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BABEL (WORDS)Chorégraphie et mise en scèneSidi Larbi Cherkaoui et Damien Ja<strong>le</strong>tMardi 15 mai 2012 à 20h30<strong>Espace</strong> <strong>Malraux</strong>ContactService des relations avec <strong>le</strong> publicrp@espacemalraux-chambery.fr04 79 85 83 30


BABEL (WORDS)Durée : 1h40Chorégraphes : Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Ja<strong>le</strong>t avec la participation desinterprètesDécor : Antony Gorm<strong>le</strong>yAssistant chorégraphe : Nienke ReehorstCostumes : A<strong>le</strong>xandra GilbertLumières : Adam CarréeTextes : Lou CopeInterprètes : Navala Chaudhari, Francis Ducharme, Darryl E. Woods, Jon FilipFahlstrom / Qudus Onikeku, Damien Fournier, Ben Fury, Paea Leach / ValgerdurRunarsdottir, Christine Leboutte, Ulrika Kinn Svensson, Kazutomi Kozuki / SanghunLee, Sandra Delgadillo Porcel, James O'Hara / Paul Zivkovich et Helder Seabra / IgalFurmanMusique : Patrizia Bovi, Mahabub Khan, Sattar Khan, Gabrie<strong>le</strong> Mirac<strong>le</strong> et Kazunari AbeConsultant en musique turque traditionnel<strong>le</strong> : Fahrettin YarkinTechniciens : Sharp, Jens Drieghe, Bert Van Dijck, Bart Van Hoydonck (SLP) / Raf VanHoof, Mathias Bats<strong>le</strong>er (SLP) / Kim RensHabil<strong>le</strong>use : Elisabeth Kinn SvenssonDirecteurs de production : Maarteen VerbeurenDirectrice de tournée : Sofie De SchutterAssistant à la direction de production : Lies DomsDirectrice exécutive : Karen FeysRemerciements à : Asao Taiko (Japon), Marek Pomocki, Seniz Karaman, Raad vanBesturr (Eastman), De munt, Lise Uytterhoeven, Assaf Hochman, Casey Spooner,Alistair Wilson (Push 4), Antony Gorm<strong>le</strong>y studios, Juliette Van Peteghem, Milan “Mino”Herich, Sven Bahat, Hisashi Itoh, Kodo Ensemb<strong>le</strong> (Melanie Taylor), Rakesh Mps,Karthika Nair, Frederick Verrote.Production : Eastman vzw and Theatre royal de la MonnaieCo-producteurs : Fondation d'entreprise Hermès, Etablissement Public du Parc et dela Grande Hal<strong>le</strong> de la Vil<strong>le</strong>tte (Paris), Sad<strong>le</strong>rʼs Wells (Londres), TheaterfestivalBou<strong>le</strong>vard (Den Bosch, Pays-Bas), Festspielhaus (St. Pölten), Grand Théâtre duLuxembourg, International Dance festival Switzerland - Migros Culture Percentage,Fondazione Musica per Roma (Rome) et <strong>le</strong> Ludwigsburger Schlossfestspie<strong>le</strong>(Al<strong>le</strong>magne).Babel (words) est soutenu par Dash Arts 2010 programme on Arabic Arts.Eastman vzw est une compagnie résidente à Toneelhuis (Anvers).1


BABEL (WORDS)BABEL (words) prend pour point de départ l’instant précis du récit de la Tour de Babel oùDieu punit ceux qui ont é<strong>le</strong>vé une tour en son nom, entraînant <strong>le</strong> chaos en <strong>le</strong>s divisantselon des langues, des cultures et des pays différents.Concrètement : <strong>le</strong> premier jour de répétition, c’est un microcosme de dix-huit artistesvenant de treize pays, parlant quinze langues, représentant sept religions et issus dedivers milieux de performance, qui a rejoint <strong>le</strong>s chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui etDamien Ja<strong>le</strong>t, ainsi que <strong>le</strong> plasticien Antony Gorm<strong>le</strong>y, pour entreprendre un nouveauvoyage.Et c’est dans ce maelström tourbillonnant d’identités, de nationalités et de cultures qu’ilsont trouvé <strong>le</strong>ur inspiration. Là où <strong>le</strong> langage est à la fois verbe et mouvement, là où ilunit et divise, où il rend la communication à la fois possib<strong>le</strong> et impossib<strong>le</strong>, et où il estchargé de sens tout en étant profondément insignifiant.Au cours de la réf<strong>le</strong>xion et de la réalisation a ainsi émergé une vil<strong>le</strong> de diversité, unréseau de possibilités, où <strong>le</strong>s gigantesques cadres en trois dimensions d’AntonyGorm<strong>le</strong>y sont dressés, renversés et transformés, comme s’ils n’étaient faits de riend’autre que de nos pensées. L’espace est disséqué et on se l’approprie, créant desterritoires, des axes et des frontières qui évoquent <strong>le</strong>s divisions géopolitiques, souventaléatoires mais parfois meurtrières, d’un pays, ainsi que <strong>le</strong>s barrières et <strong>le</strong>s limites quenous nous imposons et que nous imposons à autrui. Mais, bien sûr, tout en offrantrefuge et apaisement dans un paysage où règnent <strong>le</strong> chaos et la comp<strong>le</strong>xité, <strong>le</strong>sstructures favorisent des moments tendres, secrets et intimes sans <strong>le</strong>squels aucun denous ne pourrait survivre.Cette vil<strong>le</strong> n’est pas sans rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong> paysage où s’aventure <strong>le</strong> philosophe françaisMichel de Certeau dans son ouvrage L’Invention du quotidien, dans <strong>le</strong>quel desvagabonds marchent à l’aveug<strong>le</strong>tte, en prenant des décisions à la milliseconde, sanssavoir ce qu’ils font, ni pourquoi ils <strong>le</strong> font, ni ce que cela signifie, ou encore où cela <strong>le</strong>smènera. Les gens adoptent par hasard <strong>le</strong>urs choix de conviction, de communauté etd’identité qui, tout en apportant un soutien, ferment des portes, dressent des barrièreset posent des limites.Et bien sûr, ils construisent des tours d’ivoire, non seu<strong>le</strong>ment pour afficher <strong>le</strong>ur positionet <strong>le</strong>ur prospérité, mais aussi pour poursuivre <strong>le</strong>ur quête d’une certaine forme de savoiret d’instruction plus é<strong>le</strong>vés. Observer en vue aérienne et à distance ces motifssi<strong>le</strong>ncieux, tout en bas, génère une sensation de confort, de contrô<strong>le</strong> et d’ordre, car,comme <strong>le</strong> disait un vieux panneau au sommet du World Trade Center : « It’s hard to bedown when you’re up » !2


Le voyage de Sidi Larbi Cherkaoui et de Damien Ja<strong>le</strong>t a en effet été amorcé par <strong>le</strong>urprofonde « foi en la conviction qu’il existe quelque chose d’important » et <strong>le</strong>ur quêtecommune de ce que pourrait être ce quelque chose. En cours de réalisation, <strong>le</strong>spectac<strong>le</strong> a révélé à ses créateurs que <strong>le</strong>ur travail renversait la Tour de Babel :l’important n’était pas la multiplicité extérieure de nos différences (régiona<strong>le</strong>s,spirituel<strong>le</strong>s, linguistiques, physiques...), mais <strong>le</strong> lien sous-jacent qui nous unit plus qu’ilnous divise, à savoir <strong>le</strong>s responsabilités que nous partageons tous. Ainsi, de même quela pièce évolue vers une sorte d’oméga, nous observons une dilution des barrièresartificiel<strong>le</strong>s, des structures, des définitions et des technologies que nous cherchons àimposer à nos mondes géographiques, virtuels, politiques ou spirituels. Il nous restequelque chose de plus primitif, transcendant et unifié. Il nous reste nous autres.Complètement et littéra<strong>le</strong>ment enchaînés <strong>le</strong>s uns aux autres par nos neurones, etséparés uniquement par notre peau, ainsi que l’énoncent <strong>le</strong>s mots du neurologueVilayanur S. Ramachandran au cours de la performance.Texte: Lou CopeTraduction : Émilie Syssau3


L’ÉQUIPE ARTISTIQUESIDI LARBI CHERKAOUINé à Anvers en 1976 dʼune mère flamande et dʼun pèremarocain, <strong>le</strong> danseur et chorégraphe Sidi Larbi Cherkaouicrée sa première œuvre en 1999, Anonymous Society, une« comédie musica<strong>le</strong> contemporaine » sur la musique deJacques Brel. Cette production remporte différents prix, dont<strong>le</strong>s prix Fringe First et Total Theatre à Édimbourg, ainsi que <strong>le</strong>prix Barclay Theatre à Londres.En 2000, au sein des Bal<strong>le</strong>ts C. de la B., il crée Rien de rien,une chorégraphie présentée partout en Europe, qui remporte<strong>le</strong> prix spécial du BITEF Festival de Belgrade. Pour cespectac<strong>le</strong>, il collabore pour une première fois avec DamienJa<strong>le</strong>t, qui l’initie aux chants traditionnels italiens, une influence qui marquera nettementses créations suivantes. Les 6 danseurs, dont lʼâge varie entre 16 et 60 ans, maîtrisentune variété presque aussi grande de sty<strong>le</strong>s que de techniques de danse, du bal<strong>le</strong>tclassique à la danse de salon en passant par la gestuel<strong>le</strong> que nous pratiquons tous enparlant. Pour Sidi Larbi Cherkaoui, ce sont là des sources tout aussi dignes dʼinspirationpour un langage contemporain de la danse. Cet éc<strong>le</strong>ctisme correspond parfaitementaux thèmes qui lui tiennent à cœur : lʼégalité entre <strong>le</strong>s individus, <strong>le</strong>s cultures, <strong>le</strong>slangues et <strong>le</strong>s moyens dʼexpression. Rien de rien effectue une tournée marathon et luivaut, en 2002, <strong>le</strong> prix réservé aux chorégraphes prometteurs lors de la remise des prixNijinski à Monte-Carlo.En juil<strong>le</strong>t 2002, il participe au vo<strong>le</strong>t « Le Vif du Sujet » du Festival dʼAvignon et y danseIt, dans une mise en scène de Wim Vandekeybus. Le point de départ de ce solo est unenouvel<strong>le</strong> de Paul Bow<strong>le</strong>s. It fusionne <strong>le</strong>s gestuel<strong>le</strong>s très spécifiques des deuxchorégraphes.« Cherkaoui nous sort <strong>le</strong> grand jeu. Son corps semb<strong>le</strong> déraciné et inaccessib<strong>le</strong>.Lorsque son pied vient frapper sa tête, <strong>le</strong> haut de son corps semb<strong>le</strong> ignorer quʼila une partie inférieure. Ce corps se bat avec lui-même, jong<strong>le</strong> avec lʼair entre sesmains, se contorsionne en un millier de courbes. »(De Standaard, Belgique)À lʼautomne 2002, avec Damien Ja<strong>le</strong>t et deux danseurs de Sasha Waltz, il crée Dʼavantpour la Schaubühne am Lehniner Platz de Berlin, un spectac<strong>le</strong> qui allie <strong>le</strong> chantmédiéval du XIII e sièc<strong>le</strong> à la danse contemporaine. Dʼavant est un spectac<strong>le</strong> trèsphysique qui, dans une mosaïque de sty<strong>le</strong>s, parvient à faire se conjuguer légèreté etrelativisation avec des phénomènes sociaux importants comme <strong>le</strong> fanatisme, lavio<strong>le</strong>nce physique et lʼindifférence mora<strong>le</strong>.En mars 2003, il poursuit sa quête des relations croisées entre la danse et la musique(chantée) dans Foi, un spectac<strong>le</strong> sur la force de la croyance, dans <strong>le</strong>quel la musiqueArs Nova du XIV e sièc<strong>le</strong> (interprétée par lʼensemb<strong>le</strong> Capilla Flamenca) rencontre <strong>le</strong>schants traditionnels interprétés par Christine Leboutte, Damien Ja<strong>le</strong>t, Joanna Dud<strong>le</strong>y et4


<strong>le</strong>s danseurs. Deux manières de raconter lʼhistoire et ses mythes et de <strong>le</strong>s transmettre àla génération suivante. Ce spectac<strong>le</strong>, présenté à Danse Danse en mai 2003, a reçu <strong>le</strong>prix Movimentos à Wolfsburg, en Al<strong>le</strong>magne.En juil<strong>le</strong>t 2004, à la demande du Festival dʼAvignon, Cherkaoui présente un nouveauprojet avec Les Bal<strong>le</strong>ts C. de la B. intitulé Tempus Fugit, où il remet en questionlʼabsoluité apparente du temps. Car même si <strong>le</strong> monde entier paraît avoir une notionidentique du temps, son vécu est ressenti et interprété différemment dans <strong>le</strong>s diversescultures. Dans Tempus Fugit, 15 « interprètes », issus dʼà peu près tous <strong>le</strong>s coins dumonde, explorent <strong>le</strong>ur propre passé culturel. Chacun dʼeux tente dʼavoir prise sur <strong>le</strong>temps, ce qui se traduit dans la danse par une divergence de rythmes et de vitessesdʼexécution. Lʼoeuvre met lʼaccent sur <strong>le</strong>s mondes de la Méditerranée, de lʼArabie, delʼAfrique centra<strong>le</strong> et sur <strong>le</strong>urs relations mutuel<strong>le</strong>s. En décembre 2004, Cherkaouiprésente In Memoriam aux Bal<strong>le</strong>ts de Monte-Carlo. Pour <strong>le</strong> Bal<strong>le</strong>t du Grand Théâtre deGenève, il chorégraphie Loin – la première a lieu en avril 2005 –, pièce présentée àDanse Danse en février 2009.Toujours en 2005, Cherkaoui collabore pour la première fois avec Akram Khan.Ensemb<strong>le</strong>, ils créent et dansent <strong>le</strong> spectac<strong>le</strong> zero degrees, qui aborde lʼimpact dumélange de <strong>le</strong>urs passés culturels respectifs. Zero degrees est sé<strong>le</strong>ctionné pour <strong>le</strong> prixLaurence Olivier en 2006 et remporte ensuite deux prix Helpmann en Australie en2007. Antony Gorm<strong>le</strong>y signe la scénographie de ce duo. Pour België danst, lʼéditionspécia<strong>le</strong> du Bal Moderne qui sʼest déroulée en p<strong>le</strong>in air simultanément dans 12 vil<strong>le</strong>seuropéennes <strong>le</strong> 16 juil<strong>le</strong>t 2005, Sidi Larbi Cherkaoui crée une nouvel<strong>le</strong> chorégraphieavec Damien Ja<strong>le</strong>t, Ik hou van jou / je tʼaime tu sais, sur une musique de Noordkaap etMarie Daulne.En 2006, <strong>le</strong> directeur artistique de la Toneelhuis dʼAnvers, Guy Cassiers, lʼinvite à sejoindre aux artistes en résidence de lʼorganisme. Pour la Toneelhuis, il crée Myth en2007, <strong>le</strong> deuxième vo<strong>le</strong>t de sa quête identitaire et religieuse, qui inaugure par ail<strong>le</strong>urs lasaison 2008-2009 de Danse Danse. Toujours en 2006, Sidi Larbi Cherkaoui et NicolasVladyslav explorent la force théâtra<strong>le</strong> des Suites pour violoncel<strong>le</strong> de Bach dans CorpusBach. Il retourne éga<strong>le</strong>ment à Monaco, où il monte Mea Culpa, une nouvel<strong>le</strong>chorégraphie pour <strong>le</strong>s Bal<strong>le</strong>ts de Monte-Carlo. Créée en avril 2006, Mea Culpa sepenche sur <strong>le</strong>s relations entre lʼEurope et lʼAfrique et est marquée par <strong>le</strong>s nombreusesquestions que Cherkaoui, qui vient alors dʼavoir 30 ans, se pose sur sa vie et sonoeuvre chorégraphique. En août 2006, il se rend au festival Théâtre et Danse deGöteborg pour la première de sa nouvel<strong>le</strong> création, End, un spectac<strong>le</strong> quʼil monte alorsque la guerre fait rage entre Israël et <strong>le</strong> Hezbollah au Liban. End porte clairement <strong>le</strong>sstigmates de ce conflit.Bien que <strong>le</strong>s pièces de son répertoire soient très en demande, Sidi Larbi Cherkaouicombine <strong>le</strong>ur présentation avec la création de nouvel<strong>le</strong>s productions. En mai 2007, <strong>le</strong>public de lʼimposant – et nouvel – opéra de Copenhague se montre particulièremententhousiaste pour LʼHomme de bois, une chorégraphie de Cherkaoui créée pour 18danseurs du Royal Danish Bal<strong>le</strong>t sur une musique de Stravinsky. Il accepte par ail<strong>le</strong>urslʼinvitation de Guy Cassiers à participer, avec <strong>le</strong>s autres créateurs de la Toneelhuis, àun périp<strong>le</strong> théâtral à travers tout <strong>le</strong> théâtre Bourla, inspiré du livre Une histoire dumonde en 10 chapitres et demi de Julian Barnes. À la demande du Musée delʼimmigration à Paris, Sidi Larbi Cherkaoui conçoit, avec <strong>le</strong> photographe et cinéasteGil<strong>le</strong>s Delmas, une nouvel<strong>le</strong> installation vidéo, Zon-Mai : cette construction remarquab<strong>le</strong>a la forme dʼune maison sur <strong>le</strong>s façades et <strong>le</strong> toit de laquel<strong>le</strong> sont projetées des images5


de danseurs exprimant <strong>le</strong>ur personnalité par <strong>le</strong>ur danse, dans lʼintimité de <strong>le</strong>ur propreintérieur.En septembre 2007 a lieu la première dʼApocrifu, une commande du théâtre de LaMonnaie à Bruxel<strong>le</strong>s. Apocrifu est une rencontre musica<strong>le</strong> avec lʼensemb<strong>le</strong>polyphonique corse A Fi<strong>le</strong>tta. Sa musique constitue la trame sur laquel<strong>le</strong> Cherkaouitisse sa nouvel<strong>le</strong> création, dans laquel<strong>le</strong> il danse aussi. Dans une scène clé dʼApocrifu,on voit <strong>le</strong>s trois danseurs, soudés en un monstre tricépha<strong>le</strong>, lire à tour de rô<strong>le</strong> despassages du Talmud, du Coran et de la Bib<strong>le</strong>. Le message de Cherkaoui : la différenceentre apocryphe et canonique relève plus dʼune question de perspective et dʼautoritéque de teneur ou de va<strong>le</strong>ur en soi. Ainsi, <strong>le</strong> chorégraphe touche de manière ludique àune thématique plus large, qui est depuis longtemps sa marque de fabrique :lʼéquiva<strong>le</strong>nce intrinsèque entre <strong>le</strong>s différentes cultures et visions religieuses.Cette thématique se retrouve éga<strong>le</strong>ment dans la production Origine, une coproductionde la Toneelhuis et du Muziekcentrum De Bijloke (Gand) présentée en premièremondia<strong>le</strong> à Gand en janvier 2008, dans laquel<strong>le</strong> il réunit quatre danseurs – deuxhommes et deux femmes, chacun venu dʼun coin du monde différent – avec lʼEnsemb<strong>le</strong>Sarband. Une fois de plus, Cherkaoui, optant pour une perspective singulière de latransmission musica<strong>le</strong>, façonne une chorégraphie qui aborde de manière subti<strong>le</strong> desthèmes politiques actuels. Bien que de façon ludique, il évoque indéniab<strong>le</strong>ment desthèmes comme lʼimmigration, lʼaliénation et la consommation à outrance, pour ensuite<strong>le</strong>s abandonner et <strong>le</strong>s transformer en un vocabulaire gestuel de plus en plus abstrait.Peu de temps après, Sidi Larbi Cherkaoui crée Sutra, en collaboration avec lʼartisteplasticien Antony Gorm<strong>le</strong>y, <strong>le</strong> compositeur Szymon Brzóska et <strong>le</strong>s moines du temp<strong>le</strong>chinois de Shaolin, dans <strong>le</strong> théâtre Sad<strong>le</strong>rʼs Wells, à Londres. Le spectac<strong>le</strong> était cotécinq étoi<strong>le</strong>s par The Guardian et The Times et a fait lʼobjet dʼune importante tournéeeuropéenne et nord-américaine au cours la saison, incluant un passage à Danse Danseen novembre 2009.En juil<strong>le</strong>t 2009, la compagnie new-yorkaise Cedar Lake Contemporary Bal<strong>le</strong>t crée OrboNovo (Nouveau monde), sur une musique de Szymon Brzóska. Cherkaoui chorégraphieensuite Faun, un duo commandé par <strong>le</strong> Sad<strong>le</strong>rʼs Wells, une vision contemporaine duFaune de Nijinski.En janvier 2010, Sidi Larbi Cherkaoui fonde Eastman vzw, sa nouvel<strong>le</strong> compagnie, quisera par ail<strong>le</strong>urs en résidence à la Toneelhuis jusquʼà la fin de 2012. Dès sonétablissement, Eastman reprend Foi et, au printemps, crée Babel (words) .Cherkaoui sera ensuite invité à chorégraphier pour Das Rheingold, la première partiedu cyc<strong>le</strong> opératique Der Ring des Nibelungen de Richard Wagner, mis en scène parGuy Cassiers à la Scala de Milan et au Staatsoper unter den Linden de Berlin. Lechorégraphe enchaîne avec la création de Play (première mondia<strong>le</strong> au deSingeldʼAnvers), un nouveau duo quʼil danse avec la formidab<strong>le</strong> Shantala Shivalingappa,danseuse que <strong>le</strong> public de Danse Danse aura la chance de découvrir au cours de lasaison 2011-2012.Avril 2011 verra la recréation, à la Toneelhuis, de la pièce It, que Cherkaoui avaitmontée avec Wim Vandekeybus en 2002, et qui sʼintitu<strong>le</strong>ra maintenant It 3.0. En juin2011 suivra une nouvel<strong>le</strong> chorégraphie avec <strong>le</strong> Nationa<strong>le</strong> Bal<strong>le</strong>t dʼAmsterdam, sur lamusique de Szymon Brzóska.Sidi Larbi Cherkaoui est lauréat du Kairos-Preis 2009. Cette distinction est décernéechaque année par la Alfred Toepfer Stiftung de Hambourg à « une personnalité créativequi donne une importante impulsion à lʼart et à la culture en Europe ».6


DAMIEN JALETAprès des études de théâtre à lʼINSAS à Bruxel<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> Franco-Belge Damien Ja<strong>le</strong>t se tourne vers la danse contemporaine, quʼilétudiera en Belgique et à New York. Sa carrière de danseurdémarre avec Wim Vandekeybus (The Day of Heaven and Hell)en 1998.En 2000, il amorce une intense collaboration avec Sidi LarbiCherkaoui au sein de la compagnie Les Bal<strong>le</strong>ts C. de la B.Ensemb<strong>le</strong>, ils créent Rien de rien (2000), Foi (2003), TempusFugit (2004) et Myth (2007). Ja<strong>le</strong>t a éga<strong>le</strong>ment créé Dʼavant(2002) en collaboration avec Cherkaoui, <strong>le</strong> Québécois LucDunberry et Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola; la pièce figureau répertoire de la compagnie Sasha Waltz & Guests.En 2005, Damien Ja<strong>le</strong>t coréalise, avec Erna Ómarsdóttir et Dumspiro, <strong>le</strong> court métrageThe Unc<strong>le</strong>ar Age. Puis, avec Erna Ómarsdóttir, Gabriela Fridriksdóttir et Raven, ilchorégraphie Ofaett (Unborn) pour <strong>le</strong> Théâtre National de Bretagne. Suivra la création,avec Sidi Larbi Cherkaoui, de « La Belgique danse » pour <strong>le</strong>s festivités du 175 eanniversaire de la Belgique; la pièce, un véritab<strong>le</strong> happening, est dansée simultanémentpar 30 000 personnes dans 12 vil<strong>le</strong>s belges.En 2006, Damien Ja<strong>le</strong>t crée <strong>le</strong> duo A<strong>le</strong>ko pour <strong>le</strong> Musée dʼart contemporain dʼAomori,au Japon, avec Sidi Larbi Cherkaoui et A<strong>le</strong>xandra Gilbert. Puis, il fait un détour authéâtre avec <strong>le</strong> metteur en scène Arthur Nauzyciel et lʼactrice Anne Brochet pour lacréation de LʼImage (Beckett), dont <strong>le</strong> centenaire était célébré à Dublin. La pièce a prislʼaffiche en Europe et à New York, avec lʼactrice Lou Doillon.Le philosophe Giorgio Agemben invite Damien Ja<strong>le</strong>t à créer la chorégraphie de lʼopéracontemporain de Stefano Scodanibbio, Il Cielo sulla, pour <strong>le</strong> Staatsoper de Stuttgart.En 2008, avec Nick Knight et <strong>le</strong> designer Bernhard Willhelm, il collabore à la vidéo Menin Tights pour la col<strong>le</strong>ction 2008-2009 de Willhelm. Il signe ensuite <strong>le</strong>s chorégraphiesJulius Caesar (Boston) et Ordet (Avignon), deux oeuvres de Nauzyciel.En mars 2008, il créé Three Spells pour <strong>le</strong> Tokyo International Arts Festival,accompagné en direct par <strong>le</strong> compositeur é<strong>le</strong>ctro-acousticien Christian Fennesz. Ilassiste éga<strong>le</strong>ment Cherkaoui pour <strong>le</strong>s créations dʼIn Memoriam (Les Bal<strong>le</strong>ts de Monte-Carlo), Loin (Bal<strong>le</strong>t du Grand Théâtre de Genève), End (Bal<strong>le</strong>t Cullberg) et Sutra.En 2009, il joue dans la pièce de théâtre de Marie Darrieussecq, Le Musée de la mer,dans une mise en scène de Nauzyciel pour <strong>le</strong> Théâtre national dʼIslande, à Reykjavik.Avec Erna Ómarsdóttir et la plasticienne Gabriela Fridriksdóttir, il cosigne la mise enscène de Transaquania – Out of the Blue pour lʼIcelandic Dance Company, ainsi queBlack Marrow avec Ómarsdóttir pour la compagnie australienne Chunky Move. DamienJa<strong>le</strong>t a chorégraphié et dansé dans la vidéo You Donʼt Know Love des Editors, filméepar <strong>le</strong> cinéaste Christopher Doy<strong>le</strong> et réalisée par Arni et Kinski.7


ANTONY GORMLEYSculpteur né à Londres en 1950, Antony Gorm<strong>le</strong>y est l’auteurd’une œuvre amorcée il y a plus de 25 ans et maintes foiscouronnée de prestigieuses récompenses. Il est, entre autres,lauréat du prix Turner (1994) et membre de lʼOrdre de lʼEmpirebritannique pour services rendus à la sculpture. Ses œuvresont fait lʼobjet de nombreuses expositions dans des musées etga<strong>le</strong>ries tels la Whitechapel Art Gal<strong>le</strong>ry, la Tate Gal<strong>le</strong>ry, <strong>le</strong>British Museum, <strong>le</strong> White Cube, <strong>le</strong> Louisiana Museum àHum<strong>le</strong>baek, la Corcoran Gal<strong>le</strong>ry of Art à Washington, lʼIrishMuseum of Modern Art de Dublin, <strong>le</strong> Kölnischer Kunstverein enAl<strong>le</strong>magne, la Bienna<strong>le</strong> de Venise, la Kassel Documenta 8,ainsi que dans plusieurs autres prestigieuses institutions enEurope, en Scandinavie, au Japon et en Australie. Ses œuvresAngel of the North et Quantum Cloud sur la rivière Thames à Greenwich sont parmi <strong>le</strong>splus célèbres exemp<strong>le</strong>s de la sculpture anglaise contemporaine.Gorm<strong>le</strong>y centre sa recherche sur <strong>le</strong> corps en tant que lieu de mémoire et detransformation. Nombre de ses pièces, dʼabord moulées dans du plâtre puis coulées defer ou de plomb, sont basées sur son propre corps.À partir des années 1990, ses préoccupations artistiques sʼélargissent pour inclure lacondition humaine, <strong>le</strong> corps col<strong>le</strong>ctif et la relation entre <strong>le</strong> soi et lʼautre dans desinstallations à grande échel<strong>le</strong>, tel<strong>le</strong>s quʼAllotment, Critical Mass, Another Place, DomainField, Inside Australia et Blind Light, inaugurée à la Hayward Gal<strong>le</strong>ry au printemps2007.Enfin, parmi ses plus récents projets et expositions, mentionnons Event Horizon NewYork, où ses sculptures, des silhouettes de bronze moulées à partir de son corps,étaient disséminées dans Manhattan, notamment perchées sur des édifices. À titreanecdotique, mentionnons que cel<strong>le</strong>s-ci ont à lʼoccasion provoqué beaucoup dʼémoichez <strong>le</strong>s passants, qui <strong>le</strong>s ont confondues momentanément avec des individusdésespérés, prêts à sauter dans <strong>le</strong> vide.Pour en connaître davantage sur Antony Gorm<strong>le</strong>y, visitez son site,www.antonygorm<strong>le</strong>y.com.8


LA PRESSE"Babel (words) " fait un tabacDepuis <strong>le</strong> 17 juin, mil<strong>le</strong> spectateurs ont rendez-vous chaque soir avec <strong>le</strong> chorégrapheSidi Larbi Cherkaoui. A l'affiche de la Grande Hal<strong>le</strong> de La Vil<strong>le</strong>tte, à Paris, <strong>le</strong> Flamandprésente sa trilogie autour du religieux et de l'identité composée de Foi (2003), Myth(2006) et de sa nouvel<strong>le</strong> pièce Babel (words) . C'est Cherkaoui qui a eu envie de présentercet ensemb<strong>le</strong> à la Grande Hal<strong>le</strong> : désir de changer de contexte - il est généra<strong>le</strong>mentprogrammé au Théâtre de la Vil<strong>le</strong> -, d'ouvrir et de renouve<strong>le</strong>r son public. Visib<strong>le</strong>ment, çamarche.Jeudi 1er juil<strong>le</strong>t, Babel (words) , co-mis en scène avec son complice de la première heure,Damien Ja<strong>le</strong>t, a fait un tabac. Logique. Cette pièce cosmopolite pour onze danseursacteurset cinq musiciens-chanteurs possède toutes <strong>le</strong>s qualités d'un grand spectac<strong>le</strong>fédérateur. Entre danse et théâtre, enveloppé par des musiques du monde(percussions japonaises, chants indiens, musiques traditionnel<strong>le</strong>s turques, etc.), Babelraf<strong>le</strong> la mise en jouant la carte d'un art global et voyageur, amoureux de toutes <strong>le</strong>scultures. Mais encore d'une danse proche et intime, douloureuse aussi, portée par desinterprètes dépareillés qui regardent <strong>le</strong> public dans <strong>le</strong>s yeux.Toutes <strong>le</strong>s obsessions de Cherkaoui et de Ja<strong>le</strong>t sont remixées dans des mouvementsde fou<strong>le</strong>, des tab<strong>le</strong>aux d'ensemb<strong>le</strong> musclés, mais aussi des duos tendus : cohabitation,respect des différences, difficulté à être soi, à comprendre l'autre. La question de lalangue, récurrente chez Cherkaoui, trouve ici des incidences cocasses. Qu'il s'agissede passer un contrô<strong>le</strong> à l'aéroport sous l'oeil d'une marionnette décérébrée (Ulrika KinnSvensson, magique de dinguerie) ou de draguer une fil<strong>le</strong> (la même, impeccab<strong>le</strong> de bouten bout) qui vous envoie valdinguer d'un coup de seins, <strong>le</strong>s mots ne sont jamais <strong>le</strong>smêmes pour personne.Excès émotionnelSidi Larbi Cherkaoui et Damien Ja<strong>le</strong>t cultivent aussi la proximité avec <strong>le</strong> public, enpoussant <strong>le</strong>s corps des interprètes à bout. Le dynamisme offensif de la gestuel<strong>le</strong>, trèsacrobatique, l'excès émotionnel qu'el<strong>le</strong> exige nettoient tout artifice pour ne laisser quedu vivant. Le souff<strong>le</strong>, la sueur, l'épuisement des danseurs claquent aux visages desspectateurs.Après Foi, jeu de massacre entre bourreaux et victimes, Myth, capharnaümphilosophico-religieux, Babel (words) fait vibrer la corde d'une possib<strong>le</strong> harmonie. Tous <strong>le</strong>spersonnages de Foi se retrouvent sinon sereins, du moins apaisés. La singularité dechacun - épatants Darryl E. Woods, Christine Leboutte - n'est plus synonyme desouffrance. El<strong>le</strong> est assumée, acceptée. L'humour et <strong>le</strong> plaisir peuvent alors jaillir sanscomp<strong>le</strong>xe. Jamais Cherkaoui, Ja<strong>le</strong>t et <strong>le</strong>urs complices ne semb<strong>le</strong>nt s'être si bienamusés. Babel (words) est drô<strong>le</strong> en plus...LE MONDE | 03.07.10 | ROSITA BOISSEAU9


Cherkaoui, fils de BabelDepuis ses débuts en 1999, Sidi Larbi Cherkaoui s'est imposé sur <strong>le</strong>s scèneschorégraphiques avec un certain panache. D'abord dans <strong>le</strong> giron des Bal<strong>le</strong>ts C. de laB., <strong>le</strong> fameux col<strong>le</strong>ctif flamand, danseur chez Alain Platel, puis chorégraphe à partentière avec Rien de rien, Larbi Cherkaoui va vite être demandé par d'autres, du Bal<strong>le</strong>tdu Grand Théâtre de Genève aux Bal<strong>le</strong>ts de Monte-Carlo. Boulimique de travail, ceprodige ne semb<strong>le</strong> jamais vouloir s'arrêter. Son sty<strong>le</strong>, physique et sensuel, où <strong>le</strong>s motset <strong>le</strong>s musiques sont des rouages essentiels de la dramaturgie, plaît.Il danse avec Akram Khan ou plus récemment avec la diva flamenca Maria Pagés.Toujours ce goût des rencontres, qui <strong>le</strong> pousse éga<strong>le</strong>ment en Chine à la découvertedes moines Shaolin. Il en résultera Sutra, une réussite de plus. Sidi Larbi Cherkaoui estun caractère entier, quoique bouddhiste. Fâché avec quelques théâtres après l'accueilfroid fait à sa pièce Myth, il s'en ira voir ail<strong>le</strong>urs. Ainsi, c'est la Grande Hal<strong>le</strong> de la Vil<strong>le</strong>tteà Paris qui présente sa nouvel<strong>le</strong> pièce, Babel (words) , fin d'un triptyque commencé avecFoi (2003) puis Myth (2007). En regard de ce nouvel opus, la reprise de ces deuxautres pièces s'imposait.Foi reste exemplaire de l'approche de Sidi Larbi Cherkaoui. Un univers fort - une sortede prison, des âmes perdues -, une équipe engagée de dix-huit interprètes. Et desmusiques savantes du XIV e sièc<strong>le</strong> jouées live. Jeune homme idéaliste, <strong>le</strong> chorégraphepar<strong>le</strong> ici des rapports à la foi. Des images puissantes courent durant presque deuxheures. Myth est une pièce plus problématique, bavarde à l'excès, et où <strong>le</strong> mélange dessources d'inspiration sature la vision. On en garde des moments éblouissants,danseurs-loups, travail sur des bâtons, et des instants perdus.Babel (words) , tout juste créé, devrait embal<strong>le</strong>r <strong>le</strong> public, comme au Grand Théâtre duLuxembourg, où la sal<strong>le</strong>, debout, fit un triomphe à Eastman, la troupe de Sidi LarbiCherkaoui. Il y a de quoi tant l'énergie déployée sur scène est contagieuse. Assisté à lachorégraphie de Damien Ja<strong>le</strong>t, autrefois un de ses plus beaux interprètes, Sidi LarbiCherkaoui imagine une supposition qui sert de trame : que serait-il advenu si Babelavait réussi et que cette tour sans fin avait atteint <strong>le</strong> ciel ? Joli point de départ, même sion ne doute pas que <strong>le</strong>s esprits chagrins trouveront là matière à naïveté. Le duo dechorégraphes a épuré son propos, des musiciens en arrière-plan, une douzaine desolistes dont certains manquent encore d'intériorité. Et surtout un ingénieux dispositifscénographique du sculpteur Antony Gorm<strong>le</strong>y. Ces structures, des cages évidées,serviront de maison, de murs. Et enfin de tour dans un bal<strong>le</strong>t énervé.Emprunts au langage des signes Cherkaoui et Ja<strong>le</strong>t ont imaginé des chorégraphies degestes qui empruntent au langage des signes ou des mouvements façon robots bientrop humains. Un passage entier autour de la langue anglaise se finit en batail<strong>le</strong> rangéemais au ra<strong>le</strong>nti. Que peuvent encore <strong>le</strong>s mots dans un monde virtuel ? La danse, sousinfluence des arts martiaux parfois, apporte un début de réponse. Plus qu'à de ladanse-théâtre façon Pina Bausch, on pense ici à du « musical » intelligent, la musiqueaux rythmes indiens, turcs ou japonais jouant <strong>le</strong>s passeurs. Babel ou <strong>le</strong> futur immédiat.LES ECHOS | 14.06.10 | PHILIPPE NOISETTE10


Du chaos, surgit l’humainSelon la légende, au départ, <strong>le</strong>s hommes partageaient <strong>le</strong> même langage. Un langage communqui a éclaté, lors de l’effondrement de la Tour de Babel, en milliers de particu<strong>le</strong>s identitaires quise battent chacune pour <strong>le</strong>ur suprématie sur l’autre. La <strong>le</strong>cture que font Sidi Larbi Cherkaoui etDamien Ja<strong>le</strong>t de ce mythe dans Babel (words) est à la fois terrib<strong>le</strong>ment drô<strong>le</strong> et ingénieuse, tout eny jetant un regard éclairé, à des lieux du cynisme ambiant.Sur scène, un drô<strong>le</strong> de personnage. Filiforme, aux mouvements carrés et à la chevelure etaccoutrement futuristes, cette poupée-robot venue du futur (peut-être ?) et qui semb<strong>le</strong> êtrel’instigatrice de l’action qui se dérou<strong>le</strong>ra par la suite, explique qu’au départ, <strong>le</strong>s humainscommuniquaient grâce à un langage commun : celui des gestes.Mais peu à peu, <strong>le</strong>s choses s’emmêlèrent, et de chaque geste on ne su bientôt plus quel<strong>le</strong> étaitsa réel<strong>le</strong> signification. De là, naquit <strong>le</strong> chaos, la différence, <strong>le</strong>s frontières,. Une réalité très bienillustrée dans la scène dansée d’ouverture de Babel(words), alors que <strong>le</strong>s danseurs, alignéscôte à côte, revendiquent l’espace devant eux en allongeant <strong>le</strong>s bras de chaque côté de <strong>le</strong>urcorps, comme pour dire : ceci est mon territoire, mon espace, et tu n’as pas <strong>le</strong> droit d’yempiéter. À cette image, la gestuel<strong>le</strong> construise par Cherkaoui et Ja<strong>le</strong>t fera beaucoup appel,tout au long de la chorégraphie, au haut du corps, aux mains et aux bras, comme pour rappe<strong>le</strong>rqu’à l’origine, ils étaient nos points de repère communs.Ce territoire scénique, il est occupé, sur scène, par de grandes structures cubiques, certainesplus carrées, d’autres plutôt rectangulaires. Véritab<strong>le</strong>s personnages manipulés par <strong>le</strong>sinterprètes, el<strong>le</strong>s modu<strong>le</strong>nt l’espace, <strong>le</strong> séparent, l’unissent, créent des frontières, des déda<strong>le</strong>s...Un moment, ces structures deviennent des frontières, des cloisons, où <strong>le</strong>s danseurs sontséparés <strong>le</strong>s uns des autres. À un autre temps, el<strong>le</strong>s s’enfi<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s unes sur <strong>le</strong>s autres jusqu’àdevenir tour (de Babel ?), qui ensuite s’effondre. On y reconnaît la signature du plasticienAntony Gorm<strong>le</strong>y, qui avait travaillé avec Cherkaoui sur <strong>le</strong>s boîtes de la pièce Sutra, maniées defaçon hallucinantes par <strong>le</strong>s moines Shaolin.11


L’autre personnage de Babel, c’est la musique, jouée en direct par des musiciens situés enhauteur, à l’arrière-scène : primitive, originel<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> amalgame avec grâce magnifiques chantsindiens, percussions japonaises et musique orienta<strong>le</strong>, ponctuant <strong>le</strong> passage d’un tab<strong>le</strong>au àl’autre.La tab<strong>le</strong> est mise, avec cette scéno et cette musique, pour la grande fresque de Babel (words) , quise déploie en plusieurs tab<strong>le</strong>aux, certains parlés, d’autres dansés. Une fresque vivante,hétéroclite, chaotique, à l’image de ce bourdonnement col<strong>le</strong>ctif dont nous faisons tous partie,dans <strong>le</strong>quel nous avançons, à en perdre ha<strong>le</strong>ine, dans une course fol<strong>le</strong>, ininterrompue.On jette l’œil, là, sur une rencontre entre deux êtres, où <strong>le</strong>s deux mains qui tout à coup sefrô<strong>le</strong>nt et se touchent provoquent une danse sensuel<strong>le</strong>, brusquement arrêtée par l’enfermementdu jeune homme dans une prison de verre, alors que s’abat sur lui une des structures cubiques.Il s’imagine qu’il ne peut en sortir, frappe de toutes ses forces sur <strong>le</strong>s murs invisib<strong>le</strong>s qui sedressent devant lui. Jusqu’à ce qu’un autre homme traverse l’espace, tout bonnement, y entrantet en sortant comme si de rien n’était, sous <strong>le</strong> regard ahuri du premier.Ici, on regarde, fasciné, <strong>le</strong> visage de l’impérialisme américain, incarné par un Noirprestidigitateur, qui se transforme, en utilisant <strong>le</strong>s corps des autres danseurs, en un êtremultiforme et changeant, mélange hallucinant entre Robocop et Shiva, qui anéantit tout sur sonpassage, tout en faisant l’apologie de la grandeur de la langue anglaise.Voilà ce qui fait mouche dans Babel(words) et a provoqué la longue ovation du public réjoui enfin de pièce : un ton humoristique, des scènes carrément hilarantes (comme cel<strong>le</strong> de la batail<strong>le</strong>fina<strong>le</strong>, exécutée au ra<strong>le</strong>nti) qui vient désamorcer des situations tendues, conflictuel<strong>le</strong>s. On y rit(gentiment) des travers, de l’orgueil et prétention des humains qui croient que LEUR langue,LEUR culture est la meil<strong>le</strong>ure, la plus importante, cel<strong>le</strong> qui vaut plus que <strong>le</strong>s autres.En choisissant de travail<strong>le</strong>r avec des interprètes de nationalités différentes (« notre »Québécois, Francis Ducharme, fougueux et intense comme toujours, mais aussi un Américain,une Anglaise, un Chinois, une Belge, un Espagnol, une Bolivienne, etc.), tous différents dans<strong>le</strong>ur langage, mais aussi dans <strong>le</strong>ur façon de bouger, de s’habil<strong>le</strong>r, <strong>le</strong>s créateurs misent surl’individualité. Plutôt que de tenter de créer un tout uni à partir de ces individus, Cherkaoui etJa<strong>le</strong>t soulignent que c’est à travers ces différences que, fina<strong>le</strong>ment, l’homme avec un grand Hpeut naître. Et c’est là que réside tout <strong>le</strong> génie de Babel (words) .C’est dans la scène fina<strong>le</strong> que ce constat atteint son apogée. Debout, alignés comme audépart, côte à côte, <strong>le</strong>s danseurs, cette fois, partagent <strong>le</strong> même espace, <strong>le</strong>urs pieds entremêlésfaisant en sorte que <strong>le</strong> pas de l’un fait avancer <strong>le</strong> pied de l’autre. Comme quoi ce qui nous unit,dans notre différence, c’est <strong>le</strong> but, l’endroit vers <strong>le</strong>quel nous nous dirigeons tous. Ensemb<strong>le</strong>.DANSE DANSE | 03.10.11 | IRIS GAGNON-PARADIS12

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