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JOURNAL OFFICIEL - Débats parlementaires de la 4e République

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J'ai vu comment, à Tamara, avec <strong>de</strong>s camions <strong>de</strong> l'armée française,l'on distribuait <strong>de</strong>s selles berbères aux habitants <strong>de</strong>sdouars avoisinants « pour pouvoir faire <strong>la</strong> photographie et préparerles manifestations spontanées », comme le disait assezsimplement, avec un accent du terroir qui ne manquait pas <strong>de</strong>charme, un adjudant qui participait à cette distribution.J'ai fait le tour <strong>de</strong> lîabat. Pendant trois jours j'ai pris toutesles routes, tous les petits chemins. 11 n'y avait pas un seulcavalier berbère dans un rayon <strong>de</strong> soixante kilomètres <strong>de</strong> Rabat.Le haut fonctionnaire français qui a téléphoné au ministre<strong>de</strong>s affaires étrangères le 20 août 1953, à neuf heures du matin,a commis une forfaiture en déc<strong>la</strong>rant: Les Berbères dévalentsur <strong>la</strong> ville, les cavaliers arrivent, il faut que j'ouvre le feu.L'opération s'est faite. Il est <strong>de</strong>s opérations sur lesquelles, jele sais, il est extrêmement difficile <strong>de</strong> revenir. Cependant on ale droit <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s post mortem, <strong>de</strong> chercher à étudier <strong>de</strong>ssituations et d'en tirer <strong>de</strong>s leçons pour l'avenir.Le dossier détaillé <strong>de</strong> <strong>la</strong> déposition <strong>de</strong> Sidi Mohamed ben•Youssef peut attendre. L'histoire a d'ailleurs besoin d'un certainrecul. Mais le déroulement <strong>de</strong>s événements au Maroc ne peutpas attendre. Nous risquons — je le dis à mon grand regret carj'aime profondément le Maroc où j'ai <strong>de</strong>s amis marocains pourlesquels j'ai <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> affection et le plus grand respect— nous risquons <strong>de</strong> creuser entre eux et nous un fossé infranchissable.Il est au moins un bénéfice que vous m'accor<strong>de</strong>rez, c'est celuidu patriotisme et <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonne foi. Des faits que je vais vousciter, j'ai été le témoin. Je ne voudrais pas en citer un seulque je n'aurais pas pu contrôler. Comme Thomas, je ne croisque ce que je vois, que ce que je touche.Il se peut que j'interprète mal les faits; il appartient au Gouvernement<strong>de</strong> le dire. J'ai toutefois à remplir un <strong>de</strong>voir d'honnêteté,avec certains risques. Je reçois en effet chaque jour <strong>de</strong>nombreuses lettres <strong>de</strong> menaces et je tiens à dire d'ailleurs aupassage que si <strong>de</strong>main je suis victime d'un attentat, et si je suistué, ce ne sera pas par l'acte d'un Marocain.A Marrakech on a tué Moinier que les Marocains adoraient etqui adorait les Marocains. Quel est le Marocain qui aurait faitce<strong>la</strong> ?On a attribué ce meurtre aux terroristes.Il semble maintenant, aux <strong>de</strong>rnières nouvelles, que pour l'anniversairedu 20 août 1953, l'administration cherche à rééditerson coup <strong>de</strong> l'an <strong>de</strong>rnier.On lit <strong>de</strong> nouveau dans <strong>la</strong> presse marocaine: « Cent camionstransportent <strong>de</strong> Fez à Rabat <strong>de</strong>s contingents <strong>de</strong>s tribus. »C'est La Vigie marocaine qui donne cette information.Cent camions ? De qui ? Payés par qui ? Dans quelles conditions?On a parlé <strong>de</strong> 3.000 à 4.000 Berbères venus ainsi à Rabat.On précise que les chefs <strong>de</strong> ces contingents venaient prêterserment <strong>de</strong> fidélité ou assurer leur fidélité à Sa Majesté BenArafa, le nouveau sultan.Ce que l'on oublie <strong>de</strong> dire, c'est que les camions sont venusavec quarante hommes et trois jours après sont repartis avecdix hommes car entre temps les autres étaient partis.On oublie aussi <strong>de</strong> dire que toutes les troupes marocaines,tous les tirailleurs marocains ont été désarmés et consignés enleurs quartiers. C'est là un fait qu'on ne peut pas nier.Je suis passé, il y a trois jours, <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>scasernes. Je jn'entretiens couramment avec <strong>de</strong>s officiers <strong>de</strong>tirailleurs marocains qui me ren<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> fréquentes visites...M. Christian Fouehet, minisire <strong>de</strong>s affaires marocaines ettunisiennes. Me permettez-vous <strong>de</strong> vous interrompre, mon chercollègue ?M. Pierre Clostermann. Volontiers.M. le ministre <strong>de</strong>s affaires marocaines et tunisiennes. Moncher collègue, vous savez foute l'amitié et <strong>la</strong> camara<strong>de</strong>rie quej'ai pour vous.Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne pas mettre en cause ici le loyalismeà l'égard du Gouvernement <strong>de</strong> hauts fonctionnaires qui ontsa confiance.Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne pas exagérer et <strong>de</strong> prendre gar<strong>de</strong> àvos déc<strong>la</strong>rations.M. Pierre Clostermann. Je ne mets nullement en cause leloyalisme du rési<strong>de</strong>nt avec qui j'ai, vous le savez, <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tionsd'amitié et pour qui j'éprouve un grand respect, mais je metsen doute définitivement, comme le Gouvernement l'a fait àmaintes reprises, Je loyalisme <strong>de</strong> certains fonctionnaires françaisenvers les intérêts généraux <strong>de</strong> <strong>la</strong> France. Ces fonctionnairesclierciient à interpréter les intérêls <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, alorsque nous, membres du Parlement français, qui en âoinmes lesdépositaires, qui en sommes les garants...Plusieurs voix à droiie. Pas vous!». Armand <strong>de</strong> Baudry d'Asson. Pas vous, qu'on ne voitjamais ici.M. Pierre Clostermann. Mon cher collègue, permettez-moi <strong>de</strong>vous dire, avec beaucoup d'amabilité,...M. Armand <strong>de</strong> Baudry d'Asson. Je ne sais pas où vous défen<strong>de</strong>zles intérêts français; en tout cas, ce n'est pas au Parlement.M. Pierre Clostermann. ... qu'aux obligations <strong>parlementaires</strong>s'opposent parfois <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> santé. C'est pour <strong>de</strong> tellesraisons que j'ai dû être absent.En effet, pendant <strong>la</strong> guerre, j'eus malheureusement les poumonstrès atteints, ce qui m'a obligé à me retirer pendant uncertain temps sous un climat un peu plus clément. N'étant pasmilliardaire, je ne peux pas passer ma vie sur <strong>la</strong> côte d'Azur.J'ai profité <strong>de</strong> cette circonstance pour servir <strong>de</strong> <strong>la</strong> meilleurefaçon et <strong>de</strong> toute ma conscience <strong>la</strong> France et les intérêts françaisen gardant contact avec <strong>de</strong>s Marocains qui sont nos amiset seront <strong>de</strong>main nos col<strong>la</strong>borateurs les plus précieux. (App<strong>la</strong>udissementssur plusieurs bancs à l'extrême droite el à gauche.)On cherche à recréer artificiellement l'antagonisme <strong>de</strong> <strong>la</strong> villeet <strong>de</strong> <strong>la</strong> montagne.C'est là un <strong>de</strong> ces mythes qui . finissent par se créer onne sait comment, mais qui <strong>de</strong>viennent vérités absolues d'évangileà force d'être répétés, sans que les faits qui les ontfait naître aient jamais été contrôlés.On parle du problème berbère, du problème <strong>de</strong>s villes!Oublie-t-on que Casab<strong>la</strong>nca est <strong>la</strong> plus importante <strong>de</strong>s villesberbères ? Dans cette ville, sur huit cent mille Marocains,quatre cent mille à cinq cent mille sont berbères. L'oublie-t-on ?Aux Carrières centrales, <strong>de</strong>ux habitants sur trois sont berbèreset il existe une rotation permanente entre les tribus, entreles popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> <strong>la</strong> montagne et <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville. Les Berbèressont cfevenus, d'ailleurs, d'excellents commerçants ; certainstravaillent dans <strong>la</strong> quincaillerie, d'ans <strong>de</strong> petites affaires commerciales.D'autres préfèrent rester à fa montagne.Leur prolifération due à <strong>la</strong> France qui a amené l'hygiène,aux mé<strong>de</strong>cins du toied, fait que leurs terrains <strong>de</strong> pâturagesne nourrissent plus l'excès <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. Ils partent vers lesvilles.D'autre part, il y a <strong>la</strong> question <strong>de</strong> l'Is<strong>la</strong>m. Enfin n'oublionspas que <strong>la</strong> raison même <strong>de</strong> l'entrée <strong>de</strong> <strong>la</strong> France au Maroc,<strong>la</strong> raison même du protectorat, c'était cette lutte entre <strong>la</strong>ville et <strong>la</strong> montagne.C'est là l'origine du traité <strong>de</strong> Fez. Le soin a été confié à <strong>la</strong>Francs <strong>de</strong> remettre <strong>de</strong> l'ordlre au Maroc. Après y avoir réussi,grâce à Lyautev, aujourd'hui on va tenter <strong>de</strong> recréer artificiellementune scission entre les Berbères, gens <strong>de</strong>s montagnes,et les gens <strong>de</strong>s villes.Je les ai parcourues, ces montagnes, au cours <strong>de</strong> ces trois<strong>de</strong>rniers mois. Je sais ce que pensent leurs habitants. Je saisce que pensent les plus hauts fonctionnaires français en p<strong>la</strong>ce,du Maroc politique, et leurs pensées ne correspon<strong>de</strong>nt pas précisément— je vous l'assure — à l'opinion qui est expriméeaujourd'hui pas les trois quarts <strong>de</strong> <strong>la</strong> presse. 11 est difficilementadmissible que l'on cherche à creer artificiellement, dlesmanifestations qui dénaturent complètement le sens <strong>de</strong> <strong>la</strong>volonté du peuple marocain.Nous n'avons pas. nous, Français, à jouer un rôle <strong>de</strong> partisan,nous avons à jouer un rôle d'arbitre. C'est là notremission.D'ailleurs, il ne faut pas oublier que lorsque Sidi MohammedV a été déposé, le communiqué officiel du Gouvernementindiquait que le sultan avait été éloigné pour le protéger <strong>de</strong>ses sujets. Grâce au ciel, ce communiqué est génialementrédigé, car il ouvre pour l'avenir bien <strong>de</strong>s portes à <strong>la</strong> discussion.M. le prési<strong>de</strong>nt cPu conseil, et vous, monsieur le ministre,avez attaqué <strong>de</strong> front, avec courage, le problème <strong>de</strong> Tunisie.Ce<strong>la</strong> ne veut pas dire que, <strong>de</strong>main, aux actions <strong>de</strong> grâces <strong>de</strong>bien <strong>de</strong>s Français ne se mêleront pas les pierres dont on vous<strong>la</strong>pi<strong>de</strong>ra, car Je courage n'est pas toujours, sur le p<strong>la</strong>n politique,très /payant. Mais un jour, dans vingt ans, on comprendral'Histoire rendra justice à ce que vous avez fait en Tunisie.M. Ro<strong>la</strong>nd <strong>de</strong> Moustier. Avant vingt ans, je l'espère.H. Pierre Clostermann. Le calme est revenu, et le calme est,malgré tout, une ambiance plus propice à <strong>la</strong> défense <strong>de</strong>s thèsesfrançaises lors <strong>de</strong>s négociations qui vont s'ouvrir.Au Maroc, il en est <strong>de</strong> même. L'émeute n'a été que <strong>la</strong> conséquence<strong>de</strong> l'inaction et <strong>de</strong> ces fameux mensonges qui nous ontfait tant <strong>de</strong> mal.Exiger le calme, le calme absolu pour parler, c'est entrer dansun cercle vicieux, car il n'y a plus <strong>de</strong> moyens d'expressionau Maroc. Il n'y a plus <strong>de</strong> presse libre; les lea<strong>de</strong>rs politiquesont tous été emprisonnés. On a essayé d'en libérer quelquesunset immédiatement les agents provocateurs intéressés ontcréé <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts.Parlons <strong>de</strong> l'inci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> Port-Lyauley. J'en ai été le témoin.et

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