DOMAINE PUBLICPar PhilippeDUPUISJuriste, formateurspécialisé en droitfunéraireEncadrement de l’opération de réductionde corps : un arrêt à contre courantde la modernisation du droit funéraireRLCT1996<strong>La</strong> Cour de cassation vient par un arrêt du 16 juin 2011 de se prononcer sur la nature juridiquede l’opération de réduction de corps en l’assimilant à une exhumation. Ainsi, elle revient sur lajurisprudence antérieure <strong>des</strong> cours administratives d’appel et surtout s’oppose à la jurisprudencedu Conseil d’État, qui qualifi e lui, cette opération comme étant distincte de celle relative<strong>aux</strong> exhumations. Cette jurisprudence est lourde de conséquences et va placer les communesdans une situation extrêmement délicate quant à la gestion de leur cimetière, voire mêmeles exposer à <strong>des</strong> conséquences pénales.Cass. 1 re civ., 16 juin 2011, n° 10-13.580, FS-P+B+II – QU’EST CE QUE LA RÉDUCTION DE CORPS ?A.– <strong>La</strong> position de l’administration<strong>La</strong> pratique française <strong>des</strong> concessions funéraires qu’ellessoient collectives ou familiales conduit à ce que bien souvent,<strong>des</strong> personnes aient un droit à inhumation dans une sépulture,mais que celle-ci ne puisse plus les accueillir matériellement.<strong>La</strong> pratique administrative s’est alors développée deréunir les restes mortels d’un défunt ou même de plusieurs(on parlera alors de réunion de corps), consumés par leurséjour en terre et à les déposer dans une boîte à ossements(« reliquaire »), qui tout en demeurant dans le caveau permetnéanmoins l’introduction de nouve<strong>aux</strong> cercueils. Si le Codegénéral <strong>des</strong> collectivités territoriales (CGCT) continue de nepas prévoir cette opération, l’administration la valide néanmoinstout en ne la démarquant pas explicitement de l’exhumation: « Aucun texte spécifique ne réglemente l’opérationde réduction de corps qui consiste à recueillir, à la suite d’uneexhumation, les restes mortels dans une boîte à ossementspour la déposer dans la même sépulture. L’article R. 361-17 duCode <strong>des</strong> communes [CGCT, art. R. 2213-42] dispose toutefoisque “lorsque le cercueil est trouvé en bon état de conservationau moment de l’exhumation, il ne peut être ouvert que s’il s’estécoulé cinq ans après le décès. Lorsque le cercueil est trouvédétérioré le corps est placé dans un autre cercueil ou dans uneboîte à ossements” » (Rép. min. à QE n° 5187, JO Sénat Q. 14 avr.1994, p. 873). Il appartenait donc au maire, s’il autorisait cetteopération dans le cimetière d’en prévoir les modalités au titrede ses pouvoirs de police, le plus souvent par le biais d’unrèglement de cimetière. Ses marges de manœuvres étaientalors larges. En effet, L’article L. 2212-2 du CGCT confieau maire la police administrative générale, c’est-à-dire lapolice de la sécurité, salubrité, tranquillité publiques ainsique de l’ordre public. L’article L. 2213-9 du CGCT disposantque « Sont soumis au pouvoir de police du maire le modede transport <strong>des</strong> personnes décédées, le maintien de l’ordreet de la décence dans les cimetières, les inhumations et lesexhumations ». Le maire à travers le règlement du cimetièrefera donc respecter ces différentes prescriptions. Notons quepar l’arrêt « Cauchoix », le juge administratif a procédé à uneextension <strong>des</strong> pouvoirs de police du cimetière du maire audétriment de la compétence du conseil municipal en matièrede gestion de cette parcelle du domaine public (CE, 20 févr.1946, Cauchoix, Rec. CE 1946, p. 53). Ainsi, le maire pouvaits’il acceptait l’existence de cette opération, soit en calquer lerégime sur celui <strong>des</strong> exhumations, soit au contraire inventer<strong>des</strong> modalités plus souples, essentiellement dictées par lesouci d’une bonne gestion du cimetière, et par la nécessaireprise en compte <strong>des</strong> difficultés que peut poser <strong>aux</strong> famillesl’application du régime juridique de l’exhumation.B.– <strong>La</strong> position du jugeLe principe de l’opération de réduction de corps a été validépar le juge administratif : « la commune de Contes n’a commisaucune faute en faisant, à la demande de M. A..., ouvrir lecaveau de la famille X... en vue de l’inhumation de Mme X...et en procédant, pour ce faire au regroupement <strong>des</strong> restes <strong>des</strong>personnes précédemment inhumées » (CE, 11 déc. 1987, n° 72998,Cne Contes c./ Cristini, Rec. CE 1987, p. 413, D. 1988, somm. p. 378,obs. Moderne F. et Bon P.). Dans le même arrêt, le Conseild’État, de surcroit, distingue explicitement la réduction decorps d’une exhumation : « Le fossoyeur municipal a constatéque les cercueils <strong>des</strong> personnes inhumées en 1912, 1937, 1951et 1962 étaient décomposées et a rassemblé dans une boîteprévue à cet effet les restes <strong>des</strong>dites personnes ; qu’une telleopération qui n’a pas le caractère d’une exhumation ne nécessitaitpas la demande formulée par le plus proche parent dumort exigée par l’article R. 361-15 du code <strong>des</strong> communes ».S’il existe néanmoins une jurisprudence où le juge vise lesdispositions relatives <strong>aux</strong> exhumations dans un litige où, enfait, il s’agit plutôt d’une réduction de corps, il convient deremarquer qu’il ne se prononce pas sur la nature de l’opération(CE, 17 oct. 1997, n° 167648, Ville Marseille c./ Cts Guien, Rec. CEtables 1997, p. 978).38 REVUE LAMY DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES • SEPTEMBRE 2011 • N° 71
Longtemps, la position <strong>des</strong> juges judiciaires ne fut pas différentede celle de la juridiction administrative. Ainsi, la Courd’appel de Caen (CA Caen, 1 re ch., sect. civ. et comm., 19 mai 2005,RG n° 03/03750) estimait que lorsque le corps réduit retournaitdans la sépulture dont il était issu, il n’y avait pas exhumation,ou bien encore plus récemment la Cour d’appel de Dijon (CADijon, ch. civ., 17 nov. 2009, n° 274A, RG n° 08/01394) : « que cetexte [CGCT, art. R. 2213-40], qui ne traite que de l’exhumationd’un corps, ne peut donc s’appliquer à l’opération funéraire ditede réunion (ou de réduction) <strong>des</strong> corps qui consiste à rassemblerdans une boîte prévue à cet effet les restes <strong>des</strong> personnes inhumées; (…) Qu’il s’ensuit qu’il ne peut être fait grief au mairede la commune d’Allerey sur Saône d’avoir commis une voiede fait en omettant de vérifier, préalablement à la délivranced’une autorisation qui n’était pas requise, si Mme Éliane G.veuve P. avait la qualité de plus proche parent <strong>des</strong> personnesdéfuntes inhumées dans la concession numéro 166-487 ». Ilapparaissait donc que lorsque <strong>des</strong> restes mortels pouvaient êtreréunies (puisque la matière organique ne rend plus solidairesles os les uns <strong>des</strong> autres), à la conditionque ces restes ne quittent pas la sépulture,il n’y avait pas exhumation. C’estcette position que la Cour de cassationvient d’annihiler. En effet par un arrêtdu 16 juin 2011, cassant partiellementl’arrêt de la Cour d’appel de Dijon précité,le juge judiciaire affirme : « quepour débouter les consorts X... de leursdeman<strong>des</strong> en réparation du préjudicecausé par la réunion <strong>des</strong> corps <strong>des</strong> épouxX...- A... A...Y..., de la commune d’Allerey-sur-Saôneet de la société OGF, l’arrêt énonce qu’aucun textene subordonne l’opération de réunion de corps à l’autorisationpréalable <strong>des</strong> plus proches parents et que l’article R. 2213-40du code général <strong>des</strong> collectivités territoriales, qui ne traite quede l’exhumation d’un corps, ne peut s’appliquer à l’opérationfunéraire de réunion de corps ; Qu’en statuant ainsi, alors quel’opération de réunion de corps s’analyse en une exhumationsubordonnée tant à l’accord <strong>des</strong> plus proches parents <strong>des</strong>personnes défuntes qu’à l’autorisation préalable du maire dela commune, la cour d’appel a violé, par refus d’application,le texte susvisé »Quelles sont alors les conséquences pratiques d’une tellequalification pour les communes ?II – CONSÉQUENCES PRATIQUESA.– Qui peut désormais demander une réductionde corps ?L’exhumation d’un défunt ne peut être demandé que par unepersonne bien précise. En effet, l’article R. 2213-40 du CGCTénonce que : « Toute demande d’exhumation est faite par leplus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie <strong>des</strong>on état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelleil formule sa demande ». Or, cette expression ne connaîtqu’une proposition de définition dans l’Instruction généralerelative à l’état-civil du 11 mai 1999 (annexée au JO 28 sept.1999) paragraphe 426-7 qui énonce que : « A titre indicatif etsous réserve de l’appréciation <strong>des</strong> tribun<strong>aux</strong>, en cas de conflit,l’ordre suivant peut être retenu pour la détermination du plusproche parent : le conjoint non séparé (veuf, veuve), les enfantsdu défunt, les parents (père et mère), les frères et sœurs ».Si le Conseil d’État accepte de libérer la commune de touteL’avantage de ne pasqualifier cette opérationd’exhumation étaitde permettre quele demandeurde l’opération ne soit pasle plus proche parentdu défunt.DOMAINE PUBLICvelléité de contrôle de cette qualité à partir du moment où lesollicitant remplit une attestation sur l’honneur qu’il est bienle plus proche parent ou qu’il n’existe aucune opposition d’unepersonne venant au même degré de parenté que lui (CE, 9 mai2005, n° 262977, Rabau, JCP G 2005, II, n° 10131, note Dutrieux D.),il appert néanmoins, que le juge du fond (CAA Borde<strong>aux</strong>, 5 juin2008, n° 07BX00828) a estimé que la définition <strong>des</strong> primautésde degré de parenté, n’existant que dans l’instruction généralerelative à l’état civil, ne le lie aucunement. Si cette positionest logique, elle entraine la conséquence pratique suivante :tout litige familial provoquera nécessairement un refus dedélivrance de l’autorisation par le maire, et corollairement,saisine du TGI pour résolution du conflit. Or le juge, en général,refusera l’exhumation dans la plupart <strong>des</strong> cas, pour nepas que le repos <strong>des</strong> morts soit troublé par les divisions <strong>des</strong>vivants. L’exhumation ne sera accordée que dans deux cas(CA Toulouse, 7 févr. 2000, JCP G 2000, IV, n° 2374) :– soit la sépulture est provisoire ;– soit la volonté du défunt n’a pas été respectée quant <strong>aux</strong>modalités de son inhumation.C’est ce régime si particulier qui s’appliquedésormais <strong>aux</strong> réductions decorps en le vidant de tout intérêt pratique.L’avantage de ne pas qualifiercette opération d’exhumation était depermettre que le demandeur de l’opérationne soit pas le plus proche parentdu défunt. Il était possible d’envisagerque toute personne disposant du droità inhumation dans une sépulture, où àtout le moins que toute personne ayantqualité pour pourvoir <strong>aux</strong> funérailles, pouvait demander à cequ’une réduction soit opérée pour justement faire valoir cedroit. Pratiquement, il convient de ne pas oublier que, lorsd’un décès, les familles ne disposent que de six jours pourorganiser les funérailles (CGCT, art. R. 2213-33), or désormais, sila sépulture ne comporte plus de place disponible sans qu’uneréduction soit nécessaire, il conviendra de demander au plusproche parent (qui n’est pas toujours aisé à contacter, et quisurtout, n’est pas toujours le plus proche parent du défunt)son autorisation. On se dirige ainsi, tout droit à ce que la seulesolution rapide et juridiquement sûre, soit de demander ladélivrance d’un nouvel emplacement à la commune. Cettesolution est donc, à rebours de toute la logique actuelle dudroit funéraire, potentiellement consommatrice d’espace publicet surtout peu soucieuse <strong>des</strong> deniers <strong>des</strong> endeuillés devantfaire l’achat d’un emplacement, et la plupart du temps d’uncaveau et d’un monument funéraire.B.– Modalités de déroulement de l’opérationEncore une fois, la Cour s’inscrit à contre courant de la volontédu législateur. En effet, <strong>La</strong> loi n° 2008-1350 du 19 décembre2008 de <strong>simplification</strong> du droit funéraire et ses deux décretsd’application (D. n° 2010-917, 3 août 2010 ; D. n° 2011-121, 28 janv.2011, v. commentaire par Dupuis Ph., RCLT 2011/66, n° 1853) sontvenus considérablement restreindre le champ d’application<strong>des</strong> opérations devant donner lieu à surveillance. L’articleL. 2213-14 du CGCT rend néanmoins obligatoire la surveillance<strong>des</strong> opérations d’exhumations. Les réductions devront doncfaire l’objet d’une telle surveillance soit par :– le chef de circonscription de police nationale dans les communesdotées d’un régime de police d’État (cela ne concerneplus uniquement le seul commissaire de police car de plusen plus de communes à régime de police d’État, notammentREPÈRESN° 71 • SEPTEMBRE 2011 • REVUE LAMY DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES 39