Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

Un drame algérien - Alger de ma jeunesse Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

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UN DRAME ALGERIENL'ATTAQUEDE LA FERME SAINT­CLAUDEA BLED GAFFARSur la route qui assure la liaison entre Guelma et Sédrata, versle Sud, se trouve un modeste hameau qui a nom Bled Gaffar, et quiest situé à 8 kilomètres de Petit, chef­lieu de la commune, et à 13kilomètres de Guelma, siège de la sous­préfecture.Avant d'arriver au hameau et tout près de la route, côté gaucheen venant de Guelma, exactement à 10 kms 500, est une jolieferme française, bien tenue, créée par une famille de colons, dontle chef est M. Louis Dubois, âgé de 76 ans, ancien maire de lacommune et jouissant de l'estime des habitants de toute la région,indigènes compris.M. Dubois vit là, bien tranquille, entouré de ses enfants ; un filsd'une quarantaine d'années et deux filles, tous trois nés sur lapropriété. C'est le père de Louis Dubois qui a créé l'exploitation, etcela remonte loin dans le passé. La première ferme était plusreculée dans les terres, près d'un ravin hanté par la fièvre.186UN DRAME ALGERIENDes raisons d'hygiène et de facilité de transports ont décidé lepropriétaire actuel à se rapprocher de la route, en construisant uneinstallation plus confortable.C'est là que le vieux père compte finir ses jours et jouit, avecles siens, très légitimement d'un effort de plus de soixante ans, caril fut, il peut bien le dire, un ouvrier de la première heure dans lebled perdu où il assista, tout jeune, aux débuts de la colonisationfrançaise.Une ombre de tristesse plane sur la ferme Saint­Claude ; MmeDubois, la maman vénérée, faite de dévouement et de bonté, estmorte en 1939, succombant à la peine et aux accès répétés dupaludisme. Elle repose dans le cimetière de Petit. Elle appartenaità une famille française de Bourgogne. Elle était une catholiquefervente, comme son mari et ses enfants.Les débuts ont été durs pour M. Dubois, comme pour tous lescolons d'Algérie. Beaucoup de ses voisins ont disparu. Il a eu lachance de résister à l'hostilité des hommes s'ajoutant parfois àl'hostilité du climat. Il serait, somme toute, heureux de son sort,n'étaient les petites attaques sournoises de l'âge, qui diminuent sesfacultés physiques, en laissant cependant intactes ses facultésintellectuelles, qu'il exerce en donnant d'ultimes conseils à ceuxqui le remplaceront un jour sur le terroir dont il a fait — il en estfier à juste titre — un coin de terre française, avec ses oliviers, seschamps de céréales, ses prairies, prélevés peu à peu sur la brousseinhospitalière.Il a dressé un personnel indigène qui fait assez bonnecontenance, en qui il a confiance, avec les réserves qu'il fauttoujours donner à ce mot, au milieu d'une population qui a desqualités, mais présente aussi des défauts de versatilité aussiinattendus qu'inexplicables. M. Dubois n'avait pas manqué, depuisde longs mois, de remarquer la propagande inquiétante qui, peu àpeu, s'insinuait dans les milieux indigènes de la région. Par les187

UN DRAME ALGERIENamis, par les visiteurs qui s'arrêtaient à sa ferme, par lesconversations qu'il surprenait autour de lui, il était au courantd'incidents paraissant anodins, mais dont la signification et lagravité ne pouvaient échapper au vieil Algérien. Mais il savait queles Pouvoirs publics étaient alertés, que les brigades degendarmerie, les chefs des municipalités, dans les communesmixtes et les communes de plein exercice, le sous­préfet lui­mêmeavaient tenu les chefs responsables au courant des événements,c'est­à­dire des réunions, des distributions de tracts, des allées etvenues de personnages suspects prenant, avec le milieuautochtone, des contacts aussi mystérieux que fréquents.A la réflexion, il se disait que l'on en avait bien vu d'autres dansle passé, que du moment que l'autorité connaissait la situation,toutes les mesures utiles avaient dû être prises pour assurer lasécurité.Et, du reste, s'agissait­il bien de sécurité menacée ? Dans lesmouvements insolites qu'il constatait, il n'y avait peut­être pasautre chose qu'une préparation aux prochaines élections. Par unedécision que le vieux colon n'arrivait pas à s'expliquer, on avaitdécidé d'inscrire sur les listes électorales françaises, de nombreuxindigènes devant former à brève échéance une majorité. C'étaitcertainement l'espérance de cette majorité, c'est­à­dire leremplacement de l'autorité française dans le bled, que visaient lesmanœuvres inaccoutumées et devenues de plus en plus fréquentesauxquelles on assistait dans les campagnes. Et contre cela, quepouvait­on faire, sinon attendre la catastrophe prévue ?L'accoutumance aux dangers courus finit par provoquer del'indifférence et une sorte d'atonie.Les Pouvoirs publics étant prévenus, les avertissements affluantdans les bureaux du gouvernement général, tout devait être prêtUN DRAME ALGERIENpour la réaction nécessaire. On pouvait dormir tranquille.Et puis, en cas d'alerte, il y avait la tour, un petit bastioncoiffant un angle de la ferme, auquel on accédait parlesappartements, ce qui pouvait permettre d'attendre du secours quine tarderait pas à arriver.Ce bastion datait d'une dizaine d'années. Fantaisie du colon àl'esprit de qui s'était souvent posé le problème de l'isolement.Fantaisie qui, tout simplement, entrait dans le domaine de la réalitéet atteignait son but, à échéance lointaine, en préservant d'unmassacre certain une famille de quatre bons Français. Le 8 mai ausoir, on ignorait à la ferme Saint­Claude, le drame qui,brusquement, venait d'éclater à Guelma. Le 9 mai au matin, lafamille Dubois eut la surprise de voir la bonne, une filletteindigène, rappelée en toute hâte dans sa famille et quitterbrusquement la maison, tout travail cessant, sans autre explication.Le repas de midi se passa normalement. Puis le vieux père se retiradans sa chambre, au premier étage, pour faire sa sieste journalière.Le silence était absolu. Les fenêtres de l'habitation avaient leursvolets clos pour éviter la communication de la chaleur extérieureavec l'intérieur. Le vieux colon s'endormit rapidement.Vers 13 heures il est réveillé par une fusillade nourrie. Sapremière impression est que l'on tire sur la maison. Il s'habille enhâte et va ouvrir avec précaution une persienne de la tour d'angle,dont les ouvertures commandent deux côtés de la ferme, enparticulier la façade principale, parallèle à la route qui passe à unetrentaine de mètres.Il aperçoit, tout près, des guetteurs armés, et il ferme en hâte lafenêtre. A peine avait­il accompli ce geste qu'il recevait, à traversla persienne, une balle blindée qui lui effleurait l'arcade sourcilièredroite, en provoquant une assez forte hémorragie. Ses enfants188189

UN DRAME ALGERIENamis, par les visiteurs qui s'arrêtaient à sa ferme, par lesconversations qu'il surprenait autour <strong>de</strong> lui, il était au courantd'inci<strong>de</strong>nts paraissant anodins, <strong>ma</strong>is dont la signification et lagravité ne pouvaient échapper au vieil Algérien. Mais il savait queles Pouvoirs publics étaient alertés, que les briga<strong>de</strong>s <strong>de</strong>gendarmerie, les chefs <strong>de</strong>s municipalités, dans les communesmixtes et les communes <strong>de</strong> plein exercice, le sous­préfet lui­mêmeavaient tenu les chefs responsables au courant <strong>de</strong>s événements,c'est­à­dire <strong>de</strong>s réunions, <strong>de</strong>s distributions <strong>de</strong> tracts, <strong>de</strong>s allées etvenues <strong>de</strong> personnages suspects prenant, avec le milieuautochtone, <strong>de</strong>s contacts aussi mystérieux que fréquents.A la réflexion, il se disait que l'on en avait bien vu d'autres dansle passé, que du moment que l'autorité connaissait la situation,toutes les mesures utiles avaient dû être prises pour assurer lasécurité.Et, du reste, s'agissait­il bien <strong>de</strong> sécurité menacée ? Dans lesmouvements insolites qu'il constatait, il n'y avait peut­être pasautre chose qu'une préparation aux prochaines élections. Par unedécision que le vieux colon n'arrivait pas à s'expliquer, on avaitdécidé d'inscrire sur les listes électorales françaises, <strong>de</strong> nombreuxindigènes <strong>de</strong>vant former à brève échéance une <strong>ma</strong>jorité. C'étaitcertainement l'espérance <strong>de</strong> cette <strong>ma</strong>jorité, c'est­à­dire leremplacement <strong>de</strong> l'autorité française dans le bled, que visaient les<strong>ma</strong>nœuvres inaccoutumées et <strong>de</strong>venues <strong>de</strong> plus en plus fréquentesauxquelles on assistait dans les campagnes. Et contre cela, quepouvait­on faire, sinon attendre la catastrophe prévue ?L'accoutu<strong>ma</strong>nce aux dangers courus finit par provoquer <strong>de</strong>l'indifférence et une sorte d'atonie.Les Pouvoirs publics étant prévenus, les avertissements affluantdans les bureaux du gouvernement général, tout <strong>de</strong>vait être prêtUN DRAME ALGERIENpour la réaction nécessaire. On pouvait dormir tranquille.Et puis, en cas d'alerte, il y avait la tour, un petit bastioncoiffant un angle <strong>de</strong> la ferme, auquel on accédait parlesappartements, ce qui pouvait permettre d'attendre du secours quine tar<strong>de</strong>rait pas à arriver.Ce bastion datait d'une dizaine d'années. Fantaisie du colon àl'esprit <strong>de</strong> qui s'était souvent posé le problème <strong>de</strong> l'isolement.Fantaisie qui, tout simplement, entrait dans le do<strong>ma</strong>ine <strong>de</strong> la réalitéet atteignait son but, à échéance lointaine, en préservant d'un<strong>ma</strong>ssacre certain une famille <strong>de</strong> quatre bons Français. Le 8 <strong>ma</strong>i ausoir, on ignorait à la ferme Saint­Clau<strong>de</strong>, le <strong>drame</strong> qui,brusquement, venait d'éclater à Guel<strong>ma</strong>. Le 9 <strong>ma</strong>i au <strong>ma</strong>tin, lafamille Dubois eut la surprise <strong>de</strong> voir la bonne, une filletteindigène, rappelée en toute hâte dans sa famille et quitterbrusquement la <strong>ma</strong>ison, tout travail cessant, sans autre explication.Le repas <strong>de</strong> midi se passa nor<strong>ma</strong>lement. Puis le vieux père se retiradans sa chambre, au premier étage, pour faire sa sieste journalière.Le silence était absolu. Les fenêtres <strong>de</strong> l'habitation avaient leursvolets clos pour éviter la communication <strong>de</strong> la chaleur extérieureavec l'intérieur. Le vieux colon s'endormit rapi<strong>de</strong>ment.Vers 13 heures il est réveillé par une fusilla<strong>de</strong> nourrie. Sapremière impression est que l'on tire sur la <strong>ma</strong>ison. Il s'habille enhâte et va ouvrir avec précaution une persienne <strong>de</strong> la tour d'angle,dont les ouvertures com<strong>ma</strong>n<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>ux côtés <strong>de</strong> la ferme, enparticulier la faça<strong>de</strong> principale, parallèle à la route qui passe à unetrentaine <strong>de</strong> mètres.Il aperçoit, tout près, <strong>de</strong>s guetteurs armés, et il ferme en hâte lafenêtre. A peine avait­il accompli ce geste qu'il recevait, à traversla persienne, une balle blindée qui lui effleurait l'arca<strong>de</strong> sourcilièredroite, en provoquant une assez forte hémorragie. Ses enfants188189

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