et « top down » (pilotée par le co-texte et le contexte), la pla<strong>ce</strong>de la conscien<strong>ce</strong> phonologique dans l’acte de lecture ;– en <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne le développement <strong>des</strong> enfants, la stratégie adoptée montre qu’elleprend en compte <strong>des</strong> savoirs sur les représentations que se font les enfants du rapport entreoral et écrit (cf Ferreiro, 1988, Vygotski, 1934-1985).Sur <strong>ce</strong>t épisode, les savoirs né<strong>ce</strong>ssaires pour gérer l’activité semblent globalement connus.La stagiaire arrive à connecter les trois ordres de savoirs, <strong>ce</strong>pendant, le genre professionnelqui lui permettrait de contrôler l’activité de reconnaissan<strong>ce</strong> de mots n’est pas maîtrisé et nelui permet pas d’accompagner de manière rigoureuse le travail <strong>des</strong> élèves. La confusionépellation littérale/épellation phonétique peut même constituer un obstacle pour <strong>ce</strong>rtainsélèves.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 45


M. JAUBERT, M. REBIÈRE2.2. La matérialité du texteSéan<strong>ce</strong> de lecture Gestes professionnels savoirs9 E après il y a 2 petits points[…]12 E attends, mais on revoit lesmêmes choses13 M on revoit les mêmes choses14 E ah c’est un serpent, [M ah ] unserpent, une corde, un éventail, unefalaise15 M et est-<strong>ce</strong> qu’il n’y a pas <strong>des</strong>petits signes qui nous montrentquelque chose16 E si qu’ils parlent17 M ils sont en train de parler18 E de s’exclamer19 E ils crient20 M oui tu as raison c’est quandon dit… attends écoute/ Jean nousa dit qu’ils s’exclamaient il y a unpoint un petit peu spécial là, un pointd’exclamation (surligne en rouge)21 E et y en a là23 M. et y a plein d’autres points là/donc les petites souris se disputent.Ac<strong>ce</strong>ptation de la reconnaissan<strong>ce</strong>immédiate <strong>des</strong> motsMise en relation du sens construità l’oral, du mot « dispute » et de sacorrespondan<strong>ce</strong> avec la matérialitétypographique du texte.Objectivation <strong>des</strong> signestypographiques en lien avec le sensRéinscription dans l’histoireE P T0XXX0XXX000XPour faire lire <strong>ce</strong> passage, la stagiaire dispose de deux stratégies : le recours à un répertoireet l’interprétation <strong>des</strong> indi<strong>ce</strong>s typographiques.2.2.1. RépertoireSavoirs d’expérien<strong>ce</strong> :Dans la classe, il est d’usage que l’enseignante titulaire affiche le répertoire <strong>des</strong> mots connuset utiles pour lire le texte. La stagiaire fait de même mais elle ne s’en sert pas. Ce savoird’expérien<strong>ce</strong> n’est pas intégré dans ses pratiques.Savoirs professionnels :Ce scénario (au sens de Bruner, 1983) de recours à un répertoire de mots connus se fon<strong>des</strong>ur la né<strong>ce</strong>ssité pédagogique de permettre aux élèves d’automatiser la reconnaissan<strong>ce</strong> demots déjà travaillés, de faciliter la découverte d’un texte nouveau et d’en rendre la lectureplus fluide. Or, <strong>ce</strong> scénario professionnel n’est pas perçu comme une né<strong>ce</strong>ssité.Savoirs théoriques :– Relatifs au fonctionnement de la langue et de la lecture* Elle connaît le plurisystème orthographique (Catach, 1980) et de la double articulationde la langue (plus petites unités dépourvues de sens – graphèmes et phonèmes – etplus petites unités porteuses de sens – morphèmes)46<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Quels savoirs pour apprendre à lire en cours préparatoire ? Savoirs savants, genres professionnels et répertoire d’expérien<strong>ce</strong>s* Elle sait que toute lecture experte s’appuie sur la reconnaissan<strong>ce</strong> orthographiqueautomatisée <strong>des</strong> mots, instanciés à partir d’un répertoire mental.– Relatifs à l’apprentissage : le recours au répertoire se fonde sur la notion vygotskienned’outil psychologique, construit dans la relation avec la classe et sus<strong>ce</strong>ptible d’être intérioriséet donc de faciliter la construction du répertoire mental. Dans l’exemple analysé, la stagiairen’ayant pas conscien<strong>ce</strong> du rôle d’outil de <strong>ce</strong> répertoire l’oublie et ne demande aucunevérification lors de la reconnaissan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> mots.N’ayant pas articulé les pratiques de l’enseignante titulaire avec les genres qu’elle met enœuvre et leurs fondements théoriques, <strong>ce</strong>t outil pour la stagiaire reste formel et elle ne peutse l’approprier en terme d’outil pour enseigner. L’absen<strong>ce</strong> d’utilisation de <strong>ce</strong> répertoire peutavoir pour conséquen<strong>ce</strong> de renfor<strong>ce</strong>r l’idée que lire c’est deviner pour <strong>ce</strong>rtains enfants.2.2.2. interprétation de la ponctuation et de la typographieEn <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne <strong>ce</strong>tte stratégie, la stagiaire reprend à son compte un geste professionnelde l’enseignante titulaire.On peut penser que <strong>ce</strong> savoir d’expérien<strong>ce</strong> a du sens pour la stagiaire et s’inscrit dans saculture <strong>professionnelle</strong> : méthode d’apprentissage de la lecture qui attribue un rôle inducteurde sens à la typographie, pratiques de théâtralisation, de production d’écrit du dialogue, etpla<strong>ce</strong> de l’étude du dialogue en grammaire.Ces pratiques <strong>professionnelle</strong>s sont ancrées dans <strong>des</strong> savoirs théoriques– Relatifs à la langue et à la lecture :Les travaux de recherche en analyse du discours <strong>des</strong> années quatre vingt voient dans laponctuation un signal du genre mis en œuvre par l’énonciateur et de son intention. La priseen compte de la ponctuation et de la typographie aide à l’interprétation du texte.– Relatifs à l’apprentissage :Vygotski souligne l’abstraction de l’écrit :« C’est le langage sans l’intonation, sans l’expression, d’une manière générale sanstout son aspect sonore. C’est un langage dans la pensée, dans la représentation,mais privé du trait le plus essentiel du langage oral, le son matériel. […] Il né<strong>ce</strong>ssiteune symbolisation <strong>des</strong> symboles sonores, c’est-à-dire une symbolisation au seconddegré…, plus difficile pour l’enfant. » (p.338-339)La typographie et la ponctuation, qui ne renvoient ni à <strong>des</strong> mots ni à <strong>des</strong> signifiés constituentle summum de l’abstraction. Elles né<strong>ce</strong>ssitent donc un enseignement qui s’appuient sur denombreuses situations singulières signifiantes qui permettent la réorganisation du systèmepsychique antérieur du langage oral.Ce savoir n’est pas théorisé par la stagiaire ainsi que le montre la confrontation croisée :27 G. tous les petits signes qui se rapportent au dialogue/ les deux points, lesguillemets /ils sont très très habitués depuis le début de l’année à faire ça alors jeleur fais refaire très rapidement/ les deux points, les tirets, les guillemets ils repèrentaussi le point d’exclamation / là c’est un lecteur qui dit elles s’exclament.Elle ne se sert pas de la ponctuation comme d’un outil pour penser le texte. Sa démarche,imitée de <strong>ce</strong>lle de la titulaire, en l’absen<strong>ce</strong> d’un genre professionnel attesté, risque de seréifier très vite et de devenir une habitude formelle, hors sens.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 47


M. JAUBERT, M. REBIÈRE2.3. la mise en voix du texteSéan<strong>ce</strong> de lecture Gestes professionnels Savoirs33 M c’est Sixtine qui commen<strong>ce</strong>/ alorsvous vous rappelez vous vous disputez/vous vous levez les quatre.++ alors vousvous disputez/ alors vous le faites bienquand vous lisez.34 S un ser/pentMise en relation sens construità l’oral, signification du mot« dispute » et <strong>des</strong> signestypographiquesE P TX X 035 C u/ne cor/de36 M tu oublies pas que tu es fâchée37 C un é/ven/tail38 L une falaise39 M oh bé est-<strong>ce</strong> qu’elles avaient l’air trèsfâchées nos souris40 E non41 M on recommen<strong>ce</strong> allez Benoît42 E je peux y aller je peux aller…43 M oui Sixtine elle a bien fait fâchée vousallez faire pareil Benoît et Mathieu/ Pierre etEmma/ on refera/ […]+++ alors Benoît va direun serpent/ Pierre va dire une corde/ Mathieuun éventail et Emma une falaise/ allez on yva+++.[…]Rappel de l’intentionÉvaluation de la mise en relationPointage d’une réussite àconforter47 M ah c’est mieux déjà on avait l’impressionque les souris se disputaient un peu++Constat de la réussite de la miseen lien entre sens et formeDans <strong>ce</strong>t épisode, la stagiaire s’appuie sur une connaissan<strong>ce</strong> implicite de l’école relative à lalecture à haute voix, en particulier <strong>ce</strong>lle <strong>des</strong> dialogues. Cette lecture à haute voix s’inscrit dans<strong>des</strong> genres professionnels qui visent l’interprétation <strong>des</strong> textes littéraires et la théâtralisation,activités prescrites par les textes officiels <strong>des</strong> cycles 2 et 3. Cette pratique d’oralisation <strong>des</strong>textes se justifie par <strong>des</strong> savoirs théoriques con<strong>ce</strong>rnant d’une part le fonctionnement de lalangue et d’autre part l’apprentissage de la lecture. En effet, la situation de lecture est unesituation de communication différée et suppose une reconstruction mentale du contexte àpartir <strong>des</strong> indi<strong>ce</strong>s graphiques.L’oral et l’écrit sont <strong>des</strong> systèmes en grande partie arbitraires très différents l’un de l’autre.Leurs réalisations présentent de grands écarts. L’écrit est hautement abstrait, c’est l’algèbredu langage (Vygotski 1985). Comprendre de l’écrit suppose de reconnaître, en l’absen<strong>ce</strong><strong>des</strong> formes sonores du langage, <strong>des</strong> significations construites à l’oral au travers de formesécrites qui correspondent aux formes déjà construites dans le langage oral et intériorisées.En <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne l’apprentissage et le développement <strong>des</strong> enfants, le fait que « le langageécrit est seulement pensé et non prononcé, représente justement l’une <strong>des</strong> plus gran<strong>des</strong>difficultés que rencontre l’enfant dans le pro<strong>ce</strong>ssus de maîtrise de l’écriture » (Vygotski, dem48<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Quels savoirs pour apprendre à lire en cours préparatoire ? Savoirs savants, genres professionnels et répertoire d’expérien<strong>ce</strong>sp.338-339). Le recours à l’oral constitue donc une <strong>des</strong> stratégies pour donner corps à <strong>ce</strong>langage écrit.La séan<strong>ce</strong> de regards croisés nous informe sur le degré de maîtrise de <strong>ce</strong>s savoirs :28 G. […] je voulais leur faire jouer / je trouvais ça intéressant / […] / c’est leseul moment où ils ont vraiment joué le texte/ et puis aussi <strong>ce</strong> qu’on disait/quand on lit un livre ou <strong>des</strong> dialogues/ on le met en scène alors que eux ilssont encore à lire (suit du doigt un texte imaginaire) un ser/pent/ et pour qu’ilscommen<strong>ce</strong>nt déjà à mettre en scène tout en lisant/29 V ils sont pas trop dans la lecture là quand même/ ils ont retenu le mot30 G. oui/ le but c’est effectivement31 V. c’est pas une phrase c’est un mot donc/ une fois qu’ils l’ont retenu, ilssavent qu’il faut dire ça32 M. son but c’est de les faire jouer33 V. c’est pas un but de lecture en jouant/ c’est34 G. mais tu vas voir quand même qu’ils sont tous retournés vers le tableau/ils se retournaient vers le texte après tous/ et même s’ils regardent un mot/même si c’est pas vraiment de la lecture et qu’ils s’en souviennent/ euh ilsregardent le supportLa confrontation croisée montre que <strong>ce</strong>tte stratégie repose surtout sur un savoir d’expérien<strong>ce</strong>con<strong>ce</strong>rnant l’acquisition de la lecture « courante » : « quand on lit un livre ou <strong>des</strong> dialogues/ on le met en scène ».Le rôle outillant de l’oral pour comprendre l’écrit quand on apprend à lire n’est pas perçu :l’oral est seulement lié à la théâtralisation et n’est pas pensé comme passeur de l’interà l’intra. Il ne l’est d’ailleurs pas non plus dans les textes officiels. Par ailleurs, la lecturen’est vue par les collègues que sous l’angle de la reconnaissan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> mots et non dansl’ac<strong>ce</strong>ssion au sens.ConclusionL’analyse de <strong>ce</strong>s trois scénarios fait apparaître en chacun un défaut d’articulation entre lestrois ordres de savoir sus<strong>ce</strong>ptible de générer chaque fois <strong>des</strong> obstacles chez <strong>des</strong> élèvesapprentis lecteurs.Par ailleurs, l’enchaînement de <strong>ce</strong>s trois scénarios pose en général problème aux enseignantsqui trouvent qu’ils sont sour<strong>ce</strong> de perte de temps par rapport à l’apprentissage proprementdit de la lecture. Or, tout se passe comme si, dans <strong>ce</strong>tte séan<strong>ce</strong>, la stagiaire observéeavait pressenti l’intérêt d’outiller, par trois moments différents, la construction du sens surla langue écrite. En effet, le premier scénario a pour but de cristalliser sur un mot clé leshypothèses verbalisées à partir de l’illustration et <strong>ce</strong> que l’on sait de l’histoire. Il y a là unphénomène de généralisation (passage de la situation singulière <strong>des</strong> petites souris qui nesont pas d’accord à l’idée globalisante de dispute). Le deuxième scénario vise à déployer ladensité sémantique du mot dispute et à la recontextualiser dans l’espa<strong>ce</strong> plan de l’écrit etles formes de la langue écrite : succ<strong>ce</strong>ssion <strong>des</strong> échanges, correspondan<strong>ce</strong> graphique <strong>des</strong>intentions, etc. Le troisième scénario est une nouvelle recontextualisation dans le langagemédiatisé par l’écrit.De l’oral spontané <strong>des</strong> hypothèses à l’oralisation de l’écrit, la boucle est bouclée : les<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 49


M. JAUBERT, M. REBIÈREtrois scénarios constituent un outil cohérent d’entrée dans le monde de l’écrit. Or, <strong>ce</strong>développement théorique échappe à la stagiaire qui n’arrive pas à utiliser pleinement <strong>ce</strong>toutil qu’elle a construit et qui ne peut le défendre fa<strong>ce</strong> à la critique de ses collègues. Il noussemble donc que les savoirs théoriques, articulés aux savoirs d’expérien<strong>ce</strong> et aux savoirsprofessionnels sont indispensables à la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants.BibliographieBAKHTINE M. (1984) Esthétique de la création verbale. Paris, Gallimard.BRUNER J. (1983) Le développement de l’enfant : Savoir dire, savoir faire. Paris, PUF.CATACH N. (1980) L’orthographe français. Traité théorique et pratique avec <strong>des</strong> tableauxd’application et leurs corrigés. Paris, Nathan.FERREIRO É. (1988) Lire, écrire : comment s’y apprennent-ils ? Lyon, CRDP.JAUBERT M. et REBIERE M. (2005a) Former à l’enseignement de la lecture : un genrelangagier professionnel et ses gestes afférents. Une étude de cas. Actes du REF 2005.JAUBERT M. et REBIERE M. (2005b) « Gestes professionnels et apprentissage de la lectureen <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> initiale : étude de cas » Actes du colloque AIRDF (2004) Lefrançais, discipline singulière, plurielle ou transversale ? Québec.JAUBERT M. et REBIERE M. (2005c) « Un con<strong>ce</strong>pt en émergen<strong>ce</strong> en didactique du français :la secondarisation » Epistémologie <strong>des</strong> disciplines. Actes du colloque ASEF de BordeauxJAUBERT M. et REBIERE M., à paraître, « Enseigner la lecture au cours préparatoire :<strong>des</strong> gestes de tissage complexes » in D. Bucheton (dir) L’agir enseignant : <strong>des</strong> gestesprofessionnels ajustés.VYGOTSKI L. (1934/1985) Pensée et langage. Paris, Éditions sociales.50<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Assuran<strong>ce</strong>s et désarrois après la <strong>formation</strong> initiale :l’exemple de l’orthographeCatherine BrissaudClaudie PéretJean-Pierre SautotUniversité Stendhal-Grenoble 3, LIDILEMPrésentationLa communication vise à montrer comment le discours d’enseignants débutants articuledifférentes problématiques de <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> en lien avec la didactique d’unediscipline.À partir d’une enquête, nous montrons les parts respectives de <strong>ce</strong>rtaines composantes dela <strong>formation</strong> dans la construction <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s de l’enseignant débutant : son passéscolaire, sa <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> de base, sa <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> initiale à l’<strong>IUFM</strong>(PE2), ses tuteurs. L’enquête porte sur l’enseignement de l’orthographe ; elle interrogel’intérêt de la prise en compte <strong>des</strong> paramètres personnels dans une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>et vise à établir les connaissan<strong>ce</strong>s <strong>universitaire</strong>s et <strong>professionnelle</strong>s né<strong>ce</strong>ssaires à un bonexerci<strong>ce</strong> du métier.1. Les donnéesLes données sont issues d’une enquête longitudinale menée auprès de professeurs <strong>des</strong>écoles entrant dans le métier, de leur première année à l’<strong>IUFM</strong> à leur deuxième annéed’enseignement. Il s’agit d’étudiants lauréats du concours 2004 dans l’académie de Grenoble,ayant suivi leur <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> initiale dans les sites de Grenoble ou Privas.Le protocole d’enquête prévoit un entretien sur quatre années suc<strong>ce</strong>ssives, de leur stageà l’<strong>IUFM</strong> jusqu’à leur troisième année d’enseignement. En amont, un corpus de copies deconcours blanc a été constitué . 36 stagiaires PE2 ont répondu la première année. Nousavons revu <strong>ce</strong>rtains d’entre eux pour une observation <strong>des</strong> pratiques de classe et un entretienlors de leur première année d’enseignement (T1) et continuons actuellement à recueillir <strong>des</strong>données du même type auprès de <strong>ce</strong>ux qui sont en deuxième année d’enseignement (T2).Au final, en T2, ils ne sont plus que 12. Plusieurs causes peuvent être attribuées au refusmassif <strong>des</strong> d’entretiens en T1 : l’analyse <strong>des</strong> entretiens et de la méthodologie de collectepermettra d’émettre plusieurs hypothèses à <strong>ce</strong> sujet.Les entretiens menés en PE2 nous ont amenés à établir plusieurs profils d’enseignants enfin de <strong>formation</strong> initiale à partir du lien entre histoire personnelle et projection dans le métier(Sautot, Péret, Brissaud – 2006). Ils portaient sur l’apprentissage scolaire de l’orthographetel qu’il a été vécu par le sujet ; les pratiques personnelles con<strong>ce</strong>rnant l’orthographe ; lesperspectives <strong>professionnelle</strong>s, depuis la <strong>formation</strong> reçue à <strong>ce</strong>lle que l’on va dispenser. Lesentretiens et les observations menés en T1 ont permis de collecter d’une part <strong>des</strong> pratiques 211 copies de concours blanc ont été étudiées sous l’angle <strong>des</strong> erreurs orthographiques.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 51Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (51-60) Tome 2


C. BRISSAUD, C. PÉRET, J.P. SAUTOTde classe dans lesquelles le sujet visait <strong>des</strong> apprentissages sur la langue et, d’autrepart, lors de l’entretien, son discours sur la conduite de l’enseignement, les pratiques decorrections, la norme scolaire, la per<strong>ce</strong>ption <strong>des</strong> usagers de la langue française au regard<strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s orthographiques.En T2, l’entretien est plus orienté sur les difficultés qui peuvent être rencontrées. Ce thèmen’était pas abordé en T1 et les résultats que nous avons obtenus doivent être lus en tenantcompte de <strong>ce</strong>tte variation.2. Méthodologie d’analyseLe problème fondamental dans l’analyse <strong>des</strong> entretiens provient du fait que les enquêteursont été considérés comme <strong>des</strong> formateurs. Le statut d’enseignant-chercheur en <strong>IUFM</strong>introduit un biais dans le recueil <strong>des</strong> données et constitue un problème dans leur analyse.Con<strong>ce</strong>rnant l’analyse <strong>des</strong> entretiens, deux pistes méthodologiques sont possibles :une approche statistique telle que <strong>ce</strong>lle utilisée par Millet (1992) présenterait l’avantage demettre au jour <strong>des</strong> représentations construites collectivement par les enseignants ;une approche discursive telle que <strong>ce</strong>lle utilisée par Guernier (1998) montrerait l’existen<strong>ce</strong>d’objets discursifs construits par les individus, qui naissent d’un stéréotype et se développent dansune énonciation plus strictement personnelle.Si l’on prend en compte la position de Vermersch (2000) sur une approche du singulier, lastatistique n’est pas le seul outil capable de rendre compte, de manière fiable, de catégories.La recherche vise à mettre en éviden<strong>ce</strong> <strong>des</strong> positionnements d’individus et les discoursindividuels recueillis ne permettent pas un traitement statistique : d’abord par<strong>ce</strong> que <strong>ce</strong>sdiscours sont courts ; ensuite par<strong>ce</strong> que la directivité <strong>des</strong> entretiens apparait un peu forte.Ce faisant, nous avons parfaitement conscien<strong>ce</strong> qu’on ne peut pas déduire une sociologiede l’enseignant débutant à partir de nos analyses.Un traitement discursif semblerait donc mieux convenir. Les outils d’analyse développéspar Guernier s’attachent à analyser <strong>des</strong> discours longs et la durée comme la directivité denos entretiens sont un obstacle à de telles analyses. Nos entretiens montrent pourtant bienl’apparition d’objets discursifs. Le con<strong>ce</strong>pt d’objet discursif permet <strong>des</strong> allers retours entreitems lexicaux et textes. Ainsi, devient objet discursif un item lexical dont la productivitédiscursive est attestée dans l’entretien analysé.Les thèmes introduits dans les entretiens et le statut de l’enquêteur orientent donc lediscours <strong>des</strong> enseignants. S’ils nous racontent leur enfan<strong>ce</strong> en début d’entretien, c’est par<strong>ce</strong>que nous le leur demandons. Cependant, s’ils réutilisent <strong>des</strong> thèmes évoqués par eux audébut de l’entretien, pour expliquer leurs comportements, ou si plus furtivement <strong>ce</strong>s thèmesressurgissent mais reformulés, on peut conclure à la présen<strong>ce</strong> d’un objet discursif.Par exemple, l’item « dictée » surgit spontanément dans presque tous les entretiens. Ils’agit d’un exerci<strong>ce</strong> si stéréotypé dans l’imaginaire collectif qu’il est un quasi synonymed’« orthographe ». Quand l’item « dictée » apparait à côté de l’item « ma mère » et de lamention d’un souvenir agréable ou d’une exigen<strong>ce</strong> éducative, se construit alors un paradigmesus<strong>ce</strong>ptible de reparaitre dans la suite du discours. Sa réapparition ou sa disparition sont alorssignificatives et peuvent être considérées comme <strong>des</strong> traits distinctifs du discours recueilli.Dans les « chapitres » que nous avions définis pour construire le guide d’entretien, la miseen éviden<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>s objets discursifs singuliers, la manière dont ils s’étayent les uns les52<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Assuran<strong>ce</strong>s et désarrois après la <strong>formation</strong> initiale : l’exemple de l’orthographeautres, leur récurren<strong>ce</strong> ou leur singularité sont autant de caractéristiques du positionnementde l’individu. D’un enseignant à l’autre, les configurations discursives changent et fluctuentet <strong>ce</strong>rtaines se combinent jusqu’à former un ensemble de portraits singuliers. Cet articlerend compte <strong>des</strong> catégories de sens extraites <strong>des</strong> entretiens.3. Des référen<strong>ce</strong>s qui évoluent : d’un modèle lié au passé scolaireà la recherche de modèles experts3.1. Le souvenir de la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>Lors du premier entretien, le futur enseignant exprime une projection dans le métier, fortpeu liée au discours qu’il a entendu en <strong>formation</strong> initiale lors <strong>des</strong> cours à l’<strong>IUFM</strong> ; il garded’ailleurs peu de souvenirs de <strong>ce</strong>tte <strong>formation</strong> :« en PE1, Je m’en souviens // pas / pas trop //… En PE2 ? Pourtant c’est heu / c’estré<strong>ce</strong>nt ça Heu // Qu’est-<strong>ce</strong> qui m’en reste ? // pas <strong>des</strong> masses / /[…] Mais bon // jesuis honnête hein ? // En fait on a du mal à // à / s’intéresser vraiment au cours //par<strong>ce</strong> qu’on voit heu / que les heu / que <strong>ce</strong> qu’il peut nous apporter à nous / dansl’immédiat // donc du coup en fait on est / sur notre stage et heu / on ne pense qu’à<strong>ce</strong> moment-là » Tout se passe donc comme si le stagiaire ne pouvait pas être ré<strong>ce</strong>ptif au discours duformateur s’il ne fait pas lui-même le lien avec <strong>ce</strong> qu’il tente de mettre en œuvre dans laclasse. Pourtant, quand il décrit son enseignement, il peut faire référen<strong>ce</strong> à <strong>des</strong> pratiques quilui ont été présentées en <strong>formation</strong>. Un souvenir d’exerci<strong>ce</strong>s répétitifs type Bled [méthodecélèbre en Fran<strong>ce</strong> utilisée dès 1946] et de dictées, jugés efficients, n’est pas incompatibleavec la perspective d’une approche liée à l’observation, à la situation d’enseignement àpartir d’une situation problème. Marie, disant ne pas se souvenir <strong>des</strong> cours suivis, utilise le« jargon » <strong>des</strong> professionnels de l’apprentissage :« au collège j’ai le souvenir du Bescherelle / d’exerci<strong>ce</strong>s / mais à l’école non je voispas comment ç’ait pu venir […] / <strong>des</strong> mots à apprendre par cœur mais après lepluriel / <strong>des</strong> bêtises comme ça / je sais pas […] / et en PE2 je me souviens d’uncours / heu mais heu / sinon j’ai pas franchement l’impression d’avoir un apport surl’enseignement / de l’orthographe […] donc [en <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne la projection dansl’enseignement de l’orthographe] dans une démarche // dit-on socioconstructiviste[…] c’est la c’est la seule chose que j’ai pu mettre en pla<strong>ce</strong> et c’est <strong>ce</strong>lle qui m’a parula plus pertinente »La <strong>formation</strong> à l’<strong>IUFM</strong> instille une mise à distan<strong>ce</strong>. Marlène reconnait avoir découvert le« débat orthographique » à l’<strong>IUFM</strong>, alors même que ses souvenirs sont très flous et qu’ellene se souvient de rien précisément de la <strong>formation</strong> reçue. Elle le met en œuvre en T1comme en T2, en complément de la dictée, cherchant à rentabiliser/optimiser la dictée quin’a pas été effica<strong>ce</strong> pour elle.Tradition pédagogique, innovation personnelle et <strong>formation</strong> reçue se combinent donc aurapport personnel à l’orthographe construit pendant l’enfan<strong>ce</strong>. Les passages en italique sont <strong>des</strong> extraits <strong>des</strong> discours <strong>des</strong> enseignants. Le signe / correspond à unepause.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 53


C. BRISSAUD, C. PÉRET, J.P. SAUTOT3.2. Le souvenir de la scolaritéL’évocation <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> d’enseignement vécues par les stagiaires lors de leur scolaritéprimaire fait très fréquemment mention de deux outils, emblématiques en Fran<strong>ce</strong> :« Bled ça c’est le mot qui me revient tout le temps par<strong>ce</strong> qu’on faisait tout le tempspar<strong>ce</strong> qu’on faisait <strong>des</strong> exerci<strong>ce</strong>s de Bled [...] au collège je me rappelle <strong>des</strong> dictées/ je me rappelle <strong>des</strong> dictées <strong>des</strong> dictées préparées donc au plan orthographe c’étaitsurtout ça ».Côté apprentissage, la plupart <strong>des</strong> stagiaires déclarent avoir un bon niveau d’orthographe.Cependant les souvenirs <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> qui leur ont été appliquées pour obtenir <strong>ce</strong> niveausont plus que contrastés. On trouve trois types de souvenirs chez les stagiaires :le plus fréquent, la réussite :« Je réussissais bien donc je le vivais bien... c’était un moment que j’aimais bienquand même la dictée » ;sa propre difficulté à apprendre les contenus comme les métho<strong>des</strong> :« Je pense que j’ai essayé d’apprendre / vraiment j’avais la bonne volonté d’apprendreje faisais tout pour apprendre mais je pense que j’avais pas les bonnes métho<strong>des</strong> //j’arrivais pas et d’abord je comprenais pas » ;l’échec <strong>des</strong> autres :« J’ai un peu découvert que la dictée ça pouvait être le pire moment de la semainede <strong>ce</strong>rtains élèves. »Ce dé<strong>ce</strong>ntrage est <strong>ce</strong>pendant relativement rare. Il est survenu, dans <strong>ce</strong> cas, au cours de la<strong>formation</strong>.Des souvenirs plus personnels apparaissent parfois plus prégnants et témoignent de lanature <strong>des</strong> relations que le stagiaire a pu entretenir avec <strong>des</strong> adultes l’ayant accompagnédans son apprentissage, parent ou enseignant :« Je savais que si j’avais <strong>des</strong> mauvaises notes eh bien mes parents ne seraient pascontents […] par rapport aux autres élèves de la classe avoir <strong>des</strong> mauvaises notesc’était pas génial […] le point de vue que l’enseignante avait sur moi / je le ressentaisnégativement puisque j’avais souvent <strong>des</strong> mauvaises notes. »« [Ma mère] me faisait faire <strong>des</strong> dictées / elle me faisait réviser <strong>des</strong> règles d’orthographeet c’est vrai que c’était souvent enfin moi je le prenais souvent sous forme de jeu / onse mettait sur la terrasse dehors et on faisait <strong>des</strong> dictées. »Certains stagiaires interrogés construisent donc rétrospectivement le lien entre qualitéd’élève et relation à l’adulte. Se pose alors la question de la projection dans l’enseignementde l’orthographe.Le rapport à l’orthographe du futur enseignant se nourrit de deux relations de sens construitesentre l’apprenti qu’il a été et l’orthographe : la relation à son apprentissage et la relation aucode lui-même en tant que système d’écriture. Certains stagiaires qui se souviennent avoirété de bons élèves ne trouvent généralement aucune objection majeure au fait de reproduire<strong>ce</strong> qu’ils ont vécu eux-mêmes. Ceux-là manifestent l’intention de varier la mise en œuvrede la dictée et conduiront vraisemblablement sans état d’âme ex<strong>ce</strong>ssif les élèves sur leschemins qu’ils se rappellent avoir empruntés. À l’inverse, pour le stagiaire ayant mal vécu54<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Assuran<strong>ce</strong>s et désarrois après la <strong>formation</strong> initiale : l’exemple de l’orthographe<strong>ce</strong>t apprentissage, le souvenir de la difficulté scolaire débordant parfois sur les relationsavec les parents semble permettre une prise de distan<strong>ce</strong> d’avec l’enseignement reçu. Cetteprise de distan<strong>ce</strong> se retrouve chez le stagiaire en réussite à l’école qui a pris conscien<strong>ce</strong>,grâ<strong>ce</strong> à ses proches, que la facilité avec laquelle il a appris n’est pas le lot de tous.Ainsi l’irruption de l’affectif du stagiaire dans ses choix professionnels futurs ne peut pas êtrenégligée.3.3. Des motivations multiplesAu cours de l’entretien, le poids <strong>des</strong> souvenirs est relativisé. Le discours s’enrichit d’autresthématiques qui infléchissent les choix qu’ils opèrent : la <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> initiale, lacompéten<strong>ce</strong> orthographique et la rencontre avec <strong>des</strong> enseignants expérimentés.Le passé <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> stagiaires pèse sur leurs choix. Par exemple, le fait d’avoirobtenu un diplôme en scien<strong>ce</strong>s du langage semble permettre de mieux objectiver lesproblèmes didactiques que pose le code. Les stagiaires ayant opéré <strong>ce</strong>tte mise à distan<strong>ce</strong>de l’orthographe lors de leur <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> seraient plus à même de dépasser leurpropre subjectivité dans leurs projets d’enseignement.Un vécu personnel de l’apprentissage, ressenti comme négatif, semble produire le mêmeeffet. Ceux-là tentent d’innover par rapport à <strong>ce</strong> qu’ils ont vécu.Les points d’orthographe que le stagiaire juge défaillants dans sa propre compéten<strong>ce</strong>, ousurveille tout particulièrement dans ses pratiques scripturales personnelles sont un autrepoint d’ancrage du discours sur la pratique <strong>professionnelle</strong>.Pauline : « Les points d’orthographe qui sont les plus difficiles à enseigner ? // ouiben non /// je pense qu’à mon niveau <strong>ce</strong> serait plutôt // tout <strong>ce</strong> qui est / phrase /grammaticale… tout <strong>ce</strong> qui est analyse de la phrase plutôt CM1-CM2 […] par<strong>ce</strong> quemoi j’ai eu / j’avais eu <strong>des</strong> difficultés dans <strong>ce</strong> domaine-là »Nicole : « le type d’erreur que je faisais ? /// alors c’était souvent heu / la fin // <strong>des</strong>verbes c’était er ou é / <strong>des</strong> s que j’avais oubliés […] <strong>ce</strong> qui est incontournable dansl’enseignement de l’orthographe ? / Ben les règles d’accord déjà »Les discours de collègues rencontrés dans les écoles confortent un argument d’impuissan<strong>ce</strong>:Éric : « // j’en ai beaucoup parlé avec / l’instit que j’ai remplacé en stage / on sevoyait tous les jours et / même lui avec toute son expérien<strong>ce</strong> il se posait encore laquestion »Caroline : « je reviens d’un stage en ZEP [...] / enfin j’ai été un peu choquée envoyant les dictées il y avait je sais pas 40 50 fautes ils [les collègues] m’ont réponduque c’était pas si grave que ça par<strong>ce</strong> que ça faisait pas partie <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s debase / »Ces interventions de pairs expérimentés, en PE2, renfor<strong>ce</strong>nt la propension à reproduire lesstéréotypes scolaires de l’enseignement de l’orthographe.Lors <strong>des</strong> entretiens en T1 et surtout <strong>ce</strong>ux de T2, le discours <strong>des</strong> jeunes enseignantsmanifeste que les modèles évoluent. Les néotitulaires recherchent <strong>des</strong> outils dans <strong>des</strong>manuels, relisent les cours qu’ils ont eus à l’<strong>IUFM</strong>. La référen<strong>ce</strong> à l’expérien<strong>ce</strong> enfantine<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 55


C. BRISSAUD, C. PÉRET, J.P. SAUTOTvécue disparait. Demeure l’importan<strong>ce</strong> accordée au discours <strong>des</strong> collègues expérimentés :Marielle (T1) : « / je travaille beaucoup avec ma collègue qui a un CE1 pur et qui a unebonne trentaine d’années d’expérien<strong>ce</strong> et qui sait pas non plus comment faire »Annie et Pauline (T2) recherchent sur Internet <strong>des</strong> outils élaborés par <strong>des</strong> enseignants quiattestent que « ça marche ».Cette attitude est à mettre en relation avec le discours porté sur les formateurs à l’<strong>IUFM</strong> :sont crédibles <strong>ce</strong>ux qui ont eu l’expérien<strong>ce</strong> du terrain ou qui ne démentent pas l’illusion qu’ilsl’ont eue. Au final, le peu de cours dispensés sur le sujet à l’<strong>IUFM</strong> n’exer<strong>ce</strong> qu’une influen<strong>ce</strong>toute relative fa<strong>ce</strong> au poids du vécu personnel enfantin et aux divers autres discours reçuspar le stagiaire. Fa<strong>ce</strong> à <strong>ce</strong>tte palette d’influen<strong>ce</strong>s, on peut s’interroger légitimement sur <strong>ce</strong>lleque doit exer<strong>ce</strong>r la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>.4. D’une insécurité à l’autre4.1. En PE2, une nébuleuse didactiqueSi les stagiaires (PE2) ont <strong>des</strong> idées sur les gran<strong>des</strong> lignes directri<strong>ce</strong>s de l’enseignement del’orthographe, tous se demandent comment ils vont le mener :Morgan : « Je dirais pas que je l’appréhende je suis assez curieux d’essayer <strong>des</strong>choses je suis ça passera sûrement par <strong>des</strong> erreurs de ma part / bon je suis assezcurieux d’expérimenter <strong>des</strong> choses »Amélie : « la façon d’enseigner toutes les règles c’est / est-<strong>ce</strong> que ça va être la bonneenfin ou pas ? »Ce doute est assorti d’une appréhension liée à l’inexpérien<strong>ce</strong> mais aussi à la façon dont lesélèves vont re<strong>ce</strong>voir l’enseignement, dans les discours du futur enseignant, per<strong>ce</strong> encore laposture de l’élève :Béatri<strong>ce</strong> : « faut faire quelque chose d’intéressant en orthographe et voilà où estl’appréhension sous quelle forme enseigner pour l’intéresser »Marie : « j’ai pas envie que ça soit rébarbatif // c’est peut-être un peu <strong>ce</strong> qui s’associeà l’orthographe // le côté rébarbatif de la chose »L’appréhension est également liée au poids de l’orthographe dans la société. La référen<strong>ce</strong>à l’importan<strong>ce</strong> du respect de la norme est très fréquente dans l’ensemble <strong>des</strong> entretiens.Louisa le formalise ainsi :« je veux pas créer le problème pour les enfants // et puis de ça j’ai pas envie / aprèsles aider tout ça oui mais / je veux surtout pas / empêcher un enfant de pouvoirmaitriser la langue française / par <strong>des</strong> erreurs qui qui me sont imputables ».4.2. En T1, une insécurité <strong>professionnelle</strong>La première année d’enseignement est sour<strong>ce</strong> d’insécurité. D’abord, par<strong>ce</strong> que, enorthographe ou ailleurs, la plupart <strong>des</strong> enseignants débutants naviguent à vue. Ensuitepar<strong>ce</strong> les néotitulaires se demandent <strong>ce</strong> qu’ils peuvent faire, l’une dit qu’elle « galère »,56<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Assuran<strong>ce</strong>s et désarrois après la <strong>formation</strong> initiale : l’exemple de l’orthographequ’elle n’y arrive pas. Une autre s’enferme dans <strong>des</strong> problématiques pédago-didactiques,exprimant par là une réelle difficulté à prendre <strong>des</strong> décisions pour gérer sa classe :Marielle (T1) : « donc j’ai pas de technique je sais pas quoi faire j’ai essayé de faire<strong>des</strong> dictées de phrase mais pour remettre en contexte <strong>des</strong> mots que je leur donnaisà apprendre mais je me dis que ça pose le problème <strong>des</strong> mots qui sont autour /qu’est <strong>ce</strong> que j’évalue est-<strong>ce</strong> que j’évalue les mots et ça permet de voir le mot je saispas du tout je trouve ça vraiment extrêmement complexe je sais pas donc je donneuniquement le mot et j’ai un peu shunté le problème et on a essayé de trouver <strong>des</strong>solutions et on a essayé de se créer <strong>des</strong> dictées de phrases avec la collègue / vuqu’on se demandait «est-<strong>ce</strong> qu’on met un système de points par type de difficulté» ony a passé un temps fou on a abouti à rien et et / voilà on a demandé à <strong>des</strong> conseillerspédagogiques de l’aide et ils nous ont renvoyées à <strong>des</strong> bouquins et on a pas trouvégrand chose donc du coup voilà je sais pas quoi faire en dictée et je voudrais biensavoir quoi faire en dictée »Un autre indi<strong>ce</strong> d’insécurité est une réti<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong> à nous re<strong>ce</strong>voir. La difficulté que nous avonseue à rencontrer en T1 les stagiaires que nous avions entendus en PE2 peut être liée à <strong>ce</strong>tteinsécurité. Ainsi Amélie, en T2, déclare que maintenant, ça ne la gêne pas que l’on continuele travail de recherche avec elle. D’autres qui n’avaient pas répondu à nos sollicitationssont maintenant prêts à <strong>ce</strong> qu’on vienne dans leur classe et à répondre à nos questions.Une enseignante sur <strong>des</strong> postes fractionnés en T1 (un mi-temps et deux quarts de temps)a également dit ne pas avoir l’impression de « faire de l’orthographe », qu’elle a du mal àsavoir <strong>ce</strong> qu’elle fait. Nous émettons l’hypothèse que les difficultés d’ordre pédagogique ontfait écran à la réflexion didactique.Certains ont été en poste en école maternelle et l’idée qu’ils ne contribuent pas aux apprentissagesen langue à <strong>ce</strong> stade de la scolarité a été l’argument pour ne pas nous re<strong>ce</strong>voir. Cetteprise de position est un indicateur du doute con<strong>ce</strong>rnant les contenus d’apprentissage.Il faut néanmoins nuan<strong>ce</strong>r <strong>ce</strong>s propos, l’absen<strong>ce</strong> de réponse peut aussi venir de l’absen<strong>ce</strong>dans la classe : l’entrée dans le métier est aussi, pour un <strong>ce</strong>rtain nombre de jeunesenseignantes, l’entrée dans la vie de mère.4.3. En T2, le retour du didactiqueLes entretiens que nous avons pu mener en T2 mettent en éviden<strong>ce</strong> un re<strong>ce</strong>ntrage <strong>des</strong>interrogations sur la didactique et une interrogation sur les contenus d’enseignement. Ladifficulté repérée n’est plus imputable à la seule non-maitrise <strong>professionnelle</strong> mais à lacomplexité de l’enseignement et surtout de l’objet d’enseignement. Ainsi Annie qui disaitavoir <strong>des</strong> lacunes en T1, sans préciser <strong>ce</strong> qu’étaient <strong>ce</strong>s lacunes, arrive en T2 à formuler<strong>des</strong> deman<strong>des</strong> en <strong>formation</strong> sur la langue française, sur l’accompagnement <strong>des</strong> élèves pourqui une séan<strong>ce</strong> d’apprentissage n’a pas suffi.Certes <strong>ce</strong>s remarques montrent encore de l’insécurité. Marlène ne dit-elle pas qu’elle estcontente d’avoir échappé à l’orthographe dans la répartition <strong>des</strong> tâches d’enseignementavec sa collègue ? Le fait qu’elle ait en charge l’enseignement de la conjugaison confirmeles besoins en termes de définition <strong>des</strong> contenus d’enseignements.Le doute, qui était multifocal en T1, se re<strong>ce</strong>ntrerait sur les contenus et la didactique en T2.Cette évolution du doute pourrait être considérée comme un indicateur de la constructiondu professionnalisme.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 57


C. BRISSAUD, C. PÉRET, J.P. SAUTOTQuels besoins en <strong>formation</strong> ?For<strong>ce</strong> est de constater qu’aux déclarations d’impuissan<strong>ce</strong> s’opposent presque systématiquement<strong>des</strong> stratégies pour surmonter le problème :– la reproduction de pratiques jugées effica<strong>ce</strong>s, l’usage quasi exclusif de manuels ;– l’exploration, parfois infructueuse, du champ didactique (voir « Marielle T1 » plus haut) ;– le doute comme moteur de l’innovation personnelle.Souvent les stratégies convoquées relèvent d’une tradition pédagogique qui a fait lespreuves de son impuissan<strong>ce</strong> à inculquer l’orthographe à tous. Sous une demande d’outilsdidactiques d’apparen<strong>ce</strong> univoque, se dissimulent en fait deux catégories au moins :– <strong>ce</strong>ux qui continuent à apprendre l’orthographe au contact <strong>des</strong> élèves, et qui par soucid’efficacité demandent une procédure de travail effica<strong>ce</strong> qui réponde à leurs justesintuitions ;– <strong>ce</strong>ux pour qui la possession d’un outil est un moyen de survie symbolique dans la classe,un « truc » pour être crédible fa<strong>ce</strong> aux élèves.Pour <strong>ce</strong>tte seconde catégorie, le principal problème est bien qu’ils ne savent pas qu’ils nesavent pas ! À part leurs performan<strong>ce</strong>s orthographiques qu’ils évaluent plus ou moins bien,les néo-enseignants ne se rendent pas toujours compte qu’il leur manque <strong>des</strong> savoirs. Sepose alors la question <strong>des</strong> savoirs théoriques. Chez les stagiaires issus d’une li<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong> <strong>des</strong>cien<strong>ce</strong>s du langage, les lacunes sont largement compensées par <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> de travailqui relèvent de l’épistémologie de la linguistique. Pour les autres, tout se passe comme sileur vécu personnel oblitérait ou infléchissait leur enseignement, qu’ils pensent donc en lienavec leur vécu scolaire passé. La relation d’épiso<strong>des</strong> douloureux ou valorisants, la réussiteou l’échec (tout relatif) prend un poids considérable dans la projection que le stagiaireapplique à sa future pratique. Fa<strong>ce</strong> à <strong>ce</strong>la, les doutes que les bribes de <strong>formation</strong> reçues en<strong>IUFM</strong> font peser sur les métho<strong>des</strong> dites traditionnelles (Bled, dictée simple...) n’ont que peud’efficacité.On ne peut <strong>ce</strong>pendant pas demander aux stagiaires de modifier en huit à dix heures de<strong>formation</strong> initiale une culture de l’orthographe bâtie en vingt ans ! C’est donc à la constitutiond’un habitus professionnel qu’il convient de travailler. Au-delà de l’orthographe et de lapremière année de <strong>formation</strong>, c’est à la question de la transmission <strong>des</strong> normes langagièreset linguistiques que le nouvel enseignant doit se confronter. Là aussi le chantier estimmense !Au final, le principal obstacle rencontré par les stagiaires serait une forme d’ignoran<strong>ce</strong>, voirede cécité. Il y a une tension <strong>ce</strong>rtaine entre le désir de faire bien le métier et l’aveu d’impuissan<strong>ce</strong>dans laquelle la plupart se disent. Fa<strong>ce</strong> à <strong>ce</strong>tte problématique, le positionnement se construitdonc sur <strong>des</strong> savoirs acquis ailleurs qu’à l’<strong>IUFM</strong> et sur <strong>des</strong> intuitions inférées de l’expérien<strong>ce</strong>.De <strong>ce</strong> point de vue, les situations d’insécurité vécues en classe par les néotitulaires sontd’autant plus difficiles à vivre que leur pédagogie s’ancre dans un réseau de croyan<strong>ce</strong>set d’affects solidement ancrés. Ainsi une tradition scolaire, scientifiquement dépassée,continue-t-elle à perdurer du fait qu’on laisse les stagiaires fa<strong>ce</strong> à leurs <strong>ce</strong>rtitu<strong>des</strong> plus oumoins conscientes.C’est donc le lien entre vécu personnel et façon d’envisager l’enseignement de l’orthographequ’il conviendrait de prendre en compte en <strong>formation</strong>. Affirmer la dimension <strong>professionnelle</strong>de la <strong>formation</strong> revient à apprendre aux stagiaires à se détacher de leur propre expérien<strong>ce</strong>, Au sens que Bourdieu (1980) donne à <strong>ce</strong> terme.58<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Assuran<strong>ce</strong>s et désarrois après la <strong>formation</strong> initiale : l’exemple de l’orthographeà adopter une posture qui permet de comprendre <strong>ce</strong> que le commun ne fait qu’entrevoir,aveuglé par le poids social du code. Parmi les disciplines enseignées à l’école, l’orthographefait ici figure de cas particulier, dans un contexte social français qui survalorise la normeorthographique (qui n’est pas une et indivisible, mais c’est encore un autre problème !),<strong>ce</strong> qui entraine dans l’affectif et cantonne dans la tradition. Une <strong>formation</strong> initiale <strong>professionnelle</strong>devrait permettre aux jeunes enseignants <strong>ce</strong>tte né<strong>ce</strong>ssaire prise de distan<strong>ce</strong> parrapport à leurs propres performan<strong>ce</strong>s orthographiques, en général bonnes, et à leur propreapprentissage.Sur le plan théorique, le concours attesterait de la maitrise <strong>des</strong> savoirs disciplinaires. Maisrares sont les jeunes enseignants qui sont passés par une <strong>formation</strong> spécifique en Scien<strong>ce</strong>sdu langage. À l’université, les modules d’ouverture n’offrent pas ou pas assez de cours surle système d’écriture et son fonctionnement. Faute de connaissan<strong>ce</strong>s, les représentationssociales de la langue et de l’orthographe font aussi obstacle à un enseignement sereinde l’orthographe. La conscien<strong>ce</strong> que le système d’écriture du français est parmi les pluscomplexes au monde et le poids social de l’orthographe en Fran<strong>ce</strong> rendent né<strong>ce</strong>ssaire uneapproche dépassionnée, fa<strong>ce</strong> aux démons personnels comme fa<strong>ce</strong> aux pressions qu’exer<strong>ce</strong>ntles familles. À <strong>ce</strong>s jeunes enseignants manquent le plus souvent les connaissan<strong>ce</strong>s qui lesdéculpabiliseraient et les aideraient à mieux appréhender l’enseignement/apprentissage del’orthographe :– <strong>des</strong> savoirs linguistiques sur le fonctionnement de l’orthographe du français et <strong>des</strong> systèmesd’écriture en général (l’approche qu’ils ont lors de la préparation du concours qui se limitesouvent à une typologie restreinte <strong>des</strong> erreurs), un aperçu diachronique de l’évolution del’orthographe, qui n’a pas toujours été <strong>ce</strong> qu’elle est aujourd’hui (un mot sur deux a changéde visage graphique depuis le XVIe siècle), une réflexion sur les spécificités de la fa<strong>ce</strong> oralede langue et de sa fa<strong>ce</strong> écrite ;– <strong>des</strong> savoirs psycholinguistiques : une vue panoramique de l’acquisition, de la maternelleà l’âge adulte avec tous les problèmes qui subsistent, y compris chez <strong>des</strong> adultescultivés, aiderait les jeunes enseignants ;– <strong>des</strong> savoirs sociolinguistiques sur la norme et les usages, sur les facteurs de la variation,une réflexion sur la difficulté à mener <strong>des</strong> réformes orthographiques en Fran<strong>ce</strong>.Fa<strong>ce</strong> aux moyens sans <strong>ce</strong>sse décroissants de la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> enseignants et à leurdéploiement sur les divers temps de la <strong>formation</strong> (préprofessionnalisation, préparation auconcours, stage et néotitulariat), il convient d’abord de trouver le moyen de mettre en pla<strong>ce</strong>le questionnement qui empêchera les « connaissan<strong>ce</strong>s élémentaires et triviales » (Elalouf etal., 1998) de prendre le <strong>des</strong>sus. Partant du fait qu’une <strong>formation</strong> linguistique solide sembleactuellement (et pour longtemps) hors de portée pour tous les lauréats du concours, cinqtypes de mesures sus<strong>ce</strong>ptibles d’être mises en pla<strong>ce</strong> tout au long du pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong>peuvent répondre à la dictature du trivial :– un travail sur le rapport aux normes langagières et à leurs variations, et donc la constructiond’un rapport à l’erreur adapté à la profession ;– un travail sur le vécu scolaire personnel ;– la proposition d’un kit d’outils pédagogiques simples mais effica<strong>ce</strong>s (par ex « la phrase dujour », « la dictée dialoguée » , une typologie d’erreurs...) ; Les conclusions de notre étude rejoignent ici <strong>ce</strong>lles d’une étude conduite par Elalouf et al. (1998) Certains stagiaires ou néotitulaires font mention de <strong>ce</strong>s outils, preuve s’il en faut qu’ils sont déjà en voiede diffusion par les <strong>IUFM</strong> !<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 59


C. BRISSAUD, C. PÉRET, J.P. SAUTOT– l’assuran<strong>ce</strong> que le néotitulaire gère l’ensemble <strong>des</strong> disciplines (et pas seulementconjugaison ou vocabulaire dans <strong>des</strong> postes faits de petits bouts disséminés...) afin de seconfronter à une pratique de l’enseignement du français qui prenne tout son sens ;– l’assuran<strong>ce</strong> que le néotitulaire n’ayant bénéficié que d’un accompagnement dans le métier<strong>ce</strong>ntré sur l’accueil <strong>des</strong> tout-petits par<strong>ce</strong> qu’il était en poste en maternelle, puisse ensuite, s’ilse trouve en charge de l’enseignement de l’orthographe, suivre une <strong>formation</strong> spécifique.BibliographieBOURDIEU P. (1980) Le Sens pratique. Éditions de Minuit.ELALOUF M.-L., JOURNOT M., TAMINE M., TISSET C. et TOMASSONE R. (1998) « Lesfuturs enseignants et l’orthographe : représentations et <strong>formation</strong> » Le français aujourd’hui122, pp. 5-14.GUERNIER M.C. (1998) Discours sur la lecture à l’école. Thèse de doctorat de scien<strong>ce</strong>s dulangage, Université Stendhal-Grenoble III.MILLET A. (1992) « Analyse <strong>des</strong> entretiens non-directifs ou semi-directifs - Propositionspour un modèle ‘‘multi-focal’’ » - Lengas n° 31, Université Paul Valéry, Montpellier, pp. 107-122.SAUTOT J.-P., PÉRET C. et BRISSAUD C. (2006) « Dis-moi quel élève tu étais, je te dirai quelenseignant tu seras ! Enseignement de l’orthographe : entre reproduction et innovation... »,Québec français, 141, pp. 76-77.VERMERSCH P. (2000) « Approche du singulier » in J.-M. Barbier (Ed.) L’analyse de lasingularité de l’action pp. 239-256. Paris, PUF.60<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Les enseignants de languesfa<strong>ce</strong> aux situations plurilingues en Catalogne :représentations et contextes potentiellement formatifsMontserrat FonsDelphine PluvinetUniversité de Bar<strong>ce</strong>lone (Espagne)Équipe PLURAL , Département Didactique <strong>des</strong> langues et de la littératureIntroductionCes dernières années, de nouvelles situations sociales et scolaires sont apparues enCatalogne, surgies de l’arrivée d’enfants venus d’autres régions du monde. Les différentsrépertoires linguistiques et les identités culturelles dus à la diversité <strong>des</strong> élèves, constituentune nouveauté pour le milieu scolaire catalan. La particularité de la situation catalane reposesur la différen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> flux migratoires antérieurs, de majorités hispanophones, à laquelle ontété proposées <strong>des</strong> réponses éducatives d’implantation de modèles d’immersion, qui ontfonctionné de manière effica<strong>ce</strong> (Vila, 2001).Fa<strong>ce</strong> à <strong>ce</strong>tte nouvelle situation, de nombreux professeurs font d’énormes efforts afind’intégrer dans la vie scolaire <strong>ce</strong>tte diversité, et d’éduquer tous les élèves aux valeurs del’altérité, du plurilinguisme et de l’interculturalité, avec les moyens de bord : leurs répertoireslinguistiques et didactiques, ainsi que leurs systèmes de représentations.Depuis ses débuts l’équipe PLURAL (Ballesteros et al., 2001 ; Cambra et al., 2000 ; Cambra,2003 ; Cambra et Fons, 2006) étudie l’ensemble <strong>des</strong> problèmes que pose actuellement ladidactique <strong>des</strong> langues devant le contexte plurilingue et multiculturel décrit, se <strong>ce</strong>ntrantessentiellement sur le professeur comme agent crucial dans les pratiques éducatives etlinguistiques <strong>des</strong> établissements. L’équipe se propose de comprendre les systèmes dereprésentations, croyan<strong>ce</strong>s et savoirs (RCS) qui conforment la pensée <strong>des</strong> professeurs etleur permettent de prendre <strong>des</strong> décisions au quotidien dans la classe. Nous considéronsles situations comme <strong>des</strong> espa<strong>ce</strong>s potentiellement formatifs qui facilitent l’interaction entreles professeurs et permettent la construction, la co-construction et la reconstruction dans lediscours <strong>des</strong> RCS. Actuellement, l’intérêt de l’équipe se focalise sur l’étude <strong>des</strong> contextes de<strong>formation</strong> et de recherche avec l’objectif de mieux connaître les déclencheurs qui facilitent laréflexion critique sur l’expérien<strong>ce</strong> et la propre pensée <strong>des</strong> professeurs, et par conséquen<strong>ce</strong>l’émergen<strong>ce</strong>, la déstabilisation et l’évolution <strong>des</strong> RCS <strong>des</strong> professeurs de langues.Parmi les différents domaines dans lesquels nous développons notre travail, nous avonschoisi de présenter dans <strong>ce</strong>tte communication quelques exemples et résultats relatifs à la<strong>formation</strong> permanente et à l’engagement d’enseignants dans une recherche. Les membres du groupe PLURAL (Plurilingüismes escolars i Aprenentatge de Llengües) <strong>des</strong> enseignantsde langues (L. Casado, I. Murillo, D. Pluvinet et E. Vila) et <strong>des</strong> chercheurs du Département de Didactique <strong>des</strong>langues et de la littérature (M. Cambra, I. Civera, M. Fons et J. Palou).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 61Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (61-72) Tome 2


M. FONS, D. PLUVINETObjectifs de la rechercheLes objectifs de la recherche que nous présentons ici sont les suivants :– Découvrir le système de représentations <strong>des</strong> professeurs en tant que locuteurs etenseignants, sur le plurilinguisme au sein de leur établissement et dans leur environnementsocial, ainsi que sur la programmation et les choix d’activités d’apprentissage pour faire fa<strong>ce</strong>au dilemme engendré par l’extrême hétérogénéité <strong>des</strong> immigrants.– Comprendre à partir de quelles expérien<strong>ce</strong>s d’apprentissage, d’enseignement et de<strong>formation</strong> <strong>ce</strong>s systèmes se sont constitués et comment ils évoluent dans <strong>ce</strong> nouveaucontexte. Et <strong>ce</strong>, dans l’objectif d’avoir <strong>des</strong> bases pour questionner les modèles de <strong>formation</strong>existants et pouvoir construire de nouveaux dispositifs plus adaptés au développementprofessionnel <strong>des</strong> professeurs.– Savoir comment apprennent les étudiants autochtones et étrangers lorsqu’ils réalisentune tâche déterminée, et rechercher quelles sont les conditions favorables à une interactiongénératri<strong>ce</strong> d’habilités communicatives dans divers langues.Cadre théoriquePrenant en considération les travaux développés sur la pensée <strong>des</strong> professeurs (Shavelsonet Stern, 1981 ; Clark et Peterson, 1986; Calderhead, 1996 ) et plus particulièrement <strong>des</strong>professeurs de langues (Woods, 1996; Causa, 2005), nous partons de l’idée que tousles enseignants ont un système de RCS, étroitement liés entre eux, qu’ils utilisent afind’interpréter les situations éducatives et prendre les décisions qui guident et orientent leurspratiques de classe (Cambra et al., 2000).Bien que les RCS fonctionnent comme filtres pour la pratique en classe et qu’ils sont résistantsau changement, ils peuvent se déstabiliser (Py, 2003) sous l’effet de nouvelles expérien<strong>ce</strong>s,de débats et de modèles idéologiques. Les étu<strong>des</strong> sur la pensée <strong>des</strong> enseignants de languessont liées à la <strong>formation</strong> (Freeman, 1996, De Pietro et Wirthner, 1996, Moore, 2001, Cots etNussbaum, 2003). La plupart <strong>des</strong> modèles de <strong>formation</strong> mettent l’ac<strong>ce</strong>nt uniquement sur lesconnaissan<strong>ce</strong>s théoriques et l’organisation <strong>des</strong> actions; dans notre cas, nous considéronsla <strong>formation</strong> à partir d’une perspective socioconstructiviste comme pro<strong>ce</strong>ssus constants deréflexion critique qui construisent une pensée rénovée. Il nous semble convenable d’évaluerles connaissan<strong>ce</strong>s pratiques <strong>des</strong> professeurs et leur capacité de changement, et ainsi lesaccompagner dans la révision de modèles intériorisés, faisant converger la théorie, lapratique et la recherche.Choix méthodologiquesNous avons opté pour une perspective ethnographique, qui nous permet d’analyser <strong>des</strong>données empiriques générées et recueillies dans leur contexte naturel et de mettre à jourles systèmes de représentations <strong>des</strong> participants et les pratiques didactiques et langagièresqui s’y rattachent. Cette perspective ethnographique nous permet également de connaître,d’un point de vue holistique, les procédés qui se produisent dans la salle de classe entre lesparticipants, nous <strong>ce</strong>ntrant sur leurs per<strong>ce</strong>ptions, leurs représentations et la culture qu’ilspartagent (Cambra, 2003). Voir la révision de Pajares, 199262<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Les enseignants de langues fa<strong>ce</strong> aux situations plurilingues en Catalogne : représentations et contextes potentiellement formatifsEn effet, la recherche ethnographique se con<strong>ce</strong>ntre sur les per<strong>ce</strong>ptions <strong>des</strong> propres acteurset cherche à comprendre leur perspective, dans le but de fournir <strong>des</strong> explications théoriquesdenses de réalités locales. Elle tente de franchir le fossé entre la pratique <strong>des</strong> enseignantset la recherche traditionnelle, trop éloignée <strong>des</strong> problématiques du métier et soucieused’établir <strong>des</strong> relations de cause à effet entre les actions et les résultats. Ceci se traduit enun engagement et une immersion intenses et prolongés dans le travail empirique de terrain.L’analyse se développe par induction à partir de données recueillies dans leur contexte naturelet quotidien, limitées à quelques cas ; sans généraliser ni prédire, on interprète la façondont les membres d’un groupe construisent le contexte. Certes, l’observation participante etson interprétation sont subjectives, mais on atteint une <strong>ce</strong>rtaine portée générale à partir del’intersubjectivité et du transfert de résultats entre situations similaires.Parmi les nombreuses combinaisons de techniques et de ressour<strong>ce</strong>s méthodologiquesqu’offre l’ethnographie, nous avons choisi <strong>des</strong> stratégies interactives pour constituer notrecorpus: entretiens, histoires de vie, observations de classe, discussions en groupe à partir<strong>des</strong> observations, ainsi que <strong>des</strong> textes écrits comme <strong>des</strong> journaux de bord, <strong>des</strong> mémoires,<strong>des</strong> comptes rendus et <strong>des</strong> textes d’évaluation.Les données obtenues ont été transcrites puis analysées suivants les métho<strong>des</strong> d’analysedu discours en interaction (Kerbrat-Orecchioni, 2005). Nous avons souhaité adopter uneperspective interprétative afin de faire émerger les représentations <strong>des</strong> professeurs à partirde données empiriques.Nous présenterons deux situations concrètes d’analyse de RCS dans deux contextesdifférents : la première fait référen<strong>ce</strong> à la <strong>formation</strong>-conseil sur mesure dans les établissementset la deuxième à la participation <strong>des</strong> enseignants dans un projet de recherche.Formation-conseil sur mesure dans les établissementscomme possibilité de soutienpour le développement professionnel de l’enseignantDans <strong>ce</strong>tte partie nous montrerons quelques exemples de comment émergent les RCS d’ungroupe de professeurs appartenant à un même établissement, en situation de <strong>formation</strong>,avec le soutien d’une conseillère externe, membre de l’équipe PLURAL. Pour <strong>ce</strong> faire, laconseillère invite au débat et à la réflexion afin d’avan<strong>ce</strong>r collectivement sur les points lesplus importants que génère l’éducation plurilingue dans l’établissement. Les professeursenseignent aux niveaux maternel et primaire d’une école de la périphérie de Bar<strong>ce</strong>lone avecune composition linguistique de l’effectif scolaire extrêmement varié.Les données dont nous disposons proviennent <strong>des</strong> textes écrits pendant le pro<strong>ce</strong>ssus de<strong>formation</strong>: la formulation écrite de la demande, les notes prises par la conseillère pendantla séan<strong>ce</strong>, le journal de bord de <strong>ce</strong>lle-ci, les compte- rendus <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>s, rédigés par lesprofesseurs ayant participé et, enfin, les textes d’évaluation finale. Nous allons focalisernotre analyse sur la complexité <strong>des</strong> RCS qui entrent en jeu dans toutes actions formatives,et à partir <strong>des</strong> données recueillies lors de la première séan<strong>ce</strong> nous allons exposer les RCSqu’énon<strong>ce</strong>nt les professeurs en relation au con<strong>ce</strong>pt de la <strong>formation</strong>. Puis, nous présenteronsles actions que la conseillère met en pla<strong>ce</strong> afin de provoquer le débat, à partir duquel elleespère accompagner l’apparition et l’évolution <strong>des</strong> RCS, pour conclure par une brèveévaluation.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 63


M. FONS, D. PLUVINETLa <strong>formation</strong> en établissements plurilingues à partir du débat et de la réflexionsur les pratiques en classeUne première constatation en situation de <strong>formation</strong>, fondée sur le débat et la réflexion, estque non seulement surgissent les représentations <strong>des</strong> professeurs sur comment apprendre<strong>des</strong> langues, mais aussi <strong>ce</strong>lles qu’ils ont sur <strong>ce</strong> qu’ils attendent de la <strong>formation</strong>, sur commentils considèrent l’inclusion <strong>des</strong> enfants étrangers dans l’école et dans la société, sur ladiversité culturelle, etc. Ces représentations forment un système complexe, influencé deplus par l’histoire de vie linguistique et <strong>professionnelle</strong> de chaque professeur, qui se met enjeu dans chaque séan<strong>ce</strong> de manière opaque, complexe et entrecroisée.Dans le but de pouvoir analyser <strong>ce</strong>s RCS nous les avons représentés par le schémasuivant :Complexité <strong>des</strong> RCS <strong>des</strong> professeurs en situation de <strong>formation</strong>HISTOIR HISTOIR D D VI VI LINGUISTIQU LINGUISTIQU T T PROFSSIONNLLPROFSSIONNLLFORMATION• Identitérofessionnellerofessionnelle• Besoins• Attentes• Rôle <strong>des</strong>articiants articiants• Contexte• …NSIGNMNTNSIGNMNTT TAPPRNTISSAGAPPRNTISSAGDS DS LANGUS LANGUS• Con<strong>ce</strong>tualisationCon<strong>ce</strong>tualisationde la lanue lanue• Acuisition Acuisition delanues lanues• …INCLUSION DS DSÉLÈVS ÉLÈVSIMMIGRÉSDANS LACLASS CLASS• Rôle durofesseur rofesseur• Rôle de la classed’accueil• …IMMIGRATIONT T SOCIÉTÉ• Stéréotyes Stéréotyes• I nterculturalité• …Quelques manifestations de RCS de professeurs sur la <strong>formation</strong>C’est au cours de la première séan<strong>ce</strong> d’orientation que sont mises en éviden<strong>ce</strong> les attentes<strong>des</strong> professeurs ainsi que <strong>ce</strong>lles de la conseillère sur l’objectif et la dynamique <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>ssuivantes de <strong>formation</strong>, qu’ils développeront ensemble. Observons, à partir de la formulationécrite de la demande d’orientation et du journal de bord de la conseillère, <strong>ce</strong>rtains <strong>des</strong> RCS<strong>des</strong> professeurs de l’établissement con<strong>ce</strong>rné.Demande d’orientation faite par les professeurs de l’établissementFormulation écrite de la demande1) Didàctic2) Com motivar3) Com seqüenciar la inserció de l’alumne d’aula d’acollida en el grup-classe, un cop finalitzats els 2 anys d’aulad’acollida?4) No som tutors d’aula d’acollida5) CM + interès oral6) CS + interès escrit7) stratèies Estratègies linstiues lingüístiques els pels rans grans ue que tenen molt assolida la seva llenua llengua materna8) Material preparat i adaptat9) Ortografia CS, què fer?10) Com tractar les tres llengües a la vegada a un nouvingut?11) Objectius terminals concrets64<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Les enseignants de langues fa<strong>ce</strong> aux situations plurilingues en Catalogne : représentations et contextes potentiellement formatifsLe fait de demander que l’équipe de professeurs formule au préalable et par écrit la demanded’orientation, permet d’informer la conseillère sur la situation propre à l’établissement. Dansle cas présenté, la formulation revêt la forme d’une liste qui est remise et commentée lorsde la première séan<strong>ce</strong>. Nous pouvons déjà observer dans la demande <strong>ce</strong>rtains aspects liésà leur histoire de vie linguistique et <strong>professionnelle</strong> (par exemple: ils s’autodéfinissent demanière négative « Nous ne sommes pas tuteurs de CA ») ; et d’autres encore liés aux RCSsur l’orientation (par exemple, la conseillère doit apporter du « Matériel préparé et adapté ») ,l’enseignement et l’apprentissage <strong>des</strong> langues (par exemple, « Stratégies linguistiques pourles élèves plus âgés ayant une connaissan<strong>ce</strong> solide de la langue maternelle »), l’inclusion<strong>des</strong> élèves immigrés dans la classe (par exemple, « Comment déterminer la séquen<strong>ce</strong>d’insertion de l’élève de classe d’accueil (CA)…), et l’immigration et la société (par exemple« Objectifs finaux concrets »).Malgré la complexité <strong>des</strong> RCS qui interagissent lors de la première séan<strong>ce</strong>, nous pouvonsdire que le débat se focalise sur <strong>ce</strong> que les professeurs attendent de l’orientation. Lorsqueles attentes <strong>des</strong> professeurs ne coïncident pas avec <strong>ce</strong>lles de la conseillère se crée unpro<strong>ce</strong>ssus de négociation complexe, duquel émergent les représentations de <strong>ce</strong> que doitêtre une <strong>formation</strong> au sein de l’établissement. Dans le cas que nous étudions, nous avonsdécouvert que :– Didactique et pratique sont perçues comme étant associées. Les professeurs dissocientla pratique de la théorie et manifeste que la théorie ne sert pas pour la pratique en classe.– Les professeurs attendent que quelqu’un –la conseillère– leur dise comment faire leschoses et qu’elle revête le rôle de juge dans les conflits. Les professeurs se voient commesimple exécuteurs, rôle qu’ils justifient par le manque de temps.– Ils croient que la <strong>formation</strong> sert pour obtenir <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s (livres, internet, matériel,...) sélectionnées par la conseillère, prêtes à mettre en pla<strong>ce</strong> dans la classe. De même, lesprofesseurs attendent qu’on leur propose du matériel pour <strong>des</strong> problèmes spécifiques. Se<strong>des</strong>sine l’idée de consommation de <strong>formation</strong>, c’est-à-dire re<strong>ce</strong>voir et accumuler au lieud’intégrer. D’une <strong>ce</strong>rtaine manière les professeurs croient qu’il y aura du matériel porteurde solutions à tous leurs problèmes et que <strong>ce</strong> matériel doit être mis à leur disposition par laconseillère.– Le quotidien de l’école, c’est-à-dire le manque de temps pour élaborer et penser, expliquel’attente de re<strong>ce</strong>ttes, de ressour<strong>ce</strong>s et de fi<strong>ce</strong>lles.– La conseillère est vue comme représentante de l’administration et souvent lui sontadressées toutes les plaintes et les deman<strong>des</strong> du système éducatif.Actions mises en pla<strong>ce</strong> par la conseillèreafin de provoquer le débat et la réflexionFa<strong>ce</strong> aux con<strong>ce</strong>ptions présentées sur l’orientation, la conseillère a réussi à négocier avecles professeurs une option en proposant la dynamique suivante :– Réflexion sur <strong>des</strong> modèles▪ Lecture d’articles en relation avec l’éducation multilingue. Chaque professeurparticipant a sélectionné un article et a fixé une date afin de le présenter et le discuterdans une séan<strong>ce</strong> d’orientation.▪ Visites par dya<strong>des</strong> dans d’autres établissements de caractéristiques similaires, avec<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 65


M. FONS, D. PLUVINETl’objectif d’expliquer et commenter <strong>ce</strong>s visites au cours de la séan<strong>ce</strong> d’orientation.– Organisation de dispositifs didactiques▪ Planification d’une activité de jeu avec production linguistique dans chacune <strong>des</strong>classes. La réalisation du jeu a été filmée pour permettre ensuite d’observer etautoconfronter collectivement son déroulement et tout particulièrement, les productionslinguistiques <strong>des</strong> élèves.– Réflexion sur l’action▪ Visionnement <strong>des</strong> activités réalisées dans la classe, suivi d’un débat.L’intérêt de la conseillère consiste à provoquer <strong>des</strong> situations de débats qui permettentl’émergen<strong>ce</strong> et l’évolution <strong>des</strong> RCS <strong>des</strong> domaines analysés (<strong>formation</strong>, enseignementet apprentissage <strong>des</strong> langues et inclusion <strong>des</strong> enfants étrangers à l’école.À la fin de l’orientation, la conseillère se plaint du manque de temps, surtout pour <strong>ce</strong> qui estdu visionnement <strong>des</strong> activités qui, selon son évaluation personnelle, n’a été qu’une anecdote.Nous constatons une fois de plus que sans la transcription de <strong>ce</strong>rtains <strong>des</strong> dialogues, il estimpossible d’approfondir <strong>ce</strong> qui se produit dans l’interaction entre les élèves. Possiblement,la dynamique proposée par la conseillère était trop ambitieuse en raison du temps dontils disposaient. Cependant nous pouvons remarquer quelques indi<strong>ce</strong>s d’évolution. Desprofesseurs. nous présentons une phrase écrite par l’un d’entre eux lors de l’évaluation :“Hem obtingut algunes informacions interessants que un cop discuti<strong>des</strong> es poden posar ono a la praxis”Nous observons comment persiste l’idée d’une <strong>formation</strong> pour obtenir, acquérir. Cependant,le terme « in<strong>formation</strong>s » rempla<strong>ce</strong> maintenant <strong>ce</strong>lui de « ressour<strong>ce</strong>s » que nous pourrionscomprendre comme un lien plus fort entre la théorie et la pratique, et ajoute que, une fois<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>s discutées, c’est-à-dire que <strong>ce</strong> n’est plus la conseillère qui tranche mais quele thème est discuté et évalué ensemble, le professeur n’est plus un simple exécuteur maisune personne qui réfléchit et débat sur ses propres pratiques.Nous pouvons conclure que le changement du paradigme de la <strong>formation</strong> est sans nul douteun chemin long mais <strong>des</strong> tentatives comme <strong>ce</strong>lles que nous présentons rendent possiblel’approche vers un nouveau modèle de <strong>formation</strong>.Participation d’enseignants dans un projet de rechercheIl s’agit d’une recherche menée par l’équipe PLURAL, qui pendant deux ans a comptésur la collaboration de huit professeurs en plus <strong>des</strong> quatre professeurs <strong>universitaire</strong>s de larecherche. Les huit professeurs de langues (catalan, espagnol et anglais) qui ont participévolontairement à la recherche viennent d’écoles et de niveaux éducatifs différents (deuxprofesseurs d’éducation infantile : Tina et Sira ; trois professeurs d’éducation primaire :Ester, Xesco et Pilar ; et trois professeurs d’éducation secondaire : Laura, Lidia et Elvira).Chacun <strong>des</strong> enseignants qui ont participé à la recherche ont une longue expérien<strong>ce</strong> dansl’éducation et sont impliqués dans leur travail. Leurs histoires personnelles sont riches enexpérien<strong>ce</strong>s et en <strong>formation</strong> ; tout au long de la recherche, ils se sont été intéressés àdiscuter <strong>des</strong> nouvelles situations et <strong>des</strong> défis qu’elles supposent.Pendant deux ans, ils se sont complètement investis dans la recherche. En premier lieu,a été effectué un entretien (ENT) avec chacun d’eux. Durant la première année, se sont66<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Les enseignants de langues fa<strong>ce</strong> aux situations plurilingues en Catalogne : représentations et contextes potentiellement formatifsorganisés <strong>des</strong> débats en groupe (DG), déclenchés par <strong>des</strong> extraits <strong>des</strong> ENT choisis par leschercheurs par le caractère redondant <strong>des</strong> thèmes abordés. Au cours de la deuxième année,les observations et les débats en groupe (ODG) se sont organisés autour du visionnementd’enregistrement vidéo ou de la lecture de transcriptions d’expérien<strong>ce</strong>s de classe (OBS), quechacun <strong>des</strong> enseignants a enregistrées dans ses cours et que les chercheurs ont transcrit etanalysé. Ces analyses ont servi pour orienter le débat tout en laissant une marge de libertépour la négociation. Toutes <strong>ce</strong>s différentes étapes se sont déroulées dans une ambian<strong>ce</strong>d’entente très cordiale et propi<strong>ce</strong> aux échanges.Les thèmes traités au cours <strong>des</strong> débats tournent autour <strong>des</strong> dilemmes posés par la diversité<strong>des</strong> publics <strong>des</strong> apprenants, nous en présentons ici quelques uns :– Comment communiquer pleinement avec les enfants primo-arrivants ? Quel accueil leuroffrir ? Quelles relations avec la famille ? Quelle aide rechercher auprès <strong>des</strong> autres enfants,les autres parents d’élèves, les médiateurs, etc. ?– Comment enseigner le catalan, langue de l’école, à la fois à <strong>des</strong> débutants primo-arrivantset à <strong>des</strong> natifs ?– Faut-il privilégier les aspects communicatifs ou <strong>des</strong> questions linguistiques etnormatives ?– Comment les enfants avec une faible compéten<strong>ce</strong> en catalan peuvent suivre <strong>des</strong>cours de matières non linguistiques, surtout lorsqu’elles sont complexes, comme dans lesecondaire ?– Faut-ils les séparer en <strong>des</strong> groupes d’accueil et de soutien avec <strong>des</strong> enseignantsspécifiques ? Jusqu’à quand ? Comment peuvent-ils alors s’intégrer dans le groupe classe ?Faut-il faire <strong>des</strong> groupes par niveaux ? Comment sortir de l’impasse de l’enfant primo-arrivantfaisant <strong>des</strong> exerci<strong>ce</strong>s écrits seul au fond de la classe ?– L’éducation doit rechercher le produit ou s’occuper du pro<strong>ce</strong>ssus ?Résultats <strong>des</strong> différentes étu<strong>des</strong> réalisées à l’intérieur de <strong>ce</strong> projetDans le fragment d’observation de classe que nous avons choisi de présenter, intervient unpetit groupe d’enfants : Delia (DE) et Graciela (GR) deux enfants étrangers hispanophones,et Mariano (MA) qui est d’origine gitane ; ils travaillent avec le professeur Ester (ES). Ils sonten train d’écrire, entre tous, les instructions pour construire un avion en papier, dirigé à ungroupe d’enfants plus petits. A est aussi un élève qui participe à la tâche. L’extrait que nousanalysons ici est le point dix <strong>des</strong> instructions. Ensuite, ils le liront entre tous à haute voix.Extrait 1- OBS : L’avió de papel320. ES: i el 10 quin seria?321. DE: el 10:: ja podem-/322. ES: ja pots què?323. GR: no se’n recorda ((molt fluixet))324. ES: ja pots posar què? què seria el deu ja podem què?325. DE: ja pode::m sortir m::326. MA: ja pode::m finit327. ES: com?328. MA: finit<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 67


M. FONS, D. PLUVINET329. ES: finit no/ aquí no/ ja podem què?330. A: ja podem uix331. GR: ja podem:: <strong>des</strong>pegar332. ES: m:: un avió | aquests no <strong>des</strong>peguen | perquè no estan a terra/ i ademés<strong>des</strong>pegar333. DE: ja pode::m volar334. MA: l’avió335. ES: i què feu amb l’avió quan el vole::u?336. DE: tirar337. ES: què esteu fent?338. GR: tirar339. DE: tirar340. ES: tirar-lo | juga::r341. GR: el podem tirar342. ES: jugar343. MA: ja podem [jugar]344. ES: [vale]345. MA: con l’avió346. ES: com?347. MA: ja podem jugar con l’avió348. ES: amb l’avió | ja podem jugar? || ((escriuen)) i ara ens fixarem com ho ha escrit |ja | podem | juga::r algú la pot ajudar a escriure jugar? a veure | quina és la primera?Le travail en petit groupe tient compte du besoin de personnaliser et adapter le travail,exposé par Ester lors de l’ENT. Les élèves font une tâche qui crée un contexte réel, avec<strong>des</strong> <strong>des</strong>tinataires, une intention, un objectif, un problème à résoudre, etc. (cf. les conditions<strong>des</strong> contextes dans la classe, Milián, 1999), dans lequel se construit oralement et encollaboration un texte écrit. Nous observons que Graciela écrit et participe énormément.Delia participe peu mais se montre intéressée par l’enregistrement. Mariano a un rôle trèsactif dans la recherche <strong>des</strong> solutions, il répare, etc. Ester lui demande fréquemment d’évaluerla production de ses compagnons, ou bien qu’il propose d’autres solutions.Nous observons qu’Ester assume la direction de l’interaction par <strong>des</strong> questions focalisées,<strong>des</strong> réparations et <strong>des</strong> validations constantes et qu’elle n’ac<strong>ce</strong>pte pas toujours les propositions<strong>des</strong> élèves. Nous remarquons, également, qu’elle essaye que les élèves cherchent ettrouvent par eux mêmes la réponse aux doutes et aux erreurs qu’ils font, <strong>ce</strong> qui amène àune réflexion métalinguistique permanente. Le ton est tranquille et affectueux à tout momentde l’activité.Nous pouvons observer comment fonctionne la construction collective pour résoudre unproblème de lexique à travers une abondan<strong>ce</strong> de reformulations : sortir, <strong>des</strong>pegar, volar,tirar, jugar. À la question du professeur, une fois réalisé toutes les étapes, ja podem què ?,les élèves proposent différentes formulations pour achever l’énoncé : sont proposés sortirou finit, pensant qu’ils doivent terminer la tâche. Cependant, devant l’insistan<strong>ce</strong> d’Ester, ilsproposent d’autres verbes : <strong>des</strong>pegar, volar, tirar. Ester insiste à nouveau, par<strong>ce</strong> qu’elle veutque les élèves disent jugar, mais ils ne le disent pas ; elle finit par dire le mot et Marianol’ac<strong>ce</strong>pte et le repla<strong>ce</strong> dans son contexte. Nous observons qu’Ester veut obtenir la réponsequ’elle attend, et ne se rend pas compte que les élèves ne sont pas intéressés à dire jugarsinon <strong>ce</strong> que fait exactement un avion, voler. Nous remarquons que bien que <strong>ce</strong> travail soitun travail coopératif, le professeur clôt l’échange.68<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Les enseignants de langues fa<strong>ce</strong> aux situations plurilingues en Catalogne : représentations et contextes potentiellement formatifsIl est évident que <strong>ce</strong>tte activité se réalise avec une grande participation et une riche réflexionsur la langue, et qu’en raison de l’attention cognitive et la profusion d’interaction et decoopération, a un fort potentiel d’acquisition.Nous présentons, dans la transcription suivante, un fragment de l’ODG au cours de laquellenous avons travaillé l’observation de la classe précédente d’Ester (ES).La réunion <strong>des</strong> professeurs et <strong>des</strong> chercheurs (Ch1, Ch2, Ch3) commen<strong>ce</strong> par un récitd’une anecdote par un <strong>des</strong> professeurs. Un <strong>des</strong> chercheurs propose le déroulement de laséan<strong>ce</strong> et, ensuite invite Ester à faire une introduction. L’introduction terminée, Ester répondaux questions sur les élèves, montrant une bonne connaissan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> situations personnelleset familiales de chacun d’eux. Puis, elle présente l’activité « L’avió de papel » en insistantsur le fait que l’activité a été proposée par les enfants et qu’elle n’a eu à guider que ledéroulement. La casette et la lecture de la transcription se font en silen<strong>ce</strong>. Après différentscommentaires, Tina demande clairement aux chercheurs qu’ils présentent les résultats del’analyse. Ch3 fait remarquer qu’il existe différents points qui peuvent être commentés etpropose finalement de commenter le segment 1. À la suite d’une discussion animée sur laquestion du titre, ils étudient ensemble le segment dont nous présentons ici l’analyse d’unfragment. Le débat se <strong>ce</strong>ntre sur l’obstination d’Ester à chercher que les élèves disent lemot jugar et les propositions, très différentes, <strong>des</strong> enfants. Les professeurs qui interviennentdans <strong>ce</strong> fragment sont Elvira (EL), Lidia (LI) et Tina (TI).Extrait 2- ODG318. Ch1: en canvi que maco és | com ¿eh? | van ajudant-se l’un a l’altre a tirar i tirari jugar i tirar ¿no? | és aquesta construcció que van repetint319. ES: tenien unes ganes | de fer girar320. TI: clar per que en el fons ells no estan | o sigui això de pensar que | per tu l’objectiués fer una cosa per jugar en canvi | per ells | jugar és | o sigui | [com ho explicaré]321. Ch1: [és fer-lo volar]322. TI: és fer-lo volar i quan ells | l’objectiu és volar | no jugar o sigui jugar |[és implícitper nosaltres323. LI: si l’avio de paper no està ven fets | no volen324. TI: exacte | si no volen doncs mira…325. ES: <strong>des</strong>prés hi va haver-hi una discussió el primer dia que ho vam fer | que quinera el que volava | perquè clar | el del Manolo deia | jo li he tret la pu::nta i el meu volamés | que el teu que no li has tret | no se que fa (la tira endarrere o::) | fan un altre pas| que la nena no el fa | perquè aquest està molt acostumat326. EL: i aquí hi ha un moment deu n’hi do ¿no? la de vocabulari que surt entre elsortir | ac<strong>ce</strong>ptant el <strong>des</strong>pegar que ja sabem que no es correcte però buenu327. ES: ¿com ho diriem?328. EL: volar | tirar | deu n´hi do no | en un moment la | els verbs que diuen aquí329. Ch1: i tot a partir d’una pregunta ¿i llavors què? ¿no? | és maco | un cop fet elplantejament | ¿i llavors què? | acaba la frase | ¿no?330. Veus: XX ((rialles))331. Ch 2: clar perquè és com ja podem ¿ja podem què? Doncs ara | és realment elmoment final en que han de poder dir::332. TI: ara això que li passa a ella aquí | amb l’això que te ficat ella al cap que l’objectiués jugar | yo penso que això als mestres ens passa moltíssim | quan:: avaluem un texto quan fem preguntes o quan:: fem de vega<strong>des</strong> preguntes de comprensió lectorainclús ¿eh? vull dir que | que nosaltres tenim un objectiu o pensem que la base d’allò<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 69


M. FONS, D. PLUVINETés | l’object- és allò | quan pel nen no ho és allò | vull dir ¿eh?333. ES: és un altre objectiu pel nen334. TI: ¿eh? | i llavors clar ell funciona amb el seu coco | i tu estàs funcionant amb uncoco d’adult ¿no?335. EL: sí336. TI: clar això ens passa molt als mestres ¿eh? vull dir337. LI:i una resposta diferent que no t’esperes doncs::338. ES: li dius que no és vàlida339. LI:dius que no340. Veus: sí sí::341. TI: ens passa molt | ¿eh?342. ES: vas directe cap una cosa | i surt de la teva::343. TI: jo penso que ens passa moltíssim | yo ara recordo una cosa que va passarl’any passat | que no me’n recordo exactament però se que | això ells van donar unaresposta i <strong>des</strong>prés vaig pensar | pues òstia pues sí | sí és veritat ¿no? | jo estava(ensevada) en una altra cosa vull dir que::344. ES: perquè dius tu han de contestar això | tu esperes::345. TI: sí clar | tu esperes aquella resposta quan allò pot tenir una altra visió ¿no?penso que això es molt típic | ens passa molt346. Lola:clar i el con<strong>ce</strong>pte de jugar | en aquí és | és | és ben clar que tu estàs pensanten una cosa i ells | ells en::347. ES: ells pensen una altra348. LI: és maco el verb també | jugar ¿eh?Dans <strong>ce</strong> fragment du débat, le discours est très bien lié et les contributions <strong>des</strong> hétéroobservateurset de l’auto-observatri<strong>ce</strong> se succèdent de telle manière qu’elles créent un effetde consensus très fort. Les critiques sont atténuées par la grande complicité et empathie quirègnent. Au tour de parole 332, Tina met le doigt dans la plaie, quand elle signale la volontéd’Ester à <strong>ce</strong> que les élèves disent le mot jugar ; situation dans laquelle elle s’inclut parl’usage de la première personne du pluriel. Ester partage l’opinion de ses collègues Tina,Elvira et Lidia, et construisent une <strong>des</strong>cription sur la manière habituelle <strong>des</strong> professeursd’aller directement à <strong>ce</strong> qu’ils se sont fixés, sans toujours per<strong>ce</strong>voir la perspective différente<strong>des</strong> élèves : la différen<strong>ce</strong> de cocos. Ester reconnait depuis le début qu’elle avait <strong>ce</strong>tte idéefixe et ne s’est pas rendu compte que les étudiants voulaient dire autre chose. Tina va encoreplus loin dans sa critique : l’attente <strong>des</strong> professeurs d’une réponse déterminée les conduit àne pas ac<strong>ce</strong>pter <strong>ce</strong>rtaines réponses <strong>des</strong> élèves pour ne pas les considérer vàlidas. Ester sedéfend signalant la préoccupation pour aller directe cap una cosa.Nous observons qu’avec <strong>ce</strong> débat se crée un espa<strong>ce</strong> dans lequel Ester peut découvriret expliquer que le fait d’ac<strong>ce</strong>pter et prendre en compte <strong>ce</strong> que disent les élèves est trèsimportant, c’est-à-dire que la discussion a permis de constituer le cadre dans lequel elle apu redéfinir, nuan<strong>ce</strong>r ou confirmer ses RCS.Pour conclureDans les deux exemples présentés, nous avons souhaité montrer comment la situationde débat de groupe est un espa<strong>ce</strong> privilégié pour qu’émergent <strong>des</strong> RCS dans le discours<strong>des</strong> professeurs, et pour étudier et faire évoluer <strong>ce</strong>s RCS. Au cours de la <strong>formation</strong>-conseilen établissement, nous avons observé la complexité <strong>des</strong> RCS qui entrent en jeu, ainsi70<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Les enseignants de langues fa<strong>ce</strong> aux situations plurilingues en Catalogne : représentations et contextes potentiellement formatifsque quelques indi<strong>ce</strong>s d’évolution sur le con<strong>ce</strong>pt même de <strong>formation</strong>. Dans la rechercheen collaboration, nous avons pu voir que participer dans une recherche a permis à <strong>ce</strong>sprofesseurs d’observer, analyser et partager <strong>des</strong> représentations, <strong>des</strong> croyan<strong>ce</strong>s et <strong>des</strong>savoirs, et ainsi débattre sur la réalité scolaire actuelle.Le fait que le professeur dont les classes sont observées se retrouve en position d’exposeraux autres les détails relevant du contexte, commenter sa propre activité et <strong>ce</strong>lle de sesélèves, ainsi qu’expliquer les bases de son action, lors du dialogue avec ses collègues et leschercheurs, constitue une action discursive importante restructurant sa pensée (Jaubert etal., 2004). Faire un retour sur le vécu pour mieux le comprendre signifie une réinterprétationde l’expérien<strong>ce</strong> et en faire une analyse en équipe, suppose une objectivation intersubjective<strong>des</strong> RCS forgées par l’expérien<strong>ce</strong> (Vanhulle, S., 2004).BibliographieBALLESTEROS C. et al. (2001) « El pensamiento del professor. Enseñanza de lenguas yreformas » in A. Camps (éd.) El aula como espacio de investigación y reflexión pp.195-208.Bar<strong>ce</strong>lona, Graó.CALDERHEAD J. (1996) « Teachers : beliefs and knowledge » in Berliner D.C. et CalfeeR.C. (éds.), Handbook of Educational Psychology pp. 709-725. New York, MacMillan.CAMBRA M., BALLESTEROS C., PALOU J., CIVERA I., RIERA M., PERERA J. et LLOBERAM. (2000) « Creencias y saberes de los profesores en tornos a la enseñanza de lenguaoral » - Cultural y Educación 17-18, pp. 25-40.CAMBRA M. (2003) Une approche ethnographique de la classe de langue. Paris, Didier.CAMBRA M. et FONS M. (2006) « La interacción en el aula de acogida. Creencias deprofesores sobre el plurilingüismo en la escuela » in A. Camps (coord.), Diálogo e investigaciónen las aulas. Investigaciones en didáctica de la lengua pp. 243-262. Bar<strong>ce</strong>lona, Graó.CAUSA M. (2005) « Culture(s) éducative(s) et construction d’un répertoire didactique en<strong>formation</strong> initiale » in BEACCO et al. (éd.) Les cultures éducatives et linguistiques dansl’enseignement <strong>des</strong> langues pp. 159-182. Paris, PUF.CLARK C. M. et PETERSON P. (1986) « Teachers’thought pro<strong>ce</strong>ss », in Wittrock M.C. (ed.)Handbook of research on teaching. New York, MacMillan.COTS J. M. et NUSSBAUM L. (2003) « Consciència lingüística i identitat », in Perera et al.(eds.), L’educació lingüística en situacions multiculturals i multilingües. pp. 71-89.DE PIETRO J.-F. et WIRTHNER M. (1996) « Oral et écrit dans les représentations <strong>des</strong>enseignants et dans les pratiques quotidiennes de la classe de français », TRANEL, 25, pp.29-49.FREEMAN D. (1996) « Redefining the relationship between research and what teachersknow » in Bailey y Nunan D, (éds.) Voi<strong>ce</strong>s from the language classroom. Cambridge,Cambridge University Press.JAUBERT M., REBIÈRE M. et DUGUET M. (2004) « Parler et débattre pour repenser sonenseignement au collège : une étude de cas » Repères 30, pp .55-86.KERBRAT-ORECCHIONI C. (2005) Analyse du discours en interaction. Paris, A. Collin.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 71


M. FONS, D. PLUVINETMILIÁN M. (1999) Interacció de contextos en el procès de composició escrita en grup.Thèse doctoral dirigée par A. Camps, Universitat Autònoma de Bar<strong>ce</strong>lona.MOORE D. (éd.) (2001) Les représentations <strong>des</strong> langues et de leur apprentissage. Itinérairesthéoriques et trajets méthodologiques. Paris, Didier.PY B. (2003) « Introduction » in M. Cavelli et D. Coletta. Rapport de recherche : Langues,bilinguisme et représentations sociales au Val d’Aoste pp. 15-33. Aoste, IRRE-VDA.SCHÖN D. A. (1983) The reflective prationner. New Cork, Basic Books.SHAVELSON R. J. et STERN P. (1981) « Research on teachers’ pedagogical thoughts,judgments, decisions and behavior » Review of Educational Research 51, pp. 455-498.VANHULLE S. (2004) « L’écriture réflexive, une inlassable trans<strong>formation</strong> sociale de soi »Repères 30, pp. 13-32.VILA I. (2001) « Algunes qüestions referi<strong>des</strong> a l’aprentatge lingüístic de la infancia estrangeraa Catalunya », Articles de Didàctica de la Llengua i la Literatura, 23, pp. 22-28.WOODS D. (1996) Teacher Cognition in Language Teaching. Beliefs, Decision-Making andClassroom Practi<strong>ce</strong>. Cambridge, Cambridge University Press.Code de transcription <strong>des</strong> données orales1 Numéro du tour de parole ; (...) fragment d’interaction dont la transcription n’est pasprésentée ; tour précédant : [texte con<strong>ce</strong>rné], tour suivant : [texte con<strong>ce</strong>rné] chevauchement ;ES (ESTER) participant qui intervient ; | pause brève (moins de 3 secon<strong>des</strong>) ; || pausemoyenne (plus de 3 secon<strong>des</strong>) ; / intonation montante ; \ intonation <strong>des</strong><strong>ce</strong>ndante ; ? (nonprécédé d’un espa<strong>ce</strong>) intonation interrogative ; ... intonation en suspens ; n:: son allongé ;((rialles)) faits non-verbaux ; voyons voir (italique) formes non standard, éléments familiers ;X, XX mot et énoncé inintelligibles.72<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Autour de l’étude d’un geste professionnel :l’enseignement de la méthode de la dissertationen scien<strong>ce</strong>s économiques et socialesMarie-José RamondettiUniversité Aix-Marseille, UMR ADEFIntroductionNotre recherche con<strong>ce</strong>rne la discipline scolaire scien<strong>ce</strong>s économiques et sociales (SES).Elle cible plus particulièrement l’exerci<strong>ce</strong> scolaire « Dissertation appuyée sur un dossierdocumentaire » dont la niche écologique est constituée de paramètres complexes . Nousnous situons du point de vue de l’enseignant à travers l’étude du geste professionnel« enseignement de la méthode de la dissertation en SES » et focalisons notre recherchesur l’une <strong>des</strong> consignes fournies à l’élève : « construire une argumentation à partir d’uneproblématique qu’il devra élaborer ». Cette notion de problématique fait problème alors quela mode du problème, <strong>des</strong> problématiques et de la problématisation dans l’enseignementest omniprésente (Orange, 2005). C’est pourquoi nous pensons que <strong>ce</strong>tte recherchepeut contribuer à éclairer la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> pour les professionsde l’enseignement dans la mesure où les enseignants seront confrontés à la difficultéd’apprendre la méthode d’élaboration d’une problématique à leurs élèves.Nous montrons, dans un premier temps et en nous appuyant sur une méthodologieexpérimentale au sens de Pourtois et Desmet (1997), à partir d’un questionnaire diffuséauprès de 106 professeurs de SES que <strong>ce</strong>s enseignants ne disent pas la même chosede la problématique. En effet, les définitions proposées sont diverses, en particulier« questionnement », « construction de problèmes », « structuration », « une question »,« une question et une réponse ».Nous avons fait le choix, dans une perspective clinique, d’aller voir dans la classe le gesteprofessionnel de l’enseignant de SES qui enseigne la méthode de la dissertation et enparticulier l’élaboration d’une problématique. L’analyse raisonnée de l’observation du gesteprofessionnel dans trois classes différentes s’est appuyée sur <strong>des</strong> théories de l’action(Habermas, 1987, Détienne et Vernant, 1978), sur <strong>des</strong> théories didactiques relatives aumodèle de l’action du professeur (Sensevy, 2001) et sur <strong>ce</strong>rtaines théories de la didactique<strong>des</strong> SES dont les Questions Socialement Vives (Legardez, 2004).Nous allons montrer dans une première partie se référant à une problématique contextuelleque les professeurs de SES ne donnent pas la même définition de la problématique enexplicitant la méthodologie de <strong>ce</strong>tte étape de la recherche. Nous présenterons dans unedeuxième partie les théories qui nous permettront une analyse raisonnée <strong>des</strong> observationsde classes et dans une troisième partie les résultats de l’observation du geste professionnelde trois professeurs de SES. Les différents éléments constitutifs de la « niche écologique » de la dissertation en Scien<strong>ce</strong>s économiqueset sociales con<strong>ce</strong>rnent le questionnement très actuel sur l’identité <strong>des</strong> Scien<strong>ce</strong>s économiques et sociales,dont la dissertation peut constituer l’un <strong>des</strong> révélateurs, les outils que mobilise <strong>ce</strong>tte dissertation c’est à dire larhétorique, l’écriture et les pratiques langagières porteuses d’ambiguïté (Ramondetti, 2006).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 73Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (73-80) Tome 2


M.-J. RAMONDETTI1. Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une problématique pour <strong>des</strong> professeurs de SES ?Préalablement à l’observation singulière de trois professeurs de SES qui enseignent laméthode de la dissertation, nous allons nous demander si <strong>des</strong> professeurs de SES définissentde la même manière la notion de problématique. Nous cherchons à vérifier queles professeurs de scien<strong>ce</strong>s économiques et sociales qui enseignent une méthode de ladissertation ne se réfèrent pas tous aux mêmes attributs de la dissertation, en particulier en<strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne la consigne d’élaboration d’une problématique.1.1. MéthodologieLes questionnaires ont été diffusés auprès de professeurs de SES entre mars 2004 et mai2006.106 enseignants de SES ont répondu au questionnaire.Parmi les professeurs de scien<strong>ce</strong>s économiques et sociales qui ont répondu au questionnaire,56 étaient <strong>des</strong> femmes, 50 <strong>des</strong> hommes soit respectivement 52,8 % de femmes et 47,2 %d’hommes. Selon les statistiques du ministère de l’Éducation nationale pour l’année scolaire2005-2006, 46,3% <strong>des</strong> professeurs de scien<strong>ce</strong>s économiques et sociales sont <strong>des</strong> femmessoit un écart de 6,5 points de pour<strong>ce</strong>ntage par rapport à notre échantillon.La définition de la problématique était demandée dans la huitième question. « 8. Pourriezvousdonner une définition de la problématique ? »2.2. RésultatsLe traitement <strong>des</strong> résultats a été effectué avec le logiciel Ex<strong>ce</strong>l.Nous rappelons que la question posée était : « Pourriez-vous donner une définition de laproblématique ? ».Nous avons tenté de rentrer <strong>des</strong> mots clés pour un dépouillement à partir du logiciel Sphinxmais l’exerci<strong>ce</strong> s’est révélé artificiel car les enquêtés proposaient une seule phrase dont ilfallait tenir compte du sens. Nous avons donc opté pour un dépouillement manuel. Une partde subjectivité intervient dans les regroupements de mots qui ont été effectués.Les principaux regroupements effectués :– questionnement : ensemble de questions – questions – interrogation ;– question / réponse ;– questionnement et structuration : à la fois les termes de questionnement et <strong>ce</strong>ux <strong>des</strong>tructuration ;– question ;– structuration : plan – cadre – axes de réflexion – fil conducteur – fil directeur ;– résolution de problèmes – répondre à un problème ;– questionnement et entrée : les mots de « questionnement » – démarche – axe – angled’attaque ;– débat – alternatives – différentes positions – oppositions.Nous obtenons les résultas suivants :74<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Autour de l’étude d’un geste professionnel : l’enseignement de la méthode de la dissertation en scien<strong>ce</strong>s économiques et socialesCitations et fréquen<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> notions autour d’une définition de la problématiqueMots Nombre de citations Fréquen<strong>ce</strong>s%Questionnement 21 16,15Question réponse 17 13,08Questionnement et structuration 17 13,08Question 17 13,08Structuration 15 11,54Débat 7 5,38Résolution de problème 7 5,38Questionnement et entrée 7 5,38Reformulation du sujet 4 3,08Angle d’attaque 4 3,08Hypothèse 3 2,31Démarche 3 2,31Argumentation 3 2,31Autres 1 0,77Non réponse 4 3,08Total 130 100%La définition de la problématique en référen<strong>ce</strong> au champ lexical du questionnementreprésente 16,15 % <strong>des</strong> fréquen<strong>ce</strong>s. Celle en référen<strong>ce</strong> au champ lexical de la structurationest très proche de <strong>ce</strong>lle du questionnement : 11,54 %.Cependant une précaution est indispensable pour ne pas simplifier les in<strong>formation</strong>s fourniespar le questionnaire : si la problématique se situe à l’interfa<strong>ce</strong> entre questionnement et entréepour résoudre le problème (fil conducteur) nous avons repéré dans les questionnaires lescas :– où la problématique est définie à la fois par le « questionnement » et la « structuration » :17 citations ;– ou bien les cas où sont associés « questionnement » et « entrée » : 7 citations.La réduction de la problématique à une seule question apparaît dans 17 citations, autantque le couple « question-réponse ».Les professeurs de SES ne disent pas tous la même chose de la problématique. La notionde problématique fait donc bien problème.Notre démarche a donc été d’aller voir dans la classe le geste professionnel du professeurqui enseigne la méthode de la dissertation.2. Quelles théories pour une analyse raisonnée du geste professionnelde l’enseignement de l’élaboration d’une problématique en SES ?2.1. Des théories de l’action2.1.1. Des théories de l’action selon HabermasHabermas distingue dans son œuvre L’agir communicationnel quatre modèles de l’action.Le modèle téléologique con<strong>ce</strong>rne un acteur qui poursuit un but défini à l’avan<strong>ce</strong> et utilisetous les moyens lui permettant d’aboutir.Dans le modèle axiologique l’action résulte de comportements dictés par <strong>des</strong> normes.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 75


M.-J. RAMONDETTIDans le modèle dramaturgique l’action est à visée égo<strong>ce</strong>ntrée dans le but de présenter une<strong>ce</strong>rtaine image de soi.Le modèle de l’agir communicationnel considère que l’action est à visée altruiste et seconstitue dans le langage par la construction de consensus dans le dialogue entre sujets,dialogue fondé sur la confian<strong>ce</strong> réciproque, sans manipulation.2.1.2. La mètis <strong>des</strong> grecsLa mètis <strong>des</strong> Grecs dont nous rappelons quelques caractéristiques, s’exer<strong>ce</strong> sur <strong>des</strong> planstrès divers mais à <strong>des</strong> fins pratiques. La mètis est une forme d’intelligen<strong>ce</strong>, un mode duconnaître. Elle implique un ensemble complexe d’attitu<strong>des</strong> mentales. L’individu doué demètis est confronté à une réalité multiple, changeante. La mètis s’exer<strong>ce</strong> sur un terrainmouvant, dans une situation in<strong>ce</strong>rtaine. L’individu doué de mètis doit donc se montrer luimêmemultiple, mobile et polyvalent. Il s’agit en particulier de la souplesse d’esprit, l’attentionvigilante, le sens de l’opportunité qui nous semblent contingents de toute posture de partaged’une intention d’enseigner.2.2. Des théories didactiquesNous avons utilisé dans notre recherche les modèles théoriques dans une perspective dedidactique comparée.« Si l’on devait risquer une définition, on pourrait dire que la didactique d’unediscipline est la scien<strong>ce</strong> qui étudie, pour un domaine particulier (ici les scien<strong>ce</strong>s et lesmathématiques), les phénomènes d’enseignement, les conditions de la transmissionde la « culture » propre à une institution (singulièrement ici les institutions scientifiques)et les conditions de l’acquisition de connaissan<strong>ce</strong>s par un apprenant » (Johsua,Dupin, 1999, p. 2).Alain Legardez a travaillé sur la pertinen<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>rtains outils de la didactique <strong>des</strong>mathématiques et <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s pour la didactique <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s économiques et sociales,<strong>ce</strong>s outils présentant alors une <strong>ce</strong>rtaine généricité (au sens de Mercier, Shubauer-Leoni etSensevy, 2002 ), mais également sur la spécificité de <strong>ce</strong>tte didactique à travers l’enseignement<strong>des</strong> Questions Socialement Vives.Nous présentons les différents outils de la didactique <strong>des</strong> mathématiques et <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>spour comprendre le modèle de l’action du professeur, modèle théorique qui a permis uneanalyse raisonnée de l’observation du geste d’enseignement de la méthode de la dissertation.Nous avons utilisé le travail de J.-J. Dupin et S. Johsua (1999) et <strong>ce</strong>lui de G. Sensevy (1998,2001, 2002, 2005).• Le contrat didactiqueLe contrat didactique, très souvent implicite mais bien présent, fournit aux acteurs du systèmedidactique les repères essentiels con<strong>ce</strong>rnant l’organisation <strong>des</strong> responsabilités réciproquesde l’élève et du professeur et leur évolution au cours d’un enseignement.• La chronogenèseLa chronogenèse correspond à l’avan<strong>ce</strong>ment <strong>des</strong> savoirs dans le temps.• La topogenèseLa topogenèse désigne la posture <strong>des</strong> différents acteurs, c’est-à-dire que le professeur etles élèves occupent à chaque instant un lieu précis et accomplissent <strong>ce</strong>rtaines tâches.76<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Autour de l’étude d’un geste professionnel : l’enseignement de la méthode de la dissertation en scien<strong>ce</strong>s économiques et sociales• La mésogenèseLa mésogenèse désigne tout <strong>ce</strong> qui contribue à la constitution du milieu. Le travail duprofesseur consiste essentiellement à aménager le milieu pour l’apprentissage défini par<strong>des</strong> aspects matériels (instruments, documents, organisation spatiale, etc.) et immatériels(que faire avec, pourquoi faire avec, comment faire avec...).• La dévolution« On le voit, le travail de dévolution se présente comme un transfert de responsabilité. Ladéfinition donnée par Brousseau montre bien qu’il s’agit à la fois de rendre l’élève responsableet de tirer de <strong>ce</strong>la “toutes les conséquen<strong>ce</strong>s” » Sensevy (1998, p.64).• Une perspective anthropologique (Chevallard, 1992) :Un objet existe lorsqu’une personne ou une institution le reconnaît comme objet. On peuts’interroger sur le rapport aux objets du milieu (particulièrement l’objet problématique dansnotre recherche) que fabrique le professeur. Tous les élèves qui suivent un enseignementde Scien<strong>ce</strong>s économiques et sociales sont-ils assujettis au même rapport institutionnel à ladissertation en général et à la problématisation en particulier ?2.3. Questions socialement vivesAlain Legardez montre à la fois dans ses travaux la pertinen<strong>ce</strong> scientifique de l’utilisation<strong>des</strong> théories didactiques disciplinaires, en particulier la didactique <strong>des</strong> mathématiques et<strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s (transposition didactique <strong>des</strong> savoirs). Il pointe également la spécificité del’enseignement en scien<strong>ce</strong>s économiques et sociales à travers l’enseignement de questionssocialement vives c’est-à-dire vives dans la société, vives dans les savoirs de référen<strong>ce</strong> etvives dans les savoirs scolaires (Legardez,2006) <strong>ce</strong> qui conduit à étudier « les conditionsd’une “reproblématisation raisonnée” de <strong>ce</strong>s questions dans le cadre scolaire » (Legardez,2006, p.30).3. Observation du geste professionnel <strong>des</strong> professeurs de SESqui enseignent la méthode de la dissertation3.1. MéthodologiePour repérer <strong>des</strong> éléments significatifs la méthodologie s’inspire du texte de Ginsburg (1987)« Tra<strong>ce</strong>s. Racines d’un paradigme indiciaire » : <strong>des</strong> tra<strong>ce</strong>s même infinitésimales permettentde saisir une réalité plus profonde, impossible à atteindre autrement.Nous avons eu recours à une clinique pour le didactique (Leutenegger, 2000). Autrementdit l’objet « enseignement de la méthode de la dissertation » et plus particulièrementl’enseignement de l’élaboration d’une problématique sera interprété à partir <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>ptsde l’analyse didactique, la dévolution de manière privilégiée, et à partir d’observablespertinents .Il ne s’agit pas d’observer l’enseignant mais par l’entrée « geste professionnel del’enseignant » d’interpréter un système didactique.Trois professeurs ont été observés dans <strong>des</strong> situations d’enseignement où l’apprentissage C’est-à-dire d’indi<strong>ce</strong>s.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 77


Autour de l’étude d’un geste professionnel : l’enseignement de la méthode de la dissertation en scien<strong>ce</strong>s économiques et sociales« Nous avons pu remarquer que les situations aboutissent souvent à du frontal ‘déguisé’ »(Blanchard-Laville, 2005, p. 13).Seule l’observation du professeur 3 est révélatri<strong>ce</strong> d’épiso<strong>des</strong> de dévolution. Nous citons ànouveau Claudine Blanchard-Laville :« […] il faut distinguer la situation topographique de la situation didactique de dévolution <strong>des</strong>questions-problèmes aux élèves » (Blanchard-Laville, 2006, p.13).• Autour de l’épistémologie de l’action du professeurLe professeur 1 semble se situer dans un agir téléologique. La définition de la problématiquequ’il propose se rapproche d’une définition instrumentale : le risque de la dérive versl’enseignement de plans types a été montré à partir de l’observation de son geste.Le professeur 2 donne une définition de la problématique en terme de questionnement, decheminement transférable à la vie toute entière mais l’intention du professeur ne rencontrepas <strong>ce</strong>lle <strong>des</strong> élèves (Sensevy, 2005). Les élèves s’engagent vers un plan type car il n’y a pasvéritablement de partage intentionnel : le professeur dévoile la définition de la problématiqueen début de séan<strong>ce</strong>.Le professeur 3 se situe de manière dominante dans l’agir communicationnel. La définitionde la problématique est associée à l’idée de questionnement du sujet. Le professeur construitavec les élèves une démarche de questionnement. Il n’hésite pas à modifier son intention(analogie avec la mètis <strong>des</strong> Grecs). La dérive vers un plan type n’est pas repérée.ConclusionLe risque de glissement de l’enseignement de la méthode de la dissertation en scien<strong>ce</strong>séconomiques et sociales vers un enseignement de plans types nous a conduit à en explorerles raisons. Comment rendre compte du risque de dérive vers une pensée mécanique audétriment de la construction d’une pensée critique éclairée par les savoirs de la disciplinescolaire scien<strong>ce</strong>s économiques et sociales ?Les professeurs ne semblent pas avoir la même con<strong>ce</strong>ption de la problématique. Le sens dela notion de problématique est reliée à divers possibles : questionnement, structuration, jeuquestion-réponse, au risque encore une fois de fabriquer <strong>des</strong> ambiguïtés ou de s’orientervers l’enseignement de techniques.L’observation <strong>des</strong> trois professeurs en train d’enseigner la méthode de la dissertation enscien<strong>ce</strong>s économiques et sociales, éclairée par <strong>des</strong> modèles théoriques de l’action et de ladidactique nous a permis de montrer que le professeur 1 construit un rapport instrumentalà la problématique et s’inscrit dans un agir téléologique. Le professeur 2 a l’intention deconstruire un rapport au questionnement mais dévoile l’objet problématique sans dévolutionaux élèves de l’élaboration de <strong>ce</strong>tte problématique <strong>ce</strong> qui conduit l’élève à privilégier laproposition de plans types. Le professeur 3 construit un rapport au questionnement, dévolueaux élèves la responsabilité de problématiser, entraîne <strong>ce</strong>s élèves dans une démarche dequestionnement et s’inscrit dans un agir communicationnel.Une nouvelle question émerge : les résultats de <strong>ce</strong>tte recherche ne seraient-ils pas un indi<strong>ce</strong>de contradictions possibles dans l’école aujourd’hui ? L’injonction de problématisation n’ajamais été aussi forte dans les textes officiels alors que <strong>des</strong> démarches de plus en plustechnicistes deviennent un obstacle à <strong>ce</strong>tte problématisation. « Vous avez 6 documents, dans chaque document il y a un élément de la problématique », explique leprofesseur 1 qui propose de classer chaque élément du document dans un plan type.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 79


M.-J. RAMONDETTIBibliographieBLANCHARD-LAVILLE C., « Les enseignants entre ombre et lumière, entretien avecClaudine Blanchard-Laville », http.//www.cafepedagogique.net/dicsi/article/10.php (pageconsultée le 10 septembre 2006).BROUSSEAU G. (1998) « Théorie <strong>des</strong> situations didactiques » Recherches en didactique<strong>des</strong> mathématiques. Grenoble, La Pensée Sauvage.CHEVALLARD Y. (1992) « Con<strong>ce</strong>pts fondamentaux de la didactique : perspectives apportéespar une approche anthropologique » in Recherche en Didactique <strong>des</strong> mathématiques.Volume 12, pp 73-111.DETIENNE M. et VERNANT J.-P. (1978) Les ruses de l’intelligen<strong>ce</strong>, la mètis <strong>des</strong> grecs.Paris, Flammarion.GINSBURG (1987) Mythes emblèmes, tra<strong>ce</strong>s. Paris, Flammarion.GRAWITZ M. (2000) Métho<strong>des</strong> <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s sociales. 11 e édition. Paris, Dalloz.HABERMAS J. (1987) Théorie de l’agir communicationnel. Paris, Fayard.JOHSUA S., DUPIN J.-J. (1999) Introduction à la didactique <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s et <strong>des</strong>mathématiques. Paris, PUF.LEGARDEZ A. (2004) « Transposition didactique et rapports aux savoirs : l’exemple dequestions économiques et sociales, socialement vives » Revue Française de Pédagogie n°149, pp. 19-28.LEGARDEZ A. et SIMONNEAUX L. (coor.) (2006) L’école à l’épreuve de l’actualité- Enseignerles questions vives. Paris, ESF.LEUTENEGGER F. (2000) « Construction d’une ‘‘clinique’’ pour le didactique » in Recherchesen Didactiques <strong>des</strong> Mathématiques. Vol.20, n° 2, pp 209-250.MERCIER A., SCHUBAUER-LEONI M. L., SENSEVY G. (2002) « Vers une didactiquecomparée » Revue Française de Pédagogie n° 141, pp. 5-16.ORANGE C. (2005) « Problème et problématisation ». Aster n° 40, Lyon, Institut Nationalde Recherche Pédagogique.POURTOIS J.-P., DESMET H. (1997) Épistémologie et instrumentation en scien<strong>ce</strong>shumaines. Sprimont, Mardaga.RAMONDETTI M.-J. (2006) Étude d’un geste professionnel : l’enseignement de la méthodede la dissertation en scien<strong>ce</strong>s économiques et sociales. Thèse de doctorat d’université,Université de Proven<strong>ce</strong>, Aix-Marseille 1.SENSEVY G. (1998) Institutions didactiques, étude et autonomie à l’école élémentaire.L’Éducateur, Paris, PUF.SENSEVY G. (2001) « Théories de l’action et action du professeur » in J.-M. Baudouin et J.Friedrich (Ed.) Théories de l’action et éducation pp.203-224. Bruxelles, de Boeck.SENSEVY G. (2005) « Sur la notion de gestes professionnels » in La lettre de l’Associationinternationale de Didactique du Français (AIRDF).80<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Formation <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> :le cas <strong>des</strong> arts plastiquesJean-François Py<strong>IUFM</strong> de l’académie de LyonIRELLA – <strong>IUFM</strong> de Lyon, CIEREC – université Jean Monnet Saint-ÉtienneAvant-proposLes <strong>universitaire</strong>s, c’est bien connu, ont <strong>des</strong> soucis théoriciens. Ce qui est souvent traduit,dans l’ac<strong>ce</strong>ption triviale, en soucis théoriques, c’est-à-dire ayant peu à voir avec une quelconquepratique ou réalité. Les <strong>IUFM</strong> sont hélas encore fréquemment le lieu d’une pareilleincompréhension. Je voudrais montrer ici que <strong>ce</strong>s soucis théoriciens sont sus<strong>ce</strong>ptiblesd’influer, moyennant une démarche <strong>ce</strong>rtes prescriptive à travers une pratique enseignante,sur les finalités et les effets même d’une discipline sur les élèves. Je le ferai à partir d’unediscipline, les arts plastiques.Cela dit, on peut se demander jusqu’à quel point il est pertinent, s’agissant de réfléchirsur l’éventuelle dimension <strong>universitaire</strong> de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants, de partir d’unexemple d’une particularité aussi marquée, qui est <strong>ce</strong>lle du statut disciplinaire singulier <strong>des</strong>arts plastiques. Discipline sans savoirs et où la pratique peut apparaître en quelque sortecomme sa propre fin. Mais après tout, il s’agit pourtant d’une discipline <strong>universitaire</strong>, et si lesconsidérations qui vont suivre peuvent contribuer à lui assurer un peu plus d’autorité dansla communauté enseignante elle-même, <strong>ce</strong> ne serait déjà pas mal. Au-delà de <strong>ce</strong> propos,qui n’est pas corporatiste, un enjeu de la réflexion serait de mettre l’ac<strong>ce</strong>nt sur un aspectcomplexe et contradictoire de l’art, qui indiquerait assez bien <strong>ce</strong> que l’école elle-même, engénéral, aurait à intégrer et assumer comme contradiction : l’opposition entre imaginaire etrationalité. C’est dire ici également qu’il ne s’agit pas, en rentrant dans le particulier d’unespécialité, de plaider pour <strong>ce</strong>lle-là : mais plutôt de montrer en quoi ses fins propres peuventcontribuer aux finalités globales de l’école.Introduction : une discipline au statut précaireIl est convenu que dans leur année de <strong>formation</strong>, les stagiaires, confrontés à la responsabilitéd’une pratique <strong>professionnelle</strong>, n’ont ni le temps ni le goût du théorique. Ce dont ils sontdemandeurs, c’est de conseils très pratiques (professionnels ?) d’une part, et de l’articulationde la <strong>formation</strong> didactique disciplinaire à la réalité de leurs classes. Contenus <strong>des</strong> programmes,mise en forme de séan<strong>ce</strong>s ou séquen<strong>ce</strong>s compatibles avec <strong>ce</strong>s contenus d’un côté, et laréalité <strong>des</strong> élèves de l’autre. Toute une pratique <strong>professionnelle</strong> doit se mettre rapidementen pla<strong>ce</strong>, sous peine d’être vite débordé par le réel même <strong>des</strong> classes.Il est également reconnu, <strong>ce</strong>pendant, que l’autorité de l’enseignant se fonde toutparticulièrement sur la qualité disciplinaire sans con<strong>ce</strong>ssion qu’il est à même de présenteraux élèves. Il s’agit là sans doute d’une <strong>des</strong> conditions les plus importantes à remplir pour<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 81Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (81-88) Tome 2


J.-F. PYque s’établisse un respect mutuel, quelles que soient par ailleurs les difficultés relationnellesrencontrées avec les classes .Vis-à-vis de <strong>ce</strong>s deux points, il me semble devoir souligner, con<strong>ce</strong>rnant les arts plastiques(« arts visuels » désormais pour le premier degré), la fragilité de leur légitimité commediscipline scolaire. Comme si la première tâche de l’enseignant dans <strong>ce</strong> domaine était d’avoirà confirmer, voire faire émerger <strong>ce</strong>tte légitimité même ; au-delà, doit-on préciser de surcroît,de <strong>ce</strong> qui est dit de la finalité de <strong>ce</strong>s enseignements dans les programmes eux-mêmes.L’expérien<strong>ce</strong> de l’art aujourd’huiEn réalité, c’est le statut même de l’art dans la société aujourd’hui qui fait problème :marchandisation, spectacularisation, cynisme, etc., en sapent la valeur spécifique. Lephénomène n’est pas particulier à l’art (qu’on pense ici au sport…). Et c’est plutôt miracle,si dans un tel contexte, mondialisé <strong>ce</strong>la va de soi, l’expérien<strong>ce</strong> de l’œuvre d’art comme« enchantement-deuil » est encore sus<strong>ce</strong>ptible d’advenir. Et si l’art a pu être défini commeexpérien<strong>ce</strong> (expérien<strong>ce</strong> de l’artiste, expérien<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>lui qui reçoit l’œuvre, cf. Dewey), notremonde a aussi été considéré, de longue date déjà, comme <strong>ce</strong>lui où l’expérien<strong>ce</strong>, en tantque telle, n’advenait plus (Agamben après Benjamin, voir ci-<strong>des</strong>sous). Rareté de l’œuvreauthentique, rareté de l’expérien<strong>ce</strong> authentique. Encore ne serait-<strong>ce</strong> pas tant <strong>ce</strong>tte rareté enelle-même qui poserait problème (elle témoignerait en l’occurren<strong>ce</strong> du prix de l’événement),mais son occultation, son oblitération, si <strong>ce</strong> n’est son empêchement par toutes les formesde rapports, plus ou moins assistés, souvent furtifs ou hâtifs, consuméristes en tous cas,que nous entretenons bon gré mal gré à toutes sortes de choses qui nous sont présentéescomme <strong>des</strong> œuvres (et qui en sont parfois). Rajoutons simplement que la somme <strong>des</strong>intérêts extrinsèques en jeu autour de <strong>ce</strong> qui tient désormais lieu de l’expérien<strong>ce</strong> de l’art necontribue pas à favoriser <strong>ce</strong> que la véritable expérien<strong>ce</strong> de l’œuvre procure : une modificationde notre rapport au monde, voire une salutaire déstabilisation (« fenêtre sur le chaos », pourreprendre le titre du livre de Castoriadis).Précarité <strong>des</strong> arts plastiques comme disciplineCe qui vient d’être brièvement exposé fait comprendre en quoi les arts plastiques, <strong>ce</strong>nséstrouver leur légitimité dans le phénomène même de l’art, en sont fragilisés, comme parricochet. Cette précarité de la discipline comme telle, du point de vue de <strong>ce</strong>ux qui y sont« étrangers » (élèves comme non-spécialistes), n’est pas loin d’être intégrée par lesenseignants eux-mêmes. C’est surtout vrai dans le premier degré, où le niveau de <strong>formation</strong>spécifique reste élémentaire, compte tenu <strong>des</strong> contraintes globales de la <strong>formation</strong>. Maisaussi dans le second degré, par une sorte d’intégration mimétique progressive d’un Je pense ici en particulier aux milieux dit difficiles, mais pas exclusivement. Castoriadis, Fenêtre sur le chaos p.133 : « L’attitude du sujet fa<strong>ce</strong> à l’œuvre est (…) Zaubertrauer,“enchantement/deuil“ ou “deuil enchanté“. (…) le fait d’être frappé par quelque chose qui dépasse le coursnormal <strong>des</strong> événements ». Et non pas attitude de compréhension ou d’élucidation. Plus loin, (p.156) Castoriadiscite deux poètes allemands : « <strong>ce</strong>lui qui a regardé la beauté avec ses propres yeux / s’est déjà donné à lamort » (August von Platten) et « car le beau n’est rien d’autre que le commen<strong>ce</strong>ment du terrible » (Rilke), pourformuler ainsi l’évocation du deuil : « Le terrible c’est <strong>ce</strong>tte fin ; et <strong>ce</strong>tte ouverture vers autre chose, dans monlangage la fenêtre sur le chaos, qui est en même temps la fin du désir. »82<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Formation <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> : le cas <strong>des</strong> arts plastiquesconsensus dominant et tena<strong>ce</strong> . Nombre de stagiaires se plaignent ingénument, durant leurstage, d’avoir fréquemment à défendre <strong>ce</strong>tte légitimité. Bien entendu, la reconnaissan<strong>ce</strong>de la né<strong>ce</strong>ssité d’une dimension culturelle forte dans la <strong>formation</strong> de tous les élèves estl’objet d’un consensus. Mais outre le fait qu’une dilution <strong>ce</strong>rtaine de l’artistique s’opèredans le glissement vers le terme « culturel », un glissement d’un autre ordre est à l’œuvrederrière <strong>ce</strong> type de consensus : vers l’idée explicite de « culture commune » (en rapportsans doute avec socle de connaissan<strong>ce</strong>s de même qualité), dont la dimension est dès lorssociale et « citoyenne » (pour ne pas employer le terme de comportementale), en tout casentendue comme fortement normative. Alors même que le fait de l’art, s’il doit conforter lesentiment d’appartenan<strong>ce</strong> à une communauté sociale (<strong>ce</strong> qui n’est pas né<strong>ce</strong>ssairement savocation mais n’est pas non plus exclu), use de toutes les libertés et emprunte <strong>des</strong> détourscomplexes, dont l’image de la « fenêtre sur le chaos » indique assez bien la potentialitédéstabilisatri<strong>ce</strong>. L’art n’a pas à être, et ne peut être quelque chose de rassurant. En <strong>ce</strong> sens,sa dimension subversive avait fort bien été perçue par Platon déjà . Comment, dès lors,préparer (et peut-on réellement préparer ?) <strong>des</strong> élèves à <strong>ce</strong> qu’on a ambitieusement évoquécomme expérien<strong>ce</strong> de l’art ? S’en tenir sagement à la lettre <strong>des</strong> programmes autorise-t-ilpour autant à ignorer <strong>ce</strong>tte question ? Je n’ai en tous cas pas de re<strong>ce</strong>tte pour la traiter, maiss’interroger sur <strong>ce</strong> qui peut mettre de futurs enseignants sur la voie d’une confrontationpositive à une telle question me paraît tout simplement indispensable.Pour un dispositif de <strong>formation</strong> réellement <strong>universitaire</strong>Dimension quelque peu subversive de l’art : je n’ignore pas qu’en mettant en avant <strong>ce</strong>taspect, je me verrai objecter que l’école doit s’appliquer avant tout, en arts plastiques, àdonner aux élèves <strong>des</strong> moyens d’expression (objectif explicite <strong>des</strong> programmes), à formerune compéten<strong>ce</strong> dans le domaine visuel, et au-delà, leur fournir en général la possibilitéd’aborder <strong>des</strong> œuvres de façon éclairée, voire critique . Mais que sa mission, toute pragmatique,s’arrêterait là.Toute la didactique de la discipline est fondée sur la tension de la pratique aux œuvres. Etc’est au nom de <strong>ce</strong>tte tension qu’il faudrait pointer ici le fait qu’il manque quelque chosedans un tel dispositif, pour autant qu’il s’en tiendrait à <strong>ce</strong> qui vient d’être énoncé ; et montreren quoi la <strong>formation</strong> doit assumer une dimension plus théorique d’une part, et prescriptiveen même temps, pour justement étoffer les finalités <strong>des</strong> arts plastiques, et l’ambition <strong>des</strong>futurs enseignants. Dans le sens où l’on considère que, dans le respect de l’esprit et la lettre Je dis <strong>ce</strong>la au risque de choquer nombre de collègues qui savent bien à quoi s’en tenir quant à l’importan<strong>ce</strong><strong>des</strong> arts plastiques. Néanmoins, souvent, au-delà (ou à cause) de stéréotypes renvoyant à la spécificitéentendue comme close sur elle-même de la discipline (l’approche sensible, etc.), le consensus existe pourmarginaliser son rôle dans le parcours effectif de l’élève. « Depuis l’Iliade jusqu’au Château en passant par Macbeth, le Requiem ou Tristan, l’œuvre entretien avecles valeurs de la société <strong>ce</strong>tte relation étrange, plus que paradoxale : elle les affirme en même temps qu’elleles révoque en doute et les met en question. », Fenêtre… p. 22. Un peu plus loin, encore plus radicalement,Castoriadis écrit : « L’œuvre d’art n’existe qu’en supprimant le fonctionnel et le quotidien, en dévoilant un Enversqui <strong>des</strong>titue de toute signification l’Endroit habituel, en créant une déchirure par laquelle nous entrevoyonsl’Abîme, le Sans-fond sur quoi nous vivons constamment en nous efforçant constamment de l’oublier ». Mêmesi <strong>ce</strong> sont <strong>des</strong> œuvres littéraires ou musicales qui sont évoquées, il serait facile de trouver <strong>des</strong> équivalentsdans le domaine <strong>des</strong> arts visuels. Il suffit par exemple de penser au travail aujourd’hui de quelqu’un commeBru<strong>ce</strong> Nauman pour en être convaincu, mais aussi, plus classiquement, à Goya, et bien d’autres… Ici encore, je renvoie à Castoriadis et son appréciation, <strong>ce</strong>rtes polémique, de l’état de la critique aujourd’hui.Voir ci-<strong>des</strong>sous. Et pour autant qu’il en reste à <strong>des</strong> significations flottantes <strong>des</strong> termes employés : œuvres, critique.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 83


J.-F. PYmême <strong>des</strong> programmes, la dimension hasardeuse <strong>des</strong> pratiques artistiques devrait passerun tant soit peu dans la réalité didactique et pédagogique. Or c’est <strong>ce</strong>tte réalité-là qui inhibele plus le néophyte, pour autant qu’il en a conscien<strong>ce</strong> ; mais c’est elle aussi qui paraît le plushasardeuse relativement à la notion d’apprentissage, aux yeux mêmes <strong>des</strong> spécialistes quesont les enseignants du 2 nd degré. D’ailleurs, même dans la partie pratique de la <strong>formation</strong> àla didactique <strong>des</strong> arts plastiques (visuels), toute incursion dans <strong>des</strong> pratiques référées à <strong>ce</strong>ttepart très problématique de l’art, donne lieu (quasi systématiquement) à <strong>des</strong> réti<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong>s de lapart <strong>des</strong> stagiaires. Réti<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong>s qui, lorsqu’elles sont exprimées, sont le plus souvent justifiéesau nom de l’impossibilité prétendue de mettre les élèves dans <strong>des</strong> situations comparables .Ce qui est bien sûr un déni de la capacité d’imaginaire, d’adaptation, d’invention <strong>des</strong>ditsélèves. Mais aussi ignoran<strong>ce</strong> de la puissan<strong>ce</strong> de stimulation de situations de <strong>ce</strong> type. Il est<strong>ce</strong>rtes plus rassurant de les mettre dans <strong>des</strong> situations d’apprentissage évaluables de façonprévisible, où tout est balisé (notions, référen<strong>ce</strong>s, techniques), et en particulier adaptées àla structure spatiale normée de la classe.5 questions pour réfléchir aux fins du cours d’arts plastiquesAu risque de pénétrer un peu plus avant dans la réflexion disciplinaire, j’énumérerai etcommenterai très brièvement <strong>ce</strong>s quelques points à aborder pour tenter de faire <strong>ce</strong>rneraux futurs enseignants les finalités essentielles de la présen<strong>ce</strong> d’un enseignement <strong>des</strong> artsplastiques à l’école :L’expérien<strong>ce</strong> : à l’heure où le monde marchand s’en empare comme slogan (Do it !, sloganlibertaire <strong>des</strong> années soixante devenu publicitaire dans la période ré<strong>ce</strong>nte, voir l’article deVin<strong>ce</strong>nt Pécoil, in art press2 Cynisme et art contemporain), une réflexion sur l’idée mêmed’expérien<strong>ce</strong>, rapportée à l’art paraît s’imposer, dans le sens où l’art ne se conçoit pasautrement qu’expérien<strong>ce</strong> même, fa<strong>ce</strong> à un quotidien qui ne lui laisse guère la possibilitéd’avoir lieu. Walter Benjamin voyait la première guerre mondiale comme le lieu même de laperte de l’expérien<strong>ce</strong> (pour les revenants, le monde avait radicalement changé pendant leur« absen<strong>ce</strong> », empêchant tout récit de <strong>ce</strong> qu’ils avaient vécu). A sa suite Giorgio Agambendéplore la perte de la possibilité même de l’expérien<strong>ce</strong> dans le monde contemporain en<strong>ce</strong> qu’il a de plus ordinaire (flot d’événements de toutes sortes, rien de mémorisable nitransmissible) . La réflexion de Dewey, datant <strong>des</strong> années trente (Art as experien<strong>ce</strong>), peutêtre lue du coup comme une longue tentative de réhabiliter la notion même d’expérien<strong>ce</strong> aumoment même où sa « spontanéité » se perd, étroitement associée à la question de l’art.Elle ne sera pas sans influen<strong>ce</strong>r fortement les artistes de l’après-guerre, qui en développanthappening et performan<strong>ce</strong>, prennent Dewey au pied de la lettre : la vie et l’art confondus,avec comme objectif une exa<strong>ce</strong>rbation de la conscien<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong> qui est vécu, et peut ainsi setransmettre.Le rapport à l’image : comment aborder l’image non comme objet (technique, plastique,esthétique), mais sous l’angle de l’expérien<strong>ce</strong> qu’on en fait ? Hans Belting insiste avec Il faut prendre ici le terme (hasardeuse) au sens fort de l’imprévisibilité et de remise en cause <strong>des</strong> repèresordinaires pour saisir le monde. À <strong>ce</strong>t égard, l’idée admise que les élèves ne sont pas à considérer comme <strong>des</strong> artistes (même en devenir),est une réponse commode et guère satisfaisante. Les artistes <strong>des</strong> années 60 en particulier y répondaientpar avan<strong>ce</strong>, en avançant que tout homme est artiste (Beuys), ou plus subtilement, en établissant le principed’équivalen<strong>ce</strong> cher à Filliou : bien fait mal fait pas fait. C’est-à-dire écartant par avan<strong>ce</strong> la question d’unecompéten<strong>ce</strong> liée à la technè <strong>des</strong> grecs, et tout principe d’autorité qui en découlerait. Agamben Giorgio (2002) Enfan<strong>ce</strong> et histoire. Paris, Payot pp.23-27.84<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Formation <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> : le cas <strong>des</strong> arts plastiquesraison d’une part sur le fait que l’image est aussi bien mentale (intérieure) qu’éventuellementobjectivée par un médium (extérieure), donc sur le rapport de l’image au corps ; d’autre partsur l’importan<strong>ce</strong>, occultée de façon décisive par Platon, du rapport de l’image à la mort. Ilest commun de comprendre l’image comme présen<strong>ce</strong> à propos d’une absen<strong>ce</strong>, mais il nefaut pas occulter son rôle d’écran entre l’événement fatal et <strong>ce</strong>lui qui en est le témoin 10 . C’estaller au cœur même du problème qui consiste à considérer l’image sous l’angle du rapportqu’on y entretient, selon la triade : image, médium, corps. Cette approche anthropologiqueest d’autant plus intéressante dans notre contexte, que l’on sait l’importan<strong>ce</strong> de l’activitésensori-motri<strong>ce</strong> pour l’élaboration de l’image chez les jeunes enfants (Piaget, La <strong>formation</strong>du symbole chez l’enfant), et son prolongement au-delà même de l’enfan<strong>ce</strong>.L’imaginaire et l’imagination. « Considérons l’imagination de l’être humain singulier. C’est làla détermination essentielle (l’essen<strong>ce</strong>) de la psyché humaine. Cette psyché est imaginationradicale d’abord en tant qu’elle est flux ou flot in<strong>ce</strong>ssant de représentations, de désirs,d’affects. Ce flot est émergen<strong>ce</strong> continue. On a beau fermer ses yeux, boucher ses oreilles– il y aura toujours quelque chose. Cette chose se passe « dedans » : <strong>des</strong> images, <strong>des</strong>souvenirs, <strong>des</strong> souhaits, <strong>des</strong> craintes, <strong>des</strong> “états d’âmes“ surgissent de façon que parfoisnous pouvons comprendre, ou même “expliquer“, et d’autres fois absolument pas. Il n’y apas là de pensée “logique“, sauf ex<strong>ce</strong>ptionnellement et discontinûment. Les éléments nesont pas reliés de façon rationnelle ou même raisonnable entre eux, il y a surgissement, ily a mélange indissociable. Il y a surtout <strong>des</strong> représentations sans aucune fonctionnalité. » 11L’imaginaire ainsi défini apparaît comme fonction première à préserver (« …par<strong>ce</strong> quel’histoire de l’humanité est l’histoire de l’imaginaire humain et de ses œuvres » 12 ), et <strong>ce</strong>en dépit de (ou contre) l’exigen<strong>ce</strong> pressante de rationalité par la société et l’école. GilbertDurand, dans la préfa<strong>ce</strong> au livre de Bruno Duborgel, dénon<strong>ce</strong> le blocage pédagogique <strong>des</strong>expressions de l’imaginaire : « Même dans la toléran<strong>ce</strong> de l’exerci<strong>ce</strong> de l’image picturaleet plastique (…), la régularisation, l’empêchement ou la substitution ramène fermement aubercail d’un per<strong>ce</strong>ptionnisme stéréotypé. » 13 ; <strong>ce</strong>la apparaît provocateur, confronté à la lettremême <strong>des</strong> programmes. Mais <strong>ce</strong>s derniers opèrent, pour l’enseignant, comme un doublebind: toujours expliquer, élucider, et surtout gérer un temps chichement compté compte tenu<strong>des</strong> exigen<strong>ce</strong>s quantitatives, là où on l’on encourage pourtant à développer les capacitésd’expression imaginaire. Comme potentialité du radicalement nouveau, (« …appeler <strong>ce</strong>ttefaculté de novation radicale, de création et de <strong>formation</strong>, imaginaire et imagination 14 »), <strong>ce</strong>ttecapacité ne devrait pourtant pas être mesurée systématiquement à l’aune de l’explicable.La critique tend à devenir une pratique d’acquies<strong>ce</strong>ment systématique. Vin<strong>ce</strong>nt Pécoil stigmatiseainsi la situation actuelle de l’art : « l’art d’avant-garde est bien <strong>ce</strong> qui est à la pointe ,mais au sens où il précède d’une saison les tendan<strong>ce</strong>s à venir » 15 ; on voit mal dans <strong>ce</strong>sconditions la né<strong>ce</strong>ssité même de la critique, et <strong>ce</strong>la explique fort bien sa tendan<strong>ce</strong> actuelleà l’inanité dont la situation est ainsi résumée par Castoriadis : « Ce qui se présente comme10 Belting Hans, Pour une anthropologie <strong>des</strong> images Gallimard 2004 (2001). P.12-13 : « L’expérien<strong>ce</strong> de lamort a été l’un <strong>des</strong> moteurs les plus puissants de la production humaine <strong>des</strong> images. L’image se présente alorscomme une réponse ou une réaction à la mort (…). (…) La présen<strong>ce</strong> d’une absen<strong>ce</strong> , qui est la propriété laplus universelle de l’image, acquiert ici sa véritable signification ontologique. »11 Castoriadis (1999) Figures du pensable. Seuil, p.96.12 Castoriadis, Figures …, p.93.13 Duborgel Bruno, Imaginaire et pédagogie, préfa<strong>ce</strong> de Gilbert Durant, p. 12., éd. Privat, 1992 (1983).4 Castoriadis, Figures… p.94.15 In « Business as usual », art press2, Cynisme et art contemporain, hiver 2006-2007.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 85


J.-F. PYcritique dans le monde contemporain est de la promotion commerciale » 16 . A quel prix laréhabiliter comme potentialité de choix véritables ? La question qui conditionne toute critiqueest la suivante : « Peut-il y exister création d’œuvres dans une société qui ne croit enrien, qui ne valorise vraiment et inconditionnellement rien ? » (Castoriadis Fenêtre… p.22).Au nom de quelles valeurs juger, trier ? (ici Castoriadis Fenêtre… p.35). Question que lesélèves posent spontanément, et sur laquelle nous sommes immanquablement embarrasséspour fournir <strong>des</strong> éléments de réponse.Ce que l’art « fait » à l’élève (<strong>ce</strong> qu’il « fait » à l’école), non comme levier d’une quelconquetrans<strong>formation</strong> sociale, mais comme ferment de mutation de la personnalité. Cet objectif, jel’évoquerai à travers le propos de l’artiste canadien Jeff Wall. Interrogé sur le rapport entrebeauté et politique, il préfère évoquer la dimension éthique de la beauté :« L’expérien<strong>ce</strong> de la beauté est toujours associée à l’espoir et l’art, comme le disaitStendhal, est “une promesse de bonheur”. Il ne faut pas que les choses restent tellesqu’elles sont. (…)– Cette aptitude à transformer les choses par la beauté, l’entendez-vous commeconstruction intellectuelle, comme une légitimation historique, ou <strong>ce</strong>t effet cathartiquea-t-il pour vous effectivement une réalité ?– Il y a toujours pour un artiste un spectateur idéal. Et je ne peux parler que dema propre expérien<strong>ce</strong> : le regard que j’ai porté sur l’art m’a effectivement aidé àaller plus loin. Ma vie serait, sans l’expérien<strong>ce</strong> de l’art, très différente. La jouissan<strong>ce</strong>esthétique vous transforme ; elle ne transforme peut-être pas le monde, mais ellevous transforme, vous-même et votre relation au monde » 17 .Ces propos prennent tout leur poids dans la bouche d’un artiste qui n’est pas le premiervenu, et il semblent formuler pour nous l’idéal de <strong>ce</strong> à quoi nous aimerions voir conduits lesélèves : devenir un jour, chacun, le spectateur idéal.Ainsi, enseigner les arts plastiques, <strong>ce</strong> serait aussi bien tenter de procurer aux élèves :1- une pratique qui soit une véritable expérien<strong>ce</strong> ;2- <strong>des</strong> moyens de déterminer leur attitude dans le rapport aux images ;3- <strong>des</strong> situations et autres dispositifs propi<strong>ce</strong>s à la stimulation imaginaire comme fin ensoi ;4- <strong>des</strong> moyens critiques (on dit en didactique <strong>des</strong> critères d’évaluation, mais ici pas au sensnormatif ou exclusivement plastique), autant vis-à-vis de leurs productions que d’œuvresartistiques ;5- <strong>des</strong> rencontres, enfin, avec <strong>des</strong> œuvres, organisées de telle sorte que <strong>ce</strong>la fasseexpérien<strong>ce</strong>, et modifie en conséquen<strong>ce</strong> si peu que <strong>ce</strong> soit leur rapport au monde.Autant d’objectifs dont on sait qu’ils sont à peu près inclus dans les programmes, mais dontles attendus signifiés par les remarques ci-<strong>des</strong>sus permettent de les maximiser. Ou, plusprécisément de les historiciser, c’est-à-dire les rapporter aux conditions concrètes de notreprésent.Quelle pla<strong>ce</strong> dans la <strong>formation</strong> ?Il resterait dès lors à débattre de la manière de pla<strong>ce</strong>r, et de la forme à donner, à <strong>ce</strong>tte16 Castoriadis, Fenêtre…, p.20.17 Wall Jeff, Écrits et entretiens, 1984-2001, éd. ENSBA, 2004. p. 262, « Une tradition démocratique, unetradition bourgeoise de l’art », Anne-Marie Bonnet et Rainer Metzger, entretien avec J.W.86<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Formation <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> : le cas <strong>des</strong> arts plastiquesréflexion au cœur de la <strong>formation</strong>, c’est-à-dire durant l’année même du stage 18 . Il apparaîten effet qu’aussi bien <strong>ce</strong> qui est en amont qu’en aval de <strong>ce</strong>tte année de stage ne correspondpas au moment approprié pour introduire <strong>ce</strong>tte réflexion :les modules de <strong>formation</strong> préparatoire (<strong>formation</strong> pré<strong>professionnelle</strong>) ont sans doute pourobjet d’éclairer les futurs candidats aux concours sur la réalité même de la profession, d’unefaçon générale. Quant à la discipline, pour <strong>ce</strong>ux qui sont en train d’en devenir spécialistes(futurs profs d’arts plastiques), leur propre initiation aux enjeux de l’art ne les pla<strong>ce</strong> pas, à <strong>ce</strong>moment là, en situation de maturité suffisante pour tirer le bénéfi<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>tte réflexion.les temps de <strong>formation</strong> désormais prévus en T1-T2 risquent fort d’être accaparés pard’autres questions : problématiques liées à la gestion de classe, ou transversales, ou encoreinterdisciplinaires ; ou encore réflexion et travail sur une gestion mature <strong>des</strong> programmesdans la continuité ; etc.En revanche, durant l’année de stage, au moment même où les considérations les plusconcrètes et pragmatiques ont à être envisagées, parfois dans le stress de la prise decontact avec la réalité <strong>des</strong> élèves, ou <strong>ce</strong>lui de l’évaluation du stagiaire dans les diversesfa<strong>ce</strong>ttes de son activité encore non assurée, il apparaît important de préserver <strong>des</strong> tempsde sérénité pour instaurer une réflexion sur les axes évoqués ci-<strong>des</strong>sus, dans une sorte dedialectique formative. Il me semble important d’associer la découverte (en responsabilité) dela réalité <strong>des</strong> classes avec la réflexion sur les finalités (ultimes ?) du travail à faire avec <strong>ce</strong>sclasses. Les emplois du temps de <strong>ce</strong>tte année de <strong>formation</strong> initiale font qu’il s’agit presqued’une utopie, je ne l’ignore pas. Est-<strong>ce</strong> une raison, du coup, pour finalement ne guère sesoucier d’enjeux décisifs d’éducation, à moyen et long terme ? Certainement pas.Il me paraît ensuite indispensable que <strong>ce</strong>s temps puissent être partagés entre une activitéthéorique et une activité pratique en relation, à même de faire vivre aux stagiaires <strong>des</strong> situationstypes en résonan<strong>ce</strong> : pratique sus<strong>ce</strong>ptibles de faire expérien<strong>ce</strong>, d’ouvrir à l’improbable oul’inattendu, de pla<strong>ce</strong>r chacun dans un rapport ouvert à sa propre production, ainsi qu’à<strong>ce</strong>lle <strong>des</strong> autres. Seule façon cohérente d’assimiler <strong>ce</strong> qui devra être par la suite mis enœuvre comme enseignant. Ce temps de pratique, peut être orienté et organisé en fonction<strong>des</strong> questions suivantes : que peuvent être <strong>des</strong> « expérien<strong>ce</strong>s » d’élèves, en classe (etdonc pour <strong>des</strong> stagiaires en <strong>formation</strong>)? Selon quels dispositifs, en vue de quoi, et dansquels rapports aux programmes ? Les éléments clefs pour <strong>des</strong> dispositifs originaires 19 meparaissent être les suivants : le corps, l’espa<strong>ce</strong>, l’objet, constitution de relation (plastiques,c’est-à-dire de mise en forme) entre les trois. A <strong>ce</strong>t égard, la question première serait : <strong>ce</strong>que je vis, comment puis-je (m’)en rendre compte, donc le mettre en représentation ? Touslangages, et dans les langages visuels ou plastiques, tous les médiums, ou plus largementencore, tous les moyens, ont dès lors vocation à être utilisés. C’est à l’intérieur d’une pareillelogique que se posera, de façon seconde (<strong>ce</strong> qui ne veut pas dire secondaire), la question<strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s techniques et notionnelles, et <strong>des</strong> référen<strong>ce</strong>s artistiques.18 Bien entendu également, il faudrait discuter précisément de la forme, théorico-pratique, et de la pla<strong>ce</strong> que<strong>ce</strong>t aspect de <strong>formation</strong> pourrait prendre. Cela dit, à Lyon même, la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> PCL autorise un tant soitpeu un travail dans <strong>ce</strong>tte direction ; <strong>ce</strong> n’est pas le cas pour les PE. Je ne préjuge évidemment pas de <strong>ce</strong> quise passe dans d’autres <strong>IUFM</strong>.19 Correspondant ainsi à <strong>ce</strong> qui fonde l’expérien<strong>ce</strong> ontologique selon Jean-Marc Ferry : voir Les grammairesde l’intelligen<strong>ce</strong>, éd. du Cerf 2004 ; en particulier dans l’introduction, p.9 : « “Je suis“ est plutôt la conséquen<strong>ce</strong>tirée de l’expérien<strong>ce</strong> d’une relation qui me situe comme un opposé. Mais quelle est <strong>ce</strong>tte expérien<strong>ce</strong> ? Jela disais communicationnelle en son fond. Dans la communication en effet, chacun pose chacun, non pascomme étant <strong>ce</strong>ci, mais comme posant l’autre qu’est soi-même. »<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 87


J.-F. PYDu théorique et du prescriptifAinsi, une <strong>des</strong> principales raisons pour lesquelles la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>des</strong> enseignantspeut être considérée comme <strong>universitaire</strong>, tient à mon sens à <strong>ce</strong> double vocable : le théoriqueet le prescriptif.Pour <strong>ce</strong> qui est du théorique : va et vient dialectique d’une part, entre le souci primordial dela pratique d’enseignement et <strong>ce</strong> qui la fonde en dernière instan<strong>ce</strong>, sans quoi <strong>ce</strong>tte pratiquene saurait être autre qu’aveugle, mais surtout, confrontation, dans le même temps, entre lesexigen<strong>ce</strong>s de l’urgen<strong>ce</strong> concrète, et <strong>ce</strong>lles plus lointaines, mains non moins réelles, du sensmême de l’action menée.Pour <strong>ce</strong> qui est du prescriptif : on considère souvent que les contenus de la <strong>formation</strong>,initiale et continue, sont déterminés par les besoins de terrain. Explicitons : sur fond d’unepratique dans sa continuité, avec ses inflexions programmatiques régulièrement mises àjour par le ministère, l’adaptation se fait au gré de la per<strong>ce</strong>ption de la réalité du rapportélève / institution, élève / enseignant. La <strong>formation</strong> serait comprise, donc, selon <strong>ce</strong> termed’adaptation, sur fond d’une permanen<strong>ce</strong> qui serait <strong>ce</strong>lle de la doxa <strong>des</strong> programmes. Celarépond bien entendu à un <strong>ce</strong>rtain ordre <strong>des</strong> choses. Mais à s’en tenir à <strong>ce</strong>tte dimension àsens unique et quelque peu statique, peut-on dire que l’on satisfait au mieux aux finalitésd’une discipline scolaire et <strong>universitaire</strong> ? Non, dans la mesure où, selon <strong>des</strong> critères toutextérieurs, toute discipline doit en elle-même évoluer : critères scientifiques, sociaux,culturels, etc. Mais elle doit évoluer également du fait d’un regard extérieur à la pratiquequotidienne de l’enseignement, à même de per<strong>ce</strong>voir, dans la liberté qui est la sienne, <strong>ce</strong>qui, <strong>des</strong> fins mêmes requises par les textes, ne trouve pas facilement les moyens de sonexpression dans les pratiques telles qu’elles existent, faute d’historicisation suffisante <strong>des</strong>objectifs.BibliographieAGAMBEN G. (1978) Enfan<strong>ce</strong> et histoire. Paris, Payot (éd. 2002).AGAMBEN G. (1996) L’homme sans contenu. Circé.BELTING H. (2004) Pour un anthropologie <strong>des</strong> images. Paris, Gallimard.CASTORIADIS C. (2007) Fenêtre sur le chaos. Paris, Seuil.CASTORIADIS C. (1999) Figures du pensable. Paris, Seuil.DUBORGEL B. (1983) Imaginaire et pédagogie. Privat, (éd.1992).DEWEY J. (1938) L’art comme expérien<strong>ce</strong>. Farrago & Presses de l’Université de Pau (éd.2005).FERRY J.-M. (2004) Les grammaires de l’intelligen<strong>ce</strong>. Cerf.PÉCOIL V. (2007) « Business as usual » Art press 2.ROUX C. (1999) L’enseignement de l’art, la <strong>formation</strong> d’une discipline. JacquelineChambon.WALL J., Essais et entretiens 1984-2001. Éds ENSBA 2001-2004.88<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


6. Dispositifs de <strong>formation</strong><strong>professionnelle</strong> d’enseignants<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 89


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Évolution de la pratique <strong>des</strong> formateurs <strong>IUFM</strong>investis dans la rechercheGeneviève LameulYves Kuster<strong>IUFM</strong> de Bretagne,CREAD EA 3875 – <strong>IUFM</strong> de Bretagne – Université de Rennes 2, ERTé CALICO – INRP1. Présentation du dispositif de <strong>formation</strong> dans son contextePour bien comprendre la situation sur laquelle porte la recherche et les conditions d’évolution<strong>des</strong> pratiques que nous évoquons, nous décrirons dans un premier temps les dispositifs de<strong>formation</strong> observés et leurs contextes.Durant l’année scolaire 2004-2005, les professeurs stagiaires de scien<strong>ce</strong>s de la vie et dela terre (SVT) et d’anglais ont participé sur leurs plates-formes de <strong>formation</strong> respectives, àun forum débat sur un thème identique : « l’interrogation écrite surprise » (IES), pratique<strong>professionnelle</strong> qu’ils rencontrent couramment dans les établissements où ils effectuent leurstage et qu’ils ont connue en tant qu’élèves. Le forum débat est à situer dans le cadre d’unscénario de <strong>formation</strong> hybride, dit « présentiel enrichi » qui se décline selon les modalitéssuivantes :a) en amont : préparation à distan<strong>ce</strong> de la séan<strong>ce</strong> présentielle (lecture de documents,préparation de progressions, réponse à <strong>des</strong> Q-sort, forums etc…)b) la séan<strong>ce</strong> en présentiel consacrée au thème de l’évaluation <strong>des</strong> élèvesc) en aval : un forum de discussion prolongeant la réflexiond) une analyse collective du forum en séan<strong>ce</strong> présentielle (travail à partir d’une sortie papierdu corpus du forum et élaboration collective d’une trame argumentative)L’objectif de <strong>ce</strong>tte modalité de <strong>formation</strong> est l’élaboration d’une réflexion didactique communeet la co-construction de stratégies d’enseignement permettant éventuellement de dépasserles contradictions initialement exprimées, à partir d’un échange de points de vue et depratiques de classe. Cette activité de forum débat est présentée par les formateurs commefaisant partie intégrante de la <strong>formation</strong>, et la participation de tous est sollicitée. Le forumétudié, qui est modéré par le formateur responsable de l’activité, s’est déroulé entre le 15/11et le 12/12/04, con<strong>ce</strong>rne les PLC2 en SVT répartis sur 3 sites de <strong>formation</strong> distants (Rennes,Vannes et Brest). Le taux de participation est d’environ 80 % : 54 messages postés par 31professeurs stagiaires et le modérateur du forum.2. Explicitation de la démarche de rechercheL’une <strong>des</strong> questions essentielles qui sous-tend notre travail est la suivante : quel savoirprofessionnel se construit au sein <strong>des</strong> forums ? S’agit-il d’un savoir différent de <strong>ce</strong>lui quise construit dans d’autres modalités de <strong>formation</strong> en présen<strong>ce</strong> ? Nous spécifions tout <strong>des</strong>uite la grande particularité sur laquelle se <strong>ce</strong>ntre <strong>ce</strong>t article : les mêmes personnes sont<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 91Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (91-99) Tome 2


Y. KUSTER, G. LAMEULà la fois formateur, con<strong>ce</strong>pteur, tuteur et chercheur par rapport à <strong>ce</strong> dispositif et c’est dansl’expression combinée de <strong>ce</strong>s multiples expérien<strong>ce</strong>s que nous per<strong>ce</strong>vons le potentiel dedéveloppement <strong>des</strong> pratiques. L’association chez un même formateur d’une posture dechercheur et de formateur favorise le questionnement et l’évolution de sa pratique. L’étude<strong>des</strong> forums que nous évoquons, résulte d’un travail d’équipe (enseignants-chercheurs,formateur, chargée de mission en ingénierie) qui se déroule en plusieurs étapes :1. une analyse structurale visant à une rapide caractérisation initiale du forum (nombre demessages, temporalisation), indépendamment <strong>des</strong> contenus .2. une analyse de contenu, message par message, afin de déterminer la trame argumentativepropre à <strong>ce</strong> forum. Pour <strong>ce</strong> faire, nous avons procédé de manière « as<strong>ce</strong>ndante », enparaphrasant dans un premier temps chaque message, en regroupant dans un secondtemps les messages par proximité sémantique, et en subsumant enfin les ensembles ainsiproduits sous l’une <strong>des</strong> catégories présentes dans la trame présentée ci-<strong>des</strong>sous (figure1). Cette analyse intrinsèque <strong>ce</strong>ntrée sur les contenus mêmes <strong>des</strong> argumentations et <strong>des</strong><strong>des</strong>criptions de pratiques, s’effor<strong>ce</strong>, à partir du sens de l’action pour les acteurs, tel qu’ila pu être inféré <strong>des</strong> messages proprement dits et <strong>des</strong> commentaires sur <strong>ce</strong>s messagesproduits dans les entretiens, de comprendre la logique pratique inhérente aux actes dediscours produits dans le forum.3. une étude quantitative de la distribution dans le temps <strong>des</strong> thèmes et arguments dudébat, à partir de la catégorisation élaborée.4. une analyse qualitative reposant sur l’ensemble <strong>des</strong> premières analyses effectuées,et plus particulièrement sur <strong>ce</strong> qui fait de la modalité de <strong>formation</strong> forum-débat, un outilprivilégié d’analyse de pratiques et de construction d’un savoir professionnel.Nous pouvons dire que l’évolution de notre démarche de recherche au fil du temps sedécompose en deux principales étapes.Une première étape de recherche (2004-2005) a consisté en une étude empirique et uneanalyse linguistique du discours <strong>des</strong> professeurs stagiaires. Sa formalisation en un article(Sensevy, Hélary, Kuster & Lameul, 2006) nous permet de caractériser la production au seindu forum comme :• un mixte de formes argumentatives (entre dissertation philosophique, témoignage depratiques et colloque épistolaire)• un discours argumentatif très polyphonique (Bakhtine, 1970 ; Ducrot, 1984)• la construction d’un sociolecte qui fait que <strong>ce</strong>rtains mots, introduits par un participant,sont adoptés spontanément par d’autres, devenant <strong>des</strong> mots-repères servant au groupe, àconstruire ses catégories d’arguments.Est ainsi posée l’hypothèse de la construction d’un collectif de pensée et de la structurationd’un réseau de significations partagées (grounding, Baker, 1999) que l’équipe de recherchea souhaité appréhender avec plus de précisions. Raison pour laquelle elle s’est enquised’outils d’analyse plus élaborés pour aller plus loin dans la compréhension de <strong>ce</strong>tte nouvellemodalité de <strong>formation</strong>. Pour une étude plus détaillée : Sensevy G. Kuster Y. Hélary F. & Lameul G. (2005) « Le forum débat : undispositif d’apprentissage collaboratif en <strong>formation</strong> initiale d’enseignants », in Distan<strong>ce</strong> et savoir , 3-4. Nous entendons <strong>ce</strong> terme au sens de la logique inhérente au sens pratique <strong>des</strong> acteurs, tel qu’il a été parexemple décrit par Bourdieu (1980). Il s’agit donc d’une logique dont la rationalité ne peut se comprendre sansla prise en compte <strong>des</strong> contraintes particulières qui pèsent sur l’action en situation. Etude produite avec l’aide d’un logiciel d’analyse textuelle (Sphinx) et d’un tableur (EXCEL).92<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Évolution de la pratique <strong>des</strong> formateurs <strong>IUFM</strong> investis dans la rechercheLa seconde étape de notre recherche (2006-2007) se caractérise principalement par l’usagedu cadre d’analyse multidimensionnel développé par Weinberger et Fischer (2006) que nousavons découvert au fil de nos lectures. Mis à profit pour analyser quantitativement le discours<strong>des</strong> professeurs stagiaires et articulé avec l’analyse qualitative développée auparavant ,<strong>ce</strong>lui-ci permet d’envisager la construction de connaissan<strong>ce</strong>s au sein <strong>des</strong> forums étudiésselon quatre dimensions complémentaires : participative, épistémique, argumentative etsociale.Cette analyse en cours reste à poursuivre et à partager avec d’autres <strong>IUFM</strong>, d’autresorganismes de <strong>formation</strong> ou laboratoires de recherche investis dans <strong>des</strong> mêmes démarches.Mais dès à présent elle nous permet de repérer <strong>des</strong> éléments de construction de savoirtrès intéressants qui vont interroger l’évolution <strong>des</strong> pratiques <strong>des</strong> formateurs et professeursstagiaires en question. Sans entrer dans le détail car <strong>ce</strong> n’est pas notre objet principal dansle cadre de <strong>ce</strong>t article, un bilan d’étape par rapport à nos questions de recherche peut êtredressé de la manière suivante.• Est confirmé le fait que l’asynchronie de <strong>ce</strong> type d’échanges autorise une prise de distan<strong>ce</strong>con<strong>ce</strong>ptuelle favorisée par la structure sémiotique du forum.• La présen<strong>ce</strong> d’une argumentation cohérente mais très distribuée valide notre hypothèsede la construction d’un collectif de pensée.• Il y a bien existen<strong>ce</strong> de séquen<strong>ce</strong>s argumentatives propi<strong>ce</strong>s à l’acquisition de connaissan<strong>ce</strong>s.• Le fait que <strong>ce</strong>lles-ci soient surtout repérées sur les 5 intervenants les plus impliqués,nous questionne sur la réalité de l’apprentissage <strong>des</strong> enseignants stagiaires qui restent plusspectateurs qu’acteurs dans <strong>ce</strong> pro<strong>ce</strong>ssus.3. Le forum débat, une modalité de <strong>formation</strong>productri<strong>ce</strong> d’une argumentation distribuéeComme nous l’avons dit en introduction, nous nous intéressons à la manière dont au seindu forum en question, <strong>ce</strong>t échange de points de vue et de pratiques de classe relatifs àl’évaluation <strong>des</strong> élèves, participe à l’élaboration d’une réflexion didactique commune et à laco-construction de stratégies d’enseignement.La figure1, élaborée à l’issue de l’analyse de contenu effectuée en phase 1 (2004-2005) selon les modalités ci-<strong>des</strong>sus décrites, nous permet de dresser une trame argumentative dudébat IES SVT qui distingue bien deux rapports principaux à l’interrogation écrite surprise :une partie <strong>des</strong> intervenants se pla<strong>ce</strong> dans une dynamique favorable à <strong>ce</strong>tte pratique (partiedroite du schéma) ; l’autre partie produit plutôt <strong>des</strong> arguments défavorables (partie gauchedu schéma). Nous avons utilisé la « méthode <strong>des</strong> juges » : deux d’entre nous effectuent séparément une analyse ;<strong>ce</strong>s analyses sont ensuite confrontées pour aboutir à une catégorisation commune, discutée et validée parl’ensemble <strong>des</strong> auteurs. L’analyse de la construction par les professeurs stagiaires de construits cognitifs que nous présentons ici(2004-05) a été approfondie en 2006-07 : recherche de l’existen<strong>ce</strong> de séquen<strong>ce</strong>s argumentatives selon lemodèle de Weinberger et Fischer. Voir Kuster, Y., Lameul, G., Glais, B. & Hélary, F. (2007)<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 93


Y. KUSTER, G. LAMEULFigure1 : Trame argumentative du forum débat IES SVTNous avons une partition entre arguments favorables et arguments défavorables qui s’établitcomme suit :Les arguments favorables se distinguent en 6 gran<strong>des</strong> catégories :L’IES se présente comme un moyen d’initier, de maintenir et d’évaluer le travail régulier <strong>des</strong>élèves. Nous avons là une catégorie « contrôle » que nous subdivisons en trois :1- « contrôle contrat » : né<strong>ce</strong>ssité pour le professeur de contrôler le travail <strong>des</strong> élèves horsde la classe, l’injonction seule ne suffit pas.2 - « contrôle justi<strong>ce</strong> » : l’IES est un moyen juste d’évaluer le travail <strong>des</strong> élèves ;3 - « contrôle pression » : les élèves ne travaillent pas spontanément, l’IES est un moyende pression effica<strong>ce</strong>.Trois autres catégories ont pu être isolées :4 - « étayage » : l’IES est un étayage fonctionnel né<strong>ce</strong>ssaire pour que l’élève devienneautonome dans son travail. Son rôle est formatif : elle aide l’élève à repérer ses difficultés.5 - « droits/devoirs » : travailler régulièrement est un devoir pour l’élève, l’IES est donc undroit pour le professeur.6 - « punition » : l’IES est aussi un moyen de sanction contre l’indiscipline, l’IES étant alorsdéconnectée de son contexte évaluatif.94<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Évolution de la pratique <strong>des</strong> formateurs <strong>IUFM</strong> investis dans la rechercheLes arguments défavorables se distinguent en 4 gran<strong>des</strong> catégories :1 - « rupture contrat » : les argumentations défavorables se fondent pour la plupart surl’aspect « surprise » de l’IES, qui apparaît comme une rupture du contrat didactique.2 - « ambian<strong>ce</strong> » : <strong>ce</strong>tte rupture risque d’introduire dans la classe une mauvaise ambian<strong>ce</strong>en compromettant les relations professeur-élèves.3 - « stress » : l’IES peut être génératri<strong>ce</strong> de stress pour les élèves, stress nuisible àl’apprentissage.4 - « contexte rythme » : l’IES paraît incompatible avec le rythme de travail <strong>des</strong> élèves :organisation du travail tenant compte <strong>des</strong> exigen<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> autres disciplines, et du calendrierde l’ensemble <strong>des</strong> devoirs.Nous notons au passage qu’une idée, trans<strong>ce</strong>nde l’opposition, et se trouve à la fois dansles messages favorables et défavorables à l’IES : c’est <strong>ce</strong>lle de « régularité du travail » ;c’est le résultat de <strong>ce</strong>tte analyse qui nous met sur la piste de la construction du collectif depensée au sein du forum.Notre objectif principal étant ici de laisser entrevoir le potentiel de la démarche de recherche,nous nous limiterons à la présentation de <strong>ce</strong>tte bribe d’analyse. Rappelons que <strong>ce</strong> qu’ilnous importe de donner à voir, c’est en quoi l’implication <strong>des</strong> formateurs dans la rechercheconstitue une opportunité de « s’outiller » pour lire leurs activités et ses différents effets demanière tout à fait originaleLe forum-débat apparaît alors comme un cadre de <strong>formation</strong> extrêmement intéressant pourla raison qu’il permet que le sens de l’action <strong>professionnelle</strong> née <strong>des</strong> échanges (interaction ettransaction) entre les participants au débat, devienne la matière même de leur <strong>formation</strong>. Dansune telle perspective, nous questionnons tout particulièrement les effets de l’engagement<strong>des</strong> formateurs dans une recherche portant sur leurs propres pratiques <strong>professionnelle</strong>s.L’aller-retour entre pratiques <strong>professionnelle</strong>s et recherche qu’il facilite, nous apparaît icicomme un élément essentiel pour nourrir la dynamique de création et de renouvellement <strong>des</strong>avoir professionnel et sensibiliser les enseignants à l’intérêt d’une plus grande ouvertureà la recherche (résultats et inspiration méthodologique) dans le cadre de leur parcours dedéveloppement professionnel (Charlier, Daele, 2006).4. Les effets de la démarche de recherche sur les formateursNous nous devons de préciser que le projet de recherche de l’<strong>IUFM</strong> de Bretagne dont nousparlons, n’est pas un projet de recherche-action mais vise plutôt une recherche fondamentale.Nous en soulignons d’autant plus fort les résultats en terme d’évolution de pratiques<strong>professionnelle</strong>s <strong>des</strong> formateurs, que <strong>ce</strong>lle-ci n’est pas attendue a priori. C’est cheminfaisant que nous nous rendons compte que tout en s’investissant dans la recherche, lesformateurs-chercheurs transforment leur pratique. Un changement progressif de pratiques<strong>professionnelle</strong>s (non conscient/non choisi) s’installe au fil de l’investissement dans la démarchede recherche. Il va se traduire par les éléments suivants :• introduction d’une analyse a priori de leurs attendus par rapport à l’usage du forum dansle dispositif de <strong>formation</strong>, Cette analyse a fait l’objet d’une communication au colloque « La langue de la communication médiatiséepar les TIC »., Bordeaux, 18 au 20/5/06 http://www.u-bordeaux3.fr/fle_2003/CMT2006/Presentation1.htm<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 95


Y. KUSTER, G. LAMEUL• clarification de <strong>ce</strong> fait, <strong>des</strong> objectifs poursuivis en <strong>formation</strong>,• analyse de sa pratique de formateur à l’occasion du retour sur <strong>ce</strong>t a priori au cours dela démarche de recherche et de l’exposition de ses con<strong>ce</strong>ptions aux autres membres dugroupe recherche,• participation <strong>des</strong> formateurs de façon privilégiée à la clarification con<strong>ce</strong>ptuelle <strong>des</strong>thématiques abordées et à l’analyse critique <strong>des</strong> pratiques décrites,• inspiration <strong>des</strong> outils de la recherche pour l’analyse de leur production par les stagiaires,• modification du pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong> par l’institutionnalisation d’un temps d’analysedu contenu du forum avec les stagiaires en fin de forum : travail en petits groupes àpartir <strong>des</strong> co<strong>des</strong> de schématisation donnés par le formateur, confrontation <strong>des</strong> différentesschématisations et mise en débat.En faisant partager leurs résultats et démarches de recherche avec les stagiaires, lesformateurs-chercheurs développent une utilisation formative <strong>des</strong> forums débats qui engagele pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong> dans le sens d’un dépla<strong>ce</strong>ment du partage <strong>des</strong> responsabilitésformatives vers les professeurs stagiaires : <strong>ce</strong>ux-ci produisent, grâ<strong>ce</strong> à l’entrela<strong>ce</strong>ment<strong>des</strong> <strong>des</strong>criptions de leurs pratiques effectives et de l’organisation de leurs raisons d’être, lamatière même de la <strong>formation</strong>.L’utilisation du forum débat en tant que modalité de <strong>formation</strong> complémentaire aux autresmodalités du dispositif, participe à la clarification con<strong>ce</strong>ptuelle <strong>des</strong> notions utilisées dans leséchanges. Elle constitue une opportunité pour les formateurs de porter un autre regard surla relation <strong>des</strong> stagiaires à la pratique dans <strong>ce</strong>s échanges à distan<strong>ce</strong>. Elle contribue ainsià permettre aux formateurs et aux stagiaires, d’accéder au sens de l’action <strong>professionnelle</strong>au cœur <strong>des</strong> échanges. Et il nous semble bien que l’implication <strong>des</strong> formateurs dans larecherche accélère <strong>ce</strong> né<strong>ce</strong>ssaire pro<strong>ce</strong>ssus de décodage. Ceci nous conduit à questionnerl’intervention dans le forum ainsi que son analyse en tant que situation de développementde nouvelles compéten<strong>ce</strong>s.5. Un repérage <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s collectives facilitéEn précisant la variété <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s qui sont sus<strong>ce</strong>ptibles de se développer au seind’un forum en ligne, nous cherchons à présent à illustrer la richesse potentielle à laquellepeut conduire l’investissement <strong>des</strong> formateurs dans une démarche de recherche. Nousavons bien conscien<strong>ce</strong> que le forum-débat n’est pas né<strong>ce</strong>ssairement la modalité la pluspropi<strong>ce</strong> au développement de compéten<strong>ce</strong>s collectives : la mutualisation et l’organisation<strong>des</strong> projet pédagogiques visant à produire une séquen<strong>ce</strong> en classe, qui font partie de <strong>ce</strong>même dispositif sont <strong>ce</strong>rtainement plus riches de <strong>ce</strong> point de vue. Cependant, il nous apparaîtassez clairement que le forum-débat développe <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s individuelles sus<strong>ce</strong>ptiblesd’être réinvesties dans un travail collectif : il joue un peu comme un lieu propédeutique pourde nouvelles formes de travail ou de vie collectives. Nous retrouvons par exemple dansl’analyse <strong>des</strong> interactions sociales, les quatre niveaux hiérarchiques qui selon Gilly (1988),qualifient la collaboration :• la co-élaboration avec acquies<strong>ce</strong>ment (l’accord d’un sujet à valeur de contrôle de lasituation proposée par l’autre)96<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Évolution de la pratique <strong>des</strong> formateurs <strong>IUFM</strong> investis dans la recherche• la co-construction (co-élaboration sans désaccord où les partenaires participent ensembleà l’élaboration d’une solution)• la confrontation (avec désaccord qui amène l’autre à rechercher <strong>des</strong> arguments)• la confrontation contradictoire (où l’on observe <strong>des</strong> oppositions de réponses, <strong>des</strong> contrepropositionsavec la présen<strong>ce</strong> d’un conflit socio-cognitif).À la pensée réflexive que nous avons soulignée dans la collaboration entre stagiaireset formateur sur le forum, s’adjoint une dynamique cognitive par rapport à laquelle lespratiques ordinaires de formateur sont peu outillées. Les formateurs-chercheurs dontnous parlons, semblent de par leur investissement dans la démarche méthodologique derecherche, engagés dans une voie de professionnalisation qui les conduit à mieux per<strong>ce</strong>voir<strong>ce</strong>t ensemble d’habiletés cognitives de haut niveau (Henri & Lundgren-Cayrol, 2001) quicompose la dynamique cognitive évoquée :• pensée critique et créative : chacun <strong>des</strong> niveaux de la collaboration ci-<strong>des</strong>sus évoqué offre<strong>des</strong> potentialités de développement de compéten<strong>ce</strong>s qui trouvent à s’actualiser pendantle déroulement même du forum, mais aussi dans la <strong>formation</strong> présentielle qui lui succède :l’analyse du contenu <strong>des</strong> échanges et de <strong>ce</strong>rtaines de leurs spécificités discursives y estmenée de manière réflexive, plus systématique. Les forums-débats peuvent donc constituerla matière première de dispositifs réflexifs les prenant comme objet, afin notamment que lacognition distribuée (Hutchins, 1995) qu’ils ont suscitée puisse être portée à la conscien<strong>ce</strong>et faire elle-même l’objet d’une nouvelle étude de la part <strong>des</strong> participants au forum.• compéten<strong>ce</strong>s argumentatives : peuvent ainsi venir dans l’argumentation, motivées enparticulier par le jeu de la « dispute », <strong>des</strong> expressions qui témoignent de rapports à laprofession, aux élèves, aux savoirs eux-mêmes, que les formateurs n’avaient pas eu lapossibilité de constater.• métacognition : un tel forum met en éviden<strong>ce</strong> le poids insoupçonné, comme matri<strong>ce</strong><strong>des</strong> pratiques mises en œuvre par les jeunes professeurs, de leur propre passé d’élèves,dans le renversement que Bourdieu (1980) avait mis en éviden<strong>ce</strong> comme forme majeurede production de dispositions dans le monde social : un professeur se conduit avec sesélèves dans une <strong>ce</strong>rtaine mesure comme (<strong>ce</strong>rtains de) ses professeurs (ne) se sont (pas)conduits avec lui lorsqu’il était élève. Dans une autre perspective, c’est aussi, à traversle discours <strong>des</strong> stagiaires, à leur propres pratiques que peuvent se trouver confrontésles formateurs : le forum débat peut alors apparaître comme une occasion d’analyse <strong>des</strong>pratiques d’enseignement et de <strong>formation</strong>• compéten<strong>ce</strong>s à savoir dire par écrit : il faut souligner que l’association de la formalisationde la pensée correspondant aux exigen<strong>ce</strong>s de l’écrit et de la concision due à la né<strong>ce</strong>ssairebrièveté <strong>des</strong> messages sur forum, constitue un ensemble de contraintes, potentiellementfavorables à la réflexion accompagnant les prises de décisions sur le terrain.• habiletés à partager et capacités d’ouverture : il nous semble que la médiatisation permetune meilleure connaissan<strong>ce</strong> (proximité, intimité) <strong>des</strong> acteurs, donnant en <strong>ce</strong>la, sens àl’ouverture d’une modalité de <strong>formation</strong>, dans la mesure où les productions <strong>des</strong> stagiairesprennent le statut de « fenêtres » ouvertes à la fois sur les con<strong>ce</strong>ptions et sur les pratiqueseffectives. Dans une telle perspective, la distan<strong>ce</strong> à la fois temporelle et spatiale de lacommunication médiatisée dans le forum débat, nous semble jouer un rôle décisif : chaqueparticipant peut s’inscrire, à la fois dans ses propres productions (témoignages de pratiqueset argumentations quant aux raisons d’être de <strong>ce</strong>s pratiques) et fa<strong>ce</strong> à <strong>ce</strong>lle <strong>des</strong> autres,<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 97


Y. KUSTER, G. LAMEULdans l’étude et dans la délibération, tout en participant à la construction d’un collectif depensée élaboré par le travail en retour sur <strong>ce</strong>s productions. L’apport de la distan<strong>ce</strong>, dès lorsqu’elle s’institue dans le travail formatif ainsi que la forme collaborative du travail demandé,nous apparaissent tout à fait propi<strong>ce</strong>s au développement de savoir professionnel.Nous venons à <strong>des</strong>sein de faire un développement assez long sur les compéten<strong>ce</strong>s. Comme<strong>ce</strong>la a été énoncé en introduction, une première raison traduit notre volonté d’en montrer larichesse, la variété et la complexité. Une autre raison révèle notre conviction que l’ensemblede <strong>ce</strong>s compéten<strong>ce</strong>s con<strong>ce</strong>rne tous les formateurs dans le sens où à la fois ils ont à lesmettre en œuvre au sein <strong>des</strong> dispositifs de <strong>formation</strong> hybri<strong>des</strong> lors de leurs interventions,et à la fois ils ont à apprendre à les repérer et à les analyser pour les exploiter au mieuxpédagogiquement.6. Quelques réflexions pour développer l’investissement<strong>des</strong> formateurs en rechercheNous venons de témoigner <strong>des</strong> possibles effets d’un investissement <strong>des</strong> formateurs dansune démarche de recherche, sur leurs pratiques <strong>professionnelle</strong>s : questionnement indirectde leurs pratiques, sour<strong>ce</strong> de création de nouvelles modalités de <strong>formation</strong>, évolution vers<strong>des</strong> modalités de co-construction de savoir, sensibilisation à l’intérêt <strong>des</strong> apports de larecherche (tant en termes de résultats que de méthodologie) et à son lien organique avecla <strong>formation</strong>.Notre pratique réflexive de recherche nous conduit à nous situer par rapport à l’évolutionré<strong>ce</strong>nte <strong>des</strong> textes ministériels régissant l’organisation de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants, età faire un rapprochement avec les « attendus » du ré<strong>ce</strong>nt cahier <strong>des</strong> charges <strong>IUFM</strong> (BO4/1/07) qui précise que le développement de compéten<strong>ce</strong>s ancrées dans la recherchegarantit la qualité <strong>des</strong> formateurs. Un extrait du point 2.1 « Une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>en alternan<strong>ce</strong> », stipule que […] l’université veillera à la qualité <strong>des</strong> formateurs : <strong>des</strong>enseignements de master ou <strong>des</strong> séminaires « <strong>formation</strong> de formateurs » de même qu’une<strong>formation</strong> par la recherche (doctorat) pourront y contribuer. Le point 2.4 intitulé « Undispositif de <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> articulé à la recherche <strong>universitaire</strong> et garantissant laqualité <strong>des</strong> formateurs » précise que […] en <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> initiale, les maîtresdoivent être initié à la recherche scientifique, à ses résultats et à ses applications dansl’enseignement… »Il nous semble que le sens de la démarche associant recherche et <strong>formation</strong> que nousprésentons ici, s’inscrit bien dans <strong>ce</strong> cadre et mérite d’être questionnée et approfondie pourune extension généralisée à un plus grand nombre de formateurs.En dépit <strong>des</strong> quelques limites que peuvent présenter <strong>des</strong> occupations de double posture(formateur et chercheur), comme par exemple le risque de confusion <strong>des</strong> objectifs et <strong>des</strong> rôles,le développement que nous venons de faire, témoigne plutôt d’une ouverture prospective àne pas négliger pour les acteurs du développement professionnel enseignant. A conditionprécisément de réfléchir et de travailler <strong>ce</strong> que signifie la tenue d’une posture (Lameul,2006), les formateurs investis dans la recherche sont en situation d’optimiser leur réflexion.Bénéficiant d’un éclairage différent et vivant une situation de mise en dialogue optimaleentre pratique et recherche, ils sont en capacité de décupler leurs for<strong>ce</strong>s d’interventiondidactique et pédagogique.Toutefois, nous savons bien que si pour toutes les raisons ci-<strong>des</strong>sus évoquées, l’incitation98<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Évolution de la pratique <strong>des</strong> formateurs <strong>IUFM</strong> investis dans la rechercheà s’engager dans une démarche de recherche est intéressante et importante pour le développementprofessionnel <strong>des</strong> formateurs, <strong>ce</strong>tte double démarche n’est pas immédiatementac<strong>ce</strong>ssible à tous les formateurs. C’est pourquoi il nous parait utile d’introduire un autreniveau de préoccupation pour développer <strong>ce</strong>tte dynamique : la con<strong>ce</strong>ption d’outils intermédiaires(moins sophistiqués que <strong>ce</strong>ux de la recherche tout en s’en inspirant) qui à moindreinvestissement permettraient d’accéder à la richesse d’analyse que nous avons tenté demettre en lumière. La <strong>formation</strong> <strong>des</strong> formateurs est alors tout particulièrement interpellée.BibliographieBakhtine M. (1990) La poétique de Dostoïevski. Paris, Seuil.Baker M.J., Hansen T., Joiner R., Traum D. (1999). “ The role of grounding incollaborative learning tasks ” in P. Dillenbourg (Ed.) Collaborative Learning : Cognitiveand Computational Approaches pp. 31-63. Amsterdam, Pergamon/Elsevier Scien<strong>ce</strong>.Charlier B. & Daele A (2006) Comprendre les communautés virtuelles d’enseignants,Pratiques et recherche. Bruxelles, de Boeck.Ducrot O. (1984) Le Dire et le dit. Paris, Minuit.Fleck L. (1934/2005) Genèse et développement d’un fait scientifique. Paris, Les BellesLettres.HUTCHINS E. (1995) Cognition in the Wild. Cambridge, The MIT Press.Kuster Y., Hélary F., Lameul G. (2006) « Dispositifs de travail collaboratif àdistan<strong>ce</strong> à l’<strong>IUFM</strong> de Bretagne en <strong>formation</strong> initiale » in G.-L. Baron et E. Bruillard (Eds),Technologies de communication et <strong>formation</strong> d’enseignants : vers de nouvelles modalitésde professionnalisation ?KUSTER Y., LAMEUL G., GLAIS B., HELARY F. (2007) Un cadre d’analyse d’un débatargumentatif. Communication au colloque EIAH Lausanne.Lameul G. (2006) Former <strong>des</strong> enseignants à distan<strong>ce</strong> ? Étude <strong>des</strong> effets de la médiatisationde la relation pédagogique sur la construction <strong>des</strong> postures <strong>professionnelle</strong>s. Paris Xthèse.Sensevy G., Kuster Y., Hélary F., Lameul G. (2006) « Le forum débat : un dispositifd’apprentissage collaborative en <strong>formation</strong> initiale d’enseignants » Distan<strong>ce</strong> et savoir n° 3-4.Weinberger A., Fisher F. (2006) « A framework to analyse argumentative knowledgeconstruction in computer-supported collaborative learning » Computers & education 46, pp.71-95.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 99


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Quels savoirs sur et pour le travail collectif<strong>des</strong> enseignants ?Michel Grangeat<strong>IUFM</strong> de l’académie de Grenoble, Laboratoire de scien<strong>ce</strong>s de l’éducation EA 602L’arrêté du 19 dé<strong>ce</strong>mbre 2006 portant cahier <strong>des</strong> charges de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres en institut<strong>universitaire</strong> de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres (<strong>IUFM</strong>) énon<strong>ce</strong> dix compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s quidoivent être prises en compte dans la <strong>formation</strong> de tous les maîtres. Il est noté que <strong>ce</strong>scompéten<strong>ce</strong>s sont toutes également indispensables. La compéten<strong>ce</strong> numéro 9 con<strong>ce</strong>rnele fait de parvenir à « travailler en équipe et coopérer avec les parents et les partenairesde l’école ». Il est alors précisé que – en s’appuyant sur le conseil <strong>des</strong> maîtres à l’école, leconseil pédagogique au collège ou au lycée – chaque professeur doit pouvoir :– participer à la vie de l’école ou de l’établissement ;– contribuer à la vie de l’institution scolaire à l’échelle de la circonscription du premier degré,du département, de l’académie ou même à <strong>ce</strong>lle du territoire national ;– travailler avec les équipes éducatives de l’école et de ses classes ainsi qu’avec <strong>des</strong>enseignants de sa ou de ses disciplines ;– coopérer avec les parents et les partenaires de l’école ;– aider l’élève à construire son projet d’orientation.L’objectif de <strong>ce</strong>tte communication est de comprendre comment se développent de tellescompéten<strong>ce</strong>s au travail collectif <strong>des</strong> enseignants (TCE) afin de con<strong>ce</strong>voir <strong>des</strong> <strong>formation</strong>squi puissent initier ou stimuler <strong>ce</strong>tte dynamique. À <strong>ce</strong>tte fin, <strong>ce</strong> texte s’organise en troisparties. La première vise à définir l’activité <strong>professionnelle</strong> qui est sous-tendue par le TCE ;il s’agira de comprendre comment étudier les compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s relativesau TCE. La seconde s’appuie sur une étude empirique afin de préciser les facteurs quiinfluent sur l’expertise dans le TCE. La dernière, référée aux étu<strong>des</strong> sur l’ingénierie <strong>des</strong><strong>formation</strong>s <strong>universitaire</strong>s en alternan<strong>ce</strong>, tirera <strong>des</strong> perspectives dans le cadre de la <strong>formation</strong><strong>professionnelle</strong> <strong>des</strong> enseignants.Définir l’activité <strong>professionnelle</strong> sous-tendue par le TCEEn complément <strong>des</strong> aspects traditionnels du métier, de ses fonctions didactiques etpédagogiques, le travail enseignant comporte une part collective grandissante mais quireste souvent mal définie. L’analyse <strong>des</strong> textes officiels français permettra <strong>ce</strong>pendant dedécrire les formes du TCE ainsi que les compéten<strong>ce</strong>s attendues. Le cadre con<strong>ce</strong>ptuel etméthodologique de la didactique <strong>professionnelle</strong> permettra préciser <strong>des</strong> démarches d’étudedu TCE.Des évolutions ré<strong>ce</strong>ntes vers plus de collectif dans l’enseignementLe travail collectif <strong>des</strong> enseignants (TCE) prend une importan<strong>ce</strong> croissante, comme lemontrent la note de synthèse de Maroy (2006) ou l’étude de Mar<strong>ce</strong>l et Piot (2005) surles évolutions ré<strong>ce</strong>ntes du métier en Europe. En Fran<strong>ce</strong>, <strong>ce</strong>tte importan<strong>ce</strong> est confirméepar les textes officiels ré<strong>ce</strong>nts – la loi d’orientation pour l’école, les programmes pour les<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 101Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (101-110) Tome 2


M. GRANGEATmatières scientifiques ou le cahier <strong>des</strong> charges pour la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> enseignants –qui induisent tous plus de coopérations entre les enseignants ou plus de partenariats avec<strong>des</strong> institutions proches de l’école (Grangeat, & Munoz, 2006). Au niveau européen, parexemple en Grande-Bretagne, <strong>ce</strong>t accroissement du collectif peut aussi s’observer. Ainsi,dans le système éducatif d’Écosse, a été créée une nouvelle catégorie d’enseignants àqui une responsabilité importante est attribuée dans les aspects collectifs du travail. Ils’agit, pour eux, d’agir comme une ressour<strong>ce</strong> auprès de leurs collègues, notamment en<strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne la prise en charge de la diversité <strong>des</strong> élèves ; de s’impliquer dans lesdispositifs de <strong>formation</strong> continue et dans l’accueil <strong>des</strong> jeunes enseignants ; et enfin, detravailler en collaboration avec les parents d’élèves et les professionnels exerçant dansleur secteur scolaire (Grangeat, & Gray, 2007). Une évolution identique peut être repéréepour les formateurs, et notamment les formateurs d’enseignants, puisque, dans les cursus,se développent les <strong>formation</strong>s sur le terrain, par immersion en pleine responsabilité ou partutorat. Comme le montrent Clénet et Roquet (2005) <strong>ce</strong>s dispositifs obligent à prendre encompte <strong>des</strong> situations et <strong>des</strong> interactions plus complexes que la simple alternan<strong>ce</strong> entre lespério<strong>des</strong> <strong>des</strong> stages et <strong>des</strong> cours.L’évolution est donc forte vers une activité enseignante vue non plus uniquement commeune prestation individuelle sous un mode quasi-libéral mais comme un travail collectif. Unetelle évolution dégage un champ de recherche nouveau, à la structuration duquel <strong>ce</strong>ttecommunication se propose de contribuer. Bien évidemment, <strong>ce</strong> champ n’est pas vierge et<strong>des</strong> travaux existent déjà mais l’étude de la littérature montre que <strong>ce</strong> champ de recherchereste assez peu structuré et que <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> complémentaires sont né<strong>ce</strong>ssaires. Notreobjectif est de contribuer à <strong>ce</strong>tte structuration, tout d’abord en précisant l’activité prescrite,<strong>ce</strong> qui est officiellement demandé aux enseignants.Les textes officielsLes textes officiels français produisent une image fragmentée du TCE car, mis à part le textefixant les compéten<strong>ce</strong>s à atteindre par les enseignants à la fin de leur <strong>formation</strong>, il n’existepas d’écrit ré<strong>ce</strong>nt qui expliciterait de manière synthétique et immédiatement ac<strong>ce</strong>ssible <strong>ce</strong>qui est attendu de la part d’un enseignant en matière de travail collectif. De plus, il n’y aguère de ressour<strong>ce</strong>s matérielles – en termes de locaux mis à disposition ou de ratio <strong>des</strong>ervi<strong>ce</strong> à consacrer – qui stimulent et soutiennent la mise en œuvre du TCE. Néanmoins,une prescription existe.En fait, l’essentiel de <strong>ce</strong>tte prescription est fourni par le code de l’éducation, par la loi surl’école qui le modifie et par les textes qui en découlent et qui fixent :– les modalités de mise en pla<strong>ce</strong> <strong>des</strong> PPRE, une aide pédagogique fournie par une équipe,qui implique l’élève et qui associe sa famille, à l’école et au collège ;– l’organisation de la scolarisation <strong>des</strong> élèves en situation de handicap et <strong>ce</strong>lle du suivi deleur parcours de <strong>formation</strong> ;– les fonctions <strong>des</strong> assistants d’éducation et leur rôle dans l’aide aux élèves ;– la pla<strong>ce</strong> <strong>des</strong> parents d’élèves et leurs relations avec l’équipe enseignante.À <strong>ce</strong>s textes généraux, il convient d’adjoindre <strong>ce</strong>ux qui con<strong>ce</strong>rnent <strong>des</strong> situationsspécifiques telles que :– le renfor<strong>ce</strong>ment <strong>des</strong> actions entre établissements scolaires et partenaires locaux dans lessecteurs de l’éducation prioritaire ;– la coordination <strong>des</strong> enseignements à l’intérieur de larges domaines disciplinaires – tel102<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Quels savoirs sur et pour le travail collectif <strong>des</strong> enseignants ?que les thèmes de convergen<strong>ce</strong>s que les enseignants <strong>des</strong> disciplines scientifiques ont àconstruire en commun.L’analyse de <strong>ce</strong>s textes permet d’élaborer un référentiel <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s attendues pourle TCE.Un référentiel pour sous-tendre, améliorer ou étudier le TCEL’étude <strong>des</strong> textes officiels conduit à structurer le TCE autour de 3 dimensions : la cohéren<strong>ce</strong><strong>des</strong> actions <strong>des</strong> différents intervenants de l’activité d’enseignement ; la congruen<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>sactions avec les particularités <strong>des</strong> apprenants ; la pertinen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> actions individuelles enfonction <strong>des</strong> objectifs de l’activité collective. Ces 3 dimensions constituent un référentiel (cf.Annexe 1) qui peut sous-tendre trois approches complémentaires :– les équipes d’établissement ou les enseignants peuvent se positionner sur <strong>ce</strong> référentielafin de mieux <strong>ce</strong>rner leurs zones de réussite et préciser leurs objectifs d’amélioration ;– les formateurs peuvent mettre en relation le contenu de leurs interventions avec <strong>ce</strong>référentiel <strong>des</strong> actions attendues de la part <strong>des</strong> enseignants ;– les chercheurs peuvent bâtir <strong>des</strong> instruments de recueil de données, <strong>des</strong> entretiens ou<strong>des</strong> questionnaires, afin d’étudier le TCE.La question est alors de savoir comment se construisent <strong>ce</strong>s compéten<strong>ce</strong>s aux activitéscollectives. Sur le plan théorique, le cadre con<strong>ce</strong>ptuel de la didactique <strong>professionnelle</strong> et<strong>ce</strong>lui de l’ingénierie <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s en alternan<strong>ce</strong>, qui lui est complémentaire, permettrontde modéliser <strong>ce</strong> développement.Les compéten<strong>ce</strong>s vues comme <strong>des</strong> repères de développement professionnelCette communication s’intéresse aux compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s <strong>des</strong> individus et, toutparticulièrement, à leur développement. Il convient <strong>ce</strong>pendant de préciser d’emblée – mêmeprovisoirement – <strong>ce</strong> que nous entendons par compéten<strong>ce</strong> car la polysémie du terme estfréquemment sour<strong>ce</strong> de malentendus. Pour nous, il s’agit essentiellement du rapport à lasituation de travail construit par un individu, du positionnement dans le contexte professionnelen vue d’atteindre, de manière effica<strong>ce</strong> et durable, les buts fixés pour l’activité. Il ne s’agitdonc pas uniquement d’un niveau de performan<strong>ce</strong> et encore moins d’une simple acquisitiond’habiletés. Il s’agit plutôt, pour une large part, de “ <strong>ce</strong> qu’un sujet a pu intérioriser d’unesituation vécue, de <strong>ce</strong> qui pour lui ‘fait sens’ et donne sens à ses actions ” (Clénet, 1998 :8) et qui lui permet, dans le cadre professionnel, à partir de son expérien<strong>ce</strong>, d’accomplir defaçon satisfaisante les tâches qui lui sont attribuées, de surmonter les difficultés quotidienneset les événements imprévus tout en entretenant sa motivation au travail (Grangeat, 2006).Le développement professionnel est alors constitué par l’organisation progressive de <strong>ce</strong>réseau de significations qui est construit par l’individu au travail et qui lui permet de quitterles conduites “ au coup par coup ” propres au novi<strong>ce</strong> afin d’adopter les manières de faire plussouples, distanciées et réfléchies qui caractérisent l’expert. De <strong>ce</strong> fait, <strong>ce</strong>tte communications’intéressera prioritairement aux pro<strong>ce</strong>ssus cognitifs qui sous-tendent les compéten<strong>ce</strong>s<strong>professionnelle</strong>s.Cependant, s’intéresser à l’élaboration <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s au travail conduit, très rapidement,à observer que <strong>ce</strong> pro<strong>ce</strong>ssus n’est pas vraiment individuel et que, très largement, il s’agitd’un pro<strong>ce</strong>ssus social. De fait, la plupart <strong>des</strong> situations de travail impliquent chaque agentdans les multiples interactions induites par la part de plus en plus importante qui est<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 103


M. GRANGEATattribuée aux échanges d’in<strong>formation</strong>s, aux projets collectifs et à la répartition <strong>des</strong> tâchesentre spécialistes. Cette communication s’inscrit donc dans une approche qui accorde unepla<strong>ce</strong> première aux interactions entre les acteurs car elles déterminent le rapport au travail<strong>des</strong> agents – et donc leurs compéten<strong>ce</strong>s, au sens où nous l’avons entendu précédemment(Grangeat, 2007a). De fait, il s’agit “ de prendre en compte les interactions entre l’acteur, lesautres et le contexte en général mais aussi une double approche, sociale et cognitive, <strong>des</strong>phénomènes engageant la connaissan<strong>ce</strong> individuelle ” (Clénet, 1998 : 9). C’est la raisonpour laquelle <strong>ce</strong>tte étude s’intéresse largement aux con<strong>ce</strong>ptions <strong>des</strong> acteurs, telles qu’ellespeuvent être verbalisées et donc explicitées par eux dans le cours du travail lui-même, aucours d’entretiens spécifiques, de groupes d’analyse de l’activité ou d’ateliers d’étu<strong>des</strong> decas. Ces verbalisations, en effet, par<strong>ce</strong> qu’elles réfèrent à la part consciente <strong>des</strong> savoirsd’action, par<strong>ce</strong> qu’elles représentent une composante de l’activité réflexive de l’agent, jouentun rôle essentiel dans la conduite de l’activité (Grangeat & Besson, 2006).Les compéten<strong>ce</strong>s sont vues comme <strong>des</strong> repères du développement professionnel, et noncomme une norme appliquée aux acteurs (Grangeat, 2007b). De fait, nous nous inscrivonsdans une épistémologie constructiviste et “ enactive ”. Celle-là pla<strong>ce</strong> le sujet au cœur dela production de ses connaissan<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s – avec toute la part d’autonomie quiest la sienne dans <strong>ce</strong>tte élaboration puisque l’acteur “ est responsable de penser, d’agiret de construire ses propres connaissan<strong>ce</strong>s ” (Clénet, 2002 : 64). Celle-ci module <strong>ce</strong>tteautonomie en intégrant la dynamique propre de chaque situation dans laquelle s’inscritl’acteur ou le collectif d’acteurs ; dans <strong>ce</strong>tte mesure, “ la cognition est action incarnée(con<strong>ce</strong>pt d’enaction) en interaction forte avec les expérien<strong>ce</strong>s personnelles [...] pour lessujets engagés intentionnellement dans <strong>des</strong> environnements ” (Clénet, 2002 : 156). L’étudeprésentée ici vise donc à prendre en compte, à la fois, les caractéristiques <strong>des</strong> acteurs etles dynamiques <strong>des</strong> situations dans et avec lesquelles ils interagissent (Grangeat, 2004 ;Grangeat, & Gray, 2007).L’analyse de discours menée sur les transcriptions de 60 entretiens auprès d’enseignantsde l’Académie de Grenoble produira quelques éléments de réponse.Les facteurs qui influent sur l’expertise dans le TCEUne étude par entretiens semi-structurés a été menée auprès de 60 enseignants exerçantdans les secteurs de l’éducation prioritaire (EP) de l’agglomération de Grenoble. La populationde l’étude comporte autant de personnels en école primaire qu’en collège ; 21 sont débutants(personnes ayant moins de 30 ans et une ancienneté dans l’établissement de 2 ans au plus)et 24 expérimentés (au delà de 35 ans) ; 24 exer<strong>ce</strong>nt en secteur sensible (ZUS) et 36 ensecteur moins défavorisé (REP) ; 14 limitent leur investissement dans l’établissement auxrares réunions obligatoires (Ord) et 21 sont engagés dans de multiples interactions avecleurs collègues ou <strong>des</strong> partenaires (Resp).Parmi les compéten<strong>ce</strong>s requises <strong>des</strong> enseignantes/ts et qui font jouer la coopérationet le partenariat il y en a une qui est particulièrement intéressante dans le cadre de <strong>ce</strong>congrès : la manière dont la personne élargit le répertoire de ses pratiques <strong>professionnelle</strong>safin d’atteindre les objectifs communs de l’établissement (cf. Annexe 1, dimension 3). Afind’étudier <strong>ce</strong>tte compéten<strong>ce</strong>, ou plus justement <strong>ce</strong> que disent les enseignantes/ts de leurmanière de la mettre en œuvre, dans chaque entretien ont été sélectionnées <strong>ce</strong> qui estappelé <strong>des</strong> règles d’action qui définissent une manière d’agir (e.g. Lorsque j’ai un problèmeen classe, je cherche un collègue plus expérimenté et lui demande un avis).104<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Quels savoirs sur et pour le travail collectif <strong>des</strong> enseignants ?Selon l’ensemble <strong>des</strong> interviews (n = 60), les sujets EP disent apprendre surtout pareux-mêmes (59% <strong>des</strong> règles d’action). Néanmoins, d’autres sour<strong>ce</strong>s d’apprentissagesprofessionnels sont mentionnées : les autres enseignantes/ts (17%), les élèves (13%), lespartenaires de l’école (7%). Les programmes de <strong>formation</strong> et les apports de l’équipe dedirection ou de circonscription ne sont notés que de manière anecdotique (2%). Cependant,l’ensemble <strong>des</strong> enseignantes/ts ne dit pas élargir de la même manière le répertoire <strong>des</strong>pratiques <strong>professionnelle</strong>s personnelles.Premièrement, l’expérien<strong>ce</strong> (qui combine l’âge et l’ancienneté dans l’établissement) joue unrôle différenciateur. Un premier résultat montre que les sujets débutants sont plutôt <strong>ce</strong>ntréssur leur propre tâche : ils disent apprendre à partir d’indi<strong>ce</strong>s pris sur le comportement et lesrésultats de leurs élèves dans leur discipline. Les sujets expérimentés (plus de 35 ans) disentcompter également sur les réunions avec leurs collègues pour améliorer leurs pratiques :ils apprendraient lors de la con<strong>ce</strong>ption de progressions ou d’évaluations communes, lors derencontres avec <strong>des</strong> personnes d’autres établissements ou lors de la conduite de projets.Deuxièmement, les caractéristiques de l’environnement de travail (REP vs ZUS) apparaissentcomme un second facteur jouant sur l’élargissement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s. Eneffet, <strong>des</strong> différen<strong>ce</strong>s importantes apparaissent entre les sujets de <strong>ce</strong>s 2 secteurs bien que laproportion de débutants soit semblable (9/24 vs. 12/36). La différen<strong>ce</strong> principale tient au faitque les sujets ZUS disent apprendre en réfléchissant systématiquement, après la classe, audéroulement du cours en vue de l’améliorer dans les séan<strong>ce</strong>s futures (96 vs. 72%). Ils disentaussi plus souvent que les sujets REP qu’ils prennent confian<strong>ce</strong> en eux année après année(79 vs. 33%). Ce qui tend à montrer que la complexité de leur situation fait que, comme lesdébutants, les enseignantes/ts ZUS sont <strong>ce</strong>ntrés sur l’observation de leurs élèves dans leurclasse car elles/ils ne peuvent que très difficilement prévoir d’un jour sur l’autre comment<strong>ce</strong>lle-ci va se dérouler. De plus, les sujets ZUS disent plus souvent que les autres qu’ilsélargissent leur répertoire de savoir-faire pendant la conduite de projets communs avec<strong>des</strong> intervenants extérieurs (50 vs. 14%) ou avec <strong>des</strong> partenaires associatifs (17 vs. 3%).Ainsi, comme les sujets expérimentés, ils apprennent beaucoup grâ<strong>ce</strong> aux interactions avecd’autres professionnels. Les entretiens montrent, d’ailleurs, qu’ils sont conscients du fait quel’école, seule, ne peut faire fa<strong>ce</strong> aux difficultés que rencontrent les jeunes de <strong>ce</strong>s quartiersdans les acquisitions scolaires.Troisièmement, les opportunités offertes par l’organisation de la situation de travail modifientlargement le développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s puisque <strong>des</strong> différen<strong>ce</strong>sexistent entre les sujets Ord et Resp. Certes, l’ensemble <strong>des</strong> enseignantes/ts ne souhaitepas s’engager au même niveau dans l’activité collective mais, dans la mesure où, dansle système français, <strong>ce</strong>t engagement est libre, nous faisons l’hypothèse (appuyée sur lalecture <strong>des</strong> entretiens) que <strong>ce</strong>lui-ci dépend largement de la qualité <strong>des</strong> opportunités offertespar l’environnement de travail. La variable engagement (Ord vs Resp) est donc considéréeici non pas comme décrivant les personnes mais les organisations ; l’analyse quantitativemenée sur <strong>ce</strong>s entretiens montre que <strong>ce</strong>tte variable exer<strong>ce</strong> une influen<strong>ce</strong> plus importanteque l’âge et le secteur scolaire (Grangeat, 2007c). Les entretiens montrent que les sujetsOrd comptent principalement sur eux-mêmes pour améliorer leurs enseignements : ils disentauto-évaluer leurs enseignements après la classe plus que les sujets Resp (71 vs 48 %)afin de cibler leurs propres faiblesses (28 vs 12 %). Ils préfèrent discuter avec <strong>des</strong> collègueschoisis par affinité (21 vs 8 %) plutôt que dans <strong>des</strong> réunions formelles et échanger avecles partenaires dans le cadre de leur propre classe (31 vs 20 %) plutôt que dans de vastesprojets. À l’inverse, les sujets Resp disent écrire les résultats de leurs observations sur les<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 105


M. GRANGEATeffets de leurs enseignements afin de les réutiliser ultérieurement (32 vs 7 %). Pour eux, leséquipes représentent <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s pour surmonter les difficultés <strong>professionnelle</strong>s (84 vs71 %) : ils échangent d’ailleurs <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> avec leurs collègues d’autres établissements(36 vs 0 %) et interrogent leurs élèves sur la pertinen<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>s démarches (12 vs 0 %).Pour élargir leur répertoire de savoir-faire, ils déclarent utiliser aussi les TIC et notammentl’internet (28 vs 0 %), les programmes de <strong>formation</strong> formelle (24 vs 7 %) et les échangesavec les équipes de direction ou de circonscription (12 vs 0 %). Dans <strong>ce</strong> sens, les sujetsOrd apparaissent <strong>ce</strong>ntrés sur le cœur du métier alors que les Resp semblent tirer profitd’interactions variées dans le cadre d’un environnement de travail très élargi.Perspectives dans le cadre d’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong><strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignantsCes résultats montrent que : 1) les enseignants considèrent que leurs savoirs professionnelssont essentiellement issus <strong>des</strong> échanges entre pairs ou avec <strong>des</strong> partenaires ; 2) leurscompéten<strong>ce</strong>s sont significativement plus développées lorsque les agents peuvent s’inscriredans un réseau d’interactions en relation avec leurs problèmes professionnels ; 3) l’âge estun facteur déterminant puisque les jeunes débutants et les anciens très expérimentés ont<strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s significativement moindres que la tranche d’âge moyenne.Ces résultats sont cohérents avec <strong>ce</strong> que l’on sait du travail collectif dans d’autres professions(Rogalski & Marquié, 2004 ; Boreham & Morgan, 2004). Reste à déterminer <strong>ce</strong> qu’ilspermettent de dire d’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants sachantque, conformément à l’arrêté cité en préambule et qui l’organise, nous parlons d’une <strong>formation</strong>en alternan<strong>ce</strong>.Reconnaître la for<strong>ce</strong> et la dynamique <strong>des</strong> savoirs expérientiels élaborés par le sujet est lepremier constat auquel conduit <strong>ce</strong>tte étude. De fait, <strong>ce</strong> que pensent les enseignants c’estque leurs savoirs de métier sont issus, à la fois, de la réflexion sur leurs propres pratiques et<strong>des</strong> échanges professionnels avec <strong>des</strong> collègues ou avec <strong>des</strong> partenaires. La con<strong>ce</strong>ption dela <strong>formation</strong> ne peut éluder totalement <strong>ce</strong>tte con<strong>ce</strong>ption. Cependant, en la reconnaissant, ons’inscrit, en suivant Clénet (2001), dans un paradigme de <strong>formation</strong> qui prend en compte àla fois la complexité de la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> et le caractère indéterminé, imprévisibleet aléatoire <strong>des</strong> pro<strong>ce</strong>ssus d’apprentissage professionnels. De <strong>ce</strong> fait, l’accompagnement<strong>des</strong> formés occupe une pla<strong>ce</strong> <strong>ce</strong>ntrale puisque :« L’apprentissage n’est pas seulement construction autonome de sens, maisinteractions entre données “déjà-là”, propres à l’individu, et les aléas, les “possibles”rencontrés ou l’in<strong>formation</strong> contenue dans l’environnement.[…] Dès lors la fonctionaccompagnement vise à aider à mettre en lien : <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s expérientielles ; <strong>des</strong>savoirs théoriques et méthodologiques ; <strong>des</strong> actions <strong>professionnelle</strong>s finalisées.[…] Ils’agit d’autoriser un acteur en <strong>formation</strong> à produire-construire sa propre rationalité àtravers ses actions-<strong>formation</strong>s-recherches » (Clénet, 2001, 149).Un tel accompagnement comporte un risque évident de dispersion et de dilution de la<strong>formation</strong> dans <strong>des</strong> échanges sans orientation ni délimitation. Afin d’éviter <strong>ce</strong>tte dérive, noussuivrons Clénet (2001) qui balise <strong>ce</strong> pro<strong>ce</strong>ssus par trois idées for<strong>ce</strong>s :– mettre les actions <strong>professionnelle</strong>s en lien direct avec la réflexion, de manière à les rendrevali<strong>des</strong>, comprises, raisonnées, repérables théoriquement ;106<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Quels savoirs sur et pour le travail collectif <strong>des</strong> enseignants ?– agir et comprendre l’action <strong>professionnelle</strong> au sein d’un collectif, avec les autres, demanière à les comprendre en fonction de projets communs, de finalités partagées et decontextes spécifiques qui leur donnent sens ;– rendre les réflexions opératoires, les articuler à l’action, de manière à leur donner forme,à permettre aux formés de relier les habiletés tirées de l’exerci<strong>ce</strong> professionnel avec lesconnaissan<strong>ce</strong>s issues de la réflexion et les savoirs théoriques sur les pratiques.Concrètement, en se fondant sur l’expérien<strong>ce</strong> de l’IUP <strong>des</strong> métiers de la <strong>formation</strong>, Clénet(2001) décline 9 fonctions de l’accompagnement. Nous allons les indiquer ci-<strong>des</strong>sous en lestransférant au cas <strong>des</strong> stagiaires <strong>des</strong> <strong>IUFM</strong>, qu’il s’agisse <strong>des</strong> PE impliqués dans un stagefilé qui les fait rempla<strong>ce</strong>r, un jour par semaine, un directeur ou une directri<strong>ce</strong> d’école, ou <strong>des</strong>PLC qui sont chargés de cours pour un temps partiel dans un établissement. Il s’agit de :– accueillir chaque stagiaire individuellement de manière à comprendre sa démarche et sonadéquation avec la <strong>formation</strong> elle-même ;– aider le stagiaire à négocier son statut et ses fonctions dans l’établissement d’accueil demanière à lui permettre de trouver plus rapidement sa pla<strong>ce</strong> de professionnel ;– négocier un projet pédagogique entre le stagiaire, le tuteur professionnel et le tuteur<strong>universitaire</strong> de manière à coordonner l’action de chaque acteur ;– donner l’occasion aux stagiaires de con<strong>ce</strong>voir leur projet pédagogique avec un formateurde manière à renfor<strong>ce</strong>r le lien entre action, réflexion et référen<strong>ce</strong> théorique ;– permettre l’évaluation <strong>des</strong> situations par le stagiaire de manière à l’aider à mieux comprendrel’effet de ses actions sur les apprenants dont il a la responsabilité, en termes d’acquisitionsde savoirs et d’instauration de comportements pertinents ;– mettre en forme les savoirs professionnels par l’énonciation orale et écrite en s’appuyantsur <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de cas, de manière à établir un lien entre la vie du ou de la stagiaire et lescon<strong>ce</strong>ptions <strong>professionnelle</strong>s qu’il ou elle construit ;– formaliser la réflexion dans un mémoire professionnel de manière à transformer lesexpérien<strong>ce</strong>s pratiques en savoirs professionnels pouvant être réinvestis dans <strong>des</strong> situationsnouvelles ou inattendues ;– aider les stagiaires à s’inscrire dans un réseau professionnel de manière à leur permettrede penser leur propre professionnalité en articulation avec le monde professionnel dans sonentier, notamment en termes d’évolution de carrière ;– développer <strong>des</strong> coopérations autour du projet pédagogique <strong>des</strong> stagiaires en promouvantle travail coopératif, en facilitant les interactions avec <strong>des</strong> enseignants experts, en structurant<strong>des</strong> réseaux d’échanges, en optimisant l’accès aux bases de données et aux ressour<strong>ce</strong>sdocumentaires.La plupart de <strong>ce</strong>s fonctions sous-tendent <strong>des</strong> dispositifs ou <strong>des</strong> moments de <strong>formation</strong> quiexistent d’ores et déjà dans les <strong>IUFM</strong>. Les résultats de notre étude plaident en faveur d’uneprise en compte plus explicite de <strong>ce</strong>t accompagnement dans les <strong>formation</strong>s <strong>IUFM</strong>.Reconnaître la for<strong>ce</strong> <strong>des</strong> situations de travail dans la construction <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s est lesecond constat auquel conduit <strong>ce</strong>tte étude. Cette perspective ne con<strong>ce</strong>rne pas directementles <strong>IUFM</strong> mais la coordination avec leurs partenaires institutionnels en <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne lesenseignantes/ts qui débutent. Or, selon l’arrêté ministériel cité en préambule, <strong>ce</strong>s toutespremières années d’expérien<strong>ce</strong> (T1 et T2) se trouvent incluses dans la <strong>formation</strong>. Dans le<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 107


M. GRANGEATcadre de <strong>ce</strong>tte communication, nous n’insisterons pas sur <strong>ce</strong>t aspect de la <strong>formation</strong> quenous avons détaillé par ailleurs (Grangeat, & Besson, 2006). Précisons simplement qu’ils’agit de porter plus d’attention à <strong>ce</strong>s organisations du travail que Mayen (1999) qualifie <strong>des</strong>ituations potentielles de développement. En pratique, <strong>ce</strong>s situations sont intéressantesà trois niveaux : elles complètent les actions de <strong>formation</strong> classiques ; elles conduisent àidentifier <strong>des</strong> situations naturelles comme étant formatri<strong>ce</strong>s afin de mieux les utiliser ; ellesencouragent à en organiser d’autres pour qu’elles deviennent formatri<strong>ce</strong>s. Con<strong>ce</strong>rnant lesrecherches, elles conduisent à s’intéresser aux apprentissages sur le lieu de travail entreagents débutants et expérimentés (Fuller, & Unwin, 2003), aux apprentissages informels(Eraut, 2004) et à l’élaboration collective <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s qui sont inscrites dans le coursdu pro<strong>ce</strong>ssus de travail lui-même (Reeves, & Boreham, 2006).Conclusions et perspectivesCes résultats suggèrent quelques implications pour la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants : 1) Identifieret adapter la part de la <strong>formation</strong> initiale consacrée au TCE ; 2) Accompagner les stagiaires,par <strong>des</strong> dispositifs favorisant les interactions <strong>professionnelle</strong>s, dans l’élaboration et lacompréhension de leur expérien<strong>ce</strong> <strong>professionnelle</strong> ; 3) Consacrer <strong>des</strong> épiso<strong>des</strong> de <strong>formation</strong>,au cours <strong>des</strong> années d’entrée dans le métier, à <strong>des</strong> ateliers d’analyse de l’activité collective,sur la base de rencontres inter-degrés (PE et PLC) et pluri-<strong>professionnelle</strong>s (enseignants etpartenaires) ; 4) Encourager les partenariats avec les collectivités territoriales.BibliographieBOREHAM N., MORGAN C. (2004) “ A socio-cultural analysis of organizational learning ”,Oxford Review of Education 30 (3), pp. 307-325.CLÉNET J. (1998) Représentations, <strong>formation</strong>s et alternan<strong>ce</strong> – être formé et/ou se former.Paris, L’Harmattan.CLÉNET J. (2001) « L’accompagnement en <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> professionnalisante :pour aider à relier les connaissan<strong>ce</strong>s » in Pratiques de <strong>formation</strong> / Analyses, expérien<strong>ce</strong> et<strong>formation</strong> pp.143-157.CLÉNET J. (2002) L’ingénierie <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s en alternan<strong>ce</strong>, « pour comprendre c’est-àdirepour faire ». Paris, L’Harmattan.CLÉNET J., ROQUET P. (2005) « Con<strong>ce</strong>ptions et qualités de l’alternan<strong>ce</strong>. Modélisationd’une expérien<strong>ce</strong> régionale » Éducation Permanente n° 163, pp. 43-58.ERAUT M. (2004) “ Informal learning in the workpla<strong>ce</strong> ” Studies in Continuing Education. 26(2), pp. 247-273.FULLER A., UNWIN L. (2003) “ Fostering Wokpla<strong>ce</strong> Learning : looking through the lens ofapprenti<strong>ce</strong>ship ” European Educational Research Journal 2, 1, pp. 41-55.GRANGEAT M. (2004) « Effets de l’organisation de la situation de travail sur les compéten<strong>ce</strong>scurriculaires <strong>des</strong> enseignants » Revue Française de Pédagogie n° 147, pp. 27-42.GRANGEAT M. (2006) « Formation continue et développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s <strong>des</strong>enseignants » Éducation Permanente n° 166, pp. 171-188.108<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Quels savoirs sur et pour le travail collectif <strong>des</strong> enseignants ?GRANGEAT M. (2007a) « Caractériser les compéten<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> enseignants dans lesinteractions scolaires », in A. Specogna (Ed.), Enseigner dans l’interaction pp. 168-196.Nancy, PUN.GRANGEAT M. (2007b) « Contribution d’une évaluation <strong>des</strong> dispositifs d’enseignement àla modification <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>ptions <strong>professionnelle</strong>s <strong>des</strong> enseignants » in M. Behrens (Ed.) Laqualité en éducation. Pour réfléchir à la <strong>formation</strong> de demain pp. 99-125. Montréal, PressesUniversitaires du Québec.GRANGEAT M. (2007c) « Des dispositifs visant à développer les compéten<strong>ce</strong>s <strong>des</strong>enseignants dans les activités collectives » in Symposium Analyser le travail collectif <strong>des</strong>enseignants et <strong>des</strong> formateurs. Congrès international AREF 2007 (Actualité de la Rechercheen Éducation et en Formation). Strasbourg, ULP [cédérom].GRANGEAT M., MUNOZ G. (2006) « Le travail collectif <strong>des</strong> enseignants : activités decoopération et de partenariat d’enseignants de l’éducation prioritaire » Formation Emploi95, pp. 75-88.GRANGEAT M., BESSON C. (2006) « Analyse du métier d’enseignant sous l’angle <strong>des</strong>activités réflexives : conduite empirique ou proactive de l’activité ? » Formation et pratiquesd’enseignement en questions, Revue <strong>des</strong> HEP, 3, pp. 17-31.GRANGEAT M., GRAY P. (2007, i.p.) “ Factors influencing teachers’ professional competen<strong>ce</strong>development ”, Journal of Vocational Education and Training.MARCEL J.F., PIOT T. (2005) Dans la classe, hors de la classe. L’évolution de l’espa<strong>ce</strong>professionnel <strong>des</strong> enseignants. Paris, INRP.MAROY C. (2006) « Les évolutions du travail enseignant en Fran<strong>ce</strong> et en Europe : facteurs dechangement, inciden<strong>ce</strong>s et résistan<strong>ce</strong>s dans l’enseignement secondaire » Revue Françaisede Pédagogie, 155, pp. 111-142.MAYEN P. (1999) « Des situations potentielles de développement » Éducation permanente139, pp. 65-86.REEVES J., BOREHAM N. (2006) “ What’s in a vision ? Introducing an organisationallearning strategy in a Local Authority’s education servi<strong>ce</strong> ” Oxford Review of Education, 32(4), pp. 467-486.ROGALSKI J., MARQUIÉ J.-C. (2004) « Évolution <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s et <strong>des</strong> performan<strong>ce</strong>s »in J.-M. Hoc et F. Darses (Eds.) Psychologie ergonomique : tendan<strong>ce</strong>s actuelles pp. 141-174. Paris, PUF.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 109


M. GRANGEATAnnexe 1 : Référentiel pour étudier le travail collectif <strong>des</strong> enseignantsDimensions Buts Actions : Comment opère le sujet pour…Cohéren<strong>ce</strong><strong>des</strong> activitésscolaires surune longuedurée.Congruen<strong>ce</strong>entreactivitésscolaires etparticularités<strong>des</strong>apprenants.Pertinen<strong>ce</strong><strong>des</strong> activitésscolairesvis-à-vis <strong>des</strong>objectifscollectifs.Coordonner l’actionindividuelle à <strong>ce</strong>llesd’autres intervenants, afinque les élèves trouvent dela cohéren<strong>ce</strong>, du sens, aulong de leur expérien<strong>ce</strong>,de leur parcours,scolaires.Adapter les activitésd’enseignement avec ladiversité <strong>des</strong> élèves, afinque chaque apprenantrencontre, au long de sonexpérien<strong>ce</strong> scolaire, <strong>des</strong>tâches qui correspondentà <strong>ce</strong> qu’il est, à <strong>ce</strong> qu’ilsait, à <strong>ce</strong> qu’il vise.Évaluer la portée <strong>des</strong>on enseignement etmodifier les activitésd’enseignement, afind’atteindre les objectifs ducollectif et <strong>ce</strong>ux du cursusscolaire, sur une longuedurée.échanger avec d’autres collègues à propos <strong>des</strong> pratiques<strong>professionnelle</strong>s.harmoniser les activités d’enseignement avec les collèguesde la classe ou du cycle.coopérer avec les différents intervenants scolaires del’établissement, notamment le personnel spécialisé dansl’aide aux élèves en difficulté ou dans la vie scolaire.associer les partenaires de l’école dans <strong>ce</strong>rtaines activitésscolaires ou s’associer à leurs activités.participer à un projet ou un dispositif collectif visant lesapprentissages scolaires.piloter les activités ou les dispositifs collectifs, de manièreinformelle ou organisée par <strong>des</strong> réunions.varier les tâches dans la durée afin que les élèves ne fassentpas la même chose à chaque séan<strong>ce</strong>.diversifier les situations dans un même temps afin que tousles élèves n’aient pas tous ensemble la même tâche.proposer <strong>des</strong> buts adaptés aux particularités de <strong>ce</strong>rtainsélèves, différents selon les difficultés, afin de leur permettrede réussir <strong>ce</strong>rtaines activités.décloisonner ou partager <strong>ce</strong>rtaines activités, avec d’autrescollègues, selon la diversité <strong>des</strong> élèves.situer les apprenants vis-à-vis <strong>des</strong> activités scolaires, repérerleurs réussites et leurs lacunes.détecter les compéten<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> apprenants même si <strong>ce</strong>llescine sont pas immédiatement visibles à première vue, pasattendues à coup sûr.observer les effets <strong>des</strong> activités d’enseignement sur lesapprenants afin de vérifier l’atteinte <strong>des</strong> objectifs prévus.élaborer <strong>des</strong> instruments d’évaluation <strong>des</strong> effets <strong>des</strong> activitésafin de rendre les constats objectifs.constater une évolution <strong>des</strong> activités d’enseignement ou dudispositif collectif, dans la durée, en fonction de l’écart entreles résultats attendus et <strong>ce</strong>ux obtenus.consigner la nature <strong>des</strong> activités et leurs effets sur lesapprenants afin de s’en resservir ultérieurement pour ajusterles actions futures.distinguer les pratiques <strong>professionnelle</strong>s maîtrisées ou <strong>ce</strong>llesqui restent à améliorer.élargir le répertoire d’activités proposées aux apprenants, enutilisant <strong>des</strong> démarches nouvelles.110<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Un dispositif de <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> pour<strong>des</strong> enseignants <strong>ce</strong>ntré sur la co-constrution de savoirset le développement mutuel<strong>des</strong> chercheurs et <strong>des</strong> praticiensSandrine Biemar Karine Dejean Jean Donnay Université de Namur, Département Éducation et Technologie (Belgique)Les présupposés du dispositif de <strong>formation</strong>Un contexte : la professionnalisation de la fonction enseignanteActuellement, la professionnalisation est un thème <strong>ce</strong>ntral qui envahit les recherches ensociologie et en Scien<strong>ce</strong>s de l’éducation. La massification et l’émergen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> nouvellesattentes sociales, politiques et économiques vis-à-vis de l’école poussent à faire évoluerle métier d’enseignant. La professionnalisation met notamment en éviden<strong>ce</strong> la volonté <strong>des</strong>personnes appartenant à un métier d’acquérir un statut, de définir <strong>des</strong> savoirs spécifiques,de développer <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s et d’adhérer à une éthique ainsi qu’à un dispositif de<strong>formation</strong> qui permette l’entrée dans la fonction.Au cœur de <strong>ce</strong> mouvement structurel, l’enseignant est considéré comme un professionnel endéveloppement. Ce développement professionnel est pour nous « au cœur de l’exerci<strong>ce</strong> dumétier d’enseignant » (Donnay et Charlier, 2006). Il rend compte de son évolution à traversla con<strong>ce</strong>ption qu’il a de son rôle, de ses représentations, <strong>des</strong> occasions de pratiques, <strong>des</strong>conditions de travail, … Nous le définissons comme « un pro<strong>ce</strong>ssus dynamique et récurrent,intentionnel ou non, par lequel, dans ses interactions avec l’altérité, et dans les conditionsqui le permettent, une personne développe ses compéten<strong>ce</strong>s et ses attitu<strong>des</strong> inscrites dans<strong>des</strong> valeurs éducatives et une éthique <strong>professionnelle</strong> et par là, enrichit et transforme sonidentité <strong>professionnelle</strong>. ». (Donnay et Charlier, 2006, p 13)Conformément à <strong>ce</strong> qu’en disent <strong>ce</strong>s auteurs, le développement professionnel est spécifiqueà chaque professionnel et repose sur sa capacité à se reconnaître capable de se développeret responsable de son propre développement professionnel. Ainsi, il restitue au professionnelsa liberté d’apprendre en même temps que la responsabilité de sa qualification.La <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignantsLa professionnalisation questionne directement la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants puisqu’elle les sandrine.biemar@fundp.ac.be karine.dejean@fundp.ac.be jean.donnay@fundp.ac.be<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 111Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (111-121) Tome 2


S. BIEMAR, K. DEJEAN, J. DONNAYpla<strong>ce</strong> dans une perspective de développement continu de leurs compéten<strong>ce</strong>s tout au longde leur carrière, pour faire fa<strong>ce</strong> aux changements continus. Comment dès lors envisager la<strong>formation</strong> d’enseignants professionnels ?La question est d’autant plus brûlante que bons nombres de recherches en Europe et Outre-Atlantique mettent largement en éviden<strong>ce</strong> l’insatisfaction <strong>des</strong> enseignants à l’égard de la<strong>formation</strong> initiale reçue. Une grande majorité d’enseignants disent développer leurs savoirset leurs compéten<strong>ce</strong>s à enseigner uniquement à l’intérieur du milieu de travail, « sur le tas »,et non en <strong>formation</strong> initiale. Ils apprennent beaucoup plus par essais et erreurs que par <strong>des</strong>théories apprises en <strong>formation</strong> (Martineau et Gauthier, 2000).Le décalage ressenti entre les savoirs issus de la pratique et les savoirs académiquessemble difficile à combler. Ces derniers sont perçus comme jargonnants et peu utiles pourle praticien confronté à de multiples difficultés quand il accompagne l’apprentissage de sesélèves dans sa classe. Ils sont souvent critiqués et considérés comme inutiles, utopiques,inapplicables.De leur côté, les chercheurs regrettent que les résultats de leurs travaux soient peu intégrésdans les pratiques de terrain, comme s’ils étaient en décalage par rapport à elles.Or, les pratiques <strong>des</strong> enseignants sont complexes et les compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>squ’elles recouvrent sont indissociablement théoriques et pratiques (Perrenoud, 1994). Ellespermettent à la fois d’articuler constamment l’analyse à l’action, la raison et les valeurs, lesfinalités et les contraintes de la situation.La définition de l’enseignant professionnel, proposée par Donnay et Charlier (1990), vadans <strong>ce</strong> sens :« L’enseignant professionnel est un formateur qui en fonction d’un projet de <strong>formation</strong>explicité tient compte de manière délibérée du plus grand nombre de paramètrespossibles de la situation de <strong>formation</strong> considérée, les articule de manière critique,envisage une ou plusieurs possibilités de conduites et prend <strong>des</strong> décisions deplanification de son action, les met en œuvre dans <strong>des</strong> situations concrètes et recourtà <strong>des</strong> routines pour assurer l’efficacité de son action, réajuste son action dans l’instants’il le perçoit comme né<strong>ce</strong>ssaire (réflexion dans l’action) et tire pour plus tard <strong>des</strong>leçons de sa pratique (réflexion sur l’action). »Cette définition met en exergue la posture né<strong>ce</strong>ssairement active, critique, finalisée etréflexive de l’enseignant professionnel, la pla<strong>ce</strong> à accorder aux pratiques concrètes ainsique l’intégration <strong>des</strong> savoirs standardisés.Vers une <strong>formation</strong> professionnalisante…Actuellement, dans la perspective de former <strong>des</strong> enseignants professionnels, un enjeumajeur est de relier « recherche » et « pratique » en créant un chemin constructif entre lesdeux. Ainsi <strong>des</strong> dispositifs visent à accorder une pla<strong>ce</strong> à l’expérien<strong>ce</strong> <strong>des</strong> praticiens dans lepro<strong>ce</strong>ssus d’apprentissage ainsi qu’à la mise en mouvement <strong>des</strong> savoirs par le biais d’unedémarche réflexive, d’une part, et d’un apport issu <strong>des</strong> recherches, d’autre part.L’apprentissage par l’expérien<strong>ce</strong>De nombreux travaux (Dewey, Lewin, Piaget, Kolb) ont progressivement légitimé l’expérien<strong>ce</strong><strong>des</strong> praticiens en lui accordant une grande pla<strong>ce</strong> dans le pro<strong>ce</strong>ssus d’apprentissage.112<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


L’expérien<strong>ce</strong> permet, suscite et nourrit l’apprentissage.Les caractéristiques communes <strong>des</strong> dispositifs construits dans <strong>ce</strong>tte perspective sontde considérer l’expérien<strong>ce</strong> concrète comme base de l’observation et de la réflexion. Lesobservations sont ensuite analysées et mises en relation avec <strong>des</strong> idées et/ou avec <strong>des</strong>théories. C’est la phase d’abstraction, de con<strong>ce</strong>ptualisation au cours de laquelle <strong>des</strong> savoirssont construits, à partir <strong>des</strong>quels de nouvelles implications pour l’action sont déduites etmises en oeuvre (cycle de Kolb, 1984).La démarche réflexiveUn dispositif de <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> pour <strong>des</strong> enseignants <strong>ce</strong>ntré sur la co-construction de savoirset le développement mutuel <strong>des</strong> chercheurs et <strong>des</strong> praticiensAu-delà de la réflexion sur les pratiques concrètes, la réflexivité, en référen<strong>ce</strong> au courantamorcé par Schön (1994), porte sur le pro<strong>ce</strong>ssus d’apprentissage à partir de l’expérien<strong>ce</strong>en permettant une prise de recul du praticien sur ses pratiques et une explicitation <strong>des</strong>fondements de ses actes.Le praticien adopte ainsi une posture d’extériorité en mettant à distan<strong>ce</strong> sa situation detravail. Il se donne la possibilité de la questionner, de l’analyser, de l’alimenter en explicitantd’une part, ses propres savoirs implicites et en prenant appui, d’autre part, sur <strong>des</strong> savoirsformalisés par ailleurs.Donnay et Charlier (2006) considèrent que <strong>ce</strong>tte posture d’extériorité est propi<strong>ce</strong> à unethéorisation <strong>des</strong> pratiques et à une prise de conscien<strong>ce</strong> de soi dans la situation. Elle permettraitainsi un rapprochement vers les théories standardisées d’action ou de compréhension. Lessavoirs théoriques ne sont pas simplement assimilés, ils sont interprétés au travers de grillespersonnelles, <strong>ce</strong> qui semble soutenir leur appréhension.Au vu de <strong>ce</strong>s deux approches conjointes, il semble qu’une réponse soit progressivementapportée au dilemme de la relation théorie-pratique en mettant en éviden<strong>ce</strong> que la pratiqueproduit aussi <strong>des</strong> savoirs qui permettront au praticien d’être plus professionnel dans lessituations qu’il rencontre.Les postures du praticien et du chercheurSelon <strong>ce</strong>s approches, le praticien est d’emblée placé dans une posture active de créationde savoir.Ainsi, il devient pour le chercheur un partenaire, créateur de savoirs, même si lespréoccupations prioritaires <strong>des</strong> uns et <strong>des</strong> autres diffèrent. Le chercheur est davantageintéressé à créer du savoir transférable à une large classe de situations (généralisables)alors que le praticien préfère savoir d’abord comment agir.Jean Donnay (2002, 2006) différencie 5 postures qui ont le mérite de mettre en éviden<strong>ce</strong>que recherche et action se situent sur un continuum où chercheurs et praticiens peuvententrer en relation et dégager <strong>des</strong> terrains de réflexion communs.Le praticien réfléchi est très proche <strong>des</strong> situations de travail. Il prend son histoire commeréféren<strong>ce</strong> et la <strong>des</strong>cription de plusieurs situations vécues pour rapporter <strong>ce</strong> qu’il fait. Sonsavoir est incarné, contextualisé. Son savoir correspond à une <strong>des</strong>cription d’actions situées,une mise en mots de ses pratiques.Le praticien réflexif est <strong>ce</strong>ntré sur l’action mais son but est de comprendre, d’extraire dusavoir à propos de ses propres réflexions. Il dialogue sur ses situations pour les comparer,<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 113


S. BIEMAR, K. DEJEAN, J. DONNAYles analyser, les mettre en question, les enrichir. Il met la situation à distan<strong>ce</strong> en utilisant <strong>des</strong>mots qui permettent une con<strong>ce</strong>ptualisation.Le praticien chercheur tente de comprendre les situations vécues afin de transférer àd’autres. Il tente de construire <strong>des</strong> théories standardisées. Il décontextualise le savoir créépar la réflexivité et permet une mise en relation avec les savoirs standardisés.Le chercheur praticien tente de comprendre <strong>des</strong> actions de manière systématisée. Unequestion de recherche trans<strong>ce</strong>nde les actions à analyser. La pratique est considérée commeun cas exemplaire, une sour<strong>ce</strong> d’analyse.Le chercheur académique crée <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts et <strong>des</strong> théories. Son savoir est transmissibleà une communauté scientifique.Le soutien de la collaborationLa plupart <strong>des</strong> dispositifs de <strong>formation</strong> professionnalisant prennent appui sur le travail enéquipe. La dimension collective constitue un atout déjà pointé par différents auteurs (Kolb,1986 ; Senge, 2000 …) : la présen<strong>ce</strong> de l’Autre oblige chaque praticien à expliciter sapropre réalité en la rendant intelligible aux autres et à lui-même. L’échange <strong>des</strong> points devue entre les partenaires soutient la prise de recul du praticien en réflexion. Elle lui permetde lire sa propre réalité sous différents angles. Chacun vient avec <strong>des</strong> apports respectifsen termes de savoirs implicites et de ressour<strong>ce</strong>s théoriques ou standardisés dont ils sontdétenteurs. Les membres de l’équipe se soutiennent et s’accompagnent mutuellementpour construire ensemble du savoir utile pour chacun. La dimension affective du groupe(appartenan<strong>ce</strong>, sécurité, encouragement) soutient l’investissement de chacun dans unpro<strong>ce</strong>ssus d’apprentissage et encourage la prise de risques.On retrouve ici tous les ingrédients de la collaboration, considérée comme l’engagementcommun de chacun à coordonner leur effort pour construire du savoir utile pour chacun. Ainsi,la présen<strong>ce</strong> du groupe peut constituer une plus-value, car comme le relève (Senge, 2000,p11,) les personnes qui travaillent ensemble ont la possibilité « en confian<strong>ce</strong> de développerune intelligen<strong>ce</strong> et une compéten<strong>ce</strong> plus grande que la somme <strong>des</strong> talents individuels ».La mise en éviden<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>s différents éléments établit la toile de fond sur laquelle nousavons bâti notre dispositif de <strong>formation</strong>. Ce dernier prend particulièrement appui sur larelation constructive et professionnalisante qui peut s’établir entre <strong>des</strong> chercheurs et <strong>des</strong>praticiens. Ces derniers sont amenés par une posture de réflexivité partagée à prendreconscien<strong>ce</strong> et à construire ensemble du savoir utile pour chacun.Des dispositifs de <strong>formation</strong> professionnalisantepour enseignants et chercheursDescription <strong>des</strong> caractéristiques singulières <strong>des</strong> dispositifsDans <strong>des</strong> versions antérieures nous avions expérimenté <strong>des</strong> dispositifs qui mettaient enprésen<strong>ce</strong>, généralement, un(e) chercheur(e) et un groupe variable de praticiens sur <strong>des</strong>thèmes chaque fois différents. Ces séan<strong>ce</strong>s de 2 heures remportaient un <strong>ce</strong>rtain succèsen nombre de fréquentations, mais, malgré la convivialité, maintenaient une relationdissymétrique entre le savoir de chercheur et le savoir de praticien peu propi<strong>ce</strong> à un114<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Un dispositif de <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> pour <strong>des</strong> enseignants <strong>ce</strong>ntré sur la co-construction de savoirset le développement mutuel <strong>des</strong> chercheurs et <strong>des</strong> praticiensvéritable rapport dialogigue (expression de E. Morin) théorie-pratique. Bien que les uns et lesautres se rencontraient volontiers, chacun restait au total sur sa faim… de développementprofessionnel. Nous avons donc cherché d’autres dispositifs sus<strong>ce</strong>ptibles de confronterthéorie et pratique dans un rapport mutuel de questionnement et d’enrichissement.Dans <strong>ce</strong>tte perspective, les dispositifs de professionnalisation que nous mettons en pla<strong>ce</strong>ont les caractéristiques communes suivantes.Ils sont à l’intersection entre les milieux de la pratique et de la recherche. Ils sont avant toutenvisagés comme un lieu de rencontres, de réflexions, d’échanges et de constructions entrechercheurs et praticiens où chacun peut se développer <strong>professionnelle</strong>ment et apprendrede l’autre par un partage d’expérien<strong>ce</strong>s et de savoirs, dans une adhésion partenariale et unené<strong>ce</strong>ssité réciproque (Defrenne, 1991).Leurs objectifs sont de donner au praticien et au chercheur une pla<strong>ce</strong> encore plus activedans leur développement professionnel et dans la construction de savoirs tant issus de lapratique que <strong>des</strong> savoirs plus standardisés, autour d’une définition d’un bien commun (parexemple : une école pour la réussite de l’enfant) qui rassemble les intérêts <strong>des</strong> acteurs et quise décline sous la forme de thématiques. De plus les attitu<strong>des</strong> relationnelles entre les deuxpostures d’acteurs sont ainsi mobilisées pour une meilleure reconnaissan<strong>ce</strong> réciproque <strong>des</strong>savoirs et <strong>des</strong> pratiques de chacun. Chercheur et praticien devant expliciter pour l’autre sonpropre registre de langage, être son propre « dictionnaire ».Ces thématiques con<strong>ce</strong>rnent actuellement « l’enseignant, une personne en relation », « ledécrochage scolaire », « la différenciation »…Concrètement, <strong>ce</strong>s différents dispositifs de <strong>formation</strong> regroupent de 10 à 15 personnes,composés d’enseignants issus de l’enseignement secondaire, du primaire, <strong>des</strong> chercheurs,<strong>des</strong> conseillers pédagogiques, <strong>des</strong> enseignants <strong>des</strong> hautes écoles. Ils s’inscrivent dans ladurée (6 à 8 rencontres de 5 heures sur une année scolaire) permettant ainsi <strong>des</strong> allersretourscontinus entre les séan<strong>ce</strong>s à l’université et les situations de travail.Dès le départ, chaque groupe s’est fixé comme objectif commun de rendre diffusable etappropriable le savoir construit pendant les séan<strong>ce</strong>s de travail. Cette mise en perspectivesoutient la dynamisation du groupe par <strong>des</strong> effets concrets attendus.En fin de parcours, il a été décidé avec les participants de rassembler les productions <strong>des</strong>avoirs <strong>des</strong> groupes au sein d’un site qui sera rendu ac<strong>ce</strong>ssible aux enseignants et auxformateurs.Chacune <strong>des</strong> rencontres est structurée autour de plusieurs temps :– un partage <strong>des</strong> questions, <strong>des</strong> préoccupations personnelles, de vécus, de témoignages,…– <strong>des</strong> moments de <strong>des</strong>cription et d’explicitation <strong>des</strong> pratiques : à partir du décodage– <strong>des</strong> explicitations <strong>des</strong> représentations : comment chacun perçoit la problématiqueenvisagée ? …– <strong>des</strong> apports plus con<strong>ce</strong>ptuels : théories standardisées, en cours de construction, <strong>des</strong>expérien<strong>ce</strong>s formalisées, <strong>des</strong> résultats issus de la recherche…– <strong>des</strong> moments de prise de recul soutenus par <strong>des</strong> questionnements individuels etcollectifs.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 115


S. BIEMAR, K. DEJEAN, J. DONNAY– <strong>des</strong> moments de formalisation par le chercheur <strong>des</strong> savoirs produits au sein du groupe etleur pro<strong>ce</strong>ssus de construction : le chercheur renvoie en miroir sous une forme structurée lechemin parcouru par le groupe.– <strong>des</strong> échanges de points de vue.– un temps de construction en commun : organisation <strong>des</strong> réflexions et <strong>des</strong> échanges, …problématisation, analyse, développement de pistes d’actions, …– <strong>des</strong> moments de réappropriation individuelle : un temps de synthèse où chacun a lapossibilité de s’exprimer par rapport à <strong>ce</strong> qu’il a envie de faire suite à la séan<strong>ce</strong>, par rapportaux questions qu’il se pose, ou <strong>des</strong> actions qu’il a menées …– <strong>des</strong> moments de formalisation (tra<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> échanges, synthèse au tableau…)– <strong>des</strong> évaluations qui permettent à chaque partenaire de s’exprimer par rapport au sens dudispositif et à son ressenti à son égard.Au terme de chaque séan<strong>ce</strong>, un « journal <strong>des</strong> savoirs » est systématiquement rédigé par unchercheur. Un travail important consiste à restructurer les échanges, les questionnements, lesmises en perspective, les synthèses qui ont fait l’objet de la séan<strong>ce</strong>. Au-delà de l’organisation<strong>des</strong> propos, il s’agit de traduire dans un langage synthétique et standardisé l’objet <strong>des</strong>échanges. Ce travail de formalisation réalisé par le chercheur permet de faire apparaître lessavoirs émergeant dans les séan<strong>ce</strong>s de travail. Le « journal <strong>des</strong> savoirs » est ensuite envoyépar mail à chaque participant et soumis à leur évaluation. Lors <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>s qui suivent <strong>ce</strong>support est soumis à <strong>des</strong> adaptations suite aux feed-back <strong>des</strong> participants. Il est égalementutilisé pour poursuivre <strong>des</strong> échanges, pour susciter de nouveaux questionnements… Ilpermet de faire le lien entre les différentes séan<strong>ce</strong>s. Et surtout, bien plus qu’une simpletra<strong>ce</strong>, <strong>ce</strong> « journal <strong>des</strong> savoirs » est la mémoire <strong>des</strong> savoirs repérés et construits au travers<strong>des</strong> échanges entre chercheurs et praticiens. Ces savoirs constituent les balises à partir<strong>des</strong>quelles le groupe poursuit la construction de savoirs dans la séan<strong>ce</strong> ultérieure.Analyse <strong>des</strong> dispositifs de professionnalisationLes dispositifs de professionnalisation <strong>des</strong> praticiens et <strong>des</strong> chercheurs articulent plusieursorientations :– Une posture active tant dans le chef <strong>des</strong> praticiens que <strong>des</strong> chercheurs, amenés àconstruire du savoir ensemble. Cette posture active se manifeste pour chacun à un niveauindividuel et au niveau du groupe :• Un investissement personnel est requis dans <strong>ce</strong>tte démarche de construction de savoirs.Chacun ac<strong>ce</strong>pte de mener une réflexion personnelle à partir de son lieu de pratique<strong>professionnelle</strong> et ainsi, de prendre du recul par rapport à ses propres pratiques de chercheurou de praticien (réflexivité). De même, les pratiques effectives sont partagées (réflexivitépartagée). Ce qui implique que chacun est prêt à les partager, à les dévoiler, sans jugement,sans se sentir fragilisé…• Un engagement vis-à-vis du groupe est également demandé. Les échanges et discussionsné<strong>ce</strong>ssitent que chaque membre ac<strong>ce</strong>pte de participer activement à la construction d’unedynamique de groupe et au développement progressif d’une dynamique collaborative. Lerespect mutuel ainsi que la confian<strong>ce</strong> sont <strong>des</strong> valeurs qui soutiennent <strong>ce</strong>t engagement. Deplus, le souci constant <strong>des</strong> organisateurs est de créer un climat convivial qui alimente <strong>ce</strong>ttedynamique. (par exemple, les repas de midi sont pris ensemble sur le lieu <strong>des</strong> rencontres).116<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Un dispositif de <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> pour <strong>des</strong> enseignants <strong>ce</strong>ntré sur la co-construction de savoirset le développement mutuel <strong>des</strong> chercheurs et <strong>des</strong> praticiens– Des dispositifs construits à partir de, dans et par les pratiques <strong>professionnelle</strong>s<strong>des</strong> enseignants (Barbier et al, 1996)• Les séan<strong>ce</strong>s sont structurées autour de différents moments : <strong>des</strong> moments de <strong>des</strong>criptionde pratiques, <strong>des</strong> moments de reconsidération (d’explicitation <strong>des</strong> théories implicites, demise en lien avec <strong>des</strong> apports théoriques, <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts, <strong>des</strong> modèles, …), <strong>des</strong> moments dereconnexion (mise en relation avec d’autres expérien<strong>ce</strong>s, avec <strong>des</strong> pratiques développéesdans d’autres contextes), <strong>des</strong> moments de recadrage, <strong>des</strong> moments de planification d’actionau cours <strong>des</strong>quels les acteurs envisagent d’autres actions qu’ils vont ensuite essayer sur leterrain.• Les rencontres s’avèrent être <strong>des</strong> occasions d’envisager de nouvelles façons de fairesans prendre de risques (en espa<strong>ce</strong> d’innovations protégé, Charlier, E, Charlier, B., 1998).• Ces espa<strong>ce</strong>s temps permettent un travail réflexif collectif d’élaboration et de problématisationde l’action autour de la construction de con<strong>ce</strong>pts, de théorisation, de vérification.• Le journal <strong>des</strong> savoirs permet de conserver une tra<strong>ce</strong> <strong>des</strong> pratiques partagées etexpérimentées (les questionnements, les schémas intégrateurs construits par les chercheurs/formateurs, les formalisations de pratiques et d’activités échangées entre les participants,les cartes con<strong>ce</strong>ptuelles).• Des analyses réflexives sur les situations de travail qui supposent de développer <strong>des</strong>attitu<strong>des</strong> favorables telles que ac<strong>ce</strong>pter de se dévoiler, ac<strong>ce</strong>pter que l’autre porte un regardsur nos pratiques, reconnaître les pratiques comme dignes d’intérêt mais aussi perfectibles,pouvant changer et évoluer en cours de pratique. Par ailleurs, les participants s’engagent àêtre présents et à s’écouter sans juger et à respecter la confidentialité <strong>des</strong> propos échangés.Ces analyses réflexives sont orientées vers l’action dans la mesure où elles permettentgrâ<strong>ce</strong> à l’analyse et à la distanciation par rapport aux pratiques et aux théories implicites quiles supportent d’imaginer d’autres actions possibles.– Des dispositifs contractualisés et finalisés autour d’un projet commun• Les actes et préoccupations sont orientés autour de la définition d’un bien commun quitrans<strong>ce</strong>nde les intérêts particuliers <strong>des</strong> acteurs qui y participent (par exemple, améliorerla relation enseignant/élève, anticiper le décrochage <strong>des</strong> élèves lors du passage primairesecondaire, ..).• Des temps sont consacrés à la construction d’une problématique commune qui rassembleles enjeux différents <strong>des</strong> acteurs.• Une négociation <strong>des</strong> options du dispositif est réalisée avec les acteurs dès le départ. Ils’agit d’un dispositif dans lequel tous les acteurs (chercheurs et praticiens) s’engagent àêtre présents et à s’investir dans la co-construction de savoirs. L’objectif est de construireensemble un site sur lequel figureront les productions individuelles et collectives.• Une régulation récurrente <strong>des</strong> dispositifs impliquant les acteurs est mise en pla<strong>ce</strong>. Cetterégulation porte sur différents aspects, les objets d’apprentissage, les suc<strong>ce</strong>ssions d’activitésfluctuent en fonction <strong>des</strong> besoins du groupe.– Des dispositifs combinant une variété de savoirs• Des savoirs issus de la pratique : les participants, professionnels eux-mêmes viennentexpliquer leurs expérien<strong>ce</strong>s sous la forme de récits en relatant leurs essais, leurs succès,<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 117


S. BIEMAR, K. DEJEAN, J. DONNAYleurs difficultés, comment ils les ont surmontés.• Des savoirs issus de la recherche : <strong>des</strong> chercheurs viennent présenter les résultats deleur recherche, <strong>des</strong> savoirs standardisés sont confrontés au terrain. Chercheurs et praticienssont amenés à construire un langage commun, à confronter les modèles, les théories auvécu du terrain, à incarner les modèles à travers <strong>des</strong> essais dans leur situation de travail.• Des savoirs co-construits entre chercheurs et praticiens. Ces savoirs prennent <strong>des</strong>formes à la fois individuelles et collectives. Individuelles, d’une part, au niveau de <strong>ce</strong> qu’enretire personnellement chaque participant, en fonction de son contexte professionnel etcollectives, d’autre part, sous la forme <strong>des</strong> in<strong>formation</strong>s qui sont éditées et diffusées au seindu site construit ensemble.– Des dispositifs misant sur le réseau• Les situations d’échanges de pratiques sont l’occasion pour les participants de connaîtreleurs pratiques respectives et de pouvoir échanger leurs expertises.• Une circulation d’objets concrets a lieu entre les acteurs du réseau (échange d’outils,d’activités pédagogiques, d’expérien<strong>ce</strong>s, de cas, …). L’échange d’objets donne l’occasionaux acteurs de débattre, d’argumenter, de controverser à propos <strong>des</strong> objets échangés(notamment via le site).• Le réseau dépasse le cadre même <strong>des</strong> participants aux dispositifs pour s’étendre auxcollègues. Des liens se créent avec d’autres acteurs qui « s’approprient » les savoirsconstruits au sens de faire sien et rendre propre à son usage.ConclusionAu terme <strong>des</strong> rencontres, les participants ont eu l’occasion de s’exprimer à propos de lamanière dont ils avaient vécu le dispositif : un bol d’air, un temps de prise de recul, un terrainde questionnement, un apport mutuel entre les chercheurs et entre les praticiens venantde différents horizons. Ils pointent également le fait que ça leur a donné la possibilité derencontrer <strong>des</strong> personnes, de s’ouvrir à d’autres regards, de per<strong>ce</strong>voir les choses à traversd’autres grilles de lecture et de changer personnellement au niveau de leur pratique : enparler avec <strong>des</strong> collègues, regarder les élèves autrement. En termes de savoirs, ils relèventla construction d’un langage commun, le retour sur le journal <strong>des</strong> savoirs et son utilisationdans l’action. Certains lan<strong>ce</strong>nt également <strong>des</strong> pistes pour poursuivre : continuer à serencontrer, à se laisser interpeller par <strong>des</strong> intervenants qui apportent leurs témoignages(issus de la recherche ou de la pratique).Au vu de <strong>ce</strong>s propos (cf. verbatims mis en annexes), notre pari a réussi en <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rneles objectifs de notre dispositif tant au niveau de l’adhésion partenariale basée sur unereconnaissan<strong>ce</strong> et un respect mutuels <strong>des</strong> savoirs et <strong>des</strong> fonctions de chacun que de lané<strong>ce</strong>ssité réciproque pour chacun de se développer <strong>professionnelle</strong>ment. Le contrat dedépart a été respecté tant dans le pro<strong>ce</strong>ssus de cocréation de savoirs que <strong>des</strong> changementsde pratiques <strong>des</strong> uns et <strong>des</strong> autres. Peut-on conclure à une réconciliation entre rechercheet pratique, entre théorie et pratique ? En tous cas pour <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne les partenairesqui ont travaillé ensemble, la réponse est oui. Mais <strong>ce</strong>ux-ci n’étaient-ils pas déjà <strong>des</strong>praticienschercheurs d’une part et <strong>des</strong> chercheurs-praticiens (Donnay 2006) d’autre part… ?Vraisemblablement les uns et les autres étaient prêts à la rencontre de l’Autre.118<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Un dispositif de <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> pour <strong>des</strong> enseignants <strong>ce</strong>ntré sur la co-construction de savoirset le développement mutuel <strong>des</strong> chercheurs et <strong>des</strong> praticiensBibliographieBARBIER J-M. et al (1996) Situations de travail et <strong>formation</strong>. Paris, L’Harmattan.CROS F. (2000) Le transfert <strong>des</strong> innovations scolaires ; une question de traduction. INRP.CROS F. (éd.) (2006) Écrire sur sa pratique pour développer <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s: enjeux et conditions. Paris, L’Harmattan.CALLON M. (1986) « Éléments pour une sociologie de la traduction- la domestication<strong>des</strong> coquilles saint Jacques <strong>des</strong> marins pêcheurs dans la baie de Saint Brieux » L’Annéesociologique, 36, pp. 169-208.CHARLIER É., CHARLIER B. (1998) La <strong>formation</strong> au cœur de la pratique : analyse d’une<strong>formation</strong> continuée d’enseignants. Paris, de Boeck.DONNAY J., CHARLIER É. (2006) Apprendre par l’analyse <strong>des</strong> pratiques : initiation aucompagnonnage réflexif. Namur.DEFRENNE J., DELVAUX C. (1991) Le management de l’in<strong>ce</strong>rtitude : l’adhésion partenariale.Bruxelles, de Boeck.KOLB D. A. (1986) Facilitating Experiential Learning observations and reflections pp. 99-107. San Fransisco, Jossey-Bass.PERRENOUD P. (1994) La <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants : entre théorie et pratiques. Paris,ESF.REVANS R.W. (1982) The origin and growth of Action Learning. Chartwell-Bratt, Browleyand Lund.SAINT ARNAUD Y. (1992) Connaître par l’action. Montréal, Les Presses Universitaires deMontréal.SCHON D.A. trd. (1994) Le praticien réflexif : à la recherche du savoir caché dans l’agirprofessionnel. Montréal. Les Éditions Logiques.SENGE P. (2000) La cinquième discipline : stratégies et outils pour construire une organisationapprenante. (First Editions ed.). Paris.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 119


S. BIEMAR, K. DEJEAN, J. DONNAYAnnexes : Verbatims <strong>des</strong> participants« Le contact avec les chercheurs était vraiment différent, on avait le sentiment que les chercheurs ont besoinde nous comme nous avons besoin d’eux, nous nous sentons reconnus comme praticiens »« Tout <strong>ce</strong> que j’ai appris ici me permet de retourner dans mon école avec enthousiasme, j’ai envie de développerplein de choses, j’en parle avec mes collègues, <strong>ce</strong>la les fait réagir, on fait <strong>des</strong> liens, on apprend ensemble.J’espère que l’on pourra rester en contact avec internet. Je ne sais pas si je pourrai continuer dans la suite car<strong>ce</strong>tte année ma direction m’a remplacée dans ma classe. Elle n’était pas obligé de le faire … mais elle ne lefera sans doute pas pendant deux ans. »« L’enseignant est en <strong>formation</strong> continuelle. »« Dans le groupe, on se rend compte qu’on a les mêmes problèmes, les mêmes préoccupations, on échangeet puis moi aussi quand je reviens, il y a un retour auprès de mes collègues, ils me demandent qu’est-<strong>ce</strong> quetu as appris, qu’est-<strong>ce</strong> que tu as fait là-bas. »« Moi, <strong>ce</strong>la fait 3 ans que j’enseigne, j’ai <strong>des</strong> difficultés à faire passer les choses auprès de mes collègues quiont plus d’ancienneté. »« Moi j’ai appris un autre langage, au début c’était difficile, je vous l’ai dit mais maintenant je suis à l’aise. »« Le contact entre les gens du primaire et du secondaire était très intéressant, <strong>ce</strong>la nous a donné <strong>des</strong> idéessur le plan pratique qui viennent du primaire et vi<strong>ce</strong> verca. Pour les hautes écoles le contact avec les gens duprimaire c’est important. »« Lutter contre le décrochage pour moi c’est un vrai combat. »« Au départ, j’avais <strong>des</strong> appréhensions à venir à l’université, je n‘ai pas gardé un très bon souvenir de monpassage à l’université, j’étais un décrocheur, c’est pour <strong>ce</strong>la que pour moi le décrochage, c’est un vrai combat.Je suis très <strong>ce</strong>ntré sur l’humain avant la matière. Je suis revenu chaque fois dans mon école avec plein d’idéesà faire passer à ma direction, à faire passer aux collègues. Pourtant en commençant <strong>ce</strong>tte <strong>formation</strong>, j’avaispeur d’être en décalage par rapport à l’université, … c’est bien vous m’avez un peu réconcilié…Maintenant je vais aller dans l’école de Régine (une autre participante du groupe) pour présenter à sescollègues <strong>ce</strong> qu’on a fait nous dans notre école comme remédiation en compéten<strong>ce</strong>s transversales. »« Moi aussi je travaille avec ma collègue et partage avec elle <strong>ce</strong> que j’ai appris dans le cadre de <strong>ce</strong>tte<strong>formation</strong>. »« Nous en fait ça nous permet de prendre du recul par rapport à votre pratique et vous, vous ça vous permetde ne pas trop planer »« C’était très enrichissant chaque fois de venir, avec les témoignages et les débats qu’on pouvait en fairel’après-midi . J’étais à fond dans la démarche quand j’étais ici, mais c’était parfois difficile de lire le journal <strong>des</strong>savoirs à tête reposée… »« C’est un bol d’air par rapport au quotidien mais il faut pouvoir se donner le temps de se préparer avant (enlisant le journal <strong>des</strong> savoirs) mais c’est difficile. »« Moi personnellement, j’ai changé <strong>des</strong> choses dans mes pratiques, je ne saurais pas donner un exempleconcret, c’est plutôt que je n’ai plus la même approche <strong>des</strong> élèves, en tant qu’ados. Et en plus ça a aussi <strong>des</strong>répercussions au niveau de ma famille, dans les relations. »« Ça permet de poser un regard sur soi-même, on pense dans son quotidien. »« Si je dis à <strong>des</strong> jeunes que je vais en <strong>formation</strong> sur la relation, ils trouvent <strong>ce</strong>la logique, normal…Par contre,les collègues …ils se demandent à quoi ça peut servir. »« On a moins peur d’oser aller vers <strong>des</strong> lectures, <strong>des</strong> grilles de référen<strong>ce</strong>s…même si c’est encore àdévelopper. »« C’était un temps à l’écart du reste qu’on prend sur un objet et qui nous permet de prendre du recul parrapport à <strong>ce</strong> qu’on vit au quotidien. »« Il était intéressant de voir comment les modèles étaient remis en sens … Car quand on part de la pratique,ils prennent un sens autre, ils sont recadrés,… »120<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Un dispositif de <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> pour <strong>des</strong> enseignants <strong>ce</strong>ntré sur la co-construction de savoirset le développement mutuel <strong>des</strong> chercheurs et <strong>des</strong> praticiens« Moi, j’ai repris <strong>des</strong> éléments du journal <strong>des</strong> savoirs. J’ai utilisé <strong>des</strong> éléments <strong>des</strong> 7 temps avec un enseignanten les adaptant. »« Mais c’est vrai qu’il faudrait peut-être prendre plus de temps pour relire <strong>ce</strong> journal. »« C’est important pour moi que le journal <strong>des</strong> savoirs présente <strong>des</strong> schémas, moi ça me parle bien, je rentreplus facilement dedans et en plus, c’est plus vite lu ! Donc, ne pas hésiter à utiliser plusieurs canaux pourcommuniquer les savoirs, pour que chacun y retrouve son canal privilégié. »« par rapport au site, je pense que si on ne se voit pas pour se redynamiser, <strong>ce</strong> sera plus compliqué depoursuivre. »« C’est nourrissant les apports externes, <strong>ce</strong> serait à conserver. »« Il serait important d’élargir le <strong>ce</strong>rcle, pour s’ouvrir à d’autres ressour<strong>ce</strong>s. »« Ce serait bien aussi de travailler le thème de la relation entre collègues car là , il y a vraiment <strong>des</strong> nœuds »« Ce serait intéressant de pouvoir avoir un regard extérieur qui nous éclaire sur le “pourquoi la relation a si peude poids dans la <strong>formation</strong> et à l’école” »…<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 121


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Les compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles<strong>des</strong> futurs enseignants : enjeux et pratiquesJohanne April Michel Beaudoin Université du Québec en Outaouais (Canada)IntroductionLes compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles sont maintenant essentielles dans le contexte de la<strong>formation</strong> à l’enseignement (MELS, 2001, 2003). Dans le cadre d’un programme du Fondsde Développement Académique du Réseau (FODAR), notre équipe, formée de deuxprofesseurs et deux bibliothécaires de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), aélaboré et mis à l’essai un dispositif de <strong>formation</strong> visant le développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>sin<strong>formation</strong>nelles chez de futurs enseignants. Ce texte décrit une démarche effectuée dansun contexte de renouvellement de pratique par une équipe d’intervenants au Département<strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s de l’éducation (DSE) de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Aprèsune <strong>des</strong>cription du contexte et une présentation <strong>des</strong> objectifs à atteindre, nous décrivons ledispositif pédagogique, la démarche méthodologique et les principaux résultats, analyséspar <strong>des</strong> voies qualitatives et quantitatives.Contexte initialDéjà en 1979 l’Association of College and Research Libraries (ACRL) incitait les bibliothécairesà inscrire la <strong>formation</strong> documentaire comme faisant partie intégrante d’un cours.Depuis plusieurs années, c’est un domaine en développement, cherchant <strong>des</strong> moyens pourrejoindre les besoins de <strong>formation</strong> en recherche documentaire <strong>des</strong> étudiants, en ayant toujourspour souci le développement de leur autonomie et de leur capacité d’auto-apprentissage.La <strong>formation</strong> aux compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles va au-delà <strong>des</strong> habiletés de rechercheà l’usage de l’in<strong>formation</strong>, mais vise à utiliser les ai<strong>des</strong> à la recherche de l’in<strong>formation</strong>par les bases de données, les catalogues afin de répondre à <strong>des</strong> besoins d’apprentissagespécifique.La con<strong>ce</strong>rtation professeur-bibliothécaire retient de plus en plus l’attention <strong>des</strong> différentsintervenants dans le domaine <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s de l’in<strong>formation</strong> comme moyen sus<strong>ce</strong>ptible dedévelopper les compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles. Une plus grande collaboration entre lesprofesseurs <strong>des</strong> universités et les différents intervenants dans les bibliothèques serait enlien avec le développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles chez les futurs enseignantsdans la transposition de <strong>ce</strong>s compéten<strong>ce</strong>s à leur pratique <strong>professionnelle</strong>. Cette nouvellepratique de con<strong>ce</strong>rtation est une voie fertile au développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s dans unpartage guidé par un esprit de collectivité (Pinte, 2005). Ainsi, la <strong>formation</strong> initiale et la johanne.april@uqo.ca michel.beaudoin@uqo.ca3 Dans le but d’alléger le texte, le genre masculin a été utilisé pour désigner hommes et femmes.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 123Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (123-134) Tome 2


J. APRIL, M. BEAUDOINmobilisation systématique <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles doivent être en constantdialogue.La connaissan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> habiletés liées aux compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles ne doit pas selimiter exclusivement à la recherche à l’in<strong>formation</strong>. Des éléments pédagogiques liés à <strong>des</strong>objectifs d’apprentissage, non seulement in<strong>formation</strong>nels, mais con<strong>ce</strong>ptuels exigent unecollaboration avec les formateurs avec d’assurer une implication de la <strong>formation</strong> dans lepro<strong>ce</strong>ssus d’enseignement. La con<strong>ce</strong>rtation doit donc exiger un partage de pratique vers unbut commun.Dans la prochaine partie, une brève re<strong>ce</strong>nsion <strong>des</strong> écrits permettra de situer notre étudedans le contexte d’un référentiel de compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles et dans le contexte dela con<strong>ce</strong>rtation.Compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles et <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtresLe développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles, appuyé par un pro<strong>ce</strong>ssus rigoureux,se définit par la capacité pour le futur enseignant à poser <strong>des</strong> problèmes contextualiséset à les résoudre sous leurs aspects généralisables. En <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres, nous nepouvons passer outre <strong>ce</strong>tte compéten<strong>ce</strong> puisqu’elle se situe dans un nouveau contextesocial et scolaire impliquant la reconnaissan<strong>ce</strong> d’une <strong>formation</strong> intégrée et ancrée dans<strong>des</strong> lieux pratiques (Martinet et al., 2001). À <strong>ce</strong>t égard, un référentiel de compéten<strong>ce</strong>s<strong>professionnelle</strong>s a été retenu comme visée de la <strong>formation</strong> à l’enseignement. Lescompéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s sont au nombre de douze regroupées en quatre catégories.La compéten<strong>ce</strong> 8 du référentiel s’énon<strong>ce</strong> ainsi : « Intégrer les technologies de l’in<strong>formation</strong>et <strong>des</strong> communications aux fins de préparation et de pilotage d’activités d’enseignementapprentissage,de gestion de l’enseignement et de développement professionnel » (Martinetet al., 2001). Une <strong>des</strong> composantes de <strong>ce</strong>tte compéten<strong>ce</strong> rejoint la recherche d’in<strong>formation</strong>et s’énon<strong>ce</strong> « rechercher, interpréter et communiquer de l’in<strong>formation</strong> pour résoudre <strong>des</strong>problèmes » (Martinet et al. 2001). À <strong>ce</strong>t égard, <strong>ce</strong>tte prescription de notre programme de<strong>formation</strong> lan<strong>ce</strong> un appel au partenariat et à la con<strong>ce</strong>rtation avec les personnes con<strong>ce</strong>rnées,en occurren<strong>ce</strong> les bibliothécaires. De plus, <strong>ce</strong>tte né<strong>ce</strong>ssaire inclusion <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>sin<strong>formation</strong>nelles à la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres permettra aux futurs enseignants de transférerleurs propres apprentissages dans leur rôle de professionnel comme accompagnateurauprès <strong>des</strong> élèves. Les compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles se définissent comme l’ensemble<strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> permettant aux individus « de déterminer les moments où ils ont un besoind’in<strong>formation</strong> et, de trouver, d’évaluer et d’utiliser <strong>ce</strong>tte in<strong>formation</strong> . »Voici les sept normes qui ont servi de balises à notre recherche, pour les outils de collectede données, pour les instruments de mesure qui ont accompagné le bilan de progression<strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles et enfin pour la réflexion sur le dispositif organisationnelmis en pla<strong>ce</strong> :Norme 1 : reconnaît son besoin d’in<strong>formation</strong> et sait déterminer la nature et l’étendue del’in<strong>formation</strong> né<strong>ce</strong>ssaire pour y répondre ;Norme 2 : sait accéder avec efficacité et efficien<strong>ce</strong> à l’in<strong>formation</strong> ;Norme 3 : sait évaluer de façon critique tant l’in<strong>formation</strong> que les sour<strong>ce</strong>s ; American Library Association Presidential Committee on In<strong>formation</strong> Literacy. Final Report. (Chicago :American Library Association, 1989)124<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Les compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles <strong>des</strong> futurs enseignants : enjeux et pratiquesNorme 4 : sait développer, individuellement ou comme membre d’un groupe, de nouvellesconnaissan<strong>ce</strong>s en intégrant l’in<strong>formation</strong> à ses connaissan<strong>ce</strong>s initiales ;Norme 5 : sait utiliser l’in<strong>formation</strong> recueillie ou nouvellement générée pour réaliser sestravaux ;Norme 6 : comprend les enjeux culturels, éthiques, légaux et sociaux liés à l’usage del’in<strong>formation</strong> et se conforme aux exigen<strong>ce</strong>s éthiques et légales liées à <strong>ce</strong>t usage ;Norme 7 : reconnaît l’importan<strong>ce</strong> d’acquérir <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles dans laperspective d’une <strong>formation</strong> continue.Le développement de <strong>ce</strong>s normes s’est appuyé sur le référentiel <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>sin<strong>formation</strong>nelles de l’ACRL (2001), révisé et adapté par un groupe de travail sur ledéveloppement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles (Verreault et al., 2004).Con<strong>ce</strong>rtationLa con<strong>ce</strong>rtation entre bibliothécaires et professeurs a ainsi une double mission, <strong>ce</strong>lle dudéveloppement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles chez le futur enseignant, et aussiune mission d’intégration (transfert) de <strong>ce</strong>tte compéten<strong>ce</strong> aux fins de préparation et depilotage d’activités d’enseignement-apprentissage, de gestion de l’enseignement et dedéveloppement professionnel. Mais comment établir <strong>ce</strong>tte con<strong>ce</strong>rtation entre l’ensemble <strong>des</strong>intervenants ? Dans les prochains paragraphes, nous apportons un éclairage sur l’évolutionà la recherche d’in<strong>formation</strong>s et la né<strong>ce</strong>ssité d’une con<strong>ce</strong>rtation pour le développement <strong>des</strong>compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles.La con<strong>ce</strong>rtation entre les divers intervenants auprès <strong>des</strong> mêmes étudiants s’avère unfacteur clef de la mise en œuvre <strong>des</strong> pratiques correspondant aux visées du développement<strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles. Cette visée du développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>sin<strong>formation</strong>nelles est double selon Fondin (2003). L’auteur distingue deux paradigmes liésaux scien<strong>ce</strong>s de l’in<strong>formation</strong>. Le paradigme classique se définit et est construit autour detrois con<strong>ce</strong>pts : universalité-normalisation, objet-document et organisme et système. Ceparadigme s’est forgé et domine les pratiques depuis le XX e siècle. Un nouveau paradigmein<strong>formation</strong>nel (le deuxième) se caractérise par l’étude <strong>des</strong> pro<strong>ce</strong>ssus de recherchein<strong>formation</strong>nelle s’appuie sur trois con<strong>ce</strong>pts : intersubjectivité-intentionnalité, sens-contenuin<strong>formation</strong>nel et dispositif in<strong>formation</strong>nel personnalisé – multimodalité <strong>des</strong> stratégies. Cedeuxième paradigme se soucie <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> d’apprentissages <strong>des</strong> apprenants en leur donnantune pla<strong>ce</strong> <strong>ce</strong>ntrale dans le pro<strong>ce</strong>ssus de recherche d’in<strong>formation</strong>. Ainsi, le personnel dela bibliothèque et les formateurs ne peuvent évoluer dans <strong>des</strong> sphères isolées. De plus,ils se doivent de collaborer avec <strong>des</strong> visées communes de <strong>ce</strong> qu’est le développement<strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles et le rapport de <strong>ce</strong>lles-ci à l’apprentissage. Dans <strong>ce</strong>ttedémarche de collaboration, l’apprentissage doit être défini comme un pro<strong>ce</strong>ssus interneet personnel vécu par l’apprenant et comme un pro<strong>ce</strong>ssus interactionnel à l’intérieur d’unenvironnement qui le facilite ; c’est par <strong>ce</strong>s deux pro<strong>ce</strong>ssus que l’étudiant arrive à <strong>des</strong>modifications cognitives et apporte <strong>des</strong> changements de comportement (Bergeron, 1987).Le paradigme <strong>ce</strong>ntré sur l’étudiant établit que <strong>ce</strong> dernier est l’agent principal de sa <strong>formation</strong>et que le professeur et le bibliothécaire sont <strong>des</strong> agents coopérateurs qui ont pour rôle defaciliter les démarches d’apprentissage de l’étudiant et de favoriser l’accès aux savoirs etaux sour<strong>ce</strong>s d’in<strong>formation</strong>.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 125


J. APRIL, M. BEAUDOINMême si le bibliothécaire est l’expert en termes de compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles et <strong>ce</strong>lui quia de l’influen<strong>ce</strong> pour développer les habiletés dans l’utilisation de l’in<strong>formation</strong>, le professeurjoue un rôle essentiel pour l’intégration <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles dans la <strong>formation</strong>.Plusieurs étu<strong>des</strong> ont démontré que les bibliothécaires seuls ne peuvent développer de façonsignificative le développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles. Conséquemment, il fautse poser une question, à savoir comment amener plus de professeurs à collaborer à <strong>ce</strong>pro<strong>ce</strong>ssus ? Comment en arriver à provoquer un changement d’attitude qui mette en valeurla collaboration <strong>des</strong> intervenants impliqués ? Déjà, en 1987, Bergeron s’intéressait à lacon<strong>ce</strong>rtation en examinant le pro<strong>ce</strong>ssus de changement malgré <strong>des</strong> cultures et <strong>des</strong> savoirsd’action qui diffèrent d’un paradigme à l’autre. Il affirme que les différents intervenantsdoivent désirer le changement. Plusieurs phases dans le pro<strong>ce</strong>ssus de changement sontné<strong>ce</strong>ssaires pour assurer le succès d’une action con<strong>ce</strong>rtée. Les conditions qui provoquent lechangement, selon Bergeron (1987) et Carton (1999), sont : la conscientisation du problème,le désir de changement, l’établissement de la collaboration, l’identification et l’ac<strong>ce</strong>ptation duproblème, les pistes de solutions possibles et l’action elle-même. Ce pro<strong>ce</strong>ssus rigoureuxlié au changement n’est pas simple dans son application ; <strong>ce</strong>pendant la présente recherchedémontre qu’il est possible d’y arriver, en autant que chaque membre de l’équipe y croit etque chacun <strong>des</strong> rôles soient respectés par l’ensemble <strong>des</strong> membres de l’équipe.Dans les prochains paragraphes, nous présentons les objectifs de <strong>ce</strong>tte recherche : ilstraduisent nos préoccupations reliées au développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles,à la mise en pla<strong>ce</strong> d’un dispositif organisationnel pour l’intégration <strong>des</strong> dites compéten<strong>ce</strong>s etenfin à la con<strong>ce</strong>rtation entre les différents intervenants impliqués dans le projet.Objectifs de la rechercheDans le cadre d’un partenariat entre les professeurs du département <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>sde l’éducation et les bibliothécaires de l’UQO, la présente recherche vise les objectifssuivants :▪ Réaliser l’analyse <strong>des</strong> besoins <strong>des</strong> étudiants de première année au DSE con<strong>ce</strong>rnant lescompéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles par une auto-évaluation ;▪ Promouvoir l’intégration <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles aux activités de <strong>formation</strong> ;▪ Guider un dispositif d’intégration <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles à travers les activitésde <strong>formation</strong>;▪ Induire une prise de conscien<strong>ce</strong> progressive <strong>des</strong> niveaux de compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelleset de leur utilité dans la <strong>formation</strong> initiale et continue.MéthodologieL’échantillon comprend 78 étudiants, d’âge moyen de 21,6 ans, dont 45 ont suivi <strong>des</strong> coursde méthodologie au cégep . Les participants sont <strong>des</strong> étudiants à la première session dubaccalauréat de l’éducation préscolaire et primaire à l’Université du Québec en Outaouais. Leprojet a ciblé un lieu d’ancrage dans le cours de « Fondements et organisation à l’éducationpréscolaire ». Dans <strong>ce</strong> cours, les étudiants devaient réaliser un projet en respectant les Département <strong>des</strong> Scien<strong>ce</strong>s de l’Éducation6 Abréviation de : Collège d’Enseignement Général et Professionnel126<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Les compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles <strong>des</strong> futurs enseignants : enjeux et pratiquesétapes de la pédagogie par projet et en respectant <strong>des</strong> critères d’évaluation qui visaient ledéveloppement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles. Ces critères ont été développés avecla collaboration <strong>des</strong> bibliothécaires.Le dispositifLe dispositif organisationnel qui a servi de démarche à notre recherche correspond àtoutes les étapes réalisées pour <strong>ce</strong>tte étude. En premier lieu, nous avons développé <strong>des</strong>outils (questionnaires, consultation <strong>des</strong> plans de cours) qui ont servi à répertorier <strong>ce</strong> quiexistait au Département <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s de l’éducation au regard du développement <strong>des</strong>compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles. De plus, <strong>des</strong> entrevues ont été réalisées avec le personnelde la bibliothèque afin de dégager le portrait <strong>des</strong> utilisateurs de la bibliothèque et de ladidacthèque. Nous tenons également à souligner la participation de madame Sylvie Gervais,pour sa collaboration liée aux résultats de son mémoire (Gervais, 2004, Gervais et Arsenault,2005) portant sur les habiletés en recherche de l’in<strong>formation</strong>. En second lieu, nous avonsadministré un outil d’autodiagnostic permettant aux étudiants de situer leurs niveaux deper<strong>ce</strong>ption liée aux compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles et de cibler leurs besoins de <strong>formation</strong>pour orienter les capsules de <strong>formation</strong>. Cet outil a été adapté de l’outil d’autodiagnosticde Josianne Basque (2005) de la TÉLUQ. En troisième temps, l’outil d’autodiagnostic apermis de faire émerger les besoins de <strong>formation</strong> qui ont été regroupés par normes et parindicateurs afin de développer deux capsules de <strong>formation</strong>, d’une durée de 25 minutes. Lesbesoins de <strong>formation</strong> en émergen<strong>ce</strong> sont présentés au tableau 1. En quatrième lieu, unquestionnaire a été administré visant la per<strong>ce</strong>ption <strong>des</strong> étudiants sur leur progression dudéveloppement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles à l’intérieur du cours en question. Tousles choix faits con<strong>ce</strong>rnant les éléments du dispositif organisationnel ont été discutés encon<strong>ce</strong>rtation avec les professeurs et les bibliothécaires intéressés par le projet.À la suite de la passation d’instruments de mesure, deux mo<strong>des</strong> d’analyse ont étéutilisés. L’une de type qualitatif et l’autre de type quantitatif. Les normes <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>sin<strong>formation</strong>nelles présentées comme cadre de référen<strong>ce</strong> ont servi de grille d’analyse ayantpermis d’organiser les données en résultats de recherche.Approche méthodologique mixteÀ partir <strong>des</strong> commentaires écrits par les étudiants, dans le questionnaire relatif au bilan réflexif,<strong>des</strong> données ont émergé et furent traitées qualitativement. Un premier niveau d’analyse apermis de relever plusieurs énoncés (74) et de les regrouper en catégories émergentes. Undeuxième niveau d’analyse a servi à mettre en relation les catégories émergentes en lesassociant aux critères d’analyse préétablis au regard du cadre de référen<strong>ce</strong>. Cette démarchede mise en relation <strong>des</strong> catégories émergentes a provoqué chez nous <strong>des</strong> questionnementssur les liens possibles entre les normes, sur les modalités d’application <strong>des</strong> logiciels servantà la recherche d’in<strong>formation</strong> et sur leurs mo<strong>des</strong> d’apprentissage. Ces étapes d’analyse ontpermis de mieux comprendre l’apport <strong>des</strong> capsules d’in<strong>formation</strong> dans le développementde leurs compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles, de cibler les limites et les difficultés rencontréespendant le pro<strong>ce</strong>ssus de recherche et de dégager de nouveaux besoins de <strong>formation</strong> à lasuite de <strong>ce</strong>tte expérien<strong>ce</strong>. L’analyse de type qualitatif a été faite par identification manuelleet comptage <strong>des</strong> unités de sens en fonction <strong>des</strong> critères d’analyse (normes) par repérageet dénombrement <strong>des</strong> propos liés aux trois questions du bilan de progression. Le type<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 127


J. APRIL, M. BEAUDOINd’analyse qualitative a permis de rester ancré dans la logique de la pratique <strong>des</strong> étudiantset dans leurs compréhensions et applications de la recherche documentaire.L’analyse <strong>des</strong> besoins et une partie du bilan réflexif <strong>des</strong> étudiants ont été réalisées parquestionnaires fermés. L’analyse <strong>des</strong> besoins a été réalisée par un instrument basé sur <strong>des</strong>indicateurs <strong>des</strong> normes du cadre de référen<strong>ce</strong>. Plusieurs questions fermées complétaient lebilan réflexif de l’étudiant. Elles visaient à apprécier la per<strong>ce</strong>ption qu’avaient les étudiants duniveau de leur compéten<strong>ce</strong> in<strong>formation</strong>nelle et à donner une indication sur l’utilisation de labibliothèque. Les statistiques <strong>des</strong>criptives ont été utilisées pour le traitement, les sujets quiont participé à l’implantation du dispositif ne pouvant être considérés comme un échantillonreprésentatif. Les instruments dont nous disposions n’ont pas été validés statistiquement.Il faut donc faire preuve de pruden<strong>ce</strong> dans l’interprétation <strong>des</strong> résultats. Les analysesqualitative et quantitative se sont avérées complémentaires. Elles ont permis de confronternos résultats et de valider nos per<strong>ce</strong>ptions.Résultats et discussionBilan de progression du développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nellesLes résultats <strong>des</strong>criptifs de l’analyse qualitative ont démontré que la norme 2 (savoir accéderavec efficacité à l’in<strong>formation</strong>) était un besoin premier chez les étudiants. Après les capsules,<strong>ce</strong>tte norme demeure une limite et représente encore une grande lacune. C’est donc direque la porte d’entrée vers la recherche documentaire est la norme 2 qui répond davantage àleurs mo<strong>des</strong> d’apprentissage par tâtonnement. De plus, nous avons constaté, chez <strong>ce</strong>rtainsétudiants, que le sujet de départ pouvait changer selon les découvertes. La norme 3 (évaluerde façon critique l’in<strong>formation</strong> et les sour<strong>ce</strong>s) et la norme 1 (déterminer la nature et l’étenduede l’in<strong>formation</strong> né<strong>ce</strong>ssaire) représentent les nouveaux besoins de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> étudiants.Ici, nous remarquons un fait intéressant qui s’appuie sur leur prise de conscien<strong>ce</strong> que lesnormes 1 et 3 sont né<strong>ce</strong>ssaires dans le pro<strong>ce</strong>ssus de recherche documentaire.Les étudiants ont aussi demandé de revoir le format <strong>des</strong> capsules en les rendant davantagepratiques (en laboratoire). Ils apportent comme conclusion que les capsules auraient été pluspertinentes si elles avaient été accompagnées en simultanéité avec leur propre recherche,suivie d’un forum de discussion.À la lumière de <strong>ce</strong>s premiers résultats, nous pouvons convenir que les étudiants utilisentune méthode plutôt heuristique et exploratoire avec <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> d’apprentissage nonconventionnels. Ces derniers ne transposent pas les besoins d’in<strong>formation</strong> en requête, ilsconsultent très rapidement les noti<strong>ce</strong>s issues <strong>des</strong> résultats de recherches exploratoires. Deplus, ils sautent d’une sour<strong>ce</strong> à l’autre et ils entreprennent leur recherche par la norme 2.Les besoins de <strong>formation</strong>Les étudiants ont été invités à exprimer leurs besoins de <strong>formation</strong> au début du trimestre.Le tableau 1 décrit les besoins de <strong>formation</strong> le plus couramment exprimés par les étudiants.Ces éléments ont servi à la construction <strong>des</strong> capsules de <strong>formation</strong>.128<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Les compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles <strong>des</strong> futurs enseignants : enjeux et pratiquesTableau 1. Besoins de <strong>formation</strong> les plus courantsÉnoncés où plus de 30 sujets ont laissé entrevoir <strong>des</strong> besoins de <strong>formation</strong>.Je sélectionne <strong>des</strong> outils de repérage (catalogue, base de données, indeximprimé, Web, autres moteurs de recherche) pertinents à mon besoin.J’utilise les opérateurs booléens (et-ou-sauf) appropriés à l’outil de repérageque j’ai choisi pour améliorer l’efficacité de ma recherche.J’utilise les symboles de troncature appropriés à l’outil de repérage que j’aichoisi pour améliorer l’efficacité de ma recherche. (ex: can* pour Canada oucanadien ou canadienne, etc.).À partir d’une cote de rangement, je localise sur les rayons de la bibliothèquele document auquel <strong>ce</strong>tte cote a été attribuée.Les référen<strong>ce</strong>s que je présente à la fin de mon travail sont complètes etselon les normes de présentation du DSE (Département <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s del’éducation).Je reconnais que la compéten<strong>ce</strong> in<strong>formation</strong>nelle exige une mise àjour continuelle de mes connaissan<strong>ce</strong>s ainsi que <strong>des</strong> apprentissagestechnologiques.324660334938Les besoins les plus exprimés se situent au niveau de l’utilisation <strong>des</strong> bases de donnéeset <strong>des</strong> techniques de recherche. Plusieurs étudiants ne connaissent pas les opérateursbooléens et la troncature. Les normes de présentation bibliographiques ont aussi étésignalées comme sujet né<strong>ce</strong>ssitant une <strong>formation</strong>.Les variables du bilanPar la partie « questionnaire fermé » du bilan, nous désirions avoir <strong>des</strong> indicateurs quantifiéssur la per<strong>ce</strong>ption de compéten<strong>ce</strong> in<strong>formation</strong>nelle développée lors de l’essai du dispositif.Nous avions aussi le désir d’avoir de l’in<strong>formation</strong> sur l’utilisation de la bibliothèque. Lesvariables et leurs modalités sont les suivantes.• Compéten<strong>ce</strong> in<strong>formation</strong>nelle perçue en fin de trimestreFaible 0 – Moyenne 1 – Élevée 2 – Très Élevée 3• Niveau de difficulté perçu pour le travail de rechercheFaible 0 – Moyen 1 – Élevé 2 –Très Élevé 3• Progression perçue durant le trimestreFaible 0 – Moyenne 1 – Élevée 2 –Très élevée 3• Utilisation <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s de la bibliothèque Non 0 – Oui 1• Personnel de la bibliothèque Non 0 – Oui 1• Utilisation <strong>des</strong> liens fournis durant la <strong>formation</strong> Non 0 – Oui 1L’analyse de corrélation indique que <strong>ce</strong>s variables ne sont pour la plupart du temps pasreliées par un lien linéaire, les corrélations étant plutôt faibles et non significatives.Certaines variables sont <strong>ce</strong>pendant reliées significativement , en mettant toutefois une7 ** niveau de signification 0,01 * niveau de signification 0,05<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 129


J. APRIL, M. BEAUDOINlimite à <strong>ce</strong>tte affirmation en vertu de la composition non probabiliste du groupe de sujets).Utilisation <strong>des</strong> liens de la <strong>formation</strong> et <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s de la bibliothèque r = 0,504**Les étudiants qui ont utilisé l’in<strong>formation</strong> donnée lors <strong>des</strong> capsules de <strong>formation</strong> ont davantagefait appel aux ressour<strong>ce</strong>s de la bibliothèque.Âge et consultation du personnel de la bibliothèque r = 0, 37**Les étudiants plus âgés consultent davantage le personnel de la bibliothèque.Âge et per<strong>ce</strong>ption de compéten<strong>ce</strong> in<strong>formation</strong>nelle r = -0, 290**Les étudiants plus âgés se perçoivent moins compétents que les plus jeunes.Utilisation <strong>des</strong> liens et difficulté à rechercher l’in<strong>formation</strong> r = -0, 258*Plus on utilise les résultats de la <strong>formation</strong> qui a été donnée, moins on éprouve de difficultéà rechercher l’in<strong>formation</strong> dont on a besoin pour réaliser le travail.En <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne l’utilisation <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s reçues et <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s de la bibliothèque,75 % <strong>des</strong> sujets ont utilisé les liens donnés lors de la <strong>formation</strong> et 59 % <strong>des</strong> sujets ont utiliséles ressour<strong>ce</strong>s de la bibliothèqueLa per<strong>ce</strong>ption de compéten<strong>ce</strong>Les figures 1, 2, et 3 représentent les per<strong>ce</strong>ptions qu’ont eues les étudiants de leurcompéten<strong>ce</strong> in<strong>formation</strong>nelle globale durant l’implantation du dispositif. Les aspects cibléssont la per<strong>ce</strong>ption de compéten<strong>ce</strong> in<strong>formation</strong>nelle (fig. 1), la per<strong>ce</strong>ption du progrès réalisé(fig.2) et le niveau de difficulté à réaliser le travail (fig. 3).Figure 1 Per<strong>ce</strong>ption du niveau de compéten<strong>ce</strong> en recherche in<strong>formation</strong>nelleNiveau perçu decompéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nellesTrès élevé1,4%élevé18,3%Faible12,7%Moyen67,6%130<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Les compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles <strong>des</strong> futurs enseignants : enjeux et pratiquesFigure 2 Per<strong>ce</strong>ption de la progression de la compéten<strong>ce</strong> en recherche in<strong>formation</strong>nelleTrès élevéePer<strong>ce</strong>ption de la progression1%élevée19%Manquant1%Faible8%Moyenne69%Figure 3 Per<strong>ce</strong>ption du niveau de difficulté à rechercher l’in<strong>formation</strong>Niveau de difficultéperçuTrès élevé3%élevé8%Manquant1%Faible19%Moyen68%Une première lecture <strong>des</strong> graphiques nous montre l’importan<strong>ce</strong> relative de la catégorie« moyen » dans chaque cas. Cette situation s’explique par le fait qu’on peut difficilementprétendre à un niveau de compéten<strong>ce</strong> élevé dans <strong>ce</strong> domaine, à moins d’y être impliqué defaçon régulière. On n’est rarement totalement satisfait, ni totalement insatisfait <strong>des</strong> recherchesbibliographiques qu’on effectue, même si elles sont réalisées de façon adéquate.Environ un sujet sur cinq a perçu une progression élevée ou très élevée. On observe uneproportion équivalente sur la per<strong>ce</strong>ption élevée ou très élevée de compéten<strong>ce</strong> in<strong>formation</strong>nelle,sans toutefois que les variables soient corrélées. Notons enfin que seulement 11 % <strong>des</strong>sujets ont éprouvé <strong>des</strong> difficultés à rechercher la documentation requise pour le travail.Dans <strong>ce</strong> cas, la difficulté à retra<strong>ce</strong>r la documentation pertinente peut relever d’un sujetdifficile à traiter autant que d’une compéten<strong>ce</strong> in<strong>formation</strong>nelle insuffisante.On observe également par les résultats qu’il existe une ambiguïté con<strong>ce</strong>rnant le con<strong>ce</strong>pt de<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 131


J. APRIL, M. BEAUDOINcompéten<strong>ce</strong>, en particulier dans le cas d’une compéten<strong>ce</strong> qu’on peut qualifier de transversalecomme la compéten<strong>ce</strong> in<strong>formation</strong>nelle. Les résultats de l’analyse quantitative, en particulierl’analyse corrélationnelle peuvent indiquer un <strong>ce</strong>rtain flou dans la représentation du con<strong>ce</strong>ptde compéten<strong>ce</strong> chez les étudiants.Un troisième type d’interprétation se rapporte à l’ambiguïté entre les outils de recherche(bases de données) et l’approche de développement par compéten<strong>ce</strong>s. Ici, nous faisonsallusion aux nouvelles bases de données qui guident les sujets dans leurs recherchesbibliographiques. L’approche par compéten<strong>ce</strong>s a, entre autres, comme visée d’amener lesapprenants à développer <strong>des</strong> stratégies et <strong>des</strong> démarches de recherche. Or, en matière derecherche bibliographique, <strong>des</strong> stratégies et démarches sont induites dans <strong>ce</strong>rtaines basesde données.Réflexion sur le dispositifQuelques recommandations, issues d’échanges, de réflexion par les membres de l’équipeet <strong>des</strong> commentaires reçus par les étudiants, permettent déjà d’apporter <strong>des</strong> clarifications,<strong>des</strong> corrections à deux outils du dispositif organisationnel. En premier lieu, les capsulesde <strong>formation</strong> pourraient être associées au choix <strong>des</strong> sujets. De plus, dans les capsules,il a été mentionné de mettre davantage l’ac<strong>ce</strong>nt sur la définition du besoin de <strong>formation</strong>dans le pro<strong>ce</strong>ssus de recherche documentaire. Et finalement, les formats <strong>des</strong> capsulesdevraient respecter les mo<strong>des</strong> d’apprentissage <strong>des</strong> étudiants. Comme deuxième outil, nousconstatons que le bilan de progression <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles doit égalementmodifier <strong>ce</strong>rtaines questions en précisant les indicateurs de performan<strong>ce</strong>, en distinguant laprovenan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> retombées (capsules ou résumés <strong>des</strong> capsules) et en précisant les lieux (labibliothèque et la didacthèque) où la recherche a été menée.ConclusionLes retombéesÀ la lumière <strong>des</strong> résultats, plusieurs pistes de solution ont été relevées.Structurer davantage la démarche de collaboration entre le personnel de la bibliothèque etle corps professoral.Utiliser <strong>des</strong> outils intégrateurs et partagés avec les différents intervenants pour soutenir ladémarche documentaire. À <strong>ce</strong>tte fin, un travail de con<strong>ce</strong>rtation soutenu et argumenté sur lescritères d’évaluation a été réalisé.Cibler un lieu d’ancrage (cours, stages) à tous les trimestres de la <strong>formation</strong> pour assurerune intégration <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles dans une approche-programme.Les limites de la rechercheBien que le dispositif ait eu <strong>des</strong> résultats qu’on peut qualifier de positifs, tant en <strong>ce</strong> quicon<strong>ce</strong>rne le développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles <strong>des</strong> étudiants que lacollaboration entre professeurs et bibliothécaires, le modèle développé et l’instrumentationutilisée présentent <strong>ce</strong>rtaines limites.132<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Les compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles <strong>des</strong> futurs enseignants : enjeux et pratiquesLes limites contextuellesIl est difficile, dans un contexte <strong>universitaire</strong>, d’assurer le développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>sin<strong>formation</strong>nelles dans l’ensemble <strong>des</strong> cours, un dispositif ne pouvant être « imposé » àl’ensemble <strong>des</strong> professeurs et personnes chargées de cours. Un dispositif d’enseignementpeut difficilement être imposé de façon institutionnelle. Le projet <strong>des</strong> étudiants a été réaliséen équipes, le nombre élevé d’étudiants par groupe ne permettant pas le suivi et l’encadrementde travaux personnels. Or, il est possible que <strong>ce</strong>rtaines personnes aient été cibléespar l’équipe pour réaliser la partie « recherche documentaire » du projet. Pour les autres, ledispositif risque de n’avoir eu qu’un faible impact. Enfin, les étudiants qui avaient besoin <strong>des</strong>upport durant la fin de semaine n’ont pu compter sur l’appui <strong>des</strong> bibliothécaires.Les limites instrumentalesL’ensemble de l’instrumentation n’était pas validé statistiquement. Une telle validationn’était pas né<strong>ce</strong>ssaire en fonction de nos objectifs. Elle représente <strong>ce</strong>pendant une limite àla généralisation <strong>des</strong> résultats. Nos instruments n’ont pas prévu que les étudiants disposentd’un servi<strong>ce</strong> complémentaire (la didacthèque) qu’ils considèrent différent de la bibliothèquemême si <strong>ce</strong> servi<strong>ce</strong> relève de la bibliothèque. L’outil d’autodiagnostic administré étaitanonyme et ne permettait pas de suivi durant la durée du trimestre. Nous questionnonsaussi le sérieux de <strong>ce</strong>rtains étudiants à rédiger le bilan de façon responsable.BibliographieAPRIL J., BEAUDOIN M. (2006) « Projet d’intégration <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s infor-mationnelles :mise à l’essai d’un dispositif en enseignement préscolaire et primaire » Documentation etbibliothèques, vol 52, n° 3, pp. 173-181.Association of College and Research Libraries (ACRL) (2000) In<strong>formation</strong> LiteracyCompetency Standards for Higher Education. Chicago, ACRL, 20 p. Document en ligne :www.ala.org/ala/arcl/arcrlstandards/standards.pdfBASQUE J. (2005) Outil informatisé d’autodiagnostic <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s in<strong>formation</strong>nelles(CIAD), Document en ligne :http://www.li<strong>ce</strong>f.teluq.uquebec.ca:90/ci<strong>ce</strong>/article.php3?id_article=38BERGERON G. (1987) L’implication <strong>des</strong> professeurs dans la <strong>formation</strong> documentaire <strong>des</strong>étudiants <strong>universitaire</strong>s. Université du Québec en Outaouais.CARTON G.-D. (1999) Éloge du changement. Paris, Éditions Village Mondial.Conféren<strong>ce</strong> <strong>des</strong> recteurs et <strong>des</strong> principaux <strong>des</strong> universités du Québec (CREPUQ).Groupe de travail sur la <strong>formation</strong> documentaire, trad. (2005). Norme sur les compéten<strong>ce</strong>sin<strong>formation</strong>nelles dans l’enseignement supérieur de l’Association of College and ResearchLibraries (ACRL), Québec, CREPUQ. 15 p. Document également disponible en ligne :www.crepuq.qc.ca/rubrique.php3?id_rubrique=170FONDIN H. (2003) « La scien<strong>ce</strong> de l’in<strong>formation</strong> : contribution pour un paradigmein<strong>formation</strong>nel » Documentation et Bibliothèques, vol. 49, n o 1, pp. 23-29.GERVAIS S., ARSENEAULT C. (2005) « Habiletés en recherche d’in<strong>formation</strong> <strong>des</strong> étudiantsde première année <strong>universitaire</strong> en scien<strong>ce</strong>s de l’éducation » Documentation et Bibliothèques,vol. 51, n o 4, pp. 241-260.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 133


J. APRIL, M. BEAUDOINMARTINET M.-A., RAYMOND D., GAUTHIER C. (2001) La <strong>formation</strong> à l’enseignement.Les orientations. Les compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s. Québec, Gouvernement du Québec,ministère de l’Éducation.Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2003) Programme de <strong>formation</strong> de l’écolequébécoise secondaire premier cycle. Québec, Gouvernement du Québec.Ministère de l’Éducation du Québec (2001) Programme de <strong>formation</strong> de l’école québécoisepréscolaire et primaire. Québec, Gouvernement du Québec.MITTERMEYER D., QUIRION D. (2003) Étude sur les connaissan<strong>ce</strong>s en recherche documentaire<strong>des</strong> étudiants entrant au 1 er cycle dans les universités québécoises. Montréal,CREPUQ.PINTE J.-P. (2005) « La relation au savoir et les outils de la veille pédagogique » Pédagogiecollégiale. Vol. 18, n o 3, pp. 23-30.Université du Québec (2006) Programme de développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>sin<strong>formation</strong>nelles (PDCI. Programme disponible en ligne :http://culturinfo.uquebec.ca/VERREAULT L., BOISVERT D. et HÉBERT M. (2004) La <strong>formation</strong> aux compéten<strong>ce</strong>sin<strong>formation</strong>nelles : une action fondamentale essentielle à la réussite de l’étudiant.http://culturinfo.uquebec.ca/134<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Étude <strong>des</strong> motifs et <strong>des</strong> objets d’auto<strong>formation</strong>d’enseignants novi<strong>ce</strong>s à l’ordre primaire et potentialitéspour la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong><strong>des</strong> enseignantsFrancine d’Ortun Joanne PharandUniversité du Québec en Outaouais,Centre de recherche inter<strong>universitaire</strong> sur l’éducation et la vie au travail (CRIEVAT) –Université Laval (Canada)ProblématiquePlusieurs étu<strong>des</strong> mettent au jour les difficultés reliées à l’exerci<strong>ce</strong> de la profession enseignante(Pharand et Boudreault, 2006 ; Desgagné, 2005 ; Baillauquès et Breuse, 1993),l’environnement professionnel <strong>des</strong> enseignants qui se conjugue aux réformes et à la complexification<strong>des</strong> clientèles et <strong>des</strong> tâches (Martineau et Presseau, 2004 ; Pharand, 2002 ;Lessard et Tardif, 2001), les compéten<strong>ce</strong>s né<strong>ce</strong>ssaires aux enseignants (Mellouki et Gauthier,2005) de même que les mesures qu’initient les établissements pour faciliter l’insertion<strong>des</strong> nouveaux enseignants (Deaudelin, Brodeur et Bru, 2005 ; Lamarre, 2003 ; Gervais etLévesque, 2000) dont le mentorat et l’accompagnement personnalisé.De tout temps, les nouveaux enseignants ont dû faire preuve d’adaptation pour intégrerles milieux de pratique avec les multiples questionnements qu’impose <strong>ce</strong>tte entrée dans laprofession dont les premières années seraient caractérisées par l’anxiété, la désillusion etla pression intense (Kardos, 2004). Le contexte d’enseignement évolue rapidement et lessituations que les nouveaux enseignants affrontent ne sont pas toujours faciles à prévoir.Par ailleurs, depuis les années 80, l’entrée dans la profession est caractérisée par unegrande précarité d’emploi qui peut se prolonger plus de quatre ans ; il n’est pas rare que<strong>des</strong> nouveaux enseignants travaillent à temps partiel, doivent changer souvent d’écoleset de degré d’enseignement. Les étu<strong>des</strong> nord-américaines et européennes soulèvent<strong>ce</strong>s difficultés durant l’insertion dans <strong>ce</strong>tte profession que 17% désertent dans les cinqpremières années (CSE, 2004). Les nouveaux enseignants auraient de nombreux besoinset la majorité <strong>des</strong> mesures instaurées au Québec ou ailleurs pour y répondre donneraient<strong>des</strong> résultats majoritairement positifs, si le novi<strong>ce</strong> peut s’en prévaloir bien entendu. Or,la majorité se retrouverait sans support et s’en sortirait par l’essai erreur et leurs propresinitiatives (Mukamurera, 1998).Nous notons que la capacité à se former par soi-même est absente <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>sné<strong>ce</strong>ssaires aux enseignants décrites au programme de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres (Martinet etal., 2001). L’auto<strong>formation</strong> ne serait ni enseignée ni stimulée dans nos facultés d’éducationquoique plusieurs recherches ré<strong>ce</strong>ntes mettent au jour la né<strong>ce</strong>ssité de la compéten<strong>ce</strong> às’autoformer chez les travailleurs (d’Ortun, 2006 ; d’Ortun et al., 2005 ; Carré et Charbonnier,2003 ; Hrimech, 2002). Une meilleure connaissan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> stratégies grâ<strong>ce</strong> auxquelles Francine.dOrtun@uqo.ca<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 135Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (135-143) Tome 2


F. d’ORTUN, J. PHARANDles enseignants se forment eux-mêmes pourrait fournir <strong>des</strong> pistes d’amélioration de nos<strong>formation</strong>s <strong>universitaire</strong>s, de l’accompagnement offert au moment de l’insertion en emploi etde l’offre de <strong>formation</strong> continue.Cadre con<strong>ce</strong>ptuelL’auto<strong>formation</strong> au travail est un domaine émergeant de recherche dans le contexte demutations rapi<strong>des</strong> <strong>des</strong> économies et du marché de l’emploi (Foucher et Hrimech, 2000).Quoique l’auto<strong>formation</strong> soit en quête d’une définition (Tremblay et Eneau, 2006), leschercheurs semblent s’entendre sur un élément de définition : l’auto<strong>formation</strong> amène uncontrôle accru de la personne sur son apprentissage et sur un nombre varié d’étapes et decomposantes de son apprentissage (d’Ortun, 2005a). Dans <strong>ce</strong>tte recherche, l’auto<strong>formation</strong>se définit comme un mode où l’apprenant prend l’initiative et choisit de manière autonomeses buts et métho<strong>des</strong> d’apprentissage et acquiert <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s en utilisant sespropres ressour<strong>ce</strong>s et <strong>ce</strong>lles de son milieu (Candy, 1991). Quoique l’exerci<strong>ce</strong> de l’autonomiedans l’apprentissage par l’acteur social gagne du terrain comme stratégie de <strong>formation</strong> <strong>des</strong>travailleurs (Foucher et Hrimech 2000), Rieunier (2005) apporte quelques nuan<strong>ce</strong>s à <strong>ce</strong>constat. En effet, l’auto<strong>formation</strong> n’est pas toujours un mode de <strong>formation</strong> choisi par untravailleur qui exer<strong>ce</strong> son autonomie. Il peut également s’agir d’un mode de <strong>formation</strong> pardépit en l’absen<strong>ce</strong> de ressour<strong>ce</strong>s ou de soutien dans une organisation.Les stratégies d’apprentissage sont <strong>des</strong> opérations mises en œuvre pour faciliterl’acquisition de connaissan<strong>ce</strong>s ou de compéten<strong>ce</strong>s (Straka, 2000). Hrimech (2002) étudieles stratégies d’apprentissage par soi-même. Il dégage une quinzaine de stratégiesd’auto<strong>formation</strong> d’entretiens menés avec <strong>des</strong> travailleurs, qu’il classe en stratégiessociales, cognitives et métacognitives. Les sept stratégies les plus utilisées sont : la lecture,l’apprentissage par l’expérien<strong>ce</strong> ou par la pratique, l’essai et erreur, le coaching et le mentorat,la discussion et les échanges avec les collègues et les experts, Internet, et le modeling oul’imitation <strong>des</strong> collègues plus expérimentés. Par ailleurs Tremblay (1992) a mis au jour lescompéten<strong>ce</strong>s que doit posséder l’apprenant en situation d’auto<strong>formation</strong>, soit : adaptative(tolérer l’in<strong>ce</strong>rtitude), sociale (établir un réseau de ressour<strong>ce</strong>s), praxique (réfléchir sur etdans l’action), métacognitive (se connaître comme apprenant).Les compéten<strong>ce</strong>s du futur maître : En vertu de la Loi sur l’instruction publique, legouvernement québécois établit un régime pédagogique de l’éducation préscolaire, del’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire qui précise la nature et les objectifs<strong>des</strong> servi<strong>ce</strong>s éducatifs ainsi que leur cadre d’organisation (MÉQ, 2001). Les universités sontappelées à offrir un programme qui permette aux futurs maîtres d’acquérir les compéten<strong>ce</strong>s<strong>professionnelle</strong>s né<strong>ce</strong>ssaires à leur profession. Les douze compéten<strong>ce</strong>s visées par lebaccalauréat en enseignement préscolaire et primaire (BEPEP) sont décrites dans Martinetet al. (2001). L’auto<strong>formation</strong> n’est pas de <strong>ce</strong> nombre.La préparation à la profession et le développement professionnel : Huberman (1989)identifie les phases du développement professionnel de l’enseignant, soit : la survie, ladécouverte et la consolidation pédagogique. La survie est la période de tâtonnement oùl’enseignant, souvent seul, développe <strong>des</strong> stratégies pour arriver à ses fins. La découverte estdécrite par l’enthousiasme à débuter dans la profession et la fierté d’avoir sa propre classe,ses élèves, une <strong>ce</strong>rtaine liberté d’action. La seconde étape aide à supporter la première.La profession est vue comme une sour<strong>ce</strong> de défis à relever et un lieu d’épanouissement.Ces deux étapes s’inscrivent dans une même phase d’exploration à laquelle succède la136<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Auto<strong>formation</strong> d’enseignants novi<strong>ce</strong>s à l’ordre primaire et potentialités pour la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignantsphase de stabilisation ou de consolidation pédagogique où l’enseignant parvient à uneaffirmation plus grande fa<strong>ce</strong> à ses collègues, une confian<strong>ce</strong> accrue en lui et une meilleurehabileté devant les situations plus complexes. Quant à Riopel (2006), elle représente lesétapes du développement professionnel <strong>des</strong> enseignants sur un continuum de <strong>formation</strong>tout au long de la trajectoire <strong>professionnelle</strong>. Ces étapes sont : la <strong>formation</strong> antérieure, la<strong>formation</strong> initiale, l’insertion <strong>professionnelle</strong> et la <strong>formation</strong> continue. Ces deux dernièressont davantage liées à notre recherche.L’insertion correspond à la période transitoire entre la <strong>formation</strong> initiale et la <strong>formation</strong>continue et l’entrée dans la profession marque le début de la construction de l’identitéde l’enseignant et de son engagement dans la <strong>formation</strong> continue (Gervais et Lévesque,2000). Par ailleurs, puisque nous étudions l’auto<strong>formation</strong> au travail, le cadre comporteles caractéristiques individuelles et organisationnelles qui motivent l’auto<strong>formation</strong> commestratégie de <strong>formation</strong> continue. Ces caractéristiques sont : l’attitude de l’organisation et <strong>des</strong>responsables de <strong>formation</strong>, les besoins de <strong>formation</strong> suscités par les exigen<strong>ce</strong>s de l’emploiou sa complexité et la motivation et la capacité de l’individu dont son autonomie et <strong>ce</strong>rtainstraits de sa personnalité (Foucher, 2000).ObjectifsNous abordons le recours à l’auto<strong>formation</strong> du point de vue d’enseignants. Notre recherchevise à explorer et à décrire les motifs, les objets et les stratégies d’auto<strong>formation</strong> vue commedispositif de <strong>formation</strong> continue, et son apport dans l’insertion et le maintien dans la professionenseignante. Les données recueillies sont examinées au regard de trois dimensions dégagéesde la re<strong>ce</strong>nsion qui balisent le schéma d’entretien et les analyses. Ces dimensions sont :la préparation à la profession (<strong>formation</strong> initiale et stages), l’accompagnement à l’insertion<strong>professionnelle</strong> et le recours à l’auto<strong>formation</strong> (motifs, objets et stratégies).Notre but est double. Au plan théorique, participer à l’élaboration d’un corpus de connaissan<strong>ce</strong>ssur l’auto<strong>formation</strong> en emploi. Au plan de la pratique, apporter aux enseignants et auxuniversités une compréhension plus fine du maintien dans la profession et <strong>des</strong> réactions<strong>des</strong> enseignants vis-à-vis <strong>des</strong> mesures institutionnelles d’insertion et de <strong>formation</strong> continuemises de l’avant. Ainsi, outre contribuer à mieux comprendre la persistan<strong>ce</strong> en emploi parl’étude d’une dimension peu étudiée de la réussite <strong>professionnelle</strong> : l’auto<strong>formation</strong> autravail (Straka, 2000), elle contribue à la préparation <strong>des</strong> futurs maîtres pour qu’ils soient,outre qualifiés et informés, également aptes à l’auto<strong>formation</strong>, autrement dit capables dediagnostiquer leurs besoins et d’établir leur plan de <strong>formation</strong> selon <strong>des</strong> modalités les pluschoisies possibles (Tremblay, 2003).MéthodologiePour répondre à la question « Quels sont les motifs, les objets et les stratégies d’auto<strong>formation</strong>d’enseignants du primaire ? » nous adoptons une méthode qualitative classique. En donnantla parole à <strong>des</strong> enseignants, nous visons à alimenter la réflexion sur la <strong>formation</strong> initialequ’offre l’université et <strong>ce</strong>lle sur l’auto<strong>formation</strong> comme dispositif de <strong>formation</strong> continue <strong>des</strong>enseignants.L’échantillon est de type intentionnel compte tenu <strong>des</strong> caractéristiques recherchées chezles participants. Puisque l’insertion peut demander jusqu’à cinq ans et que les abandons<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 137


F. d’ORTUN, J. PHARANDsurviennent à l’intérieur de <strong>ce</strong>tte période, nous rencontrons soixante enseignants répartis entrois catégories : 25 novi<strong>ce</strong>s (2 à 4 ans d’expérien<strong>ce</strong>) ; 30 expérimentés (5 années ou plus) ;5 déserteurs (au moins 12 mois dans la profession avant d’abandonner).Le schéma d’entretien comporte vingt-six questions qui couvrent les trois dimensionsétudiées. Les données qualitatives recueillies sont enregistrées, transcrites et codées à l’aided’une grille élaborée selon l’approche de réduction <strong>des</strong> données préconisée par Hubermanet Miles (1991) et analysées à l’aide du logiciel de traitement de données qualitatives Atlas-Ti.RésultatsNous sommes à colliger les données. Ces résultats sont dégagés d’un nombre restreintd’entrevues.Les sujets : Il s’agit de trois femmes et d’un homme dont l’âge varie entre 25 et 34 ans etdont l’expérien<strong>ce</strong> oscille entre six mois et dix années. Deux travaillent à temps partiel etne sont pas assurés d’un poste l’an prochain. La tâche de chacun inclut tous les cyclesd’enseignement du primaire : 2e, 3e, 5e, 6e, et au préscolaire, pour l’un d’eux, un état dechoses qui représente un défi compte tenu de l’âge et de la maturité <strong>des</strong> enfants. De plus,ils disent enseigner à <strong>des</strong> clientèles diversifiées compte tenu de l’intégration d’élèves endifficulté dans les classes ordinaires. Le tableau 1 présente les sujets.Caractéristiques <strong>des</strong> sujets S1 S2 S3 S4Genre : femme, homme F F H FÂge au moment de l’entrevue 25 32 26 26Expérien<strong>ce</strong> : novi<strong>ce</strong>, expérimenté, déserteur N E N NStatut : temps complet, temps partiel TP TC TC TPTableau 1. Les sujetsFaits saillants au regard <strong>des</strong> dimensionsDimension 1 : La <strong>formation</strong> à la professionLa discipline par<strong>ce</strong> que j’avais tellement de difficultés ! Ils parlaient en même tempsque moi […] (S2).Cette dimension qui examine la préparation à la profession comporte plusieurs composantesdont l’insertion. Les défis que pose l’insertion, dégagés <strong>des</strong> données, sont de trois ordres :pédagogique (planification et enseignement), administratif (les documents, formulaires,fiches à compléter, etc.) et personnel (confian<strong>ce</strong> en soi, relations interpersonnelles, lesimprévus, l’adaptation aux parents, aux mo<strong>des</strong> d’évaluation, etc.).Dimension 2 : L’accompagnement à l’insertion <strong>professionnelle</strong>Je ne peux pas dire que mon insertion a été facile par<strong>ce</strong> que pour faire ma pla<strong>ce</strong> etêtre reconnu dans mes idées, il a fallu que je sois fort et que je tienne (S3).L’accompagnement par les commissions scolaires semble défaillant à plusieurs égards. Bienque <strong>des</strong> rencontres d’in<strong>formation</strong>s sur les servi<strong>ce</strong>s, <strong>des</strong> visites de bureaux, <strong>des</strong> documentsgénéraux soient offerts aux novi<strong>ce</strong>s, les répondants disent se rabattre, la plupart du temps,sur <strong>des</strong> personnes proches d’eux pour répondre à leurs besoins. Les aidants spontanément138<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Auto<strong>formation</strong> d’enseignants novi<strong>ce</strong>s à l’ordre primaire et potentialités pour la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignantsidentifiés sont : les collègues immédiats pour la pédagogie quand il y a disponibilité, lesconseillers pédagogiques pour les questions reliées aux disciplines, la direction pour lapédagogie à l’occasion, la secrétaire d’école pour <strong>des</strong> aspects techniques et le conciergepour <strong>des</strong> aspects matériels. Les sujets mentionnent plusieurs types de <strong>formation</strong>s courtesreçues en emploi et qui portent, par exemple, sur : la nouvelle grammaire, la gestion declasse, la rencontre de parents, l’implantation de la réforme, le travail en équipe. Toutes nesemblent pas perçues utiles. Notons que <strong>ce</strong>s thèmes sont déjà vus à l’université. Seule la<strong>formation</strong> sur la nouvelle grammaire est jugée unanimement très utile.Dimension 3 : Le recours à l’auto<strong>formation</strong>Il faut être bien préparé, connaître son contenu, savoir l’organiser et bien le présenter.Ce qui me motive à apprendre davantage, c’est devenir meilleur, le meilleur cours,rendre servi<strong>ce</strong> aux jeunes, être le plus utile possible dans leur <strong>formation</strong> (S3).D’entrée de jeu, il ressort que le con<strong>ce</strong>pt d’auto<strong>formation</strong> est nouveau pour les sujets. Unefois leur réaction colligée fa<strong>ce</strong> au con<strong>ce</strong>pt, nous leur lisons une définition de l’auto<strong>formation</strong>avant d’entamer la troisième partie de l’entretien.Présentement, je me considère comme un employé à temps complet, mais toujoursen <strong>formation</strong> (S3).Il ressort principalement <strong>des</strong> données que <strong>ce</strong>s enseignants se disent confiants en leur capacitéd’apprendre par eux-mêmes, qu’ils recourent à l’auto<strong>formation</strong> pour <strong>des</strong> motifs variés, queles apprentissages qu’ils réalisent par eux-mêmes con<strong>ce</strong>rnent leur développement personnelet plusieurs fa<strong>ce</strong>ttes de la profession et qu’ils déploient plusieurs stratégies d’auto<strong>formation</strong>.Le tableau 2 (voir page suivante) les résume.Les répondants disent tirer une satisfaction personnelle <strong>des</strong> apprentissages qu’ils fontpar eux-mêmes, qu’apprendre par eux-mêmes stimule leur confian<strong>ce</strong> en leur capacité àapprendre et leur estime d’eux-mêmes.Quoiqu’il s’agisse de résultats partiels, la variété <strong>des</strong> motifs à recourir à l’auto<strong>formation</strong> etla nature <strong>des</strong> apprentissages que les enseignants réalisent par eux-mêmes montrent àl’éviden<strong>ce</strong> la pluralité <strong>des</strong> fa<strong>ce</strong>ttes de la profession enseignante sus<strong>ce</strong>ptibles d’être l’objet d’unapprentissage par soi-même. Or, les sujets affirment que se former par soi-même demandedu temps. Le temps est d’ailleurs l’obstacle à l’auto<strong>formation</strong> que tous mentionnent, suivipar la fatigue, principalement après une journée à enseigner. Par ailleurs, les moments, ladurée et la fréquen<strong>ce</strong> de l’auto<strong>formation</strong> varie d’un sujet à l’autre, en effet, l’une y consacreparfois jusqu’à deux heures par jour, une autre ses pério<strong>des</strong> libres le midi et un autre, uneheure le soir ou les fins de semaine.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 139


F. d’ORTUN, J. PHARANDMotifs, objets et stratégies d’auto<strong>formation</strong>.MotifsObjetsStratégiesPersonnel– être laissé à soi-même– améliorer ses relationsinterpersonnelles– améliorer sa confian<strong>ce</strong> en soi– mieux se connaître– les relations interpersonnelles– l’apprentissage– la relation d’aide ou lapsychologie (intelligen<strong>ce</strong>smultiples, intelligen<strong>ce</strong>émotionnelle, analysetransactionnelle)– la lecture– le recours à <strong>des</strong> personnesressour<strong>ce</strong>s– les TIC, l’Internet– l’analyse réflexive– les conféren<strong>ce</strong>s– les <strong>formation</strong>s « à la carte »Professionnel– s’améliorer comme enseignant– améliorer ses relations avec les élèves, collègues,parents– améliorer ses réactions– les disciplines enseignées– les caractéristiques <strong>des</strong> élèves (stylesd’apprentissage, problèmes particuliers ex. dyspraxie)– la motivation, l’émulation, la coopération– la gestion de classe– la dynamique <strong>des</strong> groupes– la lecture d’ouvrages spécialisés, manuels du maître,matériel didactique existant– les échanges entre collègues– le recours à <strong>des</strong> personnes ressour<strong>ce</strong>s (technicienneen éducation spécialisée, orthopédagogue,psychologue scolaire, conseillers pédagogiques,infirmière, etc.)– les TIC, l’Internet– conféren<strong>ce</strong>s– <strong>formation</strong>s à la carteTableau 2. Recours à l’auto<strong>formation</strong>Potentialités pour le BEPEPLes répondants ont une per<strong>ce</strong>ption généralement positive de leur <strong>formation</strong> initiale. Malgré<strong>ce</strong>la, plusieurs réinvestissements <strong>des</strong> résultats partiels sont à envisager à l’intérieur duBEPEP. En effet, <strong>ce</strong>tte recherche procure <strong>des</strong> données originales sur les savoirs né<strong>ce</strong>ssairesà la pratique enseignante aujourd’hui, la pratique <strong>des</strong> enseignants avec leurs élèves etindirectement avec les autres acteurs de l’institution scolaire et du système éducatif dontles collègues enseignants, la direction d’école et les parents d’élèves. Ainsi, au regard <strong>des</strong>données, la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> futurs maîtres gagnerait à insister sur les aspects liés àla confian<strong>ce</strong> en soi et la gestion <strong>des</strong> émotions dans l’enseignement. Par ailleurs, les sujetsdéclarent qu’ils auraient davantage appris durant leur parcours <strong>universitaire</strong> si un usageplus fréquent était fait <strong>des</strong> dispositifs d’alternan<strong>ce</strong> entre la théorie et la pratique, telle larencontre de personnes d’expérien<strong>ce</strong>.Plus spécifiquement en lien avec l’objet à l’étude, malgré que les sujets n’étaient pas familiersavec le con<strong>ce</strong>pt d’auto<strong>formation</strong>, ils n’en décrivent pas moins leurs motifs et leurs pratiquesautoformantes, <strong>ce</strong> qui nous motive à introduire le con<strong>ce</strong>pt et <strong>des</strong> exemples d’auto<strong>formation</strong>dans nos séminaires qui préparent aux stages par exemple.ConclusionCette recherche s’intéresse aux apprentissages que les enseignants réalisent par eux-mêmeset qui ne sont peut-être pas pris en charge par l’université vue leur caractère imprédictible.140<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Auto<strong>formation</strong> d’enseignants novi<strong>ce</strong>s à l’ordre primaire et potentialités pour la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignantsDans <strong>ce</strong> contexte, l’auto<strong>formation</strong> constitue un important vecteur de réussite <strong>professionnelle</strong><strong>des</strong> enseignants aux prises avec de nouvelles conjonctures dont la multiplication <strong>des</strong> profilsd’élèves.Préparer les jeunes à réussir leurs étu<strong>des</strong> ne peut se passer d’un investissement en <strong>formation</strong>continue et d’une initiative pour répondre à ses besoins personnels et professionnelsainsi qu’à <strong>ce</strong>ux <strong>des</strong> élèves. Les bienfaits de l’auto<strong>formation</strong> ne font aucun doute, car ilsatteignent la fierté personnelle et répondent au développement <strong>des</strong> personnes ainsi qu’àleurs compéten<strong>ce</strong>s. L’auto<strong>formation</strong> paraît comme un dispositif inévitable de la <strong>formation</strong>continue <strong>des</strong> enseignants.Ce n’est qu’une fois la collecte et les analyses terminées, que nous pourrons décrire l’ensemble<strong>des</strong> potentialités de réinvestissement de <strong>ce</strong>tte recherche à l’intérieur du baccalauréat enenseignement préscolaire et primaire (BEPEP) de manière à contribuer à pallier l’abandonde la profession en préparant mieux les futurs maîtres de manière à <strong>ce</strong> qu’ils soient, outrequalifiés, également aptes à l’auto<strong>formation</strong>. Savoir apprendre par soi-même ou s’autoformerest une né<strong>ce</strong>ssité de notre temps. Les motifs, les objets et les stratégies d’auto<strong>formation</strong><strong>des</strong> enseignants, dégagés <strong>des</strong> résultats partiels, encouragent la poursuite <strong>des</strong> travaux envue d’identifier et de décrire les stratégies d’apprentissage autonome dans le contexte del’insertion et du maintien dans une profession.Outre le recours à l’auto<strong>formation</strong> pour apprendre, deux sujets mentionnent qu’ils se sontinscrits à l’Université pour y poursuivre <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> supérieures à temps partiel. Un dispositifn’empêche pas l’autre.BibliographieBAILLAUQUES S., BREUSE É. (1993) La première classe ou les débuts dans le métier.Paris, ESF.CANDY P. C. (1991) Self-direction for Lifelong Learning. A Comprehensive Guide to Theoryand Practi<strong>ce</strong>. San Francisco, Jossey-Bass.CARRÉ P., CHARBONNIER O. (éd.) (2003) Les apprentissages professionnels informels.Paris, L’Harmattan.CARRE P., MOISAN A. (éd.) (2002) La <strong>formation</strong> autodirigée. Aspects psychologiques etpédagogiques. Paris, L’Harmattan.CONSEIL SUPERIEUR DE L’ÉDUCATION (2004) Un nouveau souffle pour la professionenseignante. Sainte-Foy, Gouvernement du Québec.DEAUDELIN C., M. BRODEUR, M. BRU (2005) « Un portrait caractéristique de la recherchesur le développement professionnel <strong>des</strong> enseignants et sur la <strong>formation</strong> à l’enseignement »Revue <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s de l’éducation, XXXI (1), pp. 177-185.DESGAGNE S. (2005) Récits exemplaires de pratique enseignante. Sainte-Foy, PUQ.d’ORTUN F. (2006) « La persévéran<strong>ce</strong> dans une auto<strong>formation</strong> assistée de travailleusesen situation travail-famille-<strong>formation</strong> » Carriérologie Revue francophone internationale, 10(3-4), pp. 545-564.d’ORTUN F. (2005) Facteurs d’ordres psychologique, pédagogique et environnementalde persévéran<strong>ce</strong> de travailleuses en situation d’auto<strong>formation</strong> assistée. Thèse doctorale àl’Université de Montréal.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 141


F. d’ORTUN, J. PHARANDd’ORTUN F. (2005b) Formation qualifiante en milieu de travail : repères con<strong>ce</strong>ptuels,relevés d’actes de <strong>formation</strong> et d’évaluations en vue de la reconnaissan<strong>ce</strong> et du transfertd’acquis « auto » devis d’une recherche soumis au Programme de subvention à la rechercheappliquée du MESSF.d’ORTUN F., A. DOLBEC, L. SAVOIE-ZAJC (2005) La qualification <strong>professionnelle</strong> dela main d’œuvre. Des pratiques à géométrie variable. Rapport de recherche déposé à laDirection générale de la recherche, Québec, MESSF.d’ORTUN F., J. PHARAND (2004) État <strong>des</strong> lieux <strong>des</strong> pratiques d’insertion <strong>professionnelle</strong><strong>des</strong> enseignants <strong>des</strong> commissions scolaires de l’Outaouais. Rapport inédit, Outaouais,UQO.FOUCHER R. et M. HRIMECH (éd.) (2000) L’auto<strong>formation</strong> reliée au travail. Apportseuropéens et nord-américains pour l’an 2000. Montréal, Éditions Nouvelles.GERVAIS C., LEVESQUE M. (2000) « L’insertion <strong>professionnelle</strong> : une étape à réussir dansle pro<strong>ce</strong>ssus de professionnalisation de l’enseignement » Éducation Canada, 40 (1), pp.12.HRIMECH M. (2002) « Stratégies d’auto<strong>formation</strong> et apprentissage informel dans troisorganisations modernes » in P. Carré et A. Moisan (éd.), La <strong>formation</strong> autodirigée. Aspectspsychologiques et pédagogiques pp. 171-192. Paris, L’Harmattan.HUBERMAN M. (1989) La vie <strong>des</strong> enseignants. Évolution et bilan d’une profession. Paris,Delachaux et Niestlé.HUBERMAN M.A., MILES M.B. (1991) Analyse <strong>des</strong> données qualitatives. Recueil denouvelles métho<strong>des</strong>. Bruxelles, de Boeck.KARDOS M.S. (2004) « Profession Culture and the Promise of Colleagues » in S. MooreJohnson (coord.), Finders and Keepers. Helping New Teachers Survive and Thrive in OurSchools pp. 139-165. San Fransciso, Jossey-Bass.LAMARRE A.-M. (2003) Étude de l’expérien<strong>ce</strong> de la première année d’enseignement auprimaire dans une perspective phénoménologico-herméneutique. Thèse de doctorat àl’Université de Montréal.LESSARD C., TARDIF M. (2001) « Le renouvellement de la profession enseignante :tendan<strong>ce</strong>s, enjeux et défis <strong>des</strong> années 2000 » Éducation et Francophonie, XXIX (1).MARTINEAU M., PRESSEAU A. (2004) « Considération sur le sentiment d’incompéten<strong>ce</strong><strong>des</strong> nouveaux enseignants » in actes du colloque Pour une insertion réussie dans laprofession enseignante pp. 88-89. Ville de Laval.MARTINET M.A., D. RAYMOND, C. GAUTHIER (2001) La <strong>formation</strong> à l’enseignement. Lesorientations. Les compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s. Québec, ministère de l’Éducation.MELLOUKI M., GAUTHIER C. (2005) Débutants en enseignements : quelles compéten<strong>ce</strong>s ?Comparaison entre Américaines et Québécois. Sainte-Foy, PUL.MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION (2001) Programme de <strong>formation</strong> de l’école québécoise.Préscolaire et primaire. Québec, Gouvernement du Québec.MUKAMURERA J. (1998) Étu<strong>des</strong> du pro<strong>ce</strong>ssus d’insertion <strong>professionnelle</strong> de jeunesenseignants à partir du con<strong>ce</strong>pt de trajectoire. Thèse de doctorat à l’Université Laval.PHARAND J. (2002) L’enseignement au primaire : une profession sous le signe du chan-142<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Auto<strong>formation</strong> d’enseignants novi<strong>ce</strong>s à l’ordre primaire et potentialités pour la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignantsgement. Analyse <strong>des</strong> représentations de trois cohortes d’enseignants. Thèse de doctorat àl’Université de Montréal.PHARAND J., BOUDREAULT P. (2006) « Les compéten<strong>ce</strong>s attendues à l’endroit <strong>des</strong>enseignants associés : per<strong>ce</strong>ptions de stagiaires québécois en <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres » inactes de la 8 e biennale internationale de l’éducation et de la <strong>formation</strong>. Lyon, INRP.RIEUNIER A. (2005) « Auto<strong>formation</strong>, <strong>formation</strong> individualisée, <strong>formation</strong> personnalisée » inR. Ouaknine (éd.) Formation <strong>des</strong> adultes et individualisation. Ingénierie, travail pédagogiqueet expérimentations pp. 111-123. Fran<strong>ce</strong>, Groupements d’Établissements de l’ÉducationNationale chargés de la <strong>formation</strong> continue <strong>des</strong> adultes (Greta).RIOPEL M.-C. (2006) Apprendre à enseigner : une identité <strong>professionnelle</strong> à développer.Sainte-Foy, PUL.STRAKA G. (éd.) (2000) Con<strong>ce</strong>ptions of Self-Directed Learning. Learning Organized SelfdirectedResearch Group (LOS), Berlin, Waxmann.TARDIF M., LESSARD C. (1999) Le travail enseignant au quotidien. Contribution à l’étudedu travail dans les métiers et les professions d’interactions humaines. Sainte-Foy, PUL.TREMBLAY N.A., ENEAU J. (2006) « Sujet(s), société(s) et auto<strong>formation</strong> : regards croisésdu Québec et de Fran<strong>ce</strong> » Éducation permanente, 168, pp. 75-88.TREMBLAY N.A. (2003) L’auto<strong>formation</strong> : pour apprendre autrement. Montréal, PUM.TREMBLAY N.A. (1992) « Les quatre compéten<strong>ce</strong>s de l’auto<strong>formation</strong> » Revue <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>sde l’éducation, 39 (1-2).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 143


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La question <strong>des</strong> gestes professionnels « experts ».Leur contribution à la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>initiale et continue Henri-Louis Go<strong>IUFM</strong> de l’académie de Ni<strong>ce</strong>CREAD EA 3875 – <strong>IUFM</strong> de Bretagne, Université Rennes 2IntroductionLa perspective d’intégration <strong>des</strong> <strong>IUFM</strong> aux Universités devrait nous inciter à tisser <strong>des</strong>liens entre chercheurs, professeurs formateurs, et praticiens de terrain. Dans <strong>ce</strong>tte optique,nous avons choisi pour mener <strong>ce</strong>tte étude de susciter une coopération entre chercheurs,formateurs, et praticiens de terrain. Cet attelage peut paraître assez improbable, et c’estune dimension de notre effort d’innovation. Une telle coopération, si elle réussit, permettrade mieux définir <strong>des</strong> fins communes à l’action professorale. Ces liens constitueraient à euxseuls une innovation en Fran<strong>ce</strong>. Certes, <strong>des</strong> liens de <strong>ce</strong> type existent ponctuellement dansles <strong>IUFM</strong> où se trouvent <strong>des</strong> chercheurs qui interviennent en <strong>formation</strong> et travaillent encollaboration avec <strong>des</strong> praticiens de l’enseignement. Mais <strong>ce</strong>tte collaboration ne va pas <strong>des</strong>oi car la recherche a besoin de recul, et les objets de recherche ne sont pas né<strong>ce</strong>ssairement<strong>des</strong> objets de <strong>formation</strong> .Le travail que je présente a commencé en début d’année 2007, dans le cadre d’une étudequi réunit chercheurs, formateurs et professeurs . Nous avons formé une équipe d’unedizaine de personnes divisée en trois groupes de travail. Dans notre étude, l’innovation nevient pas <strong>des</strong> pratiques elles-mêmes, mais de la tentative de constitution d’une « banquede pratiques » comme supports de <strong>formation</strong>. Un groupe travaille sur l’expertise dans lestransactions en classe, un autre groupe sur l’expertise dans la relation d’aide <strong>des</strong> maîtresspécialisés, et le troisième groupe sur l’expertise dans l’éthologie didactique.Je distingue très clairement entre <strong>ce</strong> qui pourrait relever d’ingénieries didactiques nouvelles,ou de nouvelles formes de contrat didactique générique, et <strong>ce</strong> qui relève <strong>des</strong> pratiquesclassiques de professeurs expérimentés. Il s’agit pour nous d’étudier <strong>des</strong> professeursexpérimentés, en essayant d’identifier <strong>des</strong> modalités de l’action du professeur caractérisantune « pratique experte ». Nous n’adoptons pas de définition préalable de « l’expertise ». Nous Étude que je conduis avec Jacques Méard (MCU à l’<strong>IUFM</strong> de l’académie de Ni<strong>ce</strong>), subventionnée par leDIERF (Département Interdisciplinaire d’Étu<strong>des</strong>, de Recherches, et de Formation) à l’<strong>IUFM</strong> de l’académie deNi<strong>ce</strong>, présidé par Marie-Louise Martinez. Sauf lorsque la recherche est orientée de façon directe vers la <strong>formation</strong>, comme <strong>ce</strong>la peut être le casdans les IREM, ou comme c’est le cas dans notre ERTE n°60 DATIEF (Développement de l’Activité, Travail etIdentité <strong>des</strong> Enseignants), dirigée par Stefano Bertone à l’<strong>IUFM</strong> de l’académie de Ni<strong>ce</strong>. Envisager une coopération entre professeurs de terrain, formateurs et chercheurs ne doit pas nousdissimuler la difficulté de <strong>ce</strong> type dispositif : il ne faut pas sous-estimer les différen<strong>ce</strong>s qui tendent à modeler<strong>ce</strong>s relations (<strong>ce</strong>tte division du travail a d’ailleurs généralement <strong>des</strong> conséquen<strong>ce</strong>s directes sur la <strong>formation</strong>).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 145Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (145-154) Tome 2


H.-L. GOadoptons une démarche d’abord clinique et indiciaire dans le pro<strong>ce</strong>ssus d’objectivation<strong>des</strong> pratiques d’enseignement étudiées. Nous nous sommes fixé un échéancier permettantd’une part de recueillir <strong>des</strong> données empiriques sous forme de vidéos de momentsd’enseignement en classes maternelles, élémentaires, en CLIS, classe d’adaptation et IME,d’autre part sous forme d’enregistrement d’entretien avec les professeurs filmés. Je rendraicompte ici <strong>des</strong> premières hypothèses élaborées dans le cadre de <strong>ce</strong>tte étude con<strong>ce</strong>rnantl’éthologie didactique en maternelle.1. ProblématisationLa forme scolaire (Vin<strong>ce</strong>nt, 1994) républicaine recèle un patrimoine professionnel et unesour<strong>ce</strong> ininterrompue d’innovation : dans le jeu <strong>des</strong> tensions entre formel, informel, et nonformel (Maulini, Montandon et al., 2005), on peut observer que <strong>ce</strong>rtaines de <strong>ce</strong>s élaborationsperpétuent ou renouvellent le métier dans le sens d’une ouverture vers <strong>des</strong> pratiquesdémocratiques en classe, et dans l’école. L’enjeu de la démocratie scolaire con<strong>ce</strong>rne tousles aspects du métier de professeur, y compris sa dimension « praxique », <strong>ce</strong>lle de sesgestes d’enseignement. L’étude que je présente vise la constitution d’un observatoire <strong>des</strong>pratiques d’enseignement, démarche ayant pour but de re<strong>ce</strong>nser, analyser et classer <strong>des</strong>pratiques de professeurs expérimentés, que nous voulons essayer de caractériser en tantque « pratiques expertes ».Mais <strong>ce</strong>la nous conduit à interroger la notion d’expertise à partir d’une approche empirique.Nous assumons le présupposé que <strong>des</strong> professeurs expérimentés, intervenant en <strong>formation</strong>(IPEMF), sont sus<strong>ce</strong>ptibles de montrer <strong>des</strong> pratiques expertes. Ce terme permet en effetde distinguer un professeur novi<strong>ce</strong> d’un professeur expert, une pratique ordinaire d’unepratique experte. Mais on pourrait imaginer qu’un professeur novi<strong>ce</strong> ait dans un domained’action une pratique experte, qu’un professeur expert ait dans différents domaines d’actionune pratique ordinaire, et qu’un professeur expérimenté n’ait aucune pratique experte maisseulement <strong>des</strong> pratiques ordinaires. Resterait à déterminer si l’on doit parler de pratiquesexpertes <strong>des</strong> professeurs novi<strong>ce</strong>s (par différen<strong>ce</strong> de pratiques expertes <strong>des</strong> professeursexperts), ou si l’expertise est réservée à <strong>ce</strong>rtains professeurs experts (on ne pourrait alorsparler pour les professeurs novi<strong>ce</strong>s de pratiques expertes, mais seulement d’apprentissageet de progression vers de telles pratiques).Il nous est permis d’espérer que le recours à <strong>ce</strong>tte banque de pratiques par le formateur, par<strong>ce</strong>qu’elle ouvre la voie à <strong>des</strong> analyses comparatives devant les stagiaires, par<strong>ce</strong> qu’elle autorisela prise en compte simultanée <strong>des</strong> préoccupations de gestion de classe chez les stagiaireset <strong>des</strong> préoccupations de transmission de connaissan<strong>ce</strong>s notionnelles et didactiques chezle formateur, permettra de diminuer sensiblement les dilemmes que <strong>ce</strong>ux-ci rencontrentau cours de la <strong>formation</strong>. La visée de <strong>ce</strong>tte enquête serait ainsi de contribuer à faire entrerles stagiaires dans un pro<strong>ce</strong>ssus de professionnalisation : l’approche ethnographique de<strong>ce</strong>rtains recueils de données (grain fin d’objectivation et d’analyse) offrira aux stagiaires unevision précise du métier dans l’ordinaire <strong>des</strong> gestes d’enseignement. Cette façon de faireapparaître le métier permettra peut-être aux stagiaires d’en saisir conjointement les enjeux Au sens de Foucault M. (1963) Naissan<strong>ce</strong> de la clinique. Paris, PUF. Au sens de Ginzburg C. (1989) Mythes, emblèmes, tra<strong>ce</strong>s (M. Aymard et al. Trad.). Paris, Flammarion. Go H-L. (2007) Freinet à Ven<strong>ce</strong>. Vers une reconstruction de la forme scolaire. Rennes, PUR. Je prends le mot « ordinaire » au sens philosophique de Sandra Laugier (1999) Du réel à l’ordinaire. Paris,Vrin.146<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


La question <strong>des</strong> gestes professionnels expertsde savoir, de savoir faire, et de savoir être.L’hypothèse choisie dans notre groupe d’étude pour la <strong>formation</strong> est que l’ordinaire du métierdoit être montré à partir de pratiques expertes. Les professeurs experts seraient <strong>ce</strong>ux quimontreraient de la façon la plus nette l’ordinaire du métier de professeur.L’approche didactique de l’action devrait permettre de dégager <strong>des</strong> formes génériques del’action du professeur : les pratiques d’enseignement et d’apprentissage sont <strong>des</strong> pratiquesde transmission (au sens anthropologique) de savoir ; les pratiques trouvent donc leur sensdans les savoirs transmis ; la didactique étudie <strong>ce</strong>s savoirs transmis, mais aussi commentles pratiques produisent concrètement <strong>ce</strong>tte transmission (Sensevy, 2001). Je me donne uncadre con<strong>ce</strong>ptuel issu notamment de la didactique <strong>des</strong> mathématiques (Chevallard, 1991,Brousseau, 1998, Sensevy, Mercier, 2007).2. Une approche didactique de l’actionEn étudiant le spécifique de chaque classe (données recueillies in situ), notre projet visedonc à construire (en les répertoriant) <strong>des</strong> formes génériques de gestes (et de dispositifs)du professeur « expert ». Ce répertoire <strong>des</strong> gestes sera élaboré dans le langage <strong>des</strong>modèles. Ainsi, notre étude veut contribuer à vaincre la séparation artificielle entre le travailsur les formes de la pratique, et le travail sur les contenus de savoirs, pour développer unecoopération visant une irrigation mutuelle <strong>des</strong> savoirs et de la pratique experte : les savoirspour donner forme à la pratique, la pratique experte pour modeler les savoirs.Dans <strong>ce</strong>tte mesure, un « dispositif didactique » sera entendu dans l’étude comme unecatégorie de situations identifiée par l’enseignant, introduite de façon régulière dans la viede la classe et qui comporte <strong>des</strong> règles d’usage repérables. Les « gestes d’enseignement »(Sensevy, 2005) représentent dans l’étude les actions développées par le professeur aucours de <strong>ce</strong>s dispositifs.Pour notre équipe, dans le cadre de <strong>ce</strong>tte étude, la distinction entre « dispositifs » et« gestes » n’est donc pas une différen<strong>ce</strong> de nature mais indique plutôt deux empanstemporels de la même activité <strong>professionnelle</strong>, empans qui rendent compte de la doublecomposante stable et instable, prévisible et imprévisible, planifiée et dynamique de laréalité de l’enseignement. L’analyse du « dispositif » permet le repérage de la dimensionplanificatri<strong>ce</strong> de l’acte d’enseigner et d’une régularité sur le temps long. Mais l’analysedu « geste professionnel » oriente aussi la focale sur la dimension située (imprévisible etsingulière) de l’acte d’enseigner, le « minuscule » de la situation d’enseignement.3. Cadre d’observationPour <strong>ce</strong>tte contribution, je vais présenter <strong>des</strong> extraits de données recueillies dans une classede cycle 1 (MS/GS), dont la maîtresse est également formatri<strong>ce</strong> à l’<strong>IUFM</strong>. L’observation acommencé en 2005. Elle con<strong>ce</strong>rne :– l’accueil et les rituels– l’activité langagière, pratique de l’oral– la passation <strong>des</strong> consignes– la pratique <strong>des</strong> ateliers– l’enseignement artistique.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 147


H.-L. GOParmi les films enregistrés, je me suis d’abord appuyé sur <strong>ce</strong>ux qui montrent les rituels,en étudiant l’éthologie didactique du professeur (εθος, "coutume, usage, habitude") : enmaternelle, le moment <strong>des</strong> « rituels », notamment le matin après l’accueil, entre dans lapratique ordinaire du professeur. C’est l’un <strong>des</strong> premiers dispositifs qui sont présentés auprofesseur novi<strong>ce</strong> en <strong>formation</strong>. Lors <strong>des</strong> rituels, un professeur expérimenté conduit saclasse de façon extrêmement précise : il y a une sorte de tronc commun de <strong>ce</strong> dispositif(que l’on retrouve dans toutes les classes de maternelle) et de la façon de le conduire.L’éthologie analyse les mœurs <strong>des</strong> hommes considérés dans leur environnement. Si l’onisole le milieu scolaire, et particulièrement la classe, on observe <strong>des</strong> individus adoptantun comportement spécifique, notamment en fonction de leurs rôles respectifs (d’élèves,et de professeur). La conduite de la classe incombe au professeur : il est donc né<strong>ce</strong>ssaired’étudier sa manière d’agir dans l’environnement que constitue sa classe, telle qu’il l’aaménagée : une part de son action consiste en effet à faire <strong>des</strong> choix dans la constitutionde <strong>ce</strong> milieu. L’action du professeur est constituée de nombreux aspects (Sensevy, Mercier,Schubauer-Leoni, 2000). Le plus visible de <strong>ce</strong>s aspects caractérise son professionnalismedans la relation didactique : il s’agit de ses compéten<strong>ce</strong>s à théâtraliser son action. Or, lacommunication avec les élèves est pour partie verbale, et pour partie non-verbale. Ces deuxformes de l’action entrent dans un rapport significatif. Le rapport aux élèves dans l’espa<strong>ce</strong>implique un travail corporel de la parole du professeur (on constate que dans <strong>ce</strong> rapport, levisage en général, et le regard en particulier, jouent un rôle décisif).a) On doit étudier la gestualité : le pointage, la position du corps, ses expressionsposturales, l’expression du visage, et du regard.b) On peut étudier ensuite les approches posturales : se dépla<strong>ce</strong>r, s’approcher, se penchervers, s’accroupir, se mettre à la hauteur de, s’asseoir.c) On peut étudier également les contacts physiques : poser la main, tenir le bras ou lesépaules.d) On pourra enfin étudier la proximité physique : les distan<strong>ce</strong>s interindividuelles,l’utilisation de l’espa<strong>ce</strong>, la mobilité, les trajectoires, les sites.Les pratiques de « théâtralisation didactique » dans la classe relèvent d’une analyseproxémique. Selon Hall, la proxémie est l’ensemble <strong>des</strong> observations et <strong>des</strong> théoriescon<strong>ce</strong>rnant l’usage que l’homme fait de l’espa<strong>ce</strong> en tant que produit culturel : nommée etétudiée par l’anthropologue américain Edward T. Hall en 1963, la proxémie est la distan<strong>ce</strong>physique qui s’établit entre <strong>des</strong> personnes prises dans une interaction. Elle s’intéresse doncaux distan<strong>ce</strong>s, aux positions, aux orientations <strong>des</strong> individus dans leurs relations au sein d’uneculture donnée. Hall distingue plusieurs types de distan<strong>ce</strong>s en fa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong>, variables selonla culture <strong>des</strong> individus, mais toujours échelonnées de la même manière : la distan<strong>ce</strong> intime(<strong>ce</strong>lle <strong>des</strong> rapports affectueux, 45 cm), la distan<strong>ce</strong> personnelle (<strong>ce</strong>lle de la conversation, 45à 120 cm en fonction de la culture), la distan<strong>ce</strong> sociale (<strong>ce</strong>lle <strong>des</strong> rapports institutionnels,120 à 350 cm). Les con<strong>ce</strong>ptions divergent d’une culture à l’autre de <strong>ce</strong> qui constitue labonne distan<strong>ce</strong> à adopter ; <strong>ce</strong>s variations peuvent être d’une ampleur considérable. Ainsi,dans les pays latins, les distan<strong>ce</strong>s entre les corps sont relativement courtes. En Afrique,elles sont souvent si réduites que le contact physique est fréquent. À l’inverse, dans lespays nordiques ou au Japon, les contacts physiques sont plus rares et <strong>ce</strong>s distan<strong>ce</strong>s plus J’entends par là le fait que la théâtralisation de l’action du professeur a pour enjeu le savoir, et une volontéde transmission de <strong>ce</strong> savoir.148<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


La question <strong>des</strong> gestes professionnels expertsimportantes.Lorsqu’il enseigne, un professeur maintient, plus ou moins consciemment, une distan<strong>ce</strong>(métrique) variable avec ses élèves. Quels peuvent être les effets de <strong>ce</strong>tte distan<strong>ce</strong> sur sonenseignement ? Dans la pratique ordinaire, on peut constater que le professeur se pla<strong>ce</strong>selon cinq configurations 10 :– position publique, devant le tableau, ou devant la classe– position personnelle éloignée, à distan<strong>ce</strong> d’un élève– position personnelle proche, près d’un élève, ou d’un petit groupe d’élèves– position sociale, en proximité collective– position réservée, en retrait.Il est intéressant de chronométrer le temps passé par le professeur dans chacune <strong>des</strong>zones, mesurer les distan<strong>ce</strong>s à l’élève, et de chercher les raisons pour lesquelles il gèreainsi l’espa<strong>ce</strong>. Par exemple, dans la classe observée, lors d’une séan<strong>ce</strong> de 50 minutes, leprofesseur a passé 5 % du temps en zone « devant le tableau », 30 % en zone « devantla classe », 5 % en zone « à distan<strong>ce</strong> », 29 % en zone « collective », 30 % en zone« personnelle », et 1 % en zone de « retrait ». On devra se demander si <strong>ce</strong>rtaines utilisationsde l’espa<strong>ce</strong> contribuent à augmenter (ou non) l’efficacité de l’action didactique. Je m’appuiesur un paradoxe : l’attention <strong>des</strong> élèves doit être « soignée » par le professeur 11 : être attentif,pour un élève, <strong>ce</strong>la n’est pas naturel, c’est une compéten<strong>ce</strong> à acquérir. Le niveau d’attention<strong>des</strong> élèves dépend de l’ensemble de l’organisation de classe et de l’enseignement effectué.Mais <strong>des</strong> techniques sont utilisées, dans l’action du professeur, pour soigner l’attention <strong>des</strong>élèves, et leur volonté de participation.4. Observation(s)Il y a <strong>ce</strong>rtainement aussi <strong>des</strong> variations dans l’action du professeur expérimenté. Dans unpremier temps, à partir de l’observation régulière d’une classe de maternelle (MS/GS devenueGS), il s’agit de construire quelques faits didactiques dans une approche éthologique.Première série d’observations : J’ai filmé de façon régulière, avec une caméra mobile, enalternant les plans fixes sur le professeur, en contre-plongée, dont <strong>ce</strong>rtains sont en portraitgros-plan, et les plans mobiles sur les élèves dont <strong>ce</strong>rtains sont en plongée. J’ai fait lechoix d’une caméra phénoménologique, en me plaçant parfois comme un élève au milieu<strong>des</strong> autres pour filmer, parfois comme un témoin participant. La fréquen<strong>ce</strong> de mes visitesm’a permis peu à peu de me familiariser avec le style du professeur, et de filmer <strong>ce</strong> qui m’asemblé être le plus caractéristique de son action mimo-gestuelle. Le visionnage <strong>des</strong> filmsfait apparaître un style professoral avec ses régularités :– pla<strong>ce</strong>ment du professeur dans la classe et par rapport aux élèves pour <strong>ce</strong>s rituels– comportement spatial du professeur lors de <strong>ce</strong>s rituels– attitude posturale dominante, et variations (régulières) de <strong>ce</strong>tte attitude– typologie gestuelle– pla<strong>ce</strong>ment de la voix, et modulations (caractéristiques) de la voix Voir : Forest D. (2006). Analyse proxémique d’interactions didactiques. Thèse de scien<strong>ce</strong>s de l’éducation.Université Rennes 2.10 Je m’inspire ici de Sensevy G., Forest D., Barbu S. (2005) « Analyse proxémique d’une leçon demathématiques, une étude exploratoire ». Revue <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s de l’éducation, Montréal.11 Voir : Go H.-L. (2007) Freinet à Ven<strong>ce</strong>. Vers une reconstruction de la forme scolaire. Rennes, PUR.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 149


H.-L. GO– mimiques du visage, et catégories (expressives) de <strong>ce</strong>tte mobilité– techniques langagières.Certaines régularités semblent pouvoir être considérées comme appartenant à lapanoplie ordinaire <strong>des</strong> gestes du métier, d’autres semblent plus élaborées, relevant d’unprofessionnalisme plus élaboré, que l’on peut considérer comme <strong>des</strong> gestes professionnelsné<strong>ce</strong>ssitant une assez grande expérien<strong>ce</strong>. D’autant que <strong>ce</strong> qui est en jeu dans <strong>ce</strong>s gestes,<strong>ce</strong> n’est pas tant leur théâtralité que leur pertinen<strong>ce</strong> didactique au moment où ils sont faits.On peut imaginer qu’un professeur novi<strong>ce</strong> apprenne sans trop de difficulté à faire <strong>des</strong> gestesthéâtraux, mais rien ne dit qu’il saura les utiliser de façon pertinente pour favoriser sonenseignement.Deuxième série d’observations : Sur la base de <strong>ce</strong>s remarques, j’ai convenu avec le professeurde filmer une nouvelle série de séan<strong>ce</strong>s, en vue de travailler plus précisément sur les pointsqui ont été relevés. J’ai filmé une présentations d’ateliers (passation <strong>des</strong> consignes) et laséan<strong>ce</strong> d’atelier le 6-02-07, vidéo qui servira d’objet empirique à une première enquête surles gestes d’expertise.Pour tenter de légitimer l’idée du lien entre <strong>ce</strong> que j’appellerai désormais le « théâtre duprofesseur » et la valeur didactique de <strong>ce</strong> théâtre, j’ai choisi dans un premier temps, enaccord avec le professeur con<strong>ce</strong>rné (qui n’a pas de représentation précise de <strong>ce</strong> que nouscherchons, le contrat expérimental étant resté très flou), d’étudier un extrait de <strong>ce</strong>tte vidéode 17 minutes (film du 6-02-07 dans la classe de GS), que j’ai découpé en trois épiso<strong>des</strong>.Après les rituels de 13h40 à 13h50, le professeur a présenté aux élèves un nouvel albumde Anne Herbauts 12 (Petites météorologies) de 13h50 à 14h :– (extrait de 1mn30 de la fin de <strong>ce</strong>tte présentation)– puis le professeur fait produire <strong>des</strong> consignes pour un atelier de création d’un <strong>des</strong>sincollagede grand format à partir d’un album d’Anne Herbauts, dans le cadre d’un projet declasse (7mn)– et le professeur présente les consignes pour trois autres ateliers (8mn30).Lors de <strong>ce</strong>tte observation de la classe, j’ai filmé, mais j’ai ensuite proposé au groupe d’étudede devenir lui-même observateur en différé : j’ai visionné <strong>ce</strong>t extrait devant notre équiped’étude (le 20-02-07), en l’absen<strong>ce</strong> du professeur con<strong>ce</strong>rné. Chaque membre, en regardantle film, a préparé <strong>des</strong> questions pour le professeur. J’ai recueilli <strong>ce</strong>s questions, et je les aiclassées par thèmes. Voici <strong>ce</strong>s questions d’observation (P. = Professeur) :a) Questions sur la gestion de la parole :– pourquoi P. interpelle plusieurs fois l’élève So., comment caractérise-t-elle ses interventionsvers <strong>ce</strong> garçon ?– comment interroge-t-elle lors de l’entretien, et comment gère-t-elle les interventionsd’élèves non demandées dans les règles ?– comment articule-t-elle les interventions d’élèves, les apprentissages qu’elle vise, le projetdécidé au départ ?b) Questions sur la gestion du temps :– comment P. parvient-elle à accueillir tout <strong>ce</strong> qui est dit par les élèves, et à garder en mêmetemps son fil directeur sur le temps de <strong>ce</strong> moment de langage ?12 Le professeur a précédemment fait étudier La très vieille légende sans poussière du coin du balai, etSilencio.150<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


La question <strong>des</strong> gestes professionnels experts– comment parvient-elle à gérer un temps d’entretien aussi long tout en gardant sa cohéren<strong>ce</strong>?c) Questions sur la mémoire didactique :– comment P. choisit-elle les propos sur lesquels elle rebondit ?– comment parvient-elle à référer à différentes activités qui ont eu lieu dans la classe, etcomment les élèves eux-mêmes ont-ils acquis l’habitude de le faire ?d) Questions sur la gestion du dispositif :– pourquoi une telle exigen<strong>ce</strong> de P. dans le niveau de langue du professeur ?– pourquoi <strong>ce</strong>tte présentation aux élèves de l’auteur de l’album ?– comment fait-elle pour maintenir l’intérêt et l’engagement <strong>des</strong> élèves aussi longtemps ?– pourquoi laisse-t-elle les élèves intervenir aussi longtemps ?– que signifient les commentaires du professeur comme en aparté (ex : « oh là ça commen<strong>ce</strong>à faire long ») ?– pourquoi laisse-t-elle faire les élèves lorsqu’ils se mettent spontanément à chanter ?Quelle toléran<strong>ce</strong> par rapport aux règles ?Enfin, une proposition pour l’auto-confrontation du professeur : couper le son, et laisserdérouler la vidéo en demandant au professeur de commenter son travail mimo-gestuel.5. Protocole d’auto-<strong>des</strong>criptionLe 22-02-2007, nous avons procédé à l’entretien d’auto-confrontation croisée, avec <strong>ce</strong>tterègle :a) la vidéo se déroule, et le professeur l’arrête lorsqu’il veut commenter <strong>ce</strong> que l’on voit. Uneformatri<strong>ce</strong> PEMF de notre équipe réagit librement aux énoncés du professeurb) on repasse un extrait de la vidéo en coupant le son, et l’on demande au professeur decommenter librement son action mimo-gestuellec) je pose les questions commandées par l’équipe, et la formatri<strong>ce</strong> PEMF réagit librementen fonction de <strong>ce</strong> que dit le professeur.Cette séan<strong>ce</strong> a été enregistrée, et doit être analysée pour mai 2007. Les résultats serontprésentés au groupe d’étude qui avait commandé les questions, et le professeur sera invitéà une discussion avec le groupe, dans l’optique de caractériser <strong>ce</strong> qui relève d’un travailexpert.6. Première piste d’objectivationL’hypothèse d’objectivation de l’action experte du professeur que j’utilise dans <strong>ce</strong>tte étu<strong>des</strong>’appuie sur le con<strong>ce</strong>pt ordinaire de l’exemplarité du professeur. L’intérêt de <strong>ce</strong> con<strong>ce</strong>pt estqu’il caractérise une attitude attendue par l’institution chez le professeur ordinaire, maisque <strong>ce</strong>tte attitude peut être, par définition, qualifiée d’experte. La perspective dans laquellej’essaie d’étudier l’exemplarité du professeur con<strong>ce</strong>rne <strong>ce</strong> que Mauss appelait « l’art d’utiliserle corps » (Mauss, 1950). Les gestes professionnels du professeur que j’étudie peuventêtre considérés comme <strong>des</strong> gestes du corps. Ce qui m’intéresse, c’est de voir commentle professeur institue conjointement du savoir et du social dans la classe en utilisant <strong>des</strong>techniques du corps.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 151


H.-L. GOMar<strong>ce</strong>l Mauss nous pousse à saisir le social dans <strong>ce</strong> qu’il appelle <strong>des</strong> séries immensesde faits normaux (par<strong>ce</strong> que les conduites symboliques sont toujours inscrites dans unsystème collectif). Parmi <strong>ce</strong>s faits, tout <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne le corps, objet de mépris de la part<strong>des</strong> anthropologues de son époque, et que l’on pourrait encore éluder, pour parodier Mar<strong>ce</strong>lMauss, comme un fait divers 13 . Il existe donc <strong>des</strong> techniques du corps spécifiques, sachantque « <strong>ce</strong>tte spécificité est le caractère de toutes les techniques », dit Mauss, et « il en est demême de toute attitude du corps » (1950, p. 367), qui procède d’un habitus variant « avecles sociétés, les éducations, les convenan<strong>ce</strong>s et les mo<strong>des</strong>, les prestiges. Il faut y voir<strong>des</strong> techniques et l’ouvrage de la raison pratique collective et individuelle, là où on ne voitd’ordinaire que l’âme et ses facultés de répétition » (1950, p. 369) : en effet, pour Mauss, l’artd’utiliser le corps procède essentiellement d’une éducation, et notamment d’une imitation<strong>des</strong> actes que l’enfant a vu réussir « par <strong>des</strong> personnes en qui il a confian<strong>ce</strong> et qui ontautorité sur lui » (id.), c’est <strong>ce</strong> qu’il appelle une imitation prestigieuse, prestige dans lequelse trouve tout l’élément social. Je voudrais analyser l’action conjointe du professeur et <strong>des</strong>élèves (Sensevy, Mercier, 2007) à la lumière de <strong>ce</strong>tte notion d’imitation prestigieuse.Il est intéressant de noter que <strong>ce</strong>tte pratique d’imitation est considérée par Freinet commele cœur <strong>des</strong> apprentissages naturels, dont le moteur est l’acte réussi. Dans sa neuvième loi,l’Essai de psychologie sensible indique en effet que l’acte réussi appelle sa répétition, maiségalement l’acte dont l’enfant n’est que le témoin, et qui lui sert alors d’exemple (<strong>ce</strong> queMauss appelle imitation prestigieuse) s’il s’inscrit dans le pro<strong>ce</strong>ssus fonctionnel de l’enfant(1. automatisme 2. tendan<strong>ce</strong> 3. règle de vie). Pour renfor<strong>ce</strong>r une règle de vie personnelle,l’exemple doit s’imbriquer dans la série expérimentale du comportement : « l’enfant construitsa vie par une laborieuse expérien<strong>ce</strong> tâtonnée que nous devons faire la plus fructueuse etla plus riche possible. Mais l’exemple s’offre à lui comme une expérien<strong>ce</strong> déjà réussie quiréduit les aléas de ses tâtonnements » (1994, T1, p. 379). Pour Freinet, la plupart <strong>des</strong>techniques du corps sont ainsi acquises par imitation, et procèdent donc d’un systèmesocial. Cette position pragmatiste est extrêmement intéressante pour penser l’action duprofesseur. Le « théâtre didactique » du professeur peut ainsi être considéré comme donnéà voir aux élèves, qui recueillent toute la signification sociale <strong>des</strong> comportements expressifsdu professeur.Le comportement de l’enfant lui-même n’est pas à interpréter selon <strong>des</strong> lois cachées dansun arrière-fond psychologique, mais il est à déduire <strong>des</strong> pratiques sociales et de formesde vie dans lesquelles <strong>ce</strong>t enfant est institué : « il imitera de même vos comportementsvis-à-vis <strong>des</strong> événements profonds de la vie. Il sera probe et sincère si vous êtes probeset sincères, indélicat et menteur si, malgré vos théories et vos raisonnements logiques,vous êtes indélicats et menteurs dans votre propre comportement familier. (…) seul votreexemple vivant compte, et seul il marquera la vie et la <strong>des</strong>tinée de vos enfants » (Freinet,1994, T1, p. 380). La parole, l’explication, ne viennent que renfor<strong>ce</strong>r l’exemple 14 donné.13 Mauss parle de la catégorie <strong>des</strong> « phénomènes sociaux divers » dans laquelle les ethnologues rejetaientles pratiques corporelles.14 Compte tenu de l’importan<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>tte œuvre connue comme <strong>ce</strong>lle d’un rival de Durkheim, il me paraîtprobable que Freinet avait connaissan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> Lois de l’imitation de Gabriel Tarde (première édition 1890),où l’auteur analyse la société comme traversée de « courants d’imitation » qui la structurent. Il écrit dans laPréfa<strong>ce</strong> de la deuxième édition de 1895 : « Ce qui est contraire à l’ac<strong>ce</strong>ntuation personnelle, c’est l’imitationd’un seul homme, sur lequel on se modèle en tout ; mais quand, au lieu de se régler sur quelqu’un ousur quelques-uns, on emprunte à <strong>ce</strong>nt, à mille, à dix mille personnes considérées chacune sous un aspectparticulier, <strong>des</strong> éléments d’idée ou d’action que l’on combine ensuite, la nature même et le choix de <strong>ce</strong>s copiesélémentaires, ainsi que leur combinaison, expriment et ac<strong>ce</strong>ntuent notre personnalité originale. Et tel est peutêtrele bénéfi<strong>ce</strong> le plus net du fonctionnement prolongé de l’imitation. » Freinet était convaincu que l’imitationn’est pas, chez l’enfant, un mécanisme appauvrissant.152<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


La question <strong>des</strong> gestes professionnels expertsAinsi, pour décrire <strong>ce</strong> phénomène de l’imitation sociale, Mauss choisit le verbe anglais todrill utilisé par Eldson Best dans une étude de la façon de marcher <strong>des</strong> femmes Maori, etque Mauss traduit par « dresser ». Cette traduction peut se comprendre dans le contexte,mais je préfère traduire par « instruire » qui correspond mieux à son sens social en anglais,puisqu’il s’agit d’instruire <strong>des</strong> recrues militaires, et que l’instruction <strong>des</strong> troupes ne peut êtreréduite à une idée de dressage au sens de conditionnement, correspondant plutôt à unoutillage, à un équipement mental et physique, notamment à <strong>des</strong> techniques spécifiquesdu corps, apprises ; <strong>ce</strong> que dit bien l’étymologie latine de struere, qui signifie « ordonner »,« disposer » : l’instruction est la disposition acquise. D’autant que, selon Mauss, « il n’y apas de technique et pas de transmission, s’il n’y a pas de tradition. C’est en quoi l’homme sedistingue avant tout <strong>des</strong> animaux : par la transmission de ses techniques » (1950, p. 371).Il nous faudrait <strong>ce</strong>rtes une règle, une norme, pour évaluer l’intérêt <strong>des</strong> diverses techniquesdu corps, et Mauss considère que <strong>ce</strong>tte norme, c’est l’adaptation du corps à son usage.Mais on ne peut que faire régresser <strong>ce</strong>tte norme, étant donné qu’il reste toujours possiblede s’interroger sur les usages du corps dans une société donnée. Que les gestes du corps,pour un professeur, ne se limitent pas un simple outillage en vue de contrôler sa classe,mais qu’ils portent <strong>des</strong> significations partagées, c’est donc l’hypothèse à partir de laquelle jevoudrais analyser la pratique du professeur citée plus haut.ConclusionL’objectif poursuivi dans <strong>ce</strong>tte étude ré<strong>ce</strong>mment commencée, est de contribuer auxrecherches de modélisation de l’action du professeur. Modéliser l’action consiste à dégagerla rationalité effective de <strong>ce</strong>tte action.Pour y parvenir, la méthode employée dans <strong>ce</strong>tte étude est triple :– se confronter à la richesse de l’activité in situ, dont on veut comprendre la logique et lesmanifestations, par l’observation ethnographique et clinique– utiliser <strong>des</strong> formes de réduction de <strong>ce</strong>s données que sont les films <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>s de classeou les transcriptions <strong>des</strong> dialogues produits dans <strong>ce</strong>s séan<strong>ce</strong>s, et les entretiens menés sur<strong>ce</strong>s séan<strong>ce</strong>s, où s’exprime notamment la rationalité postulée du professeur– décrire l’action en essayant d’élaborer con<strong>ce</strong>ptuellement la notion de gestes du corps.Selon Sensevy, l’action didactique peut se con<strong>ce</strong>voir comme « un système d’habitu<strong>des</strong>engendrant lui-même un système d’attentes » en tant que forme de la pensée collective(Sensevy, 2007). Il s’agit d’élucider la fonction <strong>des</strong> habitu<strong>des</strong> d’action, reposant sur lesattentes du professeur vers l’élève et de l’élève vers le professeur, mais aussi fournissant uncadre à l’étude de la constitution <strong>des</strong> normes cognitives et sociales dans la classe.L’intérêt d’une telle modélisation serait de favoriser les actes de <strong>formation</strong>, en permettant <strong>des</strong>ubsumer l’action experte du professeur, dans un domaine particulièrement subtil de sonintentionnalité, sous <strong>des</strong> catégories didactiques précises formant modèle.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 153


H.-L. GOBibliographieBROUSSEAU G. (1998) Théorie <strong>des</strong> situations didactiques. Grenoble, La PenséeSauvage.CHEVALLARD Y. (1991) La transposition didactique. Grenoble, La Pensée Sauvage.FREINET C. (1994) Œuvres pédagogiques T1 et 2. Paris, Seuil.MAULINI O., MONTANDON C., et al. (2005) Les formes de l’éducation : variété et variations.Bruxelles, de Boeck.MAUSS M. (1950-1999) Sociologie et anthropologie. Paris, PUF.SENSEVY G., MERCIER A., SCHUBAUER-LEONI M. (2000) « Vers un modèle de l’actiondidactique du professeur, à propos de la course à 20 » - Recherches en Didactique <strong>des</strong>Mathématiques. Vol. 20, 3, pp. 263-304.SENSEVY G. (2001) Théories de l’action et éducation. Bruxelles, de Boeck.SENSEVY G. (2005) « Sur la notion de gestes professionnels » - La lettre de l’AssociationInternationale de Didactique du Français, 36 (1).SENSEVY G., MERCIER A. (2007) Agir ensemble. Rennes, PUR.VINCENT G. et al. (1994) L’éducation prisonnière de la forme scolaire. Lyon, PUL.154<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Former <strong>des</strong> « formateurs en établissement » :de l’action à sa formalisationMarc Bailleul<strong>IUFM</strong> de Basse-Normandie, CERSE – Université de CaenJean-François Thémines<strong>IUFM</strong> de Basse-Normandie, CRESO – Université de CaenIntroductionConsécutivement à la réorientation de la <strong>formation</strong> continue dite transversale, en direction<strong>des</strong> établissements secondaires, décidée par le Rectorat de l’Académie de Caen, l’<strong>IUFM</strong> deBasse-Normandie a mis en pla<strong>ce</strong> une <strong>formation</strong> de nouveaux formateurs (17 personnes)devant intervenir en établissement. Les con<strong>ce</strong>pteurs de <strong>ce</strong>tte <strong>formation</strong> ont mis en pla<strong>ce</strong>en juin 2006, un dispositif fondé sur une hypothèse épistémologique et <strong>des</strong> choix de travailassociés, qui peuvent aujourd’hui, alors que la <strong>formation</strong> est en voie d’achèvement (juin2007), être appréciés. L’objet de <strong>ce</strong> texte est de décrire le modèle de <strong>formation</strong> qui aprogressivement structuré <strong>ce</strong> dispositif et de le soumettre à discussion.Ce modèle met au <strong>ce</strong>ntre du dispositif de <strong>formation</strong>, le couple dialectique formalisationformulation,lequel prend sens dans un cadre épistémologique au sein duquel l’activité <strong>des</strong>acteurs en <strong>formation</strong> est conçue comme « multirationnelle ». Cette activité s’appuie sur <strong>des</strong>référen<strong>ce</strong>s et <strong>des</strong> rationalisations hétérogènes, jamais unifiables en un système explicatifou interprétatif global, en raison de la complexité et de la singularité <strong>des</strong> enjeux cognitifs,identitaires, praxéologiques et éthiques, qui trament l’activité de chaque enseignant ou dechaque formateur. Mais on peut en <strong>formation</strong>, chercher à construire ou à consolider <strong>ce</strong>rtains<strong>des</strong> pôles de <strong>ce</strong>tte activité. Nous rendons compte d’une tentative de <strong>ce</strong>t ordre avec les deuxcatégories de la formalisation et de la formulation (assimilables à deux <strong>des</strong> pôles de <strong>ce</strong>tteactivité). Notre hypothèse est que c’est dans une tension entre <strong>ce</strong>s deux procédures que,peut-être, s’élabore en <strong>formation</strong>, une représentation efficiente de la construction de savoirsprofessionnels de formateurs en établissement.L’objectif premier de la <strong>formation</strong> de <strong>ce</strong>s nouveaux formateurs était en effet qu’ils seconstruisent une représentation efficiente de leur activité. Nous rappellerons donc d’abord,dans quelle situation et dans quel contexte <strong>ce</strong>t objectif de <strong>formation</strong> a été posé. Puis, en nousappuyant sur <strong>des</strong> exemples pris dans <strong>des</strong> échanges entre formateurs et formés, échangesorganisés par une écriture dont nous préciserons la forme et la fonction, nous présenteronssuc<strong>ce</strong>ssivement les deux pôles de la formalisation et de la formulation, même si les apportsde la <strong>formation</strong> se situent précisément dans les relan<strong>ce</strong>s et les interpellations que l’un etl’autre se renvoient. Au total, les <strong>des</strong>criptions proposées permettront de se faire une idée de<strong>ce</strong> qu’est l’activité de formateur d’enseignants en établissement secondaire. Là n’est pas lemoindre <strong>des</strong> enjeux de <strong>ce</strong>tte <strong>formation</strong> et de <strong>ce</strong>tte présentation.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 155Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (155-167) Tome 2


M. BAILLEUL, J.-F. THEMINES1. Une situation de changement, un contexte de non pilotage,un modèle de <strong>formation</strong> par production de savoirsur l’activité de formateur en établissementSituation et contexte de la <strong>formation</strong> :changement d’organisation et non pilotage du dispositifLa <strong>formation</strong> de nouveaux formateurs en établissement démarre en juin 2006, après quel’<strong>IUFM</strong> de Basse-Normandie ait fait une offre de co-finan<strong>ce</strong>ment et de con<strong>ce</strong>ption de <strong>ce</strong>tte<strong>formation</strong>, suite à la décision prise par le Rectorat de l’Académie de Caen, de réorienterla <strong>formation</strong> continue dite «transversale» vers les établissements secondaires. Cette offreest ac<strong>ce</strong>ptée par le Rectorat, qui <strong>ce</strong>pendant, fait pression (son responsable de la <strong>formation</strong>continue) pour intervenir dans la con<strong>ce</strong>ption et la mise en œuvre du dispositif de <strong>formation</strong>.L’intérêt de l’<strong>IUFM</strong> est de rajeunir et renouveler le groupe <strong>des</strong> formateurs dits transversaux ;il est aussi de se positionner sur le « métier » de formateur de formateurs et plus seulementsur <strong>ce</strong>lui de formateur d’enseignants. La <strong>formation</strong> continue change d’organisation : d’une<strong>formation</strong> réalisée dans les <strong>ce</strong>ntres de <strong>formation</strong>, gérée à partir de l’offre, le Rectorat del’Académie de Caen passe brusquement à une <strong>formation</strong> réalisée près <strong>des</strong> lieux de travail<strong>des</strong> formés, gérée à partir de la demande. Le Rectorat met en pla<strong>ce</strong> <strong>des</strong> conseillers en<strong>formation</strong>, chargés du lien entre l’instan<strong>ce</strong> <strong>ce</strong>ntrale et les chefs d’établissement secondaire.Le Rectorat et l’<strong>IUFM</strong> mettent en pla<strong>ce</strong> un groupe de suivi, chargé de répartir les réponsesaux deman<strong>des</strong> de <strong>formation</strong>, en fonction <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s, <strong>des</strong> servi<strong>ce</strong>s et de l’objectifd’amalgamer les nouveaux formateurs en établissement au groupe <strong>des</strong> formateurstransversaux en pla<strong>ce</strong>. La <strong>formation</strong> de <strong>ce</strong>s nouveaux formateurs est articulée au nouveaudispositif de <strong>formation</strong>, en <strong>ce</strong> que les formés, pendant l’année 2006-2007, sont aussi dans<strong>des</strong> situations de travail, c’est-à-dire de devoir former <strong>des</strong> enseignants en établissement.L’ensemble du dispositif n’est <strong>ce</strong>pendant pas piloté. Certains <strong>des</strong> nouveaux formateurs ontainsi été recrutés comme conseillers en <strong>formation</strong> sans pour autant s’être vu proposer une<strong>formation</strong> qui anticipe <strong>des</strong> difficultés éventuelles de positionnement, fa<strong>ce</strong> aux partenairesdans le pro<strong>ce</strong>ssus de réponse à une demande de <strong>formation</strong>. Les réponses aux deman<strong>des</strong>de <strong>formation</strong> sont distribuées de façon en partie opaque depuis le Rectorat seul. Enfin, leresponsable <strong>formation</strong> continue du Rectorat met en pla<strong>ce</strong> un dispositif d’évaluation d’actionsde <strong>formation</strong> en établissement, sans que les nouveaux formateurs con<strong>ce</strong>rnés n’en soientpréalablement informés et sans que <strong>ce</strong> dispositif ne soit présenté et discuté avec l’ensemble<strong>des</strong> partenaires (groupe d’appui, formateurs de formateurs).Les nouveaux formateurs recrutés sont d’une grande diversité. La plupart, mais pas tous,ont déjà été formateurs, avec <strong>des</strong> rôles différents : formateur disciplinaire <strong>IUFM</strong>, formateuroccasionnel <strong>IUFM</strong>, conseiller pédagogique. Certains cumulent une fonction de conseilleren <strong>formation</strong>, voire d’évaluateur de la <strong>formation</strong>, avec <strong>ce</strong>lle de formateur, en plus de lafonction qu’ils ont déjà presque tous : enseignant, conseiller d’orientation psychologue ouconseiller principal d’éducation. Deux sont diplômées d’un Master professionnel <strong>formation</strong>de formateurs ; une autre a suivi le stage de <strong>formation</strong> continue « Devenir Formateur ».Certains bénéficient de décharge horaire pour <strong>ce</strong>tte nouvelle activité de formateur enétablissement, d’autres pas. Enfin, tandis que pour la plupart d’entre eux, l’intention déclaréeest de s’engager dans <strong>ce</strong>tte activité, pour quelques-uns, il s’agit plutôt de s’essayer avantd’arrêter un choix de ré-orientation partielle de leur activité <strong>professionnelle</strong>.156<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Former <strong>des</strong> « formateurs en établissement » : de l’action à sa formalisationL’offre d’une <strong>formation</strong> de formateurs collective,<strong>ce</strong>ntrée sur l’activité <strong>des</strong> nouveaux formateurs en établissementDans <strong>ce</strong> contexte compliqué, la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> formateurs est d’emblée conçue comme :– collective : c’est-à-dire développant les compéten<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> individus par le collectif <strong>des</strong>formés ;– se réalisant par alternan<strong>ce</strong> de temps de pratiques de <strong>formation</strong> en établissement(observées, co-conçues, co-réalisées) et de retours en <strong>formation</strong>, sur <strong>ce</strong>s pratiques ;– visant une identification par les formés, <strong>des</strong> tâches, <strong>des</strong> techniques, <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s et<strong>des</strong> questions de métier spécifiques du formateur (par différen<strong>ce</strong> avec l’enseignant) et, plusprécisément, du formateur intervenant en établissement (par différen<strong>ce</strong> avec le travail duformateur intervenant au <strong>ce</strong>ntre de <strong>formation</strong>) ;– différenciée, autour de bases communes, par la prise en compte de la diversité <strong>des</strong>ressour<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> formés.L’objectif premier est d’une part, de repérer, nommer, analyser les enjeux spécifiques del’activité <strong>des</strong> formateurs de <strong>formation</strong> continue en intervention dans <strong>des</strong> établissementssecondaires, et d’autre part, de con<strong>ce</strong>voir <strong>des</strong> réponses adaptées à <strong>ce</strong>s enjeux con<strong>ce</strong>rnantles postures et les savoirs du formateur en établissement (les « gestes de métier », les« fi<strong>ce</strong>lles », les « savoirs théoriques » etc.). Les thèmes qui structurent les journées sontdéfinis en fonction d’une focalisation progressive de l’objet du travail sur l’activité <strong>des</strong>formateurs en établissement.Quels savoirs produire sur l’activité <strong>professionnelle</strong>dans une <strong>formation</strong> de formateurs ?L’option épistémologique qui fonde notre « modèle de <strong>formation</strong> » suit l’idée que l’activité dusujet apprenant dans les métiers de l’éducation et de la <strong>formation</strong> (un professeur en <strong>formation</strong>,un formateur en <strong>formation</strong>) est « multirationnelle ». Cette activité s’appuie en effet sur unehétérogénéité de référen<strong>ce</strong>s et de rationalisations, né<strong>ce</strong>ssaire pour « traiter » l’ensemble<strong>des</strong> enjeux qui structurent l’activité de l’enseignant ou du formateur. Ce « traitement » nepeut être que non unifié, inachevé, incomplet.Alors, quels savoirs produire sur l’activité dans une <strong>formation</strong> de formateurs ? Surtout quandil s’agit d’une activité méconnue <strong>des</strong> formateurs de formateurs eux-mêmes, au sens où,même s’ils sont déjà intervenus en établissement secondaire, leur capital d’observationset d’expérien<strong>ce</strong>s ne permet pas a priori de baliser complètement le champ de pratiquestrès évolutif que constituent les <strong>formation</strong>s d’enseignants sur établissement. Une solutionest peut-être de s’appuyer sur la né<strong>ce</strong>ssaire « multirationalité » de l’élaboration de savoirsprofessionnels de formateurs, pour tenter de la mieux faire comprendre et fonctionner, en<strong>formation</strong> comme au travail. C’est <strong>ce</strong> que nous avons essayé de construire avec les nouveauxformateurs en établissement. Nous avons voulu établir et consolider respectivement deuxpôles de production de savoirs professionnels, en ménageant <strong>des</strong> passages et <strong>des</strong> allersretoursde l’un à l’autre : le pôle de la formalisation et le pôle de la (re)formulation. Nousemprunterons l’essentiel de la <strong>des</strong>cription de <strong>ce</strong>s catégories à Gérard Fath (1998).Néanmoins, <strong>ce</strong>tte <strong>formation</strong> est le produit du travail d’un groupe de formateurs de formateursqui ont leur « entrée » et leur parcours propre dans la <strong>formation</strong> d’enseignants et deformateurs, même s’ils ont pour <strong>ce</strong>rtains à leur actif <strong>des</strong> réalisations communes (<strong>formation</strong><strong>des</strong> nouveaux formateurs de l’<strong>IUFM</strong> de Basse-Normandie, <strong>formation</strong> de conseillers<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 157


M. BAILLEUL, J.-F. THEMINESpédagogiques, stages académiques de <strong>formation</strong> de formateurs, interventions en Masterprofessionnel <strong>formation</strong> de formateurs à l’Université de Caen Basse-Normandie, etc.) :Jean-Pierre Auvray, formateur associé à l’<strong>IUFM</strong> de Basse-Normandie, conseiller principald’éducation au Lycée Rostand (Caen) ; Marc Bailleul, maître de conféren<strong>ce</strong>s en scien<strong>ce</strong>sde l’éducation à l’<strong>IUFM</strong> de Basse-Normandie ; Anne-Laure Le Guern, formatri<strong>ce</strong> associée àl’<strong>IUFM</strong> de Basse-Normandie, professeur de philosophie au Collège et Lycée Expérimentald’Hérouville Saint-Clair ; Yann Lhoste, P<strong>IUFM</strong> à l’<strong>IUFM</strong> de Basse-Normandie, chercheurassocié à l’INRP ; Jean-François Thémines, professeur <strong>des</strong> Universités en géographie(didactique) à l’<strong>IUFM</strong> de Basse-Normandie.2. Formaliser : <strong>des</strong> simplifications opératoires débordéespar les questions de l’outillage, de la tra<strong>ce</strong> du travailet du positionnement institutionnel du formateurÀ partir de Gérard Fath, nous distinguerons deux procédures de production de savoir, deuxmouvements de la pensée né<strong>ce</strong>ssaires mais faiblement effica<strong>ce</strong>s en <strong>formation</strong> s’ils sontmaintenus séparés. Le premier, par ordre d’exposition seulement, est la modélisation :formalisation technique, tendant vers une abstraction schématique, « simplificationopératoire » (Fath, 1998, p. 205). La modélisation vise et produit une « mise en formeet une mise en ordre du réel » (ibid., p. 210). Le deuxième est la formulation, mise enmots <strong>des</strong> enjeux identitaires, praxéologiques et éthiques, caractéristiques du vécu <strong>des</strong>situations <strong>professionnelle</strong>s dans l’enseignement et la <strong>formation</strong>. La formulation opère, dansles situations de <strong>formation</strong>, par reprise et dépassement, débordement <strong>des</strong> formalisationsschématiques. Ainsi, la formulation remet en cause la mise en ordre du réel opérée par unemodélisation, la questionne, la ressaisit et se l’approprie dans <strong>des</strong> élaborations complexesqui dévoilent <strong>des</strong> enjeux d’apprentissage professionnel.C’est ainsi que nous décrivons l’hypothèse qui fonde notre <strong>formation</strong>. Il fallait que <strong>ce</strong>sdeux procédures puissent exister et en quelque sorte se répondent, de telle façon que lesformalisations que nous jugions né<strong>ce</strong>ssaires pour structurer un « espa<strong>ce</strong> professionnel »non codifié par <strong>des</strong> textes officiels, puissent être discutées collectivement, réappropriées etinsérées dans <strong>des</strong> manières singulières d’entrer dans le métier de formateur en établissement(voir infra). Des temps à dominante « modélisation » ont donc été aménagés. Ils ont instituéen objets de travail, entre autres : l’outillage du formateur en établissement, la tra<strong>ce</strong> dutravail de <strong>formation</strong> et le positionnement du formateur en établissement, entre <strong>ce</strong>ntre etlocal.S’outillerL’objet de travail « outils du formateur » s’est imposé en dé<strong>ce</strong>mbre 2006, lors du retour engrand groupe d’un travail de <strong>des</strong>cription, par les formés, d’actions de <strong>formation</strong> auxquelsils ont participé comme observateurs, co-con<strong>ce</strong>pteurs et/ou co-réalisateurs. La consigneposait deux contraintes : <strong>ce</strong>lle de prendre en compte dans la <strong>des</strong>cription non seulementle temps du déroulement du stage, mais aussi l’avant et l’après ; <strong>ce</strong>lle aussi de mettrel’ac<strong>ce</strong>nt sur <strong>des</strong> répétitions, sinon <strong>des</strong> régularités constatées dans la <strong>des</strong>cription du travail<strong>des</strong> formateurs. La demande d’ac<strong>ce</strong>ntuation sur les répétitions a été formulée à l’aide dela notion de « règle », sans décider a priori du cadre théorique et con<strong>ce</strong>ptuel dans lequelse situerait le temps de formalisation prévu par les formateurs, après le retour en grand158<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Former <strong>des</strong> « formateurs en établissement » : de l’action à sa formalisationgroupe. Cette formalisation s’est appuyée sur <strong>des</strong> apports de didactique <strong>professionnelle</strong>.Ainsi, à titre d’hypothèse, ont été proposés et discutés deux con<strong>ce</strong>pts pragmatiques (Pastré,2002) décrivant l’activité du formateur en établissement : « tenir le cadre de la <strong>formation</strong> »,« distribuer la fonction <strong>formation</strong> » (voir figure 1 ci-après).À l’issue de <strong>ce</strong> travail de formalisation, arrive la question <strong>des</strong> outils du formateur. On peutdu point de vue de la formalisation, la considérer comme un résidu. Cette question ne rentrepas immédiatement dans la modélisation : faut-il la démonter pour l’y faire rentrer ? Oubien le sens de <strong>ce</strong>tte question doit-il être travaillé dans un autre cadre que <strong>ce</strong>lui empruntéà la didactique <strong>professionnelle</strong> ? Le développement de la discussion la fait de toute façonéchapper à <strong>ce</strong> cadre. Les stagiaires rapportent <strong>des</strong> situations (Quand j’ai préparé le stageavec Yvon, on a dit qu’il fallait amener <strong>des</strong> outils, mais quand je l’ai vu arriver avec unepleine caisse…), énon<strong>ce</strong>nt <strong>des</strong> règles qui leur paraissent valoir pour la bonne réalisation<strong>des</strong> stages (Une règle est d’avoir une idée claire sur les problématiques à traiter. Et donc<strong>des</strong> outils en stock. Il faut être à l’écoute pour adapter son action avec <strong>des</strong> outils en appui.Plus tu as une grosse boîte à outils, plus tu peux t’adapter. Cela te permet d’apporter de lasouplesse), s’essaient à <strong>des</strong> classifications d’outils, proposent comme projet pour le groupede fonctionner en mettant en partage leurs outils et se demandent quelle forme peuventprendre <strong>ce</strong>s outils ou la présentation de <strong>ce</strong>s outils à partager (Pourquoi pas une boîted’outils commune ? Mais comment est-<strong>ce</strong> que l’on constitue les outils ? Quelle forme ça vaprendre ? Faut-il une uniformisation de la forme ? Comment ils vont être écrits ?).Une formalisation inachevée laisse donc ouverte l’élaboration d’un sens à la question del’outillage né<strong>ce</strong>ssaire du formateur en établissement. Dans <strong>ce</strong>tte ouverture, s’engouffre uneinsatisfaisante formalisation fonctionnaliste : que reste-t-il d’un « outil » lorsqu’il est misen fiche ? Peut-être la saillan<strong>ce</strong> de l’outil nous dit-elle deux choses : d’une part, le besoinde s’équiper lorsqu’on part en voyage, et <strong>ce</strong> voyage-ci qui conduit à un établissementsecondaire, pour être de brève durée, n’en est pas moins tout sauf anodin [outil signifie ausens premier, utilisé au pluriel « équipement, objets né<strong>ce</strong>ssaires que l’on embarque pour unvoyage (cf munitions) » (Rey, 1992, p. 1394)] ; d’autre part, la né<strong>ce</strong>ssité et la difficulté qu’il ya, formant en établissement, à découper nettement dans le flux de la vie de l’établissement,un « espa<strong>ce</strong> » ou un « temps » (de la <strong>formation</strong>) assez étanche pour qu’un flux proprepuisse s’y enclencher, s’y développer et s’y suspendre. La dotation en outils, l’outillageserait la façon partagée de penser l’intervention à la fois comme un voyage pour lequel ilfaut s’équiper en fonction <strong>des</strong> in<strong>formation</strong>s que l’on a pu réunir quant à l’établissement ouau secteur d’intervention et comme imposition d’un cadre, dont la constitution est rarementobtenue avec la coopération de tous les acteurs.Toutefois, n’apparaît pas encore (en dé<strong>ce</strong>mbre 2006, ni en mars 2007) une distinction sansdoute opératoire pour avan<strong>ce</strong>r dans la compréhension <strong>des</strong> enjeux d’apprentissage du métierliés à la question de l’outillage (en <strong>formation</strong> de formateurs et dans les actions de <strong>formation</strong>d’enseignants en établissement) : outils pour soi formateur/ outils pour les formés.Lire et écrire : la tra<strong>ce</strong> du travail de <strong>formation</strong>Apparue sous la forme de référen<strong>ce</strong>s bibliographiques à l’issue d’étu<strong>des</strong> de cas et demises en situation (analyses de pratiques <strong>professionnelle</strong>s) ainsi que d’articles distribuésen <strong>formation</strong>, la référen<strong>ce</strong> est un problème pour le groupe de formés. Problème renvoyéd’abord par <strong>ce</strong>rtains (trois à cinq sur dix-sept) qui ne s’approprient pas (en dé<strong>ce</strong>mbre 2006)le projet d’une <strong>formation</strong> qui, pour être professionnalisante, se veut référée entre autres, à<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 159


M. BAILLEUL, J.-F. THEMINES<strong>des</strong> travaux de recherche en éducation et en <strong>formation</strong>, et pas seulement à une commande,à <strong>des</strong> procédés d’animation ou à <strong>des</strong> contenus à transmettre. Un petit nombre de formés setient « en lisière », déclarant par exemple que le retour réflexif sur l’action de <strong>formation</strong> sefait dans ma tête, seule, pendant le trajet de retour de stage en voiture.Outre l’analyse de situations et l’étude de cas, nous avons privilégié comme moyend’élaboration de savoirs professionnels, une forme d’écriture qui a pour fonction d’installeren tension, les pôles de la formalisation, en particulier, de formalisations produites dansles communautés scientifiques et <strong>ce</strong>lui de la formulation, qui procède de la <strong>des</strong>criptionde situations singulières et de l’expression <strong>des</strong> enjeux de tous ordres liés aux situations<strong>professionnelle</strong>s vécues. Cette écriture suppose <strong>des</strong> allers-retours formateurs-formés,<strong>des</strong> procédés de rapprochement de textes divers : récits ou témoignages, restitution dediscussions en <strong>formation</strong>, longues citations de textes théoriques etc. Elle peut ainsi assurerla présentation séparée de cadres con<strong>ce</strong>ptuels distincts et insister sur la né<strong>ce</strong>ssité d’opérer<strong>ce</strong>s distinctions pour produire de la connaissan<strong>ce</strong> sur sa propre activité.Avoir donc <strong>des</strong> référen<strong>ce</strong>s « sous la main » (les règles d’action, le modèle <strong>des</strong> schèmesd’action et de la con<strong>ce</strong>ptualisation dans l’action, les règles de métier et le modèle <strong>des</strong> collectifsde règles) comme autant d’outils pour penser la <strong>formation</strong> (la sienne et <strong>ce</strong>lle de <strong>ce</strong>ux quel’on forme). Mais donc prêter attention à leurs conditions d’émergen<strong>ce</strong> dans le champ dela connaissan<strong>ce</strong>, à leur structure (comment s’y articulent théories, con<strong>ce</strong>pts, productionde données et « réel » à comprendre), à leur « généalogie » (dans quelles traditionss’inscrivent <strong>ce</strong>s savoirs ?), aussi à <strong>ce</strong> qu’elles impliquent comme épistémologie <strong>des</strong> savoirsprofessionnels et comme posture relative à la parole et aux savoirs <strong>des</strong> professionnels ; detelle façon de ne pas faire de contresens ou de « bouillie » quand on s’en sert pour éclairerune situation, pour construire une séquen<strong>ce</strong> en <strong>formation</strong>.Chaque « outil » (con<strong>ce</strong>ptuel) éclaire mieux tel ou tel aspect de l’activité <strong>professionnelle</strong> et<strong>des</strong> emprunts s’avèrent plus appropriés que d’autres en fonction <strong>des</strong> domaines sur lesquelson travaille. Par exemple, la didactique <strong>professionnelle</strong> ne se penche pas sur les faits deconstruction collective de savoirs partagés, elle se contente de constater qu’il y en a etpréfère avec ses propres métho<strong>des</strong> d’enquête, d’observation et d’entretien, partir d’individuspour dévoiler et aider à élaborer <strong>des</strong> savoirs professionnels.Ces lignes extraites du texte communiqué et discuté en <strong>formation</strong> sont travaillées comme lereste, avec une consigne qui lui donne le statut de texte à terminer par la lecture et l’échoqu’elle suscite chez chacun. La consigne s’appuie sur <strong>ce</strong>tte citation de Paul Ricœur :« l’effet produit par le texte sur son ré<strong>ce</strong>pteur, individuel et collectif, [est] unecomposante intrinsèque de la signification actuelle ou effective du texte. […] le texteest un ensemble d’instructions que le lecteur individuel ou le public exécutent defaçon passive ou créatri<strong>ce</strong> [...] C’est le lecteur qui achève l’œuvre dans la mesure où[…] l’œuvre écrite est une esquisse pour la lecture ; le texte en effet, comporte <strong>des</strong>trous, <strong>des</strong> lacunes, <strong>des</strong> zones d’indétermination […] » (Ricœur, 1991, p. 145-146)Il est impossible de savoir comment <strong>ce</strong> texte a été « terminé » par chacun de ses lecteurs.Néanmoins, il a été prolongé lors d’emprunts explicites, par lesquels sept formés ont formuléles enjeux majeurs de leur activité, voire pour <strong>ce</strong>rtains, une vision générale du métier deformateur en établissement que, pour deux d’entre elles, nous présentons plus loin.Ce type d’écriture pose l’enjeu de la tra<strong>ce</strong> du travail de <strong>formation</strong> pour les nouveauxformateurs. De façon symptomatique, le premier prolongement public (oral) du texte aété : c’est beaucoup plus intelligent que <strong>ce</strong> que je pensais [que nous avions travaillé à la160<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Former <strong>des</strong> « formateurs en établissement » : de l’action à sa formalisationséan<strong>ce</strong> précédente]. C’est dire que le collectif <strong>des</strong> formés est alors apparu comme uneressour<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong> pour les individus, en tant qu’espa<strong>ce</strong> de discussion et d’analyse del’activité. Ce collectif est ainsi confronté à <strong>ce</strong> qu’il est capable de produire, puis de reprendrede sa production, dans un mouvement progressif d’élaboration. Constituer une tra<strong>ce</strong> de<strong>ce</strong> travail de <strong>formation</strong>, c’est donner un moyen d’éprouver la construction effective d’uneprofessionnalité, quand l’organisation du travail tend à rendre impossible ou très difficile unetelle construction.Entre <strong>ce</strong>ntre et local, l’introuvable niveau de l’interventiondu formateur en établissementLa question du « niveau » ou de la « nature » de l’intervention du formateur en établissementn’apparaît pas comme objet de travail avant dé<strong>ce</strong>mbre 2006. Lors du retour sur les premièresactions de <strong>formation</strong> réalisées, elle est abordée à partir de l’écart entre la commande de<strong>formation</strong> et <strong>ce</strong> qui apparaît aux formateurs lorsqu’ils arrivent dans l’établissement, c’està-direà partir de l’écart entre deman<strong>des</strong> et besoins de <strong>formation</strong>. Le con<strong>ce</strong>pt pragmatique« distribuer la fonction <strong>formation</strong> » organise l’activité du formateur en établissement enanticipant de tels décalages.D’autres questions émergent en mars 2007. Comment le formateur en établissement peutils’intéresser à un changement à long terme alors qu’il peut être légitimement tenté <strong>des</strong>’en tenir à un objectif de changement à court terme, a priori mieux ou moins difficilementobservable ? Comment ne pas s’en remettre pour l’évaluation <strong>des</strong> effets de ses pratiquesde <strong>formation</strong>, à la séduction que peut exer<strong>ce</strong>r un bilan positif et une bonne ambian<strong>ce</strong> defin de stage ? Comment anticiper dans la préparation du stage, le décalage stage/aprèsstageque ne manqueront pas vivre les enseignants en <strong>formation</strong>, décalage qui peut lesdéstabiliser, voire conduire à <strong>des</strong> effets non désirés, par un découragement brutal liéau retour à la normalité ? Que fait l’institution, à la sollicitation de laquelle le formateur arépondu favorablement, pour l’aider à mesurer les effets de ses pratiques de <strong>formation</strong> enétablissement, de façon à <strong>ce</strong> qu’il les ajuste, les améliore, les change ?<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 161


M. BAILLEUL, J.-F. THEMINESFigure 1 : Deux con<strong>ce</strong>pts pragmatiques (hypothétiques) formaliséspendant la séan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong> de dé<strong>ce</strong>mbre 2006Con<strong>ce</strong>pts pragmatiquesDescription del’activité(à partir decitations deformateurs)Tenir le cadre de la <strong>formation</strong>Indiquer et rappeler le cadre de la<strong>formation</strong>.Construire le groupe et la confian<strong>ce</strong>avant, afin de rentrer dans les pratiquespédagogiques.Distribuer la fonction <strong>formation</strong>Travailler en amont avec lescorrespondants <strong>formation</strong>.Identifier la demande de <strong>formation</strong> etles écarts entre demande affichée etbesoins réels.Résoudre la tension entre être directif etfaire confian<strong>ce</strong> aux stagiaires.Connaître le contexte de l’établissementet la politique départementale.Recadrer aussi le formateur qui est sortide la problématique de départ.Prendre en compte les délais entre lesjournées de <strong>formation</strong>.Souplesse né<strong>ce</strong>ssaire, <strong>ce</strong>la ne sert àrien de blinder.Utiliser la possibilité de commander dutravail aux professeurs.Refuser d’adhérer aux deman<strong>des</strong> etreprendre les rênes.Demander à un membre de la directiond’être présent, de façon à <strong>ce</strong> qu’il soitgarant de <strong>ce</strong> qui se passera ensuite.On voit combien <strong>ce</strong>s questions touchent l’évaluation <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s en établissement etrenvoient donc aux objectifs qui leur sont assignés. Plus précisément, du point de vue del’activité du formateur, la question est de savoir d’où vient la commande de changementet d’évaluation, à qui elle s’adresse, et quel peut être ou quel doit être le positionnementdu formateur relativement à <strong>ce</strong>tte commande. Rien ne semble stable, rien de tout <strong>ce</strong>la entout cas n’est donné dans l’activité. Quel est le <strong>ce</strong>ntre d’où vient la commande ? La notionde <strong>ce</strong>ntre convient-elle dans un contexte de décon<strong>ce</strong>ntration et d’autonomie relative <strong>des</strong>différents niveaux d’autorité dans la <strong>formation</strong> continue <strong>des</strong> enseignants ? Comment fairepar exemple lorsqu’un niveau définit ses propres objectifs et priorités, indépendammentd’un autre niveau, tout en faisant appel aux formateurs recrutés par <strong>ce</strong>t autre niveau, sanspour autant informer <strong>ce</strong>ux-ci de ses propres objectifs ? [Cette « mésaventure » est arrivéeà <strong>des</strong> formateurs intervenant sur le thème du décrochage, dans un <strong>des</strong> départements del’Académie de Caen]. Qu’est-<strong>ce</strong> que le « local » ? Comment aborder la dimension localeavec le « local », c’est-à-dire les enseignants inscrits au stage ? Comment <strong>ce</strong>s enseignantsse sont-ils ou ont-ils été inscrits ? De quelles in<strong>formation</strong>s disposaient-ils pour faire <strong>ce</strong>choix ? Quels sont les intentions et les objectifs du chef d’établissement, qui est à la fois du« <strong>ce</strong>ntre » et du « local » ? Dans <strong>ce</strong>s conditions, sur quel « niveau » se situe l’interventiondu formateur, « quand on [soi formateur] a ça sur les bras » comme le dit Christophe ? Dequelle « nature » est <strong>ce</strong>tte intervention : traduction <strong>des</strong> objectifs <strong>des</strong> uns en actions auprès<strong>des</strong> autres, médiation entre les uns et les autres, opportunité tactique à exploiter par les unsou les autres, etc. ? Du point de vue du travail, comment faire lorsque l’on est formateur etque l’on n’est en aucune façon décisionnaire dans la politique de <strong>formation</strong>, que l’on n’a pas162<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Former <strong>des</strong> « formateurs en établissement » : de l’action à sa formalisationparticipé à la définition <strong>des</strong> besoins de <strong>formation</strong>, que la connaissan<strong>ce</strong> utile du contexte dela <strong>formation</strong> se gagne bien plus qu’elle ne se donne ? Quel est <strong>ce</strong> métier ?3. (Re)formuler. Différentes manières d’entrer dans le travaildu formateur en établissement...Comme façon de produire <strong>des</strong> savoirs professionnels, la formulation est une élaborationcomplexe par le traitement qu’elle assure, d’in<strong>formation</strong>s de toute nature (constats,convictions, ressentis, éléments théoriques, etc.). Comme pro<strong>ce</strong>ssus, elle a besoin deformalisations pour se développer. Comme produit, elle tend vers la formalisation commereprésentation heuristique, pour un professionnel, de sa propre activité. Dans le cadre de la<strong>formation</strong> <strong>des</strong> formateurs en établissement, le texte dont le principe d’écriture a été présentéci-<strong>des</strong>sus, joue <strong>ce</strong> double rôle de sollicitation de formulation d’enjeux professionnels et depréservation de la tra<strong>ce</strong> (formalisation) <strong>des</strong> formulations nouvelles ou reformulations que salecture a suscitées.Nous présentons deux (re)formulations produites par <strong>des</strong> formés dans le prolongement dutexte lu en début de journée de <strong>formation</strong> en mars 2007. Elles nous mettent sur la pistede « manières d’entrer dans le métier de formateur en établissement », notion qui articuleaujourd’hui notre <strong>des</strong>cription de l’activité « réelle » <strong>des</strong> formateurs de <strong>formation</strong> continue enétablissement de l’Académie de Caen.Irène : deux fa<strong>ce</strong>s cachées de métiers se regardantIrène trouve pertinent dans le texte soumis aux formés, la notion de règles de métier.Elle pense que <strong>ce</strong>tte notion est à approfondir, pour appréhender le métier du formateuren établissement. Le texte soumis à lecture proposait outre une définition de la notion(Molinier, 2006), un moyen de s’en approprier le sens, à partir de l’enjeu de la convivialité.« La convivialité au travail joue un rôle capital dans la recherche de cohésion <strong>des</strong> équipes[...] La convivialité n’existe que pour autant que fonctionnent les conditions propi<strong>ce</strong>s à lamise en discussion contradictoire du travail, <strong>des</strong> procédures, <strong>des</strong> règles de l’art » [Mais] laqualité de la convivialité doit donc toujours être analysée dans le détail [...] Il existe toutefois<strong>des</strong> formes de convivialité strictement défensives, justement entretenues pour permettre de« tenir » alors qu’il n’existe plus aucune solidarité de travail » (Molinier, 2006, p. 117-118).Plusieurs formés ont repris <strong>ce</strong>tte question à leur compte. On peut avoir eu l’impressiond’une convivialité après le départ [après avoir quitté le lieu du stage]. Qu’est-<strong>ce</strong> que <strong>ce</strong>lacache ? souligne par exemple Myriam.Mais pour Irène, la convivialité défensive renvoie d’abord à la question de savoir si <strong>ce</strong> qui estcaché, n’est pas précisément <strong>ce</strong> qu’il faut travailler dans un stage en établissement et si <strong>ce</strong>qui est apparent n’est pas qu’un leurre <strong>des</strong>tiné à éviter le travail de <strong>formation</strong>. La convivialitédéfensive fait sens pour elle à deux niveaux. Du côté de l’activité d’enseignement, il ya <strong>ce</strong> qui est dit et <strong>ce</strong> qui n’est pas dit dans un stage en établissement. Qu’est-<strong>ce</strong> qu’onfait [comme formateur dans l’établissement] du non-exprimé ? Et qui, par<strong>ce</strong> qu’il n’estpas exprimé, pourrait appartenir au registre <strong>des</strong> règles de métier, à la « fa<strong>ce</strong> cachée dumétier d’enseignant » (Molinier, 2006, p. 113). Si la visée de la <strong>formation</strong> est de transformer<strong>des</strong> pratiques, il paraît difficile de la con<strong>ce</strong>voir en ignorant qu’il existe <strong>des</strong> règles qui sedérobent à l’attention même de <strong>ce</strong>ux qui les mobilisent. Du côté de l’activité de formateur<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 163


M. BAILLEUL, J.-F. THEMINESen établissement, Irène pense que la convivialité dans les stages en établissement faitpartie de <strong>ce</strong>s non-dits que les formateurs prennent en compte pour adapter leur action.Ce non-dit renvoie non seulement à une in<strong>ce</strong>rtitude sur la qualité du travail fourni, maisaussi à l’effectivité de <strong>ce</strong> travail. Le non-dit c’est peut-être ne pas avoir à concéder que,comme formateur, on n’a pas toujours su ou pu comprendre ou voulu clore <strong>ce</strong>rtains tempsde convivialité. C’est en <strong>ce</strong> sens qu’il faudrait pour Irène approfondir la question <strong>des</strong> règlesde métier. De <strong>ce</strong> point de vue, le voir écrit [qu’il existe <strong>des</strong> convivialités défensives pour nepas entrer en activité de <strong>formation</strong>] comme ça, c’est vrai. L’écrit formalisant lui a peut-êtrepermis de découvrir son travail avec les mots d’une autre, et même de commen<strong>ce</strong>r à lesfaire siens, dans une formulation qu’elle propose <strong>des</strong> enjeux de son travail de formatri<strong>ce</strong> parrapport à <strong>ce</strong>lui de l’enseignante qu’elle est aussi, autour du non-exprimé.L’enjeu est en effet pour elle d’avoir une meilleure capacité à « entrer » dans les pratiques<strong>professionnelle</strong>s. D’une <strong>ce</strong>rtaine façon, c’est la disposition en deux fa<strong>ce</strong>s cachées de métierse regardant, <strong>ce</strong>lles de ses métiers d’enseignante et de formatri<strong>ce</strong>, qui articule l’expressiond’une inquiétude <strong>professionnelle</strong>. L’écriture en <strong>formation</strong> peut sous <strong>ce</strong>rtaines conditions,être un moyen de réassuran<strong>ce</strong>. Irène n’a <strong>ce</strong>pendant pas dit que s’approprier son propremétier de formatri<strong>ce</strong> pouvait aussi passer par la mise en œuvre d’une écriture équivalente,pour amener les enseignants en <strong>formation</strong> dans ses stages, à se réapproprier leur métierdans la délibération et son compte-rendu.Mickaël : le confort comme indicateur d’une efficien<strong>ce</strong> <strong>professionnelle</strong>Mickaël a eu prise sur le texte, à partir de la présentation de la notion de règles d’action,en relation avec le cadre théorique de la con<strong>ce</strong>ptualisation dans l’action. Mickaël qui est unformateur de longue date dans le domaine disciplinaire (Éducation Physique et Sportive)alors qu’il débute dans les <strong>formation</strong>s « transversales » en établissement, fait ainsi retour sur<strong>des</strong> acquis de didactique disciplinaire et les intègre aux problématiques du changement (oude la commande de changement) et de l’identité du formateur qui est aussi enseignant.Mickaël retient le couple invarian<strong>ce</strong>/adaptabilité, sans doute par<strong>ce</strong> qu’il appartient à sa culturede formateur disciplinaire, c’est en tout cas <strong>ce</strong> qu’il laisse supposer. De l’invarian<strong>ce</strong> dansles façons d’entrer dans les stages en établissement et de les « dérouler », de l’adaptabilitédans les façons de conduire les formés à l’analyse de leurs besoins et de tenter d’y répondre.Toutefois, <strong>ce</strong>tte façon d’exprimer une professionnalité de formateur est informée en amontpar le rapport du formateur à la commande de <strong>formation</strong>. Mickaël questionne : le formateurse vit-il comme un maillon dans la chaîne de commandement qui de l’établissement enaccord avec le Rectorat conduit au groupe de professeurs en <strong>formation</strong> ? S’engage-t-il dansl’action de <strong>formation</strong> par conviction personnelle ? Adhère-t-il à une commande institutionnellequ’ensuite il doit satisfaire en mettant en œuvre <strong>des</strong> stratégies adaptées à la réalisation de<strong>ce</strong>t objectif ?Comme chez Irène, la question <strong>des</strong> besoins de <strong>formation</strong> est posée, mais d’une toute autremanière, pas sous l’angle de la difficile effraction du non-dit, plutôt sous <strong>ce</strong>lui de la questionde savoir qui met en éviden<strong>ce</strong> les besoins. Il y a, dit Mickaël, de la complexité à harmoniser,les changements chez les professeurs, les changements chez les élèves, pour quoi faire,<strong>des</strong> indicateurs à créer.Pour tenir comme formateur fa<strong>ce</strong> à <strong>ce</strong>tte complexité, il faut <strong>des</strong> repères. Mickaël dit qu’il fauttrouver une optimisation, ne pas hésiter à penser à son propre confort, à penser à se faire164<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Former <strong>des</strong> « formateurs en établissement » : de l’action à sa formalisationplaisir. Il s’appuie sur d’autres éléments de sa culture de formateur disciplinaire, pour sefaire comprendre, affirmant ainsi que, d’une pensée de l’apprentissage et de la <strong>formation</strong> parl’efficacité, il faut passer à une pensée de l’apprentissage et de la <strong>formation</strong> par l’efficien<strong>ce</strong>.De l’efficacité à l’efficien<strong>ce</strong>, on passe de la performan<strong>ce</strong> à l’individu, de la technique, c’est-àdirede l’art dépouillé <strong>des</strong> façons de faire, au style par lequel une personne s’approprie <strong>des</strong>façons de faire et les incarne tout en les faisant siennes.Pour le formateur en établissement, la complexité tient spécifiquement à <strong>ce</strong> qu’il est aussienseignant, qu’il y a donc, comme le laisse entendre aussi Irène, deux champs de contraintesqui interagissent dans son activité. La recherche du confort est une condition né<strong>ce</strong>ssaire depossibilité du travail de formateur en établissement. Elle est incompatible avec une logiquede l’efficacité. La logique d’efficien<strong>ce</strong> suppose la prise en compte <strong>des</strong> personnes, les autresbien sûr, mais aussi soi-même. C’est là que confort et efficien<strong>ce</strong> se rejoignent. L’invarian<strong>ce</strong> etl’adaptabilité dans la professionnalité de formateur, sont <strong>des</strong> notions qui prennent sens pourMickaël en relation avec <strong>ce</strong>tte logique de l’efficien<strong>ce</strong> et avec l’indicateur premier, prioritaire,du confort pour soi.Des manières d’entrer dans le travail du formateur en établissement ?Voilà donc deux reformulations pour soi et pour le groupe, d’enjeux de l’activité deformateurs en établissement, reformulations produites en écho à un même texte. Outrequ’elles apportent la preuve qu’un texte « formalisant » peut s’actualiser en reformulationsde problématiques <strong>professionnelle</strong>s [et valident notre choix de <strong>formation</strong>], <strong>ce</strong>s productionspeuvent soutenir de nouvelles formalisations utiles pour les formateurs, en raison <strong>des</strong>difficultés spécifiques d’exerci<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong> métier. La notion de « manière d’entrer dans le travaildu formateur en établissement » est une de <strong>ce</strong>s formalisations, dont l’utilité reste <strong>ce</strong>pendantà l’état d’hypothèse aujourd’hui .Des reformulations d’Irène et de Mickaël, nous retenons le point commun qu’une relationentre deux champs de contraintes autonomes mais interdépendants (<strong>ce</strong>lui de leur activitéd’enseignant, <strong>ce</strong>lui de leur activité de formateur) organise leur appréhension du travail duformateur en établissement et les pla<strong>ce</strong> dans une série de rapports à établir pour soi, avec lechangement, avec les collectifs de travail, avec l’institution. Nous dénommerons « manièred’entrer dans le travail du formateur en établissement », <strong>ce</strong>tte relation et ses implications dansl’activité du formateur. En effet, <strong>ce</strong>tte dernière suppose <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s et <strong>des</strong> techniques,<strong>ce</strong> que les formateurs de formateurs avaient cherché à établir en dé<strong>ce</strong>mbre 2006 (avec uneformalisation orale utilisant les con<strong>ce</strong>pts pragmatiques de la didactique <strong>professionnelle</strong>).Mais la notion de « manière d’entrer dans le travail du formateur en établissement » dépassele domaine <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s et <strong>des</strong> techniques, de plusieurs façons :– à la différen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s qui sont définies, prescrites, inférées par individu, elles’articule autour de problèmes professionnels partagés et à partager pour que le travaildu formateur puisse se penser. Nous avons ainsi repéré les problèmes professionnels del’outillage (la demande d’une élaboration collective de <strong>ce</strong>t outillage), de la tra<strong>ce</strong> du travail de<strong>formation</strong> (la prise de conscien<strong>ce</strong> de son pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong> dans un cadre collectif), dupositionnement du formateur relativement à l’ensemble <strong>des</strong> acteurs de la <strong>formation</strong> continuesur établissement ;– les problèmes professionnels sont appréhendés non seulement à partir <strong>des</strong> conditionsconcrètes du travail de <strong>formation</strong> en établissement (durée et lieu du travail, rapport avec<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 165


M. BAILLEUL, J.-F. THEMINESles hiérarchies administratives, insertion dans <strong>des</strong> projets d’échelle et d’origine différente,extériorité vis-à-vis de la « communauté éducative locale », etc.) mais aussi en fonction d’un« seuil » qui, pour chacun, sépare et relie les situations d’enseignement et les situationsde <strong>formation</strong> en établissement. Comment chaque formateur se sert-il de l’un de ses deuxchamps de pratiques pour appréhender, interroger l’autre (aucun ne mettant en avant l’unitéd’un seul champ de pratiques) ? Nous avons vu qu’Irène construit <strong>ce</strong> seuil à partir de laquestion du non-exprimé redoublé et que Mickaël le construit autour <strong>des</strong> notions de confortet d’efficien<strong>ce</strong> ;– l’activité d’un formateur en établissement excède le domaine cognitif pour inclure <strong>des</strong>questions relatives à la présentation de soi, à la capacité à « produire » une action quipourra être reconnue par soi et par d’autres comme étant une action de <strong>formation</strong> (et pasune in<strong>formation</strong> ou une mission), à la possibilité de refuser une commande de <strong>formation</strong> pour<strong>des</strong> motifs de non travail préalable de la demande, de non communication d’in<strong>formation</strong>s,de désaccord avec les objectifs de la demande, etc., à l’explicitation par le formateur <strong>des</strong>on positionnement pendant l’action de <strong>formation</strong>, etc. L’examen et la « résolution » de <strong>ce</strong>squestions suppose une activité de production de règles d’autant plus difficiles à réaliserqu’en dehors de <strong>ce</strong>lles, techniques, qui sont du ressort spécifique du formateur, les autresrègles (sociales, éthiques) né<strong>ce</strong>ssitent de construire <strong>des</strong> accords avec <strong>des</strong> partenairesnon formateurs, voire de construire de sa propre initiative les conditions né<strong>ce</strong>ssairesà la possibilité du travail (s’informer <strong>des</strong> objectifs de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> différents acteursinstitutionnels, s’informer de l’histoire de l’établissement, s’informer <strong>des</strong> enquêtes socialeset scolaires relatives au « local », etc.).ConclusionLe cadre épistémologique que nous avons choisi, dans lequel l’activité <strong>des</strong> formés est conçuecomme « multirationnelle » et dans lequel la <strong>formation</strong> intervient en sollicitant et consolidantdeux pôles de <strong>ce</strong>tte activité (les pôles de la formalisation et de la formulation) permet deproduire une connaissan<strong>ce</strong> de l’activité de <strong>ce</strong>s nouveaux formateurs en établissement.La <strong>des</strong>cription de <strong>ce</strong>tte activité ne peut pas s’appuyer sur la seule notion de compéten<strong>ce</strong>,même si <strong>des</strong> séquen<strong>ce</strong>s d’action répétées, régulières, caractéristiques de la mobilisationde compéten<strong>ce</strong>s, peuvent organiser <strong>ce</strong>tte <strong>des</strong>cription (distribuer la fonction <strong>formation</strong>, tenirle cadre d’une <strong>formation</strong> etc.). La notion de règles de métier permet de faire entrer dans la<strong>des</strong>cription l’élaboration collective de règles sociales et de règles éthiques. L’interventiond’un formateur en établissement suppose, par exemple, <strong>des</strong> conditions préalables et <strong>des</strong>accords à construire, en <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne l’in<strong>formation</strong> sur les objectifs et les moyens de<strong>formation</strong>, les intentions <strong>des</strong> acteurs académiques de la <strong>formation</strong> ; conditions et accordsdont l’obtention n’est pas toujours jugée né<strong>ce</strong>ssaire ou même jugée inopportune, par <strong>ce</strong>rtainspartenaires. Le positionnement du formateur est problématique. Situé dans un « espa<strong>ce</strong>d’écrasement » entre un <strong>ce</strong>ntre décisionnel qui se démultiplie en hiérarchies autonomes,un « local » supposé approprié à la recherche <strong>des</strong> solutions d’amélioration <strong>des</strong> pratiquesd’enseignement, les deux se recoupant en la personne du chef d’établissement, le formateuren établissement n’a pas de niveau d’intervention reconnu de tous, identifié par avan<strong>ce</strong>. Sien <strong>formation</strong>, les capacités du collectif de nouveaux formateurs sont développées par lesmoyens d’une écriture formalisante ouverte aux reformulations et articulée aux étu<strong>des</strong> decas et autres analyses de situations, en revanche, l’évolution du travail <strong>des</strong> formateursdépendra d’abord de la volonté de l’Académie d’installer un véritable pilotage de la <strong>formation</strong>166<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Former <strong>des</strong> « formateurs en établissement » : de l’action à sa formalisationcontinue en établissement (<strong>formation</strong> <strong>des</strong> chefs d’établissement, définition de procéduresde travail entre partenaires incluant les formateurs, analyses croisées <strong>des</strong> besoins de<strong>formation</strong>, etc.). Pour l’instant, pris entre leur engagement et une organisation du travail quine leur fait pas de pla<strong>ce</strong>, les nouveaux formateurs s’appuient sur les anciens et sur <strong>ce</strong>tte<strong>formation</strong> de formateurs. Il s’élabore peut-être dans <strong>ce</strong>s espa<strong>ce</strong>s de discussion, <strong>des</strong> modèlesprofessionnels que préfigureraient <strong>des</strong> manières d’entrer dans le travail de formateur enétablissement. Mais l’organisation actuelle du travail dans l’Académie de Caen ne facilitepas l’élaboration de <strong>ce</strong>s modèles professionnels.BibliographieFATH G. (1998) « Formalisation <strong>des</strong> savoirs et <strong>formation</strong> <strong>des</strong> acteurs en contexte <strong>universitaire</strong>et en contexte professionnel » in R. Bourdoncle et L. Demailly (Eds) Les professions del’éducation et de la <strong>formation</strong> pp. 205-213. Lille, Presses Universitaires du Septentrion.MOLINIER P. (2006) Les enjeux psychiques du travail. Introduction à la psychodynamiquedu travail. Paris, Payot.PASTRE P. (2002) « L’analyse du travail en didactique <strong>professionnelle</strong> » - Revue Françaisede Pédagogie n° 138, pp. 9-17.REY A. (1992) Dictionnaire historique de la langue française. Les Éditions le Robert.RICŒUR P. (1991) Temps et récit I. Paris, Le Seuil.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 167


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Synergie <strong>formation</strong> et recherchedans la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> PLP tertiairesà l’<strong>IUFM</strong> d’Aix-MarseilleNicole LebatteuxUMR ADEF – <strong>IUFM</strong> d’Aix-Marseille – Université de Proven<strong>ce</strong> – INRPLe nouveau cahier <strong>des</strong> charges de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres rappelle l’aspect <strong>ce</strong>ntral d’une<strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> en alternan<strong>ce</strong>, notamment par<strong>ce</strong> que : « Des savoirs théoriquesdéconnectés de la pratique sont ineffica<strong>ce</strong>s dans une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> et,symétriquement, les situations rencontrées sur le terrain par les professeurs stagiairesne sont pleinement formatri<strong>ce</strong>s que si elles sont analysées à l’aide d’outils con<strong>ce</strong>ptuelset <strong>des</strong> apports de la recherche. » (MEN, 2007, p.3). Pour les futurs enseignants de lycéeprofessionnel un stage en entreprise, <strong>ce</strong>ntré sur les relations école-entreprise, est maintenuet ses objectifs rappelés. Il s’agit de : « Connaître le milieu professionnel », « construire<strong>des</strong> situations d’apprentissage », « organiser, gérer et exploiter les stages <strong>des</strong> élèves ». Laquestion de la distan<strong>ce</strong> à l’entreprise se pose alors dans le cadre de la <strong>formation</strong> initiale de<strong>ce</strong>s professeurs spécifiques qui doivent prendre en charge la <strong>formation</strong> à l’entreprise dansleurs enseignements et la relation à l’entreprise <strong>des</strong> élèves dans la gestion de l’alternan<strong>ce</strong>tout en assurant une mission de socialisation et d’insertion (Lebatteux, 2005(a)).À l’<strong>IUFM</strong> d’Aix-Marseille, le système de relation à l’entreprise, essentiellement le stage,inscrit dans un dispositif de <strong>formation</strong> a été étudié comme révélateur de la construction enacte de la professionnalité de <strong>ce</strong>tte population de nouveaux enseignants. Il s’agit de prendreen compte leur pro<strong>ce</strong>ssus de traitement <strong>des</strong> savoirs et <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s visés dans lesdifférents environnements de leur <strong>formation</strong> initiale : le stage en responsabilité, élémentd’intégration dans le métier, le stage en entreprise, élément d’acculturation-distanciationspécifique à la voie <strong>professionnelle</strong>, les enseignements à l’<strong>IUFM</strong>, éléments d’articulation <strong>des</strong>apports didactiques, théoriques et pédagogiques. Ce dispositif, en constant renouvellementen termes d’éléments de <strong>formation</strong> et de cohéren<strong>ce</strong> interne, vise à amor<strong>ce</strong>r le pro<strong>ce</strong>ssus <strong>des</strong>tructuration du « genre professionnel » <strong>des</strong> stagiaires.Une étude (Legardez, Lebatteux et Froment, 2003) menée sur une promotion de professeursstagiaires de lycée professionnel tertiaire a étudié les effets du dispositif de relation àl’entreprise (Lebatteux, 2005(b)) comme un <strong>des</strong> analyseurs de la structuration de leurgenre professionnel. La « structuration » est ici entendue comme le pro<strong>ce</strong>ssus qui vise unpositionnement réflexif (Schön, 1996) par la mise en cohéren<strong>ce</strong> <strong>des</strong> éléments issus d’undispositif de <strong>formation</strong>, en particulier par la construction de leurs relations aux différentssavoirs (Legardez, 2004) et de leur distan<strong>ce</strong> à la fois aux référen<strong>ce</strong>s scolaires et auxréféren<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s.Nous présenterons <strong>des</strong> éléments du contexte de l’enseignement professionnel tertiaire et dudispositif de <strong>formation</strong> avant de donner quelques résultats sur le pro<strong>ce</strong>ssus de structurationà l’œuvre.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 169Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (169-178) Tome 2


N. LEBATTEUXLa <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> maîtres de l’enseignement professionnelL’enseignement d’un métier : une problématique de transposition spécifiqueau sein du système éducatifL’entreprise occupe une pla<strong>ce</strong> importante dans la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> professeurs del’enseignement professionnel en <strong>IUFM</strong> notamment par le fait que l’enseignant s’appuielargement sur <strong>des</strong> référen<strong>ce</strong>s empruntées à l’entreprise (savoirs, métho<strong>des</strong>, outils…) pourconstruire son enseignement à partir <strong>des</strong> prescriptions <strong>des</strong> référentiels ; et, qu’il doit enassurer la cohéren<strong>ce</strong> avec les stages en entreprise <strong>des</strong> élèves à la fois dans la perspectivede l’obtention du diplôme et dans le cadre plus large de sa mission d’insertion <strong>professionnelle</strong>d’élèves « en difficulté » scolaire et d’insertion (Raulin, 2006). On se situe bien dans lalogique de la « transposition didactique interne » (Chevallard, 2001, p.19) qui fait passer<strong>des</strong> savoirs d’un « genre » à un autre et dont le projet est de « prendre en compte nonseulement les savoirs en jeu, mais les objets, les instruments, les problèmes et les tâches,les contextes et les rôles sociaux… » (Martinand, 2001, p.19). Cependant, « La référen<strong>ce</strong>à <strong>des</strong> pratiques pose la question de leur modélisation pour les faire entrer dans l’école…pour être enseignables les pratiques doivent être formalisées, puis décontextualisées etdésynchrétisées. » (Ginestié, 1999, pp. 100-102) <strong>ce</strong> qui pose la question d’une construction(individuelle et collective) de distan<strong>ce</strong>s à la référen<strong>ce</strong>.Un dispositif d’individualisation-socialisationqui vise la construction d’une pratique réflexiveLe dispositif global de <strong>formation</strong> vise la construction d’une pratique réflexive en initiant unedémarche autonome pour chaque stagiaire et en organisant les conditions d’une démarchecollective par une dynamique <strong>des</strong> échanges. C’est le rôle du GFP (Groupe de FormationProfessionnelle) de mettre en cohéren<strong>ce</strong> les éléments de la <strong>formation</strong> par la socialisation ausein du groupe tout en assurant la personnalisation <strong>des</strong> parcours. Pour notre propos, nousretiendrons quelques aspects de <strong>ce</strong> dispositif <strong>ce</strong>ntrés sur le stage en entreprise.Pour le futur enseignant de l’enseignement professionnel tertiaire, le stage en entrepriseest essentiellement un stage d’observation, donc de distanciation. Cette distanciation estconsubstantielle à la double position de stagiaire et d’enseignant qui doit « transposer » <strong>des</strong>savoirs de l’entreprise dans la classe et gérer l’alternan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> élèves. Il doit ainsi envisagercomment, en situation didactique et en situation d’exerci<strong>ce</strong> professionnel, l’élève s’approprie<strong>des</strong> savoirs pour en extraire ses propres connaissan<strong>ce</strong>s. Il va donc dans l’entreprise pour« faire » et « se regarder faire » (première distanciation), envisager le « faire » <strong>des</strong> élèveslors <strong>des</strong> stages (deuxième distanciation) et extraire <strong>des</strong> in<strong>formation</strong>s, outils et supports pourson enseignement (troisième distanciation).Dans les premières semaines du parcours de <strong>formation</strong>, la question de la pla<strong>ce</strong> <strong>ce</strong>ntrale Il s’agit de « savoirs experts » (Johsua, 1996), de « pratiques de référen<strong>ce</strong> » (Martinand, 2001) et de« pratiques socio-techniques » (Lebeaume, 2001) ainsi que <strong>des</strong> savoirs issus du champ de la gestion, del’économie et du droit. Les référentiels prescrivent <strong>des</strong> listes de compéten<strong>ce</strong>s et de savoirs associés relatives à <strong>des</strong> fonctions del’entreprise spécifiques à chaque diplôme. Le GFP regroupe les stagiaires issus d’un même concours, il est animé par un formateur disciplinaireréférent, le tuteur.170<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Synergie <strong>formation</strong> et recherche dans la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> PLP tertiaires à l’<strong>IUFM</strong> d’Aix-Marseillede l’entreprise est introduite à partir de l’approche <strong>des</strong> différents référentiels (CAP, BEPet baccalauréats professionnels) et de la gestion <strong>des</strong> pério<strong>des</strong> de <strong>formation</strong> en entreprise<strong>des</strong> élèves (PFE) -préparation, suivi, évaluation et exploitation- en même temps que lestagiaire prend une classe en responsabilité et qu’il est interpellé par <strong>ce</strong>s questions dans sapratique. Chacun est alors invité à conduire une réflexion <strong>des</strong>tinée à identifier les besoins etles attentes de « son » stage. Un entretien individuel avec le tuteur du GFP permet ensuited’en déterminer les objectifs et se conclut par la rédaction d’un contrat pédagogique. Cettedémarche vise à rendre le stagiaire acteur de sa <strong>formation</strong> en initiant un « projet ».Parallèlement, les attentes de l’Institut en termes de validation de la relation à l’entreprise sontprécisées. Il s’agit de construire une situation d’enseignement transposée d’une situationd’entreprise, qui vise <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s et <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s explicitées,et de conduire une réflexion critique à partir d’un ensemble de questionnements. Lors dela soutenan<strong>ce</strong>, le stagiaire doit, notamment, présenter les questions qu’il s’est posées pourgénérer le pro<strong>ce</strong>ssus de construction de la situation présentée et justifier les démarches misesen œuvre à chaque étape. Durant l’entretien, au delà <strong>des</strong> éclaircissements demandés, lesquestions du jury peuvent porter sur : l’analyse <strong>des</strong> écarts entre le contenu de la <strong>formation</strong>scolaire et la réalité de l’entreprise (les référentiels, mais aussi les objectifs institutionnels<strong>des</strong> stages <strong>des</strong> élèves en termes de compéten<strong>ce</strong>s et d’attitu<strong>des</strong> <strong>professionnelle</strong>s), la qualitéformatri<strong>ce</strong> de l’entreprise (<strong>ce</strong>tte entreprise lieu de stage ?), la mise en relation de l’évaluation<strong>des</strong> personnels avec l’employabilité <strong>des</strong> élèves (d’autres gestes de l’enseignant ?)…Ces attentes sont mises en relation avec les enseignements qui permettront d’y apporter<strong>des</strong> éléments de réponses, dont <strong>ce</strong>rtains sont issus de résultats de recherches finaliséespar la <strong>formation</strong> , par exemple : la construction d’une situation d’entreprise pour la classe(quelles finalités, quelles questions, quelles étapes ?) ; l’utilisation critique d’un manuel(mise en relation <strong>des</strong> objectifs, <strong>des</strong> contenus et <strong>des</strong> savoirs en jeu, formulation <strong>des</strong>questions…) ; les connaissan<strong>ce</strong>s préalables <strong>des</strong> élèves (quels appuis et quels obstaclesaux apprentissages ?)…Des résultats d’une étude qui interroge l’efficacité du dispositifLa recherche de référen<strong>ce</strong> (Legardez, Lebatteux et Froment, 2003) s’est <strong>ce</strong>ntrée sur deuxquestions principales : comment le système de relation à l’entreprise, inséré dans un dispositifglobal, peut-il contribuer à participer à la construction du genre professionnel de chaquestagiaires alors que leurs caractéristiques de départ sont hétérogènes, notamment par leursexpérien<strong>ce</strong>s de l’entreprise ; et, comment <strong>ce</strong> dispositif de « personnalisation » – individualisationet socialisation – contribue-t-il à <strong>ce</strong>tte construction dans le cadre de l’alternan<strong>ce</strong>élargie <strong>IUFM</strong>-établissement scolaire-entreprise ?Pour illustrer notre propos, nous présenterons le contexte de <strong>ce</strong>tte étude et quelquesrésultats qui révèlent le pro<strong>ce</strong>ssus de structuration en cours. Pour la fluidité de notre propos, nous employons indifféremment stage et PFE. Cependant, les stagesconstituent <strong>des</strong> temps d’observation pour les élèves alors que les PFE sont évaluées et la note participefortement à l’obtention du diplôme. Notamment sur la didactique de l’Economie-Gestion et sur l’enseignement d’objets scolaires vivant dans<strong>des</strong> niveaux et <strong>des</strong> filières différents.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 171


N. LEBATTEUXCadre théorique, population et méthodologieLe modèle utilisé porte sur l’interrelation entre les pratiques d’entreprise, les référen<strong>ce</strong>sinstitutionnelles et le dispositif de <strong>formation</strong>. Il permet de regarder, à partir <strong>des</strong> « variationsdans la construction de distan<strong>ce</strong>s », le pro<strong>ce</strong>ssus de structuration du genre professionnel<strong>des</strong> stagiaires, entendu comme : « l’ensemble du système de construction de distan<strong>ce</strong>sà l’œuvre dans les situations de <strong>formation</strong> ; à la fois un fonctionnement différentiel d’unensemble de pro<strong>ce</strong>ssus en actes et les résultats de <strong>ce</strong>s pro<strong>ce</strong>ssus à chaque moment de la<strong>formation</strong> pour chaque professeur stagiaire et pour le groupe en <strong>formation</strong>. » (id., p.71).L’analyse distingue trois catégories de constructions de distan<strong>ce</strong>s à l’entreprise : uneconstruction individuelle, l’« acculturation » propre à chaque stagiaire en fonction de soncursus préalable, une construction collective dans le cadre d’une « mission » commune auxenseignants de lycées professionnels et une construction de distan<strong>ce</strong>s aux différents savoirspour les convertir en savoirs scolaires à enseigner, essentiellement la mise en perspective<strong>des</strong> pratiques <strong>professionnelle</strong>s et la mise à l’épreuve <strong>des</strong> savoirs scolaires.L’objet de la recherche étant de rendre compte <strong>des</strong> changements qui s’opèrent durant l’annéede <strong>formation</strong> initiale, il était né<strong>ce</strong>ssaire d’intervenir à <strong>des</strong> moments stratégiques du dispositifavec <strong>des</strong> outils adaptés. En fonction de la problématique, deux types de prélèvementsd’in<strong>formation</strong>s ont été réalisés. D’une part, par questionnaires sur la population entière(trente-sept stagiaires <strong>des</strong> filières comptabilité, secrétariat et vente de la promotion 2001-2002), dès le début de la <strong>formation</strong> alors que les stagiaires savent seulement qu’un stage enentreprise est inscrit dans leur parcours, et quelques semaines après le stage. D’autre part,dans une perspective longitudinale, par entretiens avant et après le stage avec <strong>des</strong> stagiairesde la filière vente ciblés en fonction de caractéristiques de départ hétérogènes, notammentleur expérien<strong>ce</strong> préalable -de l’entreprise et/ou de l’enseignement- et leur attitude vis-à-visdu stage en entreprise d’un enseignant.Nous avons recherché <strong>des</strong> indi<strong>ce</strong>s sur les « variations dans la construction de distan<strong>ce</strong>s »dans le discours <strong>des</strong> stagiaires à partir d’un ensemble d’indicateurs de structuration tels que :la construction de relations et la mise en ordre d’un système de relations, la formulation d’unnouveau questionnement et la formulation nouvelle d’un questionnement…Nous présenterons d’abord quelques résultats caractéristiques de l’évolution du groupeet ensuite <strong>des</strong> analyses menées à partir du discours de deux stagiaires à <strong>des</strong> momentsdifférents du dispositif.Le pro<strong>ce</strong>ssus de structuration à l’œuvre pour la promotion de stagiairesUne attente positive du stage en entrepriseinscrit dans le parcours de <strong>formation</strong> initialeLa plupart <strong>des</strong> stagiaires (trente quatre) font état d’une expérien<strong>ce</strong> préalable de l’entreprised’une durée variable, de quelques semaines à dix ans et plus, et ils sont sept à envisagerd’acquérir une première expérien<strong>ce</strong> ou <strong>des</strong> expérien<strong>ce</strong>s complémentaires lors de leurstage. Malgré <strong>ce</strong>s caractéristiques, l’enquête à priori révèle une attitude favorable austage en entreprise. En effet, vingt-six stagiaires en attendent une inciden<strong>ce</strong> positive surl’exerci<strong>ce</strong> de leur métier. Par exemple : sur le plan individuel : « Acquérir une meilleureconnaissan<strong>ce</strong> de l’entreprise. », « Me familiariser avec différents servi<strong>ce</strong>s que je ne connaisqu’en théorie. » ; sur le plan pédagogique : « Ce stage peut me permettre d’alimenter mes172<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Synergie <strong>formation</strong> et recherche dans la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> PLP tertiaires à l’<strong>IUFM</strong> d’Aix-Marseillecours en exemples concrets. », « M’inspirer de situations <strong>professionnelle</strong>s pour construire<strong>des</strong> situations <strong>professionnelle</strong>s pour mes élèves » ; et, sur le plan <strong>des</strong> missions : « Mieuxnégocier de futurs stages ou emplois pour mes élèves. », « Obtenir <strong>des</strong> in<strong>formation</strong>s surles attentes et les besoins <strong>des</strong> entreprises en matière de recrutement. ». Les autres fontpart d’une attitude plus réservée : « A l’heure actuelle, je ne vois pas d’inciden<strong>ce</strong> positive ounégative sur le métier d’enseignant que je découvre, alors qu’à priori je connais la situationd’un professionnel de mon domaine. » ou encore « utilitariste » : « il me servira à préparerle rapport de stage car j’ai déjà travaillé dans différentes entreprises et servi<strong>ce</strong>s. ».On relève que tous les éléments de la mission d’un enseignant de lycée professionnelsont déjà présents dans <strong>ce</strong>s réponses, <strong>ce</strong>pendant la référen<strong>ce</strong> à l’entreprise n’est pasquestionnée et il n’est pas fait état d’une distan<strong>ce</strong> à construire. En effet, l’approche estessentiellement concrète et il s’agit assez souvent de « coller » à <strong>des</strong> « situations réelles »ou aux « attentes » de l’entreprise dans la perspective de la « vie active » <strong>des</strong> élèves. Cesréponses, qui pourraient surprendre pour <strong>des</strong> stagiaires en début de <strong>formation</strong>, peuvents’expliquer par les caractéristiques même du concours qu’ils viennent de réussir dont uneépreuve d’admission, qui bénéficie du plus fort coefficient, consiste à présenter une situationd’entreprise pour la classe. Pour la préparer, les étudiants réalisent un stage d’observationen établissement -qui constitue une modalité de préprofessionnalisation- et la plupart sontainsi déjà « imprégnés » du contexte de l’enseignement professionnel.Une construction de distan<strong>ce</strong>s à différents niveauxEn rapprochant l’analyse <strong>des</strong> réponses aux questionnaires administrés à l’ensemble dela promotion et les différents entretiens, il ressort que le stage est résolument orienté versune « observation-participante » par<strong>ce</strong> que : « L’enseignant ne doit pas être seulementun acteur ni seulement un observateur ». Cette position est assez souvent résumée parl’expression « regard de l’enseignant ». Elle vise l’atteinte <strong>des</strong> objectifs fixés par l’Institut etprioritairement l’identification et l’analyse de situations <strong>professionnelle</strong>s. Le pro<strong>ce</strong>ssus <strong>des</strong>tructuration se révèle à plusieurs niveaux, nous en présenterons deux.Des liens établis entre situation <strong>professionnelle</strong> et traitement didactiqueLes spécialistes de l’ergonomie du travail (Clot, 1999) font remarquer que dans les situationsde travail les hommes se regardent faire et peuvent parler sur leur activité, <strong>ce</strong> qui paraitné<strong>ce</strong>ssaire mais pas suffisant pour initier une démarche réflexive (Saint-Arnaud, 2001). Un<strong>des</strong> objectifs fixés pour le stage est de mettre en œuvre un pro<strong>ce</strong>ssus de transposition <strong>des</strong>savoirs et pratiques issus de l’entreprise dans la classe qui né<strong>ce</strong>ssite une démarche enplusieurs étapes : repérer <strong>des</strong> activités pertinentes en lien avec les référentiels, puiser dansles pratiques observées et les ressour<strong>ce</strong>s internes à l’entreprise les éléments né<strong>ce</strong>ssaires,exploiter <strong>ce</strong>s éléments en vue de réaliser le pro<strong>ce</strong>ssus de transposition, élaborer une « étudede cas » qui mobilise les élèves par une situation-problème pour les amener à construire<strong>des</strong> savoirs.Les éléments recueillis révèlent que tous les stagiaires ont construit <strong>des</strong> liens entre lessituations observées et leur traitement didactique potentiel ou réalisé. L’exemple suivantpourrait être généralisé à l’ensemble de la promotion : « Tout <strong>ce</strong> que j’ai fait, j’avais dansl’esprit que je pouvais le retranscrire dans ma classe. ». Dans <strong>ce</strong>rtains cas les enseignementsont été réalisés : « Je me suis servie de documents de chez Carrefour [la bible], de lamarche à suivre pour traiter une réclamation et donc du mode opératoire de Carrefour, enmettant les élèves en situation <strong>professionnelle</strong>. », et <strong>des</strong> modalités de la transposition sontexprimées : « Je pense qu’il faut consulter leur bible pour avoir en tête leur façon de faire,<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 173


N. LEBATTEUXensuite aller voir comment ils font, observer la situation du début à la fin et ensuite faire unretour sur la théorie. ».On relève qu’il ne s’agit plus seulement d’amener la réalité de l’entreprise dans la classemais aussi de la mettre en relation avec les savoirs en jeu dans l’action. Cette mise enrelation, ou en tout cas son expression, est nouvelle. En effet, au début de la <strong>formation</strong> lesstagiaires parlent souvent de leur « transposition » mais ils ont <strong>des</strong> difficultés à en proposerune définition. A la question ouverte posée dans le questionnaire au groupe entier après lestage la majorité <strong>des</strong> définitions se rejoignent, par exemple : transposer, c’est : « Modifieren enrichissant, simplifiant, une situation réelle en l’adaptant à notre référentiel et à <strong>ce</strong> quenous voulons apporter comme compéten<strong>ce</strong>s et connaissan<strong>ce</strong>s associées à notre classe. ».Les verbes utilisés pour le dire sont : transformer, modifier, simplifier, adapter, emprunter,utiliser, élaborer… Il s’agit bien d’une construction de distan<strong>ce</strong> au réel de l’entreprise mêmesi après le pro<strong>ce</strong>ssus <strong>ce</strong>tte distan<strong>ce</strong> peut-être, <strong>ce</strong>tte fois volontairement, quasi nulle.Des distan<strong>ce</strong>s entre pratiques d’entreprise et prescriptions <strong>des</strong> référentielsDurant leur stage, les stagiaires observent les pratiques de l’entreprise en les rapprochant<strong>des</strong> activités prescrites dans les référentiels <strong>ce</strong> qui leur permet à la fois de les discriminer :« En fait par peur d’observer <strong>des</strong> choses inutiles, on n’avait pas beaucoup de temps, ona fait sans <strong>ce</strong>sse <strong>ce</strong> lien. » et de les confronter aux savoirs et compéten<strong>ce</strong>s prescrits <strong>ce</strong>qui les amène à plusieurs constats. D’abord l’obsoles<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong> <strong>des</strong> référentiels : « Il y a <strong>des</strong>choses qui sont demandées dans le référentiel mais qui ne sont plus faites dans le milieuprofessionnel… par exemple le calcul d’un linéaire, c’est totalement informatisé en gran<strong>des</strong>urfa<strong>ce</strong> alors qu’on le fait calculer à nos élèves en leur disant qu’on va le faire en milieuprofessionnel. », surtout lorsque <strong>ce</strong> savoir est évalué dans les sujets d’examens : « Je mesuis bien rendue compte que <strong>ce</strong>tte démarche n’était pas utilisée en entreprise, et pourtant enbac pro vente elle est demandée, et si on regarde les huit dernières années, c’est bien tombéquatre fois au bac… », ou qu’il est trop éloigné de la réalité : « Des choses déconnectéesil y en a, par exemple en analyse <strong>des</strong> ventes… on a <strong>des</strong> calculs avec les points extrêmes,la méthode de Mayeur… quelle que soit l’entreprise avec laquelle vous discutez, ils nel’appliqueront jamais, il y a trop de facteurs qui entrent en jeu. ».Tous <strong>ce</strong>s constats -qui constituent <strong>des</strong> constructions de distan<strong>ce</strong>s- sont autant de formulationsnouvelles, en termes de liens et de questions, qui interrogent la pertinen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> savoirsprescrits en fonction de la finalité de l’enseignement professionnel. Ils font l’objet de débatsau sein du groupe de stagiaires lors <strong>des</strong> GFP qui leur permettent de se positionner. Chacundevra alors construire « sa bonne distan<strong>ce</strong> » aux référentiels. Par exemple : « Donc, je penseque même s’il y a <strong>des</strong> différen<strong>ce</strong>s sur <strong>ce</strong>rtains points, il faut savoir quand même montreraux élèves que même si le référentiel dit <strong>des</strong> choses qui ne sont pas appliquées dans lemonde professionnel, il faut quand même les savoirs et savoir comment s’est appliqué dansle monde professionnel. ».Des étu<strong>des</strong> de casPour montrer les distan<strong>ce</strong>s individuelles qui se construisent aux différents moments dela <strong>formation</strong> nous présenterons le « cas » de deux stagiaires dont les caractéristiques dedépart sont différentes aussi bien en matière de parcours préalable que d’attentes. L’obsoles<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong> <strong>des</strong> savoirs prescrits nous semble constituer une question cruciale pour la voie<strong>professionnelle</strong> alors qu’elle n’est que relative pour <strong>ce</strong>rtaines disciplines de l’enseignement général.174<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Synergie <strong>formation</strong> et recherche dans la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> PLP tertiaires à l’<strong>IUFM</strong> d’Aix-MarseilleChristiane : un regard nouveau sur l’entrepriseChristiane possède une expérien<strong>ce</strong> de six ans en entreprise et dans le questionnaire dedépart (début septembre) elle trouve peu d’intérêt à : « un retour en entreprise si peu detemps après l’avoir quittée. ». Pour elle, le stage est inutile car il ne peut rien lui apporter dansson enseignement. Lors de l’entretien avant le stage (mi octobre) sa position a évolué. Ellea choisi de réaliser un stage dans deux entreprises différentes : Fran<strong>ce</strong> Télécom, entrepriseoù elle a travaillé : « une semaine ou dix jours pour récupérer la nouvelle documentationcar toute la doc que j’ai est déjà obsolète, surtout ADSL. », pour réaliser son dossier <strong>des</strong>tage sur <strong>ce</strong> thème mais aussi pour y puiser d’autres in<strong>formation</strong>s : « C’est vrai qu’en étantdans l’entreprise, j’ai toute l’info… par exemple les argumentaires clients… pour travailler ladifféren<strong>ce</strong> entre caractéristiques et avantages clients… ». Puis une autre entreprise : « Dansun domaine que je connaissais très mal, la con<strong>ce</strong>ssion… pour moi, <strong>ce</strong>la représentait unelacune. En effet, je viens d’aborder les formes de commer<strong>ce</strong> avec les élèves, la con<strong>ce</strong>ssionj’ai du mal à en parler car je ne connais que <strong>ce</strong> qu’il y a dans les livres. ».Elle explique <strong>ce</strong> revirement d’attitude par la présentation <strong>des</strong> attentes de l’Institut : « Parrapport à <strong>ce</strong> que j’avais dit dans le questionnaire… on me faisait retourner en entreprisepour un stage d’observation qui est plutôt une initiation pour <strong>ce</strong>ux qui n’ont jamais travaillé…Et après coup on nous a fait la présentation sur <strong>ce</strong> qu’on devait prendre, la transpositiondidactique et sur <strong>ce</strong> qu’on attendait de nous. ». Et elle exprime son nouveau positionnement :« Avec l’œil tout neuf, un mois et demi, du prof stagiaire je commen<strong>ce</strong> à acquérir d’autresréflexes. Avant, je voyais tout sous l’angle commercial et maintenant je commen<strong>ce</strong> à entrevoirsous l’angle pédagogique, et, avec <strong>ce</strong>t œil là, je vois les infos d’une autre manière… ».Pour Christiane <strong>ce</strong> sont bien les éléments du dispositif -les attentes de l’Institut et la<strong>formation</strong> articulées à la prise en charge d’une classe en responsabilité- qui ont initié, dansles premiers mois de la <strong>formation</strong>, <strong>des</strong> mises en relation entre pratiques d’entreprise etsituations d’enseignement avec une formulation nouvelle <strong>des</strong> questions.Akim : <strong>des</strong> mises en liensPour Akim, sans expérien<strong>ce</strong> préalable dans son domaine d’enseignement, l’intérêt du stageest la découverte et l’approfondissement du contexte de l’entreprise pour son acculturation.Suite à l’entretien avec le tuteur, il a lui aussi choisi de faire un stage dans deux entreprisespour « balayer » le maximum d’éléments en relation avec les différents domaines de lavente et il a négocié « un stage de travail » : « J’ai choisi Vidéo Futur pour regarder un petitcommer<strong>ce</strong>, surtout la franchise par<strong>ce</strong> que je ne connaissais pas… je veux illustrer mesconnaissan<strong>ce</strong>s par un exemple précis… par contre en grande distribution je n’y connaisstrictement rien sorti du cadre théorique… pour avoir une vision de tout… que fait chacun ?...essayer de glaner <strong>des</strong> infos telles que leur gamme de produits… s’ils font de la <strong>formation</strong>,comment ils recrutent. ». Sa préoccupation immédiate reste <strong>ce</strong>pendant la validation et lechoix d’un thème pour « sa transposition » dont il détaille les possibilités : « Soit l’entretiend’achat-vente, soit la gestion du linéaire… je peux le faire sur 6 à 8 heures, je dois tenircompte de l’exposé que je dois rendre et après je dois le soutenir. ».Avant le stage, le questionnement d’Akim est très proche <strong>des</strong> attentes de l’Institut et <strong>ce</strong> sontle cahier <strong>des</strong> charges du stage et les contraintes de la validation qui paraissent l’amenerà formuler <strong>des</strong> préoccupations qui peuvent être à l’origine d’un début de réflexion sur latransposition. Les élèves apparaissent de façon plus lointaine pour <strong>ce</strong> qu’on pourrait appelerla « motivation » : « j’avais pensé à Leroy Merlin, mais je me suis dit que par rapport auxélèves, je pense que <strong>ce</strong> serait plus intéressant pour eux par rapport au produit. A choisir<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 175


N. LEBATTEUXentre les vis et les Baskets… ».Après le stage, le discours d’Akim révèle un ensemble de constructions de distan<strong>ce</strong>s àl’œuvre. On relève, par exemple, une observation de la pratique médiatisée par le référentiellorsqu’il décrit ses activités à partir <strong>des</strong> termes génériques de la prescription (en gras dansle texte) « La politique promotionnelle : le matin, vérifier rayon par rayon. Si <strong>des</strong> produitsétaient soldés on sortait les étiquettes, on sortait un balisage promotionnel… ». Selon nous,l’utilisation du vocabulaire de l’enseignement pour décrire <strong>des</strong> activités de travail constitueexplicitement le repérage de savoirs professionnels en devenir de savoirs scolaires.Des liens se construisent entre la réalité <strong>des</strong> pratiques de l’entreprise et les référentiels etgénèrent <strong>des</strong> questions : « [Chez Décathlon] le chef de rayon ne passe pas les comman<strong>des</strong>…elles sont simplement déclenchées par les ventes effectuées… Au lycée, on demande auxélèves de constituer <strong>des</strong> fiches-produit, là-bas elles sont fournies… Cette réalité me sembledifficile à faire passer aux élèves. Peut-on leur dire qu’il y a <strong>des</strong> exigen<strong>ce</strong>s du programmequi ne vont pas avec les réalités du métier ? ».Une posture nouvelle se <strong>des</strong>sine lorsqu’il exprime de nouvelles questions en relation avec lamission d’enseignant de lycée professionnel chargé de former un élève capable de s’insérerdans la vie <strong>professionnelle</strong> : « Je n’avais pas <strong>ce</strong>tte vision <strong>des</strong> choses avant mon stage, jepensais qu’il suffisait de suivre le référentiel… Je ne faisais pas le lien entre <strong>ce</strong> que j’allaisenseigner et <strong>ce</strong> que l’élève pourra appliquer en stage et dans sa vie future <strong>professionnelle</strong>.Maintenant le lien à faire sur <strong>ce</strong>rtains thèmes, <strong>ce</strong> que je ne maîtrise pas encore, je medemande comment le faire passer… »Au travers de <strong>ce</strong>s quelques extraits on perçoit un changement dans la finalité <strong>professionnelle</strong>d’Akim, il donne un sens nouveau à son action et à sa fonction. C’est tout le lien entrel’enseignement de l’entreprise en milieu scolaire et les pratiques <strong>des</strong> élèves en entreprisesqui est questionné en même temps que la préoccupation de leur insertion <strong>professionnelle</strong>apparaît. A <strong>ce</strong> moment <strong>ce</strong> ne sont pas seulement ses questions mais surtout les réservesqu’il formule sur sa capacité à les prendre en charge qui constituent autant d’indi<strong>ce</strong>s d’unpro<strong>ce</strong>ssus de construction du genre professionnel « débutant réflexif ».ConclusionSi les résultats de <strong>ce</strong>tte étude ne peuvent pas être généralisés, il nous semble que c’estl’articulation entre la responsabilité du professeur dans le stage en établissement, le stageen entreprise et les <strong>formation</strong>s à l’<strong>IUFM</strong> pilotés dans une perspective de réflexivité quiparaissent générer un pro<strong>ce</strong>ssus de structuration.Pendant leur stage en entreprise, les stagiaires construisent un système de relations etanticipent la distan<strong>ce</strong> qu’ils auront à gérer entre les pratiques <strong>professionnelle</strong>s de leursélèves en stage et les savoirs scolaires qui font l’objet de l’enseignement. Ces relations sontfonction <strong>des</strong> caractéristiques de chaque stagiaire mais elles se rejoignent sur la missionde l’enseignant de lycée professionnel. Les questions formulées et <strong>ce</strong>rtaines réponsesdéjà apportées montrent que <strong>ce</strong>s futurs enseignants possèdent les outils né<strong>ce</strong>ssaires pouridentifier les différentes dimensions de leur métier <strong>ce</strong> qui peut faire présager qu’ils saurontévoluer dans <strong>ce</strong> métier spécifique.Cet exemple de synergie entre <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> initiale d’enseignants de lycéeprofessionnel tertiaire et recherche tend à montrer <strong>ce</strong> que peut être une <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong>176<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Synergie <strong>formation</strong> et recherche dans la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> PLP tertiaires à l’<strong>IUFM</strong> d’Aix-Marseille<strong>des</strong> maîtres qui s’appuie sur <strong>des</strong> recherches finalisées pour se renouveler afin de contribuerà la réussite <strong>des</strong> élèves. Il pourrait être discuté en relation avec d’autres travaux, notamment<strong>ce</strong>ux menés sur <strong>des</strong> publics similaires (Jellab, 2006).BibliographieCHEVALLARD Y. (2001) La transposition didactique, du savoir savant au savoir enseigné.Grenoble, La Pensée Sauvage.CLOT Y. (1999) La fonction psychologique du travail. Paris, PUF.GINESTIE J. (1999) Contribution à la constitution de faits didactiques en éducationtechnologique. Dossier d’habilitation à diriger <strong>des</strong> recherches, Aix-en-Proven<strong>ce</strong>, Universitéde Proven<strong>ce</strong>.JELLAB A. (2006) Débuter dans l’enseignement secondaire. Quels rapports aux savoirschez les professeurs stagiaires ? Paris, L’Harmattan.JOHSUA S. (1996) « Le con<strong>ce</strong>pt de transposition didactique n’est-il propre qu’auxmathématiques ? » - in C. Raisky et M. Caillot (dir.) Au-delà <strong>des</strong> didactiques, le didactique.Débats autour de con<strong>ce</strong>pts fédérateurs pp. 61-73. Paris, de Boeck.LEBATTEUX N. (2005a) Représentation sociale de l’entreprise et contexte scolaire enlycée professionnel tertiaire. Obstacles et appuis pour un apprentissage citoyen. Thèse dedoctorat, Aix-en-Proven<strong>ce</strong>, Université de Proven<strong>ce</strong>.LEBATTEUX N. (2005b) « Dispositif de <strong>formation</strong> et spécificités de la voie <strong>professionnelle</strong>tertiaire » - in J.-S. Bekale Nze, J. Ginestie, B. Hostein, C. Mouity (coord.) Actes du Colloqueinternational Éducation technologique, <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> et développement durable,pp. 85-88. Libreville, éditions de l’ENSET.LEBEAUME J. (2001) « Pratiques socio-techniques de référen<strong>ce</strong>, un con<strong>ce</strong>pt pourl’intervention didactique : diffusion et appropriation par les enseignants de technologie » inA. Mercier, G. Lemoyne et A. Rouchier (coord.) Le génie didactique pp. 127-177. Bruxelles,de Boeck.LEGARDEZ A. (2004) « Transposition didactique et rapports au savoir ; l’exemple dequestions économiques et sociales, socialement vives ». Revue Française de Pédagogien° 149, pp. 19-28.LEGARDEZ A., LEBATTEUX N., FROMENT J.-P. (2003) Relation à l’entreprise et pro<strong>ce</strong>ssusde structuration de la professionnalité d’enseignants de lycées professionnels tertiaires en<strong>formation</strong> initiale à l’<strong>IUFM</strong> d’Aix-Marseille. Rapport de recherche n° 30-025, Paris, INRP.MARTINAND J.-L. (2001) « Pratiques de référen<strong>ce</strong> et problématique de la référen<strong>ce</strong>curriculaire » in A. Terrisse (dir.) Didactique <strong>des</strong> disciplines. Les référen<strong>ce</strong>s au savoir, pp.17-24. Bruxelles, de Boeck.RAULIN J.-P.(2006) L’enseignement professionnel aujourd’hui. Paris, ESF.SCHON D. (dir.) (1996) Le tournant réflexif. Pratiques éducatives et étu<strong>des</strong> de cas. Montréal,Logiques.SAINT-ARNAUD Y. (2001) « La réflexion dans l’action. Un changement de paradigme »Recherche et Formation n° 36, pp. 17-27.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 177


N. LEBATTEUXMinistère de l’Éducation nationale de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (2007),« Cahier <strong>des</strong> charges de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres en institut <strong>universitaire</strong> de <strong>formation</strong> ».Bulletin officiel n° 1, 4 janvier 2007.178<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


L’universitarisation et la <strong>formation</strong> continuée<strong>des</strong> enseignants : analyse comparative Fran<strong>ce</strong>/UkraineMarina Sacilotto-VasylenkoUniversité Paris 10 Nanterre, CREF équipe « Enseignement Supérieur »IntroductionEn <strong>ce</strong>tte période de trans<strong>formation</strong>s éducatives, coexistent de multiples théories, discours etmodèles d’éducation/<strong>formation</strong>. Plusieurs chercheurs (K. Zeichner, L. Paquay) considèrentqu’il est né<strong>ce</strong>ssaire de combiner tradition et modernité, local et international, pour avan<strong>ce</strong>rconsciemment dans la construction d’une éducation/<strong>formation</strong> effica<strong>ce</strong> et pertinente<strong>des</strong> enseignants. Ainsi, les chercheurs utilisent la notion de « paradigme » pour décrirel’ensemble <strong>des</strong> croyan<strong>ce</strong>s, <strong>des</strong> expérien<strong>ce</strong>s et <strong>des</strong> valeurs, pour per<strong>ce</strong>voir la nature, l’objectifet le pro<strong>ce</strong>ssus d’enseignement et d’apprentissage, mais aussi l’activité <strong>professionnelle</strong><strong>des</strong> enseignants. Ces paradigmes permettent de construire et de réaliser <strong>des</strong> modèles de<strong>formation</strong>.Il nous semble donc pertinent, d’une part, d’analyser les orientations con<strong>ce</strong>ptuellesde la <strong>formation</strong> continuée et de discuter leurs pla<strong>ce</strong>s dans les paradigmes traditionnels(académique, artisanal, personnaliste, technicien, développement) et le paradigme nouveau(<strong>formation</strong> tout au long de la vie) ; d’autre part, d’identifier les nouveaux modèles et formesde collaboration entre les universités, les établissements scolaires et autres partenairespour le développement professionnel et personnel de l’enseignant.Cette démarche permet d’approcher et d’expliquer les différentes stratégies prioritaires pourla <strong>formation</strong> continuée <strong>des</strong> enseignants, et en particulier pour la Fran<strong>ce</strong> et l’Ukraine, objetsde comparaison pour notre thèse.1. La pla<strong>ce</strong> de la <strong>formation</strong> continue dans les paradigmes de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignantsLe paradigme de la <strong>formation</strong> « académique » : En <strong>formation</strong> continue, les objectifsprioritaires sont l’actualisation <strong>des</strong> savoirs disciplinaires et interdisciplinaires ainsi que ledéveloppement <strong>des</strong> savoirs pédagogiques. Ceci permet aux enseignants de s’informer surle progrès fait dans les recherches en scien<strong>ce</strong>s humaines et sociales. Les cours magistraux,les conféren<strong>ce</strong>s pédagogiques, les stages de recyclage et de perfectionnement dominentdans les stratégies adoptées.Le paradigme de la <strong>formation</strong> « technicienne » : Les chercheurs analysant le travail <strong>des</strong>enseignants à partir <strong>des</strong> fonctions et <strong>des</strong> tâches à réaliser ont contribué à l’élaboration<strong>des</strong> programmes de <strong>formation</strong> par compéten<strong>ce</strong>s. Pour chaque compéten<strong>ce</strong> spécifique,un module de <strong>formation</strong> est créé. Ainsi, les compéten<strong>ce</strong>s sont acquises progressivement. Nous distinguons, comme la plupart <strong>des</strong> chercheurs, <strong>formation</strong> « continue » (qui désigne la <strong>formation</strong>organisée dans le cadre professionnel) et <strong>formation</strong> « continuée » (qui con<strong>ce</strong>rne, plus largement, toutesactivités de <strong>formation</strong> autre que la <strong>formation</strong> initiale).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 179Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (179-188) Tome 2


M. SACILOTTO-VASYLENKOLe micro-enseignement, les modules de <strong>formation</strong> et les séminaires thématiques sontprivilégiés. Très souvent utilisé en <strong>formation</strong> continue, <strong>ce</strong> paradigme favorise l’entraînement<strong>des</strong> enseignants en techniques, en actualisant <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s et <strong>des</strong> savoir-faire.Le paradigme de la <strong>formation</strong> « personnaliste » : L’ac<strong>ce</strong>nt sur la personnalité de l’enseignant,« l’approche individuelle », change le contenu et l’organisation de la <strong>formation</strong>. Paquay(1994) ajoute que « selon le paradigme personnaliste, l’essentiel d’une <strong>formation</strong> consistedès lors à « devenir-une-personne-en-relation ». Il pointe l’importan<strong>ce</strong> de la communicationet de la construction <strong>des</strong> relations avec les élèves et les collègues. Ainsi, les programmesde <strong>formation</strong> permettent aux enseignants de s’exprimer, de communiquer, d’analyser leursrelations dans un climat de confian<strong>ce</strong>.Le paradigme « artisanal » de la <strong>formation</strong> : En <strong>formation</strong> continue, <strong>ce</strong> paradigme met l’ac<strong>ce</strong>ntsur le développement <strong>des</strong> savoirs pratiques pour aider les enseignants à mieux exer<strong>ce</strong>rleur métier. Les dispositifs comme les stages sur site, l’observation de cours d’enseignantsexpérimentés, les échanges avec les collègues permettent d’atteindre les objectifs de <strong>ce</strong>sprogrammes. Selon Perrenoud (cité par Paquay, 1994), l’enseignant ne peut réussirson action pédagogique en appliquant seulement <strong>des</strong> théories et <strong>des</strong> règles apprises en<strong>formation</strong> : l’enseignant fonctionne comme un bricoleur ou un artisan qui rassemble <strong>des</strong>matériaux disponibles pour construire son enseignement.La recherche et développement sur/pour la <strong>formation</strong> : Ferry (1983) utilise le terme de« <strong>ce</strong>ntré sur l’analyse » pour décrire le modèle de la <strong>formation</strong> fondée sur l’articulation dela théorie et de la pratique. Il préconise une pla<strong>ce</strong> importante pour la <strong>formation</strong> continue quipermet de dépasser les approches superficielles et facti<strong>ce</strong>s de la <strong>formation</strong> initiale. Paquay(1994) soutient l’idée que la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants à la recherche est possible. Il préciseque la priorité est donnée aux recherches sur le développement, l’évaluation, la résolutionde problèmes, ainsi qu’aux recherches liées à l’action et aux recherches praxéologiques. Enmême temps, il rejoint les nombreux chercheurs pour qui la professionnalisation est d’abordle développement de stratégies de <strong>formation</strong> de praticiens effica<strong>ce</strong>s et réfléchis et pourlesquels la participation à la recherche n’est pas la priorité absolue.Dans les analyses <strong>des</strong> systèmes de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants, les chercheurs remarquentque les con<strong>ce</strong>pteurs <strong>des</strong> programmes ont tendan<strong>ce</strong> à privilégier <strong>ce</strong>rtains paradigmes. Cettedémarche est critiquée car le métier d’enseignant est multidimensionnel et demande une<strong>formation</strong> diversifiée, qui intègre tous les paradigmes existants. De plus, nous pensons que,pour que la <strong>formation</strong> continue soit effica<strong>ce</strong>, ses objectifs et ses stratégies doivent s’adapterà l’évolution constante du métier d’enseignant, de l’environnement scolaire, de la recherche,de la société en général.Une notion plus large, la <strong>formation</strong> tout au long de la vie, est ré<strong>ce</strong>mment apparue. Elle estinterprétée comme un effet de mode ou, à l’opposé, une réelle volonté de répondre auxexigen<strong>ce</strong>s et défis de la société. Le paradigme de la <strong>formation</strong> tout au long de la vie peutêtre utilisé comme un moyen de réponse à la diversité <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s attendues <strong>des</strong>enseignants et comme une voie alternative à la <strong>formation</strong> institutionnelle. Ainsi, <strong>ce</strong> paradigmepermet un ensemble équilibré entre la <strong>formation</strong> initiale, l’accompagnement dans les débutsprofessionnels (induction en anglais), et la <strong>formation</strong> continue. La <strong>formation</strong> initiale, dansson organisation et ses métho<strong>des</strong>, doit donc intégrer les besoins futurs <strong>des</strong> enseignants, lesresponsabiliser dans leurs parcours de développement personnel et professionnel. CROS(2005) considère qu’une telle <strong>formation</strong> est possible à un niveau <strong>universitaire</strong>. Elle ajouteque <strong>ce</strong>tte con<strong>ce</strong>ption de la <strong>formation</strong> entraîne <strong>des</strong> modalités différentes comme <strong>des</strong> ateliers180<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


L’universitarisation et la <strong>formation</strong> continuée <strong>des</strong> enseignants : analyse comparative Fran<strong>ce</strong>-Ukrainede création collective, <strong>des</strong> stages dans d’autres pays, un travail en équipe pédagogique ouen équipe élargie, une véritable <strong>formation</strong> en alternan<strong>ce</strong>, un travail <strong>universitaire</strong> de qualité,c’est-à-dire une <strong>formation</strong> permettant de changer la profession.Les étu<strong>des</strong> montrent que les enseignants deviennent de plus en plus conscients de leur rôledans la société et de la né<strong>ce</strong>ssité de se former régulièrement. Ils utilisent <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>set <strong>des</strong> lieux différents de <strong>ce</strong>ux proposés dans le cadre formel de la <strong>formation</strong> continue.Ils cherchent eux-mêmes <strong>des</strong> réponses à leurs besoins professionnels par <strong>des</strong> moyensnouveaux d’accès à l’in<strong>formation</strong> (Internet, cédéroms, émissions culturelles…). Pourtant,<strong>ce</strong>s nouvelles compéten<strong>ce</strong>s ne sont pas prises en compte institutionnellement. Les liensentre le développement professionnel (formel ou informel) et la reconnaissan<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>sefforts ne sont pas suffisants. De plus, les politiques de <strong>formation</strong> visent <strong>des</strong> perspectivesà court terme et ont du retard par rapport aux changements de con<strong>ce</strong>ptions du métier et depratiques <strong>professionnelle</strong>s.2. Les universités et la <strong>formation</strong> continuée <strong>des</strong> enseignantsL’universitarisation, un <strong>des</strong> discours actuels en <strong>formation</strong> initiale, est considérée comme unpas en avant pour la professionnalisation du métier <strong>des</strong> enseignants. Elle est très peu présenteen <strong>formation</strong> continuée, qui privilégie plutôt le développement <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s pratiqueset se <strong>ce</strong>ntre sur les établissements scolaires. Cependant, les universités sont <strong>ce</strong>nséesapporter une spécificité à la <strong>formation</strong>, surtout par le lien entre <strong>formation</strong> et recherche :<strong>formation</strong> d’un esprit réflexif, critique et créatif né<strong>ce</strong>ssaire à la fonction enseignante, <strong>formation</strong><strong>des</strong> enseignants comme objet de recherche, initiation à la recherche <strong>des</strong> formateurs et <strong>des</strong>enseignants. Cette mission spécifique pour les universités rencontre <strong>des</strong> obstacles d’ordrethéorique et politique. Ils sont à l’origine <strong>des</strong> discours qui tentent d’exclure les universités dela <strong>formation</strong> continuée <strong>des</strong> enseignantsLes débats portent sur les relations entre la recherche et la pratique enseignante, et, enparticulier sur la pertinen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> savoirs scientifiques pour la <strong>formation</strong> et le développementprofessionnel <strong>des</strong> enseignants. Les derniers arguments développés dans <strong>ce</strong> débat portentsur la diversification <strong>des</strong> types de recherche, le rapprochement entre les différents corps deformateurs d’enseignants, la né<strong>ce</strong>ssité accrue d’articuler les différents types de savoirs pouraméliorer les pratiques et la <strong>formation</strong>. Pour favoriser l’intégration <strong>des</strong> savoirs théoriqueset pratiques, HENSLER (2005) appelle les <strong>universitaire</strong>s à « aider les enseignants à reformulerleurs savoirs pratiques en liaison avec les théories intelligibles ; rendre les savoirsscientifiques plus visibles et donc facilement utilisables ; mieux organiser et davantagediffuser les savoirs dans la société ».Nous voulons ici soulever quelques interrogations sur une <strong>formation</strong> continue <strong>des</strong> enseignantsdavantage « <strong>universitaire</strong> » et montrer les réponses issues de la recherche francophone.Les savoirs « <strong>universitaire</strong>s » sont-ils né<strong>ce</strong>ssaires pour la <strong>formation</strong> continue ?Comment former les enseignants à <strong>ce</strong>s savoirs ? Quels savoirs selon l’étape de lacarrière ?Du coté de la <strong>formation</strong> continue, les auteurs soulignent que les enseignants préfèrent uneoffre diversifiée <strong>des</strong> savoirs qui permet « une théorisation de la pratique, la construction d’uneattitude prudente, une problématisation <strong>des</strong> situations vécues, une analyse « après-coup »,un enrichissement <strong>des</strong> schèmes professionnels acquis antérieurement et une osmoseprogressive <strong>des</strong> savoirs et <strong>des</strong> pratiques » (Lessard, Altet, Paquay, Perrenoud, 2004, p.16).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 181


M. SACILOTTO-VASYLENKOIls ajoutent que <strong>ce</strong> constat ne con<strong>ce</strong>rne qu’une minorité d’enseignants qui manifestent unevolonté de participer à <strong>ce</strong> type de <strong>formation</strong>, et qui intègrent déjà une démarche réflexivedans leur pratique <strong>professionnelle</strong>.HENSLER (2004) considère que les enseignants en <strong>formation</strong> continue sont intéressés parles savoirs <strong>universitaire</strong>s surtout <strong>ce</strong>ux qui sont associés aux modèles opératoires (l’approchepar problèmes, la pédagogie coopérative). Les savoirs scientifiques sont davantage appréciésquand ils les aident à comprendre les con<strong>ce</strong>pts et les principes théoriques énoncés dans lesprogrammes officiels. HENSLER ajoute que l’impact sur le travail enseignant <strong>des</strong> savoirs derecherche vulgarisés pendant les conféren<strong>ce</strong>s pédagogiques reste faible.Les savoirs professionnels se construisent tout au long de la vie par un pro<strong>ce</strong>ssus, uneinteraction et une confrontation entre <strong>des</strong> situations de travail et <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s cognitives.SAUSSEZ et PAQUAY (2004) considèrent que l’enseignant démarre dans le métier avec <strong>des</strong>con<strong>ce</strong>pts du sens commun, <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts empruntés à <strong>des</strong> « théories populaires comme lapsychologie populaire, la pédagogie populaire, l’épistémologie populaire ». Ces con<strong>ce</strong>ptsinteragissent avec les con<strong>ce</strong>pts scientifiques, « les théories scientifiques transmises par la<strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> ». L’ensemble de <strong>ce</strong>s con<strong>ce</strong>pts, appelé « amalgame », constituela connaissan<strong>ce</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>des</strong> enseignants. Les chercheurs s’intéressent au rapportentre <strong>ce</strong>s con<strong>ce</strong>pts, et montrent la né<strong>ce</strong>ssité d’établir un dialogue entre eux. Souvent, soitles con<strong>ce</strong>pts du « quotidien » s’enferment dans l’expérien<strong>ce</strong>, soit les con<strong>ce</strong>pts scientifiquesperdent tout contact avec le contenu de l’expérien<strong>ce</strong>. À <strong>ce</strong> propos, SAUSSEZ et PAQUAYsoulignent l’importan<strong>ce</strong> du transfert <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s scientifiques dans le champ del’activité <strong>professionnelle</strong> : la construction d’un espa<strong>ce</strong> commun aux con<strong>ce</strong>pts quotidiens etscientifiques peut être réalisé par la (co) recherche et la (co) <strong>formation</strong> entre les chercheurset les enseignants.D’après PERRENOUD, le con<strong>ce</strong>pt « de transposition pragmatique » est plus adéquat pourdésigner la mobilisation <strong>des</strong> savoirs en vue de l’action. La transposition pragmatique estle pro<strong>ce</strong>ssus qui « opère sur les savoirs pour enseigner, <strong>ce</strong>ux qui fondent les décisions etles actions pédagogiques et didactiques » (Perrenoud, 2004, p.142). En effet, l’enseignantmobilise les savoirs existants et les transforme en actions pour répondre à une situationparticulière de son travail. Ce pro<strong>ce</strong>ssus singulier de raisonnement peut amener lesenseignants à la construction de savoirs nouveaux, dénommés <strong>des</strong> savoirs situés.Enfin, les recherches montrent que les enseignants manifestent une attitude différente enversles savoirs scientifiques selon les moments de leur carrière : la « socialisation personnalisée »,(Nault, 1999, cité par Cattonar), par exemple, est décrite par les auteurs comme la périodede socialisation et de développement personnel et professionnel, où les lectures, les bonneset mauvaises expérien<strong>ce</strong>s, la <strong>formation</strong> continue ont beaucoup d’importan<strong>ce</strong>. L’enseignantpossède alors <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s soli<strong>des</strong>, et commen<strong>ce</strong> à chercher <strong>des</strong>approches innovantes en lien avec ses besoins pédagogiques. Après <strong>ce</strong>tte période vient laphase de« socialisation de rayonnement », moment où l’enseignant devient un « théoricienréflexif » (Nault, 1999, cité par Cattonar).Quelles sont les pratiques « <strong>universitaire</strong>s » les plus effica<strong>ce</strong>sdans la <strong>formation</strong> continue ?DEMAILLY (1991) constate que la « forme <strong>universitaire</strong> » de la <strong>formation</strong> continue estdevenue très rare. Elle s’adressait traditionnellement aux enseignants du secondaire, et étaitfondée sur la con<strong>ce</strong>ption d’un droit personnel à l’enrichissement culturel. Selon <strong>ce</strong>t auteur, la<strong>formation</strong> continue, dans le contexte français, pourrait correspondre au modèle « interactif-182<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


L’universitarisation et la <strong>formation</strong> continuée <strong>des</strong> enseignants : analyse comparative Fran<strong>ce</strong>-Ukraineréflexif » : « le suivi-accompagnement », le conseil, les « groupes de travail », les « groupesde recherche-action ». Elle considère <strong>ce</strong>s types de <strong>formation</strong> comme les plus innovants, carils modifient le rapport à la <strong>formation</strong> et l’approche <strong>des</strong> différents professionnels, invententde nouveaux savoirs professionnels, permettent leur appropriation et leur usage et créentun nouveau milieu professionnel. DEMAILLY précise que la réussite de <strong>ce</strong> modèle dépend<strong>des</strong> relations entre le formateur et les formés, qui sont de l’ordre de « l’aide technique ».De plus, les savoirs et les contenus de <strong>formation</strong> doivent être co-produits et co-construitsprogressivement par les acteurs.Le passage progressif d’un contexte à l’autre (<strong>ce</strong>lui de l’apprentissage situé) est rendupossible par les approches de l’action et de la cognition située. Les auteurs comparent <strong>ce</strong>type de <strong>formation</strong>, appelée « professionnalisante », à la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> médecins au cours deleur internat, ou <strong>des</strong> avocats. CASALFIORE (2000) insiste sur les difficultés d’organisationd’une telle <strong>formation</strong>, car elle demande un investissement important et long de la part<strong>des</strong> enseignants : « Cette vision de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants ne peut passer que parl’accroissement du nombre d’enseignants en exerci<strong>ce</strong>, la valorisation du corps enseignantcomme groupe social constitué faisant autorité dans le domaine de l’enseignement, et uneplus grande con<strong>ce</strong>rtation entre les enseignants expérimentés et les formateurs exerçantdans les écoles normales ou les universités » (Casalfiore, 2000, p.22).Les chercheurs semblent d’accord sur la multiplicité <strong>des</strong> savoirs et <strong>des</strong> besoins <strong>des</strong>enseignants. Ainsi, ils insistent sur la né<strong>ce</strong>ssité de construire une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>qui articule théorie et pratique et qui permet aux enseignants de comprendre et decon<strong>ce</strong>ptualiser l’expérien<strong>ce</strong>. « L’insertion de la <strong>formation</strong> continue dans <strong>des</strong> communautésde recherche et d’apprentissage et le développement de pratiques de recherchecollaborative, dans la mesure où elles construisent un partenariat dans la production etdans la procéduralisation <strong>des</strong> savoirs de SHS et mettent en échec une division du travailrigide et une forte hiérarchisation, apparaissent aussi comme <strong>des</strong> voies et <strong>des</strong> orientationsà emprunter et à répandre » (Lessard, Altet, Paquay, Perrenoud, 2004, p. 30)3. L’universitarisation et la <strong>formation</strong> continue <strong>des</strong> enseignantsen Fran<strong>ce</strong> : un contexte institutionnel complexeL’originalité française est que la <strong>formation</strong> continue <strong>des</strong> enseignants est confiée aux <strong>IUFM</strong>,<strong>des</strong> institutions qui assurent également la <strong>formation</strong> initiale, et peuvent ainsi garantir lecontinuum entre les deux types de <strong>formation</strong>. De plus, <strong>ce</strong>s instituts sont <strong>universitaire</strong>s. Cettesituation laisse supposer qu’en Fran<strong>ce</strong> il existe un contexte favorable à l’universitarisationet à la professionnalisation <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s. La réalité est bien différente.Pour aborder <strong>ce</strong>tte question il est né<strong>ce</strong>ssaire de rappeler quelques problèmes de la <strong>formation</strong>continue qui sont liés au contexte historique et institutionnel de son organisation et sonévolution dans <strong>ce</strong> pays:▪ Mise en pla<strong>ce</strong> ré<strong>ce</strong>nte de la <strong>formation</strong> continue <strong>des</strong> enseignants : les enseignants dupremier degré en bénéficient depuis 1972, les enseignants du secondaire n’y ont accès quedepuis 1982.▪ Difficultés de fonctionnement de la <strong>formation</strong> continue liées à l’organisation administrativeet aux changements répétitifs <strong>des</strong> institutions responsables (autorité académique, DAFPEN,<strong>IUFM</strong>, Université).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 183


M. SACILOTTO-VASYLENKO▪ Pas de débat de fond dans la communauté éducative sur les nouveaux paradigmes de la<strong>formation</strong> continue : « <strong>formation</strong> tout au long de la vie » ; dispositifs pour « le développementprofessionnel <strong>des</strong> enseignants ». On se con<strong>ce</strong>ntre plutôt sur la <strong>formation</strong> initiale.▪ Absen<strong>ce</strong> de reconnaissan<strong>ce</strong> par l’Éducation Nationale <strong>des</strong> investissements <strong>des</strong> enseignantspour le développement de leurs compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s par la <strong>formation</strong> continue, la<strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> diplômante, l’auto<strong>formation</strong>, etc.▪ Problèmes de communication entre les institutions participant à la <strong>formation</strong> continue<strong>des</strong> enseignants : difficultés d’identification <strong>des</strong> vrais besoins <strong>des</strong> enseignants, absen<strong>ce</strong>de dispositifs pédagogiques permettant aux enseignants de comprendre la né<strong>ce</strong>ssité de seformer régulièrement, etc.▪ Problèmes liés aux formateurs : statut, fonction, <strong>formation</strong>. Quelles sont les missionspremières <strong>des</strong> formateurs : s’investir dans l’organisation d’une <strong>formation</strong> continue« <strong>professionnelle</strong> » ou dans <strong>des</strong> activités de recherche ?Les <strong>IUFM</strong> ont <strong>des</strong> difficultés à organiser une <strong>formation</strong> continue « <strong>professionnelle</strong> », àformer les enseignants à la recherche et à faire de la recherche. À l’opposé, les Universitésfrançaises sont considérées comme les lieux privilégiés de la recherche, et <strong>ce</strong>la limite leurengagement dans une <strong>formation</strong> « professionnalisante » <strong>des</strong> enseignants. La <strong>formation</strong> <strong>des</strong>enseignants, et la <strong>formation</strong> continue en particulier, ne sont pas au <strong>ce</strong>ntre <strong>des</strong> préoccupations<strong>des</strong> Universités. La séparation institutionnelle (<strong>des</strong> <strong>IUFM</strong> et <strong>des</strong> Universités) ne permetpas une évolution positive de <strong>ce</strong>tte situation : les <strong>universitaire</strong>s font de la recherche, et lesformateurs <strong>des</strong> <strong>IUFM</strong> s’investissent en <strong>formation</strong> initiale, et très peu en <strong>formation</strong> continue.Le rapprochement de <strong>ce</strong>s « deux mon<strong>des</strong> » ne s’est pas concrétisé sur le terrain. De raresexemples se situent dans les équipes de recherche qui travaillent sur la didactique <strong>des</strong>disciplines ou encore dans l’engagement de formateurs d’<strong>IUFM</strong> dans <strong>des</strong> doctorats. Quant àla <strong>formation</strong> continue, les formateurs d’<strong>IUFM</strong> animent la majorité <strong>des</strong> stages <strong>des</strong> professeursdu premier degré. En <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne le second degré, elle reste pour la plupart confiéesaux maîtres-formateurs : en 2002-2003, dans un <strong>IUFM</strong>, 81 % de la répartition horaire de la<strong>formation</strong> continue était confiée aux maîtres-formateurs, 7 % aux formateurs de l’<strong>IUFM</strong>, 9 %aux <strong>universitaire</strong>s et 3 % à <strong>des</strong> formateurs hors EN).Ce contexte particulier confirme l’existen<strong>ce</strong>, en Fran<strong>ce</strong>, de bases pour une universitarisationet une professionnalisation de la <strong>formation</strong> continue, à condition que les tensions d’ordrepolitique, institutionnel et administratif soient dépassées. Les tensions essentielles se trouventdans l’organisation <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s et dans la pla<strong>ce</strong> de la recherche. Pour obtenir une évolutionvers une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> davantage « <strong>universitaire</strong> », il serait souhaitable que lesprincipaux acteurs de <strong>ce</strong> pro<strong>ce</strong>ssus (académies, enseignants, politiques, <strong>IUFM</strong>, Universités)avan<strong>ce</strong>nt en connaissan<strong>ce</strong> de cause dans sa construction. Pour <strong>ce</strong> faire, il est né<strong>ce</strong>ssairede privilégier une « intégration » intelligente entre les oppositions existantes : Université/ <strong>IUFM</strong> / école ; théorie / pratique ; chercheur / formateur / enseignant ; enseignement /<strong>formation</strong> / recherche ; disciplinaire / inter-pluridisciplinaire. Évidemment, une rechercheplus diversifiée est une né<strong>ce</strong>ssité absolue pour atteindre <strong>ce</strong>t objectif.4. L’organisation et le fonctionnement de la <strong>formation</strong> continue<strong>des</strong> enseignants en Ukraine : le modèle « <strong>universitaire</strong> »L’Ukraine a hérité, de l’époque soviétique, d’un système extensif et rigide de <strong>formation</strong>184<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


L’universitarisation et la <strong>formation</strong> continuée <strong>des</strong> enseignants : analyse comparative Fran<strong>ce</strong>-Ukrainecontinue <strong>des</strong> enseignants qui fonctionnait depuis 1939. Après la déclaration d’indépendan<strong>ce</strong>(1990), le pays a essayé de faire changer <strong>ce</strong> système en posant comme priorités les principesde démocratisation, de dé<strong>ce</strong>ntralisation et d’humanisation. Ces intentions de trans<strong>formation</strong>n’ont pas pu se réaliser rapidement sur le terrain. Des étu<strong>des</strong> (Banque Mondiale, 2004 ;fondation « Renaissan<strong>ce</strong> », 2003) ont montré que les réformes annoncées n’étaient passoutenues financièrement, et que le système n’avait pas su les planifier, les diriger et lesévaluer. Par ailleurs, les enseignants et les formateurs n’ont pas été préparés pour souteniret appliquer <strong>ce</strong>s changements venus de l’extérieur. Les nouveaux con<strong>ce</strong>pts, « qualité »,« individualisation », « innovation pédagogique », « réflexivité », etc., ont été mal interprétéset assimilés. De plus, le statut <strong>des</strong> personnels d’éducation s’est détérioré dans la société :les bas salaires ont obligé beaucoup d’entre eux à chercher un travail complémentaire, oumême à quitter leur poste. Cela a diminué la qualité de l’enseignement et l’investissement<strong>des</strong> enseignants dans le développement professionnel.Il fallait ac<strong>ce</strong>pter, en effet, que les trans<strong>formation</strong>s en cours dans <strong>ce</strong> système éducatif et la<strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants prennent du temps, car elles sont complexes : d’un coté, ellesdépendent de l’évolution sociale et politique d’un pays en construction démocratique, etd’un autre coté, elles sont fortement influencées par les pro<strong>ce</strong>ssus éducatifs européens etmondiaux. Il est donc intéressant d’étudier <strong>ce</strong>rtains dispositifs (traditionnels et innovants)qui font partie de la culture « pédagogique » de <strong>ce</strong> pays, et les particularités de sa <strong>formation</strong>continue.En Ukraine, la <strong>formation</strong> continuée <strong>des</strong> enseignants se réalise dans trois types d’institutions :les établissements scolaires, les <strong>ce</strong>ntres régionaux et municipaux d’éducation, les instituts de<strong>formation</strong> continue <strong>des</strong> cadres pédagogiques (IFCCP). Le développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s<strong>professionnelle</strong>s <strong>des</strong> enseignants, ainsi que la recherche et l’innovation sont les objectifsprioritaires.En effet, il existe une obligation statutaire pour les enseignants de se former et de participeraux activités de réflexion et d’innovation sur les différents aspects du pro<strong>ce</strong>ssus éducatif. Enplus de l’inspection, pour l’avan<strong>ce</strong>ment dans la carrière, les enseignants doivent être forméstous les cinq ans dans les IFCCP. Ces institutions (27 établissements) sont considéréescomme <strong>des</strong> établissements d’enseignement supérieur car, en plus de l’organisation <strong>des</strong>stages de perfectionnement, elles assurent la recherche et l’innovation pédagogique dansleurs régions respectives.Pour former les enseignants en exerci<strong>ce</strong>, les IFCCP développent <strong>des</strong> programmes (deux àquatre semaines, 72 ou 144 heures) qui correspondent aux politiques ministérielles. Mêmesi <strong>ce</strong>s dernières années, <strong>des</strong> changements ont été entrepris, la structure <strong>des</strong> programmesn’a pas évoluée. Ils comportent trois parties :▪ « humaine» : questions générales sur l’éducation, sur les nouvelles politiques, lesprogrammes d’enseignement (de 8 % à 30 % du temps de <strong>formation</strong>) ;▪ « <strong>professionnelle</strong> » : modules liés à la discipline et aux métho<strong>des</strong> d’enseignement, avecquelques visites d’établissements scolaires et de classes d’enseignants expérimentés (de60 % à 80 % du temps de <strong>formation</strong>) ;▪ « diagnostique et analytique » : évaluation <strong>des</strong> formés, évaluation <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s (de 2 à10 % du temps de <strong>formation</strong>).Cette <strong>des</strong>cription confirme son appartenan<strong>ce</strong> au modèle « <strong>universitaire</strong> » : <strong>formation</strong>relativement longue et académique, avec l’ac<strong>ce</strong>nt sur les savoirs disciplinaires, didactiqueset pédagogiques. Cependant, l’efficacité de <strong>ce</strong>s <strong>formation</strong>s est faible. Ainsi, les enseignants<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 185


M. SACILOTTO-VASYLENKOparlent d’acquisition de <strong>ce</strong>rtains savoirs, mais ils confirment rarement l’évolution <strong>des</strong> pratiquesen classes. Le système est très critiqué, car il ne peut plus répondre aux changementsrapi<strong>des</strong> de la société et aux attentes <strong>professionnelle</strong>s <strong>des</strong> enseignants.Une autre fonction assumée par les IFCCP est l’organisation de la recherche et ledéveloppement d’innovations dans les établissements scolaires. Cette recherche porteplus sur les problèmes issus de la pratique : « didactique », métho<strong>des</strong> d’enseignement,dispositifs pour le développement professionnel <strong>des</strong> enseignants. Pour <strong>ce</strong>tte fonction,chaque institut crée <strong>des</strong> chaires (de pédagogie, de psychologie, de didactique <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s,etc.) et travaille en collaboration avec les Universités ou les Instituts de recherche. Mêmes’il existe <strong>ce</strong>rtaines critiques quant à la « scientificité » de <strong>ce</strong>tte recherche, elle permet devaloriser le travail <strong>des</strong> enseignants (qui y sont souvent associés), d’identifier les pratiquesinnovantes, de les con<strong>ce</strong>ptualiser et de les diffuser dans le milieu éducatif.En effet, le personnel de l’institut est constitué de formateurs (enseignants expérimentés)et de professeurs (chercheurs). Il y a une exigen<strong>ce</strong> institutionnelle assez forte pour que lesformateurs d’enseignants soutiennent une thèse et fassent de la recherche. Cette exigen<strong>ce</strong>est difficilement réalisable, car après l’accomplissement de leurs tâches de <strong>formation</strong> (etd’accompagnement, de conseil, etc.), il reste très peu de temps pour s’investir dans lesdémarches de la recherche « scientifique ».4.1. Les évolutions ré<strong>ce</strong>ntes <strong>des</strong> pratiquesRé<strong>ce</strong>mment, les IFCCP ont obtenu plus d’autonomie dans l’organisation de la <strong>formation</strong>.Ainsi, de nouvelles pratiques sont apparues pour concurren<strong>ce</strong>r le système traditionnel. Ceschangements sont complétés par les dispositifs prévus dans le projet commun du Ministèrede l’Éducation et de la Scien<strong>ce</strong> de l’Ukraine et de la Banque Mondiale « The Equal Ac<strong>ce</strong>ssto Quality Education » (2005-2009). Mêmes si l’analyse de <strong>ce</strong>s évolutions est délicate àfaire (différen<strong>ce</strong>s régionales, modifications en cours dans la législation), il est possible dedis<strong>ce</strong>rner quelques tendan<strong>ce</strong>s.La diversification <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s : un lien avec les pratiques enseignantesAujourd’hui, dans la plupart <strong>des</strong> IFCCP, les enseignants peuvent choisir de nouvelles formesde <strong>formation</strong> appelées thème « problématique » (qui se <strong>ce</strong>ntre sur un problème spécifiqued’éducation ou d’enseignement), ou thème « auteur » (qui présente une expérien<strong>ce</strong>particulière d’un enseignant). Ces <strong>formation</strong>s sont souvent organisées en collaborationentre les formateurs et les enseignants. De plus, les enseignants qui s’investissent dans <strong>ce</strong>travail sont évalués et obtiennent une promotion. Pour les formateurs, c’est une occasionde con<strong>ce</strong>ptualiser une expérien<strong>ce</strong> de pratiques <strong>professionnelle</strong>s, et de l’inclure dans <strong>des</strong>travaux de recherche ou dans <strong>des</strong> publications.Le nombre d’enseignants qui s’inscrivent dans <strong>ce</strong>s <strong>formation</strong> augmente chaque année(dans <strong>ce</strong>rtaines régions, un tiers <strong>des</strong> enseignants y sont formés). Le contenu plus diversifiéet proche <strong>des</strong> problèmes du « terrain », la possibilité de choix, la durée plus courte, lafréquen<strong>ce</strong> adaptée expliquent <strong>ce</strong>tte popularité parmi les enseignants.La modernisation <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s traditionnellesLes IFCCP et le ministère de l’Éducation reconnaissent que le système traditionnel de<strong>formation</strong> continue ne peut plus fonctionner effica<strong>ce</strong>ment : <strong>formation</strong> trop espacée (une fois186<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


L’universitarisation et la <strong>formation</strong> continuée <strong>des</strong> enseignants : analyse comparative Fran<strong>ce</strong>-Ukrainetous les cinq ans), contenu trop « théorique », durée longue, dominan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> métho<strong>des</strong>« transmissives » d’enseignement. Pour que la <strong>formation</strong> soit plus adaptée aux réalitésdu « terrain », les IFCCP entreprennent <strong>des</strong> enquêtes sur les besoins <strong>des</strong> enseignants etinnovent dans les programmes de <strong>formation</strong>. Ainsi, les programmes se diversifient : ils sontproposés selon les qualifications et l’expérien<strong>ce</strong> <strong>des</strong> enseignants. Leur contenu s’organisepar modules thématiques, <strong>ce</strong> qui permet une réflexion plus approfondie sur les sujets étudiés.Les instituts proposent <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s plus courtes, mais fréquentes.La coopération avec <strong>des</strong> organismes et <strong>des</strong> institutions externes :l’échange d’expérien<strong>ce</strong>sDifférents organismes internationaux contribuant aux pro<strong>ce</strong>ssus de démocratisation dupays sont présents dans le secteur d’éducation : la Fondation Renaissan<strong>ce</strong>, la FondationSoros, le British Council, l’Institut Français d’Ukraine, etc. Ils développent <strong>des</strong> programmeset <strong>des</strong> projets éducatifs avec les établissements scolaires et les IFCCP. Ce travail s’inscritdans une durée assez longue et offre <strong>des</strong> possibilités d’intégration de savoirs théoriqueset pratiques. Ainsi, les enseignants ou les équipes pédagogiques peuvent confronter leurssavoirs de la pratique quotidienne. Ces <strong>formation</strong>s originales et informelles attirent beaucoupd’enseignants : ils se sentent en sécurité, car ils sont accompagnés tout au long du projet ;ils peuvent exprimer leurs idées et leurs inquiétu<strong>des</strong>, car <strong>ce</strong>s <strong>formation</strong>s sont basées sur <strong>des</strong>métho<strong>des</strong> interactives. Le succès de <strong>ce</strong>s <strong>formation</strong>s est confirmé par le ministère qui, depuis2004, permet à <strong>ce</strong>s institutions la délivran<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>rtificats aux enseignants participants (enlimitant leur nombre à 200 par institution).La trans<strong>formation</strong> <strong>des</strong> IFCCP en <strong>ce</strong>ntres de ressour<strong>ce</strong>s :premiers pas pour un développement professionnel continuéUne <strong>des</strong> principales idées soutenues par tous les acteurs du pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong> est queles enseignants ont besoin de développement professionnel tout au long de leur carrière.C’est pourquoi, les IFCCP mettent en pla<strong>ce</strong> <strong>des</strong> dispositifs pour un accompagnement et une<strong>formation</strong> autonome <strong>des</strong> enseignants. Ces initiatives portent sur l’organisation d’activités« pédagogiques » pendant la période entre les <strong>formation</strong>s formelles. Les consultations, lesséminaires d’échange et d’in<strong>formation</strong> ont lieu dans les instituts mais également dans lesétablissements scolaires ou les <strong>ce</strong>ntres éducatifs <strong>des</strong> régions. Une autre initiative prévoitl’utilisation de nouvelles technologies pour l’échange d’in<strong>formation</strong> entre les formateurs etles enseignants : depuis 2002, quelques IFCCP proposent aux enseignants <strong>des</strong> <strong>formation</strong>sà distan<strong>ce</strong>. Ces innovations sont difficiles à assumer car le personnel <strong>des</strong> instituts ainsi queles enseignants possèdent <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s informatiques insuffisantes.ConclusionNous avons voulu poser la question de l’universitarisation et de la professionnalisation de la<strong>formation</strong> continuée <strong>des</strong> enseignants telle quelle est présente dans les recherches et dansles pratiques. Même si les changements et les tensions dans les systèmes de <strong>formation</strong>continue sont spécifiques à chacun <strong>des</strong> contextes nationaux, il est possible d’identifier<strong>ce</strong>rtaines caractéristiques communes : mise en pla<strong>ce</strong> de nouveaux dispositifs pour une<strong>formation</strong> plus effica<strong>ce</strong>, volonté de rapprocher les milieux de recherche et le « terrain »,changement dans les cultures institutionnelles. Évidemment, les enseignants ont besoind’une réflexion « scientifique » pour faire fa<strong>ce</strong> aux situations complexes du travail quotidien.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 187


M. SACILOTTO-VASYLENKOIl faut leur proposer aussi une <strong>formation</strong> selon leurs besoins. Enfin, c’est aux Universités etaux établissements de <strong>formation</strong> de dépasser les contradictions politiques et institutionnellesafin de construire une « vraie » <strong>formation</strong> tout au long de la vie.BibliographieCASALFIORE S. (2000) « L’activité <strong>des</strong> enseignants en classe. Contribution à lacompréhension de la réalité <strong>professionnelle</strong> <strong>des</strong> enseignants ». Cahiers de PédagogieUniversitaire et du GIRSEF n° 6, disponible sur www.girsef.ucl.ac.be/CREF.htmCATTONAR B. (2001) « Les identités <strong>professionnelle</strong>s enseignantes. Embauche d’un cadred’analyse » - Cahiers de Pédagogie Universitaire et du GIRSEF n° 10, disponible surwww.girsef.ucl.ac.be/CREF.htmCROS F. (dir) (2005) Préparer les enseignants à la <strong>formation</strong> tout au long de la vie : unepriorité européenne ? Institut EPICE, Paris, l’Harmattan.DEMAILLY L. (1991) « Modèles de <strong>formation</strong> continue <strong>des</strong> enseignants et rapport auxsavoirs professionnels » - Recherche et Formation n° 10, pp. 23-37.EQUAL ACCESS TO QUALITY EDUCATION IN UKRAINE (2005-2009) Project in thesupport of the education sector reform program. The World Bank and Ministry of Educationand Scien<strong>ce</strong> of Ukraine, http://web.worldbank.org/external/projects/main?FERRY G. (1983) Le trajet de la <strong>formation</strong>. Les enseignants entre la théorie et la pratique.Paris, Dunod.HENSLER H. (2004) « Pour une ouverture de la culture <strong>professionnelle</strong> aux savoirs de larecherche en éducation : quelles conditions aménager en <strong>formation</strong> initiale et continue ? »in Lessard C., Altet M., Paquay L., Perrenoud P. (éds) Entre sens commun et scien<strong>ce</strong>shumaines. Quels savoirs pour enseigner ? pp.179-200. Bruxelles, de Boeck.KILLEAVY M. (Ed) (2001) Professional development in teacher education. European journalof teacher education ATEE, 24 n° 2.LESSARD C., ALTET M., PAQUAY L., PERRENOUD P. (éds) (2004) Entre sens commun etscien<strong>ce</strong>s humaines. Quels savoirs pour enseigner ? Bruxelles, de Boeck.PAQUAY L. (1994) « Vers un référentiel <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s de l’enseignant ? »- Recherche et Formation n° 15, pp. 7-38.PUKHOVSKA L.(1997) Formation <strong>professionnelle</strong> <strong>des</strong> enseignants en Europe de l’Ouest :divergen<strong>ce</strong>s et convergen<strong>ce</strong>s. Monographie, Kiev, l’École supérieure.ZEICHNER K., LISTON D. (1987) « Traditions of reform in US teacher education », NationalCenter for research in teacher education, disponible sur :http://ncrtl.msu.edu/http/ipapers/html/pdf/ip901.pdf188<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Modélisation de trois pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong> continueen vue d’une intégration au curriculumde la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> enseignantsValérie Huard<strong>IUFM</strong> d’AquitaineLaboratoire scien<strong>ce</strong>s de la cognition – Bordeaux II, IDC, composante EA 487L’apport <strong>universitaire</strong> est en mesure de contribuer à la construction <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s età la modification <strong>des</strong> pratiques <strong>des</strong> professionnels. Cette contribution a pu être observéelors de stages de <strong>formation</strong> continue. L’apport <strong>universitaire</strong> se distingue à deux niveaux :en tant que contenus théoriques de <strong>formation</strong> pour éclairer les pratiques et participer à leurmodification, en tant que savoirs pour comprendre et modéliser les pro<strong>ce</strong>ssus à l’œuvredans les <strong>formation</strong>s. Ce rôle pragmatique peut être assumé dans le cadre de la <strong>formation</strong>initiale ou de la <strong>formation</strong> continue.C’est <strong>ce</strong>pendant, à partir d’actions de <strong>formation</strong> continue que nous nous attacherons à montrer<strong>ce</strong> rôle. L’objet de <strong>ce</strong>tte communication est de réfléchir à une pratique de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong>enseignants afin qu’ils puissent s’adapter aux mouvan<strong>ce</strong>s de leur environnement ; afin qu’ilsne soient plus agis par la situation mais qu’ils puissent trouver les ressour<strong>ce</strong>s né<strong>ce</strong>ssaires àl’action. L’objectif (comprendre et modéliser les pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong>) est ainsi au servi<strong>ce</strong>d’une pratique. Nous prenons appui sur l’observation <strong>des</strong> pro<strong>ce</strong>ssus de restructuration, derationalisation <strong>des</strong> représentations et de con<strong>ce</strong>ptualisation de la situation de classe lors <strong>des</strong>tages de <strong>formation</strong> nommés « compréhension et gestion <strong>des</strong> comportements difficiles ».Ces stages ont eu lieu durant deux à trois semaines à l’<strong>IUFM</strong>. Ils rentrent dans le cadrede la <strong>formation</strong> continue proposée aux enseignants. Le public est constitué d’enseignantsexpérimentés pratiquant en maternelle, en cycle 1 (cours préparatoire) et en cycle 3(CM2). Des apports de contenus, <strong>des</strong> échanges au sein du groupe et <strong>des</strong> interventions deprofessionnels travaillant avec <strong>des</strong> enfants difficiles constituent les modalités de <strong>formation</strong>.1. Les finalités de l’apport <strong>universitaire</strong>L’apport <strong>universitaire</strong> préside à la con<strong>ce</strong>ption de la <strong>formation</strong>. Il se concrétise sous formede contenus et en référen<strong>ce</strong> au paradigme de la complexité systémique développé par LeMoigne (1990), pour tenter de comprendre l’objet de la <strong>formation</strong> qui est la gestion <strong>des</strong>enfants dit difficiles. Il a pour finalité la compréhension :– du comportement de l’enfant en s’appuyant sur les connaissan<strong>ce</strong>s con<strong>ce</strong>rnant l’enfant de3 à 12 ans développées dans les théories du développement (Piaget, Vigotsky, Wallon,) etla théorie psychanalytique (Freud et Lacan) ;– du lien entre l’apprentissage et l’environnement du sujet se fondant sur le rapport ausavoir (Charlot, 1997) ;– <strong>des</strong> pratiques <strong>des</strong> enseignants en se référant à <strong>ce</strong>rtains modèles issus <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s del’éducation (Morandi 1997, Bru 2006).Les théories du développement visent à identifier ou à rappeler les sta<strong>des</strong> de développementet repérer les capacités cognitives potentielles <strong>des</strong> enfants.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 189Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (189-197) Tome 2


V. HUARDLa théorie psychanalytique donne un autre point de vue sur le développement de l’enfantet la compréhension de <strong>ce</strong>rtains comportements, voire de <strong>ce</strong>rtains troubles ou pathologies.Elle introduit les rapports du savoir insu avec l’inconscient (Bergès, 2006). En scien<strong>ce</strong>s del’éducation et dans une approche sociologique, le rapport au savoir développé par Charlotrappelle que l’enfant évolue dans un environnement. Qu’il construit son savoir. Qu’il entretient<strong>des</strong> relations avec <strong>ce</strong>t environnement et que <strong>ce</strong>t ensemble organisé de relations qu’un sujethumain entretient avec tout <strong>ce</strong> qui relève de l’apprendre et du savoir se nomme rapport ausavoir.La visée épistémologique de l’introduction <strong>des</strong> modèles d’apprentissage permet d’expliciterles différentes con<strong>ce</strong>ptions de l’apprentissage, les pro<strong>ce</strong>ssus à l’œuvre, les paradigmesainsi que les théories, les con<strong>ce</strong>pts et les métho<strong>des</strong> qui s’y rattachent. La pédagogiedifférenciée (Meirieu, 1991) est développée en rapport avec la diversité <strong>des</strong> cas d’enfantdifficiles rencontrés. Elle a pour objectif de proposer <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s aux enseignants auniveau de l’action.L’ensemble de <strong>ce</strong>s apports témoigne de la complexité de l’apprentissage. Leur applicationen <strong>formation</strong> vise à faire prendre conscien<strong>ce</strong> aux formés qu’il est indispensable de varierles approches pour comprendre et approcher la complexité qui se définit déjà par la nonséparabilité <strong>des</strong> variables.La visée pragmatique de la <strong>formation</strong> est d’apporter une réflexion et un début de constructionde projet d’action aux enseignants afin qu’ils ne soient plus agis par la situation mais qu’ilspuissent trouver <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s né<strong>ce</strong>ssaires à l’action. Cette adaptation passe par lamodélisation de la situation de classe : construction d’une représentation fonctionnelle et d’unestructure con<strong>ce</strong>ptuelle que nous décrirons en seconde partie. Cette visée pragmatique estau servi<strong>ce</strong> <strong>des</strong> formés mais aussi au servi<strong>ce</strong> du dispositif de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants.1.1. Au servi<strong>ce</strong> <strong>des</strong> formésLes apports <strong>universitaire</strong>s qui ont trait aux scien<strong>ce</strong>s de l’éducation permettent auxenseignants de comprendre leurs pratiques en se posant <strong>ce</strong>rtaines questions : Quelle estleur con<strong>ce</strong>ption de l’apprentissage ? De l’enseignement ? Quelles métho<strong>des</strong> utilisent-ils ?Que peut-on attendre de <strong>ce</strong>rtaines métho<strong>des</strong> ? Quels sont les effets de leur choix sur lecomportement de l’enfant ?Les théories du développement et la théorie psychanalytique font prendre conscien<strong>ce</strong> auxenseignants du fonctionnement et <strong>des</strong> dysfonctionnements possibles <strong>des</strong> élèves. Elles lesaident à entrer dans une démarche de compréhension de l’enfant, de se re<strong>ce</strong>ntrer sur sesbesoins et aussi ses limites et envisager une autre pédagogie en fonction de <strong>ce</strong>s dernierséléments (pédagogie différenciée).Ces apports <strong>universitaire</strong>s amènent les enseignants à ac<strong>ce</strong>pter d’élargir leur margede manœuvre en remettant en question leurs pratiques. Ils font le parallèle entre leurspratiques actuelles et <strong>des</strong> pratiques potentielles. Ils prennent conscien<strong>ce</strong> <strong>des</strong> effets qu’entant qu’enseignant, ils sont sus<strong>ce</strong>ptibles de produire sur le comportement de l’enfant, surson fonctionnement d’élève et sur le fonctionnement de la classe.1.2. Au servi<strong>ce</strong> du dispositif de <strong>formation</strong>Les apports de Sallaberry (1996), Vergnaud (1985) et Leplat (1985) permettent de compren-190<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Modélisation de trois pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong> continue en vue d’une intégration au curriculum de la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> enseignantsdre et de modéliser les pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong>. Ceux-ci ont été repérés sur trois corpuset peuvent donc être qualifiés de reproductibles. Ils sont à l’origine de la modification de lareprésentation <strong>des</strong> enseignants. Dans le cadre de leur professionnalisation, il est parfaitementenvisageable à partir de <strong>ce</strong>tte modélisation d’intégrer <strong>ce</strong>s pro<strong>ce</strong>ssus dans un cursusde <strong>formation</strong> initiale pour travailler sur la construction de représentations liées à l’action.2. Les pro<strong>ce</strong>ssus développés au cours <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s2.1 La con<strong>ce</strong>ptualisation de la situation de classeet la construction de la représentationLes apports <strong>universitaire</strong>s ont favorisé une con<strong>ce</strong>ptualisation de la situation de classe donnantlieu à <strong>des</strong> projets de modification de pratiques. Nous entendons par con<strong>ce</strong>ptualisation lepro<strong>ce</strong>ssus décrit par Piaget (1974). Piaget a montré comment la prise de conscien<strong>ce</strong> parle sujet <strong>des</strong> dimensions de son action sur les objets est un véritable travail intellectuel quiconsiste à (re)construire sur le plan de la représentation <strong>ce</strong> qui existait au plan de l’actionmatérielle. La con<strong>ce</strong>ptualisation ne s’épanouit vraiment qu’avec le recouvrement du réussirpar le comprendre, donc avec la montée en puissan<strong>ce</strong> de la représentation qui permetd’établir une distinction entre trans<strong>formation</strong>s matérielles et opérations mentales. Le sujetse représente les trans<strong>formation</strong>s qu’il opère sur le réel sous la forme d’opérations mentales,c’est-à-dire de trans<strong>formation</strong>s d’objets de pensée, <strong>ce</strong> qui permet une double lecture del’action : dans le réel, on trouve <strong>des</strong> actions matérielles avec <strong>des</strong> relations de causalité ;dans la représentation, on trouve <strong>des</strong> opérations mentales, reliées par <strong>des</strong> implicationssignifiantes. Le système <strong>des</strong> implications signifiantes fournit un élément qui n’est pascompris ni dans les buts ni dans les moyens employés : c’est la détermination <strong>des</strong> raisons,en dehors <strong>des</strong>quelles, les réussites ne demeurent que <strong>des</strong> faits sans signification. Le sujetacquiert la capacité de construire indéfiniment de nouvelles opérations sur les précédentes.La con<strong>ce</strong>ptualisation programme et organise l’action.2.2 La restructuration et la rationalisationde la représentation fonctionnelle (RF)Lors de <strong>ce</strong>s <strong>formation</strong>s, la représentation de la situation de classe s’est modifiée, elle estpassée à un niveau supérieur en se restructurant et en se rationalisant. Elle intègre <strong>des</strong>connaissan<strong>ce</strong>s sur l’enfant en fin de <strong>formation</strong>. Cette évolution fait penser à la catégorisationR1/R2 proposé par Sallaberry. Les R1 ont comme caractéristique principale <strong>des</strong> bordsflous et un fonctionnement reposant sur l’imprécision. Les R2 se caractérisent par unerationalisation de la représentation et un affinement de ses bords (Sallaberry, 1996).Le pro<strong>ce</strong>ssus de restructuration consiste pour les formés à passer à un niveau de penséesupérieur. En début de <strong>formation</strong>, la construction de la R1 reposait sur l’imprécision etun amalgame <strong>des</strong> cas exposés pour décrire le comportement de l’enfant. Les contenusscientifiques explicitant <strong>ce</strong> comportement font prendre conscien<strong>ce</strong> aux formés qu’ils vontdevoir modifier leur représentation sur l’enfant. La modification se construit en intégrant lesapports scientifiques dans le raisonnement de compréhension du comportement (R2).Le niveau de pensée passe du syncrétique à un début d’hypothèse scientifique posée sur le<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 191


V. HUARDcomportement de l’enfant (passage de R1 à R2). Par la suite, la R2 va guider le pro<strong>ce</strong>ssusde con<strong>ce</strong>ptualisation : les représentations vont évoluer vers un début de construction decon<strong>ce</strong>pts organisateurs de l’action (Vergnaud, 1985) que nous désignons comme con<strong>ce</strong>ptsfonctionnels.Les représentations de début de <strong>formation</strong> peuvent être qualifiées de représentationsfonctionnelles de type (R1/RF1). Les enseignants ont en effet construit une représentationde l’enfant et de la situation de classe floue. Cette représentation est fonctionnelle dans lesens où elle leur permet d’agir, même de manière aléatoire. Les enseignants ont sélectionné<strong>des</strong> in<strong>formation</strong>s à partir <strong>des</strong> situations rencontrées et établi <strong>des</strong> liens entre les élémentsdistincts de <strong>ce</strong>s situations. Le problème étant que la méconnaissan<strong>ce</strong> du « profil » <strong>des</strong>enfants ne leur permet pas d’adapter leurs pratiques pédagogiques.Par<strong>ce</strong> qu’elle sert à guider le pro<strong>ce</strong>ssus de con<strong>ce</strong>ptualisation et organiser l’action, lareprésentation est qualifiée de fonctionnelle (Leplat, 1985). Les formés ont donc reconstruitune représentation fonctionnelle pertinente de type (R2/RF2) à l’aide <strong>des</strong> pro<strong>ce</strong>ssus derationalisation, de restructuration et de con<strong>ce</strong>ptualisation. Pour tenter de mieux caractérisersa construction, nous utiliserons <strong>des</strong> critères que nous nommerons <strong>des</strong>cripteurs se référantà une connaissan<strong>ce</strong> « scientifique » pour définir l’enfant difficile. Ils sont multiples et ilstiennent compte de la complexité <strong>des</strong> cas rencontrés.2.3. Les invariants opératoires et la nouvelle structure con<strong>ce</strong>ptuellede la situation de classeLa con<strong>ce</strong>ptualisation de l’enfant au comportement difficile dans la situation de classe peutêtre explicitée grâ<strong>ce</strong> à la théorie <strong>des</strong> champs con<strong>ce</strong>ptuels de Vergnaud (1990). Cette théorierepose sur un principe d’élaboration pragmatique <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s et de la représentation.La clef est de considérer l’action du sujet en situation et l’organisation de sa conduite, d’oùl’importan<strong>ce</strong> accordée au con<strong>ce</strong>pt de schème.Vergnaud apporte de nouvelles idées permettant de poursuivre la réflexion. Si, en effet,il n’est pas possible de comprendre l’action organisée sans le schème, il est difficile decomprendre comment le schème peut être activé sans l’existen<strong>ce</strong> de con<strong>ce</strong>ptions permettantau sujet d’isoler les aspects, propriétés, relations du réel sur lequel il agit.Le schème comporte <strong>des</strong> règles d’action et <strong>des</strong> anticipations mais <strong>ce</strong>la n’est possible que siune représentation implicite et explicite du réel analysable en termes d’objets, de con<strong>ce</strong>ptsenacte et de théorèmes-en acte s’y intègre. Ces con<strong>ce</strong>pts et théorèmes sont <strong>des</strong> invariantsopératoires. Ils organisent la recherche de l’in<strong>formation</strong> pertinente en fonction du problèmeà résoudre ou du but à atteindre et pilotent les inféren<strong>ce</strong>s. Ils sont les outils d’adaptation auréel.Le professionnel construit <strong>des</strong> invariants opératoires liés à son domaine professionnel deréféren<strong>ce</strong>, dans sa confrontation aux situations <strong>professionnelle</strong>s. C’est l’apport spécifiquede Vergnaud d’avoir souligné <strong>ce</strong>tte continuité et proposé une con<strong>ce</strong>ptualisation en acte. Ilgénéralise l’usage du con<strong>ce</strong>pt de schème à toutes les situations où l’action d’un sujet estorganisée, avec régularité. C’est en <strong>ce</strong> sens qu’on peut dire que la con<strong>ce</strong>ptualisation est aucœur de l’action.Selon Vergnaud, une con<strong>ce</strong>ptualisation en acte existe dans l’action et précède l’explicitation.Cette part de con<strong>ce</strong>ptuel existant dans le schème et qui ne peut pas être explicite estconstituée par les invariants opératoires. La con<strong>ce</strong>ptualisation est donc <strong>ce</strong> long pro<strong>ce</strong>ssus192<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Modélisation de trois pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong> continue en vue d’une intégration au curriculum de la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> enseignantsqui, depuis les invariants opératoires dans l’action, se poursuit par l’élaboration de signifiants,pour aboutir à la <strong>formation</strong> de con<strong>ce</strong>pts.Caens-Martin (1999) propose en reprenant la théorie de Vergnaud (1985), une constructionoù les con<strong>ce</strong>pts d’action se fondent sur <strong>des</strong> relations de signification entre <strong>des</strong>cripteurset variables. Les raisonnements s’organisent sous la forme d’une architecture (structurecon<strong>ce</strong>ptuelle de la situation) liant <strong>des</strong>cripteurs, variables de situation construites à partirde <strong>ce</strong>s derniers et con<strong>ce</strong>pts d’action. Les <strong>des</strong>cripteurs sont <strong>des</strong> éléments prélevés dansune situation. Mis en relation, ils permettent de construire une variable explicative de lasituation qui va provoquer la construction d’un con<strong>ce</strong>pt tourné vers l’action. L’exemple donnécon<strong>ce</strong>rne l’activité de taille de la vigne : deux con<strong>ce</strong>pts sont mobilisés, le con<strong>ce</strong>pt de chargequi est le nombre de grappes que le <strong>ce</strong>p peut produire et le con<strong>ce</strong>pt d’équilibre qui con<strong>ce</strong>rnel’architecture du <strong>ce</strong>p. Ces con<strong>ce</strong>pts sont liés à la définition de variables comme la qualité<strong>des</strong> bois ou le réseau de distribution de la sève, <strong>ce</strong>s mêmes variables étant construites àl’aide de <strong>des</strong>cripteurs comme la longueur <strong>des</strong> entre-nœuds.Nous avons effectué le même travail pour modéliser la construction de la structurecon<strong>ce</strong>ptuelle de la situation de classe. Celle-ci se fonde sur les représentations RF1(représentation à bords flous de l’enfant difficile) et RF2 (représentation proche d’une R2de l’enfant en développement). Ces représentations structurent les relations de significationentre <strong>des</strong>cripteurs (cf. tableau).L’ancienne RF1 floue repérée en début de <strong>formation</strong> présente un amalgame dansl’interprétation du comportement de l’enfant et de <strong>ce</strong>lui-ci en tant qu’apprenant. Elledonne lieu à <strong>des</strong> pratiques pédagogiques aléatoires et à la construction d’une structurecon<strong>ce</strong>ptuelle peu viable. La RF2 plus rationnelle construite en cours de <strong>formation</strong> permet undébut de con<strong>ce</strong>ptualisation de la situation de classe et l’émergen<strong>ce</strong> d’une nouvelle structurecon<strong>ce</strong>ptuelle.Les con<strong>ce</strong>pts d’action que nous appellerons con<strong>ce</strong>pts fonctionnels produits par le pro<strong>ce</strong>ssusde <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants sont au nombre de deux : le con<strong>ce</strong>pt compréhension del’enfant et le con<strong>ce</strong>pt de différenciation pédagogique. Ils sont liés à trois variables de situationidentifiées comme le comportement de l’enfant, le comportement d’apprenant de l’enfant etles pratiques pédagogiques. Ces dernières variables sont construites à partir d’un <strong>ce</strong>rtainnombre de <strong>des</strong>cripteurs que liste le tableau suivant.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 193


V. HUARDAncienne « structure » construiteà partir de la RF1 floueNouvelle structure construiteà partir de la RF2 rationnelleDescripteurs liés à la variable comportement de l’enfantEnfant difficile (polysémie)Enfant ingérableEnfant perturbateur voir violentEnfant à intégrerPose problème à l’ensemble de la classeEnfant se développe (théorie du développement)Peut souffrir de névroses (théoriepsychanalytique)Vit dans un milieu ayant une influen<strong>ce</strong> sur soncomportement (sociologie)Enfant faisant partie de la classeDescripteurs liés à la variable comportement de l’apprenantDifficile à intéresserDifficile à tempérerRefuse de travailler« Aucun con<strong>ce</strong>pt élaboré. Aucune relation <strong>des</strong>ignification mise à jour. »N’est peut être pas prêt à rentrer dans lesapprentissages par rapport aux attentespédagogiques (scien<strong>ce</strong>s de l’éducation)Manque de repères, de structuration de l’espa<strong>ce</strong>temps(théorie du développement)« Con<strong>ce</strong>pt en cours d’élaboration : enfant àcomprendre »Descripteurs liés à la variable pratiques pédagogiquesPratiques non différenciéesTâtonnementsAlternan<strong>ce</strong> diplomatie/dou<strong>ce</strong>ur/fermetéExigen<strong>ce</strong>s pédagogiques alternant avec dulaisser aller« Aucun con<strong>ce</strong>pt élaboré : tâtonnements, essaiserreurs»AdaptationAc<strong>ce</strong>ptation de l’hétérogénéitéIndividualiserExploiter le vécu de l’enfantDé<strong>ce</strong>ntration et prise de reculRespecter les rythmes d’apprentissageÉchanges avec les collèguesCommuniquer avec les parentsAider les enfants« Con<strong>ce</strong>pt en cours d’élaboration : différenciationpédagogique »La construction <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts fonctionnelsPuisqu’elle guide et aide la construction de l’action, la RF2 est à l’origine de la constructionde con<strong>ce</strong>pts fonctionnels : liés à la RF et au con<strong>ce</strong>pt d’action, ils se différencient de <strong>ce</strong>dernier en permettant à l’acteur de « reprendre la main », de se positionner en tant que sujet(marge d’action possible).194<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Modélisation de trois pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong> continue en vue d’une intégration au curriculum de la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> enseignantsa)DescripteurDéveloppement del’enfantDescripteurRapport au milieuDescripteurNévrosesDescripteurDécalage avecles attentespédagogiquesVariable « comportementde l’enfant »Variable « comportementde l’apprenant »Con<strong>ce</strong>pt en coursd’élaboration: « enfant àcomprendre »DescripteurManque de repèresb)DescripteurAdaptationDescripteurIndividualiserDescripteurRespecterles rythmesd’apprentissageVariable « pratiquespédagogiques »DescripteurExploiter le vécuCon<strong>ce</strong>pt en coursd’élaboration : « différenciationpédagogique »L’interprétation selon laquelle l’enfant se développe (schéma a) et vit dans un milieuest à l’origine de la construction <strong>des</strong> <strong>des</strong>cripteurs « développement de l’enfant » avecles référen<strong>ce</strong>s à Wallon et à Vigotsky (2001) et « rapport au milieu ». Ces <strong>des</strong>cripteurspermettent l’élaboration de la variable « comportement de l’enfant » et, à la fin du pro<strong>ce</strong>ssusde con<strong>ce</strong>ptualisation, aboutissent au con<strong>ce</strong>pt fonctionnel « enfant à comprendre ». Lesbords de la RF2 sont suffisamment nets pour qu’on puisse parler de con<strong>ce</strong>pt. Il ne s’agitpas d’un con<strong>ce</strong>pt théorique mais d’un con<strong>ce</strong>pt empirique nommé « enfant à comprendre ».Le travail d’interprétation <strong>des</strong> situations à partir <strong>des</strong> outillages théoriques choisis permet de Con<strong>ce</strong>pt empirique : issu d’un travail d’interprétation d’un corpus; con<strong>ce</strong>pt théorique : issu de l’utilisationd’outillages théoriques, production d’hypothèses, production de con<strong>ce</strong>pts par affinement <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>ptsempiriques (Sallaberry, 1996).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 195


V. HUARDparvenir à la proposition de <strong>ce</strong>tte nouvelle notion.La représentation de la situation de classe évolue dans le même sens : de RF1, caractériséepar <strong>des</strong> pratiques aléatoires suscitées par le questionnement sur l’ambian<strong>ce</strong> de la classeet l’intégration de l’enfant sans perturber le groupe, elle passe à une RF2, caractériséepar la possibilité d’utiliser le travail de groupe, le travail individualisé, le travail à deux.La RF2 s’appuie sur l’intention de mettre en œuvre <strong>des</strong> pratiques variées relatives à uneconnaissan<strong>ce</strong> de la pédagogie différenciée.L’interprétation <strong>des</strong> modèles pédagogiques issus <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s de l’éducation (schémab) conduit à la construction <strong>des</strong> <strong>des</strong>cripteurs « individualiser » et « respecter les rythmesd’apprentissage ». Issue de <strong>ce</strong>s <strong>des</strong>cripteurs, la variable « pratiques pédagogiques » aboutitau con<strong>ce</strong>pt fonctionnel « différenciation pédagogique ».Le pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong> a un caractère continu. En effet, en partant de pratiques initialeset de représentations liées à <strong>ce</strong>s pratiques, il met <strong>ce</strong>s représentations en travail pour aboutirà <strong>des</strong> représentations plus élaborées qui vont permettre de nouvelles pratiques. Cesdernières pourront être interrogées à nouveau dans une session de <strong>formation</strong> ultérieure (oudans l’action ?).ConclusionCes pro<strong>ce</strong>ssus modélisables qualifiés d’effets de <strong>formation</strong> ont-ils produit <strong>des</strong> savoirs ?Les invariants opératoires peuvent-ils être considérés comme <strong>des</strong> savoirs d’expérien<strong>ce</strong>,<strong>des</strong> savoirs d’action ? (Hadji, 2002). La didactique <strong>professionnelle</strong> a tranché la question enapportant une réponse positive dans le sens où les formés ont opéré une mise en mots deleurs pratiques et <strong>des</strong> trans<strong>formation</strong>s possibles de <strong>ce</strong>lles-ci ainsi qu’une distanciation enintégrant les connaissan<strong>ce</strong>s relatives aux théories. Et c’est là que réside l’apport <strong>universitaire</strong> :la mise en mots, la distan<strong>ce</strong> par rapport aux pratiques pour élaborer <strong>des</strong> modèles d’action,pour construire <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts d’action « enseignables » aux futurs enseignants. L’apport<strong>universitaire</strong> n’est pas seul en cause dans la construction de <strong>ce</strong>s savoirs. Les autresmodalités liées aux interactions dans le groupe ont participé à <strong>ce</strong>tte construction.BibliographieCHARLOT B. (1997) Du rapport au savoir – Éléments pour une théorie. Paris, Anthropos.BRU M. (2006) Les métho<strong>des</strong> en pédagogie. Paris, PUF.BERGÈS J. (2006) Que nous apprennent les enfants qui n’apprennent pas ? Erès, Dossierdu JFP.CAENS-MARTIN S. (1999) « Une approche de la structure con<strong>ce</strong>ptuelle d’une activitéagricole : la taille de la vigne » - Éducation permanente n° 139, pp. 99-113.HADJI C. (2002) « Est-<strong>ce</strong> ainsi que les savoirs vivent ? » - in Recherches, pratiques etsavoirs éducation, pp. 18-34. Bruxelles, de Boeck.LEPLAT J. (1985) « Les représentations fonctionnelles dans le travail » - PsychologieFrançaise n° 30-3/4, pp. 269-275.LE MOIGNE J.-L. (1990) La modélisation <strong>des</strong> systèmes complexes. Paris, Dunod.196<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Modélisation de trois pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong> continue en vue d’une intégration au curriculum de la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> enseignantsMEIRIEU P. (1991) Apprendre…oui mais comment ? Paris, ESF.MORANDI F. (1997) Modèles et métho<strong>des</strong> pédagogiques. Nathan Université.PIAGET J. (1974) Réussir et comprendre. Psychologie d’aujourd’hui. Paris, PUF.SALLABERRY J.-C. (1996) Dynamique <strong>des</strong> représentations dans la <strong>formation</strong>. Paris,L’Harmattan.SALLABERRY J.-C. (2005) « La représentation et le geste » - Spirale HS n° 4, pp. 5-33.VERGNAUD G. (1985) « Con<strong>ce</strong>pts et schèmes dans une théorie opératoire de lareprésentation » - Psychologie Française, 30-3/4, pp. 245-252.VERGNAUD G. (1990) « La théorie <strong>des</strong> champs con<strong>ce</strong>ptuels » - Recherche en Didactiques<strong>des</strong> Mathématiques, vol n° 10/2.3, pp.133-170.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 197


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7. TICE et nouvelles modalitésde <strong>formation</strong> d’enseignants<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 199


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Déploiement d’une écologie de l’apprenan<strong>ce</strong> :vers une nouvelle culture de la <strong>formation</strong><strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ?Jean Heutte<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de CalaisCentre de Recherche Éducation Formation EA 1589 – Université Paris 10La société cognitive consacre l’émergen<strong>ce</strong> d’un sujet social apprenant capable de se formeren réseau. Après une tentative de rapprochement entre l’expérien<strong>ce</strong> optimale-flow (Csikszentmihalyi,1990, 2004), le sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 2003) et l’apprenan<strong>ce</strong>(Carré, 2005). Nous exposerons comment le syndrome d’épuisement professionnel(burnout) institutionnel altère l’agentivité (Bandura, 2003) et la santé émotionnelle (Amherdt,2005) <strong>des</strong> personnels de l’Éducation nationale : <strong>ce</strong> chaos psychologique génère un environnementpeu propi<strong>ce</strong> à la créativité (Csikszentmihalyi, 2006) né<strong>ce</strong>ssaire pour con<strong>ce</strong>voir etmettre en œuvre la valorisation de la richesse humaine de <strong>ce</strong>s personnels, <strong>ce</strong> qui constitueun frein à l’amélioration qualitative du servi<strong>ce</strong> public d’éducation.Enfin, nous émettrons l’hypothèse que l’identification et la promotion <strong>des</strong> épicuriens de laconnaissan<strong>ce</strong>, de l’espè<strong>ce</strong> Homo sapiens retiolus (homme qui « pense en réseau ») pourraitfavoriser le déploiement d’une écologie de l’apprenan<strong>ce</strong> et renfor<strong>ce</strong>r le sentiment d’efficacitécollective au sein du système éducatif. Conditions <strong>ce</strong>rtainement né<strong>ce</strong>ssaires pour répondreaux besoins et aux attentes dans le domaine de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants et participer àla définition d’un métier plus attrayant, plus ouvert sur la création, l’imagination et l’innovation(Obin, 2003).Dans le prolongement de l’inspiration con<strong>ce</strong>ptuelle de la « noosphère » de Pierre Teilhardde Chardin, du « village global » de Marshall McLuhan ou de la « troisième vague » axée surl’immatériel <strong>des</strong> Daniel Bell, Alvin Toffler et Zbignew Brzezinski, l’espa<strong>ce</strong> de communicationcréé par la généralisation du con<strong>ce</strong>pt de l’hypertexte et la mise en réseau <strong>des</strong> ordinateurs àl’échelon planétaire engendre la cyberculture dont, selon Levy (1994), le projet philosophiqueest l’intelligen<strong>ce</strong> collective : « une intelligen<strong>ce</strong> partout distribuée, sans <strong>ce</strong>sse valorisée,coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s » .Dans <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>ptions plus instrumentées (« outillées »), les fondateurs de la vision de <strong>ce</strong> quenous appelons la société de l’in<strong>formation</strong> sont vraisemblablement Paul Otlet (Mundaneum,1924), Emanuel Goldberg (Statistische Maschine, 1927), Vannevar Bush (Memex, 1934),Teodor Nelson (Xanadoo, 1963), Bill Atkinson (HyperCard, 1987) : leur soucis étaient detrouver le moyen d’augmenter la mémoire humaine en l’externalisant. Suite à la lecture del’article As we may think (Bush, 1945), Douglas Engelbart décide, quant à lui, d’orienter sesactivités vers la recherche de dispositifs permettant d’utiliser l’ordinateur pour augmenter lescapacités de l’intellect et de l’intelligen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> organisations (Noyer et Serre, 1997).En 1958, il commen<strong>ce</strong> ses premiers travaux au Stanford Research Institute. En 1963, ilpublie A Con<strong>ce</strong>ptual Framework for the Augmentation of Man’s Intellect, qui marque le débutde son projet H-LAM/T (Human using Language, Artifacts, and Methodology, in which heis Trained), qui deviendra NLS (oN-Line System). NLS est une sorte de base de donnéescontenant l’ensemble <strong>des</strong> documents d’un groupe de recherche, ou d’une équipe de projet,qui doit permettent à chaque membre d’avoir une vue individualisée de la base de données<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 201Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (201-220) Tome 2


J. HEUTTEpartagées. Engelbart insiste sur la né<strong>ce</strong>ssité de développer <strong>des</strong> environnements de travailcollaboratif (groupware) intégrant <strong>des</strong> fonctionnalités de courrier électronique, de rédactioncollective, ou encore de téléconféren<strong>ce</strong>. A <strong>ce</strong>tte époque, il invente par ailleurs la souris etdéveloppe l’environnement informatique qui nous est désormais familier (menus, fenêtresmultiples, liens hypertextes, etc).À la fin <strong>des</strong> années 1980, le con<strong>ce</strong>pt de travail collaboratif assisté par ordinateur (TCAO)s’industrialise réellement, en grande partie grâ<strong>ce</strong> aux travaux de Ray Ozzie, créateur deLotus Notes. Actuellement via la trilogie Internet-intranet-extranet, la progression duTCAO impacte, chaque jour, un nombre grandissant d’organisations humaines.Alors que le TCAO se con<strong>ce</strong>ntre sur les techniques de communication, l’apprentissagecoopératif assisté par ordinateur (ACAO), ou encore : Computer Supported CollaborativeLearning (CSCL), se porte lui davantage sur le contenu de <strong>ce</strong>s communications. L’ACAOest basé sur le principe de l’agentivité <strong>des</strong> apprenants (Poulain & Ripoche, 2002). Dansles domaines <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s pédagogiques et de la recherche, l’ACAO est perçu comme unparadigme pédagogique <strong>des</strong> plus prometteurs (Leinonen, 2003). L’idée que l’apprentissageintelligent a lieu au sein <strong>des</strong> communautés est un fait reconnu dans le domaine de larecherche éducative : il est de plus en plus admis que le savoir n’est pas statique mais qu’ilse construit d’équipes, d’organisations et de réseaux sociaux (Leinonen & Ryymin, 2003).Un nouvel Homo ? Plaidoyer pour un néologisme« Une <strong>des</strong> lignes de clivage les plus tena<strong>ce</strong>s à l’intérieur du domaine <strong>des</strong> scien<strong>ce</strong>s socialesest <strong>ce</strong>lle qui oppose deux formes de pensée que l’on associe respectivement aux noms deSmith et de Durkheim : c’est l’opposition entre Homo oeconomicus et Homo sociologicus. »(Elster, 1988, cité par Dupuy, 1999). Godbout (2000), quant à lui, propose un véritableparadigme alternatif.Dans Le Don, la dette et l’identité, Homo donator vs. Homo oeconomicus, il affirme quesi les réseaux fonctionnent bien, <strong>ce</strong>tte dette est positive, elle n’engendre pas angoisse etaliénation, mais confian<strong>ce</strong> et désir de loyauté. Poursuivant la question de Thaler (2000),nous nous interrogeons :« Peut-on élaborer <strong>des</strong> modèles économiques à partir d’un homo oeconomicus moinsrationnel et plus émotionnel, autrement dit à partir de l’homo sapiens. », tout en gardantà l’esprit la part croissante de l’immatériel dans l’économie (qui repose sur le savoir et laconnaissan<strong>ce</strong>), l’importan<strong>ce</strong> de la création collective de valeur (qui repose sur <strong>des</strong> réseauxhumains/réseaux de confian<strong>ce</strong>) et les opportunités nouvelles liées à l’omniprésen<strong>ce</strong> <strong>des</strong>réseaux numériques ?En effet, via les réseaux numériques, homo sapiens a la possibilité d’être pratiquement enpermanen<strong>ce</strong> en contact avec <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s (le plus souvent numériques) et un réseauhumain formel ou informel potentiellement co-constructeur de connaissan<strong>ce</strong>s. Autrementdit, la capacité d’un hominidé à utiliser de façon raisonnée toutes les technologies qui sontà sa disposition, notamment, de créer de la valeur, en interaction avec <strong>des</strong> réseaux de pairset d’experts, via les réseaux numériques définit l’émergen<strong>ce</strong> d’un nouvel Homo que parcommodité nous choisissons provisoirement d’appeler Homo sapiens retiolus (Homme qui« pense en réseau ») (Heutte, 2005).202<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Déploiement d’une écologie de l’apprenan<strong>ce</strong> : vers une nouvelle culture de la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ?Apprendre : le seul métier durable aujourd’huiSelon Bouchet (2005), depuis 1995, pour la Communauté européenne, l’enjeu du XXI esiècle, c’est le passage à une société cognitive, « une société qui saura investir dansl’intelligen<strong>ce</strong> ».La tentation est forte de lier comme une éviden<strong>ce</strong> l’omniprésen<strong>ce</strong> grandissante du numériqueet l’avènement de la société de la connaissan<strong>ce</strong>. Cependant, même si le développement<strong>des</strong> TIC rend l’in<strong>formation</strong> et la connaissan<strong>ce</strong> ac<strong>ce</strong>ssibles dans <strong>des</strong> conditions inégalées, leprojet de la société cognitive repose sur la mobilisation de l’individu appelé à devenir sujetsocial apprenant (Dumazedier, 2003, cité par Carré, 2005). Cet enjeu repla<strong>ce</strong> de manièreplus criantes et actuelles les inégalités dans le rapport au savoir : on ne produit ni le goût, nil’art d’apprendre par décret (Carré, 2006). Pour Trocmé-Fabre, « le mot “apprentissage” doitcéder la pla<strong>ce</strong> au mot “apprenan<strong>ce</strong>”, qui traduit mieux, par sa forme même, <strong>ce</strong>t état d’êtreen-train-d’apprendre[…], l’idée que <strong>ce</strong>rtains ne sont pas ou plus capables d’apprendredoit être abandonnée : <strong>ce</strong>lui qui n’apprend pas est seulement <strong>ce</strong>lui qui croit ne paspouvoir le faire. Pour surmonter <strong>ce</strong>tte croyan<strong>ce</strong>, il faut substituer à la relation classiquemaître-élève un pro<strong>ce</strong>ssus qui amène l’apprenant à participer à l’émergen<strong>ce</strong> du sens et à“investir la complexité de la vie”. » (Trocmé-Fabre, 1999). Selon Carré (2002), le passaged’une société de l’in<strong>formation</strong> à une société cognitive ou apprenante repose en grandepartie sur une dynamique d’apprenan<strong>ce</strong>, qu’il définit comme un « un ensemble stable dedispositions affectives, cognitives et conatives, favorables à l’acte d’apprendre, dans toutesles situations formelles ou informelles, de façon expériencielle ou didactique, autodirigée ounon, intentionnelle ou fortuite ».Dans l’éducation, les derniers textes officiels semblent converger vers <strong>ce</strong> paradigme : pourtous les futurs citoyens, <strong>ce</strong>la est inscrit dans le 7 e « pilier » du socle commun de compéten<strong>ce</strong>set de connaissan<strong>ce</strong>s, « l’autonomie et l’initiative » : « la motivation, la confian<strong>ce</strong> en soi, ledésir de réussir et de progresser [...], l’envie de prendre <strong>des</strong> initiatives, d’anticiper, d’êtreindépendant et inventif dans la vie privée, dans la vie publique et [...] au travail », constituent<strong>des</strong> attitu<strong>des</strong> fondamentales et essentielles (BOEN, 2006). Pour les enseignants, <strong>ce</strong>lacorrespond plus particulièrement à la 10 e compéten<strong>ce</strong> du cahier <strong>des</strong> charges de la <strong>formation</strong><strong>des</strong> maîtres : « Se former et innover » (BOEN, 2007). Cependant, <strong>ce</strong>s compéten<strong>ce</strong>sindispensables pour vivre et travailler dans <strong>ce</strong> qu’il est convenu d’appeler l’économie de laconnaissan<strong>ce</strong> correspondent à <strong>des</strong> caractéristiques dispositionnelles qu’il semble difficilede construire exclusivement via <strong>des</strong> dispositifs de <strong>formation</strong> académiques.Belet (2003) indique que le paradigme de l’apprenan<strong>ce</strong> met l’humain au <strong>ce</strong>ntre de ladynamique du développement <strong>des</strong> organisations. Il accompagne l’émergen<strong>ce</strong> de la sociétédu savoir, caractérisée par la dématérialisation <strong>des</strong> actifs, la pla<strong>ce</strong> croissante <strong>des</strong> servi<strong>ce</strong>s,l’impact <strong>des</strong> TIC, mais surtout par la reconnaissan<strong>ce</strong> de la valeur <strong>des</strong> savoirs, <strong>des</strong> savoirfaire,<strong>des</strong> savoir-être et <strong>des</strong> talents <strong>des</strong> personnes. Cependant, sans la mise en pla<strong>ce</strong> d’une« nouvelle ingénierie organisationnelle » (Belet, 2003), et managériale, toute évolution dansles organisations provoque généralement <strong>des</strong> résistan<strong>ce</strong>s du corps social qui réduisent ànéant toute tentative d’innovation, quelle qu’en soit la pertinen<strong>ce</strong> originelle (Heutte, 2005).Selon Paquet (2003), dans un monde en turbulen<strong>ce</strong>, les structures hiérarchiques sont moinsperformantes, c’est la raison pour laquelle émergent <strong>des</strong> « formes d’organisation danslesquelles les transactions sont fondées sur une [...] culture organisationnelle commune [...](où) les valeurs communes sont vastement partagées (Boisot, 1995). Ce nouveau modèlede gouvernan<strong>ce</strong> – moins lourd et plus souple, moins directif et plus participatif, plus diffus et<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 203


J. HEUTTEmoins technocratique, et fondé sur la confian<strong>ce</strong> – existe tant dans le secteur privé que dansles secteurs public et civique (Hock, 1995). » (Paquet, 2003). Ces modèles de gouvernan<strong>ce</strong>ssemblent pour l’instant plutôt ignorés du système éducatif.Le paradoxe de la prise en compte <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>sdans la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignantsImaginons l’espa<strong>ce</strong> d’un instant que, comme <strong>ce</strong>la leur est demandé dans le nouveau cahier<strong>des</strong> charges de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres, les <strong>IUFM</strong> maîtrisent très rapidement l’ingénieriepédagogique permettant de réaliser toutes les évolutions pour effectivement réussir à formerpar les compéten<strong>ce</strong>s (thème de l’école d’été <strong>des</strong> <strong>IUFM</strong> du Pôle Nord Est, en juillet 2007).Comment, au sein de l’ensemble du système éducatif, opérer toutes les trans<strong>formation</strong>sné<strong>ce</strong>ssaires pour améliorer globalement la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>, inscrite dans uncontinuum (BOEN, 2007), de personnels dont la carrière est en grande partie régie selonle principe de la qualification (à vie). Cela semble a priori culturellement antinomique. Ilfaut reconnaître que l’évaluation <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s est loin d’être une éviden<strong>ce</strong> : elle posede réelles difficultés en termes de compéten<strong>ce</strong>s d’évaluation pour l’appareil de <strong>formation</strong>comme pour l’employeur. L’institution ne sait d’ailleurs pas mieux reconnaître la compéten<strong>ce</strong><strong>professionnelle</strong>, quand elle existe, (peu d’inciden<strong>ce</strong> sur les carrières) ; qu’elle ne sait traiter,quand <strong>ce</strong>la existe, l’incompéten<strong>ce</strong> ou l’épuisement professionnel : ni dans son administration(<strong>ce</strong>ntrale ou servi<strong>ce</strong>s décon<strong>ce</strong>ntrés), ni parmi ses personnels d’encadrement, ou sesenseignants. Ce qui n’est pas surprenant pour une organisation qui n’a pour ainsi dire pasde gestion de ses ressour<strong>ce</strong>s humaines en tant que telle et qui est une de <strong>ce</strong>lles qui fait lemoins pour la <strong>formation</strong> de ses personnels (Darcos, 2007).Il est vrai que parmi tous les servi<strong>ce</strong>s publics, l’inertie du système éducatif dans sonensemble (de l’administration <strong>ce</strong>ntrale aux enseignants, en passant par la très longuechaîne de management) est surprenante. Pourtant, dans de nombreux textes officiels ourapports commandés par les différents ministres, les constats sont souvent d’une grandeclarté et très bien documentés (de Gaudemar, 1998 ; Pair, 1998 ; Chassard, Jeanbrau, 2002; Bottin, 2003 ; Septours, Gauthier 2003 ; HCEE 2003 ; Lepetit, Pecker & Bardy, 2006…pour n’en citer que quelques-uns). Au fil <strong>des</strong> années, il semble toujours plus facile decommander un nouveau rapport, de créer une nouvelle commission, de rédiger un nouveautexte officiel, comme un mouvement perpétuel et une fausse fuite en avant (Bouchard,2007). Les personnels préfèreraient vraisemblablement la simple mise en application de<strong>ce</strong>rtaines circulaires, comme, par exemple, <strong>ce</strong>lle du 23 février 1989 (NOR: PRMX8910096C)relative au renouveau du servi<strong>ce</strong> public, qui indiquait : « tout <strong>ce</strong>la devra être fait avec lapréoccupation, d’une part, de valoriser le remarquable potentiel humain dont disposent enFran<strong>ce</strong> les administrations, d’autre part, de faciliter les déroulements de carrière <strong>des</strong> agentsqui doivent accéder à <strong>des</strong> tâches correspondant davantage à leurs qualifications et à leurscompéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s. ».Management par les compéten<strong>ce</strong>s, par les connaissan<strong>ce</strong>s, par la qualitéDans les servi<strong>ce</strong>s publics, comme dans de nombreux organismes privés, le mouvementde la qualité correspond au souhait de plus en plus partagé de la mise en œuvre dedémarches de progrès permanent en valorisant les compéten<strong>ce</strong>s et les connaissan<strong>ce</strong>s204<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Déploiement d’une écologie de l’apprenan<strong>ce</strong> : vers une nouvelle culture de la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ?<strong>des</strong> personnels. Ces démarches montrent clairement les missions du management : pourêtre crédible, l’encadrement doit être exemplaire (Prax, 2003). Parmi tous les ministères,<strong>ce</strong>lui de l’Éducation nationale fait <strong>ce</strong>pendant partie de <strong>ce</strong>ux où la qualité semble demeurerun enjeu mineur de modernisation (Cannac, 2004). Malgré quelques initiatives pour aiderles corps d’inspection à se construire une identité et une culture <strong>professionnelle</strong> de cadredans la société de la connaissan<strong>ce</strong> et, par exemple, souhaiter moderniser leur <strong>formation</strong> àl’aide <strong>des</strong> TIC (SDTICE, 2006), en raison d’une gouvernan<strong>ce</strong> et d’un pilotage globalementdéficients, les technologies numériques ne parviennent à moderniser le système éducatif(Lepetit, Pecker et Bardy, 2006). Le projet « management par la Qualité » de la sous-direction<strong>des</strong> TIC pour l’éducation (SDTICE) et de la délégation aux usages de l’Internet (DUI), a<strong>ce</strong>pendant permis à <strong>ce</strong>s deux structures, d’être les premières entités de l’administration<strong>ce</strong>ntrale à obtenir une <strong>ce</strong>rtification de leur système de management qualité selon la normeISO 9001, au printemps 2007 (SDTICE, 2007). Dans la foulée, le servi<strong>ce</strong> <strong>des</strong> technologieset <strong>des</strong> systèmes d’in<strong>formation</strong> (STSI) du ministère s’implique également dans une démarchequalité. Ces initiatives indiquent qu’à défaut de moderniser l’ensemble du système éducatif,les TIC pourraient avoir un impact sur le système de management de son administration<strong>ce</strong>ntrale.De nombreuses organisations estiment que leur survie dépend en grande partie d’unebonne articulation entre « recherche et développement », « <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> » et« promotions/évolutions <strong>des</strong> carrières ». Les conditions ne sont actuellement pas réuniespour la mise en pla<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong> <strong>ce</strong>rcle vertueux au sein du système éducatif. Que <strong>ce</strong> soit ducôté de l’employeur (enseignants, personnels d’encadrement, administration), de l’appareilde <strong>formation</strong> (<strong>IUFM</strong>), de la recherche (scien<strong>ce</strong>s de l’éducation), chacun semble passer plusde temps à démontrer les caren<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> autres partenaires qu’à construire <strong>des</strong> solutionsqui né<strong>ce</strong>ssitent obligatoirement <strong>des</strong> approches collégiales con<strong>ce</strong>rtées. Si, comme l’indiqueBouchard (2007), on ajoute les attentes souvent versatiles et contradictoires de la sociétécivile (chefs entreprises, parents…) et du « politique », il est difficile de réunir toutes lesconditions énoncées par Colson (2005) pour construire une vision compréhensible <strong>des</strong>objectifs poursuivis et <strong>des</strong> trans<strong>formation</strong>s né<strong>ce</strong>ssaires : « une vision motivée et motivante,laquelle doit être partagée aussi largement que possible, voire coproduite et en tout casadossée au dialogue social ».Alors que le débat sur la responsabilité sociale <strong>des</strong> entreprises (RSE) est <strong>ce</strong>ntral dans denombreuses organisations, l’Éducation nationale tarde à s’emparer de la question. Ce queBouchard (2007) synthétise ainsi :Madame, Monsieur le ministre, résumons, si vous le voulez bien la situation. Sansêtre catastrophique, les résultats du système scolaire français sont médiocres etles moyens que lui donne la nation, et dont vous êtes comptable, pourraient êtremieux employés. Pour aller davantage au fond <strong>des</strong> choses, l’École n’a pas la pla<strong>ce</strong>qu’elle devrait avoir, au cœur de la société. Votre administration est mal organiséeet son efficacité est tout entièrement tournée vers la conservation du système.Vos personnels, notamment enseignants, ne sont pas bien traités. L’institution esttraversée par <strong>des</strong> querelles idéologiques, voire « théologiques », dont les enjeuxn’ont pas toujours la noblesse <strong>des</strong> élans lyriques qui les nourrissent. notamment via le modèle du cadre d’auto-évaluation <strong>des</strong> fonctions publiques (CAF) dérivé de l’europeanfundation for quality management (EFQM) ou <strong>ce</strong>lui de la norme ISO 9001.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 205


J. HEUTTELe burnout institutionnel : une crise du sentiment d’efficacité collective ?Ces dernières années, l’évolution <strong>des</strong> programmes et les « réformes » sont si nombreusesque, selon Bronner (1997), elles génèrent un sentiment de « maltraitan<strong>ce</strong> institutionnelle »,nombreux sont les enseignants qui se sentent comme attaqués au niveau d’une sortede « noyau dur » de leur rapport au savoir, constitutif de leur soi professionnel. Bronneravan<strong>ce</strong> même l’idée de « vide didactique institutionnel », évoquant le fait que l’institution nepropose pas suffisamment d’éléments de négociation, voire reste silencieuse, au niveau <strong>des</strong>aménagements de <strong>ce</strong>s « crises » du savoir dans le pro<strong>ce</strong>ssus de transposition didactique.Globalement, ni la <strong>formation</strong> initiale ou continue, ni le discours <strong>des</strong> corps d’inspection, n’aidentréellement les enseignants à surmonter <strong>ce</strong> traumatisme, <strong>ce</strong> qui a une lourde inciden<strong>ce</strong> surleur comportement devant leurs élèves et le ressenti par rapport à l’institution qui les emploie(Berdot, Blanchard-Laville, Bronner, 2000) .En fait, à l’image de nombreux personnels, mis à part tout nouveau ministre qui se doitné<strong>ce</strong>ssairement d’y croire (Bouchard, 2007), tout semble indiquer que c’est l’ensemble dusystème éducatif qui vit le burnout, ou le syndrome d’épuisement professionnel (Alem, 2003),un « stade d’abattement, de découragement, de lassitude pouvant conduire à l’épuisementet à la paralysie. » (Gaubert, 2003). En Fran<strong>ce</strong>, <strong>ce</strong> « désarroi contemporain » (Guillebaud,1995), auquel les enseignants seraient peut-être encore plus sensibles, pourrait être lié à unsentiment de défaite de l’idéologie et la fin d’un <strong>ce</strong>rtain rêve du politique, ac<strong>ce</strong>ntué depuisl’échec, en 1982, de l’action du gouvernement de l’époque qui a ébranlé les conscien<strong>ce</strong>s,avec le tournant de la rigueur, vers une social-démocratisation inavouable. Depuis <strong>ce</strong>tteépoque, il semble que le “peuple de gauche” vive cruellement l’échec de l’alternan<strong>ce</strong>, portéeà l’époque par toute une génération (dont de nombreux enseignants), et soit entré dans« l’âge du pathos » (Sirinelli, 2007). Ainsi, la crise de l’école pourrait aussi être liée à unecrise du sentiment d’efficacité collective : très élevé dans les années 70, porté par le flow etla créativité (Csikszentmihalyi, 2006) de la “génération 68” et l’attente du “grand soir” ; trèsfaible depuis 25 ans, affecté par la désillusion de n’avoir pu mettre en œuvre une alternativeà l’économie de marché depuis 1981.Selon Dussault, Villeneuve et Deaudelin (2001), appliqué à l’enseignement, le sentimentd’autoefficacité comporte deux facteurs, le sentiment d’efficacité générale et le sentimentd’efficacité personnelle de l’enseignant :– le sentiment d’efficacité personnelle est la croyan<strong>ce</strong> qu’un enseignant a en sa capacité àinfluen<strong>ce</strong>r les apprentissages <strong>des</strong> élèves. Il s’agit d’une forme d’évaluation personnelle.– le sentiment d’efficacité générale, réside dans la croyan<strong>ce</strong> que le corps enseignant estcapable d’apporter <strong>des</strong> changements chez les élèves, en dépit <strong>des</strong> contraintes extérieuresau milieu scolaire. Il s’agit de la croyan<strong>ce</strong> que les élèves sont éducables sans qu’aucunespécification con<strong>ce</strong>rnant les individus responsables et la façon d’y arriver ne soit donnée(Ross, Bradley et Gadalla, 1996).C’est <strong>ce</strong>rtainement la faiblesse grandissante du sentiment d’efficacité générale, favorisée parl’attribution causale externe (Dubois, 1987), qui est la plus per<strong>ce</strong>ptible dans les conversationsde couloirs : <strong>ce</strong>la impacte né<strong>ce</strong>ssairement le sentiment d’efficacité collective, définit parBandura (2003) comme étant la « croyan<strong>ce</strong> partagée par un groupe en ses capacitésconjointes d’organiser et d’exécuter les actions né<strong>ce</strong>ssaires pour produire un niveau donnéde réalisations ». Le « climat de lassitude, de démobilisation et d’aigreur » (Darcos, 2007)est à la mesure du sentiment de dégradation de la qualité de vie au travail <strong>des</strong> enseignants(Horenstein, 2005), <strong>ce</strong> qui a une inciden<strong>ce</strong> sur leur sentiment d’efficacité personnelle et, pour206<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Déploiement d’une écologie de l’apprenan<strong>ce</strong> : vers une nouvelle culture de la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ?<strong>ce</strong>rtains, sur leur santé mentale. Deux autres étu<strong>des</strong> (Fotinos, 2005a, 2005b) soutenues parla mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN) mettent en valeur l’importan<strong>ce</strong> dumoral <strong>des</strong> enseignants et de leur qualité de vie, dans le climat scolaire. La dégradation estparticulièrement marquée dans le premier degré : 92 % <strong>des</strong> directeurs déclarent être deplus en plus soumis au stress (contre 80 % dans les collèges et les lycées), près de 52 %sont peu ou pas satisfaits (contre 26% dans le secondaire). Résultat, 70 % <strong>des</strong> sondésaffirment que leurs conditions de travail se dégradent (contre 52 % dans le secondaire)et 85 % se jugent “plutôt” ou “tout à fait pessimistes” sur l’avenir du système éducatif. Surles dix dernières années, la détérioration <strong>des</strong> liens professionnels entre les directeurs etl’inspecteur est considérable : plus de 63 % considèrent en effet que les inspecteurs nesont pas à l’écoute de leur demande, 57 % que la hiérarchie ne les soutient pas et 45 %que les in<strong>formation</strong>s transmises par les supérieurs hiérarchiques leur apportent “assez peu”ou “très peu”. De plus, con<strong>ce</strong>rnant tout particulièrement les enseignants du premier degré,depuis la création <strong>des</strong> <strong>IUFM</strong> et du corps <strong>des</strong> professeurs <strong>des</strong> écoles (PE) en 1989, il n’estpas <strong>ce</strong>rtain que tous les formateurs <strong>des</strong> écoles normales et tous les inspecteurs aient réussileurs mutations respectives. Il n’est pas sûr que chacun ait perçu qu’en tant que cadre A, lesPE devaient être traités en « cadres con<strong>ce</strong>pteurs », et non plus en « agents d’application ».D’autre part, même « professeurs » (vs « instituteurs »), par rapport à leurs collègues dusecond degré, la per<strong>ce</strong>ption du métier est très différente : « faire la classe » né<strong>ce</strong>ssite uneimplication affective très différente de <strong>ce</strong>lle qui est né<strong>ce</strong>ssaire pour « faire <strong>des</strong> cours ». Leseffets éprouvants de <strong>ce</strong>tte implication, 27 heures par semaine, et le stress de la polyvalen<strong>ce</strong>sont rarement pris au sérieux par <strong>ce</strong>ux qui travaillent en dehors <strong>des</strong> écoles primaires. Pourne rien arranger, au niveau de l’administration <strong>ce</strong>ntrale, le premier degré est mal perçu, peumaîtrisé, guère piloté (Lepetit, Pecker & Bardy, 2006). Globalement, en une génération, lesprimaires, <strong>ce</strong>s incapables prétentieux (Isambert-Jamati, 1985), se sentent surtout méconnus,incompris et humiliés. Selon le dernier rapport du Haut Conseil de l’Éducation (HCE, 2007),l’école primaire est « résignée ».Mais le malaise ne se limite pas aux écoles primaires. Depuis chaque établissement, jusquedans les servi<strong>ce</strong>s décon<strong>ce</strong>ntrés ou au sein de l’administration <strong>ce</strong>ntrale, à tous les étages de lapyramide se met en scène la comédie sociale de l’organisation : cruauté <strong>des</strong> envies, cruautéde l’ambition, besoin inassouvi de reconnaissan<strong>ce</strong> (Heutte, 2005). Les griefs formulés visà-visde sa hiérarchie directe sont globalement à chaque fois les mêmes : chacun regretteque ses compéten<strong>ce</strong>s réelles soient ignorées, d’être submergé par <strong>des</strong> tâches dont il necomprend pas le sens, qui exigent de plus en plus de polyvalen<strong>ce</strong> (pour lesquelles il nes’estime d’ailleurs pas né<strong>ce</strong>ssairement compétent), dans <strong>des</strong> délais toujours trop courtset qui globalement ne lui laisse plus le temps de réaliser les missions correspondant auxraisons pour lesquelles il était enthousiasmé à l’idée de pouvoir faire <strong>ce</strong> métier (Heutte,2003). Dans leur rapport de recherche Évaluation de la santé mentale au travail, Brun, Bironet Martel (2003) arrivent globalement à la même conclusion. Selon eux, quatre principauxfacteurs de risque, en ordre décroissant d’importan<strong>ce</strong>, portent atteinte à la santé mentaleau travail : la surcharge quantitative, le peu de reconnaissan<strong>ce</strong> de l’entourage, les pauvresrelations avec le supérieur, la faible participation aux décisions et le manque de circulationde l’in<strong>formation</strong>. Sans en être l’unique explication, <strong>ce</strong> chaos psychologique altère chez tousles acteurs la capacité à trouver, écouter ou comprendre les réponses qui permettraientde faire progresser l’ensemble du système (Csikszentmihalyi, 2006) et d’avoir la créativiténé<strong>ce</strong>ssaire pour faire progresser les élèves les plus en difficulté.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 207


J. HEUTTELe développement durable de la ressour<strong>ce</strong> humaine,une <strong>des</strong> conditions du déploiement d’une écologie de l’apprenan<strong>ce</strong>Prenant le contre-pied de la morosité ambiante, plutôt que chercher à transformer lasouffran<strong>ce</strong> névrotique en malheur ordinaire (Freud, Breuer, 1895), le champ théoriquerelativement ré<strong>ce</strong>nt de la psychologie positive (Seligman, 1998), axe ses recherches sur lebien-être mental permanent (Seligman, Csikszentmihalyi, 2000). Un nombre croissant deprogrammes de recherche mettent en éviden<strong>ce</strong> l’impact de la bientraitan<strong>ce</strong> (Gabel, Jésu,Manciaux, 2000) et de la qualité de vie au travail (Heude, Beaujard, 2007), sur la santémentale <strong>des</strong> salariés et donc sur l’efficien<strong>ce</strong> <strong>des</strong> organisations. Certaines, s’intéressent plusparticulièrement aux enseignants (FNEEQ, 2002), elles mettent souvent en avant le rôledu comportement <strong>des</strong> personnels d’encadrement dans l’engagement professionnel <strong>des</strong>enseignants (Galand, Gillet, 2004).En effet, dans le servi<strong>ce</strong> public d’Éducation, comme dans la plupart <strong>des</strong> organisationshumaines, il reste à inventer « une philosophie de management <strong>des</strong> hommes et <strong>des</strong>organisations fondée sur d’autres valeurs et sur une logique d’apprenan<strong>ce</strong> généralisée,intégrée et continue » : ne plus considérer l’homme comme une ressour<strong>ce</strong> mais comme unesour<strong>ce</strong> de valeur au cœur <strong>des</strong> pro<strong>ce</strong>ssus de développement stratégique <strong>des</strong> organisations(Belet, 2003). Il est clair qu’entre la con<strong>ce</strong>ption du pilotage de l’Éducation nationale et lesmétho<strong>des</strong> de management <strong>des</strong> « knowledge workers » (Drucker, 1959) idéalisées dans <strong>des</strong><strong>ce</strong>ntaines d’ouvrages de consultants depuis une cinquantaine d’année, il y a un gouffre :l’enseignement reste « une activité artisanale, organisée bureaucratiquement » selon le bonmot d’Albertin, cité par Pair (1998). Nous sommes très loin d’un « management par le sens »(Pair, 1998). Souvent isolés et livrés à eux-mêmes, les inspecteurs ne sont pas suffisammentinformés pour jouer pleinement leur rôle de relais (Dubreuil, 2003). Il semble né<strong>ce</strong>ssaire deredéfinir les missions <strong>des</strong> personnels d’encadrement : relation moins autoritaire et davantageaxée sur l’animation <strong>des</strong> équipes, avec plus de responsabilités dans la gestion <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>shumaines (Bottin 2003, Daste 1999). Certains rapports (Pair 1998, HCEE 2002) regrettentl’impasse dans laquelle se trouve la chaîne de management dans l’Éducation nationale. Toutau long de <strong>ce</strong>tte chaîne, les personnels subissent un « harcèlement textuel » (Ferry, 2002)dont ils ne perçoivent pas toujours le sens, <strong>ce</strong> qui génère (à tous les niveaux) <strong>des</strong> réactionsà toute forme de changement. Le pilotage institutionnel semble en panne : il faudrait pouvoirle sortir du piège dans lequel il s’est enfermé avec le soupçon réciproque qui marque larelation entre les professeurs et l’institution qui les emploie : pour beaucoup d’enseignants,“l’administration” ne reconnaît pas leur travail et ne comprend pas leurs difficultés, alorsque pour <strong>ce</strong>rtains responsables les professeurs profitent d’une liberté ex<strong>ce</strong>ssive pour faireà peu près <strong>ce</strong> qu’ils veulent. Ceux qui développent <strong>ce</strong>tte vision ne se sont-ils pas laissésenfermer dans une impasse ? Car toute tentative pour diriger plus fermement ou contrôlerplus rigoureusement le travail <strong>des</strong> enseignants semble avoir pour effet de renfor<strong>ce</strong>r leurméfian<strong>ce</strong>, sans aucun profit pour <strong>ce</strong>ux qui fréquentent leurs établissements (Obin, 2003).Actuellement, même les « bonnes idées » ne passent plus. Il semble que la suspicion soittelle que bien souvent, l’enseignant qui souhaite contribuer à l’amélioration du système parune collaboration avec son administration est perçu par ses pairs comme étant quelqu’unqui pactise avec l’ennemi. L’Éducation nationale est de <strong>ce</strong> fait la seule technostructuredans laquelle l’élite n’est pas tentée par les fonctions d’encadrement, car elles semblentimpossibles à exer<strong>ce</strong>r (Baladier, Gilles, Jutant, Septours, Simon, 2004). La faible attractivité208<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Déploiement d’une écologie de l’apprenan<strong>ce</strong> : vers une nouvelle culture de la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ?<strong>des</strong> fonctions d’encadrement est <strong>ce</strong>rtainement liée au sentiment que dans la réalité,à chaque étage, personne n’est jamais réellement sûr d’être légitime pour autoriser uneinnovation, par contre, chacun a effectivement le pouvoir de la bloquer. Le sentimentd’efficacité personnelle est si faible que beaucoup préfèrent ne pas s’impliquer et attendrel’échec de toute initiative individuelle ou collective, si besoin en agissant pernicieusementpour compromettre toute chan<strong>ce</strong> de réussite, afin de pouvoir continuer à affirmer que touteffort est vain. Comme le rappelle Truchot (2004), <strong>ce</strong> cynisme représente la dimensioninterpersonnelle et sociale, du burnout. Quelles que soient les personnes, aucune réellecollaboration, aucun partage de connaissan<strong>ce</strong> n’est possible dans un collectif (et encoremoins à l’échelle d’une organisation) s’il n’y a confian<strong>ce</strong> en soi, en les autres et surtoutdans les valeurs portées par l’organisation : <strong>des</strong> valeurs souvent essentiellement perçuesau travers du filtre déformant constitué par le supérieur hiérarchique direct (Heutte,2005). Dans <strong>ce</strong>s conditions le seul chemin qui reste ouvert est <strong>ce</strong>lui de la confian<strong>ce</strong> etde la responsabilité (Obin, 2003). Passer de la gestion par l’injonction au managementpar l’implication impose un repositionnement de l’encadrement et une autre répartition duleadership. Les difficultés liées à la prise de décision dans un environnement complexe etinstable, <strong>ce</strong> qu’Alécian (2002) appelle le « rafting management », né<strong>ce</strong>ssitent de re<strong>ce</strong>ntrerl’encadrement sur le stratégique pour éviter qu’il se disperse dans l’opérationnel et surtoutlaisser une marge de manœuvre suffisante pour permettre aux équipes de terrain d’adapterou d’inventer <strong>des</strong> procédures plus en adéquation avec la réalité locale. Il s’agit aussi d’éviterle <strong>ce</strong>rcle vicieux lié à la prise de décision en « solitaire soucieux de marquer son territoire »qui est bien souvent un gaspillage de compéten<strong>ce</strong>s : <strong>ce</strong>lui qui ne sait pas décide (car il enen a le pouvoir) sans consulter <strong>ce</strong>ux qui savent (alors qu’ils en ont la compéten<strong>ce</strong>). Frustréset aigris, <strong>ce</strong>ux qui pourraient sauver l’organisation deviennent peu à peu incompétents àpouvoir le faire (Heutte, 2005). Toute modification de l’organisation, notamment l’impact <strong>des</strong>TIC, est une mena<strong>ce</strong> pour un individu dont le sentiment d’efficacité personnelle est faibleet qui de <strong>ce</strong> fait pense ne pas être capable d’évoluer : ses connaissan<strong>ce</strong>s risquent de neplus être adaptées, ses savoir-faire risquent de ne plus lui servir, les réseaux humains quilui permettent d’agir risquent d’être perturbés. La généralisation <strong>des</strong> réseaux numériquesjoue le rôle d’un prisme : les TIC rendent visibles les for<strong>ce</strong>s et/ou les faiblesses structurelleset humaines <strong>des</strong> organisations (Heude, Beaujard, 2007). Les « maillons faibles » , tous<strong>ce</strong>ux dont la présen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> TIC renfor<strong>ce</strong> et objective la faiblesse du sentiment d’efficacitépersonnelle, sont particulièrement affectés. Dans <strong>ce</strong> contexte, le management intermédiaireest souvent responsable de la cristallisation de la plupart <strong>des</strong> obstacles au changement(Autissier, Wacheux, 2006). Dans <strong>des</strong> organisations où les besoins évoluent plus vite queles capacités d’évolution <strong>des</strong> schémas mentaux de nombreux cadres ou dirigeants, <strong>ce</strong>uxci,parfois par manque d’ouverture ou d’in<strong>formation</strong>, prennent <strong>des</strong> décisions qui peuventbloquer les trans<strong>formation</strong>s né<strong>ce</strong>ssaires. L’encadrement intermédiaire peut, par exemple,se sentir agressé par la reconnaissan<strong>ce</strong> et la responsabilisation d’acteurs culturellementconfinés dans l’opérationnel et dont l’agentivité se trouve renforcée par les TIC (Bandura,2002). Déstabilisé, en pleine perte de confian<strong>ce</strong>, accaparé par le temps passé à surveillerson territoire, le « chef » voit plus souvent <strong>ce</strong> qu’il a à perdre (autorité, prestige, pouvoir...),que <strong>ce</strong> qu’il a à gagner (loyauté, efficacité, respect...) (Heutte, 2003). Le niveau réflexion et les motivations de nombreux candidats interpellent d’ailleurs l’Inspection Généralede l’éducation nationale (BOTTIN, CHASSAING, 2006 ; THÉVENET, DORIATH, 2007).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 209


J. HEUTTEL’empowerment : valoriser la richesse humaine et piloter l’énovationLe leadership n’est plus la chasse gardée <strong>des</strong> cadres ; il est devenu la responsabilité de tous.Le travail en réseau ou en équipe rend les employés davantage interdépendants les uns <strong>des</strong>autres, et ils ont besoin de nouvelles connaissan<strong>ce</strong>s et de nouvelles capacités en matièrede leadership pour pouvoir s’adapter (CCG, 2000). Des qualités relevant habituellementde la sphère privée sont alors requises au servi<strong>ce</strong> de l’emploi : énergie, dynamisme,confian<strong>ce</strong> en soi et en les autres, capacités relationnelles et émotionnelles (Carré, 2005).À côté <strong>des</strong> savoirs déclaratifs exprimant les connaissan<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s et <strong>des</strong> savoirsprocéduraux illustrant les gestes et habiletés <strong>professionnelle</strong>s requis, se diffuse largementla notion protéiforme, ambiguë mais pragmatique de savoir-être pour qualifier <strong>ce</strong>t ensemblede nouvelles compéten<strong>ce</strong>s du registre social, affectif ou conatif exigées par le travail dansl’organisation post-taylorienne (Bellier, 1998 cité par Carré, 2005).L’empowerment est la philosophie managériale qui accompagne l’évolution de l’organisationdu travail et la cognitivisation <strong>des</strong> tâches. Ce nom anglais signifie littéralement « dévolution »,que l’on pourrait interpréter par « autorisation », « délégation » ou « responsabilisation ».La notion d’empowerment implique la mise en pla<strong>ce</strong> de toutes les attitu<strong>des</strong> et techniquesd’animation <strong>des</strong> équipes du management humaniste (Carré, 2005). Il s’agit de développerla confian<strong>ce</strong>, l’autonomie et le savoir faire-faire : apprendre à privilégier les pratiques, lesacteurs, le pro<strong>ce</strong>ssus et le terrain dans son contexte concret. Dans <strong>ce</strong>tte perspective,Gelinas et Fortin (1996) développent le con<strong>ce</strong>pt d’énovation, radicalement opposé à <strong>ce</strong>luid’innovation : il s’agit d’une « stratégie du changement émergent », d’un « pro<strong>ce</strong>ssus degestion appropriative par <strong>des</strong> acteurs organisationnels », ou encore d’une « mise en œuvredélibérée d’une stratégie de prise de décision tenant compte <strong>des</strong> représentations <strong>des</strong>acteurs et composant avec les ressour<strong>ce</strong>s et les contraintes de l’environnement ». Commele précisent <strong>ce</strong>s auteurs, les facteurs contextuels et humains dont les représentations <strong>des</strong>acteurs occupent une pla<strong>ce</strong> fondamentale dans l’énovation. Mais l’essentiel de <strong>ce</strong>tte définitiontient, nous semble-t-il, dans le changement de paradigme qui est proposé : qu’il s’agisse deréforme ou d’innovation, le pro<strong>ce</strong>ssus apparaît toujours, à travers les définitions proposées,comme extérieur aux acteurs de terrain, comme si l’on avait d’un côté les con<strong>ce</strong>pteursdécideurs et de l’autre les acteurs réduits au rôle d’applicateurs. C’est <strong>ce</strong> dualisme quidisparaît dans la définition de l’énovation : les acteurs sont au <strong>ce</strong>ntre du pro<strong>ce</strong>ssus, à labase de son organisation et à l’origine de la nouveauté qui émerge alors de leur contextepropre. Pour accompagner <strong>ce</strong>la dans le système éducatif, le développement <strong>des</strong> échangesde pratiques et <strong>des</strong> servi<strong>ce</strong>s d’assistan<strong>ce</strong> pédagogique est clairement identifié commeune né<strong>ce</strong>ssité (de Gaudemar 1998, Bottin 2003, Septours, Gauthier 2003). La demande<strong>des</strong> enseignants vaut tout aussi bien en <strong>formation</strong> initiale qu’en <strong>formation</strong> continue. Maisles dispositifs peinent à être mis en pla<strong>ce</strong> faute de personnels capables de faire vivre <strong>ce</strong>type de dispositifs d’accompagnement et de <strong>formation</strong> (de Gaudemar 1998, Septours,Gauthier 2003). Les communautés de pratiques sont <strong>des</strong> espa<strong>ce</strong>s propi<strong>ce</strong>s au jaillissementobjectivé <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s : elles constituent un moyen de favoriser les apprentissagesprofessionnels informels et mettent en éviden<strong>ce</strong> <strong>des</strong> personnels en mesure de contribuerau renouveau de la <strong>formation</strong> initiale et continue <strong>des</strong> enseignants (Heutte, 2003). Maiscomment institutionnaliser <strong>ce</strong>s communautés de pratique ?La motivation par la mobilité fonctionnelleMême si pour l’instant, parmi tous les pays occidentaux, la Fran<strong>ce</strong> semble épargnée, dans les210<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Déploiement d’une écologie de l’apprenan<strong>ce</strong> : vers une nouvelle culture de la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ?années à venir, les problèmes de recrutement seront cruciaux (OCDE, 2005) et, avant mêmede penser à leurs modalités, il sera impératif de savoir rendre attractif le métier sur lequel<strong>ce</strong>s recrutements débouchent (Pair, 1998), car le partage du vivier de diplômés est souventdéfavorable à l’Éducation nationale (sauf en période de fort chômage) (Septours, Gauthier,2003). Une inciden<strong>ce</strong> plus forte de la <strong>formation</strong> sur la carrière <strong>des</strong> enseignants et sur leurmobilité fonctionnelle (liaison plus étroite avec la gestion <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s humaines) semblené<strong>ce</strong>ssaire pour rendre attractifs les métiers de l’Éducation nationale (Chassard, Jeanbrau,2002 ; Bottin 2003). Une gestion <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s humaines plus attentive à la mobilité(horizontale comme verticale) permettrait de favoriser l’émergen<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>ux qui apparaissentcomme étant les plus aptes et qui désirent prendre <strong>des</strong> fonctions de responsabilité particulièredans le système éducatif (Pair, 1998). La mobilité fonctionnelle peut aussi être un moyen,le cas échéant, de proposer le choix d’une reconversion vers une autre administration pour<strong>ce</strong>rtains enseignants, ou personnels d’encadrement qui ne souhaitent (ou ne peuvent) plusrester en présen<strong>ce</strong> d’élèves, d’étudiants ou d’enseignants, sans pour autant vouloir quitterle servi<strong>ce</strong> public (Bottin, 2003). Même si <strong>ce</strong>la peut sembler un peu provocateur, la capacitédu servi<strong>ce</strong> public d’éducation à traiter avec dignité (mais sans ambiguïté) l’incompéten<strong>ce</strong><strong>professionnelle</strong> de <strong>ce</strong>rtains de <strong>ce</strong>s personnels serait <strong>ce</strong>rtainement le meilleur indicateur dela mise en pla<strong>ce</strong> d’une réelle gestion <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s humaines. Pour être crédible, <strong>ce</strong>ttedémarche gagnerait d’ailleurs à s’appliquer à « tous les étages de la pyramide », sans oublier,comme <strong>ce</strong>la est recommandé dans le cadre <strong>des</strong> démarches qualité, à l’image du nettoyaged’un escalier, qu’il est toujours préférable de commen<strong>ce</strong>r « par le haut ». La valorisationpar la mobilité fonctionnelle, l’ouverture aux tâches transversales d’encadrement et/ou de<strong>formation</strong>, constitue une prise de responsabilité qui doit s’inscrire dans une démarche de<strong>formation</strong> continue (Pair, 1998). Avec la généralisation de l’usage d’Internet, les communautésvirtuelles d’enseignants constituent <strong>des</strong> espa<strong>ce</strong>s favorables à l’expression du potentielhumain et aux prises de responsabilités. Elles favorisent l’émergen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> individus ayantcapacité à aider le servi<strong>ce</strong> public d’Éducation à affronter l’avenir. L’institutionnalisation de<strong>ce</strong>s dispositifs pourrait permettre la valorisation de la richesse humaine <strong>des</strong> enseignantset par là même l’identification d’un vivier de personnels d’encadrement et de formateurs.Malheureusement, <strong>ce</strong> potentiel s’exprime surtout, « soir et week end », hors de l’institution,entre pairs, dans <strong>des</strong> <strong>ce</strong>ntaines de communautés virtuelles qui constituent actuellementautant de lieu d’échanges de savoirs professionnels informels. Cette fuite massive decapital humain est une double perte pour l’institution qui n’est actuellement pas prête pour lemanagement par les connaissan<strong>ce</strong>s (Heutte, 2003) : elle méconnaît tout autant <strong>ce</strong>s savoirsprofessionnels qui se construisent par modelage (Bandura, 2003), que l’énergie positive<strong>des</strong> mentors de <strong>ce</strong>s communautés.L’autotélique : épicurien de la connaissan<strong>ce</strong> ?La psychologie positive s’intéresse plus particulièrement aux différen<strong>ce</strong>s existant entre lespersonnes qui effectuent <strong>des</strong> apprentissages profonds malgré <strong>des</strong> contextes difficiles outragiques (résilen<strong>ce</strong>), et les personnes qui n’y parviennent pas ou peu. Csikszentmihalyi(1990) explique que dans l’état de flow (c.f. Figure 1), « les individus sont tellementintensément impliqués dans une activité que rien ne semble autrement importer, l’expérien<strong>ce</strong>elle-même est si agréable que les gens la fassent même à un grand coût, dans l’intérêt finde la faire ».<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 211


J. HEUTTEFigure 1. Expérien<strong>ce</strong> optimale (autotélique) :exigen<strong>ce</strong>s de la tâche et compéten<strong>ce</strong>s élevéesSour<strong>ce</strong> : CSIKSZENTMIHALYI (1990)Cet état n’est pas relié à un résultat conséquent et extrinsèque à l’activité. Il émane aucontraire du plaisir inhérent et intrinsèque à l’activité. De <strong>ce</strong> fait, l’expérien<strong>ce</strong> de flow est uneexpérien<strong>ce</strong> optimale se caractérisant par une récompense intrinsèque (self-oriented reward)impliquant un sens profond d’enjouement, de joie et d’enrichissement (Csikszentmihalyi,1990). Selon Csikszentmihalyi, (2005) lorsque quelqu’un est capable d’affronter la vie avecun tel enthousiasme, de s’impliquer dans <strong>ce</strong> qu’il fait avec une telle ferveur, on peut direde lui ou d’elle que c’est une personnalité autotélique. « Autotélique » est un mot composéde deux racines grecques : autos (soi-même) et telos (but). Une activité est autotéliquelorsqu’elle est entreprise sans autre but qu’elle-même. Bien sûr, personne n’est à <strong>ce</strong>nt pour<strong>ce</strong>nt autotélique car nous sommes tous obligés, par né<strong>ce</strong>ssité ou par devoir, de faire <strong>des</strong>choses qui ne nous plaisent pas. Mais on peut établir une gradation entre les gens quin’ont presque jamais l’impression de se faire plaisir et <strong>ce</strong>ux qui considèrent presque tout <strong>ce</strong>qu’ils font comme important et valable en soi. C’est à <strong>ce</strong>s derniers que s’applique le termeautotélique (Csikszentmihalyi, 2005). Selon Pauchant et Chennoufi (2003) les personnesautotéliques considèrent – entre autres – les crises comme <strong>des</strong> opportunités d’apprentissageet de changement. Leurs caractéristiques sont les suivantes :– <strong>ce</strong>s personnes ont la conviction qu’elles sont responsables de leur <strong>des</strong>tin, mais sansvolonté de vouloir changer le monde selon leur ambition ;– elles portent une attention subtile au monde environnant, moins absorbées par leurspropres besoins et désirs ;– elles ont la capacité d’imaginer de nouvelles alternatives au lieu de suivre de façon rigideun but déterminé, souvent induit par la culture externe et <strong>des</strong> mécanismes de défenseindividuels et collectifs.Le premier aboutissement de l’apprentissage autotélique est d’axer la gestion <strong>des</strong> crises surla prévention, <strong>ce</strong> qui revient à intégrer la dimension de la santé et de la dignité humaines,ainsi que de la viabilité écologique, en tant qu’éléments tout aussi importants que les dimensionsfinancières ou productives, par exemple. Le second aspect est le refus d’énoncésimmuables et le souci de mettre en pla<strong>ce</strong> <strong>des</strong> pro<strong>ce</strong>ssus qui permettent l’émergen<strong>ce</strong> d’unenouvelle éthique collective (Pauchant et Chennoufi, 2003). Tous <strong>ce</strong>s éléments font vrai-212<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Déploiement d’une écologie de l’apprenan<strong>ce</strong> : vers une nouvelle culture de la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ?semblablement partie <strong>des</strong> conditions indispensables pour permettre le déploiement d’uneécologie de l’apprenan<strong>ce</strong> au sein <strong>des</strong> collectifs et <strong>des</strong> organisations. L’individu autotéliquepourrait être un ex<strong>ce</strong>llent catalyseur de l’efficacité collective.En effet, selon Csikszentmihalyi (2005), comme il n’a pas un grand besoin de possession,de distractions, de confort, de pouvoir ou de célébrité, car presque tout <strong>ce</strong> qu’il fait l’enrichitintérieurement, il est généralement très apprécié de ses pairs. Comme il expérimente le flowdans son travail, sa vie familiale, ses relations avec les autres, dans <strong>des</strong> activités banales dela vie quotidienne et même quand il est seul et inactif, il est moins dépendant <strong>des</strong> récompensesextérieures qui motivent les autres à se satisfaire d’un quotidien routinier, vide de sens.Il est plus autonome, plus indépendant, par<strong>ce</strong> qu’on ne le manipule pas facilement à coupde mena<strong>ce</strong>s ou de récompenses extérieures. En même temps, il est plus impliqué dans tout<strong>ce</strong> qui l’entoure par<strong>ce</strong> qu’il est pleinement investi dans le courant de la vie. Son énergie psychiqueparaît inépuisable, il est plus attentif, remarque plus de détails, s’intéresse volontiersà quelque chose sans en attendre de récompense immédiate. Il a une attitude joyeuse decuriosité, une volonté de comprendre, de résoudre <strong>des</strong> problèmes. Mais il a aussi un intérêtdésintéressé : son attention est dénuée d’ambition et d’objectifs personnels pour for<strong>ce</strong>r lachan<strong>ce</strong> d’appréhender la réalité selon ses propres termes.Comme ils sont moins préoccupés d’eux-mêmes, ils investissent plus d’énergie psychiquedans leur rapport à la vie. Les individus créatifs sont généralement autotéliques et c’est par<strong>ce</strong>qu’ils disposent d’un surplus d’énergie psychique à investir dans <strong>des</strong> choses apparemmenttriviales qu’ils font <strong>des</strong> découvertes. (Csikszentmihalyi, 2005).Si apprendre est rarement une partie de plaisir, comprendre peut être totalement jubilatoire :d’ailleurs tous <strong>ce</strong>ux qui ont ressenti un jour <strong>ce</strong> violent sentiment savent qu’il l’a été encoreplus fort, au moment où ils ont pu le partager avec d’autres, et qu’ils ont pu constater qu’ilsétaient compris.La réaction physiologique peut d’ailleurs être si forte, comme un long frisson qui part dubas du dos pour dresser les cheveux sur la tête, qu’au moment où ils le ressentent, ils ontl’impression d’être transporté, « comme sur un petit nuage », parfois ému aux larmes, et enmême temps, paradoxalement, ils ont tout simplement le sentiment d’être (Csiksentmihalyi,2004, 2005). C’est vraisemblablement <strong>ce</strong> qui fait du métier d’enseignant un <strong>des</strong> plus beauxmétiers du monde, ou en tout cas, un <strong>des</strong> plus enthousiasmants pour <strong>ce</strong>ux qui ont le bonheurde vivre régulièrement <strong>ce</strong>t état psychologique optimal. Si les enseignants qui connaissent leflow sont souvent débordants d’activité, ne comptant jamais leurs heures, toujours prêts àinnover ou s’impliquer dans un nouveau projet, c’est tout simplement par<strong>ce</strong> qu’ils cherchenten permanen<strong>ce</strong> n’importe quelle occasion de recréer les conditions qui vont leur permettrede le ressentir à nouveau. Comme ils ont une meilleure santé émotionnelle (Amherdt, 2004),ils sont dans <strong>des</strong> dispositions qui les rendent souvent beaucoup plus créatifs que leurscollègues. Ils innovent parfois sans même s’en rendre compte, presque malgré eux. SelonCsikszentmihalyi (2006), l’engagement dans un pro<strong>ce</strong>ssus créatif donne la sensation devivre plus intensément, permet de ressentir un « sentiment de plénitude que nous attendonsde la vie et qui nous est si peu souvent offert. Seuls la sexualité, les sports, la musiqueet l’extase religieuse […] nous confèrent un sentiment aussi profond d’appartenan<strong>ce</strong> àun tout plus vaste que nous-mêmes » (Csiksentmihalyi, 2006). Selon Amherdt (2004), ens’appuyant sur les recherches faites sur le flow, le talent (Buckingham et Clifton, 2000)et la détresse psychologique (Brun, 2002), dans une population normale, nous devrionsretrouver une distribution «20/60/20» con<strong>ce</strong>rnant la qualité de la santé émotionnelle (c.f.tableau 1, p.214).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 213


J. HEUTTEMême en partant de l’hypothèse que <strong>ce</strong>tte répartition y soit moins favorable que dans unmonde « normal », compte tenu du nombre de professionnels employés, que <strong>ce</strong> soit dansl’administration <strong>ce</strong>ntrale, dans les servi<strong>ce</strong>s décon<strong>ce</strong>ntrés ou dans tous les établissementsscolaires et <strong>universitaire</strong>s, qu’ils soient enseignants, personnels d’encadrement, personnels<strong>des</strong> bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniciens ou ouvriers de servi<strong>ce</strong>s, il y avraisemblablement un vivier de plusieurs <strong>ce</strong>ntaines de milliers d’épicuriens de la connaissan<strong>ce</strong>au sein du système éducatif. Ils représentent une énergie positive potentielle, un capitalhumain, que l’institution gagnerait à valoriser.Dans les dix prochaines années, près de la moitié <strong>des</strong> enseignants et les deux tiers <strong>des</strong>personnels d’encadrement partiront en retraite. Si <strong>ce</strong>la peut constituer une opportunité pourfaciliter de nombreuses réformes, <strong>ce</strong>la peut aussi mettre en péril l’institution. Toutes lesadministrations, toutes les entreprises seront confrontées à <strong>des</strong> problèmes de recrutement :risque de mobilité importante, notamment pour les personnels les plus compétents pourlesquels de nombreuses opportunités peuvent s’ouvrir (Heutte, 2003).Tableau 1. Bilan de santé émotionnelle dans une population normaleA20 %Bonnesanté émotionnelleSe développe de manièreoptimalePerformants« Personnes clés »B60 %Partiellementen bonne santé émotionnellePartiellement en développementMoyennementperformantsC20 %Mauvaisesanté émotionnellePas du tout en développementPas du toutperformantsA : Les personnes autotéliques sur lesquelles toute organisation s’appuie, avant tout pour créer de la richesse (produits et servi<strong>ce</strong>s dequalité qui seront recherchés).C : Les personnes qui souffrent. À titre d’exemple, <strong>ce</strong> sont <strong>ce</strong>s personnes qui sont à l’origine de la plus grande partie <strong>des</strong> coûts liés auxabsen<strong>ce</strong>s globales dans une organisation.B : Les personnes qui représentent la majorité; elles se situent entre les deux autres types.Sour<strong>ce</strong> : AMHERDT (2004)En effet, quand l’atmosphère de travail d’une organisation se détériore, les premiers à partirsont les meilleurs employés, <strong>ce</strong>ux qui n’ont jamais <strong>ce</strong>ssé de déployer leurs compéten<strong>ce</strong>s etqui aiment se tenir à jour dans un domaine d’activité qui les passionne. Pour les meilleursenseignants, il y aura notamment de plus en plus d’opportunités dans les organismes de<strong>formation</strong> d’adultes (puisque hors de l’Éducation nationale, la <strong>formation</strong> permanente estperçue comme étant stratégique). Resteront <strong>ce</strong>ux qui se sont assoupis au travail et quicontinueront de se désespérer de pouvoir capter l’intérêt d’un autre employeur potentiel(QUINTY, 2004). Comme de nombreuses organisations, l’Éducation nationale risqued’être très déstabilisée par <strong>ce</strong>tte forte diminution de son capital immatériel (humain etstructurel). Identifier les personnels porteurs de connaissan<strong>ce</strong>s critiques, et les valoriser,peut être un moyen de mieux former les futurs enseignants et de renouveler en internela chaîne de management. Compte tenu de la période de turbulen<strong>ce</strong> qui s’annon<strong>ce</strong>, de laconcurren<strong>ce</strong> directe avec les autres secteurs de l’économie, il apparaît clairement que lapromotion interne permettra d’éviter la fuite <strong>des</strong> personnels les plus aptes pour <strong>des</strong> tâchesde <strong>formation</strong> ou d’encadrement, tout en rendant les métiers de l’Éducation nationale plusattractifs, en mettant en éviden<strong>ce</strong> un potentiel d’évolution de carrière important (Heutte,2003). Selon Alécian (2001), la qualité de servi<strong>ce</strong> perçue n’est que le reflet de la qualité dumanagement et de l’organisation interne : 80 % <strong>des</strong> causes de non-qualité sont imputables214<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Déploiement d’une écologie de l’apprenan<strong>ce</strong> : vers une nouvelle culture de la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ?à l’action de l’encadrement. Avec le renouvellement massif dans les dix années à venir <strong>des</strong>personnels d’encadrement, la marge de progression vers une amélioration du système estpotentiellement importante, à condition de pouvoir procéder à <strong>des</strong> recrutements de qualitéet de pouvoir conserver les éléments les meilleurs.Selon la théorie sociale cognitive de Bandura (1986), l’apprentissage vicariant contribuefortement à renfor<strong>ce</strong>r le sentiment d’efficacité collective (Bandura, 2003). Pour Alinsky (1969,1971) pour initier la capacitation collective, il est stratégique d’identifier, puis de s’appuyersur <strong>des</strong> membres de la communauté (au besoin en les formant) qui ont capacité à construireune communauté autodirigée qui unifie, facilite et motive ses membres. Toute la difficulté estd’identifier et de promouvoir les “bons” candidats : les autotéliques semblent bien placés.Selon Amherdt (2004), comme ils sont en bonne santé émotionnelle, ils sont portés à« contaminer positivement » leur entourage en l’incitant à vivre aussi du flow dans leur travail :ils contribuent à réduire le chaos psychologique (ou entropie psychique) dans la conscien<strong>ce</strong><strong>des</strong> gens qu’ils côtoient (Csiksentmihalyi, 2005). Les travailleurs d’expérien<strong>ce</strong> en bonnesanté émotionnelle sont donc appelés à devenir <strong>des</strong> mentors et <strong>des</strong> coachs très recherchéset très appréciés (Amherdt, 2005), car dans un contexte d’apprentissage social en réseau depairs et d’experts (Heutte, 2005), en alternan<strong>ce</strong> avec <strong>des</strong> épiso<strong>des</strong> autodidactiques (Cyrot,2006), ils jouent un rôle essentiel dans la “métabolisation” de l’expérien<strong>ce</strong> en apprentissage(Carré, 2003) et leur présen<strong>ce</strong> favorise grandement l’efficacité collective <strong>des</strong> communautés(Heutte, Casteignau, 2006).La réussite repose aussi en grande partie sur une meilleure professionnalisation <strong>des</strong>acteurs de la <strong>formation</strong>, de l’évaluation et de la gestion <strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s humaines : avoir<strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s académiques et/ou disciplinaires ne donne a priori aucune garantieintrinsèque de la maîtrise <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s de formateur, ou de personneld’encadrement. Dans la perspective de la « masterisation » de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants,afin de pouvoir mettre en pla<strong>ce</strong>, pour la <strong>formation</strong> initiale comme pour la <strong>formation</strong>permanente, <strong>des</strong> dispositifs et <strong>des</strong> servi<strong>ce</strong>s à la hauteur <strong>des</strong> attentes et <strong>des</strong> besoins, il vaêtre <strong>ce</strong>rtainement né<strong>ce</strong>ssaire, là aussi, d’identifier et de former <strong>des</strong> personnels ayant unhaut niveau de qualification <strong>professionnelle</strong>, résolument ancrés dans la société cognitive,compétents dans le domaine du rapport au savoir et en matière de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> adultes ;et surtout, en mesure de participer à la définition d’un métier plus attrayant, plus ouvert surla création, l’imagination et l’innovation (Obin, 2003).BibliographieALÉCIAN S., FOUCHER D. (1996) Guide du management dans le servi<strong>ce</strong> public. LesÉditions d’Organisation.ALÉCIAN S. (2002) Par-delà la conduite du changement : « Le rafting management » - Lalettre d’Innoven<strong>ce</strong> n° 15.ALEM J. (2003) La valeur de l’appréciation par simulation APS. pour prédire le succès initialen enseignement <strong>des</strong> candidats aux étu<strong>des</strong> en éducation. Université Laval.ALINSKY S. (1969) Reveille for Radicals. New York, Vintage.ALINSKY S. (1971) Rules for Radicals. New York, Vintage.AMHERDT C.-H. (2004) Le mentorat virtuel au servi<strong>ce</strong> de la gestion de la relève <strong>des</strong> cadressupérieurs. Rapport de recherche auprès <strong>des</strong> organismes qui l’ont financé : Ressour<strong>ce</strong>s<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 215


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Le C2i2e dans une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>et <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignantsCatherine Loisy<strong>IUFM</strong> de BretagneCRPCC – CREAD – ACI GUPTEnL’objet de <strong>ce</strong>tte communication est d’étayer, à travers l’analyse <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s définiesdans les référentiels précisant les compéten<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> enseignants et du point de vued’acteurs de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants, l’idée que le C2i2e (Certificat Informatique etInternet de niveau 2 Enseignants) peut contribuer à renfor<strong>ce</strong>r les caractéristiques qui fontde l’enseignement une profession, la profession <strong>des</strong> enseignants, la mise en pla<strong>ce</strong> du C2i2edans les <strong>IUFM</strong> pouvant alors fournir une occasion de renfor<strong>ce</strong>r les caractères professionnelet <strong>universitaire</strong> de la <strong>formation</strong>.Nous définissons tout d’abord <strong>ce</strong> que nous entendons par « <strong>universitaire</strong> » et par « professionnel». En tant qu’institut <strong>universitaire</strong>, les <strong>IUFM</strong> dispensent une <strong>formation</strong> de haut niveauscientifique renforcée dès leur création par le recrutement d’enseignants-chercheurs. Parlerde <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> renvoie donc à la question <strong>des</strong> savoirs, et, plus particulièrement à<strong>ce</strong> que Barbier (e.g. 1996) nomme « savoirs théoriques » issus de la recherche et à la pla<strong>ce</strong>qui doit leur revenir dans la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants. Par ailleurs, l’université privilégieles approches critiques et réflexives plus que l’inculcation de savoirs ou l’automatisation deprocédures. Dès leur création, les <strong>IUFM</strong> ont été incités à penser l’articulation <strong>des</strong> savoirsthéoriques et <strong>des</strong> savoirs d’action et à faire en sorte que se développe une attitude réflexivechez les stagiaires. Des modalités d’analyse de pratique ont été mises en oeuvre pour répondreà <strong>ce</strong>s objectifs, modalités qui renfor<strong>ce</strong>nt, par le fait qu’elles développent la prise derecul et la réflexion, le caractère <strong>universitaire</strong> de la <strong>formation</strong> (e.g., Nadot, 1998).Cependant, le terme <strong>universitaire</strong> ne peut être relié au seul niveau <strong>des</strong> savoirs dispenséset à la distanciation par rapport aux savoirs mais également à la production de savoirs :nous pensons que les <strong>IUFM</strong> ont un caractère <strong>universitaire</strong> par<strong>ce</strong> que <strong>des</strong> savoirs nouveauxy sont attendus et produits en lien avec l’enseignement et la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> futurs maîtrescar les situations d’enseignement questionnent la recherche comme l’ont montré les cinqcolloques Recherche et Formation. Le niveau <strong>universitaire</strong> est conforté dans <strong>ce</strong>rtains<strong>IUFM</strong> par leur association à <strong>des</strong> laboratoires de recherche, <strong>ce</strong>ci devenant d’ailleurs unecondition né<strong>ce</strong>ssaire dans le contexte de l’intégration de la <strong>formation</strong> dans <strong>des</strong> masters, <strong>ce</strong>sderniers devant être adossés à <strong>des</strong> laboratoires reconnus. L’intégration <strong>des</strong> <strong>IUFM</strong> dans lesuniversités renfor<strong>ce</strong> également la reconnaissan<strong>ce</strong> du caractère <strong>universitaire</strong> de la <strong>formation</strong><strong>des</strong> enseignants.Nous montrons maintenant que les <strong>IUFM</strong> dispensent une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> enarticulant les attributs <strong>des</strong> professions en opposition aux métiers et les caractéristiques <strong>des</strong><strong>formation</strong>s dispensées à l’attention <strong>des</strong> stagiaires. Une profession a <strong>des</strong> caractéristiquesspécifiques au niveau <strong>des</strong> savoirs et de l’éthique ainsi qu’au niveau de la reconnaissan<strong>ce</strong>institutionnelle. Les enseignants doivent posséder une culture étendue mais aussi <strong>des</strong> savoirsapprofondis qui sont complexes, savoirs pour enseigner qui sont renforcés précisément dansle contexte de la professionnalisation <strong>des</strong> métiers (Altet, 2000) articulés avec <strong>des</strong> savoirsliés à <strong>ce</strong> qu’ils enseignent, savoirs disciplinaires et savoirs didactiques. Ces connaissan<strong>ce</strong>s<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 221Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (221-231) Tome 2


C. LOISYlarges et profon<strong>des</strong> qui constituent un attribut <strong>des</strong> professions (e.g. Bourdoncle, 1991) sontdispensées aux stagiaires en <strong>IUFM</strong>. Par ailleurs, les enseignants doivent respecter un codemoral, une éthique propre aux professionnels. Or, selon Perrenoud (1993, page 2), « laprofessionnalisation s’accroît lorsque, dans le métier, la mise en œuvre de règles préétabliescède la pla<strong>ce</strong> à <strong>des</strong> stratégies orientées par <strong>des</strong> objectifs et une éthique ». Pour former <strong>des</strong>professionnels la <strong>formation</strong> en <strong>IUFM</strong> privilégie la construction de gestes professionnels etle développement d’une attitude réflexive (Schön, 1983) et non l’accumulation de savoirsou la transmission de trucs et astu<strong>ce</strong>s pour sortir de situations difficiles. Le recrutement surconcours et la qualification en fin de <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> constituent un système decontrôle permettant de garantir la maîtrise <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s, le niveau <strong>des</strong> capacités etla construction <strong>des</strong> attitu<strong>des</strong> attendues chez les enseignants. L’existen<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong> contrôleinstitutionnel est une <strong>des</strong> conditions pour parler de profession (Aballea, 1992). Ainsi,même si les enseignants vivent parfois leur profession comme menacée au niveau dela reconnaissan<strong>ce</strong> sociétale de leurs systèmes d’expertise et de référen<strong>ce</strong>s, pour nousl’enseignement est une profession.Nous venons de montrer qu’en diffusant <strong>des</strong> savoirs issus de la recherche et en mettant enœuvre <strong>des</strong> modalités de <strong>formation</strong> <strong>ce</strong>ntrées sur la professionnalisation, les <strong>IUFM</strong> visent àatteindre le double objectif d’une <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> et <strong>professionnelle</strong> <strong>des</strong> enseignantsmais la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres connaît actuellement <strong>des</strong> mutations liées notamment àl’introduction de référentiels de compéten<strong>ce</strong>s, référentiels qui, d’une part favorisent l’entréepar les compéten<strong>ce</strong>s et, d’autre part, renfor<strong>ce</strong>nt la pla<strong>ce</strong> <strong>des</strong> technologies de l’in<strong>formation</strong>et de la communication dans la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants. Cette situation nouvelle réveillele spectre béhavioriste et la crainte de voir réapparaître une atomisation <strong>des</strong> savoirs enclasse et dans la <strong>formation</strong>. Cette situation peut aussi être vécue comme une mena<strong>ce</strong>, lerisque étant notamment <strong>ce</strong>lui de la perte d’autonomie <strong>des</strong> enseignants à qui on fournirait« la » boîte à outils pédagogique leur permettant d’échapper à la complexité de leur travail(Clénet & Poisson, 2005) en les réduisant aux rôles de simples exécutants. Si la maîtrise<strong>des</strong> savoirs de haut niveau, la prise de recul sur les savoirs et sa pratique et le besoin <strong>des</strong>avoirs nouveaux n’étaient plus né<strong>ce</strong>ssaires aux enseignants, on se trouverait dans <strong>ce</strong>que Perrenoud (1993, p. 9) nomme « la voie de la “prolétarisation” du corps enseignant »,enseigner ne serait plus une profession au sens où nous l’avons défini, partant, la <strong>formation</strong>subirait <strong>des</strong> mutations qui mena<strong>ce</strong>raient ses caractères professionnel et <strong>universitaire</strong>.Le contexte de la recherche est <strong>ce</strong>lui de la mise en pla<strong>ce</strong>, dans les <strong>IUFM</strong> de Fran<strong>ce</strong>, du C2i2equi désigne et spécifie un référentiel de compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s dans le domaine<strong>des</strong> technologies de l’in<strong>formation</strong> et de la communication pour l’éducation. Le C2i2e a étéexpérimenté au cours de l’année <strong>universitaire</strong> 2004-2005 dans <strong>des</strong> <strong>IUFM</strong> volontaires, puis,il est entré en phase de généralisation avec l’implication de tous les <strong>IUFM</strong> (2005-2006) puisde tous les stagiaires (2006-2007). Nous nous interrogeons sur les effets potentiels <strong>des</strong>changements en cours sur les caractères <strong>universitaire</strong> et professionnel de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong>enseignants à travers <strong>ce</strong>rtaines analyses <strong>des</strong> référentiels nouvellement introduits dans la<strong>formation</strong> et à travers l’analyse thématique <strong>des</strong> discours <strong>des</strong> acteurs de la <strong>formation</strong>.Nous posons comme hypothèse que le C2i2e peut fournir une occasion de renfor<strong>ce</strong>r lescaractères <strong>universitaire</strong> et professionnel de la <strong>formation</strong> mais nous ne perdons pas de vueque « les curricula les mieux pensés et les didactiques <strong>professionnelle</strong>s les plus séduisantesn’auront aucune vertu si les formateurs ne sont pas à la hauteur » (Altet, Paquay & Perrenoud,2002).222<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Le C2i2e dans une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> et <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignantsMéthodologieLe matériel empirique est constitué de questionnaires et d’entretiens recueillis dans le cadrede la recherche que nous conduisons sur l’instauration du C2i2e dans les <strong>IUFM</strong> de Fran<strong>ce</strong>depuis janvier 2005 . Les questionnaires ont été adressés aux <strong>IUFM</strong> et renseignés par lescorrespondants C2i2e <strong>des</strong> <strong>IUFM</strong>. Vingt-quatre entretiens semi–directifs ont été conduitsauprès de divers acteurs de la <strong>formation</strong> dans huit <strong>IUFM</strong> sur les trente et un existants. Lesentretiens ont duré de quarante-cinq minutes à une heure et demie selon les sujets. Lorsde la première année, trois populations étaient interrogées, représentant de la direction,correspondant C2i2e et un formateur dans chacun <strong>des</strong> quatre <strong>IUFM</strong> où nous sommes allée.Au cours de la seconde année, nous avions trois populations de formateurs, <strong>des</strong> formateursne participant pas au C2i2e, <strong>des</strong> formateurs TICE qui y participaient et <strong>des</strong> formateurs quiy participaient sans être formateurs TICE. Ces entretiens se sont déroulés dans quatre<strong>IUFM</strong> autres que <strong>ce</strong>ux de l’année précédente et ont été conduits par deux chercheurs . Lesentretiens ont été enregistrés et intégralement retranscrits. A partir <strong>des</strong> données recueillies,nous avons fait une analyse thématique <strong>des</strong> discours <strong>des</strong> sujets selon les thèmes abordés.Nous avons fait le choix de ne pas nous <strong>ce</strong>ntrer seulement sur la recherche d’invariants maisd’avoir une approche plutôt compréhensive. De <strong>ce</strong> fait, nous ne prenons pas en compte lesseules déclarations communes à tous les sujets, au contraire, nous nous intéressons à ladiversité <strong>des</strong> points de vue singuliers sus<strong>ce</strong>ptibles d’apporter un éclairage nouveau.Une analyse <strong>des</strong> référentiels de compéten<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> enseignants, compéten<strong>ce</strong>s C2i2e etcompéten<strong>ce</strong>s définies dans le nouveau cahier <strong>des</strong> charges de la <strong>formation</strong> est égalementconduite. Con<strong>ce</strong>rnant les compéten<strong>ce</strong>s du cahier <strong>des</strong> charges, nous proposons une approcheoriginale fondée sur les effets liés à la position sérielle <strong>des</strong> items et à ses impacts sur lamémorisation. Con<strong>ce</strong>rnant le référentiel C2i2e, nous en avons questionné les contenus enlien avec la définition que nous avons donnée de la professionnalité.Technologies et mutations dans la professionnalitéNous avons relevé l’existen<strong>ce</strong>, dans les discours <strong>des</strong> sujets, de <strong>ce</strong> qui nous a semblé être<strong>des</strong> indicateurs de l’expression de mutations dans la professionnalité <strong>des</strong> enseignants, <strong>des</strong>activités et de la profession elle-même en lien avec les technologies.Des craintes de disparition de la profession enseignante en lien avec l’intégration <strong>des</strong> TICEpersisteraient « Ils ont l’impression que, dès qu’on leur parle TICE, on va immédiatementrempla<strong>ce</strong>r tout <strong>ce</strong> qu’on faisait par <strong>des</strong> ordinateurs, voire même l’enseignant » mais <strong>ce</strong> pointde vue n’est émis que par un seul sujet qui l’attribue à d’autres personnes que lui-même.Aucun <strong>des</strong> sujets interrogés ne pense que les technologies pourraient rempla<strong>ce</strong>r lesenseignants, il faut souligner que les répondants sont tous défenseurs <strong>des</strong> technologies,même <strong>ce</strong>ux qui ne sont pas impliqués dans le C2i2e.Con<strong>ce</strong>rnant les activités, l’intégration <strong>des</strong> technologies dans les séan<strong>ce</strong>s d’enseignement estdifficile car les produits informatiques ont leur logique propre et ne peuvent pas être intégréssans une adaptation qui conditionne les relations que peuvent faire les élèves entre le travailfait en classe et le travail sur machine (Mangenot, 2003). Les TICE conduisent à une plus Cette recherche bénéficie d’un finan<strong>ce</strong>ment de la SD-TICE du MEN. Jean-Luc Rinaudo participe à l’étude du C2i2e et à la rédaction du rapport annuel lors de la phase degénéralisation.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 223


C. LOISYgrande formalisation et une plus grande rationalisation <strong>des</strong> activités d’enseignement avec,notamment, la construction de scénarios didactiques qui organisent précisément temps,espa<strong>ce</strong> et environnement d’apprentissage, qui définissent et contrôlent l’activité (Tricot &Plégat- Soutjis, 2003). On trouve <strong>des</strong> exemples de scénarios élaborés chez les formateursd’enseignants « …j’ai une chaîne de <strong>formation</strong> qui consiste à les faire réfléchir didactiquementau problème, ensuite leur faire scénariser la séquen<strong>ce</strong> de classe, puis leur faire scénariserun outil informatique simple qui sera utilisé dans <strong>ce</strong>tte séan<strong>ce</strong>, leur faire fabriquer l’outil etleur faire tester en classe », mais <strong>ce</strong>s scénarios incorporés sont rares.Con<strong>ce</strong>rnant la professionnalité <strong>des</strong> enseignants, il semble qu’enseigner avec les TICEproduise <strong>des</strong> modifications plus profon<strong>des</strong> « Bon, alors, la période d’adaptation aux techniques/ je crois qu’elle est facile et rapide / par contre repenser sa pédagogie et sa structurepédagogique en utilisant les technologies / ça c’est un travail en profondeur/ d’analyse etde réflexion sur soi et sur ses pratiques, et puis sur les statuts de <strong>ce</strong> que sont la culture, lesavoir, le savoir-faire, les apprentissages, ça c’est vrai que c’est un autre travail. »Con<strong>ce</strong>rnant les formateurs <strong>IUFM</strong>, il semble que la ligne de partage entre <strong>ce</strong>ux qui utilisentles technologies dans les <strong>formation</strong>s et les autres se dépla<strong>ce</strong> « Il y a / les hyper experts, lestechnophiles, c’est le fer de lan<strong>ce</strong> // il y a un deuxième groupe qui constitue maintenant uneforte minorité / <strong>des</strong> formateurs qui / vont au-delà / <strong>des</strong> usages personnels / qui ne conçoiventplus de faire cours sans un vidéo–projecteur / qui se battent les salles informatiques, quimettent leurs cours en ligne // il y a une autre forte minorité de formateurs qui eux sont plutôtsur <strong>des</strong> usages personnels et non professionnels mais qui sont peu hostiles // puis il y aune petite minorité / <strong>des</strong> formateurs qui sont vraiment / <strong>des</strong> résistants / il y a un refus <strong>des</strong>technologies qui sont associées à <strong>des</strong> formes de prolétarisation ou de contrôle de l’activitédu formateur. ». Il apparaît, dans les discours <strong>des</strong> répondants, que les réfractaires seraientde moins en moins nombreux mais il est vrai que les formateurs <strong>IUFM</strong> constituent un groupeparticulier d’enseignants aux pratiques variées en raison notamment de la grande diversité<strong>des</strong> tâches qui leur incombent et de la diversité <strong>des</strong> dispositifs dans lesquels ils interviennent(Altet, Paquay & Perrenoud, 2002).Des compéten<strong>ce</strong>s pour <strong>des</strong> professionnelsNous allons montrer maintenant que les compéten<strong>ce</strong>s définies dans le référentiel C2i2e etles compéten<strong>ce</strong>s attendues en fin de <strong>formation</strong> initiale qui ont été définies dans le cahier <strong>des</strong>charges de la <strong>formation</strong> paru au Journal Officiel du 28 dé<strong>ce</strong>mbre 2006 soutiennent l’idéeque l’enseignement est une profession.Compéten<strong>ce</strong>s du cahier <strong>des</strong> charges et professionnalité <strong>des</strong> enseignantsNous avons défendu l’idée que l’enseignement est une profession et nous étayons <strong>ce</strong> pointde vue à travers une approche du nouveau cahier <strong>des</strong> charges de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres quidéfinit les dix compéten<strong>ce</strong>s attendues en fin de <strong>formation</strong> initiale. Ce qui nous avait frappée à lapremière lecture était l’ordre de présentation <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s, les compéten<strong>ce</strong>s attenduescomme maîtriser la discipline ou mettre en oeuvre son enseignement n’apparaissant ni àla position initiale, ni à la fin, dans une sorte de cres<strong>ce</strong>ndo. En référen<strong>ce</strong> à nos recherchesantérieures (Loisy, 1998), il nous a semblé intéressant d’aller étudier la position sérielle <strong>des</strong>items en lien avec leur probabilité de rappel.224<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Le C2i2e dans une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> et <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignantsIl existe une plus grande efficacité de la mémoire sur les premiers mots et les derniers motsde listes à rappeler dans les tâches de mémoire à court terme. Ces effets liés à la positionsérielle nommés effet de primauté pour la proportion de rappel <strong>des</strong> premiers mots et effet deré<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong> pour la proportion de rappel <strong>des</strong> derniers mots ont été mis en éviden<strong>ce</strong> en mémoireà long terme (Asch, 1946 ; Watkins & Peynircioglu, 1983).Figure 1. Courbes de rappel d’items ordonnésCertes, les compéten<strong>ce</strong>s ne sont pas numérotées dans le cahier <strong>des</strong> charges et il ne leurest pas attribué de poids relatif puisqu’elles sont « toutes également indispensables », mais,du fait que les compéten<strong>ce</strong>s sont ordonnées, nous considérons que nous devrions retrouverles effets de position sérielle, c’est-à-dire que les premiers et les derniers items devraientêtre plus facilement rappelés.La compéten<strong>ce</strong> qui apparaît en premier lieu est « Agir en fonctionnaire de l’État et de façonéthique et responsable », position qui favorise sa mémorisation, de plus, son importan<strong>ce</strong>est renforcée par le fait qu’elle est définie avec 663 mots , soit la plus longue définition.Les deux compéten<strong>ce</strong>s suivantes sont « Maîtriser la langue française pour enseigner etcommuniquer » et « Maîtriser les disciplines et avoir une bonne culture générale ». Nousrelevons que la maîtrise <strong>des</strong> disciplines arrive en troisième position seulement et que l’effetdisciplinaire est atténué par la présen<strong>ce</strong>, dans le même intitulé d’une référen<strong>ce</strong> à la culturegénérale.La compéten<strong>ce</strong> présentée en dernière position « Se former et innover » est, en revanche,définie en seulement 161 mots, soit le plus petit nombre. La pénultième est « Travailler enéquipe et coopérer avec les parents et les partenaires de l’école » qui, avec 531 mots, arriveen seconde position sur le critère du nombre de mots la définissant. L’antépénultième est «Maîtriser les technologies de l’in<strong>formation</strong> et de la communication ».Les compéten<strong>ce</strong>s apparaissant dans les positions <strong>ce</strong>ntrales sont « Con<strong>ce</strong>voir et mettre enœuvre son enseignement », « Organiser le travail de la classe », « Prendre en compte ladiversité <strong>des</strong> élèves » et « Évaluer les élèves ». Le nombre moyen de mots dans les définitions <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s est 337.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 225


C. LOISYLes compéten<strong>ce</strong>s dont la position sérielle peut favoriser la rétention selon l’hypothèse quenous défendons renvoient à <strong>des</strong> éléments clés de la professionnalité : l’étendue <strong>des</strong> savoirs,l’éthique, la prise en compte de la complexité de la <strong>formation</strong>. Les <strong>IUFM</strong> qui assurentla <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> initiale <strong>des</strong> enseignants devront évaluer les enseignantsstagiaires à partir de <strong>ce</strong> référentiel et, en amont, les former à travers <strong>des</strong> modalités de<strong>formation</strong> professionnalisantes. Notons que notre propos n’est pas de die que de factoles compéten<strong>ce</strong>s de début et de fin de liste feront l’objet de temps de <strong>formation</strong> accrusni qu’elles bénéficieront de modalités d’évaluation spécifiques. Nous voulons simplementdire que leur position sérielle favorisera leur rétention et leur rappel et que, bien que neconnaissant pas les conditions d’écriture de <strong>ce</strong> référentiel, nous pouvons assurer que lefait de favoriser leur rappel conforte leur importan<strong>ce</strong> ; d’ailleurs, au cours du colloque FPU,nous avons relevé que seules les compéten<strong>ce</strong>s 1 « Agir en fonctionnaire de l’État et defaçon éthique et responsable », 10 « Se former et innover » et plus occasionnellement 2« Maîtriser la langue française pour enseigner et communiquer » du cahier <strong>des</strong> charges ontété citées lors <strong>des</strong> conféren<strong>ce</strong>s et différents ateliers auxquels nous avons assisté.Compéten<strong>ce</strong>s C2i2e et professionnalité <strong>des</strong> enseignantsNous présentons <strong>ce</strong>tte analyse après <strong>ce</strong>lle qui portait sur le cahier <strong>des</strong> charges car lescompéten<strong>ce</strong>s liées aux TICE sont une partie <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> enseignants, mais nousrappelons que le référentiel C2i2e est antérieur à <strong>ce</strong>lui du cahier <strong>des</strong> charges.Nous défendons l’idée que les compéten<strong>ce</strong>s C2i2e renfor<strong>ce</strong>nt, elles aussi, la professionnalité<strong>des</strong> enseignants. Nous proposons de le montrer à travers <strong>des</strong> éléments clés qui différencientles professions <strong>des</strong> métiers : l’étendue <strong>des</strong> savoirs, l’éthique <strong>professionnelle</strong>, l’autonomie.Par ailleurs, nous interrogeons également le texte <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s C2i2e sur l’existen<strong>ce</strong>d’éléments qui pourraient conduire à <strong>des</strong> renfor<strong>ce</strong>ments ou <strong>des</strong> trans<strong>formation</strong>s de l’identité<strong>des</strong> enseignants.Le domaine A2 « Développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s pour la <strong>formation</strong> tout au long dela vie » est dédié à l’actualisation <strong>des</strong> savoirs, nous relevons la « veille pédagogiqueet institutionnelle » (A23). Dans le référentiel, il est aussi fait trois fois référen<strong>ce</strong> à lacommunication et les occurren<strong>ce</strong>s sont dans trois domaines différents, A1, A3 et B2.L’éthique <strong>professionnelle</strong> est directement présente dans le domaine A3 « Responsabilité<strong>professionnelle</strong> dans le cadre du système éducatif », les aspects juridiques sont soulignésavec les « règles », « lois » et « charte d’usage » ; con<strong>ce</strong>rnant <strong>ce</strong>tte dernière, l’enseignantdoit la « Respecter et faire respecter », se comportant alors lui-même comme un modèle.Con<strong>ce</strong>rnant l’autonomie de l’enseignant, il lui est demandé de « choisir » les ressour<strong>ce</strong>s, lesoutils, les supports, les médias. L’informatique et l’Internet ouvrent de nouvelles possibilitésd’action mais le choix qui doit être opéré constitue une difficulté supplémentaire et nousconsidérons que le C2i2e augmente la complexité autour de la préparation de la classe.Par ailleurs, l’enseignant est responsable de sa propre <strong>formation</strong>, il doit se « constituer »<strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s, « produire » <strong>des</strong> documents, « con<strong>ce</strong>voir » <strong>ce</strong> qui permettra aux élèvesd’apprendre.Ainsi, le référentiel C2i2e définit <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s qui renfor<strong>ce</strong>nt la professionnalité tantau niveau de ses propres savoirs que l’enseignant se doit d’actualiser tout au long de sacarrière, de son éthique élargie à la connaissan<strong>ce</strong> de la législation, que de son autonomie. CIRCULAIRE N°2005-222 DU 19-12-2005.226<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Le C2i2e dans une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> et <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignantsNous avons remarqué que d’autres éléments du référentiel C2i2e pourraient donner uneimpulsion pour <strong>des</strong> renfor<strong>ce</strong>ments ou <strong>des</strong> trans<strong>formation</strong>s identitaires. Con<strong>ce</strong>rnant lesrenfor<strong>ce</strong>ments, nous avons relevé <strong>des</strong> éléments verbaux comme le pronom personnelréfléchi se ou s’ et les adjectifs possessifs son et sa. Ces éléments sont au nombre dedix dans le seul texte de définition <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s, sans entrer dans le détail <strong>des</strong>connaissan<strong>ce</strong>s, capacités et attitu<strong>des</strong>. Cela se retrouve à propos de l’auto<strong>formation</strong> « Utiliser<strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s… pour sa <strong>formation</strong> » (A21) et à propos <strong>des</strong> enseignements à prodiguer« Pratiquer une veille… con<strong>ce</strong>rnant son domaine, sa discipline, son niveau d’enseignement »(A23), insistan<strong>ce</strong>s sur l’auto<strong>formation</strong> et sur la veille pédagogique qui renfor<strong>ce</strong>nt également,selon nous, l’éthique <strong>professionnelle</strong>. La présen<strong>ce</strong> du pronom personnel réfléchi ainsi quele choix d’utiliser <strong>des</strong> adjectifs possessifs personnalisent l’enseignant et soutiennent sonengagement professionnel.Con<strong>ce</strong>rnant les trans<strong>formation</strong>s identitaires, nous faisons référen<strong>ce</strong> à la dimension collectivede la profession enseignante. Le domaine B1 « Travail en réseau avec l’utilisation <strong>des</strong> outilsde travail collaboratif » définit les compéten<strong>ce</strong>s collectives autour <strong>des</strong> TICE, il est égalementquestion d’échanges dans les items d’autres domaines du référentiel « Communiquer avecles acteurs et usagers » (A14) « réseaux d’échanges » (A23), « différents <strong>des</strong>tinataires »(A31), « S’intégrer dans une démarche collective » (B42). Enfin, le référentiel C2i2e faitallusion à un territoire dépassant <strong>ce</strong>lui de la classe ou de l’établissement « circonscription,bassin, académie, niveau national » (A11), « espa<strong>ce</strong>s de diffusion » (A31). Les deuxdomaines A et B et de nombreux champs font référen<strong>ce</strong> à la dimension collective de laprofession et en suggérant ainsi d’élargir le milieu de travail à d’autres espa<strong>ce</strong>s et à d’autresacteurs, nous considérons que le C2i2e contribue à renfor<strong>ce</strong>r le caractère professionnelde l’enseignement. Nous avons classé <strong>ce</strong>s éléments dans les trans<strong>formation</strong>s et <strong>ce</strong>ci peutsembler paradoxal alors que la dimension collective de la profession était déjà valoriséedans la loi d’orientation de 1989, l’école étant conçue comme un lieu social où s’exer<strong>ce</strong> uneactivité collective. Si nous considérons qu’il s’agit encore, en 2007, de trans<strong>formation</strong>, c’estpar<strong>ce</strong> que les pratiques collectives restent rares chez les enseignants qui conçoivent leurprofession comme plutôt solitaire. Un répondant dit dans un entretien « c’est une professionlibérale à statut public / c’est à dire qu’il gère / il est dans un métier quand même extrêmementsolitaire dans la fabrication de ses cours » et nous pourrions donner de nombreux exemplesextraits <strong>des</strong> entretiens que nous avons conduits qui montrent que le travail <strong>des</strong> enseignantsreste individuel.Ces compéten<strong>ce</strong>s doivent être travaillées en <strong>formation</strong> mais le travail collaboratif peineà rentrer dans les mœurs, même chez les formateurs « il y a peu de travail d’équipe / onprône le travail d’équipe / mais on n’en est pas un modèle /// on prône les plates-formes letravail collaboratif / mais pour être sur un travail collaboratif il faut avoir un projet / un projetd’équipe / c’est peut-être pour ça que ça ne fonctionne pas comme il faut ».Un renfor<strong>ce</strong>ment du caractère <strong>universitaire</strong> de la <strong>formation</strong>Le caractère <strong>universitaire</strong> d’une <strong>formation</strong> se manifeste d’une part par le besoin et la productionde savoirs nouveaux, d’autre part, par une approche réflexive sur les savoirs. Nous avonsanalysé les discours <strong>des</strong> sujets en prenant <strong>ce</strong>s caractéristiques comme entrée.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 227


C. LOISYBesoin et production de savoirs nouveauxLes technologies de l’in<strong>formation</strong> et de la communication se sont développées dans lasociété, néanmoins, le Brevet Informatique et Internet à <strong>des</strong>tination <strong>des</strong> élèves de primaire,de collège et de lycée (Gentil & Lévy, 2004) ainsi que le C2i de niveau 1 (Cochard, 2005)tardent à se généraliser. En formant et en validant les compéten<strong>ce</strong>s C2i2e <strong>des</strong> nouveauxenseignants, la SDTICE entend donner une impulsion au développement <strong>des</strong> technologies del’in<strong>formation</strong> et de la communication dans l’éducation et à la validation du B2i par les élèves.En quelque sorte, les questions se trouvent reportées dans la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants.Nous ne pouvons pas passer en revue ici tous les besoins exprimés dans les donnéesque nous avons recueillies (Loisy, 2005 ; Loisy & Rinaudo, 2006) ; nous présentons doncuniquement <strong>ce</strong>lles qui con<strong>ce</strong>rnent les besoins de savoirs nouveaux exprimés par les acteursde la <strong>formation</strong> en <strong>IUFM</strong>.Pour favoriser l’intégration <strong>des</strong> TICE, il faut convaincre les enseignants de leur utilité « Ils’agit de <strong>ce</strong>rner les situations d’apprentissage d’élèves où l’emploi <strong>des</strong> TICE amène un plusdidactique au sens large ». La recherche doit se saisir de <strong>ce</strong>s questions. « Je crois que lerecours aux TICE dans les pratiques <strong>professionnelle</strong>s <strong>des</strong> profs avec les élèves, ça doitêtre quelque chose qui est conçu comme un accélérateur et une plus-value parfaitementidentifiée par les profs qui ont recours aux TICE / La difficulté est là, il y a un discours trèsfort… sur leur présen<strong>ce</strong> dans l’enseignement et il n’y a pas très clairement / d’éléments quipermettent facilement d’identifier <strong>ce</strong>tte fameuse plus-value. Il faut dépasser les discoursd’exhortation » et les résultats de la recherche méritent d’être diffusés à grande échelle etde manière ac<strong>ce</strong>ssible, <strong>ce</strong> qui semble faire défaut.Pour répondre à <strong>ce</strong>s attentes, les <strong>IUFM</strong> mettent en pla<strong>ce</strong> <strong>des</strong> groupes de recherche « Il ya huit ans, on a créé au sein de l’<strong>IUFM</strong>, lorsque la recherche a été relancée après 1996,l’un <strong>des</strong> tous premiers groupes, ça a été un groupe sur les TICE… » Un sujet confirme qu’ils’est formé ainsi « quelques stages nous ont été proposés, il y a quelques années par l’exMAFPEN, ensuite il y a eu essentiellement une <strong>formation</strong> par la recherche ».Des savoirs nouveaux sont attendus et produits dans la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres autour <strong>des</strong>questions liées aux technologies de l’in<strong>formation</strong> et de la communication. Cette attitudefa<strong>ce</strong> aux savoirs renfor<strong>ce</strong> le caractère <strong>universitaire</strong> de la <strong>formation</strong> et participe de laprofessionnalisation de l’éducation.Analyse réflexive et construction de compéten<strong>ce</strong>s en TICENous nous demandons si les savoirs nouveaux qui permettraient de répondre aux besoinsidentifiés peuvent être construits par les acteurs de la <strong>formation</strong> et à quelles conditions.Dans beaucoup d’<strong>IUFM</strong> <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s de formateurs sont mises en pla<strong>ce</strong> mais il sembledifficile de construire <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s adaptées « Du point de vue <strong>formation</strong> <strong>ce</strong> n’est pasfacile à mettre en pla<strong>ce</strong> / ça ne peut être / géré que par un formateur TICE de la disciplineet ayant un niveau en didactique suffisant / par<strong>ce</strong> qu’il faut / trois types de compéten<strong>ce</strong>s, lescompéten<strong>ce</strong>s dans la discipline / les compéten<strong>ce</strong>s en didactique qui soient suffisammentavancées par<strong>ce</strong> que ça suffit pas <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s TICE / et c’est difficile de trouver lespersonnes ayant <strong>ce</strong>s trois types de compéten<strong>ce</strong>s ».L’analyse de pratique semblerait une modalité de <strong>formation</strong> adaptée « Sur les séan<strong>ce</strong>sconduites en classe, peut-être qu’on pourrait rapprocher ça de la démarche analyse de228<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Le C2i2e dans une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> et <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignantspratique », « <strong>ce</strong> qu’on souhaiterait c’est que les départements et les disciplines dans lesdépartements fassent <strong>ce</strong> travail d’analyse de quels sont les gestes pédagogiques. »Les <strong>formation</strong>s de formateurs autour <strong>des</strong> TICE gagnent à être conduites dans une approchefavorisant les échanges et l’analyse de pratique car l’originalité de la démarche d’analysede pratique est précisément « sa dimension d’intelligibilité de la complexité » (Debris, 2003,page 13).ConclusionsL’analyse que nous avons faite sur le cahier <strong>des</strong> charges de la <strong>formation</strong> et sur le C2i2enous a permis de montrer que les compéten<strong>ce</strong>s qui y sont définies ne « prolétarisent »pas a priori la profession enseignante puisque l’enseignant doit toujours garder à l’espritl’apprentissage réel de ses élèves, développement de leurs connaissan<strong>ce</strong>s et constructionde leurs compéten<strong>ce</strong>s et à, lui-même, se former tout au long de sa carrière. On attendclairement de lui qu’il ne se limite pas à donner un cours ressemblant peu ou prou à <strong>ce</strong>uxqu’il a reçus, enseigner y reste conçu comme une profession au sens où nous l’avons définie,c’est-à-dire que la culture, l’éthique et le contrôle institutionnel y sont prépondérants.Les compéten<strong>ce</strong>s informatique et internet citées dans l’un comme dans l’autre <strong>des</strong>référentiels de compéten<strong>ce</strong>s fournissent également une occasion de renfor<strong>ce</strong>r les caractèresprofessionnel et <strong>universitaire</strong> de la <strong>formation</strong> par<strong>ce</strong> que les technologies questionnent lepro<strong>ce</strong>ssus de socialisation par les modifications qu’elles induisent dans les rapports dusujet au temps et à l’espa<strong>ce</strong> dans la communication, par le recul qu’elles lui imposent surles in<strong>formation</strong>s disponibles, par l’importan<strong>ce</strong> accrue de l’éthique <strong>professionnelle</strong>, par lané<strong>ce</strong>ssité d’un contrôle institutionnel.La dimension collective du métier d’enseignant n’est pas, en près de vingt ans, entréedans les moeurs et <strong>ce</strong>la montre bien les limites <strong>des</strong> effets <strong>des</strong> textes institutionnels ; on nepeut imaginer que les nouvelles injonctions ministérielles et la présen<strong>ce</strong> accrue <strong>des</strong> outilsinformatiques et de communication suffisent pour provoquer <strong>ce</strong>s changements même sielles ne manquent pas d’avoir un effet déstabilisant sur la profession enseignante et sur lespro<strong>ce</strong>ssus de professionnalisation. Les trans<strong>formation</strong>s ne peuvent se faire sans les acteurset un accompagnement au changement est né<strong>ce</strong>ssaire.Les épithètes <strong>professionnelle</strong> et <strong>universitaire</strong> qualifient une <strong>formation</strong> qui permet au futurprofessionnel de construire les connaissan<strong>ce</strong>s et de développer les compéten<strong>ce</strong>s né<strong>ce</strong>ssairespour exer<strong>ce</strong>r la profession à laquelle elle entend former. Nous avons défendu l’idée quel’enseignement reste une profession par<strong>ce</strong> qu’il requiert <strong>des</strong> savoirs de haut niveau, uneéthique <strong>professionnelle</strong>, une autonomie dans les choix qui peuvent être faits pour atteindre lesobjectifs, une attitude réflexive. En tant qu’institut <strong>universitaire</strong> de <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>,les <strong>IUFM</strong> dispensent une <strong>formation</strong> de haut niveau scientifique en lien avec les compéten<strong>ce</strong>s<strong>professionnelle</strong>s que les futurs enseignants doivent construire, les deux épithètes peuventdonc paraître redondants lorsque l’on parle de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants mais il ne faut pasnégliger l’accompagnement à mettre en pla<strong>ce</strong> pour construire les changements.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 229


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232<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


8. Écrits professionnelsrecherche et recherche actionen <strong>formation</strong> d’enseignants<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 233


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Le journal de con<strong>ce</strong>ption,un révélateur de l’identité <strong>professionnelle</strong>en construction<strong>des</strong> futurs formateurs de langueNicolas GuichonUMR ICAR - Université Lyon 2Un brouillon, c’est provisoire, ça n’engage pas,on en fait tant qu’on veut,de quoi remplir la corbeille à papier de la vie.Philippe Lejeune, 1998IntroductionUne question majeure se pose lorsque vient le temps d’imaginer les contours d’un dispositifde <strong>formation</strong> visant la professionnalisation de futurs formateurs de langue : Quel scénariode <strong>formation</strong> peut-on mettre en pla<strong>ce</strong> pour contribuer à articuler la réflexion didactique, ledéveloppement d’une pratique pédagogique et la construction d’une identité <strong>professionnelle</strong> ?On peut en effet postuler que <strong>ce</strong>s trois éléments constituent la professionnalité d’unenseignant si l’on suit la définition que donnent Barbier et al. (1996) de la professionnalité,à savoir « l’ensemble <strong>des</strong> savoirs, <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s et <strong>des</strong> dispositions mobilisées par unindividu dans l’exerci<strong>ce</strong> d’une activité <strong>professionnelle</strong> spécifique ». La présente contributionvise à se con<strong>ce</strong>ntrer sur les dimensions identitaires tout en réduisant le champ d’investigationà la seule compéten<strong>ce</strong> technico-pédagogique que les futurs enseignants sont amenés àdévelopper pour faire fa<strong>ce</strong> à <strong>des</strong> situations éducatives en mutation (Perrenoud, 1999; Carré,2005).Nous partirons d’un module de <strong>formation</strong> qui se déroule sur un semestre et pendant lequel<strong>des</strong> étudiants sont confrontés, de manière concomitante, à la con<strong>ce</strong>ption d’un prototypeavancé d’un site d’apprentissage pour les langues et à la tenue d’un journal de con<strong>ce</strong>ption.Nous postulons que le recours à <strong>ce</strong> dernier artefact dans une <strong>formation</strong> professionnalisantepeut jouer le double rôle de « brouillon de soi », pour reprendre la formule de Lejeune(1998), et de révélateur d’une identité en construction.Par le biais de l’étude d’un corpus de dix journaux de con<strong>ce</strong>ption, <strong>ce</strong>t article se donnedeux objectifs : tout d’abord, après avoir problématisé le lien entre écriture réflexive etprofessionnalisation, les outils de l’analyse de discours seront utilisés pour mettre au jourles indi<strong>ce</strong>s d’une identité <strong>professionnelle</strong> en construction. Dans un second temps, nousaborderons la pla<strong>ce</strong> du formateur vis-à-vis du journal de con<strong>ce</strong>ption avant d’émettre, dansla conclusion, un <strong>ce</strong>rtain nombre de propositions pédagogiques pour accompagner <strong>ce</strong>ttepratique réflexive. Le ré<strong>ce</strong>nt passage au LMD a accéléré <strong>ce</strong>s questionnements en amenant les responsables de <strong>ce</strong>s<strong>formation</strong>s à en expliciter les contenus afin d’assurer une meilleure lisibilité de l’offre. Ce module TICE s’inscrit dans le cadre du master professionnel « Didactique <strong>des</strong> langues et TICE »proposé par l’université de Lyon 2.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 235Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (235-245) Tome 2


N. GUICHON1. Écrire pour se professionnaliser1.1. Écrits sur l’action et brouillons de soiOn peut repérer deux catégories d’écrits professionnels, à savoir les écrits d’action et lesécrits sur l’action. La première catégorie comprend, par exemple, les listes de choses àfaire, les plans de cours consignés dans le cahier de texte ou bien encore les comptesrendusde réunions, tous <strong>ce</strong>s écrits d’action qui rythment le travail <strong>des</strong> enseignants à<strong>des</strong> fins d’accompagnement, d’organisation et de traçabilité de leur activité (cf. Fraenkel,2001, p. 114). La seconde catégorie, plus rare, correspond à <strong>des</strong> pratiques d’écriture quiinstaurent un retour sur l’action à <strong>des</strong> fins de développement professionnel. Ainsi, le journaltenu par <strong>ce</strong>rtains enseignants au fil de l’année scolaire (cf. Bouillard, 2002) participe de<strong>ce</strong>tte démarche propre à l’écriture réflexive, non seulement par<strong>ce</strong> qu’elle permet de revenirsur l’expérien<strong>ce</strong> immédiate, mais par<strong>ce</strong> que l’acte d’écrire est en lui-même une façon deformuler, de structurer et de réagir à <strong>ce</strong>tte expérien<strong>ce</strong> qui devient, par le biais de la tra<strong>ce</strong>écrite, disponible pour la réflexion et l’analyse (McDonough et McDonough, 2004, p. 122).C’est en effet la mise en mots, écrits ou oraux, qui rend possible le retour sur l’action enraison du caractère d’« artefact culturel » et d’ « instrument médiateur » du langage (Crinon,2002, p. 123).Aucune étude n’existe, à notre connaissan<strong>ce</strong>, pour quantifier la proportion d’enseignantsfrançais qui tiennent un journal réflexif et, à la différen<strong>ce</strong> de pays comme l’Espagne oul’Angleterre, l’écriture réflexive n’entre pas de manière systématique dans la <strong>formation</strong> <strong>des</strong>futurs enseignants en Fran<strong>ce</strong>. Or, si l’on définit la compéten<strong>ce</strong> <strong>professionnelle</strong> avec Rogalskiet Marquié (2004, p. 154), comme « un potentiel de propriétés du sujet, de connaissan<strong>ce</strong>sopérationnelles, et de schèmes d’actions disponibles ou mobilisables dans une classe <strong>des</strong>ituations », il devient crucial qu’une <strong>formation</strong> professionnalisante fournisse <strong>des</strong> opportunitéspour que les sujets en <strong>formation</strong> soient à même de se dégager de l’action immédiate pouranalyser leur propre activité afin d’en clarifier les fondements, éventuellement de procéder à<strong>des</strong> ajustements (Rabardel et Pastré, 2005, p. 3) et d’augmenter leur répertoire d’épiso<strong>des</strong>significatifs qui constitue la mémoire active de leur expérien<strong>ce</strong>.L’écriture sur l’action pourrait donc constituer un moyen pour développer les compéten<strong>ce</strong>s<strong>professionnelle</strong>s <strong>des</strong> futurs enseignants. On pourrait définir <strong>ce</strong>tte écriture comme le brouillondu professionnel en devenir qui lui fournit les moyens de procéder à un retour sur l’action etde transformer ainsi une simple pratique en une recherche sur la pratique (Schön, 1994, 97).La réflexivité inhérente à <strong>ce</strong>tte herméneutique de l’action devient alors un élément moteurtrès proche de <strong>ce</strong> que Carré (2005) désigne par le vocable d’apprenan<strong>ce</strong> et qui est, selonlui, « à la fois la posture mentale, la capacité et le désir de tirer de ses environnements lesressour<strong>ce</strong>s né<strong>ce</strong>ssaires au développement de connaissan<strong>ce</strong>s, habiletés, comportementsnouveaux ou à la modification <strong>des</strong> anciens » (ibid., p. 109). Cette posture réflexive relèved’une discipline personnelle difficile à acquérir car elle oblige les enseignants novi<strong>ce</strong>s ouexperts à procéder à une auto-observation et à approfondir l’analyse autant qu’ils le peuventavec rigueur et humilité pour enrichir leur identité <strong>professionnelle</strong>. Les professeurs stagiaires en Espagne tiennent un diario de practicas dans le cadre de leur <strong>formation</strong>.Ils le remplissent en début, à la fin de chaque séan<strong>ce</strong> ou bien encore à la fin de chaque journée pour tous lescours. Cela leur tient lieu de journal réflexif sur leur pratique d’enseignant en construction. C’est nous qui soulignons.236<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Le journal de con<strong>ce</strong>ption, un révélateur de l’identité <strong>professionnelle</strong> en construction <strong>des</strong> futurs formateurs de langueQue recouvre la notion d’identité <strong>professionnelle</strong> ? Si chacun hérite d’une identité à lanaissan<strong>ce</strong> principalement façonnée par les origines sociales (Gauléjac, 2002, page 177),l’identité <strong>professionnelle</strong> se construit de manière évolutive et cumulative, d’une part dansl’action propre à une pratique située (le métier) et, d’autre part, en interaction avec legroupe socioprofessionnel d’appartenan<strong>ce</strong> (les valeurs). De plus, l’identité <strong>professionnelle</strong>correspond à <strong>ce</strong>tte « notion protéiforme, ambiguë mais pragmatique de « savoir-être » [quiqualifie] <strong>ce</strong>t ensemble de nouvelles compéten<strong>ce</strong>s du registre social, affectif ou conatif »selon Carré (2005, p. 34). En effet, si l’on envisage le métier d’enseignant non pas commeune pratique isolée d’un individu avec « sa » classe mais comme la contribution à unréseau professionnel né<strong>ce</strong>ssitant de collaborer avec tous les protagonistes de la situationéducative (parents, collègues, administratifs) ou au-delà de <strong>ce</strong>lle-ci, comme c’est le caspour la con<strong>ce</strong>ption multimédia (médiatiseurs, informaticiens, administrateurs), la notion <strong>des</strong>avoir-être prend tout son sens. Elle conduit un professionnel à se définir non seulementpar rapport à <strong>des</strong> normes (la langue, l’école) ou à une pratique (les fi<strong>ce</strong>lles du métier),mais aussi par rapport à soimême, étant entendu que <strong>ce</strong> dernier est nourri par le regardde l’autre (cf Dubar, 1991; Marc, 2005). Ainsi, le passage par le langage peut-il participer àla construction de l’identité <strong>professionnelle</strong> car il favorise la socialisation de l’expérien<strong>ce</strong> etl’entrée dans une communauté de discours (Crinon et Guigue, 2006).À l’orée de la vie active ou lors d’une phase de requalification, on peut gager que l’identité<strong>des</strong> enseignants en <strong>formation</strong> va connaître d’importants repositionnements identitaires quipeuvent apparaître dans le récit d’une pratique située. La nouveauté, voire l’étrangeté, d’unprojet de con<strong>ce</strong>ption qui les amène à se confronter au travail de groupe, à la technologieet à un regard différent sur l’enseignement-apprentissage, peut servir de révélateur d’uneidentité en construction. On peut ainsi émettre l’hypothèse que l’écriture réflexive peutfournir l’occasion pour les apprentis enseignants de commen<strong>ce</strong>r à définir une posture<strong>professionnelle</strong> à travers un discours sur soi.1.2. Le journal de con<strong>ce</strong>ption :contexte, visées pédagogiques et caractéristiquesPour analyser <strong>ce</strong> discours sur soi, il importe de décrire rapidement comment il s’inscritdans un contexte social déterminé (cf. Charaudeau et Maingueneau, 2002). A la rentréede 2004, le journal de con<strong>ce</strong>ption est venu compléter un module de <strong>formation</strong> (désormaismodule TICE) au cours duquel <strong>des</strong> étudiants par groupe de trois sont amenés à construireun site d’apprentissage médiatisé. Trois objectifs sont initialement visés par l’introductionde <strong>ce</strong>t artefact : éviter une dérive de la <strong>formation</strong> vers la technologie au détriment d’uneréflexion didactique , s’assurer que les apprentis enseignants disposent d’un moyen pourmettre en perspective le projet de con<strong>ce</strong>ption dans lequel ils sont engagés pendant six mois,amener les étudiants à se construire un répertoire professionnel (cf. supra).Dans le journal de con<strong>ce</strong>ption, il est demandé aux étudiants de consigner avec la plus granderégularité possible, les épiso<strong>des</strong> du pro<strong>ce</strong>ssus de con<strong>ce</strong>ption qu’ils jugent significatifs et,une fois le projet mené à son terme, de conclure le journal par un bilan réflexif.Deux étu<strong>des</strong> préalables sur un corpus de dix journaux grâ<strong>ce</strong> aux outils de l’analyse de Pour une présentation approfondie de la méthodologie employée, nous renvoyons à Guichon, 2007b. Cette dérive possible est soulignée par un <strong>des</strong> sujets de l’échantillon: « Le projet m’a permis de m’intéresserà <strong>des</strong> points techniques vers lesquels je ne serais pas forcément allée sans le projet. Cependant, il me sembleque <strong>ce</strong>la peut vite se faire au détriment du travail pédagogique et théorique ».<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 237


N. GUICHONcontenu et de l’analyse du discours (Guichon, 2007a ; 2007b) permettent de repérer troiscaractéristiques de <strong>ce</strong>t écrit de <strong>formation</strong>, à savoir que le journal de con<strong>ce</strong>ption est à la foisune construction temporelle, un objet mal défini et un instrument personnel de travail.1.2.1. Une construction temporelleEn demandant aux étudiants d’indiquer le jour pour chacune <strong>des</strong> notes, le journal permetd’inscrire le récit dans la durée. Le chronogramme ci-<strong>des</strong>sous présente, pour les vingtdeuxsemaines sur lesquelles s’étale le projet, le nombre de notes dans chacun <strong>des</strong> dixjournaux .Ainsi, pour la seconde semaine d’octobre (S2 dans le schéma) sont cumulées les huit notescorrespondant à <strong>ce</strong>tte première semaine de <strong>formation</strong>, deux par exemple pour Isadoracontre zéro pour Jeannette.Figure 1 : Nombre de notes semaine par semaineD’éviden<strong>ce</strong>, si la mise en mots s’avère difficile dans un premier temps, au fur et à mesureque les réalisations prennent tournure, la production écrite s’amplifie même si apparaissentd’importantes discontinuités dans la tenue du journal. Les semaines de tutorat méthodologique(TM dans la figure) pendant lesquels les étudiants présentent les différentes versions duprototype occasionnent deux pics dans le nombre de notes, <strong>ce</strong> qui signale leur importan<strong>ce</strong>comme déclencheurs pour la réflexion. On note aussi de fortes disparités dans la régularitéet le nombre total <strong>des</strong> notes entre chacun <strong>des</strong> dix sujets.1.2.2. Un objet mal définiLe journal de con<strong>ce</strong>ption ne ressemble pas à un genre connu <strong>des</strong> étudiants comme <strong>ce</strong>laapparaît à travers la toute première note du journal de Stella : « Qu’est-<strong>ce</strong> qu’un journal decon<strong>ce</strong>ption ? Est-<strong>ce</strong> qu’il y a <strong>des</strong> règles pour écrire <strong>ce</strong>s documents ? A quoi <strong>ce</strong>la sert ? Ecrireune trentaine de pages, <strong>ce</strong>la me préoccupe ». La consigne laisse volontairement la porteouverte aux interprétations. L’analyse du corpus donne ainsi l’occasion de distinguer troisgenres d’écrit (cf. Guichon, 2007b). Le premier, le carnet de bord, correspond à un simplecompte-rendu <strong>des</strong> événements. Le second, le journal intime, rend lui aussi compte <strong>des</strong> Les prénoms <strong>des</strong> apprentis enseignants ont été modifiés pour respecter leur anonymat.238<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Le journal de con<strong>ce</strong>ption, un révélateur de l’identité <strong>professionnelle</strong> en construction <strong>des</strong> futurs formateurs de langueévénements mais sous un jour à dominan<strong>ce</strong> émotionnelle. Le troisième, le récit de <strong>formation</strong>,rassemble <strong>ce</strong>rtain <strong>des</strong> aspects contenus dans les deux genres précédents (<strong>des</strong>cription,émotions), mais, en outre, les apprentis enseignants entreprennent réellement une analyseclinique de leur propre activité que nous avons postulée être l’un <strong>des</strong> ressorts principaux dela compéten<strong>ce</strong>.1.2.3. Un instrument personnel de travailÉcrit à la première personne quand la tradition <strong>universitaire</strong> encourage une énonciationdésincarnée, le journal de con<strong>ce</strong>ption donne lieu à un discours implicite car fortement ancrédans le contexte. C’est un récit fragmentaire car tout événement pendant la <strong>formation</strong>ne fait pas épisode et <strong>ce</strong>rtains choix s’opèrent consciemment (<strong>ce</strong> n’est pas intéressant)ou inconsciemment (fatigue). Enfin, <strong>ce</strong>t écrit est disparate (d’un sujet à l’autre, il y a <strong>des</strong>différen<strong>ce</strong>s notables sur la forme et le contenu) et protéiforme (<strong>ce</strong>rtains journaux decon<strong>ce</strong>ption changent de physionomie pendant le pro<strong>ce</strong>ssus).À partir de toutes <strong>ce</strong>s caractéristiques, on peut avan<strong>ce</strong>r que le journal de con<strong>ce</strong>ption est unartefact qui « s’inscrit dans un usage, dans un rapport instrumental à l’action du sujet, entant que moyen de <strong>ce</strong>lle-ci » (Rabardel, 1995, p. 60). De par son caractère transitoire, maldéfini et fortement individuel, le journal de con<strong>ce</strong>ption se rapproche d’un brouillon que lesapprentis enseignants utiliseraient comme un objet en attente, sus<strong>ce</strong>ptible d’être réécrit etparticipant à la construction identitaire du professionnel.2. La construction identitaireTrois conditions semblent réunies pour que le module TICE rende possible une constructionidentitaire : d’abord, le module TICE implique que chaque sujet soit amené à apporter sacontribution à un projet collectif et à confronter ainsi ses représentations à <strong>ce</strong>lles de ses pairs ;ensuite, en mettant les étudiants en situation de découvrir un aspect du métier d’enseignantqui est pour la plupart jusqu’alors inconnu, le module les amène à activer un <strong>ce</strong>rtain nombrede représentations et à revendiquer un rôle. Enfin, le laps de temps significatif sur lequelle projet s’étale (cf. § 1.2.1.) conjugué à la demande de tenir un journal lui confèrent uneépaisseur historique propi<strong>ce</strong> à l’émergen<strong>ce</strong> de représentations de soi en adéquation avecune professionnalité en construction.Les outils de l’analyse du discours, appliqués à dix journaux de con<strong>ce</strong>ption, ont permisd’étudier <strong>ce</strong> corpus en cherchant à repérer les indi<strong>ce</strong>s discursifs révélateurs de la constructionidentitaire <strong>des</strong> sujets en <strong>formation</strong>.2.1. Confrontation avec les pairs et définition <strong>des</strong> rôlesLa proposition de Dubar qui présente l’identité comme le « produit de socialisationssuc<strong>ce</strong>ssives » (1991, p. 7), se vérifie en maints endroits du corpus. L’identité se construitet se reconstruit en particulier par le biais du groupe. Ainsi, pour décrire les difficultés àtravailler avec autrui, Xiliang fabrique la formule oxymorique de « coopération-problème »qui a provoqué chez elle,un changement de caractère douloureux mais très important pour ma vie. Oserparler, oser insister et oser dire « non » dans un groupe coopératif sont le résultat duchangement qui a eu lieu après le dernier rendez-vous du groupe avec le prof.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 239


Le journal de con<strong>ce</strong>ption, un révélateur de l’identité <strong>professionnelle</strong> en construction <strong>des</strong> futurs formateurs de langueLa métaphore de l’i<strong>ce</strong>berg est ici révélatri<strong>ce</strong> du pro<strong>ce</strong>ssus de conscientisation ménagé parun tel dispositif de <strong>formation</strong>. En effet, au terme du module de <strong>formation</strong>, il ne s’agit pas tantque le sujet soit à même d’expliciter tous les savoirs et savoir-faire nouvellement acquismais que ses représentations initiales aient été problématisées par une action située, uneréflexion et une collaboration. Même fragile (<strong>des</strong> doutes et <strong>des</strong> questions subsistent), unenouvelle représentation de l’enseignant de langue peut-elle alors émerger en même tempsqu’une posture réflexive érigée en discipline personnelle (« <strong>ce</strong>t effort métacognitif […]récurrent ») comparable à l’apprenan<strong>ce</strong> de Carré (cf. supra § 1).Il arrive même parfois que la construction relève d’une reconstruction plus radicale comme<strong>ce</strong>la est le cas pour une étudiante de l’échantillon, Estelle, qui reconnaît que « le projet abeaucoup bousculé [s]es représentations de l’enseignement » et qui conclut son journal decon<strong>ce</strong>ption ainsi : « je crois que <strong>ce</strong> qui m’aura le plus marqué, c’est que j’ai trouvé une voie<strong>professionnelle</strong> dans <strong>ce</strong>s nouvelles technologies ». Sans aller jusqu’à <strong>des</strong> repositionnementsaussi importants, la plupart <strong>des</strong> apprentis enseignants profitent du retour sur l’expérien<strong>ce</strong>pour identifier une zone de développement comme, par exemple, de se garder à l’avenird’un perfectionnisme aux effets pervers (Stella) ou de s’astreindre à mieux écouter lespropositions <strong>des</strong> autres (Jeannette). Pourtant, <strong>ce</strong>tte capacité à repérer les écarts en vued’un développement professionnel, <strong>ce</strong>tte métacompéten<strong>ce</strong> , n’est pas l’apanage de tous.Par exemple, Vera termine son journal de con<strong>ce</strong>ption en affirmant que « <strong>ce</strong> projet [lui] abeaucoup apporté sur plusieurs plans » sans qu’elle précise lesquels. Puis elle continue :« Si c’était à refaire, je pense que je ne changerais rien. J’ai beaucoup apprécié de travailleravec E. et P. ». En l’espè<strong>ce</strong>, le retour sur soi est soit minime, soit indétectable, soit prématurépour <strong>ce</strong> sujet qui se contente de résumer le module TICE à une expérien<strong>ce</strong> plaisante.3. Le regard du tiers : limites du dispositif comme outil d’évaluationCette dernière section s’attelle à déterminer l’impact de la consigne d’écriture, tenir unjournal <strong>des</strong>tiné à être lu par le formateur, sur le discours produit. Faire du journal un outild’évaluation visait à remplir deux objectifs pédagogiques : le premier était d’astreindre lesapprentis enseignants à tenir leur journal régulièrement, <strong>ce</strong> qui constitue une conditionné<strong>ce</strong>ssaire à la construction d’un artefact auquel ils pourraient ensuite se référer. D’autrepart, nous avions postulé que le fait de livrer <strong>ce</strong> journal au regard de l’enseignant-tuteurétait un moyen de ménager une prise de distan<strong>ce</strong> né<strong>ce</strong>ssaire pour que le sujet puisse seregarder « soi-même comme un autre » selon la formule de Ricœur (1990) sans se laisseraller à l’autosatisfaction.Nous proposons d’analyser l’impact du regard de l’enseignant-tuteur sur le discours <strong>des</strong>apprentis enseignants et d’étudier, comme le suggère Sarfati (2005, p. 50), de quelle façon« la présen<strong>ce</strong> de l’autre mine l’unité de surfa<strong>ce</strong> d’un discours ». Pour <strong>ce</strong> faire, nous avonsextrait toutes les occurren<strong>ce</strong>s pertinentes du pronom « vous », tra<strong>ce</strong> du tiers dans le discours,puis avons conduit une analyse dans leur contexte de production. La métacompéten<strong>ce</strong> peut être définie comme une capacité à opérer un retour réflexif sur <strong>des</strong> épiso<strong>des</strong>issus de la <strong>formation</strong> ou de situations réelles de travail en vue d’un développement professionnel. Lamétacompéten<strong>ce</strong> correspondrait pour chacun <strong>des</strong> (futurs) professionnels à connaître ses limites et les zonespotentielles de développement, à apprendre à gérer l’in<strong>ce</strong>rtitude, à transformer les zones de blocage ensituations de créativité, à apprivoiser les émotions, à trouver, grâ<strong>ce</strong> au langage, sa pla<strong>ce</strong> vis-à-vis <strong>des</strong> aspectsclés du métier, à clarifier ses représentations pour les rendre compatibles avec le professionnalisme attendu.En somme, la métacompéten<strong>ce</strong> est un pro<strong>ce</strong>ssus identitaire qui se construit dans l’action et après l’actiongrâ<strong>ce</strong> à la réflexivité et participe de la professionnalisation (Guichon, 2007a).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 241


N. GUICHON3.1. L’adresse directe : l’évaluateur désignéLes adresses directes, c’est-à-dire dans lesquelles le co-énonciateur est explicitementdésigné, sont assez rares dans le corpus, à peine une quinzaine en tout. Deux sujets enparticulier retiennent l’attention car ils instaurent un dialogue avec leur futur lecteur, comme<strong>ce</strong>la apparaît ici :Présentation de notre projet TICE en cours : Comme nous nous en étions douté,votre remarque fût que notre étude est trop vaste et vous nous conseillez donc defaire <strong>des</strong> choix spécifiques plutôt que de vouloir tout couvrir et qu’il n’en ressorte rienà cause du facteur temps… Nous y étions préparées ! (Caroline)Cette note est un moyen de rappeler une confrontation entre le groupe de projet (nous) etl’enseignant-tuteur (vous) et de rapporter le discours de <strong>ce</strong> dernier. Par <strong>ce</strong>tte mise en scène<strong>des</strong> protagonistes, il y a une distribution <strong>des</strong> rôles que chacun semble sommé de tenir car lapartition est déjà écrite comme l’indique l’usage du prolepse « comme nous nous en étionsdouté » qui prévoit l’objection et la réfute par avan<strong>ce</strong>.D’autre part, Xialang, une étudiante chinoise de 33 ans, est la seule à entretenir un dialogueavec le lecteur dans la partie bilan du journal de con<strong>ce</strong>ption en guidant sa lecture (dans <strong>ce</strong>ttepartie, je vous montrerai…) ou en lui suggérant <strong>des</strong> améliorations pour l’accompagnementdu projet (je voudrais vous donner un petit conseil). Cette enseignante déjà confirmée adoptedonc <strong>des</strong> postures différentes qui vont de l’étudiante appliquée à <strong>ce</strong>lle de collègue. D’autrepart, elle conclut son journal de la façon suivante :Vous ne pourrez jamais vous imaginer comment vos encouragements sur marédaction et ma présentation étaient importants pour moi ! Ils m’ont fait oublier les 5mois de longue marche sur un « chemin raboteux » plein de trouble, de fatigue, delarmes et de tristesse que je n’ai pas beaucoup touchés dans <strong>ce</strong> journal.Ce sujet utilise une prétérition par laquelle elle donne à voir la souffran<strong>ce</strong> qu’elle a connueau cours du projet tout en affirmant que l’enseignant-tuteur ne pourra jamais se représenter<strong>ce</strong> « chemin raboteux ». Le dévoilement auquel se livre <strong>ce</strong> sujet laisse entrevoir le horstexte,c’est-à-dire tout <strong>ce</strong> qui est traditionnellement tenu à l’écart d’un discours normé maisqui y trouve pourtant sa pla<strong>ce</strong> par un moyen ou un autre, « une sorte d’hypertexte invisible »(Lourau, 1988 : 13).3.2. L’adresse indirecteDans l’extrait suivant, il est non seulement possible de constater comment une postureénonciative évolue au sein d’une même note, mais on peut également observer comment le<strong>des</strong>tinataire est convoqué dans le discours de manière indirecte :Je me rends compte de la difficulté de con<strong>ce</strong>voir <strong>des</strong> activités à la fois créatives eten même temps effica<strong>ce</strong>s au niveau didactique surtout quand vous n’avez pas unelongue expérien<strong>ce</strong> d’enseignement de français langue étrangère. Nous avons toutde même réussi à construire <strong>des</strong> activités motivantes avec un aspect ludique et unevariété de supports. (Stella)Stella parle en son nom propre pour tirer le bilan de son expérien<strong>ce</strong>. Sans que l’enseignantsoit explicitement interpellé, il apparaît toutefois pour une première justification par le biaisd’un vous impersonnel. Sa note se termine <strong>ce</strong>tte fois avec le nous derrière lequel elle se242<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Le journal de con<strong>ce</strong>ption, un révélateur de l’identité <strong>professionnelle</strong> en construction <strong>des</strong> futurs formateurs de langueréfugie pour une nouvelle justification (tout de même).Un autre sujet recourt à un procédé classique dans la tenue d’un journal grâ<strong>ce</strong> auquel il nes’adresse pas au lecteur directement mais au support de lecture. Ainsi par deux fois dansson journal, il fait référen<strong>ce</strong> à « <strong>ce</strong>s pages » auxquelles il reviendra après <strong>des</strong> vacan<strong>ce</strong>set il prend congé en choisissant un style volontairement ampoulé (bien à vous). A la finde son journal, il reprend le même procédé de personnification pour conclure : « Merci àvous, <strong>ce</strong>s quelques pages qui m’ont bien amusées. Sachez être lues avec intérêt avant lacurée… ». C’est donc par le biais du support que <strong>ce</strong> sujet s’adresse au lecteur sans qu’ilsache d’ailleurs s’il sera lu ni de quelle façon. En hissant le support à un statut d’interfa<strong>ce</strong>,l’enseignant est évacué et, par la même occasion, une symétrie dans la relation peut ainsiêtre rétablie.3.3. Les limites du dispositif énonciatif comme outil d’évaluationSi la demande initiale de tenir un journal de con<strong>ce</strong>ption partait d’une visée légitime de<strong>formation</strong>, sa <strong>des</strong>tination à un tiers lui a conféré un statut particulier. Divers procédés deprésentation de soi ont été mis au jour par l’analyse du discours : soit les énonciateurschoisissent de se fondre dans la masse en préférant le « nous » du groupe de projet, soitils adoptent une posture disciplinée, policée, fuyante et, à une rare ex<strong>ce</strong>ption, provocatri<strong>ce</strong>fa<strong>ce</strong> à un co-énonciateur à la fois omniprésent et invisible. En proposant un dispositifénonciatif ouvert au regard du formateur, nous avons recréé l’équivalent discursif de l’espa<strong>ce</strong>disciplinaire imaginé par Bentham que Foucault (1975, p. 201) décrit ainsi : « Par l’effet ducontre-jour, on peut saisir de la tour […], de petites silhouettes captives dans les <strong>ce</strong>llulesde la périphérie. Autant de cages, autant de petits théâtres, où chaque acteur est seul, etconstamment visible ». Cette double contrainte, demander aux apprentis enseignants de selivrer avec candeur et utiliser leur discours comme matière à évaluation, pla<strong>ce</strong> en effet tousles protagonistes dans une situation impossible 10 .Pour que le journal de con<strong>ce</strong>ption conserve son potentiel pour la <strong>formation</strong>, il semble don<strong>ce</strong>ssentiel que n’en soit livré au regard d’un tiers évaluateur que la seule ligne de crête, <strong>ce</strong>que le formé choisit d’extraire de son brouillon pour « une mise au propre ». Ainsi, un biland’autoévaluation tiré du récit de la pratique devrait permettre d’évaluer le pro<strong>ce</strong>ssus deprofessionnalisation <strong>des</strong> étudiants sans que ne soit dévoilé <strong>ce</strong> qui appartient au domaine del’intime ou du transitoire et que le formateur n’a pas vocation à connaître.Enfin la responsabilité de se soumettre à la discipline d’une écriture sur l’action, de manièresuffisamment régulière pour fournir la matière à un retour sur la <strong>formation</strong>, doit revenir auxseuls apprentis enseignants selon un « pacte intersubjectif » qui pla<strong>ce</strong> le sujet en situationde pouvoir plutôt que de devoir (cf. Barbot et Camatarri, 1999). La construction de l’identité<strong>professionnelle</strong> est au prix d’une prise d’autonomie dans la situation formative et le discoursne se négocie pas avec le formateur mais avec soi-même.Conclusion : le contrat didactiqueComme <strong>ce</strong>la apparaît à travers <strong>ce</strong>tte étude, la réflexivité ne se décrète pas : elle dépendd’une décision personnelle et né<strong>ce</strong>ssite un effort soutenu pour mettre sa propre expérien<strong>ce</strong>10 La première lecture <strong>des</strong> journaux de con<strong>ce</strong>ption a d’ailleurs créé un malaise important chez le formateurqui a décidé de ne pas les évaluer et s’en est expliqué aux étudiants.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 243


N. GUICHONà distan<strong>ce</strong>, la regarder sans complaisan<strong>ce</strong> et être en mesure d’en extraire <strong>des</strong> élémentsconstitutifs de la professionnalité. D’autre part, la réflexivité ne saurait se réduire à unedéconstruction partielle et momentanée de l’action et à l’identification de connaissan<strong>ce</strong>sou d’habiletés <strong>professionnelle</strong>s situées réutilisables dans d’autres contextes. Pour nourrirla professionnalité, la réflexivité devrait idéalement aller jusqu’à la reconstruction de lasignification éclatée en une unité imparfaite mais opérationnelle qui correspondrait à l’identité<strong>professionnelle</strong> d’une personne à un moment donné. Cette identité <strong>professionnelle</strong> est à lafois appuyée sur un socle suffisamment stable pour créer « l’illusion d’une totalité évidente »(Kaufman, 2004, p. 55), mais toujours soumise à une pression réflexive pour se maintenirdans une dynamique. Car, comme le souligne Marc (2005 : 3), l’identité est, en mêmetemps, « un état et un mouvement, un acquis et un projet, une réalité et une virtualité ».Cette recherche signale, par ailleurs, combien la tenue d’un journal de con<strong>ce</strong>ption pouvaitêtre perçue comme une tâche à la fois étrange et complexe. Pour guider les apprentisenseignants à tirer tout le profit d’une telle pratique, cinq préconisations didactiques peuventêtre proposées :– Définir clairement les enjeux de l’écriture réflexive pour la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> enexplicitant que le journal de con<strong>ce</strong>ption permet de se constituer une mémoire de l’actionpropi<strong>ce</strong> à éclairer chacun <strong>des</strong> sujets sur son cheminement propre.– Dessiner les contours d’un pacte autoformatif que le sujet passe avec lui-même pourinscrire <strong>ce</strong>tte pratique dans une démarche personnelle et <strong>professionnelle</strong>.– Insister, à la fois, sur l’utilité d’écrire à la première personne le journal de con<strong>ce</strong>ption, sur laliberté d’utiliser un style propre à chacun et sur la né<strong>ce</strong>ssité de l’ancrer dans une historicitégrâ<strong>ce</strong> à <strong>des</strong> indications de temps.– Accompagner l’écriture et la socialiser en ménageant <strong>des</strong> temps de lecture volontaire defragments de journaux devant le groupe (cf. Crinon, 2002, p. 137) afin de mettre en relationl’individuel et le collectif.– Faire de <strong>ce</strong>t artefact un outil d’autoévaluation utilisé à la fin de la <strong>formation</strong> pour repérerles événements déclencheurs et les zones de développement professionnel, en bref, tousles indi<strong>ce</strong>s de la professionnalité.À la lumière de <strong>ce</strong>tte recherche, il semble possible d’avan<strong>ce</strong>r que le journal de con<strong>ce</strong>ptionest un artefact utile dans une <strong>formation</strong> professionnalisante car il permet aux apprentisenseignants d’entamer un dialogue avec la pratique et avec eux-mêmes propi<strong>ce</strong> à laconstruction de leur identité <strong>professionnelle</strong>.BibliographieBARBIER J.-M. et al, (1996) Situations de travail et <strong>formation</strong>. Paris, L’Harmattan.BARBOT M.-J. et CAMATARRI G. (1999) Autonomie et apprentissage, L’innovation dans la<strong>formation</strong>. Paris, PUF.BOUILLARD G. (2002) Journal d’une instit à fleur de peau : vers une autre identité<strong>professionnelle</strong> <strong>des</strong> enseignants. Paris, L’Harmattan.CARRÉ P. (2005) L’apprenan<strong>ce</strong>. Vers un nouveau rapport au savoir. Paris, Dunod.CHARAUDEAU P., MAINGUENEAU D. (2002) Dictionnaire d’analyse du discours. Paris, LeSeuil.CRINON J. (2002) « Écrire le journal de ses apprentissages » - in Chabanne J.- C. et244<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Le journal de con<strong>ce</strong>ption, un révélateur de l’identité <strong>professionnelle</strong> en construction <strong>des</strong> futurs formateurs de langueBucheton D., Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire pp.123-143. Paris,PUF.CRINON J. et GUIGUE M. (2006) « Écriture et professionnalisation » - Revue Française dePédagogie n° 156, pp. 117-169.DARSES F. (2004) Pro<strong>ce</strong>ssus psychologiques de résolution collective de problèmes decon<strong>ce</strong>ption : contribution de la psychologie ergonomique. Document de synthèse en vue del’habilitation à diriger <strong>des</strong> recherches. Université Paris V.DUBAR C. (1991) La socialisation, construction <strong>des</strong> identités sociales et <strong>professionnelle</strong>s.Paris, Armand Colin.FOUCAULT M.(1975) Surveiller et punir. Paris, Gallimard.FRAENKEL B. (2001) « La résistible as<strong>ce</strong>nsion de l’écrit au travail » - in Borzeix A. etFraenkel B. (Coord.) Langage et travail. Communication, cognition, action pp. 113-142.Paris, CNRS éditions.GAULEJAC V. de (2002) « L’identité » - in Vocabulaire de la psychosociologie. RamonvilleSte-Agne, Erès.GUICHON N. (2007a) « Le journal de con<strong>ce</strong>ption : un outil de construction de la compéten<strong>ce</strong><strong>professionnelle</strong> » - La Revue de l’AQEFLS. Vol. 25, n° 3.GUICHON N. (2007b) « Récits de soi en <strong>formation</strong> – l’écriture réflexive dans la <strong>formation</strong>didactique <strong>des</strong> enseignants » - in Actes du colloque Le biographique, la réflexivité et lestemporalités. Université de Tours. 25-27 juin 2007.KAUFMANN J.-C. (2004) L’invention de soi. Une théorie de l’identité. Paris, Armand Colin.MARC E. (2005) Psychologie de l’identité. Soi et le groupe. Paris, Dunod.LEJEUNE P. (1998) Les brouillons de soi. Paris, Le Seuil.LOURAU R. (1988) Le journal de recherche : matériaux d’une théorie de l’implication. Paris,Méridiens Klincksieck.McDONOUGH J., McDONOUGH S. (2004) Research methods for English Languageteachers. London, Arnold.PERRENOUD P. (1999) Dix nouvelles compéten<strong>ce</strong>s pour enseigner. Paris, ESF.RABARDEL P. et PASTRE P. (dir.) (2005) Modèles du sujet pour la con<strong>ce</strong>ption. Dialectiquesactivités et développement. Toulouse, Octarès.RICŒUR P. (1990) Soi-même comme un autre. Paris, Le Seuil.ROGALSKI J. et MARQUIE J.-C. (2004) « Évolution <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s et <strong>des</strong> performan<strong>ce</strong>s» - in Hoc J.-M. et Darses F. (dir.) Psychologie ergonomique : tendan<strong>ce</strong>s actuelles pp.141-173. Paris, PUF.SARFATI G.-E. (2005) Éléments d’analyse du discours. Paris, Armand Colin.SCHÖN D. (1994) Le praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel.Montréal, Les Éditions Logiques.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 245


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Une posture d’enseignant chercheur en construction :étude de casCaroline ScheepersHaute école Lucia de Brouckère, Jodoigne (Belgique)IntroductionDurant trois ans, de 2003 à 2006, nous avons conduit une recherche-intervention impliquéevisant à constituer au sein d’une haute école belge une communauté d’enseignantschercheursen devenir (Barbier, Bernié, Brown et Campione, Dewey, Donnay, Habermas,Paquay, Perkins, Perrenoud…). Notre dispositif de <strong>formation</strong> reposait sur de nombreuseshypothèses et inscrivait en son cœur la <strong>formation</strong> à la recherche par la recherche. Ainsi, unprincipe interactionnel fort sous-tendait l’ensemble de nos démarches formatives : interactionentre le mémoire et l’ensemble de la <strong>formation</strong>, interaction entre le faire et le dire, interactionentre les tâches lecturales, scripturales et orales, interaction entre la théorie et la pratique,interaction entre la haute école, l’école primaire et le monde de la recherche… La présente contribution se propose d’étudier finement le parcours réflexif d’un étudiant –futur instituteur du primaire, que nous appellerons Sacha . Pour <strong>ce</strong> faire, nous envisageronsdiverses tra<strong>ce</strong>s sémiotiques écrites : le journal de <strong>formation</strong> qu’il a tenu durant trois ans,son travail de fin d’étu<strong>des</strong> ou TFE (équivalent du mémoire professionnel français) dans saversion brouillonnante puis définitive. Le corpus analysé comporte dès lors <strong>des</strong> <strong>ce</strong>ntainesde pages et inclut <strong>des</strong> textes réflexifs de natures diverses. Le journal de <strong>formation</strong> consisteen journal dialogué qui voit interagir un étudiant et la formatri<strong>ce</strong>, en l’occurren<strong>ce</strong>, nous.L’étudiant est invité à porter un regard réflexif sur sa <strong>formation</strong> en didactique du français : ilfait le point sur <strong>ce</strong> qu’il croit savoir, <strong>ce</strong> qu’il est occupé à apprendre, <strong>ce</strong> qui lui pose problèmeou question… La réflexion peut porter alternativement sur son propre itinéraire de lecteur–scripteur, ses stages, ses savoirs en construction, ses observations d’élèves, l’élaboration <strong>des</strong>on TFE… Il s’agit donc résolument d’un écrit heuristique. En revanche, le TFE s’apparente,toutes proportions gardées, à un écrit de recherche et cloture l’ensemble de la <strong>formation</strong>. Siles mémoires ont déjà été abondamment analysés, rares sont les étu<strong>des</strong> qui ont adopté uneperspective génétique, en prenant en compte non la seule version définitive du mémoiremais aussi les multiples versions préparatoires élaborées par l’étudiant, <strong>ce</strong> à quoi nous noussommes attachée. Les départements pédagogiques <strong>des</strong> hautes écoles forment en Communauté française de Belgique lesenseignants, de la maternelle aux premières années du secondaire. Les principes qui ont guidé notre intervention didactique sont davantage explicités dans l’autre contributionque nous proposons dans le cadre de <strong>ce</strong> même colloque. Le lecteur peut également se référer à d’autrespublications, dont les référen<strong>ce</strong>s figurent dans la bibliographie. Il s’agit d’un pseudonyme, attribué pour <strong>des</strong> raisons déontologiques évidentes. En réalité, notre corpus inclut en outre les enregistrements <strong>des</strong> entretiens de supervision et <strong>des</strong> défensesorales du TFE mais, par manque de temps, nous n’avons pu prendre en compte <strong>ce</strong>s données dans le cadrede <strong>ce</strong>tte contribution.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 247Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (247-259) Tome 2


C. SCHEEPERS1. ProblématiqueNotre principale question de recherche est la suivante : quelles pratiques langagières(Bautier) sont mises en jeu dans <strong>ce</strong> corpus foisonnant ? Autrement dit, d’un point de vueméthodologique, nous avons adopté une lecture <strong>des</strong>criptive et compréhensive, nous avonstâché de comprendre de l’intérieur une conduite d’écriture identifiable dans un véritableparcours scriptural. Notre hypothèse était qu’un même itinéraire réflexif voyait alterner <strong>des</strong>pratiques langagières distinctes, sur <strong>des</strong> laps de temps variables. Autre hypothèse, trèsgénérale : chaque cheminement est singulier et voit se succéder <strong>des</strong> types de réflexivitédifférents. C’est donc <strong>ce</strong> que nous pourrions appeler une micro-pédagogie que nous avonsmise en pla<strong>ce</strong> : suivre sur une durée longue quelques sujets individuels avant de tenterd’identifier d’éventuelles formes de réflexivité similaires.D’un point de vue méthodologique, notre analyse minutieuse, fondée sur une grilleinterprétative complexe, nous permet de voir comment se construit progressivement, oupas, une authentique posture d’enseignant-chercheur. Les écrits sont envisagés au moyend’indicateurs divers : le positionnement énonciatif adopté, les opérations réflexives utilisées(Vanhulle), les modalisations opérées (Bronckart), la gestion de la polyphonie discursive, laconduite argumentative, la mise en récit de l’intervention (Ricoeur), la métadiscursivité, lerapport aux savoirs, la problématisation (Nonnon)… Nous tâchons de per<strong>ce</strong>voir comment lesujet négocie chacun de <strong>ce</strong>s paramètres et tous <strong>ce</strong>s indi<strong>ce</strong>s, une fois corrélés, finissent parconstituer une posture spécifique. Cette contribution porte sur les écrits du seul Sacha.2. Le journal de <strong>formation</strong> de SachaL’analyse du journal de Sacha permet de mettre au jour trois types de réflexivité nettementdistincts : <strong>ce</strong> sont trois types de journaux qui se succèdent au fil de la <strong>formation</strong>, pendant<strong>des</strong> durées variables. Le lecteur a tout d’abord affaire à un journal égo<strong>ce</strong>ntré. Dans undernier temps, il découvre un journal nettement plus problématisant. Entre les deux s’insèreun journal hybride, un journal de transition, entre une réflexivité tout à fait auto<strong>ce</strong>ntrée etune posture problématisante. Le journal révèle ainsi une problématisation accrue : l’écrituredevient plus con<strong>ce</strong>ptuelle, la réflexion du sujet s’appuie plus clairement sur les discoursd’autrui et sur les savoirs savants en particulier…2.1. Le journal égo<strong>ce</strong>ntré(du 1 er octobre 2003 au 26 dé<strong>ce</strong>mbre 2003) – 3 moisLa mise en relation de tous les paramètres envisagés finit par révéler un type de réflexivitébien spécifique. Le journal consiste en un cahier Atoma manuscrit. Sacha se positionnemassivement comme un étudiant, soucieux de réussir et surtout préoccupé par ses relationsinterpersonnelles plus ou moins houleuses avec ses pairs ou sa formatri<strong>ce</strong>. La distan<strong>ce</strong> et latension semblent minimales. Le scripteur soliloque, dresse un autoportrait assez complaisant.Le discours est abondamment modalisé dans le sens d’une très forte subjectivité. Les savoirssavants évoqués en classe semblent soigneusement tenus à distan<strong>ce</strong> : ils ne viennent pasappuyer la réflexion, pour autant que l’on puisse parler de réflexion. Ils sont négligés audétriment d’une écriture chargée d’hyper-affectivité. Les discours d’autrui sont tout à faitminoritaires. En outre, la conduite argumentative est vraiment minimale dans la mesure oùles propos sont martelés sans être étayés par d’authentiques arguments. Les faits ne sont248<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Une posture d’enseignant chercheur en construction : étude de caspas problématisés ou vraiment contextualisés, remis en perspective. Les évaluations <strong>des</strong>pairs sont négatives, les auto-évaluations majoritairement positives, teintées de quelquesnuan<strong>ce</strong>s, souvent justifiées par <strong>des</strong> attributions externes. Le langage est approximatif :abondent les métaphores douteuses, les termes inappropriés ou imprécis, les rupturessyntaxiques, les erreurs orthographiques… Nous pouvons donc légitimement parler d’unjournal égo<strong>ce</strong>ntrique : un journal <strong>ce</strong>ntré sur l’ego de son propriétaire, où les autres serventde faire-valoir, où les savoirs sont relégués au second plan, où l’affectif prime sur le cognitif,où l’écriture se dévide au fil de la plume, où les faits semblent s’énon<strong>ce</strong>r d’eux-mêmes et nedoivent pas être argumentés ou reconfigurés…2.2. Le journal hybride(du 26 dé<strong>ce</strong>mbre 2003 au 11 avril 2004) – 4 moisC’est à un tout autre journal que nous avons affaire dans un second temps. Le 3 dé<strong>ce</strong>mbre2003, nous adressons une première lettre à Sacha. Dans <strong>ce</strong>lle-ci, nous l’invitons à aller audelàde ses annotations purement affectives. Les entrées rédigées après <strong>ce</strong>tte lettre prennentune tout autre allure : la différen<strong>ce</strong> se marque au niveau de plusieurs indicateurs. Toutefois,Sacha ne parvient pas d’emblée à adopter une écriture plus con<strong>ce</strong>ptuelle, plus théorisante,plus savante. C’est une forme assez hybride de réflexivité que nous découvrons alors.Certains critères permettent de montrer une évolution notable, un véritable changement deposture tandis que d’autres paramètres restent inchangés. Le lecteur découvre donc uneforme transitoire, intermédiaire, entre une écriture résolument égo<strong>ce</strong>ntrique et une écritureproblématisante. D’ailleurs, Sacha commente lui-même dans son journal la mutation que<strong>ce</strong>lui-ci a subie. La version remaniée de son journal débute ainsi par une très longue entrée.Sacha y met en abyme le journal dans le journal lui-même. De façon programmatique, ilintroduit la version remaniée de son journal en précisant les objectifs qu’il assigne à sonécriture. Il introduit donc une forme de métatextualité car il commente l’écriture diaristique,il la réfléchit, il la définit. Assez clairement, le journal est envisagé comme un outil decommunication entre étudiant et formateur, outil sus<strong>ce</strong>ptible d’aider <strong>ce</strong> dernier à réguler sonintervention didactique, laquelle est pensée comme un pro<strong>ce</strong>ssus évolutif. En quelque sorte,les étudiants pourraient évaluer dans le journal la qualité <strong>des</strong> enseignements qui leur sontdispensés. Le diariste insiste sur le temps que requiert l’écriture dans le journal et expliqueque son point de vue a changé : il dit à présent envisager la tâche de façon plus positive.Le diariste s’organise, planifie les différentes tâches qui lui incombent, il prend du recul. Enparticulier, il pense à la transposition du journal de <strong>formation</strong> à l’école primaire : plusieursmois plus tard, Sacha décidera de consacrer son TFE au journal <strong>des</strong> savoirs qu’élaborent<strong>des</strong> élèves du primaire avec lesquels nous collaborons. Le choix du sujet du TFE s’originedonc dans une préoccupation ancienne.Le journal de Sacha a bougé. Plusieurs paramètres montrent une évolution <strong>ce</strong>rtaine, quipeut s’expliquer, du moins partiellement, par les recommandations dont nous faisions partdans notre première lettre. Pourtant, d’autres indi<strong>ce</strong>s indiquent une stagnation. Le Je esttoujours surprésent. La modalisation n’a pas vraiment changé. Le discours reste sentencieuxet doctrinal. Les savoirs savants sont toujours réduits à un vague statut ornemental : ilsne sont pas transposés, discutés, reformulés dans le journal. Au plus sont-ils convoquésde façon parcimonieuse. Certaines questions sont ainsi éludées, <strong>ce</strong>rtaines réponses sonterronées ou imprécises. La conduite argumentative reste minimale. Beaucoup de propossont assénés sans être étayés d’une façon ou d’une autre. Lorsque Sacha met en récit<strong>ce</strong>rtains éléments, la narration se fait parfois elliptique, parfois plus détaillée. En particulier,<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 249


C. SCHEEPERSle <strong>ce</strong>rcle de lecture qu’il a mené dans la classe de primaire donne lieu à un récit heuristique,explicite, où les résistan<strong>ce</strong>s du réel ne sont pas gommées. Par ailleurs, les entrées restentlongues et détaillées. Un investissement assez fort transparait donc. Le journal est toujourssobrement titré d’un « Journal de <strong>formation</strong> ». C’est donc une forme différente de réflexivitéqu’il nous est donné de voir. Certains changements sont très per<strong>ce</strong>ptibles, d’autres moins.Ont incontestablement évolué la matérialité du journal (il est maintenant dactylographié), lamétadiscursivité émerge, un dialogue est instauré, les opérations réflexives se multiplient etse diversifient, un positionnement comme futur instituteur apparait, la polyphonie discursivese renfor<strong>ce</strong>, les entrées sont maintenant datées, l’orthographe s’améliore quelque peu, lelexique se fait plus jargonnant… Mais, dans le même temps, le discours est peu argumentéet peu fondé sur les savoirs savants. Nous sommes donc fa<strong>ce</strong> à une logique scritpuraletransitoire, hybride. Le sujet ne parvient pas d’emblée à adopter une écriture plus con<strong>ce</strong>ptuelle,plus scientifique, plus théorisante.2.3. Le journal problématisant(de la fin avril 2003 à juin 2006) – 2 ans et 2 moisAlors que les deux précédentes moutures du journal ne duraient que quelques mois, latroisième et dernière logique d’écriture que nous avons pu identifier s’étend sur une périodelongue. Durant plus de deux ans, perdure une conduite scripturale relativement homogènequi radicalise <strong>ce</strong>rtaines <strong>des</strong> mutations que nous avions pu relever précédemment. Ladifféren<strong>ce</strong> majeure réside pour nous dans la pla<strong>ce</strong> accordée aux savoirs. A présent, <strong>ce</strong>uxcisous-tendent véritablement les énoncés du scripteur. Le rapport aux savoirs oscilleentre objectivation et subjectivation. Inlassablement, Sacha reprend, triture, met à plat leséléments théoriques abordés à la haute école. Ainsi, il reschématise les travaux de Jo<strong>ce</strong>lyneGiasson, il les commente, il leur donne parfois une autre forme. Il liste sans vraiment lescomparer sa propre définition de la lecture et <strong>ce</strong>lle proposée par Jo<strong>ce</strong>lyne Giasson ou leGroupe d’Ecouen. Il synthétise un long article de Marlène Lebrun consacré aux dispositifsinnovants <strong>ce</strong>ntrés sur la lecture-écriture. Il élabore une carte con<strong>ce</strong>ptuelle à propos du <strong>ce</strong>rclede lecture et du conte. Il juxtapose sans les mettre en lien les définitions que proposent MarcSoriano et l’Encyclopédie Encarta pour la littérature de jeunesse, précédées de sa définitionpersonnelle. Sacha résume et schématise les travaux de Gérard Genette, publiés dansFigures III. Bref, les savoirs sont davantage mobilisés : le diariste fait le point sur <strong>ce</strong> qu’ilsait, <strong>ce</strong> qu’il croit savoir, <strong>ce</strong> qu’il doit savoir. Il écrit, il <strong>des</strong>sine, il liste, il définit… L’analysedu positionnement énonciatif montre un Je professionnel plus abouti, plus réfléchi, plusmarqué aussi. Très fréquemment, Sacha se projette dans son futur métier en indiquant lesdispositifs didactiques qui lui ont paru pertinents et qu’il compte bien transposer dans sesfutures classes.Mis bout à bout, tous les paramètres pris en compte finissent par configurer un type deréflexivité à part entière : l’écriture se fait indubitablement plus con<strong>ce</strong>ptuelle. Une pla<strong>ce</strong>importante est accordée aux savoirs, le Je professionnel est plutôt marqué, un dialoguecognitif se met en pla<strong>ce</strong> avec la formatri<strong>ce</strong>, la métadiscursivité est prépondérante, lesopérations réflexives sont à la fois nombreuses et variées, une pla<strong>ce</strong> de choix est accordée auxopérations interprétatives, donnant lieu à <strong>des</strong> analyses minutieuses et parfois quantifiées…Ajoutons que le discours est très polyphonique, articulant <strong>des</strong> voix hétérogènes. Précisonsen outre que le volume <strong>des</strong> documents textuels et iconiques annexés au journal estconsidérable, <strong>ce</strong>s tra<strong>ce</strong>s sémiotiques diverses étant généralement commentées, discutées,intégrées. Ces caractéristiques persistent durant une très longue période, plus de deux250<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Une posture d’enseignant chercheur en construction : étude de casans, <strong>ce</strong> qui confère au journal une assez grande homogénéité, même si la fréquen<strong>ce</strong> <strong>des</strong>entrées décline nettement lors de la dernière année de <strong>formation</strong>. En définitive, le scripteurn’est plus enlisé dans <strong>des</strong> annotations teintées d’affectivité et empêtré dans une écrituredu Moi, de l’immédiateté. Il se montre davantage soucieux de faire le point sur ses savoirsen construction, de procéder à l’autoanalyse de son propre discours, de dresser le récitminutieux de ses activités didactiques… Il se pose <strong>des</strong> questions, il analyse finement<strong>des</strong> données… Bref, on peut dire qu’il tente, parfois avec maladresse ou inexactitude, deproblématiser <strong>des</strong> faits éducatifs. Mais nous n’avons pas affaire à un authentique journalde recherche dans la mesure où le TFE est totalement absent du journal. Il est toutefoislégitime d’avan<strong>ce</strong>r l’hypothèse selon laquelle le journal a vraisemblablement aidé Sacha àse positionner en chercheur dans son TFE car il l’a de toute éviden<strong>ce</strong> préparé à interpréter<strong>des</strong> textes, à s’approprier une grille interprétative, à quantifier <strong>des</strong> données...3. Les brouillons du TFE de SachaCela a été évoqué allusivement, Sacha décide finalement de consacrer son TFE aux journaux<strong>des</strong> savoirs qu’élaborent <strong>des</strong> élèves du primaire, dans trois classes dont les institutri<strong>ce</strong>ssont Nathalie Plancke, Virginie Boreux et Stéphanie Debusschère. Dans un petit cahier, lesenfants font le point sur leurs apprentissages et… leurs non-apprentissages. Ils dialoguentavec un tuteur, un étudiant de la haute école, lequel le guide dans sa réflexivité. Sachaenvisage d’étudier les journaux dans une perspective évolutive : entre le début et la fin duprojet, perçoit-on <strong>des</strong> différen<strong>ce</strong>s, et lesquelles ?, du point de vue de la périodicité ou de lalongueur <strong>des</strong> entrées, du positionnement énonciatif, <strong>des</strong> opérations réflexives… ? L’examen <strong>des</strong> brouillons que Sacha nous remet montre un brouillonnement intense, qui sedéploie sur trois pério<strong>des</strong> distinctes de la dernière année académique, à savoir, 2005-2006 :septembre–octobre, janvier et avril-mai. Ainsi, c’est significatif, l’écriture se tarit durant lespério<strong>des</strong> de stage à l’école primaire. Contrairement à d’autres étudiants, Sacha mor<strong>ce</strong>llel’écriture du TFE : un très grand nombre de textes brefs nous sont remis à intervalles réguliers.Durant la première phase de préparation, Sacha se montre surtout préoccupé de déterminerprécisément quelle sera sa problématique : il énon<strong>ce</strong> ses questions de recherche, propose<strong>des</strong> hypothèses et détermine <strong>des</strong> pistes méthodologiques. Pendant la deuxième étape, ilpeaufine brièvement sa problématique puis élabore une table <strong>des</strong> matières provisoire et sabibliographie. Il tente en outre d’expliquer comment le projet « journal de mes savoirs » a étémis en route, tant à l’école primaire qu’à la haute école. Enfin, il réélabore <strong>ce</strong>s parties dansl’ultime phase. Bien entendu, il écrit en outre les sections manquantes : cadre théorique,compéten<strong>ce</strong>s visées par le projet, analyse du corpus… Là, sans surprise, le terme du travailapprochant, le nombre et la fréquen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> brouillons s’ac<strong>ce</strong>ntuent nettement. Chaquebrouillon est en outre titré, daté, paginé et numéroté (« jet n°2 »). L’écriture se conçoit donccomme un authentique pro<strong>ce</strong>ssus, inscrit dans la durée. En définitive, <strong>ce</strong> sont trente-quatrebrouillons qui nous seront remis au fil du temps. Les textes les plus brefs font une seulepage, les plus longs comptent neuf pages. On le voit, l’écriture est donc atomisée en <strong>des</strong>textes nombreux mais courts : le scripteur s’attache à chaque fois à un point extrêmementpar<strong>ce</strong>llarisé de son entreprise. La tâche d’élaboration du TFE, tâche complexe s’il en est, estainsi fragmentée en une multitude de sous-tâches aux enjeux spécifiques. A l’inverse, uneétudiante de <strong>ce</strong>tte même cohorte nous remettra quelques jours à peine avant l’échéan<strong>ce</strong> de Le lecteur aura noté la relative homologie entre la problématique adoptée par Sacha et la nôtre… Sacha élabore son TFE sous notre supervision.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 251


C. SCHEEPERSdépôt <strong>des</strong> TFE un brouillon d’un seul tenant, long d’une quarantaine de pages. Entre <strong>ce</strong>sdeux extrêmes coexistent <strong>des</strong> pratiques intermédiaires et très diverses d’un sujet à l’autre.Si les multiples jets suc<strong>ce</strong>ssifs montrent une avancée vers la posture d’enseignant-chercheur,<strong>ce</strong>lle-ci apparait néanmoins très vite, au travers de multiples indicateurs. Les tentatives deproblématisation sont, dès le départ, relativement abouties. La conduite argumentative estpermanente, les opérations réflexives abondent, les mises en récit de l’intervention dansle primaire sont plutôt bien menées… Nos propres commentaires sont assez rares : ilsconsistent surtout en <strong>des</strong> encouragements, <strong>des</strong> remarques valorisantes, <strong>des</strong> nuan<strong>ce</strong>s, debrefs ajouts, <strong>des</strong> propositions d’amendements…4. La version définitive du travail de fin d’étu<strong>des</strong> de SachaUne fois patiemment corrélés, tous les paramètres que nous avons envisagés pour examinerla version définitive du TFE de Sacha, à l’une ou l’autre ex<strong>ce</strong>ption près, finissent par esquisserune authentique posture auctoriale. Ainsi, le jet final du TFE constitue l’aboutissement d’unintense pro<strong>ce</strong>ssus scriptural.Du point de vue <strong>des</strong> instan<strong>ce</strong>s énonciatives, le scripteur ne se positionne jamais en tantque personne, en revanche, il s’énon<strong>ce</strong> en tant qu’étudiant, que futur enseignant ou, et<strong>ce</strong>la est sans doute très significatif, en tant que membre d’un groupe de recherche. Eneffet, il désigne sa propre classe par la mention suivante : « <strong>des</strong> étudiants expérimentésde la haute école soucieux de leur apporter [aux élèves du primaire] une aide appropriéepour tenter de résoudre leurs problèmes » (p. 8). Dans la même page, Sacha écrit : « nous,futurs instituteurs, avons mis en pla<strong>ce</strong> depuis plusieurs mois, un dispositif fort similaire :« le journal de mes savoirs » ». Cette expression reviendra à plusieurs reprises au fil dudiscours : elle révèle l’identité visée par le groupe-classe. Plus interpellante encore, est lamention qui suit. Discutant les travaux de Jacques Crinon, Sacha met en éviden<strong>ce</strong> la filiationentre nos propres démarches et <strong>ce</strong>lles du chercheur français. Il prend soin de souligner lesdivergen<strong>ce</strong>s que nous avons établies. Entre autres points, au lieu de reprendre l’expression« journal <strong>des</strong> apprentissages », les étudiants avaient préféré l’appellation « journal demes savoirs ». En particulier, l’utilisation du déterminant possessif avait fait l’objet d’unintense débat. Sacha prend la peine de préciser : « Notre groupe de chercheurs entendpar « savoirs » : les savoirs théoriques, les savoir-faire et les savoir-être (compéten<strong>ce</strong>stransversales) utilisées lors <strong>des</strong> apprentissages et de la rédaction du journal » (p. 26). Onle voit bien, le scripteur envisage sa propre classe comme un collectif de chercheurs : il estpeut-être permis d’y voir une <strong>des</strong> conséquen<strong>ce</strong>s de notre participation active au colloquede l’ABLF, lequel a assez officiellement adoubé la classe comme un groupe de chercheurs,débutants <strong>ce</strong>rtes . En outre, <strong>ce</strong>tte façon de préciser le sens que l’on attribue aux termesque l’on emploie manifeste elle aussi une posture de chercheur.Dans le même temps, le marquage de l’énonciateur s’avère être très hétérogène. Sachaécrit en Je lorsqu’il évoque son TFE, c’est-à-dire quand il annon<strong>ce</strong> la structure de sontravail, quand il fait mention de sa problématique, quand il énumère les résultats de sesinvestigations… Mais dès qu’il désigne le travail qui a été entrepris par le groupe-classe(élaboration <strong>des</strong> consignes communiquées aux élèves, écriture <strong>des</strong> lettres <strong>des</strong>tinées auxtutorés…), c’est tout naturellement qu’il recourt au « nous » : « nous nous sommes largementinspirés » (p. 12), « nous avons dû prendre connaissan<strong>ce</strong> » (p. 26)… La valeur du « nous » Voir à <strong>ce</strong> propos notre autre contribution au présent colloque.252<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Une posture d’enseignant chercheur en construction : étude de casest <strong>ce</strong>pendant plus floue à <strong>ce</strong>rtains moments : « nous sommes bien dans la logique decompagnonnage » (p. 23). Il arrive également que la première personne du pluriel sembleenglober le scripteur et le lecteur, lorsqu’il s’agit notamment d’interpréter un graphique : « de<strong>ce</strong>tte manière, nous pouvons remarquer que les diaristes emploient plus souvent le « je »élève, la moyenne d’utilisation de <strong>ce</strong>tte posture dans les trois corpus étant de 78,8% » (p.38). En outre, le « nous » est parfois étrangement délaissé au profit de la troisième personnedu pluriel, alors même que l’étudiant fait partie du groupe : « Par ailleurs, les in<strong>formation</strong>squi y sont véhiculées [dans le journal] permettent aux tuteurs expérimentés de situer leur(s)jeune(s) diariste(s) dans leurs apprentissages. De <strong>ce</strong> fait, ils pourront leur offrir une aideprécise et utile en travaillant dans leur zone proximale de développement (Vygotski) » (p.12). Un peu plus loin, le scripteur ajoute : « Lors de la mise en pla<strong>ce</strong> du dispositif, lesétudiants se sont rapidement aperçus qu’il avait deux dimensions » (p. 23). Cette façon deparler de soi à la troisième personne traduit peut-être la volonté de se détacher son actionpropre pour l’envisager avec plus de recul. Bref, les stratégies par lesquelles le scripteurs’inscrit dans son discours sont tout à fait multiples : il arrive régulièrement qu’elles alternentdans une même page. Quoi qu’il en soit, il semble bien que le degré de prise en charge parl’énonciateur de son statut d’énonciateur soit très grand : <strong>ce</strong>lui-ci semble assumer tout à faitles propos assertés. La distan<strong>ce</strong> peut dès lors être qualifiée de minimale.Quant aux modalisations, elles sont extrêmement présentes, tout au long du texte etprennent <strong>des</strong> formes bien diverses. Il est difficile de décider si un type de modalisation prendle pas sur les autres. En revanche, le discours est assez peu tendu : nous relevons peud’adresses au lecteur. Nous épinglons deux seules occurren<strong>ce</strong>s, la première s’adressantà un lecteur indéterminé : « Vous l’aurez compris, <strong>ce</strong>t outil métacognitif sort donc <strong>des</strong>pratiques scripturales traditionnelles » (p. 20). La seconde s’inscrit tout au terme de laconclusion générale. Insistant sur les bénéfi<strong>ce</strong>s supposés d’une écriture métacognitive auprimaire, le scripteur conclut en terminant par : « Alors, êtes-vous prêts à vous lan<strong>ce</strong>r dans<strong>ce</strong>tte merveilleuse aventure ? Moi oui ! » (p. 48). C’est alors aux instituteurs que sembles’adresser Sacha, lequel parait en profiter pour souligner son souhait de transposer dans safuture classe le dispositif qu’il a pu expérimenter puis analyser à la haute école. S’agissantde la métadiscursivité, elle reste très ponctuelle : nous la repérons lorsque Sacha annon<strong>ce</strong>la structure générale du TFE ou d’une section spécifique, lorsqu’il explicite les visées dechaque partie ou revient sur ses résultats. Mais de façon générale, le scripteur met assezpeu en abyme son propre TFE.De façon générale, les savoirs que mobilise l’individu sont corrects, voire très rigoureux,même s’ils ne sont pas exempts, de temps à autre, d’une relative approximation ousimplification abusive. Cela étant, le discours s’appuie en règle générale sur <strong>des</strong> savoirsqui paraissent soli<strong>des</strong> et ont fait l’objet d’une véritable appropriation. Par ailleurs, il noussemble que sur <strong>ce</strong>rtaines questions de recherche bien ciblées, le TFE de Sacha apporte<strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s inédites, il ne consiste pas en un simple inventaire de savoirs produitspar d’autres. Des comptages méticuleux sont effectués, <strong>des</strong> analyses fines sont menées. Sil’activité de recherche peut être définie comme la production de connaissan<strong>ce</strong>s scientifiques,il nous semble alors que <strong>ce</strong> TFE apporte un éclairage intéressant sur <strong>des</strong> dimensions quiont été très peu investiguées jusqu’à présent. Le travail est alors très loin d’un rapport <strong>des</strong>tage quelque peu étoffé ou d’une compilation de travaux existants.À <strong>ce</strong> titre, l’étude <strong>des</strong> opérations réflexives s’avère elle aussi riche d’enseignements. Lelecteur est tout d’abord frappé par la récurren<strong>ce</strong> <strong>des</strong> opérations évaluatives, généralementpositives, qu’il s’agisse de porter un jugement sur le projet, les pairs, les chercheurs ou<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 253


C. SCHEEPERSsoi-même. Ainsi, les étudiants de la haute école sont désignés en tant que « tuteursexpérimentés » (p. 11) et sont d’ailleurs remerciés pour « avoir mis en pla<strong>ce</strong> le dispositif etpour l’avoir suivi de manière régulière et <strong>professionnelle</strong> » (p. 7). De façon très marquée, leprojet « journal <strong>des</strong> savoirs », tout comme le projet « journal de <strong>formation</strong> », est connoté trèspositivement. Cela dit, <strong>ce</strong> type d’annotations figure plutôt au début du TFE : lorsqu’il est tenude répondre aux questions de recherche qui permettent de structurer son travail, Sachanuan<strong>ce</strong> ses propos et doit bien constater qu’au-delà <strong>des</strong> bénéfi<strong>ce</strong>s postulés de l’outil, <strong>ce</strong>dernier ne semble pas profiter à tous de façon optimale, bien entendu, <strong>des</strong> réserves doiventêtre apportées. C’est précisément en quoi <strong>ce</strong> TFE ne peut selon nous être rangé dans laconstellation <strong>des</strong> discours militants. Si <strong>des</strong> a prioris positifs sont tout d’abord énoncés, ilssont ensuite quelque peu relativisés au vu <strong>des</strong> données empiriques effectivement récoltées.Dans une logique militante, les résultats qui ne vont pas dans le sens <strong>des</strong> hypothèsesd’abord formulées sont plus ou moins soigneusement mis de coté ou « toilettés ».S’agissant <strong>des</strong> propos <strong>des</strong> chercheurs, Sacha les présente avantageusement : « j’empruntela définition de B. Noël (1997, pp. 19-21) qui me paraît être la plus complète et la plus justecar elle se base sur […] » (p. 21), « comme le dit très bien Jacques Crinon […] » (p. 27)…Par ailleurs, le scripteur qualifie sa propre analyse comme étant « très méticuleuse et trèsdétaillée » (p. 34). Ainsi, les opérations évaluatives sont nombreuses et diverses : ellesportent sur <strong>des</strong> objets variés mais s’avèrent bien souvent positives.Les opérations interrogatives ne sont pas en reste, elles émaillent l’entièreté du discourset s’immis<strong>ce</strong>nt dès l’amor<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>lui-ci : « je me demande comment <strong>ce</strong>s journaux ontévolué dans le temps et chez qui <strong>ce</strong>s évolutions sont les plus spectaculaires » (p. 8). Cetteinterrogation, qui constitue en quelque sorte la question générale de recherche, sera déclinéeen sous-questions plus spécifiques au début de la partie pratique. En effet, <strong>ce</strong>s diversesinterrogations seront alternativement abordées et sous-tendront véritablement l’entièreté duTFE. Par ailleurs, au terme de la conclusion de la partie pratique, de nouvelles questionsseront formulées : « Maintenant et comme le projet continue, mes résultats se confirmerontilsdavantage ou s’inverseront-ils ? Les filles domineront-elles toujours leurs homologuesdans <strong>ce</strong>s dimensions ou non ? Le développement de la dimension affective du journal serat-elleprogressive ou dégressive ? […] » (p. 46). D’autres questions de recherche cloturent laconclusion générale. Le questionnement est dès lors très marqué dans le discours de Sacha :<strong>ce</strong>s opérations interrogatives contribuent nettement au mécanisme de problématisation quemet en pla<strong>ce</strong> le scripteur.Les opérations compréhensives sont présentes, elles aussi. Sacha revient par exemple demanière détaillée sur les différentes phases par lesquelles le projet a été mis en pla<strong>ce</strong> dansles classes du primaire. A différents moments, le scripteur résume ou reformule les écrits<strong>des</strong> chercheurs ou <strong>des</strong> enfants. Il donne à voir les données empiriques sous différentesformes. En particulier, il élabore quelques graphiques, sur la périodicité <strong>des</strong> entrées ou surles postures énonciatives…En outre, les données empiriques récoltées font l’objet de nombreuses et minutieusesanalyses. Les graphiques évoqués ci-<strong>des</strong>sus sont longuement commentés et disséqués.Des pour<strong>ce</strong>ntages précis sont mis au jour, à propos de la longueur <strong>des</strong> entrées ou <strong>des</strong>postures énonciatives assumées par les petits diaristes. Au-delà <strong>des</strong> seuls résultats chiffrés,<strong>des</strong> tentatives d’explications sont apportées : « Cette tendan<strong>ce</strong> régressive a probablementpour origine un manque d’intérêt de la part <strong>des</strong> enfants, un manque de temps pour écrire enclasse ou un état de lassitude. Les deux fragments du cahier d’Oscar (corpus 2004-2005)illustrent parfaitement <strong>ce</strong>tte situation » (p. 36). De manière générale, les interprétations254<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Une posture d’enseignant chercheur en construction : étude de casapportées sont fines, nuancées, prudentes, argumentées, approfondies.Une autre opération réflexive que l’on peut identifier dans le discours de Sacha, mais dansune proportion moindre, est l’opération de guidage : elle se révèle en particulier dans lesintroductions, qu’il s’agisse de l’introduction générale ou <strong>des</strong> introductions partielles : lescripteur explique <strong>ce</strong> qu’il va faire, anticipe le contenu de la section qui s’amor<strong>ce</strong>, se fixe <strong>des</strong>objectifs clairs… D’une <strong>ce</strong>rtaine façon, les différentes questions de recherche, rappeléesà intervalles réguliers au fil du discours, peuvent être envisagées comme autant de buts àatteindre. Bref, les opérations réflexives abondent et sont de natures variées, même si lesopérations évaluatives, interprétatives et interrogatives paraissent quelque peu prendre lepas sur les autres.L’analyse est très facile dès lors qu’il s’agit d’aborder la question de la conduite argumentative :<strong>ce</strong>lle-ci est omniprésente. Cette systématicité de l’argumentation peut prendre <strong>des</strong> formesbien diverses. Cela va de l’emploi bien connu <strong>des</strong> « car » ou « puisque » à d’autres modalités :« Le projet s’inscrit dans le paradigme socioconstructiviste de Vygotski […] puisque lesinteractions avec autrui sont déterminantes dans leurs apprentissages. Il développeégalement d’une manière démocratique <strong>ce</strong> que B. Noël (1997) appelle la métacognitionrégulatri<strong>ce</strong> car il encourage les jeunes scripteurs à prendre <strong>des</strong> décisions quant à la miseen pla<strong>ce</strong> d’actions ayant pour objectif l’amélioration de leurs démarches mentales » (p. 8).Chaque fait est ainsi étayé par <strong>des</strong> arguments divers. Dans le même temps, le sujet montrequ’il sait <strong>ce</strong> que recouvrent <strong>des</strong> formulations du type « paradigme socioconstructiviste » ou« métacognition régulatri<strong>ce</strong> ». Eventuellement, il clarifie en outre pour le lecteur, profaneou non, le sens d’expressions jargonnantes qu’il pourrait ne pas connaître ou comprendredans une ac<strong>ce</strong>ption différente. Il semble bien que chaque affirmation soit appuyée par uneargumentation.Les choix posés en terme de recherche ou de structuration du TFE sont également explicitéset âprement défendus. Un peu plus loin, Sacha se fonde abondamment sur les cahiers <strong>des</strong>élèves, dont <strong>des</strong> extraits sont cités ou reformulés, pour corroborer ses nombreuses analyses :« <strong>ce</strong>s extraits prouvent indiscutablement que […] » (p. 24), « les deux fragments du cahierd’Oscar illustrent parfaitement <strong>ce</strong>tte situation » (p. 37)… Parfois, l’analyse est seulementsuivie d’un double point qui introduit une citation <strong>ce</strong>nsément révélatri<strong>ce</strong>. Très clairement,<strong>ce</strong>tte permanen<strong>ce</strong> de la conduite argumentative constitue un indi<strong>ce</strong> important dans laperspective d’évaluer la présen<strong>ce</strong> d’une réelle posture auctoriale telle qu’elle se déclineraitdans un TFE, voire dans tout discours de recherche : sans discussion possible, le discoursscientifique consiste en un discours foncièrement argumenté. Sont systématiquementargumentés tous les propos tenus, qu’il s’agisse de préciser ses choix méthodologiques, dediscuter d’un con<strong>ce</strong>pt, de juger les écrits <strong>des</strong> chercheurs, d’analyser les données récoltées,d’interpréter un graphique, de revenir sur ses propres hypothèses… Par ailleurs, le discoursde recherche est un discours qui prête à la polémique dans la mesure où il peut faire l’objetd’une quelconque réfutation par autrui.Le discours de Sacha semble réellement problématisant. La problématique est formulée defaçon très explicite, qu’il s’agisse <strong>des</strong> questions de recherche, <strong>des</strong> hypothèses ou <strong>des</strong> choixméthodologiques. Elle sous-tend véritablement tout le travail, elle en constitue l’ossatureet elle s’inscrit en outre dans la subjectivité du scripteur dans la mesure où il fait état <strong>des</strong>on implication dans le projet, de son enthousiasme également. Un cadre épistémologiqueest choisi, en l’occurren<strong>ce</strong>, le cadre socioconstructiviste. Très clairement, la problématiques’insère dans une temporalité longue : le titre lui-même du TFE en fait foi. Sacha souhaiteprendre en compte l’écriture réflexive <strong>des</strong> élèves telle qu’elle se déploie au fil <strong>des</strong> mois et<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 255


C. SCHEEPERSdégager d’éventuelles évolutions. La problématique est ouverte, si les sous-questions derecherche sont plutôt binaires (« les sujets dialoguent-ils avec leur(s) tuteur(s) ? », p. 32), laquestion <strong>ce</strong>ntrale ne l’est guère (« comment <strong>ce</strong>s journaux ont-ils évolué dans le temps ? »).On voit en outre que les niveaux de questionnements sont bien articulés : une interrogationgénérale est ensuite déclinée en questionnements plus spécifiques. Par ailleurs, le scripteurmultiplie les hypothèses : pour faire état de ses intuitions de départ, pour tenter d’expliquer<strong>des</strong> phénomènes observés ou pour finalement constater que ses hypothèses initiales nesont pas vali<strong>des</strong>. De façon récurrente, Sacha clarifie en outre très précisément ses pistesméthodologiques, qu’il s’agisse de son échantillon, <strong>des</strong> procédures concrètes qu’il a misesen œuvre…Si l’on étudie à présent la mise en intrigue de l’intervention telle que le scripteur l’a pensée, leconstat est plus mitigé. Si sont finement mises à plat les modalités précises de l’interventionmenée en classe et <strong>des</strong> analyses finalement conduites, il n’est pas rare de constater audébut du TFE une <strong>ce</strong>rtaine confusion entre les buts visés par le dispositif et les effets réels.Ainsi, Sacha écrit notamment : « Le dispositif développe chez les apprenants <strong>ce</strong> que B. Noël(1997, pp. 10-11) appelle la « métacognition régulatri<strong>ce</strong> » car il les encourage à identifiereux-mêmes leur pro<strong>ce</strong>ssus d’apprentissage […] » (p. 12). Une formulation du type : « Ledispositif est sus<strong>ce</strong>ptible de développer... » serait sans doute plus adéquate à <strong>ce</strong> stadede la recherche. L’emploi du futur simple, temps de la <strong>ce</strong>rtitude, n’est pas inno<strong>ce</strong>nt dans<strong>ce</strong>rtaines affirmations, assez péremptoires : « De <strong>ce</strong> fait, ils [les tuteurs] pourront leur offrirune aide précise et utile en travaillant dans leur zone proximale de développement […]. C’estd’ailleurs de <strong>ce</strong>tte manière que les élèves pourront solutionner résoudre <strong>des</strong> exerci<strong>ce</strong>s, <strong>des</strong>problèmes… qu’ils n’auraient pas su résoudre seul » (p. 12). Cependant, d’autres énoncéssont plus prudents, moins assertifs : « Depuis le début du projet, nous espérons qu’il aura<strong>des</strong> effets bénéfiques sur le travail <strong>des</strong> élèves » (p. 12). Cette relative assimilation entreles objectifs poursuivis par les participants du projet et ses effets véritables n’est pas, unefois de plus sans rappeler une <strong>ce</strong>rtaine logique militante mais la suite du TFE montreraclairement que Sacha, au terme d’une analyse <strong>des</strong>criptive et minutieuse, est contraint denuan<strong>ce</strong>r quelque peu ses a prioris enthousiastes.Ainsi, et les deux phénomènes sont sans doute profondément liés, le début du TFE révèleune causalité directe entre le dispositif mis en pla<strong>ce</strong> et son impact sur les élèves. De façontrès affirmative, le scripteur écrit : « le dispositif développe chez les apprenants… » (p.12) ». Le journal est connoté très positivement, comme le montre <strong>ce</strong> propos : « les premiersà bénéficier de <strong>ce</strong>t outil pédagogique et langagier étaient les élèves de quatrième primairede Madame Nathalie Plancke » (p. 13). Cela étant, par la suite, le récit se nuan<strong>ce</strong>, lesrésistan<strong>ce</strong>s du réel sont massivement évoquées. En effet, le scripteur fait d’abord allusionaux difficultés rencontrées avec la directri<strong>ce</strong> d’une école primaire (p. 13). Un peu plus loin,il précise : « <strong>des</strong> ateliers d’écriture sont organisés chez Mme Debusschère car les enfantséprouvent manifestement <strong>des</strong> difficultés à écrire » (p. 18). Il dresse ensuite la liste <strong>des</strong>apprentissages que le journal permettrait de susciter puis il conclut : « Cependant, le journaln’est pas un remède-miracle offrant rapidement de bons résultats. En effet, les améliorationsne se verront qu’à long terme, il faut donc être patient » (p. 25). S’il est sans doute pertinentd’être prudent par rapport aux bénéfi<strong>ce</strong>s supposés de l’outil diaristique, il faudrait peut-êtreposer à titre d’hypothèse, et non de vérité révélée, que les effets du journal se manifestentaprès un <strong>ce</strong>rtain laps de temps. Par ailleurs, lorsqu’il amor<strong>ce</strong> sa partie pratique, Sacha écrit :« les apprenants se sont accaparés, facilement ou difficilement, leur journal <strong>des</strong> savoirs pouren faire, au fil du temps, <strong>des</strong> outils uniques » (p. 32). Des regrets sont en outre énoncésquant au recueil <strong>des</strong> données : « Malheureusement, pour <strong>des</strong> raisons pratiques (il fallait que256<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Une posture d’enseignant chercheur en construction : étude de casje débute ma partie pratique), je n’ai pas pu entrer en possession <strong>des</strong> dernières entrées de<strong>ce</strong>ux-ci » (p. 34). Il arrive également que le scripteur parle d’une « analyse particulièrementcontraignante et difficile à mener » (p. 40). Il ajoute : « Cependant, il est difficile de jugerles journaux car ils restent <strong>des</strong> outils personnels dans lesquels chaque apprenant peutécrire à sa manière en utilisant <strong>des</strong> <strong>des</strong>sins, <strong>des</strong> tableaux, <strong>des</strong> graphiques, <strong>des</strong> cartescon<strong>ce</strong>ptuelles… » (p. 42). Enfin, avec récurren<strong>ce</strong>, Sacha doit se rendre à l’éviden<strong>ce</strong> :<strong>ce</strong>rtaines de ses hypothèses ne sont manifestement pas vérifiées par l’examen du corpusrecueilli. On le voit donc, si le discours parait plutôt algorithmique dans un premier temps, ildevient nettement plus heuristique par la suite : <strong>des</strong> difficultés réelles sont soulignées, qu’ils’agisse de la mise en pla<strong>ce</strong> du dispositif, <strong>des</strong> effets constatés, de la collecte de donnéesou de leur interprétation.Le discours s’avère en outre être profondément polyphonique : les énoncés de Sachainteragissent constamment avec les voix d’autrui. La proportion <strong>des</strong> discours étrangers est trèsimportante et <strong>ce</strong>ux-ci s’insèrent parfaitement au cœur du texte du scripteur : ils s’y articulentintimement, ils ne s’y juxtaposent jamais. Dans le même temps, ils sont toujours référencéscomme tels : le lecteur sait constamment qui parle. Quant aux mo<strong>des</strong> de référencialisation,ils varient : évocation, reformulation et citation alternent. L’origine <strong>des</strong> discours d’autrui estégalement de natures diverses. Toutes les formes d’énoncés intertextuels sont identifiables :discours disciplinaires (Simonet-Tenant), didactiques (Penloup, Reuter), pédagogiques(Crinon, Vygotski, Vergnaud, Bloom, Vanhulle…) ou curriculaires (Socles de compéten<strong>ce</strong>set programmes officiels). Pour les discours infratextuels, nous notons une présen<strong>ce</strong> trèsforte <strong>des</strong> élèves (clairement individualisés et désignés par un pseudonyme) ou <strong>des</strong> pairs,lesquels sont partie prenante dans la mise en route et l’accompagnement du projet. De façonmoins prononcée, il est également fait mention <strong>des</strong> différentes institutri<strong>ce</strong>s qui implantentl’outil dans leur classe. Nous notons, et <strong>ce</strong>la est très significatif, une intrication profondeentre discours intertextuel, discours infratextuel et discours du sujet. Ainsi, Sacha compareétroitement diverses définitions de la tutelle. Il articule constamment la nature du projet auxéléments théoriques fournis pas la recherche, il montre en quoi <strong>ce</strong>lui-ci s’avère en outrecongruent avec le prescrit légal. Une de ses hypothèses de recherche s’appuie clairementsur les travaux de Marie-Claude Penloup. Ses analyses sont toujours mises en lien avec<strong>des</strong> extraits jugés emblématiques <strong>des</strong> cahiers <strong>des</strong> élèves. Quant à ses résultats, ils sontréférés aux conclusions avancées par Jacques Crinon. La relation aux discours d’autrui estglobalement consensuelle (« comme le dit très bien Jacques Crinon », p. 27) mais elle estparfois con<strong>ce</strong>ssive ou démarcative, lorsque Sacha avan<strong>ce</strong> sa propre définition du savoirou compare terme à terme les modalités concrètes de notre projet et de <strong>ce</strong>lui mené parJacques Crinon.L’examen de l’infrastructure générale du TFE montre un discours très structuré : la partiethéorique et la partie pratique sont relativement équilibrées. Nous notons d’abondantesintroductions et conclusions partielles. Par ailleurs, sur un plan plus local, les mots-lienssont omniprésents : « donc », « également », « ainsi », « en effet », « c’est pourquoi »…De nombreux renvois sont faits à <strong>des</strong> parties antérieures ou ultérieures. Les conclusions,partielles ou générale, permettent véritablement de faire le point sur les acquis de la partieprécédente. D’un point de vue lexical, on l’a vu, le discours est volontiers jargonnant et lescon<strong>ce</strong>pts-clés sont systématiquement explicités. La prise en compte de la morphosyntaxes’avère congruente avec les constats que nous avons dressés à partir de l’étude de lamise en récit : le futur, temps de la <strong>ce</strong>rtitude, prévaut dans la première partie puis il cèdela pla<strong>ce</strong> au conditionnel, temps de l’hypothèse par ex<strong>ce</strong>llen<strong>ce</strong> : « il semblerait que <strong>ce</strong>ux-cise <strong>ce</strong>ntrent » (p. 38), « il serait bon d’étudier » (p. 47), « il serait également utile » (p. 48),<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 257


C. SCHEEPERS« il serait bon » (p. 48), « il faudrait impliquer davantage » (p. 48), « sans doute serait-ilintéressant » (p. 48)… Enfin, le lecteur attentif l’aura remarqué, si l’orthographe est souventtrès correcte, il reste néanmoins quelques erreurs ou coquilles.De façon générale, le paratexte est très sobre. Un papier cartonné jaune-beige fait offi<strong>ce</strong>de couverture. Sacha utilise le Times 12, l’interligne 1, les marges sont plutôt réduites. Lesextraits <strong>des</strong> cahiers <strong>des</strong> enfants apparaissent en caractère 10 et en italique. La couleurest utilisée pour les quelques graphiques et pour pointer les opérations réflexives dans lesextraits <strong>des</strong> journaux. Les documents iconiques consistent en <strong>des</strong> graphiques, un tableaurécapitulant les diverses phases du projet, <strong>des</strong> textes d’élèves scannés… Nous dénombronstrente pages d’annexes : <strong>ce</strong>lles-ci sont titrées, numérotées, paginées et précédées d’unetable <strong>des</strong> annexes. Dans <strong>ce</strong>lles-ci figurent <strong>des</strong> documents divers : consignes communiquéesaux élèves, tableaux récapitulatifs de données, questionnaires <strong>des</strong>tinés aux enfants, grilled’autoanalyse <strong>des</strong> journaux de <strong>formation</strong>…ConclusionL’étude de cas que nous avons menée révèle comment un même sujet passe progressivementd’une posture auto<strong>ce</strong>ntrée et affective à une posture d’enseignant-chercheur au terme d’unitinéraire scriptural long et méandreux. On a vu comment l’étude approfondie de la façon dontun même sujet négocie un même paramètre et la corrélation de <strong>ce</strong>s divers indi<strong>ce</strong>s finissentpar <strong>des</strong>siner un type de réflexivité spécifique, aux contours nettement marqués. Ce sont doncplusieurs formes de réflexivité qui se succèdent au fil de la <strong>formation</strong> chez un même sujet. Laprise en compte d’autres parcours scripturaux montre <strong>des</strong> cheminements très contrastés etsinguliers. Cependant, sous la singularité per<strong>ce</strong>nt de relatives récurren<strong>ce</strong>s dans les mo<strong>des</strong>de (se) dire et (se) penser : peuvent être identifiées, entre autres, une logique militante,une logique égo<strong>ce</strong>ntrée ou une logique scientifique. Si Sacha parvient manifestement àendosser une posture d’enseignant-chercheur dans son TFE, après divers bougés, <strong>ce</strong> n’estpas forcément le cas pour tous les étudiants que nous avons suivis : <strong>ce</strong>rtains se positionnentd’emblée comme chercheurs, d’autres n’y parviennent que partiellement. Quoi qu’il en soit,<strong>des</strong> étu<strong>des</strong> telles que la nôtre permettent vraisemblablement de voir comme un individureconfigure la <strong>formation</strong> dans laquelle il est enrôlé et, partant, de repenser <strong>ce</strong>lle-ci.BibliographieBarbier J.-M. (2001) « La constitution de champs pratiques en champs de recherches »- in J.-M. Baudouin et J. Friederich, Théories de l’action éducative pp. 305-316. Bruxelles,de Boeck et Larcier.Bautier É. (1995) Pratiques langagières, pratiques sociales. Paris, L’Harmattan.Bernié J.-P. (2002) « L’approche <strong>des</strong> pratiques langagières scolaires à travers la notion de« communauté discursive » : un apport à la didactique comparée ? » - Revue Française dePédagogie n° 141, pp. 77-88.Bronckart J.-P. (1996) Activité langagière, textes et discours. Pour un interactionnismesocio-discursif. Lausanne-Paris, Delachaux et Niestlé.Brown A. L., Campione J. C. (1995). « Con<strong>ce</strong>voir une communauté de jeunes élèves.Leçons théoriques et pratiques » - Revue Française de Pédagogie n° 111, pp. 11-33.258<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Une posture d’enseignant chercheur en construction : étude de casDewey J. (1967) L’école et l’enfant. Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.Donnay J. et al. (2002) « Quelques spécificités d’une recherche au servi<strong>ce</strong> <strong>des</strong> pratiqueséducatives » - Revue Française de Pédagogie n° 138, pp. 95-102.Habermas J. (1987) Théorie de l’agir communicationnel. Paris, Fayard.LOURAU R. (1988) Le journal de recherche. Matériaux d’une théorie de l’implication. Paris,Klincksieck.NONNON E. (2002) « Formulation de problématiques et mouvements de problématisationdans les textes réflexifs : un point aveugle pour l’enseignement ? » - Spirale n° 29, pp. 29-74.Paquay L. (2005) « Devenir <strong>des</strong> enseignants et formateurs professionnels dans une« organisation apprenante » ? De l’utopie à la réalité ! » - European Journal of TeacherEducation, vol. 28, n° 2, pp. 111-128.Perrenoud P. (2001) Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant. Paris,ESF.Raymond D., Lenoir Y. (1998) « Enseignants de métier et <strong>formation</strong> initiale. Une problématiquedivergente et complexe » in D. Raymond et Y. Lenoir (éds.) Enseignants de métieret <strong>formation</strong> initiale : <strong>des</strong> changements dans les rapports de <strong>formation</strong> à l’enseignement.Bruxelles, de Boeck.RICŒUR P. (1983 - 1984 - 1985) Temps et récit. Paris, Seuil.SCHEEPERS C. (en cours) Le travail de fin d’étu<strong>des</strong>, un discours en quête d’auteur. Thèseen préparation, Université de Liège – Université Paris VIII.SCHEEPERS C. (2005) « Je est un auteur » - Enjeux n° 64, pp. 31-58.SCHEEPERS C. et l’équipe de la Haute École Lucia de Brouckère (2007) « Interactionsmultiples autour du lire-écrire » - Caractères n° 25, pp. 27-39.VANHULLE S. (2002) Des savoirs en jeu aux savoirs en Je. Thèse inédite, Université deLiège.VYGOTSKI L. (1997) Pensée et langage. Paris, La Dispute.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 259


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Liens entre <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> et recherche :l’étude d’un scénario de <strong>formation</strong><strong>ce</strong>ntrée sur l’analyse <strong>des</strong> pratiquesChristine Mangiante<strong>IUFM</strong> d’Orléans-Tours, DIDIREM – Paris 7Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? Commentenvisager, dans le cadre <strong>universitaire</strong>, une <strong>formation</strong> <strong>ce</strong>ntrée sur l’analyse <strong>des</strong> pratiquesenseignantes ? Quel rôle peut jouer la recherche dans la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> ?Cette contribution s’inscrit dans <strong>ce</strong>tte problématique et propose <strong>des</strong> éléments de réponse àtravers l’étude d’un scénario de <strong>formation</strong> : <strong>des</strong> Ateliers d’Analyse de Pratiques Professionnellesorganisés dans le cadre de la <strong>formation</strong> initiale de professeurs <strong>des</strong> écoles.Au cours de <strong>ce</strong>s AAPP, interviennent conjointement différentes catégories de formateurs :<strong>des</strong> maîtres formateurs, <strong>des</strong> professeurs d’<strong>IUFM</strong> (<strong>ce</strong>rtains sont enseignants chercheurs), quiencadrent <strong>des</strong> stagiaires devant élaborer et mettre en œuvre une séquen<strong>ce</strong> d’enseignementdans plusieurs disciplines (dont les mathématiques). Ces séan<strong>ce</strong>s – menées dans lesclasses <strong>des</strong> maîtres formateurs – donnent lieu à une analyse « à chaud » puis une analyseen différée grâ<strong>ce</strong> à l’utilisation de la vidéo.Nous avons étudié <strong>ce</strong> scénario, dans le cadre de la préparation d’une thèse en didactique<strong>des</strong> mathématiques , afin de mieux comprendre comment se développent les pratiquesenseignantes. Dans <strong>ce</strong>tte contribution, nous mettons en éviden<strong>ce</strong> et examinons les liens quiexistent entre <strong>ce</strong> dispositif à visée <strong>professionnelle</strong> et la recherche <strong>universitaire</strong> en didactique<strong>des</strong> mathématiques.1. La <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>,un moyen de production de connaissan<strong>ce</strong>s pour le chercheurLa problématique de notre travail de thèse s’inscrit dans une question plus vaste : <strong>ce</strong>lle de lagenèse <strong>des</strong> pratiques enseignantes. Cette question est complexe. Comment peut-on décrirele cheminement <strong>des</strong> enseignants en tenant compte <strong>des</strong> multiples influen<strong>ce</strong>s auxquelles ilssont soumis tout au long de leur <strong>formation</strong> initiale ? Comment tenir compte de leur vécu,de leur expérien<strong>ce</strong> d’élève qui leur sert, souvent, de référen<strong>ce</strong> mais aussi <strong>des</strong> savoirsthéoriques et pratiques rencontrés dans les cours à l’<strong>IUFM</strong> et en stage ? La complexité de<strong>ce</strong>tte question nous conduit à chercher un moyen d’accès privilégié à l’étude <strong>des</strong> pratiques<strong>des</strong> enseignants et nous faisons le choix de regarder la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> pratiques à traversl’analyse <strong>des</strong> effets d’un scénario de <strong>formation</strong>. S’inspirant <strong>des</strong> principes de l’observationparticipante, pour analyser la con<strong>ce</strong>ption <strong>des</strong> AAPP et évaluer leurs effets, nous sommesintervenus en qualité de chercheur et de formateur. Ainsi, pour étudier comment se formentles pratiques, nous examinons un dispositif visant à travailler la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> pratiques : les Par la suite, nous désignerons par le sigle PE2, les professeurs <strong>des</strong> écoles en deuxième année de<strong>formation</strong>. Thèse en cours sous la direction de Denis Butlen, Université de Paris 7 (DIDIREM).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 261Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (261-271) Tome 2


C. MANGIANTEAteliers d’Analyse de Pratiques Professionnelles.Pour légitimer <strong>ce</strong> choix méthodologique, nous nous appuyons sur le travail de Perrin (1996)à propos de l’ingénierie didactique. Dans les conclusions de sa thèse, elle met en éviden<strong>ce</strong>le double objectif du didacticien, construisant une ingénierie didactique :« en réalisant <strong>ce</strong>s séquen<strong>ce</strong>s en classe et en observant leur déroulement, on espèrenon seulement valider ou invalider l’analyse a priori mais aussi apprendre sur lefonctionnement didactique du contenu considéré, du côté <strong>des</strong> élèves, du côté dusavoir et du côté de l’enseignant, par les écarts entre le déroulement prévu et ledéroulement réel. »Pour notre recherche, nous transposons et nous adaptons <strong>ce</strong> point de vue au cas de lacon<strong>ce</strong>ption et de la mise en œuvre d’un scénario de <strong>formation</strong>.Le didacticien, con<strong>ce</strong>pteur d’un dispositif de <strong>formation</strong> poursuit, lui aussi, un doubleobjectif.D’une part, il cherche à produire un scénario permettant d’atteindre <strong>des</strong> objectifs de <strong>formation</strong>aussi proches possibles <strong>des</strong> référentiels de compéten<strong>ce</strong>s et/ou de <strong>ce</strong>ux attendus par lesformateurs. D’autre part, il cherche à con<strong>ce</strong>voir <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>s de <strong>formation</strong>, le mieux possibleselon les critères précédents et espère en observant leur déroulement, valider ou invaliderson analyse a priori. Mais, il peut aussi apprendre sur le fonctionnement de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong>pratiques par les écarts entre le déroulement prévu et le déroulement réel.Par conséquent, disposer de dispositifs de <strong>formation</strong> donne un moyen d’accès au fonctionnementréel du pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> pratiques par l’étude <strong>des</strong> perturbations qui luisont apportées. Ainsi, nous fondons notre travail sur <strong>ce</strong>tte hypothèse d’ordre méthodologique: “ modifier le réel permet de mieux le comprendre. ” Le scénario de <strong>formation</strong> choisi,par<strong>ce</strong> qu’il vise la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> pratiques, nous fournit les moyens de mieux en comprendrela genèse.Divers travaux de recherche se sont intéressés à différents dispositifs de <strong>formation</strong> (initialeou continue) pour en évaluer les effets sur les pratiques <strong>des</strong> enseignants. La <strong>formation</strong><strong>professionnelle</strong> constitue, par conséquent, un champ d’étude pour la recherche. Mais nousvoulons souligner, en nous référent à notre travail de thèse, que la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>peut fournir davantage qu’un cadre à la recherche. Elle peut être également être un moyend’accès à son objet d’étude et permettre au chercheur de trouver <strong>des</strong> éléments de réponseaux questions qu’il se pose.2. La recherche, un cadre théoriquesur lequel adosser la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>Le dispositif de <strong>formation</strong> que nous avons choisi d’étudier se déroule sur trois pério<strong>des</strong>réparties tout au long de l’année de <strong>formation</strong>. Voici le planning type d’une de <strong>ce</strong>s troisséries d’AAPP. En début de semaine, tous les formés et tous les formateurs intervenantdans <strong>ce</strong>tte <strong>formation</strong> se réunissent à l’<strong>IUFM</strong>. Chaque groupe de stagiaires prépare, avecle maître formateur désigné pour les accueillir, un projet d’enseignement pour chacune <strong>des</strong>disciplines. Les professeurs d’<strong>IUFM</strong> interviennent ponctuellement auprès <strong>des</strong> différentsgroupes pour apporter <strong>des</strong> in<strong>formation</strong>s, <strong>des</strong> documents, une aide supplémentaire, enfonction <strong>des</strong> besoins ou <strong>des</strong> sollicitations <strong>des</strong> PE2. À l’issue de la séan<strong>ce</strong>, l’un d’entre euxdoit être investi, par le groupe, de la responsabilité de la mise en œuvre de la première262<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Liens entre <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> et recherche : l’étude d’un scénario de <strong>formation</strong> <strong>ce</strong>ntrée sur l’analyse <strong>des</strong> pratiquesséan<strong>ce</strong>. Il dispose de quelques jours pour affiner la préparation.Au cours de la même semaine, le petit groupe de stagiaires se rend dans la classe du maîtreformateur. Tandis que l’un d’eux mène la séan<strong>ce</strong>, les autres stagiaires observent et filmentsa prestation. Un entretien « à chaud » suit la séan<strong>ce</strong>. Tous les stagiaires et les formateursprésents (maître formateurs et éventuellement professeur d’<strong>IUFM</strong>) y participent.La semaine suivante, formateurs et formés se réunissent à nouveau à l’<strong>IUFM</strong> pour affinerles préparations, apporter <strong>des</strong> ajustements au projet initial en fonction du bilan de la séan<strong>ce</strong>précédente. Un autre PE2 est investi par le groupe de la responsabilité de la mise en œuvrede la deuxième séan<strong>ce</strong>.Et le scénario se poursuit ainsi alternant les séan<strong>ce</strong>s à l’<strong>IUFM</strong> <strong>des</strong>tinées à la préparation duprojet avec les séan<strong>ce</strong>s en classe où les PE2 sont chargés de le mettre en œuvre.Enfin, le professeur d’<strong>IUFM</strong> réunit tous les PE2 ayant participé aux AAPP. Des groupes seportent volontaires pour sélectionner un extrait vidéo d’une séan<strong>ce</strong> filmée pour le présenterà l’ensemble <strong>des</strong> stagiaires et faire part de leur analyse.Pour con<strong>ce</strong>voir <strong>ce</strong> scénario, les formateurs se sont, bien sûr, appuyés sur leur expérien<strong>ce</strong>mais aussi, même si <strong>ce</strong>la n’est pas formulé, sur divers travaux de recherche. Comment <strong>ce</strong>sformateurs, con<strong>ce</strong>pteurs du scénario, pensent implicitement la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> pratiques ? Àquels cadres théoriques font-ils implicitement référen<strong>ce</strong> ?En plaçant les PE2 dans <strong>des</strong> classes de maîtres formateurs, en les aidant à élaborer et àmettre en œuvre <strong>des</strong> séquen<strong>ce</strong>s d’enseignement, les con<strong>ce</strong>pteurs du scénario semblentfaire une première hypothèse : « pla<strong>ce</strong>r les PE2 dans le contexte protégé <strong>des</strong> classes <strong>des</strong>maîtres formateurs facilite l’acquisition de gestes professionnels adaptés ». Pour chaquesérie d’ateliers, <strong>ce</strong>rtains gestes professionnels à acquérir sont ciblés comme, par exemple,le moment de passation de la consigne, l’observation précise d’élèves, les momentsde mise en commun, de synthèse, ou d’institutionnalisation, la gestion de l’espa<strong>ce</strong>, dutableau, du matériel…etc.… La tâche de l’enseignant est, donc, décomposée en savoirfaireélémentaires auxquels il s’agit de s’entraîner. Les con<strong>ce</strong>pteurs, reprenant l’idée dela résolution de problèmes professionnels restreints adaptés aux questions de <strong>formation</strong>initiale, inscrivent les AAPP dans le courant de la <strong>formation</strong> par le micro enseignement .Deux types d’entretiens sont prévus par les con<strong>ce</strong>pteurs. Sont organisées « <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>sd’observation et d’analyse « à chaud » et <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>s d’analyses différées de pratiqueseffectives ». Il est recommandé de donner priorité, au cours de <strong>ce</strong>s entretiens, à la parole <strong>des</strong>PE2 (le prestataire doit parler le premier, puis les observateurs et enfin les formateurs). Parconséquent, <strong>ce</strong> que visent les con<strong>ce</strong>pteurs, c’est de permettre aux stagiaires de développerune posture réflexive sur <strong>ce</strong> qu’ils font, de devenir “analyste” de leur pratique et de sedemander : « En quoi suis-je pour quelque chose dans <strong>ce</strong> qui s’est passé ? » En <strong>ce</strong>la, lesAAPP constituent un dispositif d’analyse de pratiques et se réfèrent au modèle du praticienréflexif développé par Schön (1994).Ainsi, les AAPP s’appuient de manière implicite sur la recherche. L’étude <strong>des</strong> modalitésdu scénario met en éviden<strong>ce</strong> <strong>ce</strong>rtains <strong>des</strong> effets attendus a priori par ses con<strong>ce</strong>pteurs.Ces attentes se fondent sur <strong>des</strong> hypothèses déduites de travaux de recherche que les Le micro-enseignement est une activité mise au point par <strong>des</strong> chercheurs de l’Université Stanford àl’intention <strong>des</strong> enseignants en <strong>formation</strong>. À l’origine, le micro-enseignement se proposait « de faire acquérirà un enseignant en <strong>formation</strong> <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> pédagogiques distinctes, bien définies et non l’acte pédagogiquedans toutes ses dimensions » (Altet & Britten, 1983).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 263


C. MANGIANTEformateurs valident implicitement à travers la con<strong>ce</strong>ption et la mise en œuvre du dispositifde <strong>formation</strong>.3. La <strong>formation</strong> comme un lieu de transfert de notions didactiquesà <strong>des</strong> fins <strong>professionnelle</strong>s3.1. Problématique et méthodologie générales de la rechercheNotre travail s’appuie sur <strong>des</strong> résultats issus <strong>des</strong> recherches autour <strong>des</strong> pratiques enseignantes,menées, notamment, dans le cadre de la double approche didactique et ergonomiquedéveloppée par Robert et Rogalski (2002). Nous reprenons à notre compte les résultatsde <strong>ce</strong>s recherches et admettons que les pratiques d’enseignants anciens dans le métierforment « un système complexe, stable et cohérent ». Il semble, en outre, que <strong>ce</strong>rtainescaractéristiques soient déjà en germe dans les pratiques <strong>des</strong> enseignants débutants etqu’elles se stabilisent rapidement.Notre travail s’intéresse à <strong>ce</strong> qui se passe au moment de la <strong>formation</strong> initiale et de l’entréedans le métier <strong>des</strong> enseignants. Afin d’approcher la cohéren<strong>ce</strong> en germe dans les pratiques,nous faisons le choix dans le cadre <strong>des</strong> AAPP, de mettre au point un modèle d’analyse quinous permet de décrire l’activité du maître du moment de l’élaboration du projet jusqu’àsa mise en œuvre. Ce modèle d’analyse met en éviden<strong>ce</strong> l’existen<strong>ce</strong> d’un pro<strong>ce</strong>ssus demodification qui rend compte d’une cohéren<strong>ce</strong> en germe dans les pratiques.Pour analyser l’activité de l’enseignant, nous utilisons <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts issus de l’ergonomiecognitive mais aussi de la didactique <strong>des</strong> mathématiques.Exposons, tout d’abord, <strong>ce</strong> qui constitue le point de départ de l’élaboration de notre modèled’analyse : la référen<strong>ce</strong> au schéma proposé par Jacques Leplat dans « Regards sur l’activitéen situation de travail ». (Leplat, 1997, p.17). Dans <strong>ce</strong> schéma, Jacques Leplat décrit latâche du sujet comme une suc<strong>ce</strong>ssion de tâches. La tâche représentée (<strong>ce</strong> que l’agentpense qu’on attend de lui), la tâche redéfinie (la façon dont l’agent définit sa propre tâcheà partir de ses propres caractéristiques et de ses propres finalités), la tâche réalisée (latâche effectivement exécutée par l’agent). Des écarts entre <strong>ce</strong>s différents types de tâchesse créent tout au long de l’activité de l’agent.Tâche rescriteACTIVITETâche rerésentéeTâche redéfinieTâche réaliséeJacques Leplat : Regards sur l’activité en situation de travailLe schéma de Leplat est général. Pour l’adapter à notre objet d’étude et à notre problématique,nous devons le modifier. Cette adaptation va se faire en trois temps, présentés ci-après.264<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Liens entre <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> et recherche : l’étude d’un scénario de <strong>formation</strong> <strong>ce</strong>ntrée sur l’analyse <strong>des</strong> pratiquesPremière étape : Transposition du schéma de Leplatà la situation de <strong>formation</strong>formateur maître élèveTâche attendueTâche rescriteTâche attendueTâche rerésentéeTâche rescriteTâche réaliséeTâche redéfinieTâche réaliséeSchéma de Leplat transposé à la situation de <strong>formation</strong>Afin de décrire l’activité <strong>des</strong> différents acteurs, tout au long du scénario, reprenons le schémade Leplat : “de la tâche à réalisée à l’activité décrite en terme de tâches”.Nous transposons <strong>ce</strong> schéma dans le cadre de la situation de <strong>formation</strong> en faisant apparaîtrel’activité du formateur , du maître et <strong>ce</strong>lle de l’élève.Deuxième étape : <strong>ce</strong>ntration de l’activité à la fois sur la tâche et sur le sujetTâcheSujetActivitéRerésentation de la tâcheRedéfinition de la tâcheRéalisation de la tâcheAnalyse de l’activité<strong>ce</strong>ntrée à la fois sur la tâche et sur le sujetLe schéma proposé par Leplat est <strong>ce</strong>ntré sur la tâche. Pour répondre à la problématique quiest la nôtre, nous cherchons à dé<strong>ce</strong>ler <strong>ce</strong> qui peut générer <strong>des</strong> écarts entre le projet initial etsa mise en oeuvre : les personnes, les savoirs mobilisés, les représentations, leurs rapportsaux AAPP, les contraintes auxquels elles sont soumises. C’est pourquoi, nous faisons lechoix de prendre en compte l’activité et non la tâche.Par conséquent, reprenant le choix fait à l’étape précédente et <strong>ce</strong>ntrant notre analyse à lafois sur la tâche et sur le sujet, nous définissons : trois niveaux.▪ La représentation de la tâche▪ La redéfinition de la tâche▪ La réalisation de la tâcheL’étude de l’activité du maître consistera à décrire comment le maître passant d’une positionà l’autre (<strong>ce</strong>rtaines peuvent avoir lieu simultanément) prépare et met en œuvre la séan<strong>ce</strong>. Maître formateur ou professeur d’<strong>IUFM</strong><strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 265


C. MANGIANTETroisième étape : prise en compte de la complexité <strong>des</strong> pratiquespar un feuilletage de l’activitéAfin de prendre en compte la complexité <strong>des</strong> pratiques, nous allons “feuilleter” l’activité dumaître, c’est-à-dire, regarder <strong>ce</strong> qui se passe à un moment donné mais aussi prendre encompte les interactions qui existent entre les différents niveaux.formateur maître élèveTâche attendueTâche prescriteReprésentation dela tâche prescriteRedéfinition de latâche représentéeRéalisation de latâche redéfinieTâche attendueTâche prescriteReprésentation dela tâche prescriteRedéfinition de latâche représentéeRéalisation de latâche redéfinie"Feuilleter l’activité"afin de prendre en compte sa complexité3.1. Étude d’une séan<strong>ce</strong> d’Atelier d’Analyse de Pratiques ProfessionnellesNous avons choisi d’exposer les conclusions issues de l’analyse d’une séan<strong>ce</strong> bâtie autourd’une notion issue de la recherche en didactique <strong>des</strong> mathématiques. Notre intention estd’examiner comment <strong>ce</strong>tte notion est transférée dans le cadre de la <strong>formation</strong> initiale et denous interroger sur le rôle quelle est sus<strong>ce</strong>ptible de jouer dans la genèse <strong>des</strong> pratiques.Au cours de la séan<strong>ce</strong> de préparation, le professeur d’<strong>IUFM</strong> a remis à Pierre, stagiairechargé de la séan<strong>ce</strong>, un document présentant <strong>des</strong> extraits de préparation d’une séquen<strong>ce</strong>de mathématiques introduisant l’écriture multiplicative au CE1.Il s’agit d’une situation de communication. Les enfants travaillent par groupes et jouent,suc<strong>ce</strong>ssivement, le rôle d’émetteurs et de ré<strong>ce</strong>pteurs. Dans un premier temps, les élèvesjouent le rôle d’émetteurs : ils ont une grille rectangulaire (reproduite sur une feuille) de alignes et b colonnes et doivent rédiger un message <strong>des</strong>tiné au groupe ré<strong>ce</strong>pteur qui possèdeun lot de grilles parmi lesquelles se trouve la grille du groupe émetteur.La consigne est la suivante :« le groupe émetteur doit envoyer un message au groupe ré<strong>ce</strong>pteur lui permettantde retrouver le plus rapidement possible et le plus facilement possible la grillecorrespondante dans son lot. Ce message doit être le plus court possible et doitdésigner le nombre de carreaux de la grille. »Pour justifier le choix de <strong>ce</strong>tte situation, les auteurs font référen<strong>ce</strong> à une notion didactiqueissue de la recherche : la théorie <strong>des</strong> jeux de cadres.À travers <strong>ce</strong>tte notion, Douady (1986) rend compte du caractère producteur <strong>des</strong> changementsde domaines dans l’activité <strong>des</strong> mathématiciens et propose les changements et jeux decadres comme levier didactique à disposition <strong>des</strong> enseignants.« J’appelle jeu de cadres un changement de cadre dont l’enseignant prévoit lapertinen<strong>ce</strong> voire la né<strong>ce</strong>ssité pour traiter un problème qu’il a choisi de proposer à sesélèves à <strong>des</strong> fins d’apprentissage. »266<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Liens entre <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> et recherche : l’étude d’un scénario de <strong>formation</strong> <strong>ce</strong>ntrée sur l’analyse <strong>des</strong> pratiques« le changement de cadre est un moyen d’obtenir <strong>des</strong> formulations différentesd’un problème. Les nouvelles expressions, sans être né<strong>ce</strong>ssairement tout à faitéquivalentes, mieux même, dans la mesure où les transferts ne peuvent être quepartiels, permettent un nouvel accès aux difficultés rencontrées et la mise en oeuvred’outils et techniques, de stratégies qui ne s’imposaient pas dans la premièreformulation. »Prenons l’exemple du jeu de cadres consistant à résoudre le système d’équationsa x + b = u et c x + d = v où a, b, u, c, d, v sont <strong>des</strong> données, x et y <strong>des</strong> inconnues. Le transfertdu problème dans le cadre <strong>des</strong> fonctions et le recours à l’outil graphique dans le cadregéométrique permettent d’autres approches de la question posée et la solution est obtenuedans un autre cadre que <strong>ce</strong>lui dans lequel a été posé le problème. Ce changement permetde faciliter l’apprentissage visé.3.1.1. Utilisation de <strong>ce</strong>tte notion à <strong>des</strong> fins <strong>professionnelle</strong>sExaminons comment les auteurs font référen<strong>ce</strong> à <strong>ce</strong>tte notion dans le document. Nousnous appuyons sur le travail de Butlen (1995) pour évoquer les trans<strong>formation</strong>s que <strong>ce</strong>sformateurs font subir à <strong>ce</strong>tte notion pour l’intégrer à leur enseignement professionnel. Celleciest-elle modifiée, déformée, voire tronquée ?La référen<strong>ce</strong> de la théorie <strong>des</strong> jeux de cadres est donnée par les auteurs qui en rappellentl’idée <strong>ce</strong>ntrale :« les connaissan<strong>ce</strong>s ayant trait au con<strong>ce</strong>pt à acquérir ne sont pas maîtrisées de lamême manière dans chacun <strong>des</strong> cadres. Les connaissan<strong>ce</strong>s les plus gran<strong>des</strong> dansun <strong>des</strong> cadres devraient amener les élèves à faire <strong>des</strong> conjectures dans les autrescadres et à leur donner <strong>des</strong> idées de procédure à tester ».Plus loin, ils précisent : « Une situation d’apprentissage doit faire intervenir la notion dans <strong>des</strong>cadres différents. Ici, on s’appuie sur 2 cadres : cadre numérique et cadre géométrique. »Analysons le jeu de cadres devant fonctionner dans <strong>ce</strong>tte séan<strong>ce</strong> à la lumière de la définitionet de l’exemple donnés dans le paragraphe précédent.La consigne donnée dans le document précise que l’écriture produite doit « désigner lenombre de carreaux de la grille ». Le message attendu (7x 12) est à la fois dans le cadregéométrique et dans le cadre numérique. En effet, <strong>ce</strong>tte écriture peut à la fois permettre decaractériser une grille 7 lignes, 12 colonnes et à la fois permettre de désigner le nombrede carreaux de <strong>ce</strong>tte grille. Néanmoins, l’enjeu pour les élèves est, avant tout, de réussir àrédiger un message permettant au groupe ré<strong>ce</strong>pteur d’identifier une grille parmi un lot degrilles données. Par conséquent, du point de vue <strong>des</strong> élèves, le problème posé se situedans le cadre géométrique.Pour que le problème soit transféré dans le domaine numérique, il faudrait que le caractèrenumérique de l’écriture multiplicative participe à l’élaboration de la solution. Or, dans laséan<strong>ce</strong> telle qu’elle est présentée dans le document, rien n’oblige les élèves à traduire leproblème dans le domaine numérique et à y rechercher la solution. On pouvait imaginer, parexemple, une situation dans laquelle, le maître demande aux élèves de rédiger un messagepermettant de calculer le nombre né<strong>ce</strong>ssaire de gommettes pour remplir tous les carreaux. Cemessage pouvait, ainsi, permettre au groupe ré<strong>ce</strong>pteur de trouver le nombre de carreaux (àl’aide, par exemple, d’une calculette). Ainsi, le lien entre l’écriture multiplicative et le nombrequ’elle représente devient indispensable à la réussite de la situation de communication.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 267


C. MANGIANTEDans le projet proposé par le formateur, le lien entre le cadre géométrique et le cadrenumérique n’est pas initié par la né<strong>ce</strong>ssité de trouver la solution au problème dans un autrecadre mais repose entièrement sur la volonté du maître de faire respecter la consigne. Eneffet, le problème est présenté à partir de supports qui le situent d’emblée dans le cadregéométrique, les élèves recherchent <strong>des</strong> solutions dans <strong>ce</strong> cadre, puis, au cours de la miseen oeuvre, le maître va hiérarchiser les messages obtenus en fonction de leur adéquation àla consigne donnée. C’est lui, qui, au cours de la mise en commun, sélectionne les solutionstraduisibles dans le cadre numérique et procède, ainsi, à un changement de cadre. Alorsque dans l’exemple donné par Douady, le changement de cadre permet aux enfants derésoudre le problème posé, ici, il dépend de la volonté du maître de faire respecter le contratdidactique.En outre, appréhender le caractère numérique de l’écriture multiplicative ne va pas de soipour les enfants. Les auteurs expliquent dans le document : « Quand on pose la questionaux élèves : « <strong>ce</strong>tte écriture désigne-t-elle un nombre ? » ils répondent souvent : « non, caron ne sait pas combien il y en a ? Il faut compter ou calculer ! » Pour résoudre (partiellement)<strong>ce</strong> problème, il est suggéré au maître d’amener les élèves à « faire le lien entre <strong>ce</strong>tte écritureet les techniques de dénombrement mis en œuvre par <strong>ce</strong>rtains élèves, <strong>ce</strong>lles qui se réfèrentà la fois la disposition spatiale de la collection et à <strong>des</strong> additions réitérées. » Ainsi, passer ducadre géométrique au cadre numérique né<strong>ce</strong>ssite une étape intermédiaire. Pour admettreque l’écriture multiplicative désigne un nombre, les enfants doivent, tout d’abord, l’interprétercomme l’écriture d’un calcul qui permet d’obtenir un nombre.Ainsi, la notion de jeu de cadre est contextualisée, présentée au stagiaire à travers l’exempled’une situation donnée. Les auteurs du document l’utilisent pour justifier le choix del’utilisation de grilles rectangulaires et le principe d’une présentation dialectique de l’écrituremultiplicative s’appuyant sur les deux cadres. Néanmoins, le passage du cadre géométriqueau cadre numérique ne facilite pas la résolution du problème posé. Faire fonctionner le jeude cadres, dans <strong>ce</strong>tte situation – telle quelle est présentée dans le document – dépend dubon vouloir du stagiaire. Si <strong>ce</strong>lui-ci n’est pas convaincu de l’intérêt de mettre en éviden<strong>ce</strong>le caractère à la fois géométrique et numérique de l’écriture multiplicative, seule la volontéde satisfaire les attentes du formateur pourra l’inciter à le faire. En outre, le passage d’uncadre à l’autre est sus<strong>ce</strong>ptible de constituer une difficulté pour les élèves. La notion de jeude cadres, ainsi présentée, apparaît restreinte, sour<strong>ce</strong> de difficulté pour les élèves et pourle maître.3.1.2. Analyse de la mise en œuvre du projet par le stagiaireL’analyse didactique de la séan<strong>ce</strong> montre que Pierre respecte les gran<strong>des</strong> lignes du projetdu formateur : l’organisation générale de la séan<strong>ce</strong>, les gran<strong>des</strong> étapes de son déroulement.Il conserve également les données numériques. Par contre, il ne prescrit qu’une partie dela consigne, occultant une contrainte : « le message doit désigner un nombre ». Tout sepasse comme si Pierre résistait à la <strong>formation</strong> en réduisant le recours au jeu de cadres.Un autre élément semble confirmer <strong>ce</strong>tte hypothèse. Durant 12 minutes après la sonneriede la récréation, Pierre retient les enfants en classe alors que le déroulement prévu sur safiche de préparation semble terminé. Sous forme d’un jeu de questions-réponses, il abordenotamment, la commutativité et les tables de multiplication. Cet épisode est révélateurde ses représentations, dans la mesure où il s’agit d’un épisode dépendant de sa seuleinitiative. Il semble important pour Pierre de «transmettre <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s » à propos dela multiplication puisqu’il réussit à maintenir l’attention <strong>des</strong> enfants, en fin de séan<strong>ce</strong>, alors268<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Liens entre <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> et recherche : l’étude d’un scénario de <strong>formation</strong> <strong>ce</strong>ntrée sur l’analyse <strong>des</strong> pratiquesqu’ils sont probablement impatients d’aller en récréation.Caractérisons le pro<strong>ce</strong>ssus de modifications dans lequel s’est engagé Pierre grâ<strong>ce</strong> au modèled’analyse présenté plus haut. Étudions les écarts créés, au moment de la représentation dela tâche prescrite, de la redéfinition de la tâche représentée et de la réalisation de la tâcheredéfinie.Le pro<strong>ce</strong>ssus de modifications a été initié dès le niveau de la représentation de la tâche carPierre ne peut mobiliser les savoirs né<strong>ce</strong>ssaires pour se représenter l’intérêt d’un « jeu decadre ». L’écart, ainsi créé, se répercute sur la redéfinition et la réalisation de la tâche.Ce pro<strong>ce</strong>ssus rend compte d’une cohéren<strong>ce</strong> en germe. En effet, il nous renseigne sur <strong>ce</strong> quiguide les choix de Pierre. Celui-ci conserve du projet initial <strong>ce</strong> qui est le moins coûteux pourlui en terme de difficultés (le plus facile à comprendre, à préparer, à mettre en œuvre…) ets’écarte du projet lorsque <strong>ce</strong>la le met en difficulté et/ou lui demande un effort d’adaptationtrop important. Se dégage à travers les choix de Pierre, une stratégie qui consiste à donnerl’impression de respecter le projet du formateur tout en poursuivant son propre projet. Sonobjectif est de rendre les enfants capables d’associer une écriture multiplicative et une grilledonnée et de leur donner quelques connaissan<strong>ce</strong>s sur la multiplication (la commutativité,les tables…)D’autres analyses de séan<strong>ce</strong>s confirment <strong>ce</strong>s premiers constats et permettent de dégager<strong>des</strong> régularités dans la façon dont Pierre gère les difficultés auxquelles il est confronté.Pierre accorde une pla<strong>ce</strong> importante dans sa pratique à l’analyse de l’activité de l’élève.Il s’interroge sur les difficultés éventuelles et veille à évaluer les apprentissages réalisés.Néanmoins, son analyse de leur activité est guidée par le projet qu’il s’est fixé à traverssa représentation de la tâche du maître. Au cours <strong>des</strong> AAPP, Pierre mène les séan<strong>ce</strong>spréparées avec les formateurs mais résiste, cherchant un compromis entre le projet initialet son propre projet. Devenu titulaire, Pierre utilise peu de documents issus de manuels,faisant confian<strong>ce</strong> à sa propre analyse <strong>des</strong> programmes mais il reprend <strong>ce</strong>rtaines situationsrencontrées au cours de sa <strong>formation</strong> : <strong>ce</strong>lles qui présentent, selon lui, un intérêt, <strong>ce</strong>lles quiservent le projet qu’il s’est donné.3.2. À propos <strong>des</strong> effets de la <strong>formation</strong> sur les pratiques <strong>des</strong> enseignantsL’exemple de <strong>ce</strong>tte séan<strong>ce</strong> illustre les trans<strong>formation</strong>s que peut subir une notion issue de larecherche. Dans le document, la notion de jeu de cadres est contextualisée mais perd <strong>des</strong>a pertinen<strong>ce</strong>, aux yeux du stagiaire car elle est sour<strong>ce</strong> de difficulté pour les élèves. Celui-cia tendan<strong>ce</strong> à s’écarter du projet du formateur d’autant plus facilement que le jeu de cadredépend non pas du milieu qu’il doit organiser mais du contrat didactique qu’il met en pla<strong>ce</strong>.Le pro<strong>ce</strong>ssus de modifications dans lequel il s’engage montre que les écarts s’amplifient toutau long de son parcours de la représentation à la réalisation de la tâche. Néanmoins, nousconstatons que les AAPP permettent à Pierre de s’approprier le projet <strong>des</strong> formateurs et defaire fonctionner un jeu de cadres. En effet, à l’issue de la séan<strong>ce</strong>, au cours de l’entretien« à chaud », Pierre fait part de sa difficulté à amener les élèves à abandonner une écriturelittérale (par exemple : 7 lignes et 12 colonnes) pour une écriture mathématiques (7 x 12). Àpartir de <strong>ce</strong> constat, PE2 et formateurs retra<strong>ce</strong>nt le parcours de Pierre, questionne la tâcheprescrite à travers le document, échangent autour de la façon dont chacun se représente latâche et proposent d’autres façons de la redéfinir. Le projet commun est réajusté. La séan<strong>ce</strong>suivante aura pour objectif de souligner le sens de l’écriture multiplicative dans chacun <strong>des</strong><strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 269


C. MANGIANTEdeux cadres. Ainsi, les différents partenaires de la <strong>formation</strong> en redéroulant ensemble lepro<strong>ce</strong>ssus de modifications, poursuivent le transfert de la notion didactique présentée dansle document.En outre, nous faisons l’hypothèse que <strong>ce</strong> regard collectif sur le redéroulement du pro<strong>ce</strong>ssusforme le PE2 à une attitude réflexive visant à résoudre les vrais problèmes qui se posentà lui, le conduit à s’interroger sur <strong>ce</strong> qui guide ses choix et ainsi à approcher la cohéren<strong>ce</strong>en germe dans ses pratiques. La méthodologie que nous avons mise au point pour décrirel’activité du maître, nous conduit à considérer trois sour<strong>ce</strong>s d’ai<strong>des</strong> et de contraintes :l’analyse de la tâche prescrite par le formateur, l’analyse a priori de l’activité du maître etl’analyse a priori de l’activité de l’élève. La façon dont les savoirs issus de la recherche sontpris en compte dans les pratiques diffère selon les stagiaires. Pierre gère un compromis,essaie de s’approprier les situations proposées par les formateurs alors que d’autres PE2observés s’autorisent à davantage d’autonomie vis-à-vis <strong>des</strong> prescriptions institutionnelles.4. ConclusionL’exemple de <strong>ce</strong> dispositif souligne la diversité et l’importan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> liens qui se nouent entrerecherche et <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>.En décidant <strong>des</strong> modalités du scénario, les con<strong>ce</strong>pteurs <strong>des</strong> AAPP se sont implicitementappuyés sur <strong>des</strong> résultats de recherches qui constituent autant d’hypothèses sur lesquellessont fondés leurs attentes.Au moment où se forment leurs pratiques, les enseignants en <strong>formation</strong> initiale découvrent<strong>des</strong> notions issues de la recherche. Les formateurs en assurent en partie le transfert mais <strong>ce</strong>lane suffit pas. Le dispositif étudié montre que les notions didactiques sont contextualisées àtravers <strong>des</strong> situations d’enseignement donnant lieu à <strong>des</strong> analyses réflexives. Les différentspartenaires retra<strong>ce</strong>nt le pro<strong>ce</strong>ssus de modifications dans lequel le PE2 s’est engagé pours’approprier le projet initial. Les notions issues de la recherche constituent pour les futursenseignants une sour<strong>ce</strong> d’ai<strong>des</strong> et de contraintes et la façon dont ils en tiennent compteparticipe à la caractérisation de la cohéren<strong>ce</strong> en germe dans leurs pratiques.Enfin, élargissant notre point de vue à la méthodologie utilisée au cours de <strong>ce</strong> travail dethèse, nous avons souligné <strong>des</strong> liens entre la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> et l’étude <strong>des</strong>pratiques enseignantes. Etudier un dispositif « donne un moyen d’accès au fonctionnementréel du système par l’étude <strong>des</strong> perturbations qui lui sont apportées » La <strong>formation</strong> constitueun moyen d’accès privilégié à notre recherche théorique sur les pratiques.BibliographieALTET M., BRITTEN J. D. (1983) Micro-enseignement et <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants. PUF,Paris.BROUSSEAU G. (1986) « Fondements et métho<strong>des</strong> de la didactique <strong>des</strong> mathématiques »- Recherches en didactique <strong>des</strong> mathématiques. Vol 7/2.BUTLEN D., MASSELOT P., PÉZARD M. (2003) « De l’analyse de pratiques effectivesde professeurs d’école débutants nommés en ZEP/REP à <strong>des</strong> stratégies de <strong>formation</strong> »- Recherche et Formation 44, pp. 45-61.270<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Liens entre <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> et recherche : l’étude d’un scénario de <strong>formation</strong> <strong>ce</strong>ntrée sur l’analyse <strong>des</strong> pratiquesBUTLEN D. (1995) Vers une didactique <strong>professionnelle</strong> : exemple de la <strong>formation</strong>mathématique initiale <strong>des</strong> PE. Documents pour la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> professeurs d’école endidactique <strong>des</strong> mathématiques. T. 4. Angers.DOUADY R. (1986) Recherche en Didactique <strong>des</strong> Mathématiques. Volume 7-2.LEPLAT J. (1997) Regards sur l’activité en situation de travail, Contribution à la psychologieergonomique. Paris, PUF.PERRIN-GLORIAN M.J (1992) Aires de surfa<strong>ce</strong>s planes et nombres décimaux. Questionsdidactiques liées aux élèves en difficulté aux niveaux CM-6 e . Université Paris 7 DenisDiderot.ROBERT A. (2001) « Les recherches sur les pratiques <strong>des</strong> enseignants et les contraintesde l’exerci<strong>ce</strong> du métier d’enseignant » - Recherches en Didactique <strong>des</strong> Mathématiques. Vol21/1-2, pp. 57-80.ROBERT A. (2003) « De l’idéal didactique aux déroulements réels en classe demathématiques : le didactiquement correct, un enjeu de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> (futurs) enseignants(en collège et lycée) » - Didaskalia 22, pp. 99-116.ROBERT A. et ROGALSKI J (2002) « Le système complexe et cohérent <strong>des</strong> pratiques<strong>des</strong> enseignants de mathématiques : une double approche » - Revue Canadienne del’Enseignement <strong>des</strong> Scien<strong>ce</strong>s, <strong>des</strong> Mathématiques et <strong>des</strong> Technologies vol 2, n° 4, pp. 505-528.TOCHON F.V. (1993) L’enseignant expert. Paris, Nathan.SCHÖN D.A. (1994) Le praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l’agirprofessionnel. Montréal, Les Éditions Logiques.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 271


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De la recherche à la <strong>formation</strong> :contribution de la didactiqueJean-Paul Dugal<strong>IUFM</strong> du Limousin, ID2LEMME – université Toulouse 3Monique Saint-Georges<strong>IUFM</strong> du Limousin, UMR ICAR – université Lyon 2Introduction : rapprocher la recherche et la <strong>formation</strong> ?Depuis déjà un <strong>ce</strong>rtain temps, de nombreuses voix se sont élevées pour appeler aurapprochement de la recherche et de la <strong>formation</strong>. De manière plus précise, on pourraitmême envisager les possibles utilisations <strong>des</strong> produits de la recherche en <strong>formation</strong> <strong>des</strong>enseignants. Le ré<strong>ce</strong>nt cahier <strong>des</strong> charges de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres en <strong>IUFM</strong> (BOENn° 1, 2007) reprend à son compte <strong>ce</strong>tte perspective à plusieurs reprises : sont mentionnéspar exemple l’utilité, pour les professeurs stagiaires, « <strong>des</strong> apports de la recherche<strong>universitaire</strong> » pour l’analyse <strong>des</strong> situations rencontrées sur le terrain ou encore la né<strong>ce</strong>ssitéd’une « <strong>formation</strong> par la recherche » pour les formateurs. Le cahier <strong>des</strong> charges préciseégalement qu’ « en <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> initiale, les maîtres doivent être initiés à larecherche scientifique, à ses résultats et à ses applications dans l’enseignement. Lespratiques didactiques et pédagogiques doivent se nourrir de l’évolution <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s ».Ces injonctions suscitent pour nous à la fois intérêt et interrogations.En effet, les deux dispositifs que nous présentons, le premier en scien<strong>ce</strong>s physiques, lesecond en EPS, ont justement pour point commun de tenter à la fois la mise à disposition<strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s issues de recherches didactiques et la confrontation de <strong>ce</strong>s dernièresavec les savoirs professionnels <strong>des</strong> enseignants : savoirs en début de construction pour<strong>des</strong> professeurs stagiaires dans le premier cas, savoirs d’expérien<strong>ce</strong> pour <strong>des</strong> conseillerspédagogiques formateurs dans le second cas. Il nous semble né<strong>ce</strong>ssaire de préciserd’emblée, pour les caractériser, que nos dispositifs présentent, par nature, une doublevisée. Ils peuvent, tous deux, être analysés à partir de leur fa<strong>ce</strong>tte <strong>formation</strong> qui en constitueexplicitement un <strong>des</strong> objectifs, mais aussi à partir de leur fa<strong>ce</strong>tte recherche. En effet, dansune optique <strong>des</strong>criptive et compréhensive (orientation heuristique largement partagée parde nombreuses recherches didactiques aujourd’hui), ils cherchent à mieux analyser et àmieux comprendre tous les phénomènes qui adviennent lorsqu’on tente de « faire passer »<strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s de la sphère de la recherche à la sphère de la <strong>formation</strong>.Un <strong>des</strong> points communs de <strong>ce</strong>s deux dispositifs associants chercheurs et praticiens se fondenéanmoins sur l’hypothèse forte que <strong>ce</strong>tte confrontation, quel que soit son déroulement etson issue, est sus<strong>ce</strong>ptible de produire <strong>des</strong> effets en matière de <strong>formation</strong>. Pour autant,devons-nous nous laisser entraîner vers une <strong>ce</strong>rtaine forme de volontarisme laissantpenser qu’il suffirait de mettre les résultats de la recherche à la disposition <strong>des</strong> praticienspour que les pratiques s’en trouvent immédiatement améliorées ? Une telle con<strong>ce</strong>ption« applicationniste » nous paraît, en effet, simpliste et critiquable. Nous serons plutôt enclinsà la pruden<strong>ce</strong> car nos deux exemples mettent en éviden<strong>ce</strong> le cheminement souvent in<strong>ce</strong>rtainet parfois délicat <strong>des</strong> notions théoriques de la recherche à la <strong>formation</strong>. Ils montrent tous<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 273Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (273-281) Tome 2


J.-P. DUGAL, M. SAINT-GEORGESdeux que les con<strong>ce</strong>pts de la didactique entretiennent une proximité avec la pratique puisqu’ilstrouvent leur origine dans son observation, mais sans doute aussi une <strong>ce</strong>rtaine distan<strong>ce</strong> dufait de leur caractère scientifique. La circulation <strong>des</strong> savoirs (Etevé et Rayou, 2002) entrele site de l’action et le site de la recherche est en réalité complexe et semée d’embûches.Les praticiens mettent en jeu de subtiles procédures et ne se comportent pas comme <strong>des</strong>sujets passifs utilisant <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts créés par d’autres (Dugal et Léziart, 2004). Les notionsthéoriques sont ainsi l’objet d’intérêt de la part <strong>des</strong> praticiens (qu’ils soient débutants ouexpérimentés) mais risquent d’être sour<strong>ce</strong>s de quelques tensions quant à leur intégrationet à leur utilisation par <strong>ce</strong>s derniers. La con<strong>ce</strong>ption <strong>des</strong> dispositifs qui vont être présentéset analysés a pris en compte <strong>ce</strong>s possibles tensions. Le premier exemple montre comment<strong>des</strong> professeurs stagiaires en <strong>formation</strong> initiale s’approprient un con<strong>ce</strong>pt de didactique <strong>des</strong>scien<strong>ce</strong>s, le second s’attache à la façon dont les conseillers pédagogiques réinvestissent àleur manière un con<strong>ce</strong>pt de didactique dans leur pratique de <strong>formation</strong>Un premier exemple : la <strong>formation</strong> didactique <strong>des</strong> professeursde physique et chimie (PLC2)Des connaissan<strong>ce</strong>s théoriques pour une <strong>formation</strong> didactiqueLa <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> professeurs de scien<strong>ce</strong>s physiques comporte généralementune initiation à <strong>ce</strong>rtains con<strong>ce</strong>pts issus de la recherche en didactique, comme <strong>ce</strong>lui de« con<strong>ce</strong>ptions » <strong>des</strong> élèves. Les travaux de recherche qui sont abordés dans le modulede <strong>formation</strong> décrit ci-<strong>des</strong>sous con<strong>ce</strong>rnent l’électricité. L’ac<strong>ce</strong>nt est mis sur les con<strong>ce</strong>ptionsque les élèves de collège et lycée ont du courant électrique : ils le considèrent souventcomme une entité qui partirait du pôle positif du générateur et découvrirait le circuit aufur et à mesure, <strong>ce</strong> qui correspond à un mode de raisonnement que les didacticiens <strong>des</strong>scien<strong>ce</strong>s appellent « raisonnement séquentiel ». (Viennot, 1996). Ces données sont <strong>des</strong>outils de compréhension de <strong>ce</strong>rtaines difficultés <strong>des</strong> élèves (ici, par exemple, difficulté àfaire une approche globale d’un circuit électrique) et permettent d’appréhender les modèlesqu’ils construisent pour expliquer les phénomènes. Ces « modèles de l’élève », solidementinstallés avec une forte cohéren<strong>ce</strong> interne, sont souvent <strong>des</strong> obstacles à l’appropriation <strong>des</strong>« modèles du physicien » qui constituent le savoir enseigné (Gaidioz, 2004).Ces connaissan<strong>ce</strong>s théoriques sont <strong>des</strong> supports de <strong>formation</strong> <strong>des</strong>tinés à aider lesenseignants débutants (stagiaires PLC2) à mieux comprendre le cheminement de leursélèves et à interpréter leurs difficultés ou erreurs récurrentes. Mais, comme de nombreusesrecherches de didactique l’ont établi, les débutants sont le plus souvent <strong>ce</strong>ntrés sur la gestionde leur enseignement et de leur classe et ont <strong>des</strong> difficultés à prendre en compte les élèvesdu point de vue de l’apprentissage en scien<strong>ce</strong>s, leur seule réponse aux erreurs <strong>des</strong> élèves,étant en général la référen<strong>ce</strong> à la norme <strong>des</strong> modèles enseignés (Saint-Georges, 1998).Il est donc prévisible que l’appropriation <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts de didactique se fasse parfois entension avec les préoccupations quotidiennes <strong>des</strong> professeurs stagiaires.Le module de <strong>formation</strong> mis en œuvreLe module de <strong>formation</strong> didactique présenté ici, lui-même objet d’une recherche (Saint-Georges et Richoux, 2005) est conçu pour « orienter le regard » <strong>des</strong> professeurs débutants274<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


De la recherche à la <strong>formation</strong> : contribution de la didactiquevers les élèves. La première partie du module est consacrée à l’apport de connaissan<strong>ce</strong>sdidactiques sur les con<strong>ce</strong>ptions <strong>des</strong> élèves dans différents domaines de la physique.Ces apports sont illustrés en seconde partie par l’observation différée du travail réaliséen binômes par <strong>des</strong> élèves de lycée enregistrés lors d’une séan<strong>ce</strong> de travaux pratiquesd’électricité. Les stagiaires, en premier lieu, analysent leurs copies, puis ont la possibilitéd’observer un binôme d’élèves enregistrés pendant la rédaction de la copie. Ces extraitsvidéo révèlent <strong>ce</strong> que le professeur n’a pas la possibilité de voir et d’entendre pendant ledéroulement habituel de la classe, et permettent d’approcher le cheminement <strong>des</strong> élèves (leraisonnement séquentiel s’y manifestant tout particulièrement).La recherche associée au module de <strong>formation</strong>La recherche en cours depuis 2005 con<strong>ce</strong>rne un ensemble de 40 stagiaires PLC2, <strong>des</strong><strong>IUFM</strong> <strong>des</strong> académies de Limoges et de Toulouse (année 2005/2006). Un <strong>des</strong> objectifs estd’analyser la façon dont les stagiaires prennent en compte les connaissan<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> élèves,leurs raisonnements, leurs con<strong>ce</strong>ptions. Les stagiaires travaillent en dya<strong>des</strong> ou tria<strong>des</strong> ;ils doivent rédiger par écrit l’analyse <strong>des</strong> difficultés qu’ils relèvent dans les copies et la<strong>des</strong>cription du cheminement <strong>des</strong> élèves qu’ils observent dans les extraits vidéo.Nous avons obtenu ainsi les réponses écrites de 14 dya<strong>des</strong> ou tria<strong>des</strong>. L’in<strong>formation</strong> qu’ellesapportent a été complétée par l’enregistrement vidéo de quatre d’entre elles, filmées pendantleur observation de la vidéo d’un binôme d’élèves.La méthodologie d’analyse <strong>des</strong> donnéesDans leurs écrits les stagiaires notent leurs idées sous forme de courtes phrases. Nous avonscaractérisé chacune d’elles, considérée comme une unité de signification (Bardin, 1993).Nous avons défini, dans les écrits, deux niveaux de réponse que l’on a appelés « analyse »et « jugement ». Cette première catégorisation a fait apparaître la né<strong>ce</strong>ssité d’un troisièmeniveau qualifié de « <strong>des</strong>cription ». Ces trois niveaux sont illustrés par quelques exemples.a) Le niveau « analyse » (AN) : il caractérise <strong>des</strong> unités de signification montrant queles stagiaires entrent dans le raisonnement <strong>des</strong> élèves, repèrent les con<strong>ce</strong>ptions etrecherchent l’origine <strong>des</strong> erreurs.b) Le niveau « jugement » (JUG) : il caractérise les unités de signification portant, soitsur une réponse d’élève (jugée par rapport à la réponse de physique attendue), soit surles raisonnements et les comportements <strong>des</strong> élèves eux-mêmes. Ces «jugements» nesont pas accompagnés d’une argumentation qui les justifierait, par exemple : « calcultrès laborieux » ou « bon raisonnement déductif » ou encore « ils ont de bonnes idéesmais n’ont rien compris ».c) Le niveau « <strong>des</strong>cription » (DES) : il correspond à <strong>des</strong> constats où l’analyse n’apparaîtpas explicitement. En voici deux exemples : « ils utilisent le mot additivité » ou « la loid’Ohm est utilisée sous forme littérale ».Pour chaque dyade de stagiaires, un tableau est réalisé en suivant l’ordre chronologie deleurs écrits, chaque partie grisée correspondant au codage d’une unité de signification. Envoici un exemple (dyade n° 10).<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 275


J.-P. DUGAL, M. SAINT-GEORGESG10ANDESJUGÉtude <strong>des</strong> copiesG10ANDESJUGObservation <strong>des</strong> vidéosTableau 1 : codage <strong>des</strong> réponses écrites de la dyade n° 10Ce codage <strong>des</strong> écrits <strong>des</strong> dya<strong>des</strong> permet :– de décompter les unités de signification correspondant à chaque niveau pour l’ensemble<strong>des</strong> dya<strong>des</strong>,– d’étudier l’évolution de chaque dyade entre l’avant et l’après visionnement <strong>des</strong> vidéos<strong>des</strong> élèves. Pour la dyade 10, par exemple, on peut relever une évolution du jugement versl’analyse.Quelques résultats après analyse <strong>des</strong> données <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>s d’électricitéLe bilan global pour les 14 dya<strong>des</strong> ou tria<strong>des</strong> est synthétisé dans le tableau suivant :code Étude <strong>des</strong> copies Observation <strong>des</strong> vidéosAN 75 77DES 30 35JUG 50 22Total 155 134Tableau 2 : bilan <strong>des</strong> réponses <strong>des</strong> dya<strong>des</strong> en électricitéLe nombre <strong>des</strong> unités codées JUG, qui occupe environ 30 % <strong>des</strong> 155 réponses <strong>des</strong> stagiairesavant observation <strong>des</strong> vidéos, tombe à moins de 20 % après l’observation. De plus, dansles écrits de <strong>ce</strong>rtaines dya<strong>des</strong>, il n’apparaît aucun jugement et les dya<strong>des</strong> qui n’avaient pasformulé de jugement après étude <strong>des</strong> copies n’en formulent pas non plus par la suite, aprèsobservation <strong>des</strong> vidéos.Le niveau d’analyse, déjà prédominant à l’issue de l’étude <strong>des</strong> copies, augmente encoreaprès observation <strong>des</strong> vidéos (tout comme le niveau de <strong>des</strong>cription). Dans les copies, lesstagiaires reconnaissent les manifestations <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>ptions et du raisonnement séquentiel.Dans l’observation <strong>des</strong> vidéos ils utilisent en général leurs connaissan<strong>ce</strong>s de <strong>ce</strong> typede raisonnement pour analyser une analogie donnée par un élève (Thomas), image quicorrespond nettement à un mode de raisonnement séquentiel.Pour chaque dyade un tableau, du type du tableau 1, a été établi. Ces données laissentapparaître <strong>des</strong> disparités. Toutes les dya<strong>des</strong> font référen<strong>ce</strong> à <strong>ce</strong>tte analogie, mais, à partirde là, <strong>ce</strong>rtaines d’entre elles sont entraînées à émettre <strong>des</strong> jugements sur les élèves euxmêmes.C’est le cas de l’une <strong>des</strong> dya<strong>des</strong> qui écrit : « Florian raisonne à partir <strong>des</strong> lois, mais adu mal ; Thomas ne connaît pas les lois ou du moins <strong>ce</strong>lles-ci n’ont pas de signification pourlui. ». L’enregistrement vidéo de <strong>ce</strong>s deux stagiaires éclaire sur la façon dont ils en arrivent276<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


De la recherche à la <strong>formation</strong> : contribution de la didactiquetout d’abord à un jugement sur le raisonnement de l’élève Thomas, par la suite généralisent<strong>ce</strong> jugement à l’élève lui-même en mettant en doute la logique de son raisonnement : « Il estvraiment sur le raisonnement séquentiel, lui (Thomas) … Y en a un qui raisonne, qui connaîtles lois, l’autre (Thomas), on se demande s’il en a entendu parler. … Ce que lui il entend parlogique, c’est <strong>ce</strong> que nous on entend par intuitif. ».Il apparaît donc que, pour <strong>ce</strong>rtains stagiaires, le con<strong>ce</strong>pt de con<strong>ce</strong>ptions n’apporte pastoujours l’aide souhaitée à la compréhension <strong>des</strong> erreurs <strong>des</strong> élèves (objectif d’une <strong>formation</strong>didactique). Les con<strong>ce</strong>ptions <strong>des</strong> élèves, tout en étant reconnues, sont parfois considéréescomme <strong>des</strong> erreurs typiques trop fréquemment répétées, jugées comme <strong>des</strong> entorses auraisonnement scientifique et condamnables en tant que telles.En conclusion, même si le faible nombre de dya<strong>des</strong> qui ont participé à l’étude ne permetpas de tirer <strong>des</strong> conclusions trop générales, les données recueillies font apparaître que,dans leur majorité, les stagiaires repèrent et analysent les connaissan<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> élèves ainsique leurs raisonnements, retrouvant ainsi la manifestation de leurs con<strong>ce</strong>ptions. Mais, pour<strong>ce</strong>rtains d’entre eux, tout en ayant apparemment reconnu l’existen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>ptions chezles élèves observés, il est souvent difficile de prendre vraiment en compte le modèle del’élève.Cette étape d’analyse <strong>des</strong> copies et d’observation d’élèves grâ<strong>ce</strong> à <strong>des</strong> vidéos est un premierpas qui permet de donner du sens à l’analyse <strong>des</strong> raisonnements <strong>des</strong> élèves, en mettanten œuvre les connaissan<strong>ce</strong>s acquises sur les con<strong>ce</strong>ptions. Une dernière étape du modulede <strong>formation</strong> est né<strong>ce</strong>ssaire pour confronter à nouveau les stagiaires aux con<strong>ce</strong>ptions <strong>des</strong>élèves, et <strong>ce</strong>tte fois-ci de leurs propres élèves. La suite de la recherche apportera <strong>des</strong>in<strong>formation</strong>s sur l’impact de <strong>ce</strong>tte dernière étape de la <strong>formation</strong> dans l’évolution du regard<strong>des</strong> enseignants débutants sur les élèves.Le deuxième exemple : une recherche « coopérative » associantchercheur et enseignants d’EPS conseillers pédagogiquesLes connaissan<strong>ce</strong>s didactiques dans une recherche coopérativeCette recherche coopérative a réuni pendant trois années scolaires un groupe deconseillers pédagogiques (CP) volontaires et un chercheur didacticien. Elle s’est organiséeen combinant <strong>des</strong> entrées « par la pratique », les savoirs professionnels <strong>des</strong> CP et <strong>des</strong>entrées « par la théorie », en l’occurren<strong>ce</strong> les connaissan<strong>ce</strong>s didactiques. Elle avait pourambition de voir dans quelle mesure les con<strong>ce</strong>pts théoriques de la didactique pouvaientcontribuer à renouveler les pratiques d’observation et de conseil <strong>des</strong> CP, sans pour autantqu’ils soient placés « en surplomb » <strong>des</strong> pratiques, comme <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s à appliquer(Dugal et Amade-Escot, 2004). Le groupe <strong>des</strong> CP a notamment travaillé sur la questionde l’observation didactique (Brousseau, 1978, Amade-Escot, 1995), forme particulièred’observation de l’activité <strong>des</strong> élèves qui a pour spécificité de suivre l’évolution <strong>des</strong> contenusenseignés au cours <strong>des</strong> séquen<strong>ce</strong>s d’enseignement. Cette observation didactique s’articuleà partir <strong>des</strong> notions de milieu et de contrat didactique. Nous nous limiterons ici à envisagerle cas du « contrat didactique », con<strong>ce</strong>pt aujourd’hui bien connu et « robuste » dans lesdifférentes disciplines. En tant que construction théorique et tentative de modélisation dela réalité par le chercheur, rappelons qu’il correspond à « l’ensemble <strong>des</strong> comportements<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 277


J.-P. DUGAL, M. SAINT-GEORGESdu maître qui sont attendus de l’élève et l’ensemble <strong>des</strong> comportements de l’élève qui sontattendus du maître » (Brousseau, 1980, p.127). Il repose donc sur les attentes réciproqueset non formulées de chacun <strong>des</strong> protagonistes de la relation didactique et préexiste, sansjamais avoir été discuté, dans le projet social qui fonde l’acte d’enseignement. Ce con<strong>ce</strong>pta suscité à la fois curiosité et intérêt, mais aussi réti<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong>s, voire rejets de la part <strong>des</strong> CP. Ils’est en effet heurté (plus particulièrement par ses aspects implicites) à la vision habituelledu contrat tel qu’utilisé couramment par les CP dans le cadre de la pédagogie du contrat qui,a contrario, né<strong>ce</strong>ssite explicitation et négociation <strong>des</strong> objectifs poursuivis. Il faut néanmoinssouligner que tous les CP n’ont pas adopté les mêmes positions vis-à-vis de la notion,<strong>ce</strong> qui nous conduit à parler d’appropriation différenciée. D’où la proposition de <strong>ce</strong>rtainsCP de parler plutôt de « ruptures », terme qui leur semblait pouvoir revêtir une <strong>ce</strong>rtainepertinen<strong>ce</strong> pour observer tous les décalages qui peuvent se produire par exemple entre <strong>ce</strong>que le professeur veut enseigner et <strong>ce</strong> que le élèves apprennent réellement. Au-delà de<strong>ce</strong>s différen<strong>ce</strong>s de positions <strong>des</strong> CP vis-à-vis de l’appropriation de la notion théorique, ilnous reste à étudier quel en a été l’impact sur leurs pratiques d’observation et de conseil,en particulier <strong>ce</strong>lles qu’ils mettent en oeuvre avec les professeurs stagiaires (PS) dont ilsassurent le tutorat.Un moment significatif de la tension entre con<strong>ce</strong>pt théoriqueet observation de terrainNous illustrerons notre étude à partir de l’observation par le groupe <strong>des</strong> CP d’une séan<strong>ce</strong>d’EPS menée sur le terrain par un PS. Elle se déroule avec une classe de 6 e , dans l’activitésupport volley-ball. Nous avons plus particulièrement retenu, comme moment significatif,l’observation d’une situation d’apprentissage présentée dans le schéma ci-<strong>des</strong>sous :(ré<strong>ce</strong>ptionneur 1)R1L (lan<strong>ce</strong>ur)R2(ré<strong>ce</strong>ptionneur 2)FiletLa situation met en présen<strong>ce</strong>, sur un terrain réduit, un élève lan<strong>ce</strong>ur L fa<strong>ce</strong> à deux élèvesré<strong>ce</strong>ptionneurs R1 et R2. Le savoir à apprendre annoncé et visé par le PS consiste à « sereconnaître ré<strong>ce</strong>ptionneur », première difficulté à laquelle sont confrontés les élèves R1 etR2 dans une telle situation. Le lan<strong>ce</strong>ur L, qui envoie le ballon à deux mains vers le haut, apour consigne de l’envoyer à un endroit où il n’y a pas de ré<strong>ce</strong>ptionneur R (par exemple selonles trajectoires matérialisées par les flèches pleines). Le but pour les deux ré<strong>ce</strong>ptionneursest de décoder préco<strong>ce</strong>ment la trajectoire du ballon, de prendre la décision de ré<strong>ce</strong>ptionner(qui ?) et de communiquer (annon<strong>ce</strong>r : « j’ai »).278<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


De la recherche à la <strong>formation</strong> : contribution de la didactiqueLa situation fonctionne sur plusieurs demi-terrains et, sur l’un d’entre eux, on peut observerqu’au bout d’un <strong>ce</strong>rtain nombre d’essais, L envoie sur R1 qui est le plus habile <strong>des</strong> deuxré<strong>ce</strong>ptionneurs. Ce dernier n’a alors généralement pas de difficulté pour ré<strong>ce</strong>ptionneret effectuer une passe en direction de son partenaire R2 (flèches en pointillés sur leschéma).La lecture et l’interprétation didactique qu’on peut faire de <strong>ce</strong> comportement d’élèves consisteà dire qu’en fait l’activité <strong>des</strong> élèves se traduit par un détournement <strong>des</strong> consignes pourrendre la situation plus ludique : si L envoie sur le meilleur ré<strong>ce</strong>ptionneur, le jeu va pouvoircontinuer ; il arrive même que L renvoie le ballon quand il lui revient, un jeu « libre » sepoursuit alors. Par ailleurs, <strong>ce</strong>tte « adaptation » de la situation opérée par les élèves la rendmoins coûteuse en efforts d’apprentissage, la question de « se reconnaître ré<strong>ce</strong>ptionneur »étant par avan<strong>ce</strong> résolue puisqu’ils savent tous que le ballon va arriver sur R1.On retrouve là une constante dans les comportements spontanés <strong>des</strong> élèves qui tirent surles consignes du professeur, tout en veillant, dans le même temps, à lui donner l’impressionqu’ils sont actifs et investis dans la tâche. Ils connaissent manifestement les habitu<strong>des</strong> duprofesseur, toujours très exigeant et vigilant sur la participation active <strong>des</strong> élèves et satisfaitlorsqu’il peut la constater … <strong>ce</strong> que savent parfaitement les élèves. Ces derniers, enadaptant la situation à leur profit (mise en œuvre d’habiletés déjà acquises et recherchedu ludique) savent, en quelque sorte, jusqu’où ils ne peuvent aller trop loin ! Nous sommesici dans les aspects implicites du contrat didactique, les élèves répondant par avan<strong>ce</strong> auxattentes (supposées) du professeur. Ce dernier n’interviendra d’ailleurs pas pour rétablirla situation dans sa forme originelle ou pour rappeler les consignes. On peut même sedemander si, en réalité, il ne s’est pas aperçu que les élèves n’avaient pas vraiment appris<strong>ce</strong> qu’il souhaitait au départ (« se reconnaître ré<strong>ce</strong>ptionneur ») … et avaient finalement, enadaptant la situation, travaillé et, du coup, appris autre chose (« enchaîner ré<strong>ce</strong>ption, passeet renvoi »).Il faut souligner que <strong>ce</strong>s constats n’ont pas échappé au regard didactique (et entraîné) <strong>des</strong>CP qui ont assisté à la séan<strong>ce</strong>. Lors du bilan confrontant leurs observations, l’un d’entreeux fera d’ailleurs remarquer : « pour moi, les questions didactiques reviennent en for<strong>ce</strong>,par exemple dans la situation à 3, 1 lan<strong>ce</strong>ur contre 2 ré<strong>ce</strong>ptionneurs qui doivent s’organiserpour ré<strong>ce</strong>ptionner et renvoi, il y a rupture, euh j’ai remarqué que le lan<strong>ce</strong>ur envoie sur leré<strong>ce</strong>ptionneur qui est en fait <strong>ce</strong>lui qui joue bien … donc pas de problème de ré<strong>ce</strong>ption ».Interprétations et discussionNous considérons <strong>ce</strong> moment significatif comme révélateur <strong>des</strong> effets de la recherchecoopérative. Nous retrouvons dans les paroles du CP la présen<strong>ce</strong> du terme de « rupture »que <strong>ce</strong>rtains avaient considéré comme plus pertinent que <strong>ce</strong>lui de contrat didactique. Commenous avons déjà évoqué ci-<strong>des</strong>sus le con<strong>ce</strong>pt de contrat didactique, au cours de <strong>ce</strong>tte action,a oscillé entre rejet … et intérêt. En effet, dans la situation présentée, ils ont clairementperçu et interprété les comportements <strong>des</strong> élèves au regard <strong>des</strong> contenus enseignés etappris. Il faut <strong>ce</strong>pendant souligner que <strong>ce</strong>tte observation est réalisée par les CP en find’action (3 e année) après un temps conséquent d’imprégnation <strong>des</strong> notions didactiqueset d’entraînement à l’observation didactique. D’ailleurs notre étude met en éviden<strong>ce</strong> que D’autant que, comme tout enseignant débutant (cf. ci-<strong>des</strong>sus l’exemple <strong>des</strong> PLC2 de scien<strong>ce</strong>s physiques),il est particulièrement <strong>ce</strong>ntré sur la gestion de sa classe et attentif à <strong>ce</strong> que « la classe tourne ». Certains CP ont même évoqué un abus de langage à propos de l’utilisation du vocable de contrat.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 279


J.-P. DUGAL, M. SAINT-GEORGESl’observation « spontanée » qu’ils mettent en œuvre en début de recherche coopérativene nous aurait pas conduit aux mêmes constats, y compris à propos de la même situation.Ces considérations laissent penser qu’au cours de <strong>ce</strong>tte action, un long cheminement a étéréalisé par les CP, à l’issue duquel, ils ont transformé, chacun à son rythme et selon sesbesoins, leurs pratiques d’observation. Nous faisons l’hypothèse qu’il s’agit là d’un effet dela sensibilisation progressive à la didactique … en quelque sorte, il y a eu « percolation » .Au-delà de <strong>ce</strong>tte situation particulière, l’ensemble de notre recherche montre de nombreuxexemples qui mettent en éviden<strong>ce</strong> que les praticiens n’adoptent pas telles quelles lesnotions théoriques proposées par la recherche didactique, mais mettent en jeu de subtilesprocédures d’appropriation et d’utilisation ingénieuse (Dugal et Léziart, 2004).En conclusion, nous soulignerons d’abord l’intérêt du travail réalisé autour de l’observationdidactique dans la mesure où elle débouche, pour les CP, sur une grille de lecture renouvelée<strong>des</strong> situations d’enseignement-apprentissage. Ainsi, elle a été l’occasion d’élargir etd’amender leurs pratiques d’observation en per<strong>ce</strong>vant <strong>des</strong> éléments « qu’ils ne voyaientpas avant » . Elle permet, de plus, de suivre l’évolution <strong>des</strong> contenus enseignés, <strong>ce</strong> quiconstitue dans les entretiens conseils CP-PS un objet qu’on peut analyser à deux et autourduquel il est possible de « tenir conseil ». Cela peut engager le CP dans une posture plusformative vis-à-vis du PS qui ne consiste plus seulement à « donner <strong>des</strong> conseils ».ConclusionPenser ainsi qu’il suffirait de mettre à la disposition <strong>des</strong> praticiens les résultats de larecherche pour améliorer immédiatement leur pratique est donc sans doute une vision unpeu trop simple. La diffusion <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s didactiques ne se fait pas sans tensions etsans appropriation différenciée et personnalisée par les praticiens. Les résultats <strong>des</strong> travauxexposés montrent que, si les praticiens évoluent globalement dans leur interprétation <strong>des</strong>activités effectives <strong>des</strong> élèves, chacun réalise sa propre appropriation individualisée <strong>des</strong>apports de la recherche didactique, en fonction de son arrière-plan de connaissan<strong>ce</strong>spersonnelles et de sa propre con<strong>ce</strong>ption du savoir enseigné.BibliographieAMADE-ESCOT C. (1995) « Observer les situations didactiques : de la recherche à la<strong>formation</strong> » in La <strong>formation</strong> au métier d’enseignant pp. 23-32. Paris. Éditions Revue EPS.BARDIN Lauren<strong>ce</strong> (1993) L’analyse de contenu. Paris, PUF.BROUSSEAU Guy (1978) « L’observation <strong>des</strong> activités didactiques » - Revue Française dePédagogie n° 45, pp.130-139.BROUSSEAU Guy (1980) « Les échecs électifs dans l’enseignement <strong>des</strong> mathématiquesà l’école élémentaire » - Revue de Laryngologie, Otologie, Rhinologie, vol. 101, n° 3-4, pp.107-131. Nous empruntons <strong>ce</strong>tte expression à Y. Chevallard, utilisée dans une intervention au séminaire INRP-GEDIAPS (2004). Paroles de CP.280<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


De la recherche à la <strong>formation</strong> : contribution de la didactiqueDUGAL J. P., AMADE-ESCOT C. (2004) « Formation au conseil et développementprofessionnel <strong>des</strong> conseillers pédagogiques. Recherche coopérative et savoirs didactiques »- Recherche et Formation n° 46, pp.97-116.DUGAL J. P. et LEZIART Y. (2004) « La circulation <strong>des</strong> savoirs entre recherche et<strong>formation</strong> : l’exemple <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>pts didactiques lors d’une action de <strong>formation</strong> de conseillerspédagogiques. » - Revue Française de Pédagogie n° 149, pp. 37-48.ETEVE Christiane et RAYOU Patrick (2002) « La demande de transfert <strong>des</strong> résultats de larecherche. Présentation de quelques points de vue » - Recherche et Formation n° 40, Paris,pp. 27-42.GAIDIOZ P., VINCE J. et TIBERGHIEN A. (2004) « Aider l’élève à comprendre lefonctionnement de la physique et son articulation avec la vie quotidienne » - Le BUP n° 98,pp. 1029-1042.MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE (2007) « Cahier <strong>des</strong> charges de la <strong>formation</strong><strong>des</strong> maîtres en <strong>IUFM</strong> » - Encart au Bulletin Officiel n° 1 du 04/01/2007.SAINT-GEORGES M. (1998) « Formation <strong>des</strong> professeurs de scien<strong>ce</strong>s physiques par ladidactique » - Didaskalia n° 13, pp. 57-80.SAINT-GEORGES M. et RICHOUX H. (2005) « Utiliser en <strong>formation</strong> <strong>des</strong> vidéos d’élèves :quels apports pour les enseignants ? » - Actes <strong>des</strong> journées de l’ARDIST (Lyon octobre2005), pp. 331-338.VIENNOT Lauren<strong>ce</strong> (1996) Raisonner en physique. La part du sens commun. Bruxelles, deBoeck.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 281


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Recherche et <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> en éducation :illusion, paradoxe ou né<strong>ce</strong>ssité ?Catherine LanarisUniversité du Québec en Outaouais (Canada)« L’expérien<strong>ce</strong> sans la théorie est aveugle,mais la théorie sans l’expérien<strong>ce</strong> n’estqu’un simple jeu intellectuel. »Emmanuel Kant, Critique de la raison pratiqueIntroductionLa recherche et la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> ont <strong>des</strong> rapports indéniables, mais souvent,troubles. Dans le domaine de l’éducation, comme dans plusieurs autres, la production deconnaissan<strong>ce</strong>s (qui s’obtient par <strong>des</strong> recherches) se traduit souvent par <strong>des</strong> fonctions de<strong>des</strong>cription, de compréhension et de contrôle du réel, dans un but de modification de <strong>ce</strong>dernier. De plus, si on regarde la recherche quant à sa finalité, on constate qu’elle est trèsreliée à la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> ; en fait la recherche vise, presque toujours, soit ledéveloppement de nouvelles connaissan<strong>ce</strong>s (espa<strong>ce</strong> académique), soit le développementd’une capacité de prise en charge par un groupe (espa<strong>ce</strong> politique), ou encore ledéveloppement d’une solution souvent technologique en réponse à un problème posé par lapratique (espa<strong>ce</strong> pragmatique). Ce qui pose problème <strong>ce</strong>pendant est l’aspect de l’utilité queles enseignants et les étudiants en <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres attribuent à la recherche. On peutdire que généralement, les enseignants ne voient pas les apports de la recherche dans leurspratiques (Fournier, 2006) et qu’en éducation un clivage existe encore entre la recherche etla <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>. La question dont traite <strong>ce</strong> texte, est de savoir s’il est possible, etmême souhaitable, pour les enseignants, de développer <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>sen s’engageant dans une démarche de recherche, qui est <strong>ce</strong>lle de la recherche-<strong>formation</strong>.Afin de répondre à <strong>ce</strong>tte question, nous allons commen<strong>ce</strong>r en présentant les résultats d’unerecherche sur l’appropriation de la pédagogie par projets, effectuée auprès d’enseignantsd’écoles primaires. Un <strong>des</strong> constats de <strong>ce</strong>tte recherche est le découragement et l’impuissan<strong>ce</strong>ressentis par les enseignants dans le pro<strong>ce</strong>ssus de changement qu’engendre l’utilisation denouvelles démarches pédagogiques. Pour y faire fa<strong>ce</strong>, nous proposons le développementd’un nouveau rapport à la pratique, à l’aide de la recherche-<strong>formation</strong> (Haramein, 1999 ;Lanaris, 2001). En terminant, nous aimerions dégager <strong>des</strong> conditions permettant de faciliterle pro<strong>ce</strong>ssus de changement <strong>des</strong> pratiques enseignantes et tenter de trans<strong>ce</strong>nder ainsi leclivage entre la recherche et la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>.Les résultats d’une recherche sur le pro<strong>ce</strong>ssus d’appropriationde la pédagogie par projetsNous présentons ici, dans un premier temps, le contexte éducatif au Québec qui nousa amenés à poursuivre une recherche auprès de quelques écoles primaires. Après unebrève présentation de la méthodologie retenue, nous relaterons quelques résultats de <strong>ce</strong>tte<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 283Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (283-290) Tome 2


C. LANARISrecherche nous permettant de mettre en éviden<strong>ce</strong> le fait que, fa<strong>ce</strong> à la pédagogie par projets,les enseignants se sentent dépourvus, même s’ils ont suivi plusieurs <strong>formation</strong>s.Le contexte et la méthodeDans le système scolaire québécois une réforme a été mise en œuvre dans les écolesprimaires en 2000, favorisant l’utilisation de nouvelles démarches pédagogiques, comme,entre autres, la pédagogie par projets. Pour plusieurs organisations scolaires <strong>ce</strong>tte réformea introduit un changement majeur amenant <strong>des</strong> défis de taille, puisque l’ensemble del’équipe scolaire doit développer une nouvelle façon de travailler : formulation d’un projetéducatif, travail en équipe (élèves et enseignants), implication <strong>des</strong> élèves, nouveaux rôles<strong>des</strong> parents, etc. Fa<strong>ce</strong> à <strong>ce</strong>s changements, les écoles se trouvent souvent dépourvues. Afind’explorer <strong>ce</strong>tte problématique, nous avons entrepris une démarche de recherche qualitativevisant à examiner l’appropriation et la mise en pratique de la pédagogie par projets par uneéquipe scolaire.Cette approche pédagogique qui puise ses fondements théoriques dans le courant socioconstructiviste,permet à l’élève de s’approprier son acte d’apprendre car elle privilégiela réflexion sur le sens <strong>des</strong> comportements, la résolution <strong>des</strong> problèmes et l’utilisation del’ensemble du groupe dans une démarche de développement du sens <strong>des</strong> responsabilités(Caouette, 1992). Plusieurs définitions de la pédagogie par projets existent, <strong>ce</strong>lle donnée parArpin et Capra (2001) semble être la plus complète; <strong>ce</strong>s dernières définissent <strong>ce</strong>tte démarchepédagogique comme étant une approche qui permet à l’élève de s’engager pleinementdans la construction de ses savoirs en interaction avec ses pairs et son environnement, etqui invite l’enseignant à agir en tant que médiateur pédagogique privilégié entre l’élève etles objets de connaissan<strong>ce</strong>.La recherche que nous avons menée vise à faire une analyse critique de la démarched’appropriation dans les écoles primaires de la pédagogie par projets. C’est pourquoiles objectifs suivants sont poursuivis : examiner le pro<strong>ce</strong>ssus d’appropriation et la miseen pratique par les enseignants de la pédagogie par projets; examiner l’appréciation <strong>des</strong>enseignants, <strong>des</strong> élèves et <strong>des</strong> parents de <strong>ce</strong>tte démarche pédagogique (apports, obstacles,conditions de succès); examiner le lien entre <strong>ce</strong>s pratiques et le projet éducatif de l’école.Par <strong>ce</strong>tte recherche on cherchait à mieux comprendre la façon dont les écoles s’approprientla démarche <strong>des</strong> projets et à dégager les conditions qui favorisent son utilisation effica<strong>ce</strong>.Afin d’atteindre <strong>ce</strong>s objectifs, nous avons mené une recherche exploratoire et <strong>des</strong>criptive,qui a eu lieu dans cinq écoles primaires de l’Outaouais québécois. Nous avons privilégiél’approche de l’étude de cas multi-sites (Karsenti et Demers, 2000 ; Miles & Huberman,1991). Cette dernière favorise une compréhension systémique du phénomène étudié.Nous visons donc d’abord une compréhension verticale dans la mesure où nous pourronsdégager la dynamique d’appropriation, la mise en pratique et l’appréciation que les acteursscolaires pour chacune <strong>des</strong> écoles et aussi pour chaque groupe d’acteurs. Nous voulonsen fait dégager <strong>ce</strong> que pensent les directeurs d’école, les enseignants, les élèves et lesparents, de l’appropriation de la pédagogie par projets. Nous avons mené <strong>des</strong> entrevuesindividuelles avec 13 enseignants; <strong>ce</strong>s derniers avaient entre 2 et 17 années d’expérien<strong>ce</strong>en enseignement; un enseignait au préscolaire, 5 au premier cycle, 3 au deuxième cycleet 4 au troisième cycle. Nous avons également rencontré individuellement les 5 directeursd’école pour une entrevue d’une durée d’environ une heure. Nous avons effectué <strong>des</strong>entrevues de groupe dans les classes <strong>des</strong> 13 enseignants participant à la recherche et nous284<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Recherche et <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> en éducation : illusion, paradoxe ou né<strong>ce</strong>ssité ?avons également formé trois groupes de discussion auprès <strong>des</strong> parents.Les résultatsPour les fins du présent texte, nous présentons brièvement les per<strong>ce</strong>ptions que les quatregroupes d’acteurs questionnés ont du rôle de l’enseignant ; par la suite nous mettrons enéviden<strong>ce</strong> les difficultés que les enseignants ont identifiées dans leur pro<strong>ce</strong>ssus d’appropriationde la pédagogie par projets.À la suite de l’analyse <strong>des</strong> entrevues, on constate que tous les acteurs sont d’accord surle fait que <strong>ce</strong> sont les enseignants qui ont le rôle le plus important dans la réalisation <strong>des</strong>projets. Les quatre groupes questionnés sont d’accords sur le fait que le premier rôle <strong>des</strong>enseignants est de faire respecter les consignes; nous pouvons ici déduire que même dans<strong>des</strong> approches « alternatives », l’exerci<strong>ce</strong> de la discipline en classe continue à relever <strong>des</strong>enseignant. Les enseignants et les parents soulignent le fait que <strong>ce</strong> sont les enseignants quidoivent habiliter les élèves à travailler en projet, en leur fournissant les outils né<strong>ce</strong>ssairespour le faire. Selon les enseignants et les directeurs, le rôle de l’enseignant est de se formerà <strong>ce</strong>tte démarche pédagogique. Les directeurs et les élèves mentionnent que le rôle del’enseignant est d’évaluer le projet et d’assurer son suivi. Seuls les directeurs d’école voientla planification du projet comme faisant partie du rôle de l’enseignant, tandis que seuls lesenseignants considèrent que c’est à eux de structurer le projet. Ce bref examen <strong>des</strong> rôles<strong>des</strong> acteurs, nous amène à retenir que, la <strong>formation</strong> continue <strong>des</strong> enseignants est vue commeétant leur responsabilité, et que <strong>ce</strong>tte dernière pourrait les amener à être mieux outillés pourfaire fa<strong>ce</strong> au défi que représente l’appropriation d’une nouvelle démarche pédagogique.Cependant, l’analyse <strong>des</strong> entrevues <strong>des</strong> enseignants nous démontre que <strong>ce</strong>s derniersrencontrent beaucoup de difficultés dans leur pro<strong>ce</strong>ssus de mise en œuvre de la pédagogiepar projets. Aucun <strong>des</strong> 13 enseignants questionnés n’attribue la présen<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>s difficultésà un manque de <strong>formation</strong>. Au contraire, tous affirment avoir reçu plusieurs <strong>formation</strong>s surla mise en œuvre de la pédagogie par projets. On peut donc voir que, même s’ils sonteu beaucoup de <strong>formation</strong>s à <strong>ce</strong> sujet, le transfert de <strong>ce</strong>s connaissan<strong>ce</strong>s à leur pratiquedemeure difficile. Voici quelques difficultés telles qu’identifiées par les enseignants :Premièrement, les enseignants rencontrent <strong>des</strong> difficultés au niveau de l’organisationphysique de la classe, car la pédagogie par projets né<strong>ce</strong>ssite un aménagement physiqueparticulier: souvent la classe est trop petite, ou, encore n’y a pas assez d’espa<strong>ce</strong> pourconserver les productions que les élèves ont réalisées dans le cadre du projet. Une autredifficulté est <strong>ce</strong>lle de la planification d’un projet. Les enseignants ne travaillent plus dansune structure établie d’avan<strong>ce</strong> et bien connue, <strong>ce</strong> qui peut provoquer <strong>des</strong> sentimentsd’insécurité. En fait, la complexité <strong>des</strong> éléments dont on doit tenir compte pour réaliser unprojet, les amène à planifier de façon différente, <strong>ce</strong> qui né<strong>ce</strong>ssite une nouvelle façon decon<strong>ce</strong>voir leur enseignement. Troisièmement, la gestion de la classe est très différente ;les enseignants disent ne pas savoir comment faire fa<strong>ce</strong> à la nouvelle « réalité » de laclasse lorsque les élèves travaillent en projet. Ce qui semble poser le plus de problèmesaux enseignants est la né<strong>ce</strong>ssité de faire travailler les élèves en équipe: les élèves doiventapprendre à travailler ensemble, tout en respectant <strong>des</strong> consignes précises; il y a les élèvesqui ne font pas tous le même travail en même temps, il faut gérer les conflits entre lesélèves, les différents rythmes de travail, les rythmes d’apprentissages, le bavardage, etc.Le travail d’équipe entraîne même <strong>des</strong> difficultés entre les enseignants. Un d’entre euxrapporte <strong>ce</strong> fait en parlant de la différen<strong>ce</strong> de for<strong>ce</strong> académique entre les groupes. Comme<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 285


C. LANARIStous les groupes d’un niveau doivent essentiellement réaliser le même projet, lorsqu’ungroupe est plus faible plusieurs problèmes surgissent. Cet enseignant souligne le fait queplusieurs élèves de son groupe n’arrivaient pas à suivre le projet que les autres faisaient ;il a donc dû adapter le matériel, mais son groupe n’arrivait pas aux mêmes réalisations queles autres, <strong>ce</strong> qui était en peu démotivant pour <strong>ce</strong>lui-ci. Les enseignants doivent égalementgérer le temps différemment, prévoir les imprévus et tolérer un plus grand désordre dans laclasse. On voit donc que c’est la « mise en pratique » de la pédagogie par projets qui poseproblème aux enseignants. Les <strong>formation</strong>s qu’ils ont reçues ont davantage traité de l’aspect« connaissan<strong>ce</strong> » de la démarche pédagogique, sans né<strong>ce</strong>ssairement mettre l’ac<strong>ce</strong>nt sur lafaçon dont les enseignants vont faire fa<strong>ce</strong> aux changements provoqués dans leurs pratiquespar la pédagogie par projets.Une autre difficulté semble être le manque d’expérien<strong>ce</strong> avec <strong>ce</strong>tte pédagogie. Les enseignantsdisent que comme essentiellement tous les membres de l’équipe ne connaissent pasbien <strong>ce</strong>tte démarche pédagogique, il y a peu d’entraide entre les enseignants. Ils auraientsouhaité avoir un accompagnement dans la mise en œuvre de <strong>ce</strong>tte démarche pédagogique,mais dans les écoles qui ont participé à la recherche, aucune structure d’accompagnementn’a été prévue.À la suite de l’analyse <strong>des</strong> entrevues, on peut dire que les enseignants qui doiventdorénavant enseigner en utilisant la pédagogie par projets, font fa<strong>ce</strong> à plusieurs défis etdoivent apporter <strong>des</strong> changements significatifs dans leurs pratiques. Ce qui nous frappedans l’analyse <strong>des</strong> données, est le fait qu’aucun enseignant ne fait référen<strong>ce</strong> à la <strong>formation</strong>qu’il a reçue dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme en éducation. Les enseignantsexpriment leur insécurité et leur questionnement fa<strong>ce</strong> à une nouvelle démarche pédagogiqueet semblent dire qu’ils ont peu d’outils pour mettre en application les différents changementsque né<strong>ce</strong>ssite la pédagogie par projets. Le fait d’avoir développé <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s sur lapédagogie par projets ne semble pas suffisant pour garantir une appropriation réussie de<strong>ce</strong>tte dernière. Que pourrait être fait pour leur donner un sentiment de pouvoir fa<strong>ce</strong> à leurpratique ? Comment se fait-il que les <strong>formation</strong>s reçues ne soient pas transférables à lapratique <strong>professionnelle</strong> ? Il est de notre avis que l’enseignant qui désire devenir « maître »<strong>des</strong> changements de sa pratique, pourrait le faire en s’investissant dans une démarchede recherche, mais pas n’importe laquelle. En s’engageant dans une recherche-<strong>formation</strong>l’enseignant poursuit une double visée, la construction de nouvelles connaissan<strong>ce</strong>s et lechangement de sa pratique <strong>professionnelle</strong>.La né<strong>ce</strong>ssité de mise en relation entre la rechercheet la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>Nous allons présenter ici la démarche de recherche-<strong>formation</strong>, pour ensuite nous attardersur le rôle que <strong>ce</strong>tte dernière peut jouer en tant que trait d’union entre la recherche et la<strong>formation</strong>. Il est de notre avis que le lien entre la recherche et la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>ne peut se faire que si les praticiens ont l’occasion de développer un nouveau rapport aussibien à la recherche qu’à la <strong>formation</strong>.La recherche-<strong>formation</strong>La recherche-<strong>formation</strong> s’inscrit dans la catégorie <strong>des</strong> démarches de recherche qui286<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Recherche et <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> en éducation : illusion, paradoxe ou né<strong>ce</strong>ssité ?poursuivent <strong>des</strong> visées de changement de la pratique, tout comme la recherche-action et lascien<strong>ce</strong>-action. Dans la recherche-<strong>formation</strong>, le praticien-chercheur est à la fois le SUJETqui effectue la recherche et l’OBJET sur lequel porte la recherche. Mandin (1995) décrit larecherche-<strong>formation</strong> comme une démarche d’émancipation du praticien, dans le sens premierdu terme: « se prendre en main ». Ce qui différencie la recherche-<strong>formation</strong> <strong>des</strong> autresdémarches de recherche, c’est le rapport intérieur/extérieur entre le chercheur et son objetde recherche. Contrairement à la recherche-action, où il y a une partie « action » à laquellele chercheur participe, et une partie « recherche » dont il assume la responsabilité, dans larecherche-<strong>formation</strong> <strong>ce</strong>s deux instan<strong>ce</strong>s du pro<strong>ce</strong>ssus sont réunies en la même personne :le praticien-chercheur est également chercheur-praticien. Clanet et Bataille (1979) semblentavoir été les premiers à se servir de la distan<strong>ce</strong> du chercheur pour différencier la rechercheactionde la recherche traditionnelle. Si dans <strong>ce</strong>tte dernière, le chercheur est complètementà l’extérieur de son objet de recherche, dans la première il est à la fois intérieur et extérieur,mais en maintenant son statut de chercheur. On peut dire que dans une recherche-actionle chercheur devient praticien à l’occasion, tandis que dans la recherche-<strong>formation</strong> il y aune synchronicité, une simultaneïté, le chercheur est toujours praticien et le praticien esttoujours chercheur, car c’est la même personne qui assume les deux rôles. Selon Josso(1991, p.217) c’est la dimension de la trans<strong>formation</strong> globale qui constitue la spécificité dela recherche-<strong>formation</strong>, car il s’agit d’une « trans<strong>formation</strong> du sujet apprenant par la prisede conscien<strong>ce</strong> qu’il est et a été sujet de ses trans<strong>formation</strong>s ». En quoi l’engagement dansune démarche de recherche peut-il faciliter le pro<strong>ce</strong>ssus de changement de la pratique etaider les enseignants à surmonter <strong>des</strong> difficultés telles que rencontrées dans le pro<strong>ce</strong>ssusd’appropriation d’une nouvelle démarche pédagogique ?Les enseignants que nous avons questionnés dans le cadre de notre recherche, nouslaissent comprendre qu’une connaissan<strong>ce</strong> « théorique » de la pédagogie par projets nesuffit pas pour les aider à faire fa<strong>ce</strong> aux changements que l’utilisation de <strong>ce</strong>tte démarchepédagogique né<strong>ce</strong>ssite. On peut dire que, pour eux, aucun dialogue n’existe entre lesavoir théorique et le savoir d’expérien<strong>ce</strong>. Les résultats <strong>des</strong> recherches sur les nouvellesdémarches pédagogiques, ainsi que les textes théoriques sur le sujet, ne se « traduisent »que rarement par <strong>des</strong> modifications réelles dans la pratique. Il nous semble qu’en éducationil existe encore une frontière difficile à franchir, <strong>ce</strong>lle du passage <strong>des</strong> savoirs théoriquesaux savoirs d’expérien<strong>ce</strong>. Autant la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>des</strong> enseignants, que larecherche en éducation, naviguent entre les deux, sans être en mesure d’en arriver à uneintégration. Dans une situation idéale, les connaissan<strong>ce</strong>s du praticien-chercheur seraient<strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s qui puisent leurs racines dans les deux types de savoir, tout en lestrans<strong>ce</strong>ndant. Il s’agirait alors de connaissan<strong>ce</strong>s intégrées et intégratri<strong>ce</strong>s ; <strong>ce</strong>s dernièressont difficiles à atteindre et difficiles à con<strong>ce</strong>ptualiser, car en définissant les différents niveauxde savoir on a tendan<strong>ce</strong> à séparer les savoirs expérientiels <strong>des</strong> savoirs théoriques (Tardifet Gauthier, 1996; Altet, 1996). La pertinen<strong>ce</strong> d’associer un pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong> à unpro<strong>ce</strong>ssus de recherche se situe à <strong>ce</strong> niveau: dans une démarche de recherche-<strong>formation</strong>,le praticien est amené à prendre une distan<strong>ce</strong> par rapport à sa pratique, afin de mieux lacomprendre, et à se questionner sur la pertinen<strong>ce</strong> de différentes approches théoriques euégard sa propre pratique. Dans une démarche de recherche-action on va inviter l’enseignantà devenir l’ACTEUR <strong>des</strong> changements de sa pratique. La recherche-<strong>formation</strong> donne àl’enseignant l’occasion de réfléchir sur son propre pro<strong>ce</strong>ssus de changement, en identifierles principales difficultés, tout en conservant <strong>des</strong> préoccupations théoriques. De <strong>ce</strong>tte façonle praticien est en mesure de se poser <strong>des</strong> questions qui dépassent le cadre de sa pratique,tout en l’influençant. Par la rédaction d’un mémoire de maîtrise ou d’une thèse de doctorat,<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 287


C. LANARISle praticien devient l’AUTEUR d’un texte et l’AUTEUR <strong>des</strong> changements de sa pratique. Lefait de se positionner fa<strong>ce</strong> aux nouvelles connaissan<strong>ce</strong>s modifie le rapport du praticien à larecherche et la pratique : <strong>ce</strong>tte dernière n’est pas un sous-produit de la première, les deuxse nourrissent mutuellement.L’arrimage entre la recherche et la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>,une condition né<strong>ce</strong>ssaire pour favoriser le pro<strong>ce</strong>ssus de changementÀ travers <strong>des</strong> démarches comme <strong>ce</strong>lle de la recherche-<strong>formation</strong>, on tend de plus en plusvers la définition d’un nouveau type d’enseignant : non seulement on ne le conçoit pluscomme un exécutant de nouvelles démarches pédagogiques, mais de plus, on lui attribuela responsabilité première <strong>des</strong> changements introduits dans sa pratique. Paquette (1999,p.130) met l’ac<strong>ce</strong>nt sur le fait que le changement en profondeur ne vient pas en utilisantquelques techniques qui, d’ailleurs, peuvent être contradictoires; au contraire, changersignifie développer <strong>des</strong> « capacités de résoudre <strong>des</strong> problèmes complexes et de prendre<strong>des</strong> initiatives ». L’enseignant devient alors l’expert de sa propre pratique, et le seul quipuisse en modifier les paramètres. Marsolais (1999. p.127) soutient que « les chan<strong>ce</strong>s duchangement dépendent d’un engagement existentiel qui s’enracine plus profondément queles raisonnement détaché sur <strong>des</strong> questions d’efficacité instrumentale ». On pourrait doncimaginer qu’une partie <strong>des</strong> difficultés rencontrées par les enseignants dans le cadre de larecherche qui a fait l’objet de <strong>ce</strong>t article, est attribuable au fait que <strong>ce</strong>s derniers ont vouluappliquer une démarche pédagogique et <strong>des</strong> techniques apprises lors <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s offertespar le ministère, sans questionner leurs pratiques et sans adopter l’attitude de chercheurà l’égard de leur pratique. Suivre une <strong>formation</strong> ne peut être suffisant pour permettre auxenseignants de maîtriser de nouvelles démarches pédagogiques. Ils devraient être enmesure de se poser <strong>des</strong> questions, d’analyser et de comprendre, aussi bien la démarchepédagogique qui leur est proposée, que les aspects de leur pratique qui seront le plustouchés par sa mise en oeuvre. Il faudrait donc que les enseignants soient en mesure deprendre, de temps à autre, la posture de chercheur dans leur pratique; <strong>ce</strong> serait une <strong>des</strong>conditions qui faciliteraient le pro<strong>ce</strong>ssus d’appropriation et de changement.Une autre condition qui facilite le pro<strong>ce</strong>ssus de changement et par <strong>ce</strong> fait même, lerapprochement entre la recherche et la <strong>formation</strong>, est la mise en relation entre les savoirsissus de la pratique et les connaissan<strong>ce</strong>s théoriques sur les contenus, les démarchespédagogiques, etc. Ceci signifie que l’hiérarchisation entre les deux s’atténue et que lerapport que le praticien-chercheur entretient avec le monde de la connaissan<strong>ce</strong> évolue : iln’est ni collaborateur, ni participant, ni acteur; il est au cœur d’un pro<strong>ce</strong>ssus de constructionde connaissan<strong>ce</strong>s qui, par <strong>ce</strong> fait même, devient un pro<strong>ce</strong>ssus de changement. En fait, se<strong>des</strong>sine là une nouvelle identité du praticien-chercheur : il s’agit d’une personne qui, touten partant <strong>des</strong> questionnements issus de sa pratique, est en mesure de les complexifier,d’établir <strong>des</strong> mises en relation élargies, et de construire ainsi <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s sur différentsphénomènes du réel; il est tout à fait conscient que <strong>ce</strong> sont <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s qui ne peuventpas rendre compte de l’ensemble de sa pratique, que <strong>ce</strong> sont <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s partielles,mais qui peuvent toujours s’élargir sans perdre de leur essen<strong>ce</strong>. Charlier (1998) soutientque, bien que l’expression « rapport au savoir » est largement utilisée, on ne dispose pasactuellement en éducation d’une théorie du rapport suffisamment bien établie. Pour <strong>ce</strong>tauteur, comme il n’y a pas de savoir qui ne soit inscrit dans <strong>des</strong> rapports de savoir, le rapportau savoir est à la base de tous les autres rapports que la personne entretient; il soutientque le rapport au savoir est rapport d’un sujet au monde, à soi-même et aux autres. Son288<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Recherche et <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> en éducation : illusion, paradoxe ou né<strong>ce</strong>ssité ?importan<strong>ce</strong> est grande, car il est rapport au monde comme ensemble de significations, maisaussi comme espa<strong>ce</strong> d’activités et il s’inscrit dans le temps.Actuellement on vit au Québec une redéfinition du rôle de l’école et, surtout, de la pla<strong>ce</strong>qu’on accorde à l’enseignant et à l’élève, dans la mise en œuvre de nouvelles démarchespédagogiques. Est-<strong>ce</strong> que la trans<strong>formation</strong> de l’école peut se faire sans la trans<strong>formation</strong><strong>des</strong> personnes impliquées ? Un enseignant qui n’a pas exploré son rapport à la connaissan<strong>ce</strong>peut-il accompagner ses élèves dans un pro<strong>ce</strong>ssus de prise de pouvoir sur le monde <strong>des</strong>connaissan<strong>ce</strong>s ? Ce que nos expérien<strong>ce</strong>s nous démontrent est le fait que pour changer <strong>des</strong>pratiques pédagogiques les dispositifs traditionnels de <strong>formation</strong> continue ne suffisent pas. Iln’est pas utopique de penser que le monde de la recherche et <strong>ce</strong>lui de la <strong>formation</strong> peuventet doivent se rapprocher. Pour <strong>ce</strong> faire, il faudra devenir créatif et penser à <strong>des</strong> dispositifsde <strong>formation</strong> qui vont au-delà de sentiers battus. La recherche-<strong>formation</strong>, qui n’est pas unedécouverte ré<strong>ce</strong>nte, peut s’avérer une démarche fort pertinente pour un rapprochementné<strong>ce</strong>ssaire entre la recherche et la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>.BibliographieALTET M. (1996) « Les compéten<strong>ce</strong>s de l’enseignant professionnel : entre savoirs,schèmes d’action et d’adaptation, le savoir analyser » - in L. Paquay, M. Altet, E. Charlieret P. Perrenoud (dir.) Former <strong>des</strong> enseignants professionnels pp. 27-37. Paris/Bruxelles, deBoeck Université.Arpin L., Capra L. (2001) L’apprentissage par projets. Montréal, Chenelière Mc-GrawHill.Boutinet J.-P. (1990) Anthropologie du projet. Paris, PUF.Caouette C. (1992) Si on parlait d’éducation : pour un projet de société. Montréal, VLBéditeur.CLANET C. et BATAILLE M. (1979/3) « Une recherche-action sur la co-action éducative »- Psychologie et Éducation pp. 5-45.CHARLIER B. (1998) Apprendre et changer sa pratique d’enseignement. Paris, Bruxelles, deBoeck.Fournier M. (2006) « Recherche et éducation : Je t’aime, moi non plus » - Revue <strong>des</strong>Scien<strong>ce</strong>s Humaines. Dossier WEB : la pratique <strong>des</strong> enseignants ;www.scien<strong>ce</strong>shumaines.comJOSSO C. (1991) Cheminer vers soi. Lausanne, L’Âge d’Homme.Haramein A. (1999) « Résonan<strong>ce</strong>s d’un univers expérientiel » - in Monique Chaput,Paul-André Guigère et André Vidricaire (dir) Le pouvoir transformateur du récit de vie.Acteur, auteur et lecteur de sa vie, pp. 34-47. Montréal, L’Harmattan.Karsenti T. et Demers S. (2000) « L’étude de cas » in T. Karsenti, L. Savoie-Zajc (dir)Introduction à la recherche en éducation pp. 225-247. Sherbrooke, Éditions du CRP.Mandin L. (1995/17) « La trans<strong>formation</strong> d’une éducatri<strong>ce</strong> par sa recherche » - Repères,Essais en éducation pp. 91-107.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 289


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Fonder une communauté d’enseignants chercheursen devenir : la possibilité d’une utopieCaroline ScheepersHaute école Lucia de Brouckère, Jodoigne (Belgique)IntroductionDepuis longtemps, les chercheurs débattent vivement de la question de la difficile interactionentre la recherche et l’enseignement (Barbier, Donnay, Charlier et Dejean, Paquay, Perrenoud,Raymond et Lenoir, Schön, etc.). Les textes révèlent ainsi une âpre polémique que corroborel’examen <strong>des</strong> réalités empiriques. En effet, l’observateur un tant soit peu attentif ne peutque constater le caractère aléatoire et rarissime d’une réelle interaction entre monde de larecherche et monde de l’enseignement. Trop souvent, <strong>ce</strong>s deux microcosmes fonctionnenten vases clos, en Communauté française de Belgique, du moins. Ce cloisonnement étanchepose question et s’avère sans doute préjudiciable pour les deux parties en présen<strong>ce</strong>. Maissi la problématique de l’articulation entre la recherche et la <strong>formation</strong> a été longuementdiscutée d’un point de vue purement théorique, sur le terrain, les tentatives effectives pourrenfor<strong>ce</strong>r les échanges entre monde scientifique et enseignant ne sont pas légion. C’estprécisément à <strong>ce</strong>tte gageure que je vais m’atteler.Cette contribution se propose de rendre compte d’un dispositif de recherche-<strong>formation</strong> visantà constituer en <strong>formation</strong> initiale d’instituteurs une communauté d’enseignants-chercheursen devenir. Après avoir tenté de mettre en débat les con<strong>ce</strong>pts d’enseignant-chercheur etde communauté, je décrirai brièvement les modalités concrètes du dispositif mis en œuvreavant d’en envisager les effets observables. Il s’agira alors d’analyser diverses tra<strong>ce</strong>ssémiotiques. Le présent texte se <strong>ce</strong>ntrera plus spécifiquement sur la participation de lacommunauté ainsi constituée à un colloque scientifique international, en l’occurren<strong>ce</strong>, ledeuxième colloque international de l’Association belge pour la lecture, section francophone(ABLF), qui a eu lieu en novembre 2005, à Namur. L’équipe a organisé un symposiumarticulé autour de trois communications portant sur <strong>des</strong> dispositifs qu’elle a expérimentés.Où il se prouve que recherche et enseignement ne sont pas forcément antinomiques maispeuvent se conjuguer de façon heuristique.1. Le con<strong>ce</strong>pt d’enseignant chercheurAssurément, le con<strong>ce</strong>pt d’« enseignant chercheur » constitue une question vive, tant dansle champ de la recherche que de l’enseignement. Le con<strong>ce</strong>pt s’avère flou et ambigu :tantôt il désigne les enseignants qui effectuent <strong>des</strong> recherches, généralement sur leurspropres pratiques, tantôt il sert à évoquer les praticiens qui sont associés à <strong>des</strong> recherchescollaboratives initiées par les universités, lesquels sont alors parfois appelés « cochercheurs». Les chercheurs semblent s’accorder sur la distinction entre « faire de larecherche » et « être en recherche », les uns opposant assez nettement les deux postures(Barbier, 2001 ; Schön, 1994 ; Perrenoud, 2001), les autres préférant parler de co-constructionde savoirs avec <strong>des</strong> équipes <strong>universitaire</strong>s (Donnay et al., 2002) ou de continuum (Paquay,<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 291Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (291-304) Tome 2


C. SCHEEPERS1994). Du côté <strong>des</strong> enseignants, il semblerait bien que le con<strong>ce</strong>pt d’enseignant-chercheurparaisse incongru et suscite pas moins que de la défian<strong>ce</strong> larvée ou déclarée. Les propos<strong>des</strong> praticiens, rejoignant en <strong>ce</strong>la <strong>ce</strong>ux de <strong>ce</strong>rtains chercheurs, traduisent en règle généraleune vive scission entre la recherche et l’enseignement, invalidant dans le même temps lapossibilité d’un acteur qui opérerait à la fois dans la noosphère <strong>des</strong> scientifiques et dans leconcret <strong>des</strong> salles de classe.Comment expliquer <strong>ce</strong> fossé entre recherche et enseignement ? Si plusieurs arguments denatures diverses peuvent être avancés, sans doute faut-il invoquer <strong>des</strong> facteurs institutionnelsnon négligeables qui tiennent à la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> uns et <strong>des</strong> autres mais aussi à lacarrière respective <strong>des</strong> praticiens et <strong>des</strong> chercheurs. En Communauté française de Belgique,le seul critère vraiment décisif en vigueur pour la nomination <strong>des</strong> enseignants est l’ancienneté.Quant aux chercheurs, on le sait, leur carrière se jauge bien plus à l’aune <strong>des</strong> publicationsque <strong>des</strong> collaborations menées avec <strong>des</strong> écoles. Tout <strong>ce</strong>la explique en partie pourquoipeut être qualifiée de véritable apostolat la démarche qui consiste pour un enseignant àmener <strong>des</strong> recherches et pour un <strong>universitaire</strong> à intervenir concrètement dans le champscolaire. Par ailleurs, il me semble que les compéten<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> différents acteurs ne sont passeules en cause : <strong>ce</strong>s crispations communautaristes renvoient selon toute vraisemblan<strong>ce</strong>à de douloureuses et cruciales questions identitaires, bien au-delà d’enjeux idéologiquesqui masquent trop souvent <strong>des</strong> enjeux économiques et symboliques. Nous avons là affaireà de subtils jeux de pla<strong>ce</strong>s et de fa<strong>ce</strong>s (Goffman, 1973 a et b, 1974). Si les enseignantsobtiennent <strong>des</strong> budgets de recherche, ne sera-<strong>ce</strong> pas au détriment d’équipes <strong>universitaire</strong>sainsi mises en péril ? Si les praticiens co-signent <strong>des</strong> articles, les chercheurs ne risquent-ilspas de devoir partager leur pouvoir symbolique ? Si les chercheurs se mettent à enseigner,pourra-t-on encore parler de savoirs spécifiques aux enseignants ? La légitimité et la marged’action de tous ne risquent-elles pas d’être ébranlées ?Dès lors, comment envisager la difficile interaction entre la <strong>formation</strong> et la recherche ? L’uneest-elle inféodée à l’autre ? S’assimilent-elles, se réduisent-elles l’une à l’autre ? Sont-ellescontradictoires ? Aucune de <strong>ce</strong>s propositions ne me parait pertinente. Le dispositif évoquédans le présent article offre un continuum entre recherche et <strong>formation</strong>. Si l’une et l’autrediffèrent quant à leur nature, elles peuvent plutôt se per<strong>ce</strong>voir comme <strong>des</strong> boucles qui serégulent mutuellement. Il est évident qu’existent une logique de <strong>formation</strong> et une logique derecherche, qu’un agir didactique coexiste à côté d’un agir de recherche. La <strong>formation</strong> vise ledéveloppement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> apprenants tandis que la recherche vise la productionde connaissan<strong>ce</strong>s scientifiques. Cependant, posons à titre de postulat qu’un même acteurpeut, selon les circonstan<strong>ce</strong>s, se situer à un endroit ou à un autre du continuum, autrement dit,que la possibilité lui est donnée d’activer l’une ou l’autre logique, de mobiliser l’un ou l’autreagir. Certains acteurs se situent invariablement à un axe du continuum, d’autres voyagentsur toute la longueur du continuum. Cette faculté a un prix, elle se fonde notamment, demon point de vue, sur une solide <strong>formation</strong> initiale et continue. Les deux logiques ne mesemblent ni antinomiques ou similaires mais complémentaires et réciproquement fécon<strong>des</strong>.Cette interaction heuristique peut <strong>ce</strong>pendant être sour<strong>ce</strong> de tensions, sur un plan identitairepar exemple, qu’il s’agisse de l’identité pour soi ou de l’identité pour autrui (Dubar, 2000).Les tensions elles-mêmes peuvent nourrir la <strong>formation</strong> et la recherche, pour autant qu’ellessoient révélées et régulées.Il ne s’agit pas de discréditer les recherches menées en extériorité institutionnelle pas plusqu’il ne s’agit de remettre en cause les enseignants qui ne se dirigent pas vers la recherche.Toutes les recherches (impliquées, collaboratives, en extériorité institutionnelle…) ont292<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Fonder une communauté d’enseignants chercheurs en devenir : la possibilité d’une utopieleur pertinen<strong>ce</strong>. Mon propos est plutôt de considérer d’un œil neuf la problématique de larecherche-intervention ou de l’enseignant-chercheur : il me parait impérieux de dépasserles purs débats rhétoriques pour enfin étudier et évaluer le caractère opérationnel d’une<strong>formation</strong> qui viserait à développer <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s de chercheur chez de futurs praticiens.L’un <strong>des</strong> buts que je poursuis est de con<strong>ce</strong>voir, d’expérimenter, de réguler et d’analyser undispositif de <strong>formation</strong> qui favoriserait chez <strong>des</strong> instituteurs en <strong>formation</strong> initiale l’adoptiond’une posture d’enseignant-chercheur. Il me faut donc partir du postulat que l’enseignantpeut être un enseignant-chercheur, c’est-à-dire, dans l’ac<strong>ce</strong>ption que j’ai retenue, unpraticien capable de con<strong>ce</strong>voir, d’expérimenter, de réguler, de décrire et d’analyser undispositif d’enseignement-apprentissage avant d’en rendre compte auprès de pairs ou dechercheurs.Cette posture, très complexe, dépasse donc le cadre du praticien réflexif (Schön, 1994)puisqu’elle mobilise <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s et <strong>des</strong> composantes identitaires spécifiques : en effet,l’apprenti enseignant-chercheur apprend à intervenir dans une classe (activité opérative), àréfléchir à son agir didactique (activité réflexive) et à formaliser pour autrui de façon rigoureusele fruit de son analyse (activité scientifique). Si l’on peut envisager l’existen<strong>ce</strong> d’un praticienréflexif isolé dans sa classe, l’enseignant-chercheur est par définition invité à mener unpro<strong>ce</strong>ssus d’intelligibilité quant à <strong>des</strong> faits éducatifs, pro<strong>ce</strong>ssus fondé sur la connaissan<strong>ce</strong>fine de la recherche et orienté par la mise à disposition d’autrui <strong>des</strong> résultats ainsi obtenus.Cette formalisation rigoureuse et fondée scientifiquement <strong>des</strong> pratiques éducatives meparait différencier nettement la posture d’enseignant-chercheur de <strong>ce</strong>lle du praticien réflexif.Il s’agit donc d’un autre paradigme de recherche, lequel s’avère congruent avec le prescritlégal dans la mesure où, en Communauté française de Belgique, le pouvoir en pla<strong>ce</strong> inviteles enseignants à désormais endosser <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s de chercheur, en référen<strong>ce</strong> auxsix modèles de professionnalité développés par Léopold Paquay (1994). Mais, selon moi,<strong>ce</strong>tte injonction n’est guère suffisante : encore faut-il doter les enseignants en devenir <strong>des</strong>compéten<strong>ce</strong>s né<strong>ce</strong>ssaires.2. Une communaute d’enseignants chercheurs en devenirSi le dispositif mis en pla<strong>ce</strong> invite l’étudiant à se constituer en tant que « sujet scientifiqueacadémique » (Bernié, 2002), il vise en outre à fédérer tous les individus autour d’un mêmeprojet : favoriser le développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s lecturales, scripturales et orales <strong>des</strong>élèves du primaire, dans la mesure où le projet est mené dans le cadre du cours de françaiset de didactique du français. C’est à la mise en pla<strong>ce</strong> d’un authentique agir communicationnel(Habermas, 1997) que sont conviés les apprenants : de façon générale, il s’agit de trouverun consensus sur l’enseignement-apprentissage du français à l’école primaire. Plusspécifiquement, les étudiants sont invités à mener divers projets avant de les analyser etd’en rendre compte lors d’un colloque scientifique international. Dans <strong>ce</strong>tte optique, lessavoirs ainsi élaborés prennent la forme d’un construit collectif (Bronckart, 1996) : ils sontéchangés, discutés, négociés, triturés, mis en débat…Les travaux inauguraux de John Dewey (1967) sous-tendent la démarche : c’est bien unevéritable « communauté embryonnaire en miniature » qui est fondée à la haute école, dansun esprit de pédagogie foncièrement sociale. Plutôt que d’isoler les étudiants « moralement,socialement et intellectuellement » (Dewey, 1967), la haute école se veut à l’image d’unfoyer social qui favorise l’autosocioconstruction <strong>des</strong> savoirs. Chacun est envisagé entant qu’individu-plus (Perkins, 1995) puisque le sujet est aussi considéré du point de vue<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 293


C. SCHEEPERS<strong>des</strong> ressour<strong>ce</strong>s de son environnement, qu’il s’agisse de ressour<strong>ce</strong>s sociales (les pairs, laformatri<strong>ce</strong>, les élèves du primaire) ou physiques (les travaux <strong>des</strong> chercheurs, les outilsinformatiques…). Ces individus-plus forment une équipe, que David N. Perkins qualifieraitde « personnes-plus » ou « people-plus » (1995). La participation au colloque constitue unetra<strong>ce</strong> significative et un auxiliaire puissant dans le pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong> de la communautéd’enseignants-chercheurs. Le colloque s’apparente à <strong>ce</strong> titre à un authentique rite initiatique :il légitime assez officiellement les étudiants dans leur posture d’enseignant-chercheur endevenir tandis qu’il consacre l’existen<strong>ce</strong> d’une réelle équipe de recherche, mobilisée autourde quelques projets fédérateurs.Cette équipe constitue une communauté discursive au sens où l’entend Jean-Paul Bernié(2002, p. 77) : « les élèves intériorisent, dans <strong>des</strong> situations appropriées <strong>des</strong> rôles sociauxtransposant <strong>ce</strong>ux qui structurent les communautés porteuses de pratiques de référen<strong>ce</strong> ». Enl’occurren<strong>ce</strong>, les étudiants sont amenés à assumer la posture d’un enseignant-chercheur enéducation qui ferait partie d’une équipe de recherche, constituée sur la base de productionde connaissan<strong>ce</strong>s scientifiques. Mais <strong>ce</strong>tte transposition n’a rien d’artificiel car il ne s’agit pasde mimer dans un contexte facti<strong>ce</strong> un simulacre de recherche scientifique : le pro<strong>ce</strong>ssus estfinalisé par la préparation d’un symposium qui prendra pla<strong>ce</strong> dans un colloque renommé,devant un public réel. Nous pouvons donc bien parler d’une « communauté discursivescientifique académique », même si coexistent <strong>des</strong> relations dissymétriques puisque lesymposium est préparé conjointement par les étudiants et deux de leurs formatri<strong>ce</strong>s, qui ontdès lors <strong>des</strong> statuts et <strong>des</strong> responsabilités foncièrement différents. Les formatri<strong>ce</strong>s apportentdonc un indispensable étayage aux étudiants : si elles écrivent et parlent conjointement avecles étudiants – situation pédagogique pour le moins inédite – elles conservent <strong>ce</strong>pendantle rôle de mentors par rapport aux apprentis-chercheurs. De <strong>ce</strong> fait, la classe se conçoitcomme une organisation apprenante (Paquay, 2005) et un ensemble de multiples zonesproximales de développement à étayer (Vygotski, 1997 ; Brown et Campione, 1995), danslequel priment les relations interpersonnelles et les interdépendan<strong>ce</strong>s entre les individus.3. Le dispositif de recherche-<strong>formation</strong>La classe est donc invitée à rendre compte de multiples dispositifs de recherche-<strong>formation</strong>lors d’un colloque. Dans <strong>ce</strong>tte entreprise, les étudiants n’ont pas été relégués au statutd’agents, de petites mains effectuant d’obscurs et ingrats travaux d’analyse, mais ontendossé un véritable rôle d’acteur. C’est toute la classe qui a préparé les interventions et apris la parole en public. Bien sûr, les exigen<strong>ce</strong>s sont très élevées, tant en termes cognitifsqu’en termes discursifs. Pour <strong>ce</strong>rtains observateurs, <strong>ce</strong>s exigen<strong>ce</strong>s semblaient ex<strong>ce</strong>ssiveset l’entreprise tout entière relevait de l’utopie pure. En fait, la tâche demandée a été préparéeet anticipée de longue date, <strong>ce</strong> qui m’amène à dire un mot de la recherche et du contextedans lesquels s’inscrit <strong>ce</strong> projet. En effet, <strong>ce</strong>lui-ci cloture et couronne un long pro<strong>ce</strong>ssusde recherche-<strong>formation</strong> amorcé bien en amont. Nous pouvons parler d’étude longitudinalepuisque j’accompagne une même cohorte d’instituteurs en <strong>formation</strong> initiale tout au long deleur cursus académique . L’intervention didactique sur le terrain, amorcée en septembre2003, s’est achevée en juin 2006. Au total, elle compte quelque quatre <strong>ce</strong>nts heures decours et d’accompagnement et elle s’inscrit dans le cadre <strong>des</strong> cours intitulés « françaiset didactique du français » et « maitrise de la langue écrite et orale ». J’adopte un triple En Communauté française de Belgique, les instituteurs du primaire sont formés dans les départementspédagogiques <strong>des</strong> hautes écoles, établissements d’enseignement supérieur non-<strong>universitaire</strong> à viséeprofessionnalisante.294<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Fonder une communauté d’enseignants chercheurs en devenir : la possibilité d’une utopiepositionnement dans la mesure où je suis à la fois formatri<strong>ce</strong>, évaluatri<strong>ce</strong> et chercheuse.Plusieurs hypothèses sous-tendent la recherche-intervention que j’ai conduite durant troisans. Nous pouvons rapidement les structurer autour du con<strong>ce</strong>pt d’interaction :– l’interaction entre les activités de recherche et l’entièreté de la <strong>formation</strong> : l’hypothèse trèsgénérale que j’avais formulée était que si le TFE pose tant de problèmes aux étudiants, c’estpar<strong>ce</strong> qu’il constitue une activité tout à fait incongrue par rapport aux tâches auxquelles ilssont généralement confrontés tout au long de leur parcours académique. Il m’a donc sembléqu’il fallait renfor<strong>ce</strong>r l’interaction entre le TFE et les tâches dans lesquelles sont impliquésles apprenants et <strong>ce</strong> dès leur entrée dans la haute école. Dès l’amor<strong>ce</strong> de la <strong>formation</strong>, lesétudiants sont invités à endosser une posture de chercheur. Ainsi, le cours magistral estdélaissé au profit de dispositifs comme les classes-puzzles. En particulier, le journal de<strong>formation</strong> constitue la mémoire et le levier d’un intense pro<strong>ce</strong>ssus de réflexion. En outre,les étudiants élaborent le journal de la haute école. Celui-ci est diffusé auprès <strong>des</strong> maitresde stage, <strong>des</strong> formateurs et <strong>des</strong> étudiants de la haute école. Les étudiants sont incités à sepositionner en tant que chercheurs en herbe, faisant état de travaux de recherche, sondantenseignants ou enfants, rendant compte d’innovations didactiques…– l’interaction entre les activités lecturales, scripturales et orales : sans arrêt sont associées<strong>ce</strong>s trois types de tâches. Par exemple, les étudiants lisent <strong>des</strong> contes afin de préparerl’élaboration de leur propre conte, leurs versions suc<strong>ce</strong>ssives sont lues par les pairs afind’être discutées et améliorées, les textes dans les versions définitives sont contés dansla classe de stage… Sans <strong>ce</strong>sse, les étudiants lisent : les textes <strong>des</strong> chercheurs ou <strong>des</strong>enseignants, le prescrit légal, les copies d’élèves, les textes <strong>des</strong> pairs et… ils relisent leurspropres documents. Ils écrivent beaucoup, de façon continue, <strong>des</strong> textes de natures variées :<strong>des</strong> comptes rendus d’ouvrages pour enfants, <strong>des</strong> préparations de leçons, <strong>des</strong> texteslittéraires, <strong>des</strong> articles pour le journal de l’école, <strong>des</strong> fiches pour leurs exposés, <strong>des</strong> entréesdans le journal de <strong>formation</strong>, <strong>des</strong> lettres adressées aux élèves… Mais les interactions oralesne sont pas en reste : tous les textes sont négociés, débattus… D’authentiques débatsvoient le jour : comment écrire à un enfant ? Comment concrétiser <strong>ce</strong> postulat théorique ?Comment améliorer les compéten<strong>ce</strong>s orthographiques de <strong>ce</strong>t élève ?– l’interaction entre la théorie et la pratique : les étudiants prennent connaissan<strong>ce</strong> de diverstravaux issus de la littérature scientifique ou <strong>professionnelle</strong>. Fréquemment, les futursenseignants sont invités à transposer à l’école primaire les différents dispositifs dont ilsont pris connaissan<strong>ce</strong>. Dans un mouvement inverse, les données empiriques effectivementrécoltées dans les classes sont référées aux constats avancés par les chercheurs etpermettent de les nuan<strong>ce</strong>r ou de les compléter. Un aller-retour permanent est donc instauréentre les savoirs savants et les tentatives praxéologiques.– l’interaction entre la haute école et l’école primaire : très clairement est valorisée l’associationétroite entre l’institut de <strong>formation</strong> et les lieux d’exerci<strong>ce</strong> futurs du métier. C’est le cas pourle journal de l’école, pour le journal <strong>des</strong> apprentissages, pour le projet consacré au conte…Dans la mesure du possible, <strong>des</strong> activités didactiques sont expérimentées en classe puisanalysées. De façon très claire, la <strong>formation</strong> se veut homologique : les futurs instituteursexpérimentent pour eux-mêmes <strong>des</strong> activités qu’ils seront ensuite invités à transposer dansleur propre contexte éducatif.– l’interaction entre le sujet et autrui : si <strong>des</strong> tâches scripturales sont fréquemment proposéesaux étudiants, il ne s’agit pas du tout d’une écriture solipsiste. Au contraire, l’écriture Le TFE correspond au mémoire professionnel français et consiste en une « mini-recherche ».<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 295


C. SCHEEPERSpersonnelle soutient les échanges avec les pairs : elle les prépare, en garde la mémoire,les met en abyme… Les tâches discursives proposées aux élèves permettent vraimentde souder la classe en tant qu’authentique communauté : le journal de l’école est le fruitd’intenses négociations, le journal de <strong>formation</strong> porte la tra<strong>ce</strong> <strong>des</strong> débats, les consignesfinalement proposées aux élèves ont été co-construites…– l’interaction entre les contenus, leur didactisation et la maitrise de la langue : je tentede faire interagir les savoirs, leur didactisation et la maitrise de la langue. Plutôt que detravailler de façon cloisonnée les contenus, les aspects pédagogiques ou les dimensionsstrictement discursives, je tente de mettre en œuvre <strong>des</strong> dispositifs qui intègrent <strong>ce</strong>s troisaspects de façon conjointe.– l’interaction entre le cours de français et les autres disciplines : de façon ponctuelle, <strong>des</strong>dispositifs interdisciplinaires sont proposés aux étudiants. Ainsi, le conte que les étudiantsauront élaboré sera illustré dans le cadre du cours d’expression artistique. Le projet « journal<strong>des</strong> savoirs à l’école primaire » est préparé et accompagné dans le cadre <strong>des</strong> cours defrançais et de psychologie <strong>des</strong> apprentissages.– l’interaction entre <strong>des</strong> activités longues, complexes et intégratives et <strong>des</strong> projets trèsnettement ciblés : la durée de la recherche permet d’articuler <strong>des</strong> micro-activités <strong>des</strong>tructuration axées sur un apprentissage très ciblé (révisions orthographiques, dictées,analyse grammaticale d’un texte…) à <strong>des</strong> tâches complexes intégratives (participationactive de la communauté à un colloque scientifique international).4. Le colloque de l’ABLFAinsi, la posture d’enseignant-chercheur n’est pas mobilisée par le seul mémoire : elle seprépare progressivement dès le début de la <strong>formation</strong>, bien en amont, et contribue fortementà en assurer la cohéren<strong>ce</strong>. Quant à la communauté d’enseignants-chercheurs, elle seconcrétise dans la durée par un usage partagé de divers outils mais aussi par l’articulationprofonde et permanente de technologies matérielles, de sociabilités et de technologiesdiscursives (Bernié, 2002, p78). Ce long pro<strong>ce</strong>ssus formatif débouche sur la participationcommune à un symposium qui s’inscrit dans le cadre du 2 e colloque international del’ABLF. L’intitulé du colloque est : « Apprendre ensemble à (mieux) lire et écrire ». Notrecontribution constitue une indiscutable mise en abyme de la problématique du colloquedans la mesure où la préparation du symposium constitue en elle-même, à part entière, uneopportunité réelle de développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s discursives <strong>des</strong> étudiants, lesquelsont tiré bénéfi<strong>ce</strong> de l’étayage apporté par les formatri<strong>ce</strong>s et par les pairs, donc de l’équipede recherche tout entière. Tous ensemble, nous avons donc appris à mieux lire et à mieuxécrire. Ici, le formateur apprend avec, contre, par les étudiants . Le formateur écrit avec lesétudiants, leur soumet ses textes, guide l’écriture de chacun, s’exprime conjointement avecses apprenants, lesquels rebondissent sur ses propos…Un mot à présent de la classe : participeront au colloque onze étudiants. Ceux-ci émanentgénéralement d’un milieu plutôt mo<strong>des</strong>te et ont connu une scolarité antérieure assez difficile.Beaucoup sont issus de l’enseignement professionnel. Au moment du colloque, à savoir ennovembre 2005, ils sont en troisième et dernière année de leur <strong>formation</strong> dans le départementpédagogique de la Haute Ecole Lucia de Brouckère. Dès le mois de janvier 2005, la classeest informée du projet de participer au colloque qu’organise l’ABLF : <strong>ce</strong> projet n’est passoumis à discussion, il fait l’objet d’une imposition et suscite d’ailleurs l’épouvante chez les296<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Fonder une communauté d’enseignants chercheurs en devenir : la possibilité d’une utopieétudiants, j’y reviendrai. Je rédige seule la proposition de communication puis la soumets àl’approbation de la classe avant de la faire parvenir au comité scientifique, lequel remet unavis favorable en mai, au grand désespoir <strong>des</strong> étudiants. Mme Webb, la directri<strong>ce</strong>, ac<strong>ce</strong>pted’emblée de finan<strong>ce</strong>r l’inscription <strong>des</strong> étudiants : le projet recueille donc l’entier aval de ladirection, même s’il suscite <strong>des</strong> réactions plus mitigées au sein du corps professoral…Nous nous proposons ainsi d’organiser un symposium intitulé « Interactions multiplesautour du lire-écrire ». Trois communications distinctes sont envisagées. Toutes auront unestructure invariable : la ou les formatri<strong>ce</strong>s expliciteront le cadre théorique et les objectifs oumodalités du dispositif étudié, tandis que les étudiants se situeront du point de vue <strong>des</strong> effetsréellement obtenus, après avoir mené un important travail d’(auto)analyse. La premièrecommunication porte sur le journal de <strong>formation</strong> que rédigent les apprenants depuis plus dedeux ans, dans le cadre du cours de français. Au terme de chaque année, <strong>ce</strong>ux-ci sont invitésà procéder à l’autoanalyse de leur journal en fonction d’une grille interprétative complexe,prenant en compte <strong>des</strong> dimensions comme la posture énonciative, l’adresse du discours,les opérations réflexives… Quatre étudiantes, dont les journaux sont fortement contrastés,ac<strong>ce</strong>ptent de faire part de leurs analyses. Quant à la deuxième communication, elle portesur la transposition du journal de <strong>formation</strong> à l’école primaire : <strong>des</strong> élèves de CM2 tiennentindividuellement le journal de leurs savoirs. Au terme de l’année, les étudiants sont invitésà analyser de façon très fine les cahiers. Cinq étudiants feront état <strong>des</strong> divers outils qu’ilsont élaborés (consigne…) et <strong>des</strong> analyses <strong>des</strong> cahiers. Enfin, la troisième communicationporte sur divers dispositifs que j’ai menés avec les étudiants : chantier de lecture-écrituresur le conte, <strong>ce</strong>rcles de lecture, journal de l’école, classes-puzzles sur l’enseignementapprentissagede la littératie…Le colloque se déroule les 3 et 4 novembre 2005, à Namur, sous l’égide de Serge Terwagne etd’un comité scientifique prestigieux. Il est prévu que les actes du colloque soient publiés dansla revue Caractères. Plusieurs conféren<strong>ce</strong>s plénières et plusieurs ateliers sont organisés.Ils réunissent <strong>des</strong> chercheurs <strong>universitaire</strong>s, <strong>des</strong> formateurs-chercheurs <strong>des</strong> hautes écoleset <strong>des</strong> <strong>IUFM</strong>, <strong>des</strong> praticiens, <strong>des</strong> représentants d’associations travaillant dans le domainede l’alphabétisation… Tous viennent <strong>des</strong> quatre coins de la francophonie : Québec, Fran<strong>ce</strong>,Suisse, Belgique… La présen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> étudiants, malgré le caractère éclectique du programme,détonne quelque peu, faut-il le préciser ?Si la participation au colloque repose sur un long pro<strong>ce</strong>ssus mené bien en amont, sapréparation effective se déroulera en quelques étapes-clés et s’inscrira au cœur <strong>des</strong> cours defrançais et de maitrise de la langue écrite et orale. En juin 2005 sont compilées les diversestra<strong>ce</strong>s sémiotiques qui nourriront les interventions : autoanalyses <strong>des</strong> journaux de <strong>formation</strong>,analyses <strong>des</strong> journaux <strong>des</strong> enfants et portfolios axés sur les projets suc<strong>ce</strong>ssifs qui ont étéexpérimentés. En septembre 2005, les consignes relatives au colloque sont communiquéesaux étudiants. Chacun est responsable d’une partie précise du symposium et trois groupessont d’emblée constitués. Le premier se penche sur les journaux de <strong>formation</strong> : chaqueétudiante doit rendre compte de ses analyses en un texte d’une demi page et montrer lesspécificités de son journal après l’avoir désigné d’un nom significatif. Le deuxième groupeenvisage les journaux <strong>des</strong> enfants. En compilant et en avalisant les analyses rédigées parles étudiants, j’ai pu mettre au jour cinq « constellations idéaltypiques » (Bautier, 1997) :sous la diversité de notre corpus émergent <strong>des</strong> régularités symptomatiques dans lescahiers. Chaque étudiant doit rendre compte d’une constellation précise en en précisantles particularités et en illustrant les propos par <strong>des</strong> extraits révélateurs. Enfin, le dernier Ce projet a été mené avec notre collègue, Nathalie Plancke, institutri<strong>ce</strong> et pédagogue.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 297


C. SCHEEPERSgroupe étudie les portfolios <strong>des</strong> étudiants pour identifier les effets que les dispositifs ontengendrés : difficultés rencontrées et dépassées ou non, apprentissages réalisés… Deséchéan<strong>ce</strong>s claires sont fixées : tous les textes feront l’objet de jets suc<strong>ce</strong>ssifs, lesquelsseront discutés, commentés et amendés par moi-même et/ou par la classe. Le pro<strong>ce</strong>ssusscriptural s’inscrit ainsi dans la continuité directe <strong>des</strong> autres projets d’écriture menés depuisplus de deux ans. Les textes une fois achevés, il faut envisager la présentation orale <strong>des</strong>données. Je propose de con<strong>ce</strong>voir une présentation powerpoint : le déroulement très précisde l’intervention est discuté avec les étudiants, lesquels reçoivent une copie papier <strong>des</strong>dias. Une dernière répétition générale a lieu une heure avant le symposium… Sera évaluée,non pas la prestation <strong>des</strong> étudiants, mais le portfolio que <strong>ce</strong>ux-ci vont élaborer au sujet ducolloque : il réunira les jets suc<strong>ce</strong>ssifs du texte de chacun et l’article par lequel <strong>ce</strong>lui-ci rendcompte d’une autre atelier à <strong>des</strong>tination du journal de l’école…Dans la mesure du possible, je tente de « formater » la préparation du colloque, au sensque lui confère Jerome Bruner (1994) : <strong>ce</strong>la signifie que j’essaie de créer un microcosmemaitrisable pour l’étudiant, notamment en clarifiant les attentes, en subdivisant les tâchesà accomplir, en proposant <strong>des</strong> démarches de résolution de problèmes... Le projet s’inscritrésolument dans la zone proximale de développement <strong>des</strong> sujets. Ainsi, ils sont incapablesd’effectuer seuls une intervention lors d’un colloque mais ils parviennent à élaborer leurcontribution personnelle grâ<strong>ce</strong> aux interactions dont ils peuvent bénéficier : interactionssociales (étayage apporté par les pairs, la formatri<strong>ce</strong>…) et interactions instrumentales(consigne, journal de <strong>formation</strong>, littérature scientifique…). Chacun apporte donc sa pierre àl’édifi<strong>ce</strong> : la réussite ou l’échec de l’entreprise repose sur la communauté tout entière.5. Analyse <strong>des</strong> tra<strong>ce</strong>s sémiotiquesIl me faut maintenant envisager les effets que le projet a suscités. Pour <strong>ce</strong> faire, je proposed’interroger diverses tra<strong>ce</strong>s sémiotiques jugées significatives : les versions suc<strong>ce</strong>ssives <strong>des</strong>textes du symposium, les journaux de <strong>formation</strong> dans lesquels les diaristes analysent lepro<strong>ce</strong>ssus, le symposium proprement dit, les commentaires que les étudiants énon<strong>ce</strong>ntdurant le colloque et les comptes rendus <strong>des</strong> ateliers. Je tenterai de montrer <strong>ce</strong> que <strong>ce</strong>sdivers indi<strong>ce</strong>s révèlent de la portée per<strong>ce</strong>ptible du dispositif.5.1. Les textes en maturation du symposiumLa tâche principale consiste à rédiger le texte de l’intervention. En termes bakhtiniens, nouspourrions dire que les étudiants sont invités à secondariser <strong>des</strong> genres discursifs spontanés,liés immédiatement à l’action (1979). L’épreuve est redoutable : il faut rendre raison dediverses démarches didactiques et <strong>des</strong> analyses qui en découlent, dans un véritablepro<strong>ce</strong>ssus de coécriture. Il s’agit d’une authentique résolution de problème conditionnée parles contraintes fortes qu’impose le comité scientifique : durée <strong>des</strong> communications, nombrede mots accordé… La validité <strong>des</strong> textes ne reposera pas sur le jugement de la seuleformatri<strong>ce</strong> mais sur l’avis d’un public a priori exigeant et peu coopérant. La tâche va doncêtre mor<strong>ce</strong>lée et échelonnée dans le temps. Elle va notamment être rendue possible par <strong>ce</strong>que David N. Perkins appelle la « distribution physique de la cognition » (1995) : le journalde <strong>formation</strong> soutient le pro<strong>ce</strong>ssus en cours, les textes en constante métamorphose sontaffichés sur vidéoprojecteur et soumis à l’avis général, les dias powerpoint sous-tendentl’intervention orale… Quant à moi, je tente d’assumer les diverses fonctions de l’étayage298<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Fonder une communauté d’enseignants chercheurs en devenir : la possibilité d’une utopieénumérées par Jerome Bruner (1994). Il faut « enrôler » les étudiants dans la tâche ensuscitant leur motivation (quasiment inexistante au départ), « réduire leurs degrés de liberté »en simplifiant l’activité à mener, « maintenir leur attention » en les re<strong>ce</strong>ntrant sur l’objectif àatteindre, « signaler les caractéristiques dominantes » du textes à produire, « contrôler lafrustration » en dosant l’étayage apporté et « démontrer la solution » en guidant vers le butfixé. Il ne s’agit jamais de « faire à la pla<strong>ce</strong> de » mais de « faire avec ». La tâche, qui semblaitimpossible pour les étudiants, une fois explicitée et subdivisée, leur parait réalisable. Tousse lan<strong>ce</strong>nt rapidement dans l’écriture d’un premier jet.Très vite, il apparait que la difficulté majeure réside dans l’extrême condensation <strong>des</strong>données : il s’agit de dire beaucoup en peu de mots. Ainsi, les étudiants ménagent beaucoupde transitions, d’amor<strong>ce</strong>s, de phrases introductives qui les empêchent finalement de direl’essentiel. Spontanément, les apprentis scripteurs datent et numérotent leurs jets suc<strong>ce</strong>ssifstant ils sont habitués à envisager l’écriture comme un long pro<strong>ce</strong>ssus heuristique. Dans lamarge, ils expriment à mon intention leurs questions, leurs doutes, leurs hésitations… Lesétudiants accumulent les plans, schémas, synthèses partielles… Les brouillons instaurentdonc un réel dialogue cognitif. Ce dialogue se prolonge avec la classe tout entière, une foisles textes projetés : ils font l’objet d’une respectueuse négociation avant d’être patiemmentréécrits. Les pairs identifient d’emblée les problèmes dans un brouillon et proposent unamendement pertinent. Sans lassitude apparente, les étudiants reprennent et peaufinentleur texte. Des débats émergent. Ainsi, Fanny fait part <strong>des</strong> difficultés qu’elle éprouve àanalyser son propre journal et en si peu de mots, qui plus est. Les étudiants s’interrogent :un chercheur peut-il communiquer ses difficultés, ses hésitations, ses scrupules ? Ex<strong>ce</strong>ptionfaite d’un étudiant, les échéan<strong>ce</strong>s sont respectées et le texte est finalisé largement dansles temps. En définitive, les scripteurs en herbe insèrent dans un portfolio leurs brouillonssuc<strong>ce</strong>ssifs : les portfolios donnent donc à voir l’intense et patiente « rumination » <strong>des</strong>textes.5.2. Les commentaires entendus lors du colloqueLe premier jour du colloque arrive, la classe interviendra le lendemain. Les communicationsentendues déclenchent beaucoup de réactions chez les étudiants. Laura affirme sansambages : « C’est la première fois que j’assiste à un colloque et que je ne me sens pas conne(sic) ». Les étudiants s’étonnent : ils comprennent tout à fait le sens <strong>des</strong> communications, <strong>ce</strong>qu’ils attribuent à l’effort de vulgarisation <strong>des</strong> intervenants, sans peut-être se rendre compteque leur <strong>formation</strong> les a dotés du jargon né<strong>ce</strong>ssaire. Les étudiants multiplient les réactions,les reformulations, les interrogations, les marques d’approbation ou les commentairesappréciatifs. Certains s’étonnent du caractère parfois très agressif, méprisant ou déplacé<strong>des</strong> interventions du public : avec finesse, ils mettent au jour les enjeux narcissiques etinstitutionnels qui prévalent trop souvent dans <strong>ce</strong>s jeux académiques décrits par ailleurs(Bourdieu, 1984 ; Winkin, 1996). C’est en outre toute l’image de l’<strong>universitaire</strong> et du chercheurqui est en jeu : les étudiants se comportent comme <strong>des</strong> « midinettes » par rapport auxscientifiques qu’ils mythifient. Ils sont impatients de découvrir en chair et en os les auteursqu’ils ont si souvent lus et discutés : les savoirs s’incarnent au sens fort du terme. Les sujets sont désignés par un pseudonyme.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 299


C. SCHEEPERS5.3. Le symposiumAssiste finalement au symposium un public peu nombreux (une douzaine de personnes) maistrès diversifié car il compte <strong>des</strong> enseignants du primaire et du secondaire, <strong>des</strong> formateurs dehautes écoles et <strong>des</strong> enseignants-chercheurs <strong>universitaire</strong>s. La plupart <strong>des</strong> personnes sontbelges. Il est difficile de rendre compte du déroulement du symposium en peu de mots. Laprestation orale <strong>des</strong> étudiants est impressionnante, <strong>ce</strong> que souligne le public : ils affichentdéjà une maitrise <strong>ce</strong>rtaine dans <strong>ce</strong>t exerci<strong>ce</strong> si périlleux, ex<strong>ce</strong>ption faite d’un étudiant. Lepublic se montre particulièrement intéressé, attentif, louangeur et coopératif. Les questions etles interpellations abondent. Fanny et Julie complètent mes interventions et… apportent <strong>des</strong>éléments pour appuyer mon argumentation. Les activités didactiques explicitées suscitent<strong>des</strong> suggestions auprès du public qui rebondit sur nos exposés. Une réelle interaction voitdonc le jour. Le ton du symposium est somme toute décontracté et bon enfant, <strong>ce</strong> qui n’estpas incompatible avec une <strong>ce</strong>rtaine rigueur. C’est une tout autre image du chercheur qui se<strong>des</strong>sine là : un praticien qui met à disposition d’autrui ses connaissan<strong>ce</strong>s scientifiques, sesdémarches, ses analyses ou ses outils et qui se nourrit <strong>des</strong> réactions ainsi suscitées.Les effets du symposium seront immédiats. Fanny, comme beaucoup, veut très vite réitérerl’expérien<strong>ce</strong>. De retour à l’école, Laura claironne : « on en sort grandi, on se sent plusintelligent ». Charlotte souhaite que le texte paraisse très vite dans les actes du colloque,c’est-à-dire la revue Caractères, qu’elle juge très prestigieuse. Elle me dit : « L’an prochain,on sera collègues, il faut qu’on reste en contact ». L’identité visée est donc réaffirmée etest exprimé le souhait d’une continuité entre <strong>formation</strong> initiale et continue. Le symposiumdéclenche très vite un surprenant mouvement : les courriers de félicitations pleuvent,l’interaction se prolonge au-delà du colloque. La rumeur se propage. Les étudiants enviennent, contre toute attente, à regretter que leur prestation n’ait pas été filmée, histoire <strong>des</strong>e remémorer un peu l’exploit…5.4. Les journaux de <strong>formation</strong>Les journaux constituent un indi<strong>ce</strong> précieux dans la mesure où les étudiants mettent enabyme la préparation et le déroulement du symposium, lequel accorde d’ailleurs une largepart aux journaux eux-mêmes… On le voit bien, le pro<strong>ce</strong>ssus est circulaire. L’analyse <strong>des</strong>journaux est très simple : elle révèle une profonde dualité entre les entrées rédigées avantet après l’intervention. Les premières trahissent la peur viscérale <strong>des</strong> étudiants, laquelle sefonde parfois sur <strong>des</strong> motifs pour le moins étonnants. La crainte de Charlotte se justifie parle fait que les organisateurs nous aient attribué la plus grande salle. Quant à Lola, elle écrit :« J’ai horreur de parler devant <strong>des</strong> gens que je ne connais pas ! On ne sait pas combien ilsvont être, on n’a jamais vu le local, je ne connais pas Namur ! »Charlotte confie : « Je me sens quand même un peu petite… nous ne sommes que <strong>des</strong>étudiants futurs instits qui viennent parler de leurs activités mises en pla<strong>ce</strong>, alors que lesautres noms que j’ai vus sur l’horaire, <strong>ce</strong> sont tous <strong>des</strong> chercheurs connus qui viennentparler de leurs recherches !?! » Assez clairement, Charlotte clarifie en les opposantradicalement les statuts et les activités <strong>des</strong> uns et <strong>des</strong> autres : les premiers narrent <strong>des</strong>activités expérimentées tandis que les seconds évoquent leurs recherches. Pourtant, lecontenu de nos interventions ne consiste pas en la simple mise en récit d’activités didactiquesmais c’est une véritable démarche scientifique qui a été instituée. De la même façon, Franzécrit que le symposium constitue « un challenge pour nous, petits étudiants de Jodoigne ».300<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Fonder une communauté d’enseignants chercheurs en devenir : la possibilité d’une utopieEn soi, <strong>ce</strong> positionnement bas n’a rien d’étonnant, le contraire serait même déplacé. Cesannotations sont extrêmement révélatri<strong>ce</strong>s d’un positionnement identitaire très marqué,Laura allant jusqu’à affirmer : « Au début, je pensais que c’était un endroit pas fait pour moi,que je n’y comprendrais rien ». Seule Fanny est plus nuancée, même si elle commet unlapsus révélateur : « C’est un horreur (sic) et une fierté de présenter quelque chose pourlequel on s’est énormément investi et qui de plus, est novateur ». Bref, Ariane déclare sansambages : « Sans vouloir vous choquer, rien ne me rendait « heureuse » de devoir merendre là-bas… »Mais après le colloque, Ariane écrit : « J’ai été surprise de l’organisation présente sur leslieux. Je ne m’attendais pas du tout à re<strong>ce</strong>voir un badge ! J’en étais très fière !!... Je l’aiencore, il est dans mon sac à main ! » Laura apporte un commentaire exactement du mêmeordre : « J’étais très fière de pouvoir porter le fameux badge et de montrer aux autres quej’étais intervenante au colloque. Personnellement, ça m’a donné confian<strong>ce</strong> en moi ». Ainsi,un objet somme toute anodin est chargé d’une forte valeur symbolique : il concrétise auxyeux de tous un statut qui semble problématique. Par sa visibilité, il marque en quelque sortel’avènement de l’étudiant en tant que chercheur. De <strong>ce</strong>tte façon, Ariane multiplie dans sonjournal les tra<strong>ce</strong>s objectivables liées au colloque : programme, brochure de présentation,versions suc<strong>ce</strong>ssives de son texte (datées et numérotées), vade-mecum du colloque,version papier <strong>des</strong> dias, petit livre que les organisateurs du colloque ont distribué à chaqueintervenant… Elle conclut, euphorique : « Je suis vraiment contente d’avoir pu participerà <strong>ce</strong> colloque, c’était une très bonne expérien<strong>ce</strong> qui a eu un impact aussi bien sur lesparticipants à notre intervention que sur nous tous ». Le projet n’était donc pas artificiel : ila eu une répercussion tangible sur l’auditoire, <strong>ce</strong> que souligne également Julie : « Un vraiéchange s’est installé entre nous (les étudiants), les personnes présentes (profs du primaire,du secondaire, formateurs de hautes écoles) et les formatri<strong>ce</strong>s (mme Scheepers & mmePlancke) ». Si Julie insiste sur les divers positionnements institutionnels <strong>des</strong> personnes enprésen<strong>ce</strong>, elle met aussi en éviden<strong>ce</strong> l’authentique interaction qui est née entre les individus :un pont semble donc jeté entre recherche et <strong>formation</strong>, entre <strong>formation</strong> initiale et continue.Elle ajoute d’ailleurs, à propos <strong>des</strong> projets dont nous avons rendu compte : « Je pense quetoute la classe est contente d’avoir réalisé tant de choses intéressantes à appliquer quandnous serons instit ». Le lien entre la <strong>formation</strong> initiale et l’exerci<strong>ce</strong> réel du métier est doncétabli.Par ailleurs, Julie écrit longuement à propos du colloque : elle résume et commente lesautres interventions auxquelles elle a assisté. Manifestant son accord avec les propositionsdidactiques entendues, elle déclare vouloir réinvestir <strong>ce</strong>rtains outils concrets évoqués lors<strong>des</strong> ateliers. Laura, elle, concrétisera d’emblée <strong>ce</strong> souhait en transférant dans sa classe <strong>des</strong>tage, dès la semaine suivante, <strong>des</strong> procédures qui ont retenu son attention. D’emblée, lespratiques enseignantes se nourrissent donc <strong>des</strong> travaux <strong>des</strong> chercheurs.Enfin, notons que les étudiants sont conscients de mes choix didactiques, lesquels ne leuront pourtant pas été explicités. Laura revient sur le con<strong>ce</strong>pt de communauté : « Chaqueélève apporte son « quelque chose au groupe », <strong>ce</strong> qui fait qu’on forme un vrai groupeclasse ». Quant à Fanny, elle montre la cohéren<strong>ce</strong> entre toutes les activités menées par laclasse : « La cohéren<strong>ce</strong> avec tous les travaux entrepris depuis la première est évidente :rédiger pour diffuser. Tout <strong>ce</strong> que l’on fait est <strong>des</strong>tiné à un public visé. Il y a, à mon sens, unrapport direct entre l’écrit et l’oral, ainsi qu’un rapport d’échange et de diffusion. C’est un peucomme si chaque travail effectué était une préparation au colloque, l’aboutissement logiqued’un ensemble de travaux (productions variées). Il y a toujours eu trois publics ciblés : notre<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 301


C. SCHEEPERSformatri<strong>ce</strong>, les élèves et le monde de l’enseignement. Tout <strong>ce</strong> que l’on entreprend a un but(concret) et c’est ça qui est motivant ».5.5. Les comptes rendus <strong>des</strong>tinés au journal de l’écoleLes étudiants sont finalement invités à rendre compte d’une communication à laquelle ils ontassisté lors du colloque sous la forme d’un bref article <strong>des</strong>tiné au journal de la haute école,L’écho dézécolle : la boucle est bouclée. Les apports <strong>des</strong> chercheurs sont relayés par lesapprentis enseignants-chercheurs à <strong>des</strong>tination de leurs futurs collègues. Est ainsi viséeune plus grande interaction entre recherche et enseignement. L’analyse <strong>des</strong> textes révèleune évidente maitrise du genre discursif sollicité. Ainsi, les scripteurs prennent en compteleur lectorat, le contenu <strong>des</strong> interventions est correctement reformulé, le lexique est préciset relève d’un registre assez soutenu, le caractère transférable <strong>des</strong> innovations décrites estmis en éviden<strong>ce</strong>, <strong>des</strong> avis personnels sont exprimés…ConclusionL’expérien<strong>ce</strong> narrée ici n’a pas été exempte de difficultés et son impact sur l’élaboration<strong>des</strong> TFE a été très variable selon les individus : <strong>ce</strong>rtains sont arrivés assez difficilementà assumer une posture d’enseignant-chercheur dans leur TFE. D’autres ont donné unesuite très concrète à leur TFE : une étudiante présentera les résultats de son TFE lors d’uncolloque parisien, les conclusions d’un autre TFE ont été discutées lors d’un colloque quis’est tenu à Mons en novembre 2006, une dernière étudiante a transposé le projet « journal<strong>des</strong> apprentissages » dans sa classe de primaire et collabore à nos recherches… Pour<strong>ce</strong>s désormais collègues, le colloque de l’ABLF ne consiste donc pas en une expérien<strong>ce</strong>ponctuelle. Cela étant, il me semble que tous les étudiants ont appris à poser <strong>des</strong> gestesprofessionnels essentiels : prendre connaissan<strong>ce</strong> de la littérature scientifique et experte,con<strong>ce</strong>voir <strong>des</strong> consignes, élaborer <strong>des</strong> outils évaluatifs, réguler un dispositif éducatif, mettreen pla<strong>ce</strong> une tutelle avec un petit élève, analyser les effets de leur intervention didactique aumoyen de grilles interprétatives complexes, rendre compte sous forme scripturale puis oralede leur action éducative et de ses résultats, assister à <strong>des</strong> communications scientifiquesavant d’en rendre compte dans un journal <strong>des</strong>tiné à la communauté enseignante… Certainsavan<strong>ce</strong>ront que toutes <strong>ce</strong>s compéten<strong>ce</strong>s ne relèvent pas de la fonction d’un instituteur.D’autres, comme Léopold Paquay (2005), soutiennent au contraire que le métier d’enseignantest en pleine mutation et qu’une nouvelle professionnalité émerge, l’époque actuelle étantcaractérisée par de vives tensions entre les fa<strong>ce</strong>ttes traditionnelles du métier et <strong>ce</strong>lle quela société exige à présent de ses enseignants. C’est sans doute un nouveau pacte quiest en train de se <strong>des</strong>siner entre plusieurs partenaires : professionnels de l’enseignement,professionnels de la recherche, pouvoir public, société civile...BibliographieBakhtine M. (1979) Esthétique de la création verbale. Paris, Gallimard.Barbier J.-M. (2001) « La constitution de champs pratiques en champs de recherches »in J.-M. Baudouin et J. Friederich, Théories de l’action éducative pp. 305-316. Bruxelles, deBoeck et Larcier.302<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Fonder une communauté d’enseignants chercheurs en devenir : la possibilité d’une utopieBautier E. (1995) Pratiques langagières, pratiques sociales. Paris, L’Harmattan.Bernié J.-P. (2002) « L’approche <strong>des</strong> pratiques langagières scolaires à travers la notion de« communauté discursive » : un apport à la didactique comparée ? » - Revue Française dePédagogie n° 141, pp. 77-88.BOURDIEU P. (1984) Homo academicus. Paris, Minuit.Bronckart J.-P. (1996) Activité langagière, textes et discours. Pour un interactionnismesocio-discursif. Lausanne-Paris, Delachaux et Niestlé.BROSSARD M. (2003) « Langage, savoirs, développement : quelle articulation, pour quellesdidactiques ? » - in M. Jaubert et al. (éd.) Actes du colloque Construction <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>set langage dans les disciplines d’enseignement. Bordeaux, CD-rom.Brown A. L., Campione J. C. (1995) « Con<strong>ce</strong>voir une communauté de jeunes élèves.Leçons théoriques et pratiques » - Revue Française de Pédagogie n° 111, pp. 11-33.BRUNER J. (1991) … car la culture donne forme à l’esprit. De la révolution cognitive à lapsychologie culturelle. Paris, Eshel.BRUNER J. (1996) L’éducation, entrée dans la culture. Les problèmes de l’école à la lumièrede la psychologie culturelle. Paris, Retz.Dewey J. (1967) L’école et l’enfant. Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.Donnay J. et al. (2002) « Quelques spécificités d’une recherche au servi<strong>ce</strong> <strong>des</strong> pratiqueséducatives » - Revue Française de Pédagogie n° 138, pp. 95-102.DUBAR C. (2000) La socialisation. Paris, Colin.GOFFMAN E. (1973) La mise en scène de la vie quotidienne 1 et 2. Paris, Minuit.GOFFMAN E. (1974) Les rites d’interaction. Paris, Minuit.Habermas J. (1987) Théorie de l’agir communicationnel. Paris, Fayard.LOURAU R. (1988) Le journal de recherche. Matériaux d’une théorie de l’implication. Paris,Klincksieck.NETCHINE G., NETCHINE S. (2002) « Vygotski, Wallon et les « mon<strong>des</strong> communs », in Y.Clot, Avec Vygotski. Paris, La Dispute.PAQUAY L. (1993) « Le travail de fin d’étu<strong>des</strong>, clé de voute d’une <strong>formation</strong> initialed’enseignants-chercheurs ? » - in H. Hensler, La recherche en <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maitres. Détourou passage obligé sur la voie de la professionnalisation ? Sherbrooke, CRP.PAQUAY L. (1994) « Vers un référentiel <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s de l’enseignant »- Recherche et Formation n° 16, pp. 7-33.Paquay L. (2005) « Devenir <strong>des</strong> enseignants et formateurs professionnels dans une« organisation apprenante » ? De l’utopie à la réalité ! » - European Journal of TeacherEducation vol. 28, n° 2, juin, pp. 111-128.Perkins D. N. (1995) « L’individu-plus. Une vision distribuée de la pensée et de l’apprentissage» - Revue Française de Pédagogie n° 111, pp. 57-71.Perrenoud P. (2001) Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant. Paris,ESF.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 303


C. SCHEEPERSRaymond D., Lenoir Y. (1998) « Enseignants de métier et <strong>formation</strong> initiale. Uneproblématique divergente et complexe » - in D. Raymond et Y. Lenoir (éds.) Enseignantsde métier et <strong>formation</strong> initiale : <strong>des</strong> changements dans les rapports de <strong>formation</strong> àl’enseignement. Bruxelles, de Boeck.SCHEEPERS C. et l’équipe de la Haute école Lucia de Brouckère (2007) « Interactionsmultiples autour du lire-écrire » - Caractères n° 25, pp. 27-39.SCHEEPERS Caroline (en cours) Le travail de fin d’étu<strong>des</strong>, un discours en quête d’auteur.Thèse en préparation, Université de Liège – Université Paris VIII.Schön Donald A. (1994) Le praticien réflexif. Montréal, Logiques.SCHNEUWLY Bernard, BRONCKART Jean-Paul (1985) Vygotsky aujourd’hui. Neuchâtel-Paris, Delachaux-Niestlé.VYGOTSKI Lev (1997) Pensée et langage. Paris, La Dispute.WINKIN Yves (1996) Anthropologie de la communication. Bruxelles, de Boeck.304<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Peut-on parler d’apports <strong>universitaire</strong>sen <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants ?Alain Jean <strong>IUFM</strong> de l’académie de Montpellier, LIRDEFRichard Etienne Université Montpellier 3Comme l’ensemble <strong>des</strong> stagiaires, les PLC2 (Professeurs de Lycée et Collège en 2 e annéede <strong>formation</strong>) de Technologie éprouvent de gran<strong>des</strong> difficultés à prendre en compte lesconseils qui leur sont donnés lors <strong>des</strong> visites dans leur stage en responsabilité.Alain Jean, inscrit en Master 2 Conseil et Formation en Éducation (CFE) a projeté de mettreen œuvre et d’évaluer pour son mémoire de recherche le dispositif de « visite formative »mis au point par Lerouge (2003). Élaboré pour les professeurs de mathématiques, il reposesur l’observation par <strong>des</strong> pairs (d’autres stagiaires de la même promotion) de l’activité del’un d’eux et il est précédé et suivi par un entretien (ante et post). Le premier a pour butde préciser les prescriptions et le contexte, le second vise à la réalisation d’un débat entreprofessionnels novi<strong>ce</strong>s, animé par le formateur <strong>IUFM</strong>. Cette discussion <strong>professionnelle</strong>,entre pairs d’abord puis avec le formateur, doit permettre de lier les observations du terrainaux apports théoriques faits dans le <strong>ce</strong>ntre <strong>IUFM</strong>. Dans la pratique, la mise en œuvre de <strong>ce</strong>dispositif a montré ses limites en technologie : mor<strong>ce</strong>llement de la <strong>formation</strong> en modules peuarticulés entre eux, difficulté d’observer <strong>des</strong> élèves répartis en plusieurs ateliers, nombreuxdépla<strong>ce</strong>ments <strong>des</strong> élèves pendant les enseignements.Nous exposerons d’abord les éléments essentiels de la « visite à visée formative », noussituerons sa genèse dans notre cadre <strong>universitaire</strong>, nous en évaluerons les intérêts et leslimites pour les formateurs et les stagiaires. Nous terminerons par une mise en discussionde l’opportunité du développement <strong>des</strong> Masters de <strong>formation</strong> de formateurs et de leurstructuration autour de l’analyse de pratique. Ce qui nous permettra de présenter notreapproche <strong>des</strong> contributions de l’université à la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>des</strong> enseignants.1. Imaginer un nouveau dispositif de <strong>formation</strong>L’hypothèse de travail présentée à la fin de la soutenan<strong>ce</strong> a été de modifier <strong>ce</strong> dispositifen fonction <strong>des</strong> particularités de <strong>ce</strong>tte discipline. Tout en gardant l’idée de réunir dans unemême unité de lieu et de temps les différents acteurs de la <strong>formation</strong> (stagiaires, formateur,tuteur ), nous nous sommes appuyés sur le con<strong>ce</strong>pt de <strong>formation</strong> par alternan<strong>ce</strong> intégrative alain/jean@montpellier.iufm.fr rietienne@wanadoo.fr La technologie en collège est une discipline introduite en 1985. Depuis <strong>ce</strong>tte date, elle repose sur lacon<strong>ce</strong>ption, la réalisation et la diffusion d’un produit en suivant une démarche de projet. Les visites consistent en un dépla<strong>ce</strong>ment d’un formateur qui assiste à un cours du stagiaire et mèneun entretien avec lui sur les observations qu’il a faites. Il y a en général deux visites dans une année de<strong>formation</strong>. Nous appelons tuteur, le conseiller pédagogique-tuteur qui est un enseignant de la discipline et en principede l’établissement du stagiaire. Il a pour mission d’accompagner le PLC2 pendant son année de stage.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 305Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (305-313) Tome 2


A. JEAN, R. ÉTIENNE(Mathey-Pierre, 1994). L’alternan<strong>ce</strong> intégrative permet de mettre en relation analyse du travail,didactique <strong>professionnelle</strong>, analyse <strong>des</strong> pratiques et <strong>des</strong> situations à partir de l’activité réelledu stagiaire. Les travaux de recherche du mémoire ont servi à analyser les enregistrements<strong>des</strong> entretiens post. L’interprétation <strong>des</strong> données a fait émerger les con<strong>ce</strong>pts d’imprévu etd’événement. « Un imprévu est un événement de nature organisationnelle, méthodologique,relationnelle ou cognitive qui a échappé à la programmation de l’enseignant et qui a introduitune perturbation dans la leçon en cours » (Huber, 2001). L’événement consiste en la priseen compte d’une manière ou d’une autre de l’imprévu par l’enseignant. Le résultat de nostravaux montre que leur gestion constitue le problème majeur rencontré par les jeunesprofesseurs et nous décidons de mener une nouvelle recherche sur le dispositif modifiéappelé « visites à visée formative ». Fondé sur l’observation <strong>des</strong> imprévus survenant ensituation de classe et sur l’inventaire <strong>des</strong> divers traitements mis en œuvre par les professeursstagiaires, il donne lieu à une évaluation de leur pertinen<strong>ce</strong>, de leur cohéren<strong>ce</strong> et de leurefficacité.Alain Jean a trouvé là le sujet d’une thèse qui porte sur l’exploitation de <strong>ce</strong>s imprévus et<strong>ce</strong>s événements en <strong>formation</strong> initiale. Les premiers résultats de la recherche font apparaîtreque la qualité <strong>des</strong> observations <strong>des</strong> professeurs stagiaires s’était améliorée à l’issue d’une<strong>formation</strong> théorique <strong>ce</strong>ntrée sur les con<strong>ce</strong>pts d’imprévu et d’événement. Le cadre théoriquede <strong>ce</strong>tte <strong>formation</strong> rapprochait complexité (Morin, 1990) et approche systémique (DeRosnay, 1975). Il a été né<strong>ce</strong>ssaire de monter un autre module de <strong>formation</strong> afin de préparerles stagiaires aux visites à visée formative. Ayant <strong>des</strong> contenus non directement liés à laprofessionnalisation, il débutait par <strong>des</strong> apports <strong>universitaire</strong>s et se terminait par l’analysede courtes séquen<strong>ce</strong>s vidéo les illustrant. Ce déroulement confirme selon nous l’utilité d’unrecours à la théorie dans le cadre d’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong>.2. Qu’entend-on par « apports <strong>universitaire</strong>s » ?Dans la perspective française d’intégration <strong>des</strong> <strong>IUFM</strong> dans les universités il nous sembleindispensable d’étudier les principaux éléments qui risquent de se transformer en obstacleou en opportunités à saisir pour <strong>ce</strong>tte opération.L’étymologie nous révèle que l’université est une corporation. Elle détient <strong>des</strong> savoirs qu’elledoit transmettre à ses compagnons. Elle n’a pas eu de vocation démocratisante jusqu’en1968 (loi Faure). Depuis la création du lycée en 1802 par Napoléon, elle a pour missiond’enseignement essentielle la <strong>formation</strong> académique <strong>des</strong> professeurs de l’enseignementsecondaire. Ce qui explique les deman<strong>des</strong> réitérées de retour dans le giron de l’universitéde leur préparation aux concours.Avant 1989, seuls les professeurs du secondaire général étaient <strong>ce</strong>nsés bénéficier de sesapports (savoirs académiques). La loi d’orientation qui crée les <strong>IUFM</strong> applique la référen<strong>ce</strong><strong>universitaire</strong> à toute <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> enseignants. Les <strong>IUFM</strong> ont été suspectés devouloir capter la clientèle traditionnelle de l’université. D’où un acharnement d’une partie<strong>des</strong> <strong>universitaire</strong>s à vouloir la disparition ou à tout le moins l’annexion de <strong>ce</strong>s instituts.La seconde caractéristique de l’université qui nous intéresse est que le contenu de sonenseignement provient de la recherche menée dans ses laboratoires. Le lien est théoriquementassuré entre l’un et l’autre par le statut <strong>des</strong> enseignants-chercheurs qui constituent la quasitotalitéde son personnel. Pour entrer dans <strong>ce</strong>tte corporation, il faut ac<strong>ce</strong>pter de se livrer aurite initiatique de la soutenan<strong>ce</strong> de thèse qui est précédée de longues et difficiles années306<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Peut-on parler d’apports <strong>universitaire</strong>s en <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants ?consacrées à une recherche académique.Au niveau institutionnel, l’université peut être comprise comme « un établissement publicregroupant <strong>des</strong> unités (dont <strong>ce</strong>rtaines peuvent disposer de la personnalité juridique)poursuivant de manière coordonnée <strong>des</strong> missions d’enseignement supérieur et de recherche »(Fialaire, 2004). La recherche est intégrée de manière tardive à l’université française (findu XIX e , début du XX e siècle) à la suite de la défaite de 1870, attribuée partiellement auxinsuffisan<strong>ce</strong>s d’un enseignement supérieur subordonné au pouvoir <strong>ce</strong>ntral. Le modèle <strong>des</strong>universités prussiennes dans lesquelles la recherche est intégrée un siècle plus tôt, inspirele nouveau statut de l’université française, dérogatoire <strong>des</strong> règles de la fonction publique :suppression de l’inspection, abrogation de la règle de nationalité française, gestion <strong>des</strong>carrières par <strong>des</strong> pairs.Nous proposons de définir les apports <strong>universitaire</strong>s comme <strong>des</strong> savoirs issus de larecherche. La problématique du colloque intitulé « Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong><strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? Enjeux et pratiques », pourrait alors être reformulée ainsi dumoins partiellement : « Quels apports de la recherche dans la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants ? ».Cette question en suggère une autre : « Comment con<strong>ce</strong>voir une <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants,intégrant les résultats de la recherche ? ». Or, les Instituts sont <strong>universitaire</strong>s depuis leurcréation, et, à <strong>ce</strong> titre, <strong>des</strong> équipes de recherche y œuvrent depuis longtemps. À l’<strong>IUFM</strong>de Montpellier, le LIRDEF (Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Didactique pourl’Éducation et la Formation) dont nous faisons partie, oriente ses recherches sur la <strong>formation</strong><strong>des</strong> enseignants. Cette équipe d’accueil est située à l’université Montpellier 2 qui va intégrerl’<strong>IUFM</strong>. Des relations se sont nouées avec l’université Montpellier 3 dans le cadre d’unpartenariat avec l’<strong>IUFM</strong> de Montpellier qui a débouché sur la création du DESS Conseil enFormation et en Éducation qu’a suivi Alain Jean ; <strong>ce</strong> diplôme de <strong>formation</strong> de formateurs aété co-habilité entre les deux partenaires en 2001 par le ministère. Actuellement, il en est à sasixième promotion, à une <strong>ce</strong>ntaine de diplômés et Richard Etienne en est le coordonnateur. Ila engagé avec Marc Durand d’abord puis Dominique Bucheton une dynamique de recherchedont le but est l’amélioration de la <strong>formation</strong> dans les métiers de l’humain.3. Apports de l’université dans la <strong>formation</strong> de formateursL’importan<strong>ce</strong> de la <strong>formation</strong> de formateursUne <strong>des</strong> caractéristiques <strong>des</strong> <strong>IUFM</strong> est la diversité <strong>des</strong> formateurs y intervenant. Outreles formateurs permanents qui peuvent être du primaire du secondaire ou <strong>universitaire</strong>s,de très nombreux formateurs associés ou occasionnels participent à la <strong>formation</strong> : chefsd’établissements, conseillers principaux d’éducation, conseillers pédagogiques du premieret du second degré, professeurs <strong>des</strong> écoles <strong>des</strong> lycées et <strong>des</strong> collèges, inspecteurs, etc.Les représentations con<strong>ce</strong>rnant le métier d’enseignant, la <strong>formation</strong>, le rôle de l’alternan<strong>ce</strong>,<strong>des</strong> <strong>IUFM</strong> et <strong>des</strong> terrains d’exerci<strong>ce</strong> de la profession, divergent entre formateurs permanentsd’un même <strong>IUFM</strong>. Cette divergen<strong>ce</strong> s’ac<strong>ce</strong>ntue dans le cas <strong>des</strong> formateurs associés etoccasionnels. Si, en règle générale, la diversité apporte une richesse de points de vue, ilen est autrement lorsque <strong>ce</strong>s divers acteurs doivent se réunir dans un même dispositif. Parexemple, l’observation de l’activité <strong>des</strong> professeurs débutants impose à tous le respect d’unprotocole unique établi à l’avan<strong>ce</strong>. Le nôtre a été mis au point dans le souci de développerune posture réflexive. Pensée dans un cadre de recherches, il impose aux formateurs<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 307


A. JEAN, R. ÉTIENNE<strong>IUFM</strong>, aux tuteurs et aux stagiaires présents un minimum de convergen<strong>ce</strong>. Nous estimonscohérent de demander à un tuteur qui participe à une visite à visée formative de suivre une<strong>formation</strong> lui précisant les raisons du protocole, les cadres ayant servi à le construire et lespostures attendues.La <strong>formation</strong> <strong>des</strong> formateurs <strong>des</strong> <strong>IUFM</strong> devient donc un élément clé pour l’amélioration dela <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants. Si l’on se réfère à l’actualité, son rôle devrait être privilégié enraison du nouveau cahier <strong>des</strong> charges. L’augmentation du temps hebdomadaire consacréau stage en responsabilité donne une importan<strong>ce</strong> accrue aux tuteurs et aux chefsd’établissement dans l’évaluation <strong>des</strong> professeurs stagiaires sur les lieux de stage. D’oùun premier risque de désintérêt pour la <strong>formation</strong> en <strong>ce</strong>ntre <strong>IUFM</strong>. De plus, <strong>ce</strong> cahier <strong>des</strong>charges, en relation avec l’intégration <strong>des</strong> <strong>IUFM</strong> dans les universités, semble différencierdavantage les rôles et missions <strong>des</strong> formateurs dits « permanents » de <strong>ce</strong>ux dits « duterrain ». Cette caractéristique, si elle se confirme, devrait ac<strong>ce</strong>ntuer les différen<strong>ce</strong>s voireles divergen<strong>ce</strong>s entre formateurs. D’où un second risque d’incohéren<strong>ce</strong> dans le messageinstitutionnel. Il n’est pas sûr qu’il faille former de la même manière les deux types deformateurs. En revanche, il faudrait s’assurer de la convergen<strong>ce</strong> de leur action auprès <strong>des</strong>stagiaires. Il semble donc important de déterminer le rôle de chacun et de s’assurer de soninterprétation correcte par les acteurs de la <strong>formation</strong>. Cette cohéren<strong>ce</strong> devrait passer parune <strong>formation</strong> de formateurs différenciée et adaptée à chaque type d’acteurs, mais pilotéeà partir d’une vision d’ensemble, dans une approche systémique de la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong>enseignants.Cohéren<strong>ce</strong> perçue, cohéren<strong>ce</strong> réelle ?Les analyses <strong>des</strong> « entretiens post » effectués lors <strong>des</strong> visites à visée formative montrentque la visite ne se déroule pas de la même manière lorsque le tuteur (qui est invité), estprésent, et lorsqu’il est absent. Elles ne permettent pas de dégager <strong>des</strong> corrélations entresa présen<strong>ce</strong> et l’aspect formatif du dispositif. En revanche, les interventions du tuteur onttendan<strong>ce</strong> à montrer <strong>des</strong> hésitations dans le rôle qu’il doit jouer. Tantôt collègue, tantôt coformateur,tantôt seul formateur à bord, il oscille entre un rôle protecteur, un rôle référent duterrain, un premier rôle où il tente de supprimer <strong>ce</strong>lui du formateur visiteur. Ces divers rôlesmontrent que son texte est trop imprécis et que chaque tuteur l’interprète à sa façon. Dansle cas particulier <strong>des</strong> visites de classes, les acteurs habituellement réunis dans un fa<strong>ce</strong> àfa<strong>ce</strong>, se trouvent confrontés et chacun doit trouver sa pla<strong>ce</strong>, <strong>ce</strong> qui révèle les différen<strong>ce</strong>sd’interprétation et de con<strong>ce</strong>ptualisation <strong>des</strong> rôles de chacun.Ces cas de figures font ressortir une incohéren<strong>ce</strong> de discours et de pratiques <strong>des</strong> formateursper<strong>ce</strong>ptible par les professeurs stagiaires. Rendue visible par <strong>des</strong> dispositifs tels que lesvisites à visée formative, elle s’impose surtout au stagiaire qui voit défiler pendant sa<strong>formation</strong> <strong>des</strong> acteurs aux propos divergents, voire contradictoires. Nous avons donc repérédeux problèmes à résoudre, d’une part construire une convergen<strong>ce</strong> entre les acteurs dela <strong>formation</strong> et, d’autre part, faire en sorte qu’elle soit perçue comme une cohéren<strong>ce</strong>, nonseulement par les professeurs stagiaires, mais par tous les acteurs. Cette constructionde cohéren<strong>ce</strong> pourrait passer par une réflexion sur les rôles et compéten<strong>ce</strong>s de tous lesacteurs, de façon à les rendre complémentaires. Elle induirait une vision globale et partagée En Fran<strong>ce</strong>, pour les professeurs du second degré le temps passé à enseigner dans leur établissementest pratiquement doublé : les professeurs de technologie auront huit heures hebdomadaires d’enseignementau lieu de quatre.308<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Peut-on parler d’apports <strong>universitaire</strong>s en <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants ?de la <strong>formation</strong> à laquelle le stagiaire participe et mettrait en éviden<strong>ce</strong> l’influen<strong>ce</strong> de chaqueacteur, ainsi que la dynamique résultant de leur accord. C’est à <strong>ce</strong>tte condition que la<strong>formation</strong> pourra satisfaire les critères d’une alternan<strong>ce</strong> intégrative puisqu’elle sera perçuepar le stagiaire comme convoquant, sur une même problématique, sur une même activité ousur un même dispositif, les compéten<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> divers acteurs de sa <strong>formation</strong>.C’est sur <strong>ce</strong> point que l’université peut apporter à la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> éléments de réponses.Les équipes de recherche ont pour compéten<strong>ce</strong>s de dégager les principes théoriques sousja<strong>ce</strong>ntsdans les divers dispositifs. À elles de procéder à une con<strong>ce</strong>ptualisation de <strong>ce</strong>scadres pour repérer et formaliser les compéten<strong>ce</strong>s de chaque intervenant en <strong>formation</strong>,compéten<strong>ce</strong>s que chacun s’est construit mais qu’il ne peut formuler de façon spontanée.C’est la possibilité de passer de la convergen<strong>ce</strong> entre les acteurs à la cohéren<strong>ce</strong> du dispositifde <strong>formation</strong> per<strong>ce</strong>ptible par les principaux intéressés. Connaissant les difficultés de toutecommunication humaine, nous présentons <strong>ce</strong>tte bascule plus comme un idéal type quecomme un objectif à atteindre.Les recherches menées par Alain Jean portant sur l’exploitation du couple imprévus/événements en <strong>formation</strong> initiale, abordent le cadre de la didactique <strong>professionnelle</strong>développée par Pastré. Plus particulièrement, la réaction <strong>des</strong> enseignants débutants faisantsuite à un imprévu, mettent en œuvre <strong>des</strong> « con<strong>ce</strong>pts pragmatiques » (Pastré, 1995),en tant qu’élément fondamental pour la con<strong>ce</strong>ptualisation d’une situation perçue. Cettecon<strong>ce</strong>ptualisation, permet de la classer dans une classe de situation, déclenchant ainsidivers schèmes d’action. Ces con<strong>ce</strong>pts pragmatiques se déclinent en con<strong>ce</strong>pts théoriques, eten indicateurs qui, prélevés dans la situation, permettent de la con<strong>ce</strong>ptualiser. Pastré a bienmontré la différen<strong>ce</strong> de prise d’in<strong>formation</strong>s dans la situation entre experts et novi<strong>ce</strong>s. Lespremiers se limitent aux seuls indicateurs essentiels, les seconds accumulent de multiplesindicateurs pas tous représentatifs et con<strong>ce</strong>ptualisent ainsi une situation différente de laréalité. Les débats menés dans les visites à visée formative montrent l’expertise <strong>des</strong> tuteursdans la con<strong>ce</strong>ptualisation <strong>des</strong> situations et dans la per<strong>ce</strong>ption et le choix <strong>des</strong> indicateurs.Cette expertise est <strong>ce</strong>rtainement liée à sa pratique quotidienne de la classe mais aussi àsa connaissan<strong>ce</strong> du contexte <strong>des</strong> classes du stagiaire. Leurs hésitations sur le rôle à jouerdans le dispositif révèlent ainsi que tous ne sont pas conscients de <strong>ce</strong>s compéten<strong>ce</strong>s quisont les leurs et qu’ils sont les mieux placés pour con<strong>ce</strong>ptualiser une situation de la manièrela plus proche de la réalité. D’autre part il n’est pas sûr que la notion d’indicateurs leur soitfamilière et qu’il puisse les expliciter facilement en situation de <strong>formation</strong>. Pour aller dansle sens d’une construction de cohéren<strong>ce</strong> réelle et perçue par les PLC2, la <strong>formation</strong> de <strong>ce</strong>sformateurs dans <strong>ce</strong>t exemple précis a tout à gagner de l’apport <strong>universitaire</strong>.L’appropriation d’un dispositif de <strong>formation</strong> par les formateursLa con<strong>ce</strong>ption d’un dispositif de <strong>formation</strong> s’appuyant sur <strong>des</strong> cadres théoriques, aboutità un protocole qui véhicule de manière implicite ou explicite, <strong>des</strong> valeurs, <strong>des</strong> postures,quelquefois <strong>des</strong> idéologies. Le con<strong>ce</strong>pteur n’étant que rarement le seul à mettre enapplication le dispositif qu’il a créé, un pro<strong>ce</strong>ssus d’appropriation est alors né<strong>ce</strong>ssaire auxautres formateurs. Pour en envisager une appropriation, il faut dépasser la simple per<strong>ce</strong>ption/application de son protocole, sous peine de dévoyer <strong>ce</strong> dispositif de ses préoccupations etobjectifs de <strong>formation</strong>s originels. Même si, bien souvent, le protocole est construit pouressayer de garantir les postures né<strong>ce</strong>ssaires, le partage <strong>des</strong> valeurs véhiculées ne va pasde soi. Une adhésion réfléchie aux postures et valeurs, né<strong>ce</strong>ssaire à une appropriation<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 309


A. JEAN, R. ÉTIENNEd’un dispositif passe alors par <strong>des</strong> temps de <strong>formation</strong>, explicitant les cadres théoriques,permettant de rendre intelligibles à tous, les éléments fondateurs de tel ou tel dispositif. Ces<strong>formation</strong>s de formateurs pourront ainsi éviter les dérives potentielles inhérentes à la miseen œuvre de dispositifs dont l’appropriation n’est pas réelle.Il semblerait alors que l’appropriation d’un dispositif passe par quatre étapes : con<strong>ce</strong>ptualiserle dispositif, y adhérer, le mettre en œuvre, et adopter une <strong>ce</strong>rtaine réflexivité à sonégard. L’adhésion à un dispositif est liée à la façon de le re<strong>ce</strong>voir. C’est en permettant sacon<strong>ce</strong>ptualisation que l’apport <strong>universitaire</strong> est né<strong>ce</strong>ssaire à l’adhésion <strong>des</strong> formateurs àun dispositif. C’est en explicitant les cadres et les éléments de la recherche, c’est en lesrendant ac<strong>ce</strong>ssibles aux formateurs qu’ils pourront con<strong>ce</strong>ptualiser le dispositif tel qu’il a étéconçu afin de le mettre en œuvre. C’est enfin en adoptant une posture réflexive que <strong>ce</strong>ttemise en œuvre pourra être améliorée. C’est ici que nous préférons parler de la né<strong>ce</strong>ssitéde contributions <strong>universitaire</strong>s dans l’appropriation d’un dispositif, plutôt que d’apports.L’aspect interactif de la contribution, nous semble plus approprié à la complémentarité <strong>des</strong>compéten<strong>ce</strong>s, que l’idée unilatérale de l’apport.4. L’intérêt <strong>des</strong> apports <strong>universitaire</strong>s à la <strong>formation</strong>pour les professeurs stagiairesLa <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants est actuellement pensée en Fran<strong>ce</strong> comme une <strong>formation</strong>par alternan<strong>ce</strong> à visée intégrative (Mathey-Pierre,1994). À <strong>ce</strong> titre, les plans de <strong>formation</strong> ontpour but de mettre en interaction les apprentissages en <strong>ce</strong>ntre de <strong>formation</strong> (les <strong>IUFM</strong>), etles apprentissages sur le terrain (les lieux de stages). L’idée est de penser la <strong>formation</strong> noncomme une juxtaposition de deux lieux d’apprentissage, mais au contraire de les intégrerl’un dans l’autre, de sorte que du point de vue du professeur stagiaire l’aspect unitairel’emporte.Les visites à visée formative, réunissant dans une même unité de lieu et de temps stagiaires,formateurs et tuteurs, dépla<strong>ce</strong>nt la <strong>formation</strong> sur le terrain. La situation observée sert de baseau dispositif. Essentiellement fondée sur l’observation du travail réel ou activité, <strong>ce</strong> dispositifd’analyse de pratiques repose sur les différen<strong>ce</strong>s observées entre les prescriptions et autoprescriptionsprévues par le professeur stagiaire et la réalité observée. Une explicitationdétaillée au maximum du temps imparti avant l’arrivée <strong>des</strong> élèves, permet aux observateurs,dans « l’entretien ante » d’une heure, de se faire une idée précise de <strong>ce</strong> qui est prévu parl’acteur, dans son travail de préparation du cours. Cette con<strong>ce</strong>ptualisation de la séan<strong>ce</strong> àvenir par les observateurs, est né<strong>ce</strong>ssaire pour repérer les imprévus survenant et leurs diverstraitements opérés par l’acteur pendant la séan<strong>ce</strong> de cours. L’hypothèse phénoménologiqueavancée dans <strong>ce</strong> dispositif, est que l’enseignant dans son traitement de l’imprévu qu’il aperçu, a le choix de le porter à la vue de la classe, et d’en faire ainsi un événement qui feraacte dans la classe ou bien de lui laisser son statut d’imprévu en l’ignorant volontairement.Dans les deux cas, l’imprévu subit un traitement de la part de l’enseignant. Ignorer unélève rêvant pendant ses explications, le rappeler à la situation devant ses camara<strong>des</strong> ouencore aller l’interpeller discrètement, sont <strong>des</strong> traitements que l’enseignant décide d’opérerselon une logique qui lui est propre. La mise en discussion <strong>des</strong> imprévus perçus par lesobservateurs et <strong>des</strong> traitements opérés par l’acteur, se fait pendant l’heure suivante selonun protocole mis au point et ayant évolué depuis trois ans, en fonction <strong>des</strong> enregistrementsanalysés. On comprend aisément que <strong>ce</strong> dispositif fondé sur le repérage <strong>des</strong> imprévus/événements par les observateurs ne peut fonctionner qu’à la condition que les observateurs310<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Peut-on parler d’apports <strong>universitaire</strong>s en <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants ?soient capables d’en repérer en temps réel pendant la séan<strong>ce</strong>. Les analyses effectuées surtrois ans ont fait apparaître une augmentation nette du nombre d’imprévus repérés par lesprofesseurs stagiaires, lorsqu’une <strong>formation</strong> théorique <strong>ce</strong>ntrée sur les con<strong>ce</strong>pts d’imprévuset d’événements précédait les premières visites. Les argumentations avancées, les tempsconsacrés aux entretiens relatifs à chaque imprévu ont été en augmentation lorsque <strong>ce</strong>tte<strong>formation</strong> a abordé les con<strong>ce</strong>pts d’approche systémique (De Rosnay, 1975) et de complexité(Morin, 1990) m’ayant permis d’élaborer le dispositif. Un autre constat intéressant a été lerôle déclencheur <strong>des</strong> imprévus analysés pour l’élaboration <strong>des</strong> mémoires professionnels. Lemodule de <strong>formation</strong> s’est ainsi étoffé pour devenir né<strong>ce</strong>ssaire à la préparation <strong>des</strong> visites àvisée formative, et fait désormais partie du plan de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> PLC2 de Technologie.Cette évolution permet de mettre en dynamique les résultats de la recherche et la <strong>formation</strong><strong>des</strong> enseignants, en ajoutant au plan de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> PLC2 <strong>des</strong> contributions <strong>universitaire</strong>s.Elle montre corrélativement, au vu du déroulement <strong>des</strong> visites à visée formative mises enœuvre depuis <strong>ce</strong> module, que <strong>ce</strong>tte contribution <strong>universitaire</strong> dans les modules de <strong>formation</strong>permet une approche plus critique, voire plus performante du dispositif de visite de classe.5. Développement de Master à <strong>des</strong>tination <strong>des</strong> formateursLes plans de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> formateurs en <strong>IUFM</strong>, se composent pour l’essentiel de modulesd’une journée sur <strong>des</strong> thèmes souhaités par les formateurs eux-mêmes. On peut constaterde façon sporadique, <strong>des</strong> dispositifs provenant du pilotage, ou de la recherche, mais defaçon générale l’auto-<strong>formation</strong> con<strong>ce</strong>rnant les savoirs <strong>universitaire</strong>s semble être la modalitédominante et attendue dans nos <strong>IUFM</strong>. Le même constat peut être fait dans les plans de<strong>formation</strong> du Pôle sud-est, dont Alain Jean assure la responsabilité. Les séminaires dedeux journées réalisés dans le PSE sont peut-être un peu plus portés par le pilotage, maisla recherche y est peu présente. Il nous semble important à l’heure ou la « mastérisation »de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres est engagée, de procéder aussi à <strong>ce</strong>lle de nos formateurs.Les contributions <strong>universitaire</strong>s dans <strong>ce</strong> domaine pourraient jouer un rôle important dansleur qualification apportée et reconnue. Nous sommes persuadés que <strong>ce</strong>tte dynamisation<strong>des</strong> parcours <strong>des</strong> formateurs est largement capable d’impulser <strong>ce</strong>lle de nos instituts enproduisant par exemple <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s utilisables en ingénierie de <strong>formation</strong> ou dans<strong>des</strong> postes à responsabilités au sein <strong>des</strong> <strong>IUFM</strong>. L’exemple du Master « Conseil et <strong>formation</strong>en éducation » à Montpellier 3 nous paraît approprié, pour montrer que bon nombre decollègues formateurs ayant suivi <strong>ce</strong> Master, se sont lancés dans <strong>des</strong> travaux de con<strong>ce</strong>ptionde dispositifs, ou ont été sollicités pour <strong>des</strong> fonctions de pilotage, ou encore ont débuté<strong>des</strong> thèses dans le domaine de la <strong>formation</strong>. Ce que nous pourrions appeler un retourd’investissements de L’<strong>IUFM</strong> de Montpellier dans ses formateurs a permis à notre institutde progresser dans l’utilisation de l’analyse de pratiques par exemple et a intégré dans lesdiverses composantes du laboratoire de recherche les travaux <strong>des</strong> formateurs ayant suivi<strong>ce</strong> master.En conclusion, nous pensons avoir présenté les raisons pour lesquelles les contributions<strong>universitaire</strong>s sont utiles dans la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> formateurs et dans <strong>ce</strong>lle <strong>des</strong> maîtres. Cen’est pas pour autant que <strong>ce</strong>tte universitarisation doive se faire de façon inconditionnelle. Ilest indispensable que le système de <strong>formation</strong> puisse se fonder sur un principe dominant :l’association <strong>des</strong> notions de professionnalisation et d’universitarisation (Étienne & al.,2007). Les liens forts de la <strong>formation</strong> avec la recherche viendront de l’universitarisationde la professionnalisation. Cet élément positif ne doit pas masquer l’inquiétante image<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 311


A. JEAN, R. ÉTIENNEd’inorganisation chronique véhiculée par l’université. La limitation <strong>des</strong> contributions<strong>universitaire</strong>s dans la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres que nous suggérons provient de trois constats.Le premier est la représentation plutôt négative <strong>des</strong> aspects théoriques de la <strong>formation</strong> parles professeurs stagiaires et par les formateurs de terrain. Si <strong>ce</strong>s contributions étaient en surnombre,elles constitueraient un obstacle à l’adhésion <strong>des</strong> étudiants, <strong>des</strong> stagiaires et <strong>des</strong>formateurs de terrain au plan de <strong>formation</strong>. Le second est lié à l’équilibre qu’il faut maintenirentre une universitarisation dominante en <strong>ce</strong>ntre de <strong>formation</strong> et une <strong>ce</strong>rtaine imitation <strong>des</strong>formateurs de terrain. Ce risque de basculement vers une <strong>formation</strong> juxtapositive séparantapports théoriques et compagnonnage est réel. Il repose sur l’espoir d’une synthèse opéréepar les professeurs stagiaires, phénomène rarement observé. Ce type de <strong>formation</strong> nefonctionne pas. On ne peut plus s’en remettre à une suc<strong>ce</strong>ssion théorie-pratique qui reposesur un schéma applicationniste (Bourdoncle, 1993). Le troisième constat plus matériel<strong>ce</strong>lui-là, est lié aux moyens attribués à la deuxième année de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres et autemps dont disposent les PLC2. Les professeurs stagiaires ont fort à faire pendant leurprofessionnalisation. Le temps qu’ils consacrent à leur <strong>formation</strong> est considérable et lesconflits sociocognitifs qu’ils vivent dans la construction de leur identité <strong>professionnelle</strong>sont fortement déstabilisants. Nous ne pouvons pas espérer accroître les contributions<strong>universitaire</strong>s sans diminuer l’exerci<strong>ce</strong> de l’apprentissage de la profession. Inversement, nouspouvons imaginer en guise de conclusion que le nouveau cahier <strong>des</strong> charges augmentantle temps d’enseignement sur le terrain va contribuer à une diminution <strong>des</strong> contributions<strong>universitaire</strong>s dont nous venons de présenter la né<strong>ce</strong>ssité.BibliographieBOURDONCLE R. (1993) « La professionnalisation <strong>des</strong> enseignants : les limites d’unmythe » - Revue Française de Pédagogie n° 105, pp. 83-119.DE ROSNAY J. (1975) Le macroscope. Paris, Le Seuil.ÉTIENNE R., ALTET M., LESSARD CL., PAQUAY L., PERRENOUD P. (à paraître). Former<strong>des</strong> enseignants professionnels à l’université. Bruxelles, de Boeck.FIALAIRE J. (2004) « Université » in Champy P., Étévé C. Dictionnaire encyclopédique del’éducation et de la <strong>formation</strong>. Paris, Nathan.FUMAT Y., VICENS C., ÉTIENNE R. (2003) Analyser <strong>des</strong> situations éducatives. Paris,ESF.HUBER M., CHAUTARD P. (2001) Les savoirs cachés <strong>des</strong> enseignants. Paris, L’Harmattan.JEAN A. (2004) Visites à visée formative. Mémoire de Master conseil et <strong>formation</strong> enéducation.JEAN A., ÉTIENNE R. (2007) « La gestion <strong>des</strong> imprévus par un professeur stagiaire » inBucheton D. (2007, dir.) L’agir enseignant : <strong>des</strong> gestes professionnels ajustés. Toulouse,Octarès.LEROUGE A. (2003) « Un dispositif innovant de conseil pédagogique : la visite de classeformative » - Tréma n° 20-21.MATHEY-PIERRE C. (1994) « Alternan<strong>ce</strong> » in Champy P., Étévé C. Dictionnaire encyclopédiquede l’éducation et de la <strong>formation</strong>. Paris, Nathan.312<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Peut-on parler d’apports <strong>universitaire</strong>s en <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants ?MORIN E. (1990) Introduction à la pensée complexe. Paris, Le Seuil.PASTRÉ P. (1995) « Compéten<strong>ce</strong>s et con<strong>ce</strong>pts pragmatiques » - in Éducation Permanenten° 123.RICŒUR P. (1997) Du texte à l’action. Paris, Le Seuil.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 313


314<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Co<strong>formation</strong> franco-britanniqued’enseignants <strong>des</strong> FLE :jeux de limites et d’atouts de deux mastersMarie-José BarbotUniversité Charles de Gaulle Lille 3, Théodile EA1764Shirley LawesInstitute of Education, université de Londres (Grande Bretagne)« Tout apprentissage signifiant et durable consiste à aider l’individu à prendre conscien<strong>ce</strong>de…, et à modifier son système de représentations en même temps que son systèmed’actions » (Clenet 2002 :17).« Reste ensuite la tâche la plus difficile, mettre la culture scientifique en état de mobilisationpermanente, rempla<strong>ce</strong>r le savoir fermé et statique par une connaissan<strong>ce</strong> ouverte etdynamique, dialectiser toutes les variables expérimentales, donner enfin les raisonsd’évoluer » (Bachelard 1983 : 18-19).IntroductionNotre problématique est <strong>ce</strong>lle de l’articulation entre savoirs d’action et savoirs scientifiques,entre professionnalisation et étu<strong>des</strong> scientifiques dans une visée de développement del’autonomie <strong>des</strong> enseignants de langues en <strong>formation</strong> initiale. Pour comprendre et orienterl’évolution actuelle, dans le cadre du LMD, nous nous appuyons sur la recherche deS.Lawes ayant pour titre Le déclin de la théorie qui compare le Post Graduate Certificate inEducation in modern foreign languages (PGCE mfl), qualification né<strong>ce</strong>ssaire pour enseignerau Royaume-Uni, avec le double diplôme PGCE - Maîtrise Français Langue Étrangère (FLE), co<strong>formation</strong> Lille 3 - Institute of Education London montée en 1997. Avec la réforme deBologne et le LMD <strong>ce</strong>s deux <strong>formation</strong>s, deviennent respectivement « spécialité didactique<strong>des</strong> langues, FLE, niveau Master M » (120 crédits en deux ans) et « PGCE niveau Master »(Mlevel, 90 crédits en un an, soit une partie du master).Nous émettons l’hypothèse que <strong>ce</strong> nouveau cadre, qui peut résoudre <strong>des</strong> tensions du côtébritannique en revalorisant les savoirs fondamentaux, et permettre au FLE de passer d’uneposition atypique et indépendante à une reconnaissan<strong>ce</strong> institutionnelle dans un cadre et<strong>des</strong> normes institutionnelles européennes et nationales constitue un potentiel prometteur,mais à <strong>ce</strong>rtaines conditions que nous posons comme questions à explorer à partir d’unprogramme démarrant à la rentrée 2008. PHD ayant pour titre Le déclin de la théorie. Il y avait aussi une deuxième comparaison entre le PGCE mfl en Angleterre et la deuxième année duCertificat d’aptitu<strong>des</strong> au professorat de l’enseignement secondaire (CAPES PLC2) en Fran<strong>ce</strong>, mais <strong>ce</strong>sdonnées ne sont pas utilisées dans <strong>ce</strong>t article. Rédaction de l’annexe <strong>des</strong>criptive au diplôme selon le modèle élaboré par la Commission européenne,le Conseil de l’Europe et l’Unesco/CEPES. Élaboration de la fiche de résumé <strong>des</strong>criptif de la <strong>ce</strong>rtification selon la loi du 17 janvier 2002 (article133 à 146) pour le Répertoire National <strong>des</strong> Certifications Professionnelles (R.N.C.P.), base de données <strong>des</strong><strong>ce</strong>rtifications à finalités <strong>professionnelle</strong>s, informée selon les normes du code du Répertoire Opérationnel <strong>des</strong>Métiers et <strong>des</strong> Emplois ROME, site de l’agen<strong>ce</strong> nationale pour l’emploi : anpe.fr<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 315Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (315-323) Tome 2


M.-J. BARBOT, S. LAWESLes résultats qui vont être présentés con<strong>ce</strong>rnent les points de vue <strong>des</strong> stagiaires, <strong>des</strong>formateurs , l’ambivalen<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>s derniers et les enjeux d’une intégration d’une <strong>formation</strong>pratique dans un cadre <strong>universitaire</strong>. L’articulation que nous avons effectuée entre pratiqueet théorie de deux entités différentes sert de modèle précurseur et aide à penser l’avenir,avec optimisme, puisque nous aurons, en commun désormais, le cadre du master et <strong>des</strong>crédits. Le postulat du dépassement de l’opposition entre pratique et théorie, dans uneapproche dialectique, nous amène à poser la question du statut et de la nature <strong>des</strong> savoirsfondamentaux, de leur rapport à une visée opérationnelle, à interroger les modalités de<strong>formation</strong> en alternan<strong>ce</strong> et d’accompagnement et surtout à anticiper la rupture né<strong>ce</strong>ssaire parrapport à <strong>des</strong> représentations classiques <strong>des</strong> différents acteurs : <strong>universitaire</strong>s, responsablesde stages et étudiants-enseignants. Peut-on réussir sans un nouveau paradigme del’enseignement supérieur qui serait <strong>ce</strong>lui de l’auto<strong>formation</strong> accompagnée, de l’écoute etnon de la commande, de l’accompagnement ?1. Le contexte de la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> enseignants en AngleterreLes quatorze dernières années représentent un changement considérable dans la <strong>formation</strong>initiale <strong>des</strong> enseignants de l’enseignement secondaire en Angleterre. Durant <strong>ce</strong>tte période,une politique a été mise en pla<strong>ce</strong> – <strong>ce</strong>lle visant à réduire le rôle et l’influen<strong>ce</strong> de l’enseignementsupérieur (Higher Education, HE) dans <strong>ce</strong>tte <strong>formation</strong>. Celle-ci est construite autour d’unestructure de standards obligatoires basés sur <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s qui reflète une orientationtrès pratique et qui pla<strong>ce</strong> les connaissan<strong>ce</strong>s théoriques à la périphérie <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s<strong>professionnelle</strong>s pour les jeunes professeurs.Le principe sous-ja<strong>ce</strong>nt de <strong>ce</strong> modèle de <strong>formation</strong> initiale, qui se con<strong>ce</strong>ntre principalementsur l’expérien<strong>ce</strong> au sein de l’école, est qu’une bonne pratique est surtout développée àtravers la pratique et que les considérations académiques sont secondaires. Ce programmede <strong>formation</strong> oblige les étudiants-enseignants à donner la priorité à l’expérien<strong>ce</strong> pratiquedans le développement de leurs compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s, <strong>ce</strong> qui va <strong>ce</strong>rtainementbeaucoup influen<strong>ce</strong>r leurs attentes vis-à-vis de la <strong>formation</strong>, ainsi que leurs aspirationset leur identité <strong>professionnelle</strong>. Pour les étudiants-enseignants, l’expérien<strong>ce</strong> au sein del’école, où ils bénéficient d’un suivi et d’un soutien continu et détaillé est donc forcémenttrès importante. La <strong>formation</strong> a <strong>des</strong> objectifs et <strong>des</strong> résultats définis, très cadrés et peut êtrevécue surtout comme une expérien<strong>ce</strong> de ‘façonnement’.La transition actuelle du PGCE, au cadre Master, a donc le mérite de proposer unerecon<strong>ce</strong>ptualisation de <strong>ce</strong> qu’est la <strong>formation</strong> initiale. Ainsi, l’évaluation au niveau Masterde <strong>ce</strong>rtains éléments du PGCE qui se met en cours actuellement en Angleterre, pose <strong>des</strong>questions intéressantes con<strong>ce</strong>rnant la nature essentielle de <strong>ce</strong>tte <strong>formation</strong>. S’agit-il d’unretour à une initiation ‘éducative’ et académique plûtot que formative ? Et si c’est le cas,est-<strong>ce</strong> qu’elle sera compatible avec le modèle élaboré par le Teacher Development Agency(TDA) car tout futur enseignant sera toujours <strong>ce</strong>nsé acquérir les standards évoqués ci<strong>des</strong>sus.Est-<strong>ce</strong> qu’il faut envisager <strong>des</strong> programmes davantage orientés vers la théorieafin de répondre aux critères du Mlevel ? (niveau Master). Est-<strong>ce</strong> qu’on propose unerecon<strong>ce</strong>ptualistion de <strong>ce</strong> que représente la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> enseignants en Angleterre, Il s’agit <strong>des</strong> <strong>universitaire</strong>s qui exer<strong>ce</strong>nt le rôle de tutor formateur ou de lecturer, fonction magistrale, lementor désignant le maître de stage dans les établissements scolaires. En anglais, educational, terme qui se distingue de training. Organisme qui gère et sanctionne l’entrée à l’enseignement.316<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Co<strong>formation</strong> franco-britannique d’enseignants <strong>des</strong> FLE : jeux de limites et d’atouts de deux mastersou s’agit-il seulement d’un ‘nouvel emballage’ de <strong>ce</strong> qui existe déjà ? En effet, à l’époqueactuelle, où la politique éducative au sens large semble favoriser les connaissan<strong>ce</strong>sfonctionnelles, le savoir instrumental et les compéten<strong>ce</strong>s pratiques (skills) aux dépens <strong>des</strong>éclairages théoriques et <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s con<strong>ce</strong>ptuelles, serait-il possible de changer lesidées con<strong>ce</strong>rnant les connaissan<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>s et intellectuelles essentielles ? Lesformateurs <strong>universitaire</strong>s, eux, paraissent s<strong>ce</strong>ptiques en <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne les avantagessupposés du niveau Master : dans le contexte actuel, est-il même possible que le PGCEniveau Master puisse proposer une démarche théorique complémentaire au programme de<strong>formation</strong> largement pratique ? Certains se demandent si c’est un développement pertinent.Une autre inquiétude con<strong>ce</strong>rne la possibilité de recruter suffisamment de candidats avec lescapacités né<strong>ce</strong>ssaires.Dans <strong>ce</strong> contexte, la recherche sur le programme PGCE/Maîtrise FLE, innovation que nousavons mis en pla<strong>ce</strong> en 1998 et qui s’est institutionnalisée, démontre qu’il y a de quoi êtreoptimiste quant au potentiel d’un programme PGCE niveau master, pour offrir une basesolide en <strong>formation</strong> initiale de connaissan<strong>ce</strong>s théoriques et <strong>professionnelle</strong>s, sur laquelle lefutur enseignant continuera à bâtir son apprentissage tout au long de sa carrière.2. Où en est-on dans le PGCE ?Les étudiants-enseignants du seul PGCE, interviewés pour <strong>ce</strong>tte recherche, n’attendaientpas une <strong>formation</strong> orientée entièrement vers la pratique. Dès le début quelques-uns d’entreeux attendaient et voulaient <strong>des</strong> éléments théoriques. Cependant, leurs notions de la ‘théorie’étaient formées par leur expérien<strong>ce</strong> du programme PGCE, c’est-à-dire de <strong>ce</strong> qu’on peutappeler <strong>des</strong> principes qui guident la pratique – une présentation médiatri<strong>ce</strong> <strong>des</strong> aspects dela théorie, aussi bien que <strong>des</strong> conseils pratiques sur, par exemple, l’organisation <strong>des</strong> cours,l’évaluation et le choix <strong>des</strong> supports pédagogiques. Pour les étudiants-enseignants, leursformateurs devaient contribuer à leur donner une perspective plus générale et objectivesur le métier, mais en fin de compte leur rôle essentiel était de soutenir l’acquisition decompéten<strong>ce</strong>s pratiques. Ce constat est renforcé par les idées qu’ont exprimé les étudiantsenseignantssur la <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong>, et notamment par une analyse de <strong>ce</strong> qu’ils lisaient.Leurs lectures étaient presque exclusivement con<strong>ce</strong>ntrées sur les dossiers de travail qu’ilsdevaient préparer et sur <strong>des</strong> pistes pratiques pour la salle de classe.Néanmoins, <strong>ce</strong>tte recherche a aussi établi que le système de <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong> enseignantsen Angleterre, a entraîné plus de cohéren<strong>ce</strong>, de continuité et de progression qu’avant. Et<strong>ce</strong>la, malgré le degré de contrôle et de prescription actuel. La relation contractuelle entre lesuniversités et les écoles, dans <strong>ce</strong>tte <strong>formation</strong> initiale, garantit une collaboration étroite afinde donner aux étudiants-enseignants une expérien<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong> intégrée dans un cadredéfini.Cependant, <strong>ce</strong>la peut entraîner un transfert de la ‘culture de l’école’ au sein du contextede l’éducation supérieure, surtout lorsque les formateurs préfèrent traiter <strong>des</strong> problèmespratiques rencontrés, plutôt qu’inférer <strong>des</strong> positions plus générales et objectives qui devraientcaractériser la contribution de l’éducation supérieure dans la période de <strong>formation</strong> initiale.L’importan<strong>ce</strong> marginale accordée dans <strong>ce</strong> contexte à la théorie, est ac<strong>ce</strong>ntuée comme onpeut l’observer à partir de trois sour<strong>ce</strong>s que constituent :1. le curriculum national de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants,2. la documentation du programme PGCE<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 317


M.-J. BARBOT, S. LAWES3. les entretiens effectués auprès <strong>des</strong> étudiant-enseignants et de leurs formateurs<strong>universitaire</strong>s,La devise est que c’est par la pratique que la pratique s’acquiert le mieux, accompagnée de« principes pour guider la pratique ». Cette conviction a pour effet d’éroder le rôle spécifiquede l’enseignement supérieur en plaçant la pratique au <strong>ce</strong>ntre de la <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong>enseignants et en réduisant les formateurs <strong>universitaire</strong>s à une sour<strong>ce</strong> d’inspiration pour lapratique, plus qu’à un rôle de déclencheurs de démarche intellectuelle.Néanmoins, <strong>ce</strong>s formateurs reconnaissent que l’enseignement supérieur a un rôle particulierà jouer : il « comble les lacunes » ou propose « <strong>des</strong> points de vue approfondis », aussicroient-ils réellement que la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants sans influen<strong>ce</strong> de l’enseignementsupérieur serait un appauvrissement.En fait, les formateurs <strong>universitaire</strong>s sont préoccupés en <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne leur propre rôleprofessionnel et leur statut dans le contexte du modèle actuel de <strong>formation</strong> initiale (ITT)dont ils voient à la fois les limitations et les contraintes. Leur attitude à l’égard de la théorieet leur compréhension de la pla<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>lle-ci, en <strong>formation</strong> initiale, reste ambivalente. Il sepourrait que la prédominan<strong>ce</strong> de vues, au niveau politique, sur <strong>ce</strong> qui devrait constituer lesprogrammes du PGCE et l’ambivalen<strong>ce</strong> au sein de la communauté ITT contribuent à militercontre une réelle recon<strong>ce</strong>ptualisation du PGCE au niveau Master, ex<strong>ce</strong>ption faite, sansdoute, d’une minorité d’institutions. Est-<strong>ce</strong> que <strong>ce</strong>la signifierait alors une nouvelle hiérarchiedans le système ?3. L’expérien<strong>ce</strong> de la co<strong>formation</strong> PGCE - Maîtrise FLELa double <strong>ce</strong>rtification PGCE - Maîtrise FLE constitue une preuve de la façon dont les théoriesappliquées en langues vivantes étrangères permettent un développement <strong>des</strong> étudiantsenseignantssur le plan intellectuel, tout en étayant à la fois, directement ou indirectement,leur développement professionnel en tant qu’enseignant. L’analyse de <strong>ce</strong>rtains aspects de<strong>ce</strong> programme met en lumière les défis, aussi bien que le potentiel, que représente unequalification du PGCE au niveau master.En premier lieu, les résultats montrent que <strong>ce</strong>s étudiants-enseignants lisent largement plusque <strong>ce</strong>ux du PGCE normal et que leurs lectures incluent <strong>des</strong> ouvrages théoriques.En second lieu, bien que la valeur <strong>des</strong> savoirs acquis en maîtrise en Fran<strong>ce</strong>, n’est pasimmédiatement apparente, les étudiants-enseignants en majorité (sauf un ou deux), ontconfirmé que, dès la moitié du cours, ils découvraient les bénéfi<strong>ce</strong>s de leur <strong>formation</strong>académique. Un ou deux ont fait remarquer que le savoir théorique est difficile à mesurer,mais qu’il s’agit de savoirs importants et indispensables en langues vivantes.En troisième lieu, les tuteurs se sont fait l’écho du constat que <strong>ce</strong>s étudiants-enseignantsacquièrent un niveau supérieur en <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne leurs travaux académiques. Un <strong>des</strong>formateurs <strong>universitaire</strong>s a mentionné le fait de les avoir encouragés activement à exploiterles savoirs acquis au cours de la Maîtrise FLE et à citer <strong>des</strong> référen<strong>ce</strong>s françaises dansles travaux de PGCE. D’autres les ont encouragés à effectuer la présentation <strong>des</strong> dossierspréparés en Fran<strong>ce</strong>. Les formateurs ont remarqué, en particulier, une acquisition deconnaissan<strong>ce</strong>s plus profon<strong>des</strong> sur le plan culturel, aussi bien qu’une aisan<strong>ce</strong> sociale etinterculturelle de leur part.En quatrième lieu, il est établi que les attentes et les aspirations <strong>des</strong> étudiants-enseignants318<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Co<strong>formation</strong> franco-britannique d’enseignants <strong>des</strong> FLE : jeux de limites et d’atouts de deux mastersvis-à-vis de leur <strong>formation</strong> n’étaient pas forcément purement fonctionnelles. Même s’ilsavaient <strong>des</strong> préoccupations con<strong>ce</strong>rnant la maîtrise de techniques d’enseignement concrèteset les contraintes d’évaluation du cours de PGCE, à leur retour de Fran<strong>ce</strong>, ils avaient acquis<strong>des</strong> savoirs théoriques qui leur permettaient d’adopter une approche plus pointue dans leurenseignement. Ils faisaient preuve d’une plus grande capacité d’abstraction que les autresétudiants-enseignants du PGCE a souligné un formateur.Les données recueillies dans <strong>ce</strong>tte recherche suggèrent aussi que lorsque <strong>ce</strong>s étudiantsenseignantssont invités à lire et à approfondir <strong>des</strong> travaux d’orientation théorique etacadémique, ils conçoivent la valeur de leurs lectures comme partie intégrale de leurdéveloppement professionnel d’enseignant. Cela semblerait remettre en question lareprésentation selon laquelle les attentes et les aspirations <strong>des</strong> étudiants-enseignants sontmédiocres, ne peuvent être mises au défi et, plus encore, <strong>ce</strong>la ouvre une perspective positiveet optimiste pour l’accréditation au master.Deux points peuvent être améliorés grâ<strong>ce</strong> au nouveau cadre la prise en compte dupro<strong>ce</strong>ssus avec le facteur temps et l’implication <strong>des</strong> formateurs dans la <strong>formation</strong> théorique.Le formateur PGCE joue donc un rôle pivot en permettant aux étudiants-enseignants dereconnaître la complémentarité <strong>des</strong> deux <strong>formation</strong>s et de relier les deux. Cette double<strong>ce</strong>rtification montre qu’il est possible de défier, à la fois du point de vue <strong>des</strong> programmes etdu point de vue personnel, l’humeur anti-théorique qui a prédominé en <strong>formation</strong> initiale <strong>des</strong>enseignants en Angleterre <strong>ce</strong>s dernières années. La co<strong>formation</strong> PGCE - Maîtrise FLE, eninitiant <strong>des</strong> étudiants-enseignants à la théorie, a élevé leur niveau d’attentes et a créé <strong>des</strong>aspirations variées ainsi qu’un sens élevé de leur identité <strong>professionnelle</strong> qui sont autant defondements soli<strong>des</strong> pour un développement personnel futur. C’est exactement à <strong>ce</strong>la quel’accréditation au niveau Master peut prétendre.4. Enjeux : un modèle de <strong>formation</strong> européenne4.1. Leçons pour le PGCEComme nous l’avons établi la double <strong>ce</strong>rtification PGCE - MFLE a mis les étudiantsenseignantsen contact avec <strong>des</strong> aspects théoriques, alors non pris en compte dans lecadre du PGCE. Si la façon dont <strong>ce</strong>s étudiants-enseignants bénéficient du cours de maitrisedépend largement d’une disposition personnelle pour les étu<strong>des</strong> théoriques, on peut affirmerque c’est de l’institution d’enseignement supérieur où se déroule la <strong>formation</strong> PGCE quedépend le sens spécifique attribué à l’entreprise future.Un autre résultat con<strong>ce</strong>rne la variabilité <strong>des</strong> comportements <strong>des</strong> formateurs <strong>universitaire</strong>s,aussi bien du point de vue de leur compréhension de la façon d’établir <strong>ce</strong>tte interaction, quede <strong>ce</strong>lui de leur implication. Pour beaucoup, en effet, il y a une tendan<strong>ce</strong> dominante à sefocaliser uniquement sur les exigen<strong>ce</strong>s du curriculum de <strong>formation</strong> et sur le développement<strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> à acquérir pour la salle de classe. Nous sommes ici fa<strong>ce</strong> à un élément-clé en<strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne l’avenir du PGCE niveau master.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 319


M.-J. BARBOT, S. LAWES4. 2. Leçons pour le PGCEet le master 2 didactique <strong>des</strong> langues et <strong>des</strong> cultures FLEIl semblerait que dans <strong>ce</strong>tte reconfiguration que le PGCE M puisse faire cavalier seul mais<strong>ce</strong> n’est pas <strong>ce</strong>rtain ; en <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne la spécialité FLE-M le double avantage d’un stagede qualité ex<strong>ce</strong>ptionnelle d’une part, de perspectives d’emploi de l’autre, perdure, avec<strong>ce</strong>tte fois-ci une qualification académique. Ce nouvel état de fait nous incite à con<strong>ce</strong>voir,conduire et réajuster une <strong>formation</strong> européenne d’enseignants de langues, plus exigeante,en engageant de nouvelles recherches. Cette fois-ci, nous partons d’acquis <strong>ce</strong>rtains : lamise en réseau de différentes situations de <strong>formation</strong> pratiques ou scientifiques, à l’internedans chaque pays ou en synergie entre les deux, pose avant tout la question fondamentale<strong>des</strong> con<strong>ce</strong>ptions de référen<strong>ce</strong> en amont qui nourrissent les options en pédagogie et endidactique. Nous nous sommes au départ il y a quelques années positionnées par rapportaux valeurs et orientations du Conseil de l’Europe en langues vivantes.Conclusion : défis d’une modélisationde <strong>formation</strong> initiale anglo-françaiseLa combinaison <strong>des</strong> aspects précurseurs de <strong>ce</strong>s deux <strong>formation</strong>s a permis de dis<strong>ce</strong>rnerles contours d’un modèle, d’abord sur le plan macro, puis méso et micro-éducatif qui donneune large pla<strong>ce</strong> aux interactions entre les différents acteurs. Nous avons identifié quatre« carrefours critiques », comme <strong>des</strong> étapes où il y a <strong>des</strong> décisions communes à prendre.Ceci est l’ébauche d’un modèle encore à vérifier, l’idée étant de repérer <strong>des</strong> élémentstransférables pour les autres <strong>formation</strong>s que nous menons respectivement.1. Con<strong>ce</strong>ptions de référen<strong>ce</strong>s, <strong>des</strong> finalités à expliciter. Ce qui est en question, avant tout,est de l’ordre <strong>des</strong> con<strong>ce</strong>ptions de référen<strong>ce</strong>, <strong>des</strong> finalités attribuées à la <strong>formation</strong> initiale :former un citoyen professionnel libre et responsable, autonome. S’agit-il en effet de savoirappliquer <strong>des</strong> normes et de savoir se conformer à un référentiel institutionnel ou d’acquériren plus un niveau d’expertise suffisant – c’est à dire de réflexion et de mise à distan<strong>ce</strong>sd’expérien<strong>ce</strong>s variées – pour être capable d’improviser, comme le ferait un grand musicien,ou d’inventer <strong>des</strong> solutions au moment fatidique. Pour nous, comme le rappelle F. Dubet(2002), les « métiers sur autrui » exigent de l’institution, non plus seulement de s’appuyersur <strong>des</strong> cadres, <strong>des</strong> normes, mais de préparer les professionnels à répondre à <strong>des</strong> besoinsen évolution constante selon les publics et selon les contextes. Dans <strong>ce</strong>tte optique, lechangement est une <strong>des</strong> finalités de la <strong>formation</strong>. Nous reprenons l’interrogation de Fabre :« quel type de changements : la stratégie de <strong>formation</strong> doit-elle privilégier l’enrichissement<strong>des</strong> représentations, le renfor<strong>ce</strong>ment <strong>des</strong> comportements, la stabilisation <strong>des</strong> attitu<strong>des</strong>, lerodage <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> ? Ou bien faut-il viser <strong>des</strong> ruptures, <strong>des</strong> changements de paradigmes,<strong>des</strong> conversions intellectuelles ? » (Fabre, 1994 : 31). Pour nous, il ne s’agit pas deprivilégier l’un ou l’autre, mais de viser les deux qui relèvent de niveaux différents, le gesteprofessionnel et une attitude réflexive et critique.2. L’alternan<strong>ce</strong> à mettre en œuvre. Sur le plan méso-éducatif, <strong>ce</strong>lui de l’organisation, il s’agitdans les deux pays d’exploiter avec cohéren<strong>ce</strong> et efficacité les apports de l’alternan<strong>ce</strong>.Du côté académique, expliciter la notion de partenariat, de chartes, de contrat et savoirdévoluer une responsabilité à la fois aux deux parties et du côté professionnel, revaloriser La maitrise FLE crée en 1984, « Un statut pour l’enseignement du FLE en Fran<strong>ce</strong>-extrait du rapportAuba » Galisson, Porcher, octobre–dé<strong>ce</strong>mbre 1986, Revue d’Étu<strong>des</strong> de Linguistique appliquée, ELA n°64.320<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Co<strong>formation</strong> franco-britannique d’enseignants <strong>des</strong> FLE : jeux de limites et d’atouts de deux mastersles savoirs théoriques et en ouvrir l’accès en montrant qu’ils sont le fruit de rechercheset donc liés à une praxis. Cela implique de se situer dans une approche d’ingénierie nonprogrammatique, mais évolutive (Clénet 2002) pour créer <strong>des</strong> dispositifs ouverts, à améliorerà partir d’observations, d’évaluations et de recherches-actions. Il s’agit en alternan<strong>ce</strong>, dedépasser le couple action-réflexion parfois réduit et simplifié au couple pratique-théorie ;en effet pourquoi, comme le propose J.Clénet, ne pas « considérer que l’acteur de terrainpeut par l’alternan<strong>ce</strong>, être conduit à penser ses actions voire à les théoriser, qu’il peut par<strong>des</strong> enseignements théoriques être conduit à mieux comprendre le sens de ses actions ? »(Clénet 2002 : 35) point de vue qui rejoint d’ailleurs la notion de réussite de J.Piaget comme« compréhension de l’action ».3. Les savoirs dans une communication didactique interactive-réflexive et une attitude dechercheur. Sur le plan micro-éducatif, une <strong>des</strong> conditions à respecter est non seulementun choix commun <strong>des</strong> savoirs, un cadre théorique, véritable casse-tête, mais encore <strong>ce</strong>luidu mode d’exposition aux savoirs, tenant compte de son articulation avec les pro<strong>ce</strong>ssusd’acquisition <strong>des</strong> enseignants-étudiants tout en favorisant un accès direct aux auteurs : lirePiaget et non les didacticiens qui ont écrit sur Piaget. En <strong>ce</strong> sens, un aspect à prendreen considération est <strong>ce</strong>lui du développement de l’auto-<strong>formation</strong> qui ne peut se décréter.Un autre paramètre est constitué par les pratiques dites de réflexivité qui ne doivent sesubstituer à l’apport <strong>des</strong> théories mais s’en enrichir. En effet, la réflexivité a sa pla<strong>ce</strong> maiselle ne peut fonctionner en dehors de la confrontation avec un cadre théorique puissantet à la fois doit être menée par un expert de la situation qui exer<strong>ce</strong> une analyse du travailqui ne soit pas purement anecdotique. Elle permet aussi de s’approprier <strong>des</strong> notions degenres à partir de régularités, de styles dans les interprétations personnelles et de répertoiredidactique au sens d’une richesse de gammes dans laquelle puiser. Un autre élément,difficile mais motivant, est de tenir compte constamment de la situation de « double piste »qui rend compte de l’originalité de la <strong>formation</strong> de <strong>ce</strong>s étudiants qui sont, en miroir, fa<strong>ce</strong>à leurs propres apprenants. Il est donc important d’enrichir les modalités alternatives àla conféren<strong>ce</strong> : dialogue savant, ateliers, exposés, tables ron<strong>des</strong>, journées d’étu<strong>des</strong> ouséminaires effectués par les enseignants-étudiants accompagnés . Ces modalités quirelèvent de la pédagogie active, différenciée, du projet avec un développement du travailcoopératif et collaboratif, trouvent <strong>des</strong> outils précieux dans le numérique.Enfin, dans la mesure où les procédures d’évaluation guident les dispositifs éducatifs, il estimportant de mesurer la pla<strong>ce</strong> donnée à l’évaluation formative et à l’auto-évaluation ; lespratiques de contrôle <strong>des</strong> deux masters sont à réinterroger, tandis que tout un pro<strong>ce</strong>ssus detransparen<strong>ce</strong> et d’équivalen<strong>ce</strong> est sans <strong>ce</strong>sse à actualiser, <strong>ce</strong> qui exige un ex<strong>ce</strong>llent travaild’équipe <strong>des</strong> deux partenaires. Enfin, la structure du master légitimise l’interdisciplinaritédéjà présente dans la Maitrise FLE 10 .4. Diversification <strong>des</strong> acteurs éducatifs, rôles et accompagnement autonomisant. Une autreclé est de dépasser les tensions entre les différents acteurs éducatifs, accrues par l’anxiété,liée aux gains et pertes, que signifie tout changement. Elles sont dues à <strong>des</strong> relations Nous prendrons pour exemple l’unité d’enseignement UE Pédagogie et culture qui comportait <strong>des</strong> savoirset <strong>des</strong> savoir-faire abordés à partir d’observations, réactions, dysfonctionnements présents dans les « journauxd’étonnement » <strong>des</strong> stagiaires, <strong>ce</strong> qui a permis un dialogue savant et <strong>des</strong> interactions : les réactions « racistes »de leurs élèves durant le mondial de foot-ball ont conduit les stagiaires à proposer un travail scientifique avechistoire, définition, problématique et pistes d’application sur le racisme, la francophobie et la francophilie.10 La maitrise FLE, didactique <strong>des</strong> langues et <strong>des</strong> cultures comporte depuis sa création en 1985 de lalinguistique appliquée, de la communication, de l’anthropologie, de la psychologie de l’apprentissage et de lasociologie.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 321


M.-J. BARBOT, S. LAWESvécues parfois comme <strong>des</strong> rapports de pouvoir, avec <strong>des</strong> rivalités en termes d’influen<strong>ce</strong>sou/et de légitimité. La distinction <strong>des</strong> rôles et leur officialisation conduit peut-être à dépasser<strong>ce</strong>s tensions. Il s’agit pour les acteurs conjoints d’identifier la complémentarité <strong>des</strong> deuxsituations, lieu de travail et université, et de la développer par <strong>des</strong> interactions parallèles,dans lesquelles, chaque partenaire reconnaît avoir besoin de l’autre et s’effor<strong>ce</strong> surtout dele concrétiser. Cela suppose de la part <strong>des</strong> acteurs <strong>universitaire</strong>s d’ac<strong>ce</strong>pter de changer deposture en fonction du contexte, en fonction <strong>des</strong> enseignants-étudiants, c’est à dire d’exer<strong>ce</strong>rauprès d’eux un « accompagnement autonomisant » (Barbot 2006), en étant à l’écoute eten situation d’observation. L’objectif est en effet double, leur permettre de s’approprier <strong>des</strong>savoirs indispensables, <strong>des</strong> techniques et <strong>des</strong> savoir-faire, mais aussi les conduire à seremettre en question et à se transformer.Malgré la complexité <strong>des</strong> facteurs en jeu, la co<strong>formation</strong> à un niveau master constitueune. innovation créative et opportune qui illustre la richesse et la né<strong>ce</strong>ssité de l’Europe enéducation et <strong>formation</strong>.BibliographieBACHELARD G. (1983) La <strong>formation</strong> de l’esprit scientifique, Contribution à une psychanalysede la connaissan<strong>ce</strong> objective. Paris, Vrin.BARBOT M.-J. (2006) « Rôle de l‘enseignant-formateur : l’accompagnement en question »- Mélanges n° 28, Crapel, Nancy 2.BARBOT M.-J. et CAMATARRI G. (1999) Autonomie et apprentissage, L’innovation dans la<strong>formation</strong>. Paris, PUF.BARBOT M.-J., LAWES S. (2001) “ The intercultural problems involved in setting up a jointteacher training programme ” in Kelly M, Fant L., Elliott I. (eds) Third level, third spa<strong>ce</strong>,Intercultural communication and language in European higher education. Berne, Peter LangSA.BARBOT M.-J., LAWES S. (2004) « Dispositif innovant de <strong>formation</strong> d’enseignants formateursen langues, l’approche culturelle une <strong>des</strong> clés de l’autonomie » - Les Cahiers d’étu<strong>des</strong> duCueep n° 54, pp 51-66.BARBOT M.-J. et PAYEUR A. (2000) « Un défi pour l’enseignant : acquérir une métacompéten<strong>ce</strong>» in Fichez E. et De<strong>ce</strong>uninck J. (textes réunis par) Industries éducatives situation,approches perspectives pp. 183-191. Travaux et recherches, université Charles de Gaulle-Lille 3.CLENET J. (1998) Représentations, <strong>formation</strong>s et alternan<strong>ce</strong>s. Être formé et/ou seformer ?CLENET J. (2002) L’ingénierie <strong>des</strong> <strong>formation</strong>s en alternan<strong>ce</strong> « pour comprendre c’est-à-direpour faire. » Paris, L’Harmattan.DfES (2002) Qualifying To Teach. London, Teacher Training Agency.DUBET F. (2002) Le déclin de l’institution. Paris, Seuil.FABRE M. (1994) Penser la <strong>formation</strong>. Paris, PUF.LAWES S. (2003) “ What, when, how, and why ? Theory and foreign language teaching ”- Language Learning Journal, Special Edition n° 28, pp. 22-28.322<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Co<strong>formation</strong> franco-britannique d’enseignants <strong>des</strong> FLE : jeux de limites et d’atouts de deux mastersLAWES Shirley (2004) The End of Theory ? A comparative study of the decline of educationaltheory and professional knowledge in modern foreign languages teacher training in Englandand Fran<strong>ce</strong>. Unpublished PhD, Institute of Education, University of London.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 323


324<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


9. Évaluation <strong>des</strong> effets<strong>des</strong> <strong>formation</strong>s d’enseignants<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 325


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Vers une compréhension <strong>des</strong> effets<strong>des</strong> pratiques de <strong>formation</strong> sur les apprentissages<strong>des</strong> professeurs stagiairesVéronique PaolacciGRIDIFE ERTé 46 – <strong>IUFM</strong> Midi-Pyrénées, Laboratoire Jacques-Lordat EA 1941 – Université Toulouse IIBruno FondevilleGRIDIFE ERTé 46 – <strong>IUFM</strong> Midi-Pyrénées, ESCOL-Paris VIII1. Introduction et questions de rechercheNotre recherche s’inscrit dans les objectifs de l’équipe Erte 46 du GRIDIFE , équipepluridisciplinaire composée d’enseignants et d’enseignants chercheurs qui sont aussi, pourla plupart, formateurs en <strong>IUFM</strong>. Notre objet de recherche se <strong>ce</strong>ntre autour <strong>des</strong> enseignantsdébutants (Paolacci, à paraître), de leurs pratiques <strong>professionnelle</strong>s en <strong>formation</strong> initiale etdans leur entrée dans le métier. La recherche que nous présentons ici est exploratoire.Si le colloque de Versailles (16-17 mars 2006) Formation d’enseignants : quels scénarios ?Quelles évaluations ? a montré comment les pratiques de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignants sontun thème de recherche au même titre que les pratiques d’enseignement, le pro<strong>ce</strong>ssus de<strong>formation</strong> en tant qu’objet d’étude est encore peu exploré. Nous avons montré l’intérêtd’analyser les pratiques effectives de <strong>formation</strong> pour la didactique du français (Paolacci &Garcia-Debanc, 2005). Autour d’une même notion de grammaire (la ponctuation, Paolacci,2005), nous avions comparé deux groupes de stagiaires dans les filières <strong>des</strong> professeurs<strong>des</strong> écoles et <strong>des</strong> professeurs de lettres de collège / lycée en <strong>formation</strong> initiale. Nous avionsvu que les observations menées étaient comparables malgré les différen<strong>ce</strong>s inhérentes auxdeux filières, les professeurs d’école étant formés à la polyvalen<strong>ce</strong> disciplinaire contrairementà leurs collègues.À la suite de <strong>ce</strong>tte étude, deux questions restent posées :Comment mesurer les effets d’une <strong>formation</strong> ?Comment décrire et expliquer le pro<strong>ce</strong>ssus de transposition <strong>des</strong> contenus de <strong>formation</strong>réalisée par les professeurs, notamment au regard de leurs premières expérien<strong>ce</strong>s<strong>professionnelle</strong>s?En visant une réponse à <strong>ce</strong>s questions, nous nous <strong>ce</strong>ntrerons, dans <strong>ce</strong>tte contribution,sur le problème de la <strong>formation</strong> à l’enseignement de la langue à l’école élémentaire. Cetenseignement est loin d’être stabilisé si l’on en croit les dernières circulaires et rapports surl’enseignement de la grammaire et du vocabulaire. Devant <strong>ce</strong> peu de stabilité institutionnelle,il nous apparaît intéressant de voir comment les formateurs répondent à <strong>ce</strong>s fluctuations.Notre communication s’articule en plusieurs étapes. Nous exposerons dans un premiertemps, nos options méthodologiques. Nous préciserons ensuite la nature <strong>des</strong> données Groupe de Recherche sur les Interactions Didactiques et la Formation <strong>des</strong> Enseignants. Voir les circulaires de janvier et de mars 2007.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 327Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (327-335) Tome 2


V. PAOLACCI, B. FONDEVILLErecueillies et les choix que nous avons dû effectuer. Suivront ensuite la <strong>des</strong>cription etl’analyse <strong>des</strong> résultats obtenus.2. Mesurer les effets d’une <strong>formation</strong> : quelle méthodologie ?Pour mener à bien <strong>ce</strong>tte recherche, nous avons été confrontés à un <strong>ce</strong>rtain nombre deproblèmes méthodologiques. Comment définir <strong>des</strong> observables pertinents pour circonscrirenotre objet d’étude ? Devant l’ampleur de la tâche, nous avons sélectionné <strong>des</strong> étapespour le recueil de données privilégiant l’analyse de pratiques observées de <strong>formation</strong> etd’enseignement.Notre étude <strong>des</strong>criptive et compréhensive s’apparente à une étude de cas et porte sur lesuivi de trois enseignants en <strong>formation</strong> initiale. Nous sommes conscients de <strong>ce</strong>rtaines limitesde notre approche. Les stagiaires observés sont volontaires et en <strong>ce</strong> sens, déjà investisdans une réflexion sur leur pratique. On peut en effet penser que les enseignants débutantsles plus en difficultés ne s’avan<strong>ce</strong>nt pas dans une démarche de recherche. De plus, nousne pouvons nous pronon<strong>ce</strong>r que sur un effet immédiat de la <strong>formation</strong>. Nos perspectivespour mesurer les effets d’une <strong>formation</strong> à moyen et long termes sont encore plus sujets àinterrogations méthodologiques. Nous savons également que le fait de lier dans le temps laséan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong> et les séan<strong>ce</strong>s de classe induisaient chez les stagiaires une obligationde rendre compte d’une manière ou d’une autre du contenu de la <strong>formation</strong> vécue.2.1. Les données disponiblesÉTAPE Calendrier ContenuÉTAPE 1 Février 2006ÉTAPE 2 Février 2006Une séan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong> en français sur l’enseignement de la phrase aucycle II avant le départ en stage en responsabilité <strong>des</strong> stagiaires.Trois séan<strong>ce</strong>s de langue sur la notion de phrase menées dans troisclasses de CP par trois stagiaires volontaires.ÉTAPE 3 Juin 2006 Des auto-confrontations aux données filmées.ÉTAPE 4En coursPoursuite du suivi <strong>des</strong> trois professeurs d’école dans leurs premièresannées d’enseignement.Le corpus étudié est constitué <strong>des</strong> enregistrements filmés de la séan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong> (étape1) et <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>s de classe (étapes 2 et 4). Des prises de notes sont menées par leschercheurs lors de l’étape 3. Pour la clarté de notre propos, nous nommerons les enseignantsobservés par leur prénom : Cédric, Caroline et Angélique.2.2. Limitation du corpus d’étudePour notre communication, nous nous limitons à l’exploitation <strong>des</strong> données de l’étape 1 etde l’étape 2. Nous écartons l’étape 4 car le recueil <strong>des</strong> données est en cours. Une <strong>des</strong> troisprofesseurs, Caroline, s’est retirée de la recherche en avouant <strong>ce</strong>s difficultés pendant sespremiers mois de classe.328<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Effets <strong>des</strong> pratiques de <strong>formation</strong> sur les apprentissages <strong>des</strong> professeurs stagiairesPour répondre à notre visée comparative, nous nous sommes <strong>ce</strong>ntrés sur un point particulierde la séan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong> qui s’est avéré être repris par les trois stagiaires observés dansleur classe respective.3. Résultats et analyse <strong>des</strong> donnéesDes liens peuvent être tissés entre la séan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong> et les séan<strong>ce</strong>s de classe observéeset illustrent, de notre point de vue, le phénomène de transposition didactique (Chevallard,1985, 1991) opéré par les stagiaires. Jusqu’où a été poussée la transposition ? A-t-elle étéhomogène selon les trois stagiaires ? A quel niveau s’est opérée la variation ?3.1. La séan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong>La séan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong> de français observée est placée dans un ensemble <strong>des</strong>éan<strong>ce</strong>s préparant les professeurs <strong>des</strong> écoles deuxième année (PE2) à leur stage enresponsabilité en cycle II. Ce travail s’est déroulé à l’<strong>IUFM</strong> de Midi-Pyrénées auprès d’ungroupe de vingt-cinq PE2. La formatri<strong>ce</strong> avait fait le choix de consacrer trois heures surson planning à l’enseignement de la langue au cycle II (et plus précisément l’enseignementde la notion de phrase) après avoir travaillé la question de l’enseignement de la lectureen classe de CP. Elle précise sur sa fiche de préparation qu’elle vise une réflexion sur lesapprentissages en classe de CE1.Cette séan<strong>ce</strong> sur l’enseignement/apprentissage de la phrase au cycle II se découpe enplusieurs phases définies par la formatri<strong>ce</strong> lors de l’introduction de la séan<strong>ce</strong> :Un recueil <strong>des</strong> représentations <strong>des</strong> stagiaires (voir le développement qui suit) ;Une analyse d’une copie de CE1 ;Une analyse de chapitres sur la phrase de manuels de CE1 ;La réalisation d’une fiche-outil pour une classe de CE1.Nous resterons très allusifs sur les détails de chaque phase de la <strong>formation</strong> mais nous nousarrêterons sur le premier temps de la séan<strong>ce</strong> car c’est <strong>ce</strong> moment-là qui sera transposé parles stagiaires dans leur classe. Celui-ci est introduit en <strong>ce</strong>s termes par la formatri<strong>ce</strong> :« Avant de vous proposer une copie d’élève de CE1, je vais vous distribuer uneenquête tout à fait anonyme. Donc je n’évalue pas votre savoir je recueille simplementles représentations qu’est-<strong>ce</strong> pour vous la phrase. Dans une première partie, vousdonnerez la définition de la phrase à votre niveau, on est bien d’accord ? puis vousdirez si oui ou non les énoncés qui suivent sont <strong>des</strong> phrases et nous en discuteronsaprès ».Individuellement et sur feuille, les PE2 donnent une définition de la phrase puis précisent sioui ou non <strong>des</strong> énoncés proposés sont <strong>des</strong> phrases .Par exemple : Les extraits de corpus oraux sont ponctués pour faciliter la compréhension du lecteur. Le travail est inspiré d’une réflexion effectuée à partir <strong>des</strong> travaux de Combettes et al. (1977) dans uneRecherche-Formation (2004-2007) sur l’enseignement de la phrase dans la liaison école / collège menée àl’<strong>IUFM</strong> de Midi-Pyrénées .<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 329


V. PAOLACCI, B. FONDEVILLE1. Que faire ? 2. Moi venirdemain.3. Justement, lespoumons.4. Le chien aboie 5. La voiture queje croyais enpanne.L’exemple 1 soulève le problème <strong>des</strong> phrases nominales sans verbe conjugué. L’exemple2 met en valeur la né<strong>ce</strong>ssité de distinguer la phrase canonique (sujet / verbe conjugué/complément) d’un ensemble de mots qui ne respecte pas la norme mais qui restecompréhensible. L’exemple 3 illustre la né<strong>ce</strong>ssité de construire un contexte pour se pronon<strong>ce</strong>rsur la re<strong>ce</strong>vabilité d’un énoncé. Le critère graphique de la phrase (majuscule /point) estcaractérisé par l’exemple 4. Pour finir, l’item 5 permet de réfléchir sur les énoncés-titres quel’on peut trouver fréquemment dans les copies d’élèves.La formatri<strong>ce</strong> visait par <strong>ce</strong>tte approche plusieurs objectifs : « Faire émerger les représentationsde chacun ; débattre oralement sur les critères pouvant définir la phrase ; définir lesdifférentes approches (syntaxiques, graphiques, sémantiques et mélodiques) pour mener àbien <strong>ce</strong>tte tâche ».La mise en commun animée par la formatri<strong>ce</strong> permet aux stagiaires d’argumenter sur lecon<strong>ce</strong>pt de phrase qui s’avère plus complexe qu’il n’y paraît (Béguelin, 2000), une foisqu’on a dépassé les critères graphiques « majuscule/point » (critère premier donné par lesstagiaires à l’écrit). Très vite, les stagiaires s’interrogent sur le rapport à la norme dansl’enseignement de la grammaire notamment avec l’exemple de la poésie. Les échangesont lieu sur la distinction entre phrase et proposition, sur l’importan<strong>ce</strong> du contexte et dela situation d’énonciation et sur l’insuffisan<strong>ce</strong> <strong>des</strong> définitions de la phrase que l’on peutlire dans les manuels scolaires. La formatri<strong>ce</strong> synthétise la réflexion en insistant sur lesdifférents critères (syntaxique, sémantique, mélodique et énonciatif) qui définissent la phraseet qu’elle note au tableau.Si nous portons notre attention sur l’attitude <strong>des</strong> trois stagiaires au sein du groupe de formés.Caroline intervient assez tôt dans la séan<strong>ce</strong> en participant aux échanges. Cédric et Angéliquesont moins prolixes mais attentifs. Les échanges sont assez équilibrés, un seul stagiairese distingue par ses nombreuses interventions orales mais <strong>ce</strong>lui-ci ne sera pas observédans sa classe. A l’issue de l’observation de <strong>ce</strong>tte séan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong>, même si nous nepouvons pas émettre <strong>des</strong> hypothèses sur les apprentissages <strong>des</strong> stagiaires eux-mêmes,nous pouvons dire que <strong>ce</strong>s enseignants adoptent sans problème la démarche d’observationréfléchie de la langue qui a inspiré la situation mise en œuvre par la formatri<strong>ce</strong>.3.2. Analyse comparative <strong>des</strong> pratiques de classeLe hasard a voulu que les trois PE2 volontaires exer<strong>ce</strong>nt dans <strong>des</strong> classes de CP. On peutentrevoir là une première obligation de transposer le contenu de la <strong>formation</strong>. Ce contenus’adressait explicitement selon la formatri<strong>ce</strong> à la classe de CE1 (la formatri<strong>ce</strong> l’affirme dans lechoix <strong>des</strong> supports portés à l’analyse <strong>des</strong> PE2), niveau au cours duquel les premiers savoirsen langue se structurent autour de différentes notions comme la notion de nombre, de genreou la ponctuation forte (Programmes, 2002, p. 94). En classe de CP, les textes officiels sontimprécis sur l’enseignement / apprentissage de la grammaire mais les matériaux didactiques(Brigaudiot, 2004) invitent les enseignants à s’en tenir avec les élèves à <strong>des</strong> observationsde phénomènes récurrents. Cependant, <strong>ce</strong>tte différen<strong>ce</strong> entre les deux niveaux de classeCP et CE1 en <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne la posture métalinguistique n’avait pas été précisée par la Extraits de la fiche de préparation de la formatri<strong>ce</strong>.330<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Effets <strong>des</strong> pratiques de <strong>formation</strong> sur les apprentissages <strong>des</strong> professeurs stagiairesformatri<strong>ce</strong>. Ce premier point participe aux implicites de la séan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong> et pose laquestion <strong>des</strong> pratiques de référen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> formateurs. Que dévoile une analyse plus fine <strong>des</strong>séan<strong>ce</strong>s de classe ?3.2.1. Tableau synoptique <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>s menéesDans le tableau qui suit, nous mettons en parallèle <strong>ce</strong>rtaines variables <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>s declasse pour mieux approcher les pratiques effectives <strong>des</strong> stagiaires observés.CÉDRIC CAROLINE ANGÉLIQUEDurée 45 minutes 1 heure 30 minutesSéan<strong>ce</strong> précédenteRéalisation d’unefiche-outil sur lareconnaissan<strong>ce</strong> de laphrasePremière séan<strong>ce</strong>d’écriture d’unabécédaireReconnaissan<strong>ce</strong> dedébut et de fin dephrase (majuscule/point)TâchesT 1 : Changer decouleurs chaque foisqu’une phrase estidentifiée dans un texte.T 2 : Dans une sélectionde phrases, entourerles phrases incorrectes.T 1 : Dire à l’oral sadéfinition de la phrase.T 2 : Lire <strong>des</strong> énoncéset souligner lesphrases.T 3 : Le jeu <strong>des</strong>différen<strong>ce</strong>s : identifierles différen<strong>ce</strong>s entre<strong>des</strong> phrases et <strong>des</strong> nonphrases( énoncés avecles mêmes mots)T 1 : Dans un tableauà double entrée, mettreune croix rouge pour les« phrases incorrectes »et vertes pour les« phrases correctes. »T 4 : Lire un texte etdénombrer le nombrede phrases1. 39Modalités proposéesTravaux écritsindividuels puis misesen commun collectiveTravail collectif etanimée à l’oral pendanttoute la séan<strong>ce</strong>Travail écrit en binômeet mise en communoraleObjectifs affichésdans les fichesécrites en termed’apprentissages« Connaître lescaractéristiquessyntaxiques ettypographiques de laphrase. »« Utiliser correctementles marquestypographiques de laphrase. Comprendreles in<strong>formation</strong>s d’unephrase. »« Reconnaîtreles marquestypographiques de laphrase. Comprendreque la phrase est uneentité qui a un sens 40 . »Tableau 1Récapitulatif <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>s menées Les tâches 3 et 4 ne seront pas abordées dans la séan<strong>ce</strong>. Extraits <strong>des</strong> fiches de préparation <strong>des</strong> stagiaires.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 331


V. PAOLACCI, B. FONDEVILLE3.2.2. Les activités inspirées par la <strong>formation</strong> et transposées par les stagiairesPour assurer une meilleure compréhension de notre propos, nous joignons également lessupports écrits donnés aux élèves par les stagiaires et qui, selon nous, sont une transpositionde la phase 1 de la séan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong> vécue au préalable.Activité proposée par Cédric(T 2)Consigne écrite : Parmi les 5phrases suivantes, <strong>ce</strong>rtainessont écrites correctement etd’autres ne le sont pas. Entoureles phrases incorrectes.Pour Lolo, un poème c’estquand on a du ciel dans labouche.le poème met les mots àl’envers.La boulangère connaît unpoème chaud comme dupain !Qui est MammoudMamie avec est arrivéechien son.Activité proposée par Caroline(T 2)Consigne écrite : Souligne lesphrases.Il court.Rachidvaàlaplage.J’aime manger <strong>des</strong> gâteauxau chocolat et à la banane.Bonjour !Elle a vu une énorme.Les savent enfants tempstout le.Activité proposée parAngélique(T 1)Consigne écrite : Mets une croixverte si c’est une phrase. Metsune croix rouge si <strong>ce</strong> n’est pasune phrase.Arthur a un poisson.Son poisson s’appelle Léon.Léon malade est.est Aristophane son canari.Léon s’est endormi.Le poème va les mots àl’envers.Arthur cherche un poème.Il mourir va d’ennui.Tableau 2Les supports écrits donnés aux élèves3.2.3. Des transpositions du contenu de <strong>formation</strong> très différenciéesLes tableaux qui précèdent mettent en valeur <strong>des</strong> points communs mais aussi <strong>des</strong> divergen<strong>ce</strong>sentre les pratiques et <strong>ce</strong>la à différents niveaux. Les trois stagiaires ont repris la tâche vécueen <strong>formation</strong> qui permettait d’argumenter sur la re<strong>ce</strong>vabilité de <strong>ce</strong>rtains énoncés ( « est<strong>ce</strong>que, oui ou non, <strong>ce</strong>s énoncés sont <strong>des</strong> phrases ? »). Les trois enseignants choisissent<strong>des</strong> énoncés tirés de textes lus par les élèves. Cédric ( T 2 du tableau 1) et Caroline ( T 4du tableau 1) ajoutent un texte pour l’activité de dénombrement de phrases ( <strong>ce</strong> qui peutapparaître comme une réponse à l’erreur récurrente chez les élèves de cycle II qui est deconfondre ligne et phrase). Pour <strong>ce</strong>tte tâche de dénombrement, Caroline est la seule às’être inspirée d’exerci<strong>ce</strong>s tirés de manuels et analysés lors de la séan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong> (Lefrançais à la découverte du monde CE1, Hachette Education, pp. 10-11).L’activité de sélection <strong>des</strong> items (voir le tableau 2 ci-<strong>des</strong>sus) permet une analyse fine <strong>des</strong>intentions <strong>des</strong> enseignants. Du contenu de la <strong>formation</strong>, Angélique reprend la disposition entableau double entrée avec un système de croix. Le choix <strong>des</strong> énoncés prouve qu’elle vise,non seulement le critère graphique de la phrase ( majuscule / point) mais aussi le critèresémantique ( avec le problème de l’ordre <strong>des</strong> mots pour les items 4,6 et 8).Cédric va plus loin en amenant les élèves à observer les limites de la phrase (les items 1et 4 n’ont pas de majuscule ou de point final). On note aussi un choix d’items poétiques quiquestionnent le contexte ( voir l’item 1).332<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Effets <strong>des</strong> pratiques de <strong>formation</strong> sur les apprentissages <strong>des</strong> professeurs stagiairesCaroline embrasse plusieurs critères dans sa sélection d’énoncés et nous pouvons voirlà une transposition peu élaborée de <strong>ce</strong> qu’elle a pu vivre en <strong>formation</strong>. Elle aborde à lafois les phrases courtes ( item 1), les phrases avec un mot ( item 4 ), le problème de lasegmentation <strong>des</strong> mots ( item 2) ainsi que le critère sémantique ( item 6 mais aussi l’item 5avec la né<strong>ce</strong>ssité de lire l’énoncé jusqu’au bout).Pour le cas de <strong>ce</strong>tte stagiaire, un autre moment de sa séan<strong>ce</strong> ( con<strong>ce</strong>rnant plus particulièrementle travail sur la définition de la phrase ) illustre, d’après nous, une transposition minimaledu vécu en <strong>formation</strong>. C’est la première tâche de la séan<strong>ce</strong>. La consigne est la suivante :« qu’est-<strong>ce</strong> que c’est pour vous une phrase ? ». L’enseignante recueille sur le tableau lespropositions <strong>des</strong> élèves réagissant à <strong>des</strong> énoncés lus par la maîtresse : « c’est plein demots ; c’est plein de lettres ; ça veut dire quelque chose; <strong>ce</strong> n’est pas une phrase par<strong>ce</strong> qu’ily a peu de mots ». Cette entrée pose problème puisque la notion, objet <strong>ce</strong>ntral de la séan<strong>ce</strong>,est questionnée. La PE2 se réfère à <strong>des</strong> savoirs métalinguistiques que <strong>des</strong> élèves de CPau mois de février de l’année scolaire n’ont pas construits. Ce moment est peu probant etles élèves se perdent dans <strong>des</strong> considérations à plusieurs niveaux. Notons également quele critère le plus visuel et donc le plus ac<strong>ce</strong>ssible aux jeunes enfants, le critère graphiquemajuscule /point, est écarté puisque les énoncés sont lus à haute voix par l’enseignante quiest la seule à voir les items.Au-delà <strong>des</strong> supports proposés aux élèves, d’autres variations entre les pratiques apparaissentnotamment con<strong>ce</strong>rnant les modalités de travail.Cédric privilégie le travail individuel suivi par <strong>des</strong> mises en commun au cours <strong>des</strong>quelleschacun s’exprime. C’est la modalité vécue en <strong>formation</strong>. La tâche 1 menée permet notammentde revoir les limites de la phrase et donc de distinguer implicitement phrase et proposition.Ce qui a posé problème dans <strong>ce</strong> premier temps, a été le choix de faire colorier les phrases ;les enfants de CP ont en effet passé beaucoup de temps et d’énergie à colorier en perdantquelque peu l’objectif du maître. Cédric, lors de l’auto-confrontation, reconnaît <strong>ce</strong>t imprévu.Angélique fait travailler les élèves en binôme avec le problème du partage <strong>des</strong> tâches quin’est pas évidente en classe de CP. La mise en commun s’avère être laborieuse car uneélève formule très rapidement le critère sémantique mais trop tôt dans la séan<strong>ce</strong> selon lastagiaire qui ne retient pas la proposition.Caroline a, de son point de vue ( elle l’affirme lors de l’auto-confrontation avec les donnéesfilmées), « complètement manqué » la séan<strong>ce</strong>. Toutes les activités sont explicitées àl’oral par l’enseignante qui monopolise le temps de parole et ne laisse quasiment pas lesélèves accomplir seuls la tâche. Il en résulte un moment de classe au cours duquel aucunapprentissage effectif n’est construit.Les séan<strong>ce</strong>s menées ont, selon nous, différents statuts dans le pro<strong>ce</strong>ssus d’apprentissage<strong>des</strong> élèves. C’est encore un aspect qui n’avait pas été abordé dans les heures de <strong>formation</strong>.Con<strong>ce</strong>rnant le cas de Cédric, la séan<strong>ce</strong> est une évaluation <strong>des</strong> acquis en cours de séquen<strong>ce</strong>.Aussi, nous nous interrogeons sur la séan<strong>ce</strong> qui a précédé la séan<strong>ce</strong> observée car lespratiques déclaratives de <strong>ce</strong>t enseignant sont assez imprécises. Comment les élèves ontilsconstruits les apprentissages traduits dans la fiche-outil (que nous reproduisons enannexe) ? Angélique affirme un objectif précis pour la séan<strong>ce</strong> observée : après avoir travailléla différen<strong>ce</strong> entre la ligne et la phrase, elle vise le problème de l’ordre <strong>des</strong> mots dans lesénoncés. Pour <strong>ce</strong>s deux stagiaires, les compéten<strong>ce</strong>s visées sont précises et bien ciblées.Ce n’est pas le cas de Caroline qui a tenté une séan<strong>ce</strong> d’ouverture de la séquen<strong>ce</strong> sur lanotion en présen<strong>ce</strong> d’observateurs. Notre expérien<strong>ce</strong> de formateurs nous permet d’affirmer<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 333


V. PAOLACCI, B. FONDEVILLEque rares sont les stagiaires qui se risquent à <strong>ce</strong> genre de situation pendant leur <strong>formation</strong>initiale. Le fait qu’elle n’ait pas réalisé une transposition poussée du contenu de <strong>formation</strong> etqu’elle se soit perdue dans sa gestion de la classe, donne <strong>ce</strong>pendant <strong>ce</strong> sentiment d’échecà sa pratique.Dans tous les cas de figures, la posture de lecteur est favorisée dans les activités travailléespar les enseignants. Le travail sur la copie d’élève que les PE2 avaient pu vivre en <strong>formation</strong>n’a pas été retenu ou transposé. Dans aucune <strong>des</strong> séan<strong>ce</strong>s filmées, les enseignants nefont allusion aux écrits <strong>des</strong> élèves. Seule Caroline dans son introduction fait référen<strong>ce</strong> auprojet d’écriture qui soutend son étude mais <strong>ce</strong>la très rapidement. Nous pouvons encoredire ici que <strong>ce</strong> résultat est une conséquen<strong>ce</strong> <strong>des</strong> implicites de la <strong>formation</strong>. En effet, laformatri<strong>ce</strong> n’insiste pas assez sur le statut de l’analyse de la copie de CE1 dans sa séan<strong>ce</strong>de <strong>formation</strong>.4. Ce qu’a permis <strong>ce</strong>tte étudeÀ l’issue de <strong>ce</strong>tte étude, nous voyons tout l’intérêt de notre approche. Même si le protocolereste très empirique, notre recherche permet de porter un regard réflexif sur la <strong>formation</strong>.Nous avons vu que les pratiques de classe <strong>des</strong> stagiaires traduisent <strong>des</strong> ambiguïtésportées par les implicites du discours de <strong>formation</strong>. De façon assez différenciée, les troisenseignants observés s’emparent d’une étape de la situation de <strong>formation</strong> comme d’uncontenu transposable pour un public d’élèves de CP. Nous mesurons ainsi les écarts entreles objectifs visés par la séan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong> et <strong>ce</strong> que les professeurs en retiennent dansleur pratique.Le cas de Caroline est assez significatif. Elle est restée à un niveau assez général de la notionétudiée et le problème de gestion de la classe qu’elle a rencontré n’a fait qu’ac<strong>ce</strong>ntuer lesdifficultés à construire de réels apprentissages. Voulant embrasser les nombreux paramètresmis en exergue par la formatri<strong>ce</strong> au cours de la séan<strong>ce</strong> de <strong>formation</strong>, elle a multiplié lesentrées sans être au clair sur les savoirs à construire. Certains stagiaires comme Caroline,attachés à <strong>des</strong> savoirs scolaires trop ancrés pour être mis à plat en trois heures, sont tropdéstabilisés pour être capables de transposer les savoirs en jeu.Si l’on se pla<strong>ce</strong> du côté du formateur, il est également important de mesurer que lesstagiaires, avant d’accéder à un niveau de classe donné, n’ont qu’une représentation floue<strong>des</strong> capacités réelles <strong>des</strong> élèves. Cela est d’autant plus significatif pour le cycle II qui estcaractérisé par <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s d’élèves hétérogènes, la difficulté pour un enseignantentrant dans le métier étant de prendre en compte <strong>ce</strong>tte diversité.De plus, le cas de Caroline questionne à un niveau plus large <strong>ce</strong> que nous pourrions appeler« les incontournables » de la <strong>formation</strong>. Avec le recueil <strong>des</strong> représentations <strong>des</strong> élèves àl’incipit de sa séan<strong>ce</strong>, nous avons la caricature d’une démarche coutumière dans les institutsde <strong>formation</strong>. Ici, la notion n’a pas été construite en amont, <strong>ce</strong> qui invalide <strong>ce</strong>tte approchepuisque les élèves n’ont aucune représentation sur la question.Que peut-on dire <strong>des</strong> apprentissages <strong>des</strong> stagiaires ? Il y a <strong>ce</strong>ux qui font le travail detransposition attendu et <strong>ce</strong>ux qui n’ont pas le temps ni la distan<strong>ce</strong> pour s’approprier lanotion à faire travailler aux élèves pour mieux la transmettre. Comme dans une classe,les apprentissages sont très hétérogènes. Ajoutons que l’urgen<strong>ce</strong> du départ en stage enresponsabilité perturbe les stagiaires. Ces aléas de calendrier ne sont pas mineurs. Nousrevenons ainsi aux questionnements posés aux formateurs par Goigoux, dans sa conféren<strong>ce</strong>334<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Effets <strong>des</strong> pratiques de <strong>formation</strong> sur les apprentissages <strong>des</strong> professeurs stagiairesd’ouverture au colloque de Versailles (à paraître) : « Que doit faire le formateur ? Doit-ilexer<strong>ce</strong>r les PE2 à l’analyse <strong>des</strong> activités <strong>des</strong> élèves ? Doit-il les aider à choisir, réguler etcon<strong>ce</strong>voir <strong>des</strong> tâches d’enseignement ? Ou simplement les accompagner ? ». Le formateura sans doute une tâche multiple et doit jouer sur plusieurs tableaux pour garantir lesapprentissages <strong>des</strong> enseignants en <strong>formation</strong> initiale.5. BibliographieActes du colloque de Versailles (à paraître), Formation d’enseignants : quels scénarios ?Quelles évaluations ? 16-17 mars 2006.ALTET M. (1994) La <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>des</strong> enseignants. Paris, PUF.BEGUELIN M.-J. (2000) De la phrase aux énoncés. Grammaire scolaire et <strong>des</strong>criptionslinguistiques. Bruxelles, de Boeck Duculot.BRIGAUDIOT M. (2004) Première maîtrise de l’écrit – CP, CE1 et secteur spécialisé. Paris,Hachette.COMBETTES B., FRESSON J. et TOMASSONE R. (1977) Bâtir une grammaire, classe <strong>des</strong>ixième. Paris, Delagrave.CHEVALLARD Y. (1985, 1991) La transposition didactique – Du savoir savant au savoirenseigné. Grenoble, La Pensée Sauvage.PAOLACCI V., GARCIA-DEBANC C. (2005) « Comment former à l’enseignement de laponctuation. Analyse de pratiques effectives de <strong>formation</strong> initiale » - Pratiques 125-126, pp.85-114.PAOLACCI V. (2005) Didactique de la ponctuation en production écrite dans la liaison école/collège. Thèse de doctorat dirigée par C. Garcia-Debanc, Université Toulouse II.PAOLACCI V. (à paraître) « Enseignement de la ponctuation au cycle 3 par un professeur<strong>des</strong> écoles stagiaire : étude de cas dans une classe de CM2 » in M.-F. Carnus, C. Garcia-Debanc et A. Terrisse (Eds.) Analyses de pratiques <strong>des</strong> enseignants débutants : approchedidactique. La Pensée Sauvage.Programmes de l’école élémentaire 2002. Paris, CNDP.AnnexesAnnexe 1 :La fiche-outil élaborée par Cédric et sa classe de CPUNE PHRASE– ça commen<strong>ce</strong> par une majuscule.– ça termine par un point . ! ? …– ça veut dire quelque chose.– ATTENTION : Les noms propres ont aussi <strong>des</strong> majuscules.La virgule et les deux points ne terminent pas une phrase.<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 335


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Référentiels théoriques d’évaluation <strong>des</strong> programmes :rapports à la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong><strong>des</strong> enseignantsNicole LebrunJuan M. WoodUniversité du Québec à Montréal (Canada)La dernière dé<strong>ce</strong>nnie a été témoin de changements importants dans les programmes de<strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres au Québec. Ces changements obéissaient en partie à <strong>des</strong> réflexionsapprofondies sur les tâches et les rôles accomplis par l’enseignant. Aussi, trois élémentsmajeurs sont à l’origine du renouveau <strong>des</strong> programmes <strong>universitaire</strong>s de <strong>formation</strong> àl’enseignement, à savoir : la pratique réflexive, la <strong>formation</strong> en partenariat école-milieuet l’approche par compéten<strong>ce</strong>s. La mise en application <strong>des</strong> nouveaux programmes de<strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres axés sur le développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s <strong>professionnelle</strong>sexige de revoir <strong>ce</strong>rtaines con<strong>ce</strong>ptions de l’évaluation de programmes et la nature même<strong>des</strong> dispositifs d’évaluation s’y rapportant. Aussi, importe-t-il d’examiner les nouvellesapproches d’évaluation, leur nature et leurs fonctions, afin de développer un dispositif etune instrumentation qui permettent de recueillir de façon précise l’in<strong>formation</strong> né<strong>ce</strong>ssaire àl’évaluation <strong>des</strong> programmes de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres. Après avoir fait ressortir la distinctionentre différentes con<strong>ce</strong>ptions de l’évaluation de programmes, leurs assisses théoriques etleur évolution, nous aborderons différentes questions reliées à l’évaluation de programmespour en dégager quelques implications associées à l’élaboration de dispositifs mieux adaptésà l’évaluation de programmes <strong>universitaire</strong>s de <strong>formation</strong> à l’enseignement.Les programmes de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtresLa refonte <strong>des</strong> programmes de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres au Québec, axée sur le développement<strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s, comporte <strong>des</strong> changements importants, notamment en <strong>ce</strong> qui con<strong>ce</strong>rne lesapproches pédagogiques utilisées pour la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> futurs enseignants, le renouvellement<strong>des</strong> pratiques de <strong>formation</strong>, la participation accrue du milieu dans la <strong>formation</strong> pratique ainsique le temps alloué aux stages de <strong>formation</strong>. Cependant, malgré les approches innovatri<strong>ce</strong>sproposées par la refonte <strong>des</strong> programmes, for<strong>ce</strong> est de constater que les dispositifsd’évaluation de programmes utilisent <strong>des</strong> devis plutôt traditionnels qui ne permettent pas deconnaître les apports <strong>des</strong> changements expérimentés (Wood, Lebrun, 2006). Ces devis, selonGuba (1989), ne donnent pas la possibilité d’apprécier pleinement les mérites et la valeur<strong>des</strong> pro<strong>ce</strong>ssus utilisés dans le programme évalué ; ils apportent plutôt <strong>des</strong> in<strong>formation</strong>s surles mérites <strong>des</strong> enseignements dispensés, l’acquisition <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> étudiants ouencore <strong>des</strong> données statistiques d’un intérêt plus administratif qu’académique.Les approches en évaluation de programmes de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres obéissent ainsià <strong>des</strong> exigen<strong>ce</strong>s d’évaluation de nature sommative, principalement axées sur l’obtention<strong>des</strong> donnés visant l’efficacité (atteinte d’objectifs), l’efficien<strong>ce</strong> (économie de la gestionadministrative) et le coût de la <strong>formation</strong>. Ainsi, les résultats <strong>des</strong> évaluations ne rendent pasjusti<strong>ce</strong> au pro<strong>ce</strong>ssus de <strong>formation</strong> relativement aux méthodologies sélectionnées et auxmodalités de la <strong>formation</strong> pratique, deux composantes essentielles du modèle du maître<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 337Qu’est-<strong>ce</strong> qu’une <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants ? – 2009 (337-344) Tome 2


J.M. WOOD, N. LEBRUNprofessionnel préconisé par la réforme <strong>des</strong> programmes au Québec. Cette situation est fortpréoccupante si l’on tient compte du fait que les résultats <strong>des</strong> évaluations de programmesont un impact majeur sur les décisions relatives à l’évolution <strong>des</strong> programmes de <strong>formation</strong><strong>des</strong> maîtres.Notion d’évaluationÀ <strong>ce</strong> stade-ci, il est important de rappeler deux con<strong>ce</strong>ptions importantes dans le domainede l’évaluation en général et de l’évaluation de programmes en particulier. La première,prônée par Tyler (1950), définit l’évaluation comme un pro<strong>ce</strong>ssus qui permet de déterminerle degré d’atteinte <strong>des</strong> objectifs éducatifs d’un programme, con<strong>ce</strong>ption qui constitue labase <strong>des</strong> évaluations <strong>ce</strong>ntrées sur l’efficacité du programme. La deuxième, défendue parStufflebeam et al., (1971) et Alquin (1969), caractérise l’évaluation comme la productiond’in<strong>formation</strong>s né<strong>ce</strong>ssaires au pro<strong>ce</strong>ssus de prise de décisions sur un programme donné.À partir <strong>des</strong> années quatre-vingt, un consensus a semblé se <strong>des</strong>siner entre les théoriciensafin de définir la spécificité de l’évaluation de programmes comme l’appréciation du mériteet de la valeur d’un programme de <strong>formation</strong> (Joint Committee, 1994 ; Scriven, 1991). Unephase appréciative conduisant à l’émission d’un jugement sur le programme évalué venaitainsi s’ajouter à la fonction jusqu’ici <strong>des</strong>criptive (efficacité et efficien<strong>ce</strong>) du programme.Par ailleurs, Nevo (1995, p. 11), respectant les orientations de Stake (1967) et de Gubaet Lincoln (1981), décrit l’évaluation comme « an act of collecting systematic in<strong>formation</strong>regarding the nature and the quality of educational objects » . Notions de « <strong>des</strong>cription »et de « jugement » sont ainsi réunies dans une même définition ; la première, réaliséesur la base de la collecte systématique <strong>des</strong> données, permet d’apporter <strong>des</strong> in<strong>formation</strong>sobjectives tandis que la deuxième, construite sur la base d’un jugement orienté sur la qualitéd’un programme, est influencé par <strong>des</strong> valeurs et <strong>des</strong> normes sociales ainsi que par lespréféren<strong>ce</strong>s individuelles <strong>des</strong> acteurs impliqués dans le programme proprement dit.Principales orientations dans le domaine de l’évaluation de programmesTel que présenté dans les travaux d’Alkin (2004), un <strong>ce</strong>rtain nombre d’auteurs soutiennentque la fonction la plus importante dans le domaine de l’évaluation de programmes est deguider la pratique de l’évaluation. Cependant, lorsqu’il s’agit de déterminer de façon plusprécise le rôle <strong>des</strong> diverses assises théoriques, l’unanimité n’est plus au rendez-vous (Mark,Henry et Julnes, 2000). À <strong>ce</strong> premier constat, s’ajoute la grande disparité <strong>des</strong> référentielsthéoriques qui existent dans <strong>ce</strong> domaine, leur sous-utilisation ainsi que le peu d’influen<strong>ce</strong>qu’ils exer<strong>ce</strong>nt en général sur les évaluations de programmes. (Christie, 2003)Néanmoins, quelques approches développées entre autres, par Patton (1997) et Chen(1990, 2005), permettent un <strong>ce</strong>rtain arrimage entre la théorie et la pratique en énonçant <strong>des</strong>modalités évaluatives plus ac<strong>ce</strong>ssibles. Selon <strong>ce</strong>s auteurs, les besoins exprimés par lesparties con<strong>ce</strong>rnées par l’évaluation de programmes constituent non seulement le point dedépart de toute évaluation mais également le point d’ancrage de tout référentiel qui désireétablir un pont entre les méthodologies utilisées et les assisses théoriques.Comme le souligne Chen (2005), les étapes d’évaluation commen<strong>ce</strong>nt dès le début, parl’évaluation de la phase de con<strong>ce</strong>ption du programme, se poursuivent par l’évaluation de sa « Le fait de recueillir <strong>des</strong> in<strong>formation</strong>s con<strong>ce</strong>rnant la nature et la qualité d’objets éducatifs ».338<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Référentiels théoriques d’évaluation <strong>des</strong> programmes : rapports à la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignantsmise en application et se terminent par l’évaluation <strong>des</strong> résultats obtenus par le programme.De plus, les travaux de Chen (2006) ont démontré que les dispositifs d’évaluation doivent êtretributaires de l’étape d’implantation à laquelle est parvenu un programme. En accord avecles résultats précédents, le choix <strong>des</strong> objectifs et de la méthodologie dans l’élaboration d’undispositif d’évaluation devrait être, selon Mark et al., (2000), le résultat d’une appréciation de<strong>ce</strong>s derniers dans la mise en relief de la contribution sociale du programme lui-même.Considérations dans la perspective de l’évaluation <strong>des</strong> programmesde <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtresLes programmes de <strong>formation</strong> de maîtres ne semblent pas s’être dotés jusqu’ici de dispositifsqui tiennent compte <strong>des</strong> changements importants survenus dans le domaine de l’évaluationà savoir, les fonctions (finalités) de l’évaluation, les devis méthodologiques ainsi que lesformes de participation <strong>des</strong> différents acteurs à l’ensemble du pro<strong>ce</strong>ssus évaluatif. Aussi, cinqfonctions retiennent plus particulièrement notre attention dans une perspective d’évaluationde programmes de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres, à savoir : la prise de décisions, l’amélioration duprogramme, la reddition <strong>des</strong> comptes, la professionnalisation et la <strong>ce</strong>rtification.La prise de décisions. Les travaux de Weiss (2004) ont permis de mettre en lumière unemeilleure compréhension <strong>des</strong> stratégies que les organisations institutionnelles utilisent dansle pro<strong>ce</strong>ssus de prise de décisions et la façon dont <strong>ce</strong> pro<strong>ce</strong>ssus est influencé par les résultatsde l’évaluation. Il est démontré qu’un dispositif d’évaluation <strong>ce</strong>ntré sur les stratégies d’aide àla prise de décisions présente <strong>des</strong> caractéristiques fort différentes du dispositif d’évaluationaxé sur l’efficacité, l’efficien<strong>ce</strong> ou l’impact d’un programme. Par ailleurs, les résultats del’évaluation peuvent être utiles à l’étape de prise de décisions auxquelles sont confrontées lesparties con<strong>ce</strong>rnées dans un programme. Aussi, dans <strong>ce</strong> contexte, l’évaluation doit apporter<strong>des</strong> in<strong>formation</strong>s qui assurent une meilleure compréhension <strong>des</strong> questions, <strong>des</strong> problèmeset <strong>des</strong> préoccupations <strong>des</strong> diverses parties con<strong>ce</strong>rnées ; <strong>ce</strong> qui permet de considérer entreautres <strong>des</strong> alternatives possibles pour les prises de décisions ultérieures.L’amélioration. Les étu<strong>des</strong> de Campbell (in Shadish et al., 1995) ont souligné l’importan<strong>ce</strong>d’analyser les effets potentiels d’un programme avant même son implantation. L’évaluationd’un <strong>ce</strong>rtain nombre de facteurs dans la phase d’implantation expérimentale d’un programmepermet d’acquérir <strong>des</strong> connaissan<strong>ce</strong>s sur le développement futur du programme. Ainsi,l’analyse <strong>des</strong> effets potentiels d’un programme procure à l’évaluateur <strong>des</strong> in<strong>formation</strong>ssur les modifications né<strong>ce</strong>ssaires avant que l’implantation du programme ne soit réalisée.Pour mener à bien <strong>ce</strong>tte évaluation préalable, Campbell (in Shadish et al., 1995) suggèrel’utilisation de devis expérimentaux et quasi-expérimentaux afin d’obtenir <strong>des</strong> donnéessur un <strong>ce</strong>rtain nombre d’effets attendus comme résultats de l’application du programme.La possibilité d’examiner les effets potentiels <strong>des</strong> modifications à apporter dans unprogramme est considérée comme un apport précieux au succès de l’intégration mêmede <strong>ce</strong>s changements Aussi, le dispositif d’évaluation doit permettre la <strong>des</strong>cription ainsique l’appréciation par les parties con<strong>ce</strong>rnées sur les éléments suivants de la <strong>formation</strong> :les apprentissages réalisés par les futurs enseignants, l’enseignement dispensé par lesformateurs, les moyens didactiques, les instruments d’évaluation <strong>des</strong> apprentissages, la<strong>formation</strong> pratiques etc.Reddition <strong>des</strong> comptes. Les recherches de Wholey (2003) ont mis en éviden<strong>ce</strong> le rôle principalde l’évaluation comme le développement de dispositifs permettant de mieux mesurer laperforman<strong>ce</strong> d’un programme. Les résultats obtenus permettent d’accompagner d’une<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 339


J.M. WOOD, N. LEBRUNpart, les décideurs dans la prise de décisions et d’identifier d’autre part, <strong>des</strong> problèmes quipourraient affecter la performan<strong>ce</strong> du programme. L’identification de <strong>ce</strong>s problèmes permetainsi une rétroaction rapide sur les conséquen<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> décisions prises par les partiescon<strong>ce</strong>rnées. Les institutions <strong>universitaire</strong>s doivent développer <strong>des</strong> critères pour évaluer<strong>ce</strong>tte dernière fonction dans le cadre <strong>des</strong> programmes de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres.La professionnalisation. La fonction de l’évaluation dans la professionnalisation <strong>des</strong>enseignants consiste principalement à développer les ressour<strong>ce</strong>s né<strong>ce</strong>ssaires de façon àpermettre aux formateurs de s’impliquer davantage dans l’évaluation de la <strong>formation</strong> etd’adopter, s’il y a lieu, <strong>des</strong> pratiques d’autoévaluation. Ceci est avancé par Patton (1996)qui, à l’égard de Stake (2004), est un défenseur farouche de la participation <strong>des</strong> partiescon<strong>ce</strong>rnées dans le pro<strong>ce</strong>ssus d’évaluation de programmes et de l’utilisation <strong>des</strong> résultats.La prise en compte <strong>des</strong> recommandations provenant entre autres <strong>des</strong> formateurs eux-mêmesdans la planification du dispositif d’évaluation est ainsi considérée comme fondamentale.(Patton, (1996)La <strong>ce</strong>rtification. La fonction de <strong>ce</strong>rtification dans les programmes <strong>universitaire</strong>s de <strong>formation</strong><strong>des</strong> maîtres est réalisée généralement par <strong>des</strong> organismes externes. Celle-ci doit êtrereconsidérée afin d’explorer <strong>des</strong> modalités qui permettant aux institutions de <strong>formation</strong> <strong>des</strong>maîtres de devenir <strong>des</strong> partenaires à part égale dans l’accréditation de la <strong>formation</strong>.Domaines de la pratique de l’évaluation <strong>des</strong> programmesde <strong>formation</strong> <strong>des</strong> enseignantsFor<strong>ce</strong> est de constater que les besoins en évaluation de programmes de <strong>formation</strong> <strong>des</strong>maîtres sont fort particuliers en raison de la nature et du rôle de ses composantes telles quela <strong>formation</strong> disciplinaire, la <strong>formation</strong> pratique, le type d’apprentissages visés, les projetspédagogiques, le matériel didactique, le corps professoral, etc. Considérées globalementdans les évaluations dites traditionnelles, <strong>ce</strong>s différentes composantes doivent être l’objet, aucontraire, d’une attention toute particulière dans la construction de dispositifs d’évaluation.En effet, l’évaluation de programmes de <strong>formation</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants qui s’effectuegénéralement après deux à trois ans de leur mise en application se fait principalementen fonction de critères et d’indicateurs imposés de l’extérieur. Ceci signifie que les partiesimpliquées directement dans la réforme tels que les formateurs et les futurs enseignantsne sont pas ou peu impliqués dans la planification du dispositif d’évaluation. Pourtant, leurparticipation est requise aux différentes étapes de l’évaluation afin d’apporter <strong>des</strong> in<strong>formation</strong>spertinentes aux évaluateurs qui doivent émettre <strong>des</strong> appréciations et <strong>des</strong> jugements sur la<strong>formation</strong>.Il semble évident que la représentation <strong>des</strong> différentes parties con<strong>ce</strong>rnées par la <strong>formation</strong>constitue un <strong>des</strong> éléments incontournables dans le pro<strong>ce</strong>ssus d’évaluation mis en pla<strong>ce</strong> et<strong>ce</strong>la, afin de connaître les diverses interprétations contextuelles données par les participantsfa<strong>ce</strong> aux changements et aux modifications éventuellement apportés au programme. Deprime abord, il est important que <strong>ce</strong>s appréciations soient réalisées aux différentes étapesde l’élaboration d’un programme, dès le départ de sa con<strong>ce</strong>ption jusqu’à l’étape finale. Eneffet, Bélanger et al., (2002) soulignent que le milieu doit être en mesure de légitimer lesdémarches évaluatives afin de garantir <strong>des</strong> dispositifs qui répondent véritablement auxbesoins <strong>des</strong> parties impliquées et ne relèvent pas simplement de l’application de gui<strong>des</strong>protocolaires imposés par les autorités en pla<strong>ce</strong>. De plus, comme le souligne Donalson (2003),340<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


Référentiels théoriques d’évaluation <strong>des</strong> programmes : rapports à la <strong>formation</strong> <strong>professionnelle</strong> <strong>universitaire</strong> <strong>des</strong> enseignants<strong>ce</strong>s démarches devraient être ancrées dans un référentiel et un pro<strong>ce</strong>ssus d’évaluation quitiennent compte davantage <strong>des</strong> assisses théoriques et <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> dans le domaine.Aussi, l’évaluation participative <strong>des</strong> programmes pla<strong>ce</strong> non seulement les principauxacteurs au cœur du pro<strong>ce</strong>ssus d’évaluation mais les dispositifs mis en pla<strong>ce</strong> font davantageappel à la créativité <strong>des</strong> parties con<strong>ce</strong>rnées plutôt qu’à une simple réaction de leur part(Senge, 1990). Dans <strong>ce</strong> dispositif d’évaluation, les questions posées doivent conduire àla formulation de réflexions sur la <strong>formation</strong> dispensée. Les changements préconisés parles recommandations de l’évaluation de programmes sont ainsi appuyés par les partiescon<strong>ce</strong>rnées et facilitent conséquemment l’implantation de <strong>ce</strong>s dits changements. À titred’exemple, nous présentons deux composantes-clés dans l’évaluation de programmes de<strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtres afin d’illustrer comment la con<strong>ce</strong>ption et la valeur données à unecomposante du programme peut influen<strong>ce</strong>r le dispositif d’évaluation dans sa globalité.L’évaluation <strong>des</strong> étudiants. La distinction apportée par Nevo (1995) relativement à la fonctiond’évaluation <strong>des</strong> étudiants dans un dispositif d’évaluation est fort intéressante. Ce dernierpropose de faire une distinction entre les fonctions primaires et secondaires de l’évaluation<strong>des</strong> étudiants. Les fonctions primaires de l’évaluation <strong>des</strong> étudiants sont <strong>ce</strong>lles qui apportent<strong>des</strong> in<strong>formation</strong>s relativement à l’amélioration <strong>des</strong> apprentissages et à la <strong>ce</strong>rtification <strong>des</strong>acquis. Les fonctions secondaires de l’évaluation <strong>des</strong> étudiants sont <strong>ce</strong>lles où l’étudiantne constitue pas directement l’objet d’évaluation. Cet objet peut être soit le formateur, soitl’institution ou toute autre composante de la <strong>formation</strong>. À partir <strong>des</strong> distinctions faites parNevo (1995), il est souhaitable qu’un dispositif d’évaluation de programmes de <strong>formation</strong> àl’enseignement vise trois fonctions primaires relatives à l’évaluation <strong>des</strong> étudiants, soit lediagnostic, l’amélioration, et la <strong>ce</strong>rtification et trois fonctions secondaires, soit la reddition<strong>des</strong> comptes, la motivation et la discipline.Développement professionnel. Le but de <strong>ce</strong>tte composante vise principalement, selon Nevo(1994), le développement <strong>des</strong> compéten<strong>ce</strong>s <strong>des</strong> futurs enseignants et la reconnaissan<strong>ce</strong><strong>professionnelle</strong>. À <strong>ce</strong> sujet, la reddition <strong>des</strong> comptes représente souvent la fonction dominantedans les dispositifs d’évaluation, perspective qui repose sur une con<strong>ce</strong>ption bureaucratique del’enseignement. En effet, elle présente l’enseignement comme un pro<strong>ce</strong>ssus où les objectifs,le curriculum, et les métho<strong>des</strong> d’enseignement sont déterminés par <strong>des</strong> administrateurset/ou <strong>des</strong> experts et où, par conséquent, la responsabilité de l’enseignant est liée àl’application d’un curriculum prédéterminé. Campbell (2004) souligne que l’évaluation quia pour but le développement professionnel considère, au contraire, l’enseignement commeun pro<strong>ce</strong>ssus complexe qui exige l’identification <strong>des</strong> besoins, l’établissement <strong>des</strong> buts, lechoix <strong>des</strong> stratégies, etc., et utilise conséquemment une approche plutôt formative et autoévaluative.Dans une perspective d’évaluation participative <strong>des</strong> programmes, <strong>des</strong> approches alternativestelles que l’« évaluation responsabilisante » (Fetterman, 1996, 2005), l’« évaluationsystématique » (Boyd et al., 2005), ou encore le « modèle logique de l’évaluation » (Rogerset al., 2000) permettent d’évaluer les futurs enseignants dans la pratique et d’apprécier leurperforman<strong>ce</strong> dans un pro<strong>ce</strong>ssus de résolution de problèmes. De même, le « pilotage durendement » (Lu<strong>ce</strong> et Thompson, 2005), la « recherche-action » (Reason et Bradbury, 2001),l’« enquête évaluative » (Preskill et Torres, 1999) ou encore l’« enquête d’appréciation »(Preskill et Coghlan, 2003) constituent <strong>des</strong> choix d’ordre méthodologique appropriéespour recueillir les in<strong>formation</strong>s et les données. Comme instrument d’évaluation, <strong>ce</strong>rtainsprivilégient le portfolio d’une part, en raison de l’importan<strong>ce</strong> qu’il accorde à la participation del’étudiant dans le pro<strong>ce</strong>ssus d’évaluation et à l’interaction entre les étudiants/superviseurs et<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 341


J.M. WOOD, N. LEBRUNd’autre part, par<strong>ce</strong> qu’il permet l’appréciation <strong>des</strong> approches et de pratiques pédagogiquesaxées sur l’apprentissage actif.ConclusionDans <strong>ce</strong>t article, nous avons présenté de façon sommaire quelques développements dansle domaine de l’évaluation qui peuvent s’avérer utiles dans l’élaboration de dispositifsd’évaluation plus conformes aux besoins actuels en évaluation de programmes de <strong>formation</strong><strong>des</strong> maîtres. Un <strong>des</strong> défis majeurs devant lesquels sont placés les programmes <strong>universitaire</strong>sde <strong>formation</strong> à l’enseignement con<strong>ce</strong>rne la mise en œuvre de dispositifs d’évaluation deprogrammes non seulement vali<strong>des</strong>, fiables et réalisables mais qui tiennent compte <strong>des</strong>principaux acteurs con<strong>ce</strong>rnés et <strong>ce</strong>la, à toutes les étapes du pro<strong>ce</strong>ssus d’évaluation. Dans<strong>ce</strong>tte perspective, une approche axée sur l’évaluation participative qui implique une nouvelleorientation dans la façon de con<strong>ce</strong>voir l’évaluation de programmes de <strong>formation</strong> <strong>des</strong> maîtresreprésente une <strong>des</strong> voies les plus prometteuses. Toutefois, elle implique la révision <strong>des</strong>pratiques actuelles, tant au niveau <strong>des</strong> finalités et <strong>des</strong> fonctions de l’évaluation qu’au niveau<strong>des</strong> devis méthodologiques utilisés afin de permettre l’appréciation et l’amélioration <strong>des</strong>différentes composantes de la <strong>formation</strong> <strong>des</strong> futurs enseignants. Aussi, importe-t-il de revoirl’ensemble de <strong>ce</strong>s pratiques car les résultats <strong>des</strong> évaluations de programmes ont un impactmajeur sur les décisions relatives à l’évolution <strong>des</strong> programmes <strong>universitaire</strong>s de <strong>formation</strong>à l’enseignement.BibliographieALKIN M. et CHRISTIE C. A. (2004) « An evaluation theory tree » - in M. C ALKIN (éd.),Evaluations Roots : Tracing theorists’views and influen<strong>ce</strong>s pp. 12-67. Thousands Oaks,Sage.ALQUIN M. (1969) « Evaluation theory developpement » - Evaluation Comments n° 2, pp.2-7.BÉLANGER P., GOSSELIN L. et UMBRIACO M. (2002) « Les coûts de la non évaluation <strong>des</strong>politiques de l’éducation au Québec » - Revue Canadienne d’Évaluation de Programmesvol.17, n° 1, pp. 1-23.BOYD A., GEERLIONG T., GREGORY W. et KAGAN C. (2005) « Systemic Evaluation »- Journal of the Operational Society, pp. 56-7.CAMPBELL J., KYRIAKIDES L., MUJIS D. et ROBINSON W. (2004) Assessing TeacherEffectiveness. London, Routledge Falmer.CHEN H.-T. (2005) Practical Evaluation Program. Thousands Oaks, Sage Publications.CHRISTIE C. (2003) « What Gui<strong>des</strong> Evaluation ? A study of how evaluation practi<strong>ce</strong> mapsonto evaluation theory » - New Directions for Evaluation n° 97, pp. 7-36.DONALDSON S. (2003) « Theory-driven program evaluation in the new millenium » in S.Donaldson, M. Scriven (éd.) Evaluating social program sand problems pp. 109-141. Mahwah,Lawen<strong>ce</strong> Erlbaum.342<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais


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<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de CalaisVilleneuve d’AscqFévrier 2009<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais 345


Institut Universitaire de Formation <strong>des</strong> MaîtresArras37, rue du TempleBP 3092762022 Arras CedexTél. : 03 21 21 85 00Fax : 03 21 21 85 01Outreau10, rue Hippolyte AdamBP 47 - 62230 OutreauTél. : 03 21 31 36 61Fax : 03 21 80 92 74OUTREAUDouai161, rue d’EsquerchinBP 8082759508 Douai CedexTél. : 03 27 93 51 00Fax : 03 27 93 51 49ValenciennesCampus <strong>universitaire</strong> duMont Houy BP 9035759304 Famars CedexTél. : 03 27 28 87 37Fax : 03 27 28 87 38GRAVELINESPAS-DE-CALAISDirection générale de l'<strong>IUFM</strong>Sites de <strong>formation</strong> de l’<strong>IUFM</strong>ARRASServi<strong>ce</strong>s <strong>ce</strong>ntraux de l’Université d’ArtoisGravelines40, rue Victor HugoRésiden<strong>ce</strong> <strong>des</strong> DunesBP 12959820 GravelinesTél. : 03 28 51 94 40Fax : 03 28 51 94 41Villeneuve d’Ascq365, rue Jules Guesde59658 Villeneuve d’AscqCedexTél. 03 20 79 74 51Fax : 03 20 79 74 52LILLEDOUAIVILLENEUVE D'ASCQNORDLilleRue de LondresBP 87 - 59006 LilleCedexTél. : 03 20 10 54 00Fax : 03 20 10 54 01VALENCIENNESInstitut Universitaire de Formation <strong>des</strong> Maîtres Nord-Pas de CalaisDirection365 bis rue Jules Guesde - BP 5045859658 Villeneuve d’Ascq CedexTél. : 03 20 79 86 00 - Fax : 03 20 79 86 01www.lille.iufm.fr346<strong>IUFM</strong> Nord-Pas de Calais

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