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JOURNAL OFFICIEL - Débats parlementaires de la 4e République

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4268 ASSEMBLEE NATIONALE — 1 SEANCE DU 26 AOUT 1954posent d'une façon bien précise dans nos protectorats et cellesqui peuvent se poser dans nos provinces d'Algérie. J'ai voulumarquer qu'au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s formules, e/-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s solutions techniquesse posent toujours <strong>de</strong>s problèmes humains sur lesquelsje reviendrai tout à l'heure.En ce qui concerne les protectorats, il est une erreur à<strong>la</strong>quelle il me semble qu'il faille définitivement renoncer :savoir qu'on ne résout pas les problèmes en remp<strong>la</strong>çant lesJiommes.Les changements successifs <strong>de</strong>s rési<strong>de</strong>nts, avec leurs qualitésira leurs insuflisances diverses, ne résout rien. Certes, il futun temps où le problème se posait autrement; mais le <strong>de</strong>stin,si généreux qu'il puisse être pour nous, n'a [>as multiplié lesLyautey et les Cambon et notre politique, qui a perdu beaucoup,à notamment perdu, je le crains, pour les hautes fonctionspolitiques, Je sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> durée.Faut-il rappeler que Paul Cambon est resté quatre ans enTunisie, que Picbon y est <strong>de</strong>meuré plus <strong>de</strong> cinq ans, queIteué Millet et Lucien "Saint y ont passé plus <strong>de</strong> sept ans et,enfin, que ce très grand fonctionnaire qu'était M. A<strong>la</strong>petite yresta près <strong>de</strong> douze années ?Lorsqu'on est présent, lorsqu'on est durable, dans <strong>la</strong> mêmemesure que les fonctionnaires qui vous sont subordonnés, ily a quelques chances, si <strong>la</strong> discipline <strong>de</strong> <strong>la</strong> fonction publiquesubsiste encore, que l'on soit obéi. Lorsqu'on est instable,lorsque les fonctionnaires qui vous sont subordonnés peuventspéculer impunément sur votre départ, certains <strong>de</strong> vous survivre,comment voulez-vous qu'on soit obéi ?Il rie suffit pas, d'ailleurs, que les rési<strong>de</strong>nts, les gouverneurssoient obéis; il faut qu'eux-mêmes sachent obéir, se conformerà une doctrine, à une politique; car le temps est passé <strong>de</strong>simprovisations, qui étaient admissibles .lorsqu'elles étaient lefait d'hommes longtemps attachés aux mêmes postes etconnaissant généralement mieux que leurs ministres <strong>la</strong> situationréelle du pays qu'ils administraient.Il manque à nos ministres l'autorité réelle. L'un d'eux, l'un'<strong>de</strong>s meilleurs, dans un article qui, en mars 1952, fit quelquebruit, rappe<strong>la</strong>it comment un ministre pouvait ne pas être obéi.Je me trouvais à Tunis en mars 1952. Je me souviens quefurent, à ce moment, arrêtés <strong>de</strong>s ministres sans que le ministrefrançais responsable en ait donné l'ordre et même en ait étépréa<strong>la</strong>blement informé.A <strong>la</strong> vérité, une faiblesse est trop évi<strong>de</strong>nte: jamais, <strong>de</strong>puislongtemps, ni le Gouvernement, ni le Parlement, ni même— sauf une exception récente dont je me félicite — <strong>la</strong> commission<strong>de</strong>s affaires étrangères n'ont su définir une politique.Souvenez-vous <strong>de</strong> ces séances du mois <strong>de</strong> juin 1952 où, dansquinze scrutins, dont douze scrutins publics, il ne s'est trouvéici aucune majorité capable d'imposer une doctrine. Or, sansdoctrine, il n'y a pas, évi<strong>de</strong>mment, <strong>de</strong> politique.Pour arrêter une politique, différentes conditions sont nécessaires.Il faut d'abord dresser le bi<strong>la</strong>n <strong>de</strong> l'activité passée,dans son actif mais aussi dans son passif; il faut établir lespossibilités matérielles et juridiques dont on dispose; il fautsavoir quels buts on veut atteindre. Il faut, enfin, choisir lesinterlocuteurs utiles.Le bi<strong>la</strong>n a souvent été <strong>la</strong>it. A <strong>la</strong> vérité, ce qui a été surtoutsouligné, c'est l'actif, ce qui, dans une comptabilité industrielle,serait considéré comme particulièrement fâcheux. Cetactif est réel et, sans vain orgueil, <strong>la</strong> France a le droit d'êtrefière <strong>de</strong> ce qu'elle a apporté en Afrique du Nord. (App<strong>la</strong>udissementsau centre.)Elle a apporté une indiscutable prospérité économique, donton peut regretter, cependant, qu'elle n'ait bénéficié qu'à lineminorité. Elle a apporté aussi un progrès démographique quin'est pas sans péril, mais qui indique que nous avons accompli,du point <strong>de</strong> vue cle <strong>la</strong> santé et cle l'hygiène publiques, un effortqui, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, n'aurait pas été fait sans nous.Il y a à notre actif d'autres éléments qu'on oublie quelquefois,que nos interlocuteurs nord-africains oublient encore plusvolontiers que nous. S'il y a en Afrique du Nord, dans les cfeuxprotectorats, <strong>de</strong>s souverainetés réelles, si les chefs d'Etat nesont pas seulement les maîtres d'une partie <strong>de</strong> leur pays, mais<strong>de</strong> sa totalité, c'est tirés manifestement à notre présence qu'ilsJe doivent; car il est bien permis <strong>de</strong> tlire que, sans <strong>la</strong> puissanceprotectrice, il n'y aurait pas, en Afrique du Nord, <strong>de</strong> véritablesEtats. (App<strong>la</strong>udissements au centre.)Nous avons le droit <strong>de</strong> nous souvenir <strong>de</strong> ce<strong>la</strong>; et nous avonsle droit <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à nos interlocuteurs <strong>de</strong> bonne foi <strong>de</strong> s'ensouvenir, eux aussi.Un autre apport est notre fait, en Afrique du Nord. C'est ànous qu'est dû, à l'intérieur <strong>de</strong> frontières ainsi définies, auMaroc et surtout en Tunisie, l'éveil d'une conscience nationale.L'idée <strong>de</strong> nationalité est étrangère à l'Is<strong>la</strong>m traditionnel. LeMusulman a une gran<strong>de</strong> patrie : l'Is<strong>la</strong>m lui-même,M. Saïd Mohamed Cheikh. C'est exact.M. Jacques Fonlupt-Esperaber. Mais, dès qu'il passe d'un territoireà un autre, automatiquement il est traité comme le sujetdu souverain musulman du nouveau territoire.Nous avons appris aux Musulmans <strong>de</strong> Tunisie ce qu'est unpeuple, ce qu'est un Etat et presque une nation. Ce<strong>la</strong> aussi està notre actif, encore que, peut-être, il nous en ait parfois coûtéassez cher.En face <strong>de</strong> cet actif, il y a, hé<strong>la</strong>s! <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, commedans tout bi<strong>la</strong>n, un passif. Il est inévitable, l'un commandantl'autre, qu'à côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> lumière il y ait <strong>de</strong>s ombres. Deux pointsdoivent retenir, à cet égard, nolreattenlion. D'abord le fait quenous avons été portés à admettre comme un dogme indiscutable— j'al<strong>la</strong>is dire: comme un dogme sacro-saint — notresupériorité en toutes choses.U y a dans <strong>la</strong> mentalité <strong>de</strong> certains, non seulement un orgueilqui, parfois, frise le ridicule, mais encore un dédain, voire unmépris.Lorsque je rencontre certaines gens dont <strong>la</strong> culture me paraîtmo<strong>de</strong>ste et que je me souviens que, du VII e au XII e siècle, surtous les terrains du savoir humain, l'Is<strong>la</strong>m, <strong>la</strong> civilisation arabea été <strong>la</strong> richesse <strong>de</strong> l'humanité, je suis vraiment un peuhumilié par <strong>la</strong> sottise <strong>de</strong> quelques-uns.Reconnaissons nos mérites, reconnaissons nos supérioritéssur certains p<strong>la</strong>ns, reconnaissons que, dans ces popu<strong>la</strong>tionsnord-africaincs, et parfois ailleurs, il est, à côté d'hommes d'unevaleur indiscutable, <strong>de</strong>s individus dont <strong>la</strong> valeur est moindre.C'est entendu. Mais, mépriser ces popu<strong>la</strong>tions c'est être, à <strong>la</strong>fois, inintelligent et — ce qui me paraît plus grave encore — profondémentinjuste.Deuxième grief: à <strong>la</strong> fois parce que nous étions puissants etque nous nous croyions supérieurs, notre politique qui auraitdû être une politique <strong>de</strong> contrôle, est <strong>de</strong>venue <strong>de</strong> plus en plusuîie ipolitique d'administration directe. Je dirai d'un mot qu'aulieu d'être, comme c'est <strong>la</strong> mission <strong>de</strong> <strong>la</strong> France et, par conséquent,dans une certaine mesure, <strong>la</strong> mission <strong>de</strong>s Français,<strong>de</strong>s éveiileurs d'hommes, <strong>de</strong>s éveilleurs d'intelligences, ceuxqui créent autour d'eux <strong>la</strong> vie chez autrui, nous avons été,au sens le plus étroit, voire le plus mesquin du mot, <strong>de</strong> purset simples administrateurs, tatillons et parfois sans gran<strong>de</strong>ur.Ce bi<strong>la</strong>n étant établi, où sans doute <strong>la</strong> lumière surpasse l'ombre.quels sont les moyens <strong>de</strong> notre action ?En ce qui concerne <strong>la</strong> Tunisie dont je parlerai tout particulièrement,les moyens <strong>de</strong> notre action sont inscrits — commed'ailleurs pour le Maroc — dans les traités qui sont le fon<strong>de</strong>ment<strong>de</strong> nos droits et en fixant <strong>la</strong> mesure et les limites.Tout d'abord, ces traités reconnaissent d'une façon indiscutableet évi<strong>de</strong>nte <strong>la</strong> souveraineté locale — <strong>la</strong> souveraineté dubey dans le cas qui m'occupe.£e fait même <strong>de</strong> signer un traité avec quelqu'un est <strong>la</strong> reconnaissance<strong>de</strong> sa qualité <strong>de</strong> souverain.L'engagement que nous avons pris dans le traité du Bardo<strong>de</strong> garantir l'application <strong>de</strong>s traités existants entre <strong>la</strong> régenceet les pays européens est une <strong>de</strong>uxième reconnaissance.Aussi bien, jamais, à aucun moment, aucune <strong>de</strong> nos juridictions,qu'elle soit administrative ou judiciaire, n'a contesté<strong>la</strong> réalité <strong>de</strong> cette souveraineté qui, d'ailleurs, s'arfirme parce qui constitue les attributs essentiels cle <strong>la</strong> souveraineté.Le bey <strong>de</strong> Tunis — lui ou les organes qui dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> lui— légifère, rend <strong>la</strong> justice, prélève l'impôt. A-t-il le g<strong>la</strong>ive 1Je n'en sais rien, je n'en suis point sûr; nous le portons àsa p<strong>la</strong>ce.Mais,' sans doute, à côté <strong>de</strong> cette souveraineté jamais contestée,nos droits existent.Us existent sur le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> <strong>la</strong> souveraineté extérieure. Jen'insiste pas, <strong>la</strong> question est trop connue.Nous avons <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> notre armée sur le territoire.Oh! sans doute, en vertu d'une c<strong>la</strong>use qu'il ne faut pas lired'une façon trop méticuleuse, car <strong>la</strong> présence était considéréecomme provisoire et <strong>de</strong> sécurité.Nous avons <strong>la</strong> représentation diplomatique. Nous avons <strong>la</strong>présence du rési<strong>de</strong>nt.Nous avons, enfin, par le traité <strong>de</strong> 1a Marsa, le droit, nonpas d'opérer nous-mêmes <strong>de</strong>s réformes, mais d'imposer au beycertaines réformes, auxquelles — les termes figurent dans letraité — il « s'engage à procé<strong>de</strong>r ».Ainsi, nous avons maintenu <strong>la</strong> souveraineté du bey, maisnous sommes <strong>de</strong>venus, dans une <strong>la</strong>rge mesure, son conseilnécessaire, voire, selon une interprétation parfois un peu poussée,son conseiller autoritaire. D où il n'y a pas lieu — n'endép<strong>la</strong>ise à un <strong>de</strong> mes très éminents contradicteurs — mémolorsqu'on a l'esprit juridique, <strong>de</strong> déduire je ne sais quellecosouveraroelé franco-tunisienne.Dans aucun texte, dans aucun document, dans aucune déc<strong>la</strong>ration,dans aucune affirmation du pouvoir politique français,jamais cette formule ne s'est trouvée, même si l'on a ipurelever, dans .certains documents, quelques ma<strong>la</strong>dresses <strong>de</strong><strong>la</strong>ngage.

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