RLCT2003Alors que l’objectif de la simplifi cation du droit est devenu une question récurrente depuis le début<strong>des</strong> années 1990, il représente désormais un enjeu crucial pour les collectivités territoriales. Le transfert<strong>des</strong> compétences entre l’État et les échelons territori<strong>aux</strong> modifi e en profondeur l’action locale, sans quele constituant ne se préoccupe de la dimension normative et la révision constitutionnelle du 28 mars 2003n’apporte que <strong>des</strong> réponses insuffi santes. Le rapport Doligé (1) contient une analyse très approfondie<strong>des</strong> problèmes que posent aujourd’hui non seulement la complexité et l’infl ation normative, mais aussiles métho<strong>des</strong> d’élaboration <strong>des</strong> <strong>normes</strong>, au regard de l’effi cacité de l’action publique et de la compétitivité.L’approche très pragmatique de cette étude et les multiples propositions de réforme, tant du point de vuede la gouvernance normative, que de la mise en œuvre de la simplifi cation dans un ensemblede domaines d’action, en font une référence à la fois exigeante et impérieuse.<strong>La</strong> <strong>simplification</strong> du droit : un enjeuurgent pour les collectivités territorialesqui suppose <strong>des</strong> réformes immédiatesPar Jacqueline DOMENACHProfesseur de droit publicUniversité Paris-Ouest Nanterre la Défense<strong>La</strong> <strong>simplification</strong> du droit est une notion<strong>des</strong> plus incertaines. Alors que les critiquessont de plus en plus nombreusespour relever les conséquences négativesde la prolifération législative et règlementaireet de l’instabilité normative qui enrésulte, le juge constitutionnel s’efforced’apporter <strong>des</strong> solutions juridiques enposant de nouvelles exigences au législateur.Le Conseil se réfère à l’intelligibilitéet à l’accessibilité de la loi, qualifiés d’objectifsà valeur constitutionnelle (Cons.const., 16 déc. 1999, n° 99-421 DC, loi portanthabilitation du gouvernement à procéder parordonnances à l’adoption de la partie législativede certains co<strong>des</strong>). Une telle évolutiona cependant peu de conséquences sur lapratique législative. <strong>La</strong> sécurité juridiqueest aussi érigée en principe général et enimpératif pour l’État (2) . Mais cette prisede conscience vise avant tout à résoudreles rapports entre le pouvoir normatifet les citoyens, au nom de l’émergencede nouve<strong>aux</strong> principes de démocratieadministrative.L’enjeu du rapport Doligé est tout autre,puisqu’il s’agit de tirer le bilan de l’inflationlégislative sur l’action <strong>des</strong> collectivitésterritoriales. Or, les conditions dela production législative nationale sontlour<strong>des</strong> de conséquences dans le contextedu désengagement de l’État et du transfertde plus en plus important <strong>des</strong> compétences<strong>aux</strong> collectivités territoriales. Àcette situation, s’ajoute la réforme <strong>des</strong>fi nances locales et l’intervention croissantede la législation européenne. Unetelle réflexion est déjà largement engagéedans le cadre de l’OCDE, qui au nom dela rationalisation de la mise en œuvre<strong>des</strong> politiques publiques et de la réformede l’État, a adopté de nombreuses propositionsde réformes (3) . Le constat estcelui du retard de l’État français qui, aunom de l’application traditionnelle <strong>des</strong>principes républicains de l’unité et del’indivisibilité de la République, continued’imposer la quasi exclusivité <strong>des</strong>instances normatives nationales, ne laissant<strong>aux</strong> collectivités territoriales qu’unpouvoir décisionnel marginal. Le rapportD oligé contient diverses solutions,tout en évitant cependant de poser laquestion essentielle d’une éventuelle redistributiondu pouvoir normatif entrel’État et les collectivités territoriales. Sansdoute la méthode pragmatique choisiese veut-elle plus efficace. Il s’agit avanttout d’interroger l’État sur la questionde la gouvernance normative et les propositionsne peuvent qu’apporter d’importantschangements dans le processusd’élaboration <strong>des</strong> <strong>normes</strong> au niveau national.Le bilan <strong>des</strong> contraintes législatives etr èglementaires est également essentiel etles solutions pour relever un tel défi sontinnovantes. L’affirmation d’un « contrepouvoir normatif <strong>des</strong> collectivités territoriales», la question de la compensation<strong>des</strong> charges imposées par le transfert <strong>des</strong>compétences de l’État <strong>aux</strong> collectivitésterritoriales ou encore l’application différenciéedu droit <strong>aux</strong> territoires sontautant de propositions originales pourune réforme en profondeur <strong>des</strong> logiquesqui traversent le processus de normativiténationale.I – L’URGENCE D’UNE NOUVELLEMÉTHODE NORMATIVEAU NIVEAU NATIONALAu lieu de se situer sur le terrain d’unenouvelle répartition du pouvoir normatifentre niveau national et niveau local, lerapport opte pour une transformationde la gouvernance de l’élaboration <strong>des</strong><strong>normes</strong> nationales, fondée sur l’évaluationet l’étude d’impact <strong>des</strong> réformes,propositions qui supposent une méthodologiedifférente du processus législatifet la création d’instances paritaires,essentiellement consultatives. Enfin,(1) Doligé E., <strong>La</strong> simplifi cation <strong>des</strong> <strong>normes</strong> <strong>applicables</strong> <strong>aux</strong> collectivités territoriales, Mission parlementaire, Sénat, 11 juin 2011.(2) Rapp. CE 1991, Qualité <strong>des</strong> <strong>normes</strong> et sécurité juridique : un enjeu pour l’état de droit.(3) OCDE, Mieux légiférer en Europe, France, 2010.52 REVUE LAMY DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES •SEPTEMBRE 2011 • N° 71
c’est le contenu même <strong>des</strong> dispositifslégislatifs et règlementaires qui est mis enquestion, tant du point de vue procédural,que du point de vue <strong>des</strong> contentieuxet à cela, vient s’ajouter la mise en causedu renforcement de la normalisation.A.– Une nouvelle méthodologiede l’action normative au niveaunationalFaute de pouvoir opter pour un partagedu pouvoir normatif entre niveau centralet niveau territorial, le rapporteurpropose une stratégie de contournementqui peut avoir un réel impact sur le processusdécisionnel, si les autorités nationalesacceptent de telles mutations. Ils’agit d’imposer une nouvelle méthoded’adoption <strong>des</strong> textes au législateur etau pouvoir règlementaire, fondée surl’évaluation et sur l’impact <strong>des</strong> réformesadoptées préalablement à toute réforme.Si l’évaluation de la mise en œuvre<strong>des</strong> politiques publiques est de plus enplus prise en compte par le législateur(L. n° 2011-140, 3 févr. 2011) et par leconstituant (Const. 4 oct. 1958, art. 47-2), lerapporteur en souligne les insuffisances,notamment au regard de la participation<strong>des</strong> autorités locales. L’intérêt <strong>des</strong> propositionsréside dans la généralisationd’une méthode de consultation <strong>des</strong> autoritéslocales, dès lors que sont misesen œuvre <strong>des</strong> réformes relatives <strong>aux</strong> collectivitésterritoriales. L’évaluation seraitalors érigée en principe constitutionnelsous la forme d’une « évaluation antérieureobligatoire <strong>des</strong> projets de réforme<strong>des</strong> politiques locales ».<strong>La</strong> seconde méthode est relative <strong>aux</strong>étu<strong>des</strong> d’impact et à la capacité fi nancière<strong>des</strong> collectivités territoriales pour touteapplication de nouvelles dispositions législatives.Le législateur a rendu obligatoirede telles étu<strong>des</strong> par l’article 8 de la loiorganique n° 2009-403 du 15 avril 2009.Alors qu’une telle méthodologie devraitservir à vérifier la pertinence de touteréforme territoriale, elle sert davantageà justifier les réformes. Son apparentegénéralisation semble avoir peu d’incidencessur les décisions relatives à larecomposition <strong>des</strong> territoires, ainsi qu’entémoignent les propositions de modificationterritoriale contenues dans le cadre<strong>des</strong> nouve<strong>aux</strong> schémas département<strong>aux</strong>de coopération intercommunale élaborésdepuis avril 2011.Évaluation et impact <strong>des</strong> législationssupposent une profonde mutation <strong>des</strong>instances compétentes et une présence<strong>des</strong> collectivités territoriales dans l’analyse<strong>des</strong> conséquences <strong>des</strong> réformes.Pour le rapporteur, il s’agit de modifier leprocessus législatif et règlementaire, enproposant de nouvelles instances participativesau processus d’élaboration <strong>des</strong><strong>normes</strong> nationales. On sait combien lamise en place d’instances participativesest fragile face à la légitimité législative.B.– De nouvelles instances pourassurer l’élaboration <strong>des</strong> <strong>normes</strong>ou la reconnaissance d’un pouvoirnormatif implicite <strong>des</strong> collectivitésterritorialesLe choix de l’évitement du partage normatifentre instances nationales et collectivitésterritoriales conduit le rapporteurà faire un ensemble de propositions quenous ne pouvons qualifier que de solutionsde contournement. Il s’agit donc depeser sur la représentation <strong>des</strong> instancesd’évaluation existantes. L’objectif estbien le développement de la participation<strong>des</strong> autorités locales à l’évaluationet en modifiant éventuellement la compositionde la Commission consultatived’évaluation <strong>des</strong> <strong>normes</strong> (CCEN) (4) , ouen créant une nouvelle instance partagéeentre acteurs loc<strong>aux</strong> et acteurs nation<strong>aux</strong>C’est avant toutl’inflation législative quiest mise en cause, ainsique la réglementationjugée trop précise.sous la forme d’une autorité d’évaluationet du suivi de la législation locale(AESLL). Le rapport propose égalementun élargissement <strong>des</strong> compétences detelles instances.Il convient également de prendre encompte l’évolution de la réglementationet notamment l’importance du droit del’Union européenne. <strong>La</strong> représentation<strong>des</strong> collectivités territoriales françaises estinsuffisante et les logiques de l’État unitairefrançais risquent d’avoir <strong>des</strong> conséquencesnéfastes sur les conditions de miseen œuvre du droit communautaire. Unenouvelle stratégie ne peut que se montrerfavorable au renforcement du rôle <strong>des</strong> collectivitésterritoriales auprès de Bruxelles.II – L’ALLÈGEMENT DESCONTRAINTES SUR LESCOLLECTIVITÉS TERRITORIALES<strong>La</strong> normativité, dans le contexte constitutionnelet législatif français, est fondéesur le principe de la toute souverainetéde la loi et sur l’unicité du droit national.Dans une telle configuration, les collectivitésterritoriales ont toujours eu beaucoupde difficultés à se voir reconnaîtreun pouvoir normatif autonome. Mêmesi la révision constitutionnelle de 2003affirme l’existence d’un pouvoir de décisionet d’un pouvoir règlementaire, untel pouvoir ne peut qu’être conditionnéà l’intervention du pouvoir national,qu’il soit législatif ou règlementaire. Sila reconnaissance d’un « droit à l’expérimentation» et du pouvoir d’adaptation<strong>aux</strong> ROM constituent une réponse pouradapter la législation <strong>aux</strong> territoires loc<strong>aux</strong>,la pratique est bien décevante. Lerapport Doligé innove, mais sans percer« l’abcès » que constitue le monopolelégislatif. Il s’agit plutôt de faire le bilannégatif <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> du législateur,avant de mettre en évidence <strong>des</strong> solutionsfondées à la fois sur la nécessitéd’une reconnaissance d’un pouvoir localdérogatoire et du principe de l’équité<strong>des</strong> charges.A.– De profon<strong>des</strong> critiques vis-à-visdu pouvoir législatifLes critiques visent avant tout à justifierune mutation <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> d’élaboration<strong>des</strong> <strong>normes</strong> nationales relatives <strong>aux</strong>réformes <strong>des</strong> collectivités territoriales.Dans un tel contexte, on ne peut quese demander quel rôle donné au Sénatet <strong>aux</strong> associations d’élus. <strong>La</strong> représentationpolitique serait-elle jugée insuffisante et incapable de répondre <strong>aux</strong>conséquences négatives de l’évolutiondu pouvoir législatif. C’est avant toutl’inflation législative qui est mise encause, ainsi que la réglementation jugéetrop précise, pour ne pas dire « tatillonne». L’insécurité juridique est doncau rendez-vous et l’adaptation <strong>des</strong> nouvellesrègles, au niveau territorial, dansl’urgence, ne peut qu’être contre performante.L’intérêt du rapport réside essentiellementdans l’analyse de la portée <strong>des</strong>règles, notamment à partir d’exemplesétrangers. Outre, la nécessité de penserla stabilisation du droit national, il seraitintéressant aussi d’envisager la portée dudroit. Penser la norme nationale commeune norme d’objectifs ou encore commeune norme de résultat et non commeune norme de moyens serait bénéfique.Le législateur français, comme son homologuecommunautaire pourrait ainsirevoir sa conception de la loi vis-à-vis<strong>des</strong> collectivités territoriales, en procédantà l’adoption de textes génér<strong>aux</strong>(4) L’article 97 de la loi de fi nances rectifi cative n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 a créé, au sein du Comité <strong>des</strong> FinancesLocales (CFL), la Commission Consultative d’Evaluation <strong>des</strong> Normes (CCEN) ; Circ. 7 juill. 2011, NOR : PMX1118705C.PERSPECTIVES DOSSIER SPÉCIALN° 71 • SEPTEMBRE 2011 • REVUE LAMY DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES 53