LES DÉPARTEMENTS ET LA SOLIDARITÉ NATIONALE FACE AU DÉFI DE LA SIMPLIFICATION DES NORMES. À PROPOS DU RAPPORT DOLIGÉen 2010). C’est ce que l’on appelle lefameux « effet de ciseau », régulièrementmis en lumière par les différentsacteurs <strong>des</strong> politiques publiques (par ex.le rapport de Pierre Jamet au Premier Ministreen avril 2010, v. Pelcran A., Le rapportJamet sur les fi nances départementales, JCPA 2010, n° 353 et Noguellou R., Remise duRapport Jamet au Premier Ministre, Dr adm.2010, n° 37).Ce contexte fi nancier conduit l’auteurdu rapport à isoler le problème <strong>des</strong> politiquessociales et médico-sociales <strong>aux</strong>quellesil consacre près d’une trentainede propositions. Celles-ci se subdivisenten cinq catégories : les <strong>normes</strong> coûteuses,celles contraignantes qui pourraient êtreassouplies, celles dont la modificationou la publication sont très attendues,celles qui doivent être précisées et enfincelles qui ne répondent pas <strong>aux</strong> besoins<strong>des</strong> collectivités locales. Afin de faciliterleur compréhension, on optera ici pourune classification différente en isolant lerevenu de solidarité active (II) <strong>des</strong> autresrecommandations (III).I – DU MORATOIRE SUR LESNORMES AU RAPPORT DOLIGÉÀ l’issue de la conférence <strong>des</strong> déficitsorganisée le 20 mai, le Président de la Républiqueavait annoncé que « les <strong>normes</strong>réglementaires imposées <strong>aux</strong> collectivitéslocales, génératrices de surcoûts, seraientdavantage encadrées : un moratoire seraappliqué immédiatement sur les <strong>normes</strong>réglementaires concernant les collectivitéslocales, en dehors d’éventuelles <strong>normes</strong>internationales d’application obligatoire». Il avait aussi avancé que le rôlede la CCEN serait renforcé et qu’elle« pourrait en outre s’engager dans l’expertisedu coût de <strong>normes</strong> existantes,dans le cadre d’une révision générale<strong>des</strong> <strong>normes</strong> » (A). Les parlementaires,de leur côté, poursuivirent les trav<strong>aux</strong>existants en la matière (B).A.– Le moratoire préciséUne circulaire signée le 6 juillet par lePremier ministre et publiée au Journalofficiel le jour suivant précise les modalitésde mise en œuvre de ce moratoire(Cir. 6 juill. 2010, NOR : PRMX1017659C). Il« s’applique à l’ensemble <strong>des</strong> mesures réglementairesconcernant les collectivitésterritoriales, leurs groupements et leursétablissements publics, dont l’adoptionn’est commandée ni par la mise enœuvre d’engagements internation<strong>aux</strong>de la France ni par l’application <strong>des</strong>lois ». Toutefois, si il apparaissait « absolumentnécessaire » pour un ministèred’édicter une norme, celle-ci ne pourraitêtre mise en œuvre qu’après un arbitrage<strong>des</strong> services du Premier ministrequi appréciera alors « si l’adoption duprojet mérite un examen complémentaire» et pourra demander qu’elle soitsoumise « à la commission consultatived’évaluation <strong>des</strong> <strong>normes</strong> » (CCEN). LePremier ministre s’engage dans ce texteà tenir « compte très strictement de l’avisrendu par la commission pour déterminersi le projet peut être adopté ». En cequi concerne les engagements internation<strong>aux</strong>de la France, notamment ceuxrelevant de l’exigence de transposition<strong>des</strong> directives de l’Union européenne,il est rappelé <strong>aux</strong> ministres que les<strong>normes</strong> doivent être soumises, commec’est déjà le cas, à la CCEN. Pour lesprojets de loi, la circulaire réaffirme queleur préparation « doit mieux intégrer lescoûts induits par les dispositions envisagées» et demande qu’une « exigenceparticulière s’attache à la qualité <strong>des</strong>étu<strong>des</strong> d’impact ». De plus, le Premierministre demande que la consultationde la commission consultative d’évaluation<strong>des</strong> <strong>normes</strong>, « facultative », prévuepar l’article L. 1211-4-2 du Code général<strong>des</strong> collectivités territoriales (CGCT),soit plus largement utilisée. Les délaiset conditions d’examen par la CCEN deces projets sont aménagés. Sur l’examendu « stock » <strong>des</strong> <strong>normes</strong>, le Premierministre informait alors les ministresqu’il saisissait « ce jour les présidentsde l’Association <strong>des</strong> maires de France,de l’Assemblée <strong>des</strong> départements deFrance et de l’Association <strong>des</strong> régionsde France, pour connaître les domainesdans lesquels une révision générale <strong>des</strong><strong>normes</strong> devrait être, selon ces associations,prioritairement engagée en raison<strong>des</strong> dépenses qu’elles engendrent pourles collectivités, et de préciser, dans cesdomaines, les <strong>normes</strong> qui leur paraissentdevoir être révisées ».Parallèlement, les parlementaires se saisirentde la question.B.– Les missions parlementairesDe nombreux trav<strong>aux</strong> partagent le diagnosticinitial. En particulier celui dusénateur Claude Belot, dont le titre estsuffisamment révélateur, « <strong>La</strong> maladiede la norme » (Rapp. Sénat n° 317, 2010-2011, févr. 2011). Sans nier sa pertinence– « la norme est un outil au service del’action publique » –, il dénonce sansambiguïté aucune le fossé entre les texteset la réalité : « la norme devient nuisiblelorsque, au mépris <strong>des</strong> réalités, elle fi xeaveuglément <strong>des</strong> objectifs, sans doutenobles sur le papier, mais totalementinatteignables sur le terrain. Le culte de lanorme n’est rien d’autre que la négationdu bon sens ». Il préconisait alors 18 mesures,autour de trois axes princip<strong>aux</strong> :– une juste compensation fi nancière <strong>des</strong>conséquences de l’action normative (instaurerun fonds de compensation <strong>des</strong>conséquences fi nancières <strong>des</strong> <strong>normes</strong>de l’État…) ;– un rôle renforcé de la CCEN (consultersystématiquement, sauf impossibilitéabsolue, la CCEN sur les projetsde loi et d’amendement du Gouvernementconcernant les collectivitésterritoriales ; exiger, le cas échéant,que les étu<strong>des</strong> d’impact présentent etprennent en compte les observationsde la CCEN ; consulter systématiquementla CCEN sur les projets de textecommunautaire concernant les collectivitésterritoriales ; imposer la saisine dela CCEN sur toute proposition de loi ouamendement d’origine parlementaireadopté par une assemblée ; chargerla CCEN, siégeant en commission <strong>des</strong>implifi cation, de l’« audit » de grandssecteurs du droit au regard de la nécessité<strong>des</strong> <strong>normes</strong>, de leur cohérenceet de leur lisibilité…) ;– favoriser les mécanismes de concertation(créer, pour les collectivités territoriales,un « correspondant <strong>normes</strong> »au sein de chaque préfecture garant du« bon sens » dans leur interprétation…).<strong>La</strong> première série de mesures du rapportDoligé s’inscrit d’ailleurs dans uneperspective similaire. Ainsi préconise-t-illa mise en place d’un programme de réductionannuelle <strong>des</strong> <strong>normes</strong> et une plusgrande participation <strong>des</strong> collectivités à ladéfinition <strong>des</strong> règles, notamment à traversla pratique de l’évaluation partagéequi serait systématisée et inscrite dansla Constitution. Le comité <strong>des</strong> fi nanceslocales verrait ses compétences élargiespour suivre et évaluer en permanencela pertinence de la législation locale. <strong>La</strong>CCEN serait quant à elle renforcée enaugmentant ses moyens et en rendantson avis obligatoire. Enfin, autre mesureimportante, améliorer la souplesse etl’adaptabilité <strong>des</strong> règles et autres <strong>normes</strong>grâce à <strong>des</strong> instances de médiation composéesd’anciens élus (par exemple),qui pourraient prévenir et examiner lesconflits autour de l’application adaptéed’une norme.<strong>La</strong> seconde série de préconisations révèlele cœur du rapport : 268 pistes,dont on pourra certes débattre de l’opportunitéou du bien-fondé, mais quiprésentent toutes le grand intérêt dedépasser le glacis froid <strong>des</strong> concepts etde la théorie pour affronter directementla pratique, tout particulièrement enmatière sociale.56 REVUE LAMY DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES •SEPTEMBRE 2011 • N° 71
II – LE REVENU DE SOLIDARITÉACTIVE (RSA)Pour saisir les enjeux humains et fi nanciersliés au RSA, on rappellera pourmémoire que cette prestation a remplacéprogressivement (entre 2009 et 2011)le RMI/RMA, l’API et certaines ai<strong>des</strong>forfaitaires temporaires comme la primede retour à l’emploi.Le nombre de ses bénéficiaires est beaucoupplus important que celui du RMIpuisqu’il est également ouvert <strong>aux</strong> travailleursdisposant de faibles revenus. Au31 décembre 2010, 1,8 million de foyersbénéficiaient du RSA, soit une augmentationde 6 % en un an. Ces foyers sontégalement constitués de 0,34 million deconjoints et de 1,65 million d’enfants. Ledispositif du RSA couvre donc au totalprès de 3,79 millions de personnes fi n2010. Sur 1,8 million d’allocataires duRSA, 233 000 bénéficient du RSA majorépour situation d’isolement avec enfantà charge ou à naître. Le dispositif fonctionnede telle manière que tout foyer quidispose de ressources in férieures à un« revenu minimum garanti » a droit auRSA. Ce dernier est donc une prestationqui varie en fonction <strong>des</strong> revenus et dela composition du foyer.Cette prestation joue d’abord le rôle derevenu minimum garanti pour les personnesprivées d’emploi, qu’elles soientou non en capacité de travailler. C’est le« RSA socle », majoré dans certains cas(femmes enceintes, parents isolés). <strong>La</strong>prestation sert aussi de complément derevenu pour les foyers dont les revenusd’activité sont inférieurs à un montantminimum. Il s’agit du « RSA activité »,parfois appelé « RSA chapeau ».Essentiellement fi nancé par une fractionde la taxe intérieure sur les produitspétroliers (TIPP), le RSA constitue unecharge très lourde pour les départements,n’étant que partiellement compensé parl’État. <strong>La</strong> dépense nette pour les départementsen matière de RMI et de RMA,c’est-à-dire après déduction <strong>des</strong> apportsde l’État, s’est ainsi élevée à 950 millionsen 2004, 920 millions en 2005, 1 250 millionsen 2006, 1 260 millions en 2007 età 1 130 millions en 2008, dernière annéepleine pour le RMI et le RMA (Observatoirenational de l’action sociale décentralisée, Lettrede l’ODAS, mai 2011, p. 12). Ce déficit decompensation a par ailleurs été fréquemmentrelevé par les chambres régionales<strong>des</strong> comptes dans le cadre d’un récentcontrôle thématique (v. Fleury B., <strong>La</strong> compensationdu RMI-RSA sous l’œil <strong>des</strong> chambresrégionales <strong>des</strong> comptes, JCP A 2010, n° 734).On comprend ainsi toute l’importance<strong>des</strong> améliorations potentielles dud ispositif, d’autant qu’en pratique certaineszones d’ombre subsistent (A) etque les indus sont légion (A).le RSA constitueune charge très lourdepour les départements,n’étant que partiellementcompensé par l’État.A.– Éclaircir les zones d’ombreLe rapport pointe ainsi quelques incertitu<strong>des</strong>génératrices de lourdeur administrativeet donc de surcoût.Certaines sont liées à la double gestionconseils génér<strong>aux</strong>/organismes payeurs.Ainsi en est-il de production de circulairespar la Caisse nationale d’allocations familiales(CNAF) dont le fondement légaln’est pas assuré et qu’il propose de réglerau sein de la nouvelle commission opérationnelledu RSA (CORSA) mise en placeen juin dernier (prop. n° 236) ou encorede la gestion <strong>des</strong> contentieux au cours<strong>des</strong>quels interviennent l’ensemble <strong>des</strong>acteurs (du Président du conseil général– PCG – au Trésorier payeur général)que l’auteur préconise en conséquenced’harmoniser (prop. n° 238).D’autres résultent d’une rédaction ambigüe<strong>des</strong> textes législatifs. C’est notammentle cas de l’article L. 262-47 du Codede l’action sociale et <strong>des</strong> familles (CASF)<strong>aux</strong> termes duquel « toute réclamationdirigée contre une décision relative aurevenu de solidarité active fait l’objet,préalablement à l’exercice d’un recourscontentieux, d’un recours administratifauprès du Président du conseil général.Ce recours est, dans les conditions et limitesprévues par la convention mentionnéeà l’article L. 262-25, soumis pouravis à la commission de recours amiablequi connaît <strong>des</strong> réclamations relevant del’article L. 142-1 du Code de la sécuritésociale ». Ici cependant, le Conseil d’Étata tout récemment répondu à l’auteur(prop. n° 237) en précisant la portée de cetexte. Dans son avis « Mme Popin et M.El Moumny » (CE, 23 mai 2011, n° 344970),il souligne en effet que c’est bien « la demandemême de remise ou de réductionde l’indu de RSA, formulée sur le fondementde l’alinéa 9 de l’article L. 262-46CASF qui doit être considérée commeconstitutif du recours administratif préalableau sens de l’article L. 262-47 »(v. notre commentaire à paraître au JCP Aavec Pauline Barraud).D’autres enfin se révèlent particulièrementinadaptées à la pratique <strong>des</strong>c ollectivités. C’est notamment le cas dela procédure extrêmement complexe permettant<strong>aux</strong> conseils génér<strong>aux</strong> d’infligerune amende administrative en cas defraude au RSA (CASF, art. L. 262-52) qu’ilconviendrait donc de simplifier (prop.n° 239).B.– Le problème <strong>des</strong> indusLe fonctionnement actuel du RSA – etnotamment la déclaration trimestriellede revenus – génère de nombreux indussans que les bénéficiaires soient demauvaise foi. Dans ces cas et comptetenu de la précarité <strong>des</strong> allocataires, cesindus ne peuvent que très difficilementêtre récupérés (CASF, art. L. 262-46). Aussile rapport envisage t-il de mensualiser lesdéclarations ou de maintenir la déclarationtrimestrielle en instaurant un mécanismede compensation pour supprimerces indus (prop. n° 221). Sur le mêmeregistre, il recommande d’harmoniser lesrègles de suspension du versement de laprestation (l’article R. 262-38 du CASF distingueentre une personne seule et un foyer) etd’étudier la possibilité d’une suspensiontotale pour les allocataires qui manquentde manière répétitive à leurs obligations(prop. n° 219 et 220).III – LES AUTRES PROPOSITIONSDE SIMPLIFICATION DE LADÉCENTRALISATION SOCIALEElles concernent aussi bien le régime decertaines prestations sociales (A) quecelui de certaines catégories de personnel(B).A.– Les prestations examinéespar le rapportParmi les mesures sociales prises encharge par les collectivités, le rapportDoligé passe au crible les deux autresprestations les plus connues <strong>aux</strong> côtésdu RSA, l’allocation personnalisée d’autonomie(APA) et la prestation de compensationdu handicap (PCH) (1), maiss’intéresse également à l’hébergement« social » (2).1) APA et PCHEn 2010, les départements ont consacré5,4 milliards d’euros à l’APA et 1 milliardà la PCH. On comprend là encoreaisément le souci d’amélioration du dispositif.S’agissant d’abord de l’APA, elle a étécréée par la loi n° 2001-647 du 20 juillet2001 relative à la prise en charge de laperte d’autonomie <strong>des</strong> personnes âgées età l’allocation personnalisée d’autonomieet bénéficiait en 2009 à 1,13 million depersonnes. Elle est versée, en a pplicationPERSPECTIVES DOSSIER SPÉCIALN° 71 • SEPTEMBRE 2011 • REVUE LAMY DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES 57