CONTRATSET MARCHÉS PUBLICSPar Marie-ChristineROUAULTProfesseur<strong>des</strong> Universités, agrégé<strong>des</strong> Facultés de droitRLCT1992Service public et marché public :clarification et complicationEn l’absence, notamment, de tout contrôle de la personne publique sur la programmationartistique et sur les tarifs <strong>des</strong> spectacles, la commune ne peut être regardée comme faisantpreuve d’une implication telle que les conditions d’organisation du festival dont elle a confi él’organisation à une société privée permettent de caractériser une mission de service public.<strong>La</strong> convention, qui prévoit la fourniture d’un service à la commune pour répondre à ses besoins,moyennant un prix tenant en l’abandon <strong>des</strong> recettes du festival et au versement d’une sommeannuelle de 495 000 €, doit être regardée comme constitutive d’un marché public de services.CE, 23 mai 2011, n° 342520, Cne de Six-Fours-Les-Plages, à publier au Rec. CE<strong>La</strong> commune de Six-Fours-Les-Plages a pris l’initiative,en 1997, d’organiser chaque été un festivalde musique. En 2007, elle a décidé d’en confierl’organisation à une société privée, la SociétéAdam Concerts, dans le cadre d’une conventiond’objectifs et de moyens d’une durée de trois ans, qui prévoyaitle versement à cette société d’une subvention annuelle de495 000 euros. Des conseillers municip<strong>aux</strong>, contribuables de lacommune, ont formé un recours pour excès de pouvoir contrela délibération autorisant le maire à conclure cette convention.Le Tribunal administratif de Toulon, comme la Cour administratived’appel de Marseille, ont reconnu dans cette conventionune délégation de service public. Saisi en cassation, le Conseild’État y voit au contraire un marché public de services etannule la délibération au motif que « la commune ne pouvaitconclure la convention litigieuse sans procéder <strong>aux</strong> mesures depublicité et de mise en concurrence <strong>applicables</strong> <strong>aux</strong> marchéspublics de services ».Dans cette affaire, l’essentiel du débat porte sur l’existenced’un service public. Comme avant elle le Tribunal administratif,la Cour avait estimé, sur conclusions contraires de sonrapporteur public, que le festival « a constitué, dès l’origine,une activité de service public administratif » (CAA Marseille,17 juin 2010, n° 09MA01507, Cne Six-Fours-Les-Plages, JCP A 2010,n° 2335, comm. Pontier J.-M.). Le Conseil d’État condamne cetteanalyse et décide que l’activité confiée par la commune à soncocontractant ne constitue pas une mission de service public,« en l’absence, notamment, de tout contrôle de la personnepublique sur la programmation artistique et sur les tarifs <strong>des</strong>spectacles ». Cette absence de contrôle de la commune faitqu’elle « ne pouvait être regardée comme faisant preuve d’uneimplication telle que les conditions d’organisation de ce festivalpermettent de caractériser une mission de service public » (CE,23 mai 2011, n° 342520, Cne de Six-Fours-Les-Plages).Pour le Conseil d’État, le critère fondamental pour caractériserle service public, celui qui doit dans tous les cas être remplipour qu’une activité constitue un service public, est le contrôlede la personne publique sur l’activité considérée. Ce contrôledoit en outre démontrer une implication suffisante de lapersonne publique. Ce n’est qu’à partir d’un certain degré <strong>des</strong>ujétion et de dépendance de l’organisme privé que le jugeretient la qualification de service public (v. concl. Pochard surCE, 20 juill. 1990, n° 69867, Ville de Melun et Association « Melunculture-loisirs» c./ Vivien et autres, Rec. CE 1990, p. 220, AJDA 1990,p. 820, concl. Pochard, JCP G 1991, II, n° 21663, note Fâtome E.).Cet élément ne peut toutefois suffire.Le contrôle de l’autorité publique est indispensable pour qu’ily ait service public. En l’absence <strong>des</strong> éléments organiques quesont soit l’exercice de l’activité par une personne publique,soit un rattachement indirect à une collectivité publique, ilne peut y avoir service public, même si l’activité en questionpoursuit incontestablement une fi nalité d’intérêt général.Tel est l’enseignement de l’arrêt « APREI » (CE, sect., 22 févr.2007, n° 264541, Rec. CE 2007, p. 92, concl. Vérot C., AJDA 2007,p. 793, chron. Lenica F. et Boucher J., RFD adm. 2007, p. 802, noteBoiteau C., JCP A 2007, n 2066, concl. Vérot C. et obs. Rouault M.-C.,Dr adm. 2007, comm. 64, RLCT 2007/25, n° 725, obs. Glaser E).Le fait que les différentes juridictions saisies aient donné<strong>des</strong> interprétations divergentes de ce même arrêt montreque les difficultés subsistent. <strong>La</strong> notion de service publicdevient extrêmement contingente et dépend essentiellementde la volonté de la personne publique de contrôler assezétroitement une activité.D’après le considérant de principe de l’arrêt « APREI », « indépendamment<strong>des</strong> cas dans lesquels le législateur a lui-mêmeentendu reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’unservice public, une personne privée qui assure une missiond’intérêt général sous le contrôle de l’administration et quiest dotée à cette fi n de prérogatives de puissance publique estchargée de l’exécution d’un service public ;… même en l’absencede telles prérogatives, une personne privée doit également êtreregardée, dans le silence de la loi, comme assurant une missionde service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de sonactivité, <strong>aux</strong> conditions de sa création, de son organisation oude son fonctionnement, <strong>aux</strong> obligations qui lui sont imposéesainsi qu’<strong>aux</strong> mesures prises pour vérifier que les objectifs qui30 REVUE LAMY DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES • SEPTEMBRE 2011 • N° 71
lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administrationa entendu lui confier une telle mission ».Hors le cas où le législateur a lui-même qualifié l’activité,on peut être en présence d’un service public assuré par unepersonne privée soit si celle-ci est dotée de prérogatives depuissance publique afin de gérer le service, soit, en l’absencede telles prérogatives, lorsque, eu égard à l’intérêt général <strong>des</strong>on activité, <strong>aux</strong> conditions de sa création, de son organisationou de son fonctionnement, <strong>aux</strong> obligations qui lui sontimposées ainsi qu’<strong>aux</strong> mesures prises pour vérifier que lesobjectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît quel’administration a entendu lui confier une telle mission. Mais,comme le donne à penser la rédaction de l’arrêt « APREI », sila présence de prérogatives de puissance publique n’est pasdéterminante, dans tous les cas en revanche, la personne privéedoit assurer une mission d’intérêt général sous le contrôle del’administration, contrôle qui constitue l’élément déterminant.L’arrêt « Commune de Six-Fours-Les-Plages » se situe égalementdans la lignée de la jurisprudence qui, depuis l’arrêt« Commune de <strong>La</strong>mbesc » (CE, 15 avr. 1996, n° 168325, Rec.CE 1996, p. 274, RFD adm. 1996, p. 751,concl. Chantepy C., p. 718, note Terneyre Ph.,Dr adm. 1996, comm. 355, note Auby J.-M.,CJEG 1996, p. 270, note Savignat R., LPA 12juill. 1996, p. 30, note Préat D., AJDA 1996,p. 729, chron. Chauv<strong>aux</strong> D. et Girardot T.-X.,JCP E 1997, II, n° 929), a commencé à distinguerles règles relatives à la passation<strong>des</strong> marchés publics de celles <strong>applicables</strong><strong>aux</strong> conventions de délégation de service public.En l’espèce, il importait de déterminer le rôle exact de la communedans l’organisation du festival, et donc étudier les stipulationsde la convention l’unissant à la société Adam Concerts.<strong>La</strong> commune avait créé le festival et l’avait organisé elle-mêmedepuis 1997. Les objectifs de la ville étaient inscrits dans laconvention, qui indiquait que, dans « le cadre de sa politiqueculturelle, la commune met en place un festival de musique quise déroule depuis dix ans sur l’île du Gaou (…). Ces différentsconcerts, organisés pendant la période estivale sont un <strong>des</strong> grandsmoments de la politique culturelle de la commune de Six-Fourset contribuent pleinement à sa renommée événementielle ».L’autre intérêt de l’arrêt tient à la manière dont le Conseil d’Étatappréhende la notion de prix dans les marchés publics. <strong>La</strong>qualification de marché public donnée à la convention reposesur un abandon de recettes et une subvention.On assiste à la fois à la transmutation d’un service publicdu fait de l’absence d’insertion de certaines clauses dans uncontrat, et à la passation d’un marché public de services dontle prix est un abandon de recettes et le versement de sommes« appelées subventions ».I – DE LA RECHERCHE DU SERVICE PUBLIC…L’arrêt « Commune de Six-Fours-Les-Plages » a le grand méritede participer de la jurisprudence qui tend à rendre au critère duservice public la place fondamentale qui est la sienne au seinde la notion de délégation de service public, critère qui avaitété quelque peu éclipsé par celui tenant à la rémunération ducocontractant, qui doit être « substantiellement liée <strong>aux</strong> résultatsde l’exploitation du service ». Le service public peut toujours êtredéfini comme une activité d’intérêt général assurée ou assuméepar une personne publique (Chapus R., Droit administratif général,tome 1, 14 e éd., Montchrestien, 2000, n° 748 et s.). L’arrêt préciseles critères du service public et surtout leur hiérarchisation.CONTRATS ET MARCHÉS PUBLICSL’activité culturelle estreconnue par le jugeadministratif comme unobjet de service publicA.– Des indices nécessaires mais non suffisantsUn premier indice tient à la nature de la prestation, qui doit être« de celle qui peuvent être constitutives d’un service public ». End’autres termes l’activité doit présenter un intérêt général. L’activitéculturelle est reconnue par le juge administratif comme unobjet de service public semble-t-il depuis l’arrêt « Gheusi », quivoit un service public dans l’activité d’un théâtre, précisémentl’Opéra-Comique (CE, 27 juill. 1923, RDP 1923, p. 560, concl. MazeratJ.-B., note Jèze G., D. 1923, 3, 57, note Appleton J.). <strong>La</strong> solution a étéconfirmée à propos d’un théâtre municipal, créé en vue d’« assurerun service permanent de représentations théâtrales de qualité,d’après un répertoire établi avec le souci de choisir et de varier lesspectacles, en faisant prédominer les intérêts artistiques sur lesintérêts commerci<strong>aux</strong> de l’exploitation » (CE, 21 janv. 1944, Léoni,Rec. CE 1944, p. 26), du théâtre municipal de la Gaîté-Lyrique (CE,sect., 19 mars 1948, Sté Les Amis de l’opérette, Rec. CE 1948, p. 142),d’un théâtre de verdure municipal (CE, sect., 12 juin 1959, Synd.<strong>des</strong> exploitants de cinématographes de l’Oranie, Rec. CE 1959, p. 363,AJDA 1960, 2, p. 86, concl. Mayras H., D. 1960, p. 402, note Robert J.),du Capitole de Toulouse (T. confl., 15 janv. 1979, n° 2106, DmesLe Cachey et Guignère, Rec. CE 1979, p. 561,concl. Morisot M., AJDA 1979, n° 11, p. 31) etd’un théâtre-casino municipal (CE, sect.,18 mai 1979, n° 413, Assoc. Urbanisme judaïqueSaint-Seurin, Rec. CE 1979, p. 218, RDP1979, p. 1481, concl. <strong>La</strong>tournerie M.-A.). Demême, assurent un service public les villesqui organisent un « festival de la bande<strong>des</strong>sinée » (CE, 25 mars 1988, n° 61257, Cned’Hyères, Rec. CE 1988, p. 668), une « grande parade de jazz » (CE,2 juin 1995, n° 123647, Ville de Nice, Rec. CE tables 1995, p. 1050, Quot.jur. 11 janv. 1996, p. 11), ou la ville de Cannes lorsqu’elle exploiteson Palais <strong>des</strong> festivals et <strong>des</strong> congrès (T. confl., 19 déc. 1988,n° 2541, Ponce, Rec. CE 1988, p. 497, AJDA 1989, p. 274, obs. Prétot X.,D. 1989, p. 330, note Poujade B., RDP 1990, p. 571), toutes activitésqui servent l’intérêt général d’ordre culturel et touristique. Plusrécemment, le Conseil d’État a considéré, sans que cela soulèvede difficulté, que le festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence était un service public (CE, sect., 6 avr. 2007, n° 284736,Cne Aix-en-Provence, RFD adm. 2007, p. 4, concl. Séners, note DouenceJ.-C., AJDA 2007, p. 1020, chron. Lénica F. et Boucher J., JCP G 2007, I,n° 166, chron. Plessix B., JCP A 2007, n° 2125, comm. Linditch F., JCP A2007, n° 2128, comm. Pontier J.-M., RDP 2007, p. 1367, note Bui-Xan O.,RLCT 2007/25, n° 724, note Rouault M.-C.). Dans un autre ordred’idées, ont été considérés comme <strong>des</strong> services publics les tirsde feux d’artifice organisés par les communes à l’occasion d’unefête locale ou du 14 juillet (CE, sect., 14 nov. 1948, Jacquin, Rec. CE1948, p. 213, RDP 1948, p. 609, note Waline M. ; CE, 22 nov. 1946, Cnede Saint-Priest-la-Plaine, D. 1947, p. 375, note Blaevoet C., S. 1947, 3,105, note Bénoït F.-P.), ainsi que d’autres réjouissances, comme<strong>des</strong> « lâchers de taure<strong>aux</strong> », organisées par <strong>des</strong> communes dansle cadre de leur fête traditionnelle (T. confl., 22 avr. 1985, n° 2368,<strong>La</strong>urent, Rec. CE 1985, p. 541 ; Dr adm. 1985, n° 324).Toute activité touristique ou récréative organisée par unecollectivité territoriale n’est cependant pas reconnue commeun service public par le juge, qui recherche l’intention de lapersonne publique et même parfois celle du particulier qui seprévaut de sa participation à un service public. Ainsi, dansl’arrêt « Bossuyt » (CE, sect., 30 oct. 1953, Rec. CE 1953, p. 466,RDP 1954, p. 178, note Waline M.), le Conseil d’État considèreque ne participait pas à un service public un cavalier blessélors d’une course de chev<strong>aux</strong> organisée lors d’une fête communale,estimant qu’il était davantage animé par l’espritdu jeu et l’espoir d’un gain que par le souci de participerREPÈRESN° 71 • SEPTEMBRE 2011 • REVUE LAMY DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES 31