JOURNAL OFFICIEL - Débats parlementaires de la 4e République

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4282 ASSEMBLEE NATIONALE — 2 e SEANCE DU 26 AOUT 1954« Mais, pour qui connaît les permanences françaises, il n'estpas permis de douter. Tôt eu tard, ia France nous rendrajustice, car la grandeur de ce pays ne s'est édifiée que surla justice et l'honneur.« Si. dans votre exil volontaire, la paternelle affection devotre souverain peut êlre pour vous un réconfort, nous vousrions d'y croire, excellence, ainsi qu'en l'infaillible justiceu Tout-Puissant. »Sont-ce là les sentiments d'un ennemi juré de la France,aigri par la décision du 20 août 1953 ? C'est une lettre qui estvieille de trois mois.Monsieur le ministre, vous êtes courageux.M. le ministre des affaires marocaines et tunisiennes. Merci !M. Pierre Glostermann. Je le sais, nous avons été camaradedes époques très difficiles. Je vous prie de me faire au moinsl'honneur de croire que c'est avec la plus profonde bonne foi-..M. le ministre des affaires marocaines et tunisiennes. Personnen'en doute, monsieur Clostermann.M. Pierre Clostermann. ... que je formule ces quelquesremarques.La seule solution viable, qui réponde aux vœux des Marocains,se résume en quelques mots.U faut d'abord pourvoir à la vacance du trône. Renvoyezdans ses foyers ce souverain qui ne demande que cela, qui'neveut plus coopérer. A-t-il condamné l'istiqal ? C'était là legrand grief invoqué contre Ben Youssef!Pourquoi n'a-t-il pas lancé cette condamnation publiqueattendue ? J'espère que vous pourrez me répondre, monsieur leministre.Il convient'de ramener en France l'ancien sultan, que l'ona considéré comme un ennemi alors qu'il n'était qu'un interlocuteurdifficile. Allez-vous le traiter plus mal que les assassinsde Madagascar qui, pratiquement, vont et viennent en libertéën Cor-e ?Discutez avec lui de l'avenir du Maroc. En France, de sonpatriotisme, de son profond respect pour notre pays, vousobtiendrez, non seulement son abdication — car il n'a pasabdiqué et la France ne l'a pas déchu — mais encore sa cautionpublique et sa bénédiction de vrai guide du peuple marocain,afin que la population suive le nouveau sultan que le Gouvernementchoisirait d'accord avec lui.• M. Guy Jarrosson. Ce n'est pas le Gouvernement qui choisitle sultan !M. Pierre Clostermann. Je le sais parfaitement, et il convientde respecter les formes. Mais le sultan peut, d'accord avec leGouvernement français, faire un choix que les Ulémas confirmeraientensuite.M. le président. Monsieur Clostermann, je vous invite denouveau à conclure. Vous avez dépassé très largement le tempsde parole de votre groupe.M. Pierre Clostermann. Monsieur le président, je ne parlepas au nom de mon groupe, puisque celui-ci me désavoue.(Rires.)M. le président. A plus forte raison devez-vous respecter ledélai qui vous est imparti.Si vous ne parliez qu'à titre strictement personnel, vous nedisposeriez d'aucun temps de parole. C'est grâce à votre groupeque vous pouvez être à la tribune et vous usez donc du tempsde parole qui lui est consenti.Je fais appel à votre esprit de discipline. Le débat a été organisé.Depuis quarante minutes, vous avez eu tout le tempsd'exprimer votre pensée. Je vous demande très cordialement,très amicalement de conclure.Faites ce sacrifice, je vous en remercie d'avance-M. Pierre Clostermann. Je trouve singulier que le présidentde séance puisse déclarer publiquement quun député élupar le peuple français n'aurait pas droit à la parole dans cetteenceinte parce qu'il ne ferait pas partie d'un groupe. C'est unebien curieuse conception des droits et des prérogatives d'unparlementaire français.M. le président. Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit. J'ai simplementrappelé ce que prescrit le règlement dans un débatorganisé.M. Michel Mercier. C'est uniquement un manque d'habitude.(Rires.)M. Pierre Clostermann. Pendant ces négociations, un conseilde régence, comprenant entre autres le doyen des ulémas, ledoyen des khalifas du sultan, le khalifa de Tétouan — pourcouper l'herbe sous le pied aux Espagnols — le mendoub deTanger, ainsi que quelques hautes personnalités marocainesque vous choisirez, pourra assurer l'intérim. Des commissionsmixtes franco-marocaines, étudieront les réformes et permettrontd'abroger progressivement ies mesures d'exception -prisesdepuis 1950.U faudra libérer les détenus politiques, qui seront la cautiondu calme et pourront, dans l'harmonie retrouvée, expliquer etcommenter à la population le déroulement des négociations.Alors, vous sauvegarderez les intérêts français, lesquels,croyez-le bien, ne pourront jamais être défendus par des chars.Si vous voulez défendre les intérêts de la France uniquementpar la force, il n'y a qu'une solution, comme le disait, il y a.quelques jours, à Casablanca, au cours d'une réception, "unofficier général actuellement en poste au Maroc: Faisons commeles Sud-Africains, tuons-les tous ! (Protestations SUT de nombreuxbancs.)C'était un peu outré, j'en suis d'accord, mais, enfin, quandmême, il y a un moyen terme, monsieur le ministre. Je vousdemande de relire le testament politique de Lyautey que toutle inonde cite et arrange à sa manière en eii retranchant eten en tronquant certains passages.Il s'agit de cette fameuse circulaire du 18 novembre 1920:« Voilà le moment de donner un certain coup de barre, écrivaitLyautey, du point de vue de la politique indigène et de laparticipation de l'élément musulman aux affaires publiques.« U faut regarder bien en face la situation du monde engénéral » — Lyautey écrivait ces lignes en 1920; elles me servirontde conclusion, monsieur Je président — « et spécialementla situation du monde musulman, et ne pas se laisseïdevancer par les événements.« Ce n'est pas impunément qu'ont été lancées à travers lemonde les formules du droit des peuples à disposer d'euxmêmeset les idées d'émancipation et d'évolution dans le sensrévolutionnaire.« Il faut bien se garder de croire que les Marocains échappenton échapperont longtemps à ce mouvement général. Si, pendantdes siècles, la xénophobie du Maghreb, son esprit d'indépendancejalouse ont établi une cloison étanche entre lui et le restedu monde et l'ont maintenu figé dans la forme théocratiqueimmuable, ces temps ont passé."« D'abord, le seul fait de notre arrivée dans le pays et, ànotre suite, d'une immigration européenne croissante, de nosjournaux, de nos habitudes de libre discussion et d'indépendanceà l'égard de toute autorité aurait suffi pour secouer profoiftlémentle pays et lui faire prendre conscience d'une foulede choses qu'il ignorait jusque-là. Mais, la guerre survenant amultiplié les points de contact. Des milliers de Marocains sontallés en France, en Europe, et non seulement s'y sont battuscôte à côte avec nos troupes, mais y ont servi dans les ateliers,ont séjourné dans les villes, ont appris le français, lu, écoutéet sont revenus imprégnés d'idées nouvelles.« Or, toutes ces influences tombent sur un peuple qui estde beaucoup le plus intelligent de toute l'Afrique du Nord etle pins apte à réagir.« Ce n'est ni Je passif fellah d'Egypte, ni le .Tunisien peuénergique, ni l'Algérien chez qui domine 1 élément arabe, pliedepuis des siècles sous des dominations variées, morcelé,dépourvu de groupements naturels de résistance.« Ici, nous avons réellement trouvé un Etat et un peuple.Il passait, il est vrai, par une crise d'anarchie, mais crise relativementrécente et plus gouvernementale que sociale.« Si le Makhzen n'était plus qu'une façade, du moins tenaitelleà peu près debout et il suffisait de remonter à peu d'annéespour retrouver un gouvernement effectif, faisant dans temonde figure d'Etat, avec de grands ministres, des ambassadeursavant fiayé avec les hommes d'Etat européens et dontplusieurs survivaient encore et survivent toujours. • )>L'un d'eux, d'ailleurs, survit encore, c'est le Mokri.« Mais, au-dessus du Makhzen, la plupart des institutionsétaient encore debout, diverses selon les régions, mais repré-*sentant vraiment des réalités.« De cet exposé succinct... » (Rires et exclamations.)C'est la lettre de Lyautey que je suis en train de lire." « De cet exposé succinct, écrit Lyautey, il résulte que noussommes loin d'avoir affaire à des populations primitives, barbareset passives, qu'il n'y en a pas dans l'Afrique du Nordayant plus de réceptivité aux nouveautés. U n'y en a pas où lesbêtises et les fausses manœuvres se payeraient plus vite et.plus cher ».Monsieur le ministre des affaires marocaines et tunisiennes,de même que M. le président du conseil que vous représentez,souvenez-vous de ces dernières paroles de Lyautey: les bêtiseslà-bas se payent vite et très cher. (Applaudissements sur quelquesbancs à gauche.) *M. le président. La parole est à M. Quilici.M. François Quilici. Monsieur le ministre des affaires marocaineset tunisiennes, on présente le Gouvernement auquel vous

appartenez, tantôt comme le liquidateur d'un passif qui n'estpas le sien, tantôt comme le continuateur surpris que lespères ne veuillent pas reconnaître leurs lils entre ses bras.A dire vrai, vous êtes un peu les deux. Je ne cherche pasft provoquer vos confidences, monsieur le ministre, mais j'ail'impression, après Genève, après lunis, après Bruxelles etLondres, que M. le président du conseil, quand il est arrivé auGouvernement, était muni de la panoplie complète' des solutionsbrevetées pour tous nos problèmes nationaux.' La Tunisie n'a pas eu de chance. Elle était classée dans lepassif à liquider d'urgence sans considération de prix.Vous, monsieur le ministre, qui avez été un si lucide critiquede la politique nord-africaine des anciens gouvernements,pouvez-vous avoir la moindre illusion sur le fait quel'inspiration de votre solution est identique et que la seuledifférence, c'est la cadence que vous avez mise à la liquidationde notre protectorat ?Vos prédécesseurs, eux, ne lâchaient que pas à pas, s'efforçaientde sauver l'essentiel de notre position dans la liégence,sans grands résultats pour la paix publique, je vous l'accorde.Mais vous, les jeunes, avec votre énergie, peut-être auriezvousmieux réussi. Il aurait pu êlre tentant pour vous — carvous n'êtes pas par destination des hommes capables de capitulerdevant quelques dizaines de tueurs à gages et un millierde coupeurs de routes — de tenter l'expérience.Or, avec énergie et non sans l'apparat des grandes journées,M. le président du conseil a tout lâché à sa première date disponible.Voici donc notre protectorat jeté bas et. à Tunis, le pouvoirc'est-à-dire le pavs, remis aux plus constants ennemis de laFrance.Le plus étonnant dans cette affaire, c'est que vous ne paraissezpas avoir négocié ce double abandon.Nous avons eu vent de quelques contacts par personne interposée.discrets, avec un nouveau châtelain.Pourtant, nous cherchons la contrepartie, car si nous voyonsce que Bourguiba reçoit, nous n'apercevons à notre bénéficeque son- consentement à négocier les conventions précaires etrévocables que vous allez substituer au protectorat.Mais vous recherchiez un choc psychologique et vous necélez par votre admiration pour la politique britannique.Or, nos intérêts stratégiques en Afrique du Nord n: sont pasmoindres que ceux cle l'Angleterre dans le Proche-Orient. Lesnôtres sont mêmes supérieurs car il s'y attache d'autres intérêtsvitaux. L'Angleterre, pourtant, s'accroche à Chypre désespérément,malgré la volonté de la population grecque de celle,île cle rentrer dans la communauté hellène. Cela ne vous a pointservi d'exemple.Au même moment, l'Angleterre s'apprête à quitter Suezparce que, en 1936 elle avait signé un traité déjà unilatéralement,dénoncé par l'Egypte, traité qui expire en 1956, c'est-à-direune convention "comme celle que vous envisagez avecla régence. Cela ne vous a donc pas servi de leçon ?Si vous doutiez par hasard, monsieur le ministre, de laportée du don consenti par vous le 31 juillet, je vous citeraisl'avis d'un témoin que vous ne sauriez récuser puisque cletoutes ses forces il a poussé à votre roue. M. de Montéty écrivaitdernièrement dans Le Monde: « Nous ne devons pas nousdissimuler que les Tunisiens tendent à une large indépendanceet que l'autonomie interne dont ils jouiront demain leurïera accomplir un immense bond vers cette fin, qu'ils pourront,atteindre à petit pas et à loisir. »Nous pouvons compter sur le Néo-Destour, n'est-il pas vrai,pour qu'ils aillent à pas de géant!Depuis Cambon, le protectorat- était fondé sur l'idée d'association.Vous n'avez rien inventé. Cette idée s'était concrétiséed'abord par une simple administration mixte, puis par l'associationde deux souverainetés et elle tendait enfin à l'associationde deux peuples, non sans vicissitudes, je le reconnais.Mais, ou cette association finissait par s'établir, ou c'étaitl'éviction progressive cle la. France.Ce combat méritait tout de même d'être mené. Vous avezpréféré l'abandon, en faisant des Français qui y vivent desétrangers, La proclamation solennelle de la souveraineté dela Tunisie les écarte des affaires et cle la fonction publiques et'la garantie de leur activité et de leurs biens ne leur laisseque des préoccupations lucratives.Vous les réformateurs, vous les hommes de progrès, vousrestaurez la pire des psvchologies coloniales qui était justementen voie de s'éteindre.La Tunisie a ses élites, brillantes, certes, mais elle est faitesurtout de ses masses misérables. De vos propres mains, vousy opérez une révolution politique qui pousse à notre expulsion.C'était une révolution économique et sociale, je le dirai sanscesse, qu'il fallait faire, et j'avais souhaité que la France en eûtle bénéfice!Le régime foncier cle la régence est archaïque. Comme lepaysan de Chine et d'Indochine, le fellah tunisien travaillepour l'usurier. Notre contrôle le garantissait au moins contre lemandarin. 11 retombe entre ses mains. Mais, au XX e siècle,l'Islam est moins résigné qu'autrefois.Craignons un jour, en Afrique, le même dénouement qu'enAsie !Vous n'avez môme pas tenté de vous attaquer à ce grandproblème humain. C'était pourtant échapper au cercle infernaldes discussions sur le concept de la souveraineté, à ces querellesde théologiens où vous vous êtes laissés enfermer par lesbourgeois nantis du Néo-Destour. C'est à eux, monsieur leministre, que vous avez remis le gouvernement, que vous avezconfié les masses.Je ne voudrais pas vous gêner, mais enfin, il y a deux ans,vous en étiez préoccupé comme moi de ces masses.Alors qu'à l'époque les compagnons cle Bourguiba n'osaientpas encore invoquer les crimes du terrorisme comme un titreau pouvoir, vous disiez:« Je suis convaincu, quant à moi, que le Néo-Destour est unmouvement calqué sur les mouvements fasciste et hitlérien.Son arrivée au pouvoir voudrait peut-être dire l'indépendancede la Tunisie » — vous l'aviez donc prévu — « mais uneindépendance semblable à celle de ces petites féodalités d'unMoyen-Age barbare. »« Je crois, poursuiviez-vous, que l'arrivée du Néo-Destour aupouvoir en Tunisie voudrait dire cela. »Et vous concluiez: « Mais je crois également que cela signifieraitseulement la mort cle la démocratie. »Monsieur le ministre, c'est entendu, la Constitution nous faitobligation de conduire les peuples dont nous avons la charge,que nous ne pouvons donc pas abandonner, à gérer démocratiquementleurs propres affaires. « Démocratiquement », c'estlà ia condition. Qu'en avez-vous fait ?. Déjà, le peuple tunisien, menacé jusqu'à présent par la terreur,est pris en main. Le général de La Tour a été follementacclamé dans les villes et les villages du Sahel, et le Gouvernementen était assez fier.C'était le soulagement qui s'exprimait et peut-être plus defidélité qu'on ne pense. Mais, pour accueillir et haranguer lerésident général, c'était le chef de la cellule néo-destouriennequi s'imposait.Dans la meilleure hypothèse, ie Néo-Destour deviendra, avecl'usage du pouvoir, semblable au parti wafd. Or, c'est le wafdqui a chassé d'Egypte l'Angleterre, vous le savez.Vous avez souvent reproché, monsieur le président du conseil,tout le premier, à vos prédécesseurs, comme des mensonges,"ce qui, parfois, n'était que des erreurs d'appréciation etd information.Eh bien ! vous avez commis cet après-midi, monsieur leministre, M. le président du conseil avait commis dernièrement,disons une erreur. 11 nous a affirmé et vous nous avezdit cet après-midi que le ministère de M. Taliar ben Amar —vous nous avez même donné les étiquettes de chacun desministres — était représentatif de plusieurs tendances.Eh bien! c'est faux, monsieur le ministre. Sur les neufnouveaux ministres tunisiens, un seul peut être considérécomme un indépendant, encore qu'il ait sollicité l'assentimentde Bourguiba avant d'accepter un portefeuille, et ce n'estqu un ancien fonctionnaire. Lorsque je dis que c'est un ancienfonctionnaire, cela n'est pas péjoratif, je veux montrer par làle personnage, sa docilité.Il est donc allé chercher son investiture chez Bourguiba.Il s'agit de M. Naceur ben Saïd.Tous les autres, quoi qu'on en dise, et M. Tahar ben Amarde surcroît, qui, en 1921, au moment de la création du Destour— il n'y avait pas encore de Néo-Destour — était l'un descompagnons les plus assidus, les plus fidèles du chîilc Talbi,sont cle longue date affiliés soit directement au Néo-Destour,soit au front national tunisien, animé par ce parti.Monsieur le ministre, si vous en doutez, je tiens mes renseignementsà votre disposition.Je ne veux pas importuner l'Assemblée par de longuesindications sur des personnages qui, somme toute, sont peutêtreutiles à Bourguiba...M. Saïd Mohamed Cheikh. Ou amis de la France!M. François Quilici. ... mais je vous garantis le sérieux demes renseignements.En vérité, il faudrait savoir qui détermine et concoit la politiquede la France en Tunisie. *Et j'en viens enfin à des ingérences étrangères d'un ordreparticulier, à des immixtions sous pavillon idéologique.Le comité international du congrès des peuples dépendantsest présidé par un membre de la" Chambre des Communes etcomprend notamment 63 députés britanniques.

4282 ASSEMBLEE NATIONALE — 2 e SEANCE DU 26 AOUT 1954« Mais, pour qui connaît les permanences françaises, il n'estpas permis <strong>de</strong> douter. Tôt eu tard, ia France nous rendrajustice, car <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> ce pays ne s'est édifiée que sur<strong>la</strong> justice et l'honneur.« Si. dans votre exil volontaire, <strong>la</strong> paternelle affection <strong>de</strong>votre souverain peut êlre pour vous un réconfort, nous vousrions d'y croire, excellence, ainsi qu'en l'infaillible justiceu Tout-Puissant. »Sont-ce là les sentiments d'un ennemi juré <strong>de</strong> <strong>la</strong> France,aigri par <strong>la</strong> décision du 20 août 1953 ? C'est une lettre qui estvieille <strong>de</strong> trois mois.Monsieur le ministre, vous êtes courageux.M. le ministre <strong>de</strong>s affaires marocaines et tunisiennes. Merci !M. Pierre Glostermann. Je le sais, nous avons été camara<strong>de</strong>sà <strong>de</strong>s époques très difficiles. Je vous prie <strong>de</strong> me faire au moinsl'honneur <strong>de</strong> croire que c'est avec <strong>la</strong> plus profon<strong>de</strong> bonne foi-..M. le ministre <strong>de</strong>s affaires marocaines et tunisiennes. Personnen'en doute, monsieur Clostermann.M. Pierre Clostermann. ... que je formule ces quelquesremarques.La seule solution viable, qui répon<strong>de</strong> aux vœux <strong>de</strong>s Marocains,se résume en quelques mots.U faut d'abord pourvoir à <strong>la</strong> vacance du trône. Renvoyezdans ses foyers ce souverain qui ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que ce<strong>la</strong>, qui'neveut plus coopérer. A-t-il condamné l'istiqal ? C'était là legrand grief invoqué contre Ben Youssef!Pourquoi n'a-t-il pas <strong>la</strong>ncé cette condamnation publiqueattendue ? J'espère que vous pourrez me répondre, monsieur leministre.Il convient'<strong>de</strong> ramener en France l'ancien sultan, que l'ona considéré comme un ennemi alors qu'il n'était qu'un interlocuteurdifficile. Allez-vous le traiter plus mal que les assassins<strong>de</strong> Madagascar qui, pratiquement, vont et viennent en libertéën Cor-e ?Discutez avec lui <strong>de</strong> l'avenir du Maroc. En France, <strong>de</strong> sonpatriotisme, <strong>de</strong> son profond respect pour notre pays, vousobtiendrez, non seulement son abdication — car il n'a pasabdiqué et <strong>la</strong> France ne l'a pas déchu — mais encore sa cautionpublique et sa bénédiction <strong>de</strong> vrai gui<strong>de</strong> du peuple marocain,afin que <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion suive le nouveau sultan que le Gouvernementchoisirait d'accord avec lui.• M. Guy Jarrosson. Ce n'est pas le Gouvernement qui choisitle sultan !M. Pierre Clostermann. Je le sais parfaitement, et il convient<strong>de</strong> respecter les formes. Mais le sultan peut, d'accord avec leGouvernement français, faire un choix que les Ulémas confirmeraientensuite.M. le prési<strong>de</strong>nt. Monsieur Clostermann, je vous invite <strong>de</strong>nouveau à conclure. Vous avez dépassé très <strong>la</strong>rgement le temps<strong>de</strong> parole <strong>de</strong> votre groupe.M. Pierre Clostermann. Monsieur le prési<strong>de</strong>nt, je ne parlepas au nom <strong>de</strong> mon groupe, puisque celui-ci me désavoue.(Rires.)M. le prési<strong>de</strong>nt. A plus forte raison <strong>de</strong>vez-vous respecter ledé<strong>la</strong>i qui vous est imparti.Si vous ne parliez qu'à titre strictement personnel, vous nedisposeriez d'aucun temps <strong>de</strong> parole. C'est grâce à votre groupeque vous pouvez être à <strong>la</strong> tribune et vous usez donc du temps<strong>de</strong> parole qui lui est consenti.Je fais appel à votre esprit <strong>de</strong> discipline. Le débat a été organisé.Depuis quarante minutes, vous avez eu tout le tempsd'exprimer votre pensée. Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> très cordialement,très amicalement <strong>de</strong> conclure.Faites ce sacrifice, je vous en remercie d'avance-M. Pierre Clostermann. Je trouve singulier que le prési<strong>de</strong>nt<strong>de</strong> séance puisse déc<strong>la</strong>rer publiquement quun député élupar le peuple français n'aurait pas droit à <strong>la</strong> parole dans cetteenceinte parce qu'il ne ferait pas partie d'un groupe. C'est unebien curieuse conception <strong>de</strong>s droits et <strong>de</strong>s prérogatives d'unparlementaire français.M. le prési<strong>de</strong>nt. Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit. J'ai simplementrappelé ce que prescrit le règlement dans un débatorganisé.M. Michel Mercier. C'est uniquement un manque d'habitu<strong>de</strong>.(Rires.)M. Pierre Clostermann. Pendant ces négociations, un conseil<strong>de</strong> régence, comprenant entre autres le doyen <strong>de</strong>s ulémas, ledoyen <strong>de</strong>s khalifas du sultan, le khalifa <strong>de</strong> Tétouan — pourcouper l'herbe sous le pied aux Espagnols — le mendoub <strong>de</strong>Tanger, ainsi que quelques hautes personnalités marocainesque vous choisirez, pourra assurer l'intérim. Des commissionsmixtes franco-marocaines, étudieront les réformes et permettrontd'abroger progressivement ies mesures d'exception -prises<strong>de</strong>puis 1950.U faudra libérer les détenus politiques, qui seront <strong>la</strong> cautiondu calme et pourront, dans l'harmonie retrouvée, expliquer etcommenter à <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion le déroulement <strong>de</strong>s négociations.Alors, vous sauvegar<strong>de</strong>rez les intérêts français, lesquels,croyez-le bien, ne pourront jamais être défendus par <strong>de</strong>s chars.Si vous voulez défendre les intérêts <strong>de</strong> <strong>la</strong> France uniquementpar <strong>la</strong> force, il n'y a qu'une solution, comme le disait, il y a.quelques jours, à Casab<strong>la</strong>nca, au cours d'une réception, "unofficier général actuellement en poste au Maroc: Faisons commeles Sud-Africains, tuons-les tous ! (Protestations SUT <strong>de</strong> nombreuxbancs.)C'était un peu outré, j'en suis d'accord, mais, enfin, quandmême, il y a un moyen terme, monsieur le ministre. Je vous<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> relire le testament politique <strong>de</strong> Lyautey que toutle inon<strong>de</strong> cite et arrange à sa manière en eii retranchant eten en tronquant certains passages.Il s'agit <strong>de</strong> cette fameuse circu<strong>la</strong>ire du 18 novembre 1920:« Voilà le moment <strong>de</strong> donner un certain coup <strong>de</strong> barre, écrivaitLyautey, du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique indigène et <strong>de</strong> <strong>la</strong>participation <strong>de</strong> l'élément musulman aux affaires publiques.« U faut regar<strong>de</strong>r bien en face <strong>la</strong> situation du mon<strong>de</strong> engénéral » — Lyautey écrivait ces lignes en 1920; elles me serviront<strong>de</strong> conclusion, monsieur Je prési<strong>de</strong>nt — « et spécialement<strong>la</strong> situation du mon<strong>de</strong> musulman, et ne pas se <strong>la</strong>isseï<strong>de</strong>vancer par les événements.« Ce n'est pas impunément qu'ont été <strong>la</strong>ncées à travers lemon<strong>de</strong> les formules du droit <strong>de</strong>s peuples à disposer d'euxmêmeset les idées d'émancipation et d'évolution dans le sensrévolutionnaire.« Il faut bien se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> croire que les Marocains échappenton échapperont longtemps à ce mouvement général. Si, pendant<strong>de</strong>s siècles, <strong>la</strong> xénophobie du Maghreb, son esprit d'indépendancejalouse ont établi une cloison étanche entre lui et le restedu mon<strong>de</strong> et l'ont maintenu figé dans <strong>la</strong> forme théocratiqueimmuable, ces temps ont passé."« D'abord, le seul fait <strong>de</strong> notre arrivée dans le pays et, ànotre suite, d'une immigration européenne croissante, <strong>de</strong> nosjournaux, <strong>de</strong> nos habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> libre discussion et d'indépendanceà l'égard <strong>de</strong> toute autorité aurait suffi pour secouer profoiftlémentle pays et lui faire prendre conscience d'une foule<strong>de</strong> choses qu'il ignorait jusque-là. Mais, <strong>la</strong> guerre survenant amultiplié les points <strong>de</strong> contact. Des milliers <strong>de</strong> Marocains sontallés en France, en Europe, et non seulement s'y sont battuscôte à côte avec nos troupes, mais y ont servi dans les ateliers,ont séjourné dans les villes, ont appris le français, lu, écoutéet sont revenus imprégnés d'idées nouvelles.« Or, toutes ces influences tombent sur un peuple qui est<strong>de</strong> beaucoup le plus intelligent <strong>de</strong> toute l'Afrique du Nord etle pins apte à réagir.« Ce n'est ni Je passif fel<strong>la</strong>h d'Egypte, ni le .Tunisien peuénergique, ni l'Algérien chez qui domine 1 élément arabe, plie<strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles sous <strong>de</strong>s dominations variées, morcelé,dépourvu <strong>de</strong> groupements naturels <strong>de</strong> résistance.« Ici, nous avons réellement trouvé un Etat et un peuple.Il passait, il est vrai, par une crise d'anarchie, mais crise re<strong>la</strong>tivementrécente et plus gouvernementale que sociale.« Si le Makhzen n'était plus qu'une faça<strong>de</strong>, du moins tenaitelleà peu près <strong>de</strong>bout et il suffisait <strong>de</strong> remonter à peu d'annéespour retrouver un gouvernement effectif, faisant dans temon<strong>de</strong> figure d'Etat, avec <strong>de</strong> grands ministres, <strong>de</strong>s ambassa<strong>de</strong>ursavant fiayé avec les hommes d'Etat européens et dontplusieurs survivaient encore et survivent toujours. • )>L'un d'eux, d'ailleurs, survit encore, c'est le Mokri.« Mais, au-<strong>de</strong>ssus du Makhzen, <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s institutionsétaient encore <strong>de</strong>bout, diverses selon les régions, mais repré-*sentant vraiment <strong>de</strong>s réalités.« De cet exposé succinct... » (Rires et exc<strong>la</strong>mations.)C'est <strong>la</strong> lettre <strong>de</strong> Lyautey que je suis en train <strong>de</strong> lire." « De cet exposé succinct, écrit Lyautey, il résulte que noussommes loin d'avoir affaire à <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions primitives, barbareset passives, qu'il n'y en a pas dans l'Afrique du Nordayant plus <strong>de</strong> réceptivité aux nouveautés. U n'y en a pas où lesbêtises et les fausses manœuvres se payeraient plus vite et.plus cher ».Monsieur le ministre <strong>de</strong>s affaires marocaines et tunisiennes,<strong>de</strong> même que M. le prési<strong>de</strong>nt du conseil que vous représentez,souvenez-vous <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières paroles <strong>de</strong> Lyautey: les bêtiseslà-bas se payent vite et très cher. (App<strong>la</strong>udissements sur quelquesbancs à gauche.) *M. le prési<strong>de</strong>nt. La parole est à M. Quilici.M. François Quilici. Monsieur le ministre <strong>de</strong>s affaires marocaineset tunisiennes, on présente le Gouvernement auquel vous

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