JOURNAL OFFICIEL - Débats parlementaires de la 4e République

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J'ai vu comment, à Tamara, avec des camions de l'armée française,l'on distribuait des selles berbères aux habitants desdouars avoisinants « pour pouvoir faire la photographie et préparerles manifestations spontanées », comme le disait assezsimplement, avec un accent du terroir qui ne manquait pas decharme, un adjudant qui participait à cette distribution.J'ai fait le tour de lîabat. Pendant trois jours j'ai pris toutesles routes, tous les petits chemins. 11 n'y avait pas un seulcavalier berbère dans un rayon de soixante kilomètres de Rabat.Le haut fonctionnaire français qui a téléphoné au ministredes affaires étrangères le 20 août 1953, à neuf heures du matin,a commis une forfaiture en déclarant: Les Berbères dévalentsur la ville, les cavaliers arrivent, il faut que j'ouvre le feu.L'opération s'est faite. Il est des opérations sur lesquelles, jele sais, il est extrêmement difficile de revenir. Cependant on ale droit de faire des post mortem, de chercher à étudier dessituations et d'en tirer des leçons pour l'avenir.Le dossier détaillé de la déposition de Sidi Mohamed ben•Youssef peut attendre. L'histoire a d'ailleurs besoin d'un certainrecul. Mais le déroulement des événements au Maroc ne peutpas attendre. Nous risquons — je le dis à mon grand regret carj'aime profondément le Maroc où j'ai des amis marocains pourlesquels j'ai la plus grande affection et le plus grand respect— nous risquons de creuser entre eux et nous un fossé infranchissable.Il est au moins un bénéfice que vous m'accorderez, c'est celuidu patriotisme et de la bonne foi. Des faits que je vais vousciter, j'ai été le témoin. Je ne voudrais pas en citer un seulque je n'aurais pas pu contrôler. Comme Thomas, je ne croisque ce que je vois, que ce que je touche.Il se peut que j'interprète mal les faits; il appartient au Gouvernementde le dire. J'ai toutefois à remplir un devoir d'honnêteté,avec certains risques. Je reçois en effet chaque jour denombreuses lettres de menaces et je tiens à dire d'ailleurs aupassage que si demain je suis victime d'un attentat, et si je suistué, ce ne sera pas par l'acte d'un Marocain.A Marrakech on a tué Moinier que les Marocains adoraient etqui adorait les Marocains. Quel est le Marocain qui aurait faitcela ?On a attribué ce meurtre aux terroristes.Il semble maintenant, aux dernières nouvelles, que pour l'anniversairedu 20 août 1953, l'administration cherche à rééditerson coup de l'an dernier.On lit de nouveau dans la presse marocaine: « Cent camionstransportent de Fez à Rabat des contingents des tribus. »C'est La Vigie marocaine qui donne cette information.Cent camions ? De qui ? Payés par qui ? Dans quelles conditions?On a parlé de 3.000 à 4.000 Berbères venus ainsi à Rabat.On précise que les chefs de ces contingents venaient prêterserment de fidélité ou assurer leur fidélité à Sa Majesté BenArafa, le nouveau sultan.Ce que l'on oublie de dire, c'est que les camions sont venusavec quarante hommes et trois jours après sont repartis avecdix hommes car entre temps les autres étaient partis.On oublie aussi de dire que toutes les troupes marocaines,tous les tirailleurs marocains ont été désarmés et consignés enleurs quartiers. C'est là un fait qu'on ne peut pas nier.Je suis passé, il y a trois jours, devant la plupart descasernes. Je jn'entretiens couramment avec des officiers detirailleurs marocains qui me rendent de fréquentes visites...M. Christian Fouehet, minisire des affaires marocaines ettunisiennes. Me permettez-vous de vous interrompre, mon chercollègue ?M. Pierre Clostermann. Volontiers.M. le ministre des affaires marocaines et tunisiennes. Moncher collègue, vous savez foute l'amitié et la camaraderie quej'ai pour vous.Je vous demande de ne pas mettre en cause ici le loyalismeà l'égard du Gouvernement de hauts fonctionnaires qui ontsa confiance.Je vous demande de ne pas exagérer et de prendre garde àvos déclarations.M. Pierre Clostermann. Je ne mets nullement en cause leloyalisme du résident avec qui j'ai, vous le savez, des relationsd'amitié et pour qui j'éprouve un grand respect, mais je metsen doute définitivement, comme le Gouvernement l'a fait àmaintes reprises, Je loyalisme de certains fonctionnaires françaisenvers les intérêts généraux de la France. Ces fonctionnairesclierciient à interpréter les intérêls de la France, alorsque nous, membres du Parlement français, qui en âoinmes lesdépositaires, qui en sommes les garants...Plusieurs voix à droiie. Pas vous!». Armand de Baudry d'Asson. Pas vous, qu'on ne voitjamais ici.M. Pierre Clostermann. Mon cher collègue, permettez-moi devous dire, avec beaucoup d'amabilité,...M. Armand de Baudry d'Asson. Je ne sais pas où vous défendezles intérêts français; en tout cas, ce n'est pas au Parlement.M. Pierre Clostermann. ... qu'aux obligations parlementairess'opposent parfois des raisons de santé. C'est pour de tellesraisons que j'ai dû être absent.En effet, pendant la guerre, j'eus malheureusement les poumonstrès atteints, ce qui m'a obligé à me retirer pendant uncertain temps sous un climat un peu plus clément. N'étant pasmilliardaire, je ne peux pas passer ma vie sur la côte d'Azur.J'ai profité de cette circonstance pour servir de la meilleurefaçon et de toute ma conscience la France et les intérêts françaisen gardant contact avec des Marocains qui sont nos amiset seront demain nos collaborateurs les plus précieux. (Applaudissementssur plusieurs bancs à l'extrême droite el à gauche.)On cherche à recréer artificiellement l'antagonisme de la villeet de la montagne.C'est là un de ces mythes qui . finissent par se créer onne sait comment, mais qui deviennent vérités absolues d'évangileà force d'être répétés, sans que les faits qui les ontfait naître aient jamais été contrôlés.On parle du problème berbère, du problème des villes!Oublie-t-on que Casablanca est la plus importante des villesberbères ? Dans cette ville, sur huit cent mille Marocains,quatre cent mille à cinq cent mille sont berbères. L'oublie-t-on ?Aux Carrières centrales, deux habitants sur trois sont berbèreset il existe une rotation permanente entre les tribus, entreles populations de la montagne et de la ville. Les Berbèressont cfevenus, d'ailleurs, d'excellents commerçants ; certainstravaillent dans la quincaillerie, d'ans de petites affaires commerciales.D'autres préfèrent rester à fa montagne.Leur prolifération due à la France qui a amené l'hygiène,aux médecins du toied, fait que leurs terrains de pâturagesne nourrissent plus l'excès de la population. Ils partent vers lesvilles.D'autre part, il y a la question de l'Islam. Enfin n'oublionspas que la raison même de l'entrée de la France au Maroc,la raison même du protectorat, c'était cette lutte entre laville et la montagne.C'est là l'origine du traité de Fez. Le soin a été confié à laFrancs de remettre de l'ordlre au Maroc. Après y avoir réussi,grâce à Lyautev, aujourd'hui on va tenter de recréer artificiellementune scission entre les Berbères, gens des montagnes,et les gens des villes.Je les ai parcourues, ces montagnes, au cours de ces troisderniers mois. Je sais ce que pensent leurs habitants. Je saisce que pensent les plus hauts fonctionnaires français en place,du Maroc politique, et leurs pensées ne correspondent pas précisément— je vous l'assure — à l'opinion qui est expriméeaujourd'hui pas les trois quarts de la presse. 11 est difficilementadmissible que l'on cherche à creer artificiellement, dlesmanifestations qui dénaturent complètement le sens de lavolonté du peuple marocain.Nous n'avons pas. nous, Français, à jouer un rôle de partisan,nous avons à jouer un rôle d'arbitre. C'est là notremission.D'ailleurs, il ne faut pas oublier que lorsque Sidi MohammedV a été déposé, le communiqué officiel du Gouvernementindiquait que le sultan avait été éloigné pour le protéger deses sujets. Grâce au ciel, ce communiqué est génialementrédigé, car il ouvre pour l'avenir bien des portes à la discussion.M. le président cPu conseil, et vous, monsieur le ministre,avez attaqué de front, avec courage, le problème de Tunisie.Cela ne veut pas dire que, demain, aux actions de grâces debien des Français ne se mêleront pas les pierres dont on vouslapidera, car Je courage n'est pas toujours, sur le plan politique,très /payant. Mais un jour, dans vingt ans, on comprendral'Histoire rendra justice à ce que vous avez fait en Tunisie.M. Roland de Moustier. Avant vingt ans, je l'espère.H. Pierre Clostermann. Le calme est revenu, et le calme est,malgré tout, une ambiance plus propice à la défense des thèsesfrançaises lors des négociations qui vont s'ouvrir.Au Maroc, il en est de même. L'émeute n'a été que la conséquencede l'inaction et de ces fameux mensonges qui nous ontfait tant de mal.Exiger le calme, le calme absolu pour parler, c'est entrer dansun cercle vicieux, car il n'y a plus de moyens d'expressionau Maroc. Il n'y a plus de presse libre; les leaders politiquesont tous été emprisonnés. On a essayé d'en libérer quelquesunset immédiatement les agents provocateurs intéressés ontcréé des incidents.Parlons de l'incident de Port-Lyauley. J'en ai été le témoin.et

ASSEMBLEE NATIONALE — 2* SEANCE DU 26 AOUT 1954 4279On a libéré — c'était une mesure de courage et de hautepolitique — quatorze leaders de l'Istiqlal. Istiqlal veut dire« parti de l'indépendance ». La plupart, d'ailleurs, des gens del'Istkilal ne sont pas les monstres que l'on suppose; beaucoupd'entre eux sont de bons bourgeois prudents, qui se complaisaientbeaucoup plus à la lecture de Condorcet et de Montesquieuqu'à l'appel à l'incendi.e et au terrorisme, croyez-moi.Ils avaient, d'ailleurs, une influence plutôt calmante, lénifiantesur la jeunesse marocaine, car il valait mieux que lesjeunes Marocains écoutent jusqu'aux longues heures de l'aube,eu buvant le thé, tel leader de l'Istiqlal ou chef de quartier del'Istiqlal discutant de Benjamin Franklin ou de la Déclarationd'indépendance plutôt qu'ils se promènent avec des coïts oudes mitraillettes.. M. Joseph Halleguen. Monsieur Clostermann, voulez-vous mepermettre de vous interrompre ?M. Pierre Clostermann. Je vous en prie, mon cher collègue.M. Joseph Halleguen. Je suis tout à fait touché du tableauidyllique que vous venez de nous présenter. Il est cependantun certain nombre de points que je ne comprends pas très bienet que je vous demanderai de m'expliquer.D'abord, si je me souviens bien, l'opposition entre Beribèreset Arabes ne date pas du 20 août 1953. En effet, déjà, avant laguerre, vers 1935, lorsque fut créé le comité d'action marocaine,...M. Pierre Clostermann. Le daliir qui le créa date de 1933.M. Joseph Halleguen. ... le premier acte de cet organisme futde demander que le protectorat français renonçât à sa politiqueberbère. Ainsi, dès 1935 — et le fait est probablement bien plusancien — régnait une certaine opposition entre Arabes et Berbères.Vous avez dit ensuite, monsieur Clostermann, que l'affairemarocaine avait commencé le 20 août 1953.M. Pierre Clostermann. Nullement.M. Joseph Halleguen. Vous l'avez dit à peu près textuellementau début de votre discours.M. Pierre Clostermann. J'ai dit que les événements marocainss'étaient précipités à partir du 20 août 1953.M. Joseph Halleguen. Cependant, avant le 20 août 1953, existaientde petites difficultés qui tenaient, en particulier, à lapersonne au sultan Mohamed ben Ynussef.Enfin, vous venez de parler de certaines manifestations spontanées.Mais je crois avoir entendu parler également de certainesautres manifestations, par exemple de celles de Port-Lyautey, dont vous avez été le témoin.Kl. Pierre Clostermann. J'agis précisément en parler.M. Joseph Halleguen. Sid!§'"doute pourrez-vous nous dire siles jeunes gens gavés d'alcool et dopés de stupéfiants qui, cejour-là, ont éventré des femmes à Port-Lyautev, agissaient deleur propre initiative ou si quelques-uns de ces bons bourgeoisdont vous venez de parler les avaient très idylliquement préparésà exécuter ce travail.M. Pierre Clostermann. Je commençais, quand vous m'avezinterrompu, à parler de l'affaire de Port-Lyautey.Je disais qu'avaient été libérés — c'était un acte de courage— quatorze leaders de l'Istiqlal, qui ont pris l'engagementsolennel de faire respecter le calme, dans la mesure, d'ailleurs,où il est possible de contrôler une foule.C'était un engagement assez imprudent. Cependant, pendantune semaine, Port-Lyautev — vous le savez, monsieur le ministre— a été la ville'la plus calme du Maroc. Mais il y avait cefameux problème de la fermeture des boutiques!" Tout lemonde sait que ies boutiques marocaines ont deux portes, unedevant, une autre derrière. La porte donnant sur la rue estfermée et le commerçant continue à recevoir ses clients par laporte de derrière.Pour des raisons que je veux croire parfaitement pures lesautorités locales ont décidé de faire ouvrir de force les boutiques,quoique personne ne se plaignait.Des troupes supplétives ont été envoyées sur place. La policefrançaise, l'armée française sont respectées; mais les forcessupplétives le sont beaucoup moins. Celles-ci ont fait sauter lespremières portes à coups de fusil. En l'espace de quelquesminutes, c'était l'émeute.On ne peut pas contrôler une foule, qu'elle soit française,hindoue ou britannique encore que, dans ce dernier cas, cesoit différent. Rappelez-vous, cependant, les événements survenusen pays de Galles, en 1929, et les troubles de Cardifï.On ne peut plus contrôler une foule même à une échelleenfantine. Souvenez-vous de ce qui s'est passé lors du monômedu baccalauréat à Paris à la suite duquel trois agents ont dûêtre hospitalisés au Val-de-Grâce et au cours duquel un autobusa été brûlé. Victor Hugo a dit de la foule qu'elle était unmonstre.Il s'est produit des événements très graves qui auraient puêtre évités si l'on n'avait pas insisté pour l'ouverture des boutiques.Immédiatement tous les éléments interlopes son intervenuset les agitateurs professionnels ont tout de suite profitéde la situation.Ce furent alors des événements lamentables: l'école de puériculture,l'hôpital furent incendiés. Ce fut ignoble; cela achoqué, d'ailleurs, tous les Marocains.Voilà la vérité sur l'affaire de Port-Lyautey. Cette relation desfaits correspond sans doute aux informations du Gouvernement,car si celui-ci a des informations différentes, elles sont probablementtendancieuses.Des Européens ont été assassines: on aurait dû les évacuerdes médinas.M. Jean-Marie Bouvier O'Cottereau. Voulez-vous me permettrede vous interrompre, mon cher collègue ?M. Pierre Clostermann. Je vous en prie.M. Jean-Marie Bouvier O'Cottereau. Vous nous avez déclaréavoir été le témoin des événements qui se sont déroulés auMaroc antérieurement au 20 août 1953, lors de la dénositionde l'ancien sultan, et des incidents récents de Port-Lyautey.Vous avez apporté des précisions telles qu'elles doivent êtreprises au sérieux par cette Assemblée.Je serais heureux si vous vouliez me faire l'honneur dem'ecouter quand j'interviendrai à mon tour; car j'étais auMaroc lors des incidents de 1951 et en 1952, au moment desincidents du syndicat. Le 20 août 1953, au moment de la dépositiondû sultan, j'étais sur les routes du Maroc...'M. Pierre Clostermann. Y avez-vous vu les cavaliers berbères ?M. Jean-Marie Bouvier O'Cottereau. Je vous répondrai.Je vous demande simplement pour l'instant d'être assezaimable pour entendre la contradiction que j'apporterai à vostémoignages, car, moi aussi, j'ai été un témoin et je ne suispas du tout d'accord sur ce que vous déclarez.M. Pierre Clostermann. C'est d'ailleurs parfaitement normal.M. Edouard Corniglion-Molinier. Chacun sa vérité!M. le président. M. Clostermann a aimablement consenti àêtre interrompu. Mais je ne puis laisser s'engager ici un dialogue.M. Jean-Marie Bouvier O'Cottereau. Les déclarations deM. Clostermann sont trop graves.M. le président. Il s'agit d'une interpellation adressée parM. Clostermann au Gouvernement et non pas d'une controversede collègue à collègue.M. Jacques Fonlupt-Esperaber. Très bien!M. Pierre Clostermann. Je continue mon exposé.Un an s'est écoulé depuis le 20 août 1953. Où en sommesnousaujourd'hui ?Les grands griefs que l'on faisait à Sidi Mohamed V étaientau nombre de trois. Le premier de ces griefs était: il se refuseà condamner l'Istiqlal; le second: c'est un ennemi de laFrance; le troisième: il se refuse à signer les réformes.Je vous avo'ue, mes chers collègues, que j'attends avec impatience,depuis un an, la condamnation dé l'Istiqlal par BenArafa, et j'attends également les fameuses réformes.En effet, de deux choses l'une: ou l'ancien sultan refusaitde signer les réformes et elles auraient dû paraître dansles cinq jours qui suivirent sa déposition; ou il n'y en avaitpas d'établies — car les journaux ont indiqué ensuite qu'ellesétaient mises à l'étude — c'est donc qu'un texte incomplet avaitété soumis au suitan, et alors la position française n'était pasd'une honnêteté intellectuelle absolue.Quant à l'autre grief: « c'élait un ennemi de la France»,reste à savoir ce que l'on entend par le mot « ennemi ». EnelTet, on a dit bien des choses sur l'ancien sultan. Appelle-t-onennemi un interlocuteur difficile ?C'est vrai. Sidi Mohamed V était un interlocuteur difficile. Enface d'un pareil interlocuteur, mieux vaut placer un hommequi le domine intellectuellement, surtout intellectuellement,car c'esi le point important au Maroc. L'a-t-on fait ?L'on perd au poker et l'on tire sur celui qui vient de vousbattre : c'est une formule pratiquée dans certains pavs. Cen'est généralement pas dans les habitudes de la France."Toujours est-il que ni les réformes ni la condamnation del'Istiqlal ne sont intervenues.On a prétendu que le sultan avait été déposé à la demandedu peuple marocain.On compte aujourd'hui plus de cent mille signatures de notables,d'hommes de vrleur, au bas de pétitions qui affirment leurfidélité au sultan déposé. Nous Français qui devons être arïri-

ASSEMBLEE NATIONALE — 2* SEANCE DU 26 AOUT 1954 4279On a libéré — c'était une mesure <strong>de</strong> courage et <strong>de</strong> hautepolitique — quatorze lea<strong>de</strong>rs <strong>de</strong> l'Istiq<strong>la</strong>l. Istiq<strong>la</strong>l veut dire« parti <strong>de</strong> l'indépendance ». La plupart, d'ailleurs, <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong>l'Istki<strong>la</strong>l ne sont pas les monstres que l'on suppose; beaucoupd'entre eux sont <strong>de</strong> bons bourgeois pru<strong>de</strong>nts, qui se comp<strong>la</strong>isaientbeaucoup plus à <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> Condorcet et <strong>de</strong> Montesquieuqu'à l'appel à l'incendi.e et au terrorisme, croyez-moi.Ils avaient, d'ailleurs, une influence plutôt calmante, lénifiantesur <strong>la</strong> jeunesse marocaine, car il va<strong>la</strong>it mieux que lesjeunes Marocains écoutent jusqu'aux longues heures <strong>de</strong> l'aube,eu buvant le thé, tel lea<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l'Istiq<strong>la</strong>l ou chef <strong>de</strong> quartier <strong>de</strong>l'Istiq<strong>la</strong>l discutant <strong>de</strong> Benjamin Franklin ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>rationd'indépendance plutôt qu'ils se promènent avec <strong>de</strong>s coïts ou<strong>de</strong>s mitraillettes.. M. Joseph Halleguen. Monsieur Clostermann, voulez-vous mepermettre <strong>de</strong> vous interrompre ?M. Pierre Clostermann. Je vous en prie, mon cher collègue.M. Joseph Halleguen. Je suis tout à fait touché du tableauidyllique que vous venez <strong>de</strong> nous présenter. Il est cependantun certain nombre <strong>de</strong> points que je ne comprends pas très bienet que je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai <strong>de</strong> m'expliquer.D'abord, si je me souviens bien, l'opposition entre Beribèreset Arabes ne date pas du 20 août 1953. En effet, déjà, avant <strong>la</strong>guerre, vers 1935, lorsque fut créé le comité d'action marocaine,...M. Pierre Clostermann. Le daliir qui le créa date <strong>de</strong> 1933.M. Joseph Halleguen. ... le premier acte <strong>de</strong> cet organisme fut<strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r que le protectorat français renonçât à sa politiqueberbère. Ainsi, dès 1935 — et le fait est probablement bien plusancien — régnait une certaine opposition entre Arabes et Berbères.Vous avez dit ensuite, monsieur Clostermann, que l'affairemarocaine avait commencé le 20 août 1953.M. Pierre Clostermann. Nullement.M. Joseph Halleguen. Vous l'avez dit à peu près textuellementau début <strong>de</strong> votre discours.M. Pierre Clostermann. J'ai dit que les événements marocainss'étaient précipités à partir du 20 août 1953.M. Joseph Halleguen. Cependant, avant le 20 août 1953, existaient<strong>de</strong> petites difficultés qui tenaient, en particulier, à <strong>la</strong>personne au sultan Mohamed ben Ynussef.Enfin, vous venez <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> certaines manifestations spontanées.Mais je crois avoir entendu parler également <strong>de</strong> certainesautres manifestations, par exemple <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> Port-Lyautey, dont vous avez été le témoin.Kl. Pierre Clostermann. J'agis précisément en parler.M. Joseph Halleguen. Sid!§'"doute pourrez-vous nous dire siles jeunes gens gavés d'alcool et dopés <strong>de</strong> stupéfiants qui, cejour-là, ont éventré <strong>de</strong>s femmes à Port-Lyautev, agissaient <strong>de</strong>leur propre initiative ou si quelques-uns <strong>de</strong> ces bons bourgeoisdont vous venez <strong>de</strong> parler les avaient très idylliquement préparésà exécuter ce travail.M. Pierre Clostermann. Je commençais, quand vous m'avezinterrompu, à parler <strong>de</strong> l'affaire <strong>de</strong> Port-Lyautey.Je disais qu'avaient été libérés — c'était un acte <strong>de</strong> courage— quatorze lea<strong>de</strong>rs <strong>de</strong> l'Istiq<strong>la</strong>l, qui ont pris l'engagementsolennel <strong>de</strong> faire respecter le calme, dans <strong>la</strong> mesure, d'ailleurs,où il est possible <strong>de</strong> contrôler une foule.C'était un engagement assez impru<strong>de</strong>nt. Cependant, pendantune semaine, Port-Lyautev — vous le savez, monsieur le ministre— a été <strong>la</strong> ville'<strong>la</strong> plus calme du Maroc. Mais il y avait cefameux problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> fermeture <strong>de</strong>s boutiques!" Tout lemon<strong>de</strong> sait que ies boutiques marocaines ont <strong>de</strong>ux portes, une<strong>de</strong>vant, une autre <strong>de</strong>rrière. La porte donnant sur <strong>la</strong> rue estfermée et le commerçant continue à recevoir ses clients par <strong>la</strong>porte <strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière.Pour <strong>de</strong>s raisons que je veux croire parfaitement pures lesautorités locales ont décidé <strong>de</strong> faire ouvrir <strong>de</strong> force les boutiques,quoique personne ne se p<strong>la</strong>ignait.Des troupes supplétives ont été envoyées sur p<strong>la</strong>ce. La policefrançaise, l'armée française sont respectées; mais les forcessupplétives le sont beaucoup moins. Celles-ci ont fait sauter lespremières portes à coups <strong>de</strong> fusil. En l'espace <strong>de</strong> quelquesminutes, c'était l'émeute.On ne peut pas contrôler une foule, qu'elle soit française,hindoue ou britannique encore que, dans ce <strong>de</strong>rnier cas, cesoit différent. Rappelez-vous, cependant, les événements survenusen pays <strong>de</strong> Galles, en 1929, et les troubles <strong>de</strong> Cardifï.On ne peut plus contrôler une foule même à une échelleenfantine. Souvenez-vous <strong>de</strong> ce qui s'est passé lors du monômedu bacca<strong>la</strong>uréat à Paris à <strong>la</strong> suite duquel trois agents ont dûêtre hospitalisés au Val-<strong>de</strong>-Grâce et au cours duquel un autobusa été brûlé. Victor Hugo a dit <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule qu'elle était unmonstre.Il s'est produit <strong>de</strong>s événements très graves qui auraient puêtre évités si l'on n'avait pas insisté pour l'ouverture <strong>de</strong>s boutiques.Immédiatement tous les éléments interlopes son intervenuset les agitateurs professionnels ont tout <strong>de</strong> suite profité<strong>de</strong> <strong>la</strong> situation.Ce furent alors <strong>de</strong>s événements <strong>la</strong>mentables: l'école <strong>de</strong> puériculture,l'hôpital furent incendiés. Ce fut ignoble; ce<strong>la</strong> achoqué, d'ailleurs, tous les Marocains.Voilà <strong>la</strong> vérité sur l'affaire <strong>de</strong> Port-Lyautey. Cette re<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>sfaits correspond sans doute aux informations du Gouvernement,car si celui-ci a <strong>de</strong>s informations différentes, elles sont probablementtendancieuses.Des Européens ont été assassines: on aurait dû les évacuer<strong>de</strong>s médinas.M. Jean-Marie Bouvier O'Cottereau. Voulez-vous me permettre<strong>de</strong> vous interrompre, mon cher collègue ?M. Pierre Clostermann. Je vous en prie.M. Jean-Marie Bouvier O'Cottereau. Vous nous avez déc<strong>la</strong>réavoir été le témoin <strong>de</strong>s événements qui se sont déroulés auMaroc antérieurement au 20 août 1953, lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> dénosition<strong>de</strong> l'ancien sultan, et <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts récents <strong>de</strong> Port-Lyautey.Vous avez apporté <strong>de</strong>s précisions telles qu'elles doivent êtreprises au sérieux par cette Assemblée.Je serais heureux si vous vouliez me faire l'honneur <strong>de</strong>m'ecouter quand j'interviendrai à mon tour; car j'étais auMaroc lors <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> 1951 et en 1952, au moment <strong>de</strong>sinci<strong>de</strong>nts du syndicat. Le 20 août 1953, au moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> dépositiondû sultan, j'étais sur les routes du Maroc...'M. Pierre Clostermann. Y avez-vous vu les cavaliers berbères ?M. Jean-Marie Bouvier O'Cottereau. Je vous répondrai.Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> simplement pour l'instant d'être assezaimable pour entendre <strong>la</strong> contradiction que j'apporterai à vostémoignages, car, moi aussi, j'ai été un témoin et je ne suispas du tout d'accord sur ce que vous déc<strong>la</strong>rez.M. Pierre Clostermann. C'est d'ailleurs parfaitement normal.M. Edouard Corniglion-Molinier. Chacun sa vérité!M. le prési<strong>de</strong>nt. M. Clostermann a aimablement consenti àêtre interrompu. Mais je ne puis <strong>la</strong>isser s'engager ici un dialogue.M. Jean-Marie Bouvier O'Cottereau. Les déc<strong>la</strong>rations <strong>de</strong>M. Clostermann sont trop graves.M. le prési<strong>de</strong>nt. Il s'agit d'une interpel<strong>la</strong>tion adressée parM. Clostermann au Gouvernement et non pas d'une controverse<strong>de</strong> collègue à collègue.M. Jacques Fonlupt-Esperaber. Très bien!M. Pierre Clostermann. Je continue mon exposé.Un an s'est écoulé <strong>de</strong>puis le 20 août 1953. Où en sommesnousaujourd'hui ?Les grands griefs que l'on faisait à Sidi Mohamed V étaientau nombre <strong>de</strong> trois. Le premier <strong>de</strong> ces griefs était: il se refuseà condamner l'Istiq<strong>la</strong>l; le second: c'est un ennemi <strong>de</strong> <strong>la</strong>France; le troisième: il se refuse à signer les réformes.Je vous avo'ue, mes chers collègues, que j'attends avec impatience,<strong>de</strong>puis un an, <strong>la</strong> condamnation dé l'Istiq<strong>la</strong>l par BenArafa, et j'attends également les fameuses réformes.En effet, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux choses l'une: ou l'ancien sultan refusait<strong>de</strong> signer les réformes et elles auraient dû paraître dansles cinq jours qui suivirent sa déposition; ou il n'y en avaitpas d'établies — car les journaux ont indiqué ensuite qu'ellesétaient mises à l'étu<strong>de</strong> — c'est donc qu'un texte incomplet avaitété soumis au suitan, et alors <strong>la</strong> position française n'était pasd'une honnêteté intellectuelle absolue.Quant à l'autre grief: « c'é<strong>la</strong>it un ennemi <strong>de</strong> <strong>la</strong> France»,reste à savoir ce que l'on entend par le mot « ennemi ». EnelTet, on a dit bien <strong>de</strong>s choses sur l'ancien sultan. Appelle-t-onennemi un interlocuteur difficile ?C'est vrai. Sidi Mohamed V était un interlocuteur difficile. Enface d'un pareil interlocuteur, mieux vaut p<strong>la</strong>cer un hommequi le domine intellectuellement, surtout intellectuellement,car c'esi le point important au Maroc. L'a-t-on fait ?L'on perd au poker et l'on tire sur celui qui vient <strong>de</strong> vousbattre : c'est une formule pratiquée dans certains pavs. Cen'est généralement pas dans les habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> France."Toujours est-il que ni les réformes ni <strong>la</strong> condamnation <strong>de</strong>l'Istiq<strong>la</strong>l ne sont intervenues.On a prétendu que le sultan avait été déposé à <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>du peuple marocain.On compte aujourd'hui plus <strong>de</strong> cent mille signatures <strong>de</strong> notables,d'hommes <strong>de</strong> vrleur, au bas <strong>de</strong> pétitions qui affirment leurfidélité au sultan déposé. Nous Français qui <strong>de</strong>vons être arïri-

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