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JOURNAL OFFICIEL - Débats parlementaires de la 4e République

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Je sais que <strong>la</strong> cessation <strong>de</strong>s interventions libyenne et égyptiennepour ne parler que <strong>de</strong> celles-ci — car il y en a eu d'autres,au moins jadis — ne suffit pas pour résoudre le problèmetunisien. Je suis d'accord avec le Gouvernement pour penserqu'il sera nécessaire, après avoir rétabli intégralement 1 ordre,et pour faire renaître <strong>la</strong> confiance, d'octroyer à <strong>la</strong> Tunisie cettesouveraineté interne, dont elle n'a d'ailleurs jamais joui jusqu'àmaintenant.J'insiste auprès du Gouvernement pour que cette souverainetéinterne — je veux le dire en terminant — soit réalisée nonseulement <strong>de</strong> manière à assurer le maintien <strong>de</strong> <strong>la</strong> présencelrançaise et <strong>de</strong> l'association franco-tunisienne, mais dans lecadre et avec ies institutions d'une monarchie musulmane.Il convient que le souverain héréditaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tunisie n'aitplus un titre <strong>de</strong> fonctionnaire turc, mais qu'il prenne celui d'unsouverain <strong>de</strong> droit musulman.Nous avons un intérêt évi<strong>de</strong>nt à grandir le prestige du beypuisque nous savons que lui et le bey <strong>de</strong> camp sont <strong>de</strong>s amis<strong>de</strong> <strong>la</strong> France et que nous pouvons compter sur leur fidélité.Mais il ne s'agit pas <strong>de</strong> transporter <strong>de</strong>main matin en Tunisieles institutions <strong>de</strong> <strong>la</strong> IV 0 République. Il faut que lesassemblées municipales, régionales ou nationales soient dutype qui convient à une monarchies <strong>de</strong> style musulman.II faut enfin, et c'est un point sur lequel je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> auGouvernement <strong>de</strong> nous donner <strong>de</strong>s garanties précises et <strong>de</strong>prendre <strong>de</strong>s engagements formels, que les citoyens françaisinstallés en Tunisie, y exerçant une profession ou une fonction,aient les mêmes droits que pourraient avoir <strong>de</strong>s citoyens tunisiensinstallés en permanence sur un territoire <strong>de</strong> l'Union françaiseet y exerçant une profession ou une fonction.J'ai été très impressionné, durant les quelques jours quej'ai passé chez moi, par les réactions qu'ont provoquées, dansles milieux mo<strong>de</strong>stes <strong>de</strong> mon pays, les divers événements <strong>de</strong>Tunisie et les intentions que l'on prêtait au Gouvernement.Je crois sincèrement — c'est mon métier d'historien qui mel'a appris et aussi mon expérience personnelle — que le peuplefrançais a, à certains moments, <strong>de</strong>s intuitions profon<strong>de</strong>s etjustes. Il sait que si <strong>de</strong>main l'Afrique du Nord, cette construction<strong>de</strong> trois départements français f<strong>la</strong>nqués <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux monarchiesalliées et amies, avec présence et col<strong>la</strong>boration françaises,à <strong>la</strong>quelle ia France a consacré tant <strong>de</strong> talents, tant <strong>de</strong> <strong>la</strong>beurset tant <strong>de</strong> vies, venait à être lézardée, <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur, <strong>la</strong> sécurité,<strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> <strong>la</strong> France seraient menacées.L'Afrique du Nord est aussi nécessaire à <strong>la</strong> France que l'Alsaceet <strong>la</strong> Lorraine. Alger vaut Strasbourg, et si <strong>la</strong> présencefrançaise fléchit en Tunisie, <strong>de</strong>main elle fléchira au Maroc etaprès-<strong>de</strong>main en Algérie.Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, monsieur le minisire, <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s engagementsforme's, sinon nous ne pourrions pas vous accor<strong>de</strong>rnotre confiance. Cette affirmation est <strong>la</strong> condition même <strong>de</strong>notre vote. (App<strong>la</strong>udissements sur divers bancs à droite.)M. le prési<strong>de</strong>nt. La parole est à M. Pineau, pour développerson interpel<strong>la</strong>tion.M. Christian Pineau. Mesdames, messieurs, le débat qui s'ouvreaujourd'hui ne présente plus guère d'aspects nouveaux,en ce qui concerne, <strong>la</strong> Tunisie.Nous avons, en effet, longuement débattu <strong>de</strong> cette questionau cours <strong>de</strong> <strong>la</strong> séance consacrée A <strong>la</strong> fixation <strong>de</strong> <strong>la</strong> date <strong>de</strong>sinterpel<strong>la</strong>tions. Néanmoins, les inci<strong>de</strong>nts qui ont marqué cette<strong>de</strong>rnière séance nous obligent à revenir sur certains aspects duproblème.Je voudrais rappeler tout d'abord quelles sont les erreursqui ont été commises dans le passé en Tunisie.En premier lieu, nous n'avons pas compris, là comme enIndochine, le sens <strong>de</strong> l'évolution politique <strong>de</strong>s peuples que nousavons éduqués et <strong>de</strong>s cadres que nous avons formés. Nousavons <strong>la</strong>issé se manifester à l'égard <strong>de</strong> l'autonomie internepromise à <strong>la</strong> Tunisie <strong>la</strong> double opposition <strong>de</strong>s colons et <strong>de</strong>spetits fonctionnaires <strong>de</strong> l'administration. Ceux-ci ont vu dansl'autonomie interne une menace dirigée non seulement contreleurs emplois, mais contre ceux qu'ils entendaient réserver àleurs enfants. Nous sommes loin d'avoir fait —et ce<strong>la</strong> est vraipour toute l'Afrique du Nord — l'effort que nécessitait, au len<strong>de</strong>main<strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre, le développement économique du pays.Nous avons, en effet, <strong>la</strong>issé dans une misère profon<strong>de</strong> uneimportante popu<strong>la</strong>tion agricole qui avait besoin d'être secourueet encore plus équipée.Une fâcheuse exploitation du travail s'est souvent manifestée.C'est ainsi, par exemple, que les récoltes <strong>de</strong> blé achetées à uncours déterminé étaient revendues aux producteurs commesemences à un cours très supérieur, au profit d'intérêts privésfort peu respectables.' Enfin, en Tunisie comme en Indochine, nous avons souffert<strong>de</strong> ce racisme que manifestent si souvent les Français exportésdans nos territoires d'outre-mer, racisme dont nous n'avons pasconscience car il se donne peu libre cours dans nos Assembléeset dans <strong>la</strong> métropole, mais qui constitue un véritable fléau, caril a pour effet <strong>de</strong> diminuer l'autorité <strong>de</strong> <strong>la</strong> France et <strong>de</strong> sapopu<strong>la</strong>tion à l'égard <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions autochtones. (App<strong>la</strong>udissementsà gauche.)La solution adoptée par le Gouvernement français répond aupremier <strong>de</strong> ces problèmes, à savoir l'incompréhension jusqu'àprésent manifestée <strong>de</strong>vant l'évolution tunisienne. Mais en raison<strong>de</strong> son aspect psychologique, ce problème était évi<strong>de</strong>mmentia clef <strong>de</strong> tous les autres.Le résultat ne s'est d'ailleurs pas fait attendre : une détenteincontestable s'est produite en Tunisie <strong>de</strong>puis un certainnombre <strong>de</strong> semaines. Les attentats ont, sinon complètementcessé, du moins considérablement diminué. Il est réconfortant<strong>de</strong> penser, quand on a connu le climat <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tunisie l'année<strong>de</strong>rnière à <strong>la</strong> même époque, que, dans le Sahel, le généralBoyer <strong>de</strong> Latour a pu êlre accueilli par <strong>de</strong>s acc<strong>la</strong>mations quis'adressaient à <strong>la</strong> France.Or, voici que, l'autre jour, M. Martinaud-Dép<strong>la</strong>t a fait au prési<strong>de</strong>ntdu conseil <strong>de</strong>s reproches, non sur le contenu <strong>de</strong> l'accord,mais sur <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s interlocuteurs. Il ne s'agit, bien entendu,ni <strong>de</strong> M. Tahar ben Amar, prési<strong>de</strong>nt du conseil, ni <strong>de</strong> M. AzizDjellouli, qui sont <strong>de</strong>s indépendants, mais du Néo-Destour, eten particulier <strong>de</strong> M. Bourguiba.Ii eût été peut-être bon <strong>de</strong> rappeler que les <strong>de</strong>ux premiersnommés n'auraient jamais accepté les fonctions qu'ils occupentaujourd'hui s'ils n'avaient été certains <strong>de</strong> <strong>la</strong> col<strong>la</strong>borationdu Néo-Destour et <strong>de</strong> l'appui <strong>de</strong> Habib Bourguiba.Mais le reproche <strong>de</strong> M. Martinaud-Dép<strong>la</strong>t mérite d'être particulièrementrelevé, car il est le symbole d'une politique qui afait perdre à <strong>la</strong> France l'Indochine, a risqué <strong>de</strong> lui faire perdre<strong>la</strong> Tunisie et risque <strong>de</strong> lui faire perdre <strong>de</strong>main toute 1 Unionfrançaise. (App<strong>la</strong>udissements à gauche, sur certains bancs aucentre et sur quelques bancs à l'extrême droite.)Celte politique-là consiste à ne jamais traiter avec ses adversaires,mais uniquement avec les hommes qu'on a mis en p<strong>la</strong>ceaprès les avoir achetés avec <strong>de</strong>s honneurs ou <strong>de</strong> l'argent et lesavoir ainsi déconsidérés à l'égard <strong>de</strong> leur propre opinion publique.(Nouveaux app<strong>la</strong>udissements sur les mêmes bancs.)En Indochine, pendant <strong>de</strong>s années il était considéré commeimpie <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> traiter avec Ho Chi Minh. Finalement, BaoDai ne nous a apporté que <strong>de</strong>s déconvenues et il a fallu traileravec l'adversaire dans les conditions ies plus difficiles.Or, en Tunisie <strong>la</strong> situation est plus favorable. Le Néo-Destourn'est pas le Viet-Minh. 11 n'est pas communiste. La formation<strong>de</strong>s hommes qui le composent est généralement occi<strong>de</strong>ntale.(Mou-Enfin, il ne réc<strong>la</strong>me pas l'éviclion totale <strong>de</strong> <strong>la</strong> France.vements divers sur certains bancs à gauche et à droite.)A droite. C'est ce qu'on verra !M. Christian Pineau. Bien sûr, il est nationaliste. Mais, meschers collègues, ne nous faisons pas d'illusions, le nationalismeest pour les peuples dits protégés une forme d'expression quenous ne pourrons plus jamais éviter. (App<strong>la</strong>udissements àgauche.)Mais surtout, le Néo-Destour représente, que vous le vouliezou non, <strong>la</strong> plus <strong>la</strong>rge partie <strong>de</strong> l'opinion publique tunisienne...M. Jean Legendre et plusieurs membres à droite. C'est faux!(Exc<strong>la</strong>mations ù gauche.)M. Mostefa Benbhamed. C'est vrai!M. Jean Legendre. C'est faux, les élections <strong>de</strong> l'année <strong>de</strong>rnièrel'ont montré.M. Christian Pineau. ...et ne pas traiter avec lui c'est renoncerà l'appui indispensable <strong>de</strong> cette opinion publique.Reste Habib Bourguiba. Admettons, si vous le voulez, <strong>la</strong>vérité <strong>de</strong> ce qu'a avancé M. Martinaud-Dép<strong>la</strong>t,-encore que je nesois jamais certain <strong>de</strong> <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong> rapports <strong>de</strong> police apportésà <strong>la</strong> tribune du Parlement.M. Jean Legendre. Ce sont ceux que <strong>la</strong> presse a publiés.M. Joseph Halleguen. Ce<strong>la</strong> a été publié partout.M. Christian Pineau. J'admets, pour <strong>la</strong> commodité <strong>de</strong> <strong>la</strong> discussion,que ces rapports soient entièrement exacts, mais ieconsidère comme un succès plus grand d'avoir ramené à <strong>la</strong>France un adversaire forcené plutôt qu'un pâle figurant.(App<strong>la</strong>udissements à gauche et sur certains bancs au centre. —Exc<strong>la</strong>mations à droite.)<strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique, c'est <strong>de</strong> créer l'amitié là où ellen'existe pas, et non <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>isser s'éteindre lorsqu'elle existeencore. (App<strong>la</strong>udissements à gauche.)En tout cas, ce qui a été fait est irréversible, et revenir enarrière nous ferait perdre définitivement <strong>la</strong> Tunisie.M. Marcel David. Sûrement!M. Christian Pineau. Je conserve d'ailleurs l'espoir que lesFrançais <strong>de</strong> Tunisie, jusqu'à présent souvent mal inspirés, comprendrontenfin, dans l'ordre rétabli et <strong>la</strong> quiétu<strong>de</strong> retrouvée,

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