JOURNAL OFFICIEL - Débats parlementaires de la 4e République

JOURNAL OFFICIEL - Débats parlementaires de la 4e République JOURNAL OFFICIEL - Débats parlementaires de la 4e République

4e.republique.jo.an.fr
from 4e.republique.jo.an.fr More from this publisher
11.07.2015 Views

Je vais me permettre de solliciter un certain nombre de précisionsessentielles.En premier lieu, estimez-vous possible, monsieur le présidentdu conseil, de considérer l'agitation dans la Régencecomme une émanation authentique du peuple tunisien ? N'estimez-vouspas, au contraire, comme les laits semblent ledémontrer, quelle est d'abord, et peut-être exclusivement, lerésultat direct d'interventions étrangères, dont les inspirationsdiffèrent mais dont les objectifs se confondent ?U faudra bien que nous sachions, avant demain soir, ce quele Gouvernement veut bien en penser.J'ai déjà dit la maladresse — c'est le moins qu'on puissedire — de nos amis américains, sur le plan abstrait d'aborden favorisant indistinctement les aspirations nationales du Proche-Orientpar pure idéologie anticolonialiste, ensuite sur leplan concret des intérêts économiques, l'attrait irrépressiblequ'exerçaient sur eux les champs de pétrole de noire Afriquedu Nord.J'ai dit combien il était inadmissible que l'Angleterre établieen Tripolitaine considère notre Tunisie comme un champ d'intrigue.II faudra bien que le Parlement sache d'où, en totalitéou en partie, viennent les fellagha, par qui ils sont équipés etpar qui ils sont armés, dans quels centres ils sont entraînés etquelle immunité couvre leur position de repli.En ce qui concerne la Ligue arabe, vous savez évidemmentque le 4 avril de cette année un pacte a été conclu entre lecomité de libération du Moghreb et tous les partis nord-africainsdits nationalistes. Ce pacte déclare que l'objet du comitéest d'organiser la lutte du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisieen vue de leur indépendance.Deux jours après la signature de ce pacte, La Voix des Arabes,cette voix du Caire qui applaudit aux attentats, les annonceparfois à l'avance, qualifie leurs exécutants de « rédempteurs »et les àssure de la bénédiction de Dieu, cette voix s'écriait,comme pour un nouveau départ : « Soyez héroïques et sachezmourir en martyrs, l'arabisme est avec vous. »L'arabisme n'est du reste pas le seul à être avec eux. Depuisle 2 juillet dernier, donc au début du mois qui vit votrevoyage-éclair à Tunis, monsieur le président du conseil, lesémissions du Caire, et du reste aussi de radio-Tétouan, sontdésormais relayées par radio-Budapest. Personne ne s'étonneradans cette Assemblée de voir la Russie, habituée à agir par letruchement des « minorités agissantes », faire valoir son sentimentpar le truchement de radio-Budapest comme, éventuellement,elle peut aussi faire connaître ses volontés et sesmots d'ordre d'une manière plus directe, ne serait-ce, parexemple, que par le canal du consulat de Pologne à Alger.Quand le Néo-Dcstour tient à New-York une permanence quiest un- véritable foyer antifrançais ; quand la création d'uncomité de vigilance" pour nous expulser d'Afrique du Nord aété favorisée dans la capitale britannique ; quand ie comitéde libération du Moghreb reçoit à la Ligue arabe, en vuede poursuivre inexorablement notre éviction, une premièresubvention de 15.000 livres égyptiennes; quand la Russie nepeut s'empêcher de trahir tout haut son action souterraine ily a vraiment autre chose à faire pour la France qu'à reconnaîtrecomme la voix authentique du peuple tunisien l'expressionsanglante de cet immense complot.Les oulémas de Fez viennent aujourd'hui nous dire qu'onleur a forcé la main dans leur manifestation contre le Sultan.Pourquoi ne serait-ce pas plausible ? Ce ne serait pas la premièrefois.A Fez déjà, en d'autres circonstances, les délégués de quelque400 lolbas des rnédersas étaient venus déclarer au tribunaldu Pacha qu'ils se plaignaient de jeunes agitateurs quiétaient venus les sommer de sortir dans la rue avec eux.Qu'il s'agisse de proclamations verbales ou d'attentats terroristes,toutes ces formes de complot portent un nom: celas'appelle de l'intimidation.11 s'agit cle savoir si l'intimidation paie ou non et si noussommes désormais incapables de nous protéger nous-mêmeslà où notre tutelle s'est si longtemps exercée.J'entends bien M. le ministre des affaires tunisiennes etmarocaines, peut-être même M. le président du conseil, répondreen me parlant des problèmes internes tunisiens et marocains.Je vais en parler moi-même, mais ce que j'ai vouludire c'est qu'il est illicite et même mensonger d'en parleravant d'avoir dénoncé, défini et réglé, par les moyens appropriés,les sources du véritable terrorisme et, ce faisant, donnéau problème, par une délimitation rigoureuse, son seul, authentiqueet véritable aspect.A quoi aspire véritablement le peuple tunisien ? La massedes Tunisiens, je dirai même leur quasi-totalité, aspire avanttoule chose à la sécurité économique: du blé, de l'huile, desvêtements, des chaussures, ainsi que — et surtout peut-être —un bon caïd, honnête et juste.Dans ce pays surpeuplé où nous-mêmes n'avons pu éliminercomplètement — je modère mes termes — la vénalité et laconcussion, êtes-vous sùr que l'autonomie interne va signifierdu jour au lendemain, pour le travailleur tunisien, simplementun minimum de sécurité économique et simplement un minimumd'honnêteté et de juslice dans l'administration faite pourle servir ?Est-ce que la masse des Tunisiens aspire vraiment à atilrechose ? Aspire-t-elle à, l'exercice des modalités diverses du droitde vote, à tous les privilèges de la démocratie ?Je pourrais déjà répondre qu'il y a quelque chose de curieuxà insister à vouloir donner, à tout prix et le plus vite possible,le droit de vote à des gens qui ne le demandent pas. On pourrame répondre qu'il y a dans cette assurance quelque pétition deprincipe, qu'il est trop tôt pour conclure, qu'ils aspirent à toutcela inconsciemment, que cle toute façon on ne sera en droitde juger que lorsqu'ils auront effectivement exercé tous cesprivilèges aujourd'hui en balance.Mais il y a déjà eu des essais et je pense qu'on est autoriséà tirer quelques conclusions de l'indifférence à peu près totalequ'ont manifestée les Tunisiens à l'égard des franchises communales.11 n'y a pas lieu non plus de se féliciter de la façon dont sesont déroulées les précédentes élections tunisiennes*. U est trèsjoli et noble de parler d'Etat moderne et de constituante, maisencore faut-il qu'il y ait un nombre suffisant d'élecleurssachant lire et écrire et surtout que. clans les opérations électorales,ce qu'on appelle le « nerf de la guerre » ne devienne pasle nerf exclusif de la démocratie.La question véritable est celle-ci: le peuple tunisien a-t-ilatteint, comme M. le président du conseil l'a suggéré, voireassuré, le niveau de la maturité politique ?Par delà les points cle droit qui seront discutés, par référenceau traité de 1881 où à tel autre texte, c'est cette question quiéclaire le problème.Elle peut, du reste, se formuler autrement: la Tunisie est-elleprésentement en état de décider cle son propre destin ? En touteobjectivité, il ne semble pas possible de répondre par l'affirmative.M. lladi Nouira peut bien revendiquer pour lui-même et pourses propres amis « le droit de commettre leurs propres erreurs »,celte forme de défi n'est qu'une gageure verbale et n'autoriseen aucune façon à faire bon marché de la protection que nousavons jusqu'ici assurée au peuple dans son ensemble.Les témoignages ne manquent pas qui savent définir impartialementle point de l'évolution de l'Etat tunisien:« Le drame de cette émancipation populaire », écrivaitM. Robert Montagne, « réside dans le fait que l'éducation socialeet politique selon les normes de l'Etat moderne ne se trouveque très imparfaitement îéalisée ». Et l'auteur de ces lignesmettait en garde contre ce péril K de voir les masses encoreincultes jetées prématurément dans la vie politique ».' M. Maurice Duverger, soulignant que l'analphabétisme et lefanatisme religieux demeurent « trop répandus dans lesmasses », que l'activité économique autochtone était encoreinsuffisante, que surtout le développement d'une classemoyenne capable de fournir des cadres administratifs et politiquesvalables reste encore trop faible, nous dit de son Côtéque « l'indépendance totale risquerait d'ouvrir une ère d'anarchieou de semi-anarchie qui affaiblirait la constellation politiquedans laquelle la géographie ies a placés et qui les affaibliraiteux-mêmes ».Si l'on ajoute que la masse — elle l'a prouvé cent fois —n'est pas prête à supporter un régime qui va à l'encontre deses tradilions et de ses coutumes, j'ajouterai même de sa foireligieuse, que peut-on espérer d'une autonomie interne quipostule un état psychologique, intellectuel et social vers lequelon tend mais dont on est encore loin ?Ce sont, du reste, les dirigeants du Néo-Destour eux-mêmesqui viennent nous en donner la confirmation.C'est M. Habib Bourguiba en personne qui. dans une de sesinterviewes pourtant rassurantes, du fond de ses cachots deplus en plus ambulants et de plus en plus touristiques, adéclaré, lorsqu'on lui parlait de la future république tunisienne :« 11 n'est pas question de république. La forme traditionnellede l'Etat tunisien est la théocratie. »Le mot « théocratie » étant surtout nn salut poli à l'Islam,il ne restera clans la réalité — comme il n'y a, du reste, dansl'esprit des « super-nationalistes » — qu'une forme totalitairepour l'Etat tunisien. Il y aura bien une Constitution, un Destour,mais elle sera et ne pourra être qu'à la mesure des nouveauxmaîtres que vous aurez donnés au pays.Or, ces nouveaux maîtres, dont M. Tabac ben Amar vamodestement déjà prendre les consignes, ces interlocuteursdont votre action légitime d'un coup tout le passé de revendications,qui sont-ils, que sont ils 2

- Des démocrates ? Dans la mesure où ils le paraissent, ils nele sont aujourd'hui que par calcul. La démocratie dont ilsprennent référence n'est qu'une arme à l'usage externe, toutjuste bonne à arracher délinitivement le pouvoir de nos mains.Quand cette opération sera conclue, ils se réclameront del'Islam à l'intérieur pour assurer leur néo-califat, leur néotliéocratieà eux.Ces, gens, qui sont en lait des adversaires de l'Islam, invo-,queront alors pour asseoir leur autorité, toute la tradition inscritedepuis des siècles dans les sourates du Coran, de ce Coranqui est non seulement, il ne faut pas l'oublier, l'ensemble despréceptes moraux ou religieux, mais en même temps tout unsystème législatif et juridique et la base même du droit musulman.Adversaires de la démocratie comme de la religion musulmane,ils joueront cependant de l'une comme de l'autre dansle seul but d'écarter les obstacles sur leur chemin.Mais s'ils triomphent de leurs compatriotes demain, c'estparce qu'ils auront d'abord triomphé de nous.Cette inspiration totalitaire que nous leur prêtons n'est nullement,monsieur le président du conseil, une vue de notreesprit. Elle a, au contraire, déjà fait ses preuves — très concrètes— dans les méthodes qu'ils ont employées quand ils enont eu le loisir.Les hommes qui représentent aujourd'hui le Néo-Destour àDamas, à Karachi, à New-Delhi, ont été naguère arrêtés parles Français et libérés par ies Allemands. Ils se sont initiés àces méthodes totalitaires lorsque le Croissant Rouge, commeon le rappelait récemment, mettait ia Tunisie en coupe réglée,se comportait en maître de la rue, perquisitionnait et dénonçait.N'est-ce pas une méthode de parti totalitaire que cette coercitionpermanente exercée par la menace et la vindicte du parti,ces grèves de commerçants imposées par le chantage, agrémentéesde pillages et sanctionnées par l'assassinat ?Je me permets de signaler en passant que l'attentat terroriste,quelle que soit sa valeur de propagande, n'est en faitqu'une preuve de faiblesse, un moyen mineur, écrivaitM. Herly, auquel on a recours quand l'insurrection est impossibleen raison du manque d'enthousiasme de la population.Il donne au l'ont la preuve contraire de ce qu'il entendaitdémontrer.Je laisserai à d'autres collègues le soin de dénoncer dans iedétail, avec textes à l'appui — Dieu sait s'il y en a — la collusiondu N.éo-Destour avec l'Allemagne. Qu'il me soit simplementpermis de rappeler que l'une de nos fonctions les plus.çlaires en Afrique : du Nord a été la protection effective desminorités, et de demander ce qu'il adviendrait des Chleuhs, desChaouïas,, des Kabyles, des Berbères de toute sorte, des Mozabites,des Israélites, si les partis nationalistes pouvaient accéderau pouvoir.Il y a malheureusement des précédents. L'un des premiers. souct du comité d'action marocaine, lorsqu'il se créa, fut dedemander l'annulation de notre politique berbère. Et je n'aipas à rafraichir les mémoires en ce qui concerne les exactionsracistes de 1912, ou de 1952, en Tunisie ou de Petitjean en 1954.Voilà les hommes à qui le Gouvernement français a choiside remettre le pouvoir. Nullement représentatifs du peupletunisien, qu'ils ne sont capables de mobiliser que par lamenace, poursuivant ostensiblement des objectifs qui vont bienau dede ce que vous croyez seulement leur concéder,appuyés par des acteurs et des alliés invisibles qui se serventd'eux pour nous évincer, mais sauront ensuite jouer leurpropre jeu, il fallait vraiment, monsieur le président du conseil,une bonne volonté. sortant de l'ordinaire pour leur accorderquelque crédit.D'autres que vous s!y étaient d'abord laissé prendre. Ils ensont aujourd'hui revenus. J'en veux pour témoin cette motionvotée par la commission exécutive de la section de Tunis dusyndicat national des instituteurs:« Les instituteurs se refusent à accepter le crime, l'assassinat,le vol comme des moyens légitimes d'accès à l'autonomie,interne. Ceux qui, sans" partager absolument la doctrine duNéo-Destour, étaient cependant favorables à un acheminementprogressif du peuple tunisien à son autonomie interne, s'interrogentactuellement sur le crédit qu'il convient d'accorder àcertaines déclarations du Néo-Destour relatives à la situationdes Français et des Européens vivant en Tunisie. »C'est pourtant, monsieur le président du conseil, ce créditque vous avez accordé. Ce faisant, vous êtes non seulemententré dans leur jeu, mais vous avez tourné le dos à ceux qui,depuis des dizaines d'années, avaient mis leur espoir et leurconfiance en nous.Vous avez cruellement déçu ies nombreux amis.que la Francepossède sur le sol tunisien. Nous leur avons accordé notreamitié mais nous avons laissé agir nos ennemis, qui étaientaussi IP.S leursQue vont devenir demain ces caïds,, ces cheiks, ces khalifes,qui secondaient efficacement l'autorité française, à partir dumoment où leur situation dépendra des ministres néo-destouriens?Nos amis ne comprennent pas et ne peuvent prendre notretolérance que pour de la faiblesse.Il y a pourtant autre chose en Tunisie que le Néo-Destour^Il y a aussi des têtes sages à Tunis, disait M. le maréchal Juin,mais il ajoutait que les têtes sages se taisent, sans doute parceque nous prêtons plus volontiers* l'oreille aux autres, à ceuxqui parlent le plus fort.Il est. juste de prêter attention au tapage des cliques minoritaires,mais il est plus juste de faire écho aux aspirations desbonnes volontés, des modestes, de ceux qui savent qu'un changementde maître ne leur apportera rien.En fondant votre espoir sur ia pérennité des intérêts français,sur les conventions dont vous voulez obtenir la signature,vous seriez.la victime d'une illusion majeure.Ces conventions n'auraient de valeur que si la bonne foiétait assurée des deux côtés. Comment peut-on prétendre qu'ilen sera ainsi, lorsque vos partenahes eux-mêmes prennent tesoin de vous avertir que ce que vous considérez comme définitif,eux lo considèrent seulement comme provisoire.Bourguiba, qui s'écriait en 1950 que « l'indépendance extérieuresuivrait" l'autonomie interne inexorablement », nous afait savoir, après votre voyage à Tunis, que ce n'était là« qu'une étape substantielle sur la voie de l'indépendance,totale ».Ne pensez-vous pas que le premier soin de l'assemblée, ditesouveraine, réunie par les soins du Néo-Destour, serait dodénoncer tout engagement antérieur qui constituerait unobstacle sur le chemin de sa souveraineté ?Quelle attitude, je vous le demande, pourra prendre la France,en dépit de vos conventions, si le vote unanime d'une chambre •tunisienne prétendument élue au suffrage universel, la meten demeure de supprimer son ultime contrôle ?Il semblerait qu'il n'y ait que nous à ne pas le saveir, à nopas le prévoir.Alors, quelle est la solution, cette solution constructive quevous réclamiez l'autre jour ?Je demanderai, d'abord : la solution à quoi ? Au terrorisme ?J'ai dit qu'il fallait d'abord donner au terrorisme son véritablesens et ses Véritables limites. Si vous estimez que le terrorismeest 1e fruit spontané du sentiment tunisien, que leNéo-Destour est le représentant qualifié du peuple tunisien etque pour mettre fin aux troubles il n'y a pas d'aulre issue quededer le pouvoir au Néo-Destour, je dis qu'il s'agit là d'unevue fausse du problème et que, par conséquent, la solutionque vous préconisez n'est pas valable.11 faut, d'abord, à tout prix, écarter de nos conversations,présentes et futures, tous ceux que se sont révélés les ennemisde la France quand nos libertés étaient menacées. Comme ilsont élé de mauvais juges, ils seraient de mauvais partenaires.Il faut juguler le terrorisme tel qu'il est et non tel qu'on sel'imagine, c'est-à-dire qu'il faut frapper non seulement lesexécutants, mais les instigateurs. Il est possible d'en atteindreun grand nombre. 11 est possible, si on le veut vraiment, do,dénoncer et de paralyser les autres.Il faut ensuite, méthodiquement, faire suivre à nos amis tunisiensl'apprentissage de la démocratie, en particulier parl'exercice des franchises communales. C'est par ia pratique deslibertés de nos communes que la France, sortant du moyénâge,a appris à devenir républicaine. Tant que ce stade n'àurapas' été dépassé tout autre essai de démocratisation serait unleurre et une machine de guerre entre les mains des stratègesqui veulent notre départ. Nous savons par l'expérience d'uncertain nombre de pays à travers le monde que l'indépendancejuridique ne signifie pas nécessairement l'indépendance réelleet que l'impérialisme n'a pas qu'un seul visage.Il faut ensuite, avant de penser à une promotion politiquedont beaucoup, dans l'immédiat, ne sauraient que faire, travaillerà une promotion sociale, suivant le sage conseil d'unancien gouverneur de l'Algérie : « Quand tout ie monde auraété mis sur un pied d'égalité sociale, on pourra alors envisagerpour tout le monde des droits politiques égaux ». Il s'agit làd'une ascension lente et raisonnée, non seulement légitime,mais nécessaire, et nous sommes bien plus qualifiés pour présiderà cette ascension sociale que tous les féodaux et tous lesmandarins.Il faut, en particulier, pour ce faire, combler le vide énormequi existe dans les futurs cadres tunisiens sur le plan technique..Il n'y a pas de spécialistes en Tunisie.. Les avocats et lesmédecins pullulent aux Quartiers Généraux du Néo-Destour,mais on cherche encore les ingénieurs, les architectes et tousles techniciens. Or, tant pour son expansion économique quepour la sécurité des travailleuis, la Tunisie a besoin de spécialisteset c'est à nous de les lui préparer.

Je vais me permettre <strong>de</strong> solliciter un certain nombre <strong>de</strong> précisionsessentielles.En premier lieu, estimez-vous possible, monsieur le prési<strong>de</strong>ntdu conseil, <strong>de</strong> considérer l'agitation dans <strong>la</strong> Régencecomme une émanation authentique du peuple tunisien ? N'estimez-vouspas, au contraire, comme les <strong>la</strong>its semblent ledémontrer, quelle est d'abord, et peut-être exclusivement, lerésultat direct d'interventions étrangères, dont les inspirationsdiffèrent mais dont les objectifs se confon<strong>de</strong>nt ?U faudra bien que nous sachions, avant <strong>de</strong>main soir, ce quele Gouvernement veut bien en penser.J'ai déjà dit <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>dresse — c'est le moins qu'on puissedire — <strong>de</strong> nos amis américains, sur le p<strong>la</strong>n abstrait d'abor<strong>de</strong>n favorisant indistinctement les aspirations nationales du Proche-Orientpar pure idéologie anticolonialiste, ensuite sur lep<strong>la</strong>n concret <strong>de</strong>s intérêts économiques, l'attrait irrépressiblequ'exerçaient sur eux les champs <strong>de</strong> pétrole <strong>de</strong> noire Afriquedu Nord.J'ai dit combien il était inadmissible que l'Angleterre établieen Tripolitaine considère notre Tunisie comme un champ d'intrigue.II faudra bien que le Parlement sache d'où, en totalitéou en partie, viennent les fel<strong>la</strong>gha, par qui ils sont équipés etpar qui ils sont armés, dans quels centres ils sont entraînés etquelle immunité couvre leur position <strong>de</strong> repli.En ce qui concerne <strong>la</strong> Ligue arabe, vous savez évi<strong>de</strong>mmentque le 4 avril <strong>de</strong> cette année un pacte a été conclu entre lecomité <strong>de</strong> libération du Moghreb et tous les partis nord-africainsdits nationalistes. Ce pacte déc<strong>la</strong>re que l'objet du comitéest d'organiser <strong>la</strong> lutte du Maroc, <strong>de</strong> l'Algérie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tunisieen vue <strong>de</strong> leur indépendance.Deux jours après <strong>la</strong> signature <strong>de</strong> ce pacte, La Voix <strong>de</strong>s Arabes,cette voix du Caire qui app<strong>la</strong>udit aux attentats, les annonceparfois à l'avance, qualifie leurs exécutants <strong>de</strong> « ré<strong>de</strong>mpteurs »et les àssure <strong>de</strong> <strong>la</strong> bénédiction <strong>de</strong> Dieu, cette voix s'écriait,comme pour un nouveau départ : « Soyez héroïques et sachezmourir en martyrs, l'arabisme est avec vous. »L'arabisme n'est du reste pas le seul à être avec eux. Depuisle 2 juillet <strong>de</strong>rnier, donc au début du mois qui vit votrevoyage-éc<strong>la</strong>ir à Tunis, monsieur le prési<strong>de</strong>nt du conseil, lesémissions du Caire, et du reste aussi <strong>de</strong> radio-Tétouan, sontdésormais re<strong>la</strong>yées par radio-Budapest. Personne ne s'étonneradans cette Assemblée <strong>de</strong> voir <strong>la</strong> Russie, habituée à agir par letruchement <strong>de</strong>s « minorités agissantes », faire valoir son sentimentpar le truchement <strong>de</strong> radio-Budapest comme, éventuellement,elle peut aussi faire connaître ses volontés et sesmots d'ordre d'une manière plus directe, ne serait-ce, parexemple, que par le canal du consu<strong>la</strong>t <strong>de</strong> Pologne à Alger.Quand le Néo-Dcstour tient à New-York une permanence quiest un- véritable foyer antifrançais ; quand <strong>la</strong> création d'uncomité <strong>de</strong> vigi<strong>la</strong>nce" pour nous expulser d'Afrique du Nord aété favorisée dans <strong>la</strong> capitale britannique ; quand ie comité<strong>de</strong> libération du Moghreb reçoit à <strong>la</strong> Ligue arabe, en vue<strong>de</strong> poursuivre inexorablement notre éviction, une premièresubvention <strong>de</strong> 15.000 livres égyptiennes; quand <strong>la</strong> Russie nepeut s'empêcher <strong>de</strong> trahir tout haut son action souterraine ily a vraiment autre chose à faire pour <strong>la</strong> France qu'à reconnaîtrecomme <strong>la</strong> voix authentique du peuple tunisien l'expressionsang<strong>la</strong>nte <strong>de</strong> cet immense complot.Les oulémas <strong>de</strong> Fez viennent aujourd'hui nous dire qu'onleur a forcé <strong>la</strong> main dans leur manifestation contre le Sultan.Pourquoi ne serait-ce pas p<strong>la</strong>usible ? Ce ne serait pas <strong>la</strong> premièrefois.A Fez déjà, en d'autres circonstances, les délégués <strong>de</strong> quelque400 lolbas <strong>de</strong>s rné<strong>de</strong>rsas étaient venus déc<strong>la</strong>rer au tribunaldu Pacha qu'ils se p<strong>la</strong>ignaient <strong>de</strong> jeunes agitateurs quiétaient venus les sommer <strong>de</strong> sortir dans <strong>la</strong> rue avec eux.Qu'il s'agisse <strong>de</strong> proc<strong>la</strong>mations verbales ou d'attentats terroristes,toutes ces formes <strong>de</strong> complot portent un nom: ce<strong>la</strong>s'appelle <strong>de</strong> l'intimidation.11 s'agit cle savoir si l'intimidation paie ou non et si noussommes désormais incapables <strong>de</strong> nous protéger nous-mêmeslà où notre tutelle s'est si longtemps exercée.J'entends bien M. le ministre <strong>de</strong>s affaires tunisiennes etmarocaines, peut-être même M. le prési<strong>de</strong>nt du conseil, répondreen me par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s problèmes internes tunisiens et marocains.Je vais en parler moi-même, mais ce que j'ai vouludire c'est qu'il est illicite et même mensonger d'en parleravant d'avoir dénoncé, défini et réglé, par les moyens appropriés,les sources du véritable terrorisme et, ce faisant, donnéau problème, par une délimitation rigoureuse, son seul, authentiqueet véritable aspect.A quoi aspire véritablement le peuple tunisien ? La masse<strong>de</strong>s Tunisiens, je dirai même leur quasi-totalité, aspire avanttoule chose à <strong>la</strong> sécurité économique: du blé, <strong>de</strong> l'huile, <strong>de</strong>svêtements, <strong>de</strong>s chaussures, ainsi que — et surtout peut-être —un bon caïd, honnête et juste.Dans ce pays surpeuplé où nous-mêmes n'avons pu éliminercomplètement — je modère mes termes — <strong>la</strong> vénalité et <strong>la</strong>concussion, êtes-vous sùr que l'autonomie interne va signifierdu jour au len<strong>de</strong>main, pour le travailleur tunisien, simplementun minimum <strong>de</strong> sécurité économique et simplement un minimumd'honnêteté et <strong>de</strong> juslice dans l'administration faite pourle servir ?Est-ce que <strong>la</strong> masse <strong>de</strong>s Tunisiens aspire vraiment à atilrechose ? Aspire-t-elle à, l'exercice <strong>de</strong>s modalités diverses du droit<strong>de</strong> vote, à tous les privilèges <strong>de</strong> <strong>la</strong> démocratie ?Je pourrais déjà répondre qu'il y a quelque chose <strong>de</strong> curieuxà insister à vouloir donner, à tout prix et le plus vite possible,le droit <strong>de</strong> vote à <strong>de</strong>s gens qui ne le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt pas. On pourrame répondre qu'il y a dans cette assurance quelque pétition <strong>de</strong>principe, qu'il est trop tôt pour conclure, qu'ils aspirent à toutce<strong>la</strong> inconsciemment, que cle toute façon on ne sera en droit<strong>de</strong> juger que lorsqu'ils auront effectivement exercé tous cesprivilèges aujourd'hui en ba<strong>la</strong>nce.Mais il y a déjà eu <strong>de</strong>s essais et je pense qu'on est autoriséà tirer quelques conclusions <strong>de</strong> l'indifférence à peu près totalequ'ont manifestée les Tunisiens à l'égard <strong>de</strong>s franchises communales.11 n'y a pas lieu non plus <strong>de</strong> se féliciter <strong>de</strong> <strong>la</strong> façon dont sesont déroulées les précé<strong>de</strong>ntes élections tunisiennes*. U est trèsjoli et noble <strong>de</strong> parler d'Etat mo<strong>de</strong>rne et <strong>de</strong> constituante, maisencore faut-il qu'il y ait un nombre suffisant d'élecleurssachant lire et écrire et surtout que. c<strong>la</strong>ns les opérations électorales,ce qu'on appelle le « nerf <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre » ne <strong>de</strong>vienne pasle nerf exclusif <strong>de</strong> <strong>la</strong> démocratie.La question véritable est celle-ci: le peuple tunisien a-t-i<strong>la</strong>tteint, comme M. le prési<strong>de</strong>nt du conseil l'a suggéré, voireassuré, le niveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> maturité politique ?Par <strong>de</strong>là les points cle droit qui seront discutés, par référenceau traité <strong>de</strong> 1881 où à tel autre texte, c'est cette question quiéc<strong>la</strong>ire le problème.Elle peut, du reste, se formuler autrement: <strong>la</strong> Tunisie est-elleprésentement en état <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r cle son propre <strong>de</strong>stin ? En touteobjectivité, il ne semble pas possible <strong>de</strong> répondre par l'affirmative.M. l<strong>la</strong>di Nouira peut bien revendiquer pour lui-même et pourses propres amis « le droit <strong>de</strong> commettre leurs propres erreurs »,celte forme <strong>de</strong> défi n'est qu'une gageure verbale et n'autoriseen aucune façon à faire bon marché <strong>de</strong> <strong>la</strong> protection que nousavons jusqu'ici assurée au peuple dans son ensemble.Les témoignages ne manquent pas qui savent définir impartialementle point <strong>de</strong> l'évolution <strong>de</strong> l'Etat tunisien:« Le drame <strong>de</strong> cette émancipation popu<strong>la</strong>ire », écrivaitM. Robert Montagne, « rési<strong>de</strong> dans le fait que l'éducation socialeet politique selon les normes <strong>de</strong> l'Etat mo<strong>de</strong>rne ne se trouveque très imparfaitement îéalisée ». Et l'auteur <strong>de</strong> ces lignesmettait en gar<strong>de</strong> contre ce péril K <strong>de</strong> voir les masses encoreincultes jetées prématurément dans <strong>la</strong> vie politique ».' M. Maurice Duverger, soulignant que l'analphabétisme et lefanatisme religieux <strong>de</strong>meurent « trop répandus dans lesmasses », que l'activité économique autochtone était encoreinsuffisante, que surtout le développement d'une c<strong>la</strong>ssemoyenne capable <strong>de</strong> fournir <strong>de</strong>s cadres administratifs et politiquesva<strong>la</strong>bles reste encore trop faible, nous dit <strong>de</strong> son Côtéque « l'indépendance totale risquerait d'ouvrir une ère d'anarchieou <strong>de</strong> semi-anarchie qui affaiblirait <strong>la</strong> constel<strong>la</strong>tion politiquedans <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> géographie ies a p<strong>la</strong>cés et qui les affaibliraiteux-mêmes ».Si l'on ajoute que <strong>la</strong> masse — elle l'a prouvé cent fois —n'est pas prête à supporter un régime qui va à l'encontre <strong>de</strong>ses tradilions et <strong>de</strong> ses coutumes, j'ajouterai même <strong>de</strong> sa foireligieuse, que peut-on espérer d'une autonomie interne quipostule un état psychologique, intellectuel et social vers lequelon tend mais dont on est encore loin ?Ce sont, du reste, les dirigeants du Néo-Destour eux-mêmesqui viennent nous en donner <strong>la</strong> confirmation.C'est M. Habib Bourguiba en personne qui. dans une <strong>de</strong> sesinterviewes pourtant rassurantes, du fond <strong>de</strong> ses cachots <strong>de</strong>plus en plus ambu<strong>la</strong>nts et <strong>de</strong> plus en plus touristiques, adéc<strong>la</strong>ré, lorsqu'on lui par<strong>la</strong>it <strong>de</strong> <strong>la</strong> future république tunisienne :« 11 n'est pas question <strong>de</strong> république. La forme traditionnelle<strong>de</strong> l'Etat tunisien est <strong>la</strong> théocratie. »Le mot « théocratie » étant surtout nn salut poli à l'Is<strong>la</strong>m,il ne restera c<strong>la</strong>ns <strong>la</strong> réalité — comme il n'y a, du reste, dansl'esprit <strong>de</strong>s « super-nationalistes » — qu'une forme totalitairepour l'Etat tunisien. Il y aura bien une Constitution, un Destour,mais elle sera et ne pourra être qu'à <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong>s nouveauxmaîtres que vous aurez donnés au pays.Or, ces nouveaux maîtres, dont M. Tabac ben Amar vamo<strong>de</strong>stement déjà prendre les consignes, ces interlocuteursdont votre action légitime d'un coup tout le passé <strong>de</strong> revendications,qui sont-ils, que sont ils 2

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!