UN DRAME ALGERIENcertes, <strong>de</strong> la victoire toute proche une certaine amélioration <strong>de</strong>leurs conditions <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> travail, en un mot, une vie meilleure,une place plus gran<strong>de</strong> dans la nation unie et fraternelle qui allaitêtre enfantée par cette gran<strong>de</strong> victoire.« Cependant, certains indices qui ne trompaient pas attestaientque la <strong>ma</strong>sse syndicaliste musul<strong>ma</strong>ne ne suivait plus les principesque le syndicalisme défendait, <strong>ma</strong>is se détachait <strong>de</strong> son idéal et serepliait sur un terrain purement nationaliste qui, seul, résoudraittous les problèmes en suspens. Pour les responsables locaux dusyndicalisme, la situation était considérée comme très grave,compte rendu <strong>de</strong> ce que les groupements politiques ou corporatifsperdaient sans cesse la confiance <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>sse pour en arriver à êtreaccusés <strong>de</strong> trahison.« L'annonce <strong>de</strong> la victoire fut accueillie sans joie chez lestravailleurs musul<strong>ma</strong>ns. La fièvre qui précè<strong>de</strong> le combat se<strong>ma</strong>nifestait chez la plupart d'entre eux. La gran<strong>de</strong> croisa<strong>de</strong> allait,en effet, commencer. Le 7 <strong>ma</strong>i à 17 h. 30, dès que la nouvelleofficielle fut connue, à la surprise générale, <strong>de</strong>s musul<strong>ma</strong>ns segroupèrent sur la place SaintAugustin ; les principaux meneursnationalistes étaient présents, les travailleurs européens étaientdéjà noyautés et le désir perçait déjà chez les musul<strong>ma</strong>ns <strong>de</strong> fêterla victoire. Ce désir, assez inattendu, était, pour le moins, suspect.En accord avec M. le SousPréfet, la <strong>ma</strong>nifestation fut remise aulen<strong>de</strong><strong>ma</strong>in 17 heures, c'estàdire à l'annonce officielle <strong>de</strong> lavictoire. Cette décision ne fut pas du goût <strong>de</strong>s travailleursmusul<strong>ma</strong>ns et surtout <strong>de</strong>s meneurs. »« 2° L'insurrection. L'insurrection est latente dès 17 heures, le 8<strong>ma</strong>i. Elle couve et elle se traduit par un <strong>ma</strong>laise général. Lestravailleurs musul<strong>ma</strong>ns sont absents en totalité, dans les rangs <strong>de</strong>la C.G.T. au moment <strong>de</strong>s discours officiels.174UN DRAME ALGERIENLes quelques « égarés » qui ne connaissent pas encore le motd'ordre d'insurrection, sont avertis par <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> liaison et levi<strong>de</strong> se fait, total, au <strong>de</strong>rnier discours qui est celui du souspréfet.Grosse déception dans nos rangs. Le cortège se forme etcommence à défiler dans certaines rues <strong>de</strong> la ville. Quelquesmeneurs s'infiltrent dans le cortège et surveillent le déroulement <strong>de</strong>la <strong>ma</strong>nifestation. Aucun inci<strong>de</strong>nt ne se produit, le cortège, joyeux,passe dans la ville arabe déserte.« La <strong>ma</strong>nifestation est terminée, le souspréfet remercie toute lapopulation. A cette minute même, un troupeau comprenant 1500personnes environ, <strong>ma</strong>rchant en rangs serrés, débouche à touteallure <strong>de</strong> la rue MedjezA<strong>ma</strong>r, se dirige vers la rue SaintAugustin,déployant <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>roles et faisant entendre <strong>de</strong>s chantsnationalistes. Le cortège est arrêté me VictorBernes. Tous lessyndicats sont largement représentés. Les travailleurs musul<strong>ma</strong>nssont bien reconnaissables avec leurs vêtements bleus <strong>de</strong> travail quileur ont été récemment distribués. Leur attitu<strong>de</strong> estparticulièrement re<strong>ma</strong>rquée. Ils ne prêchent pas le calme comme ilse doit, <strong>ma</strong>is tentent <strong>de</strong> forcer les barrages <strong>de</strong> police. Les<strong>ma</strong>nifestants sont dispersés après un échange <strong>de</strong> coups <strong>de</strong> feu.« Le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in 9 <strong>ma</strong>i, à 12 heures, les responsables <strong>de</strong> laC.G.T. tentent <strong>de</strong> se mettre en rapport avec les élémentsmusul<strong>ma</strong>ns du syndicalisme, <strong>ma</strong>is ceuxci sont sourds ouintrouvables. Certains considèrent même les événements <strong>de</strong> laveille comme une provocation <strong>de</strong>s Français. A 14 h. 30, lesmusul<strong>ma</strong>ns surveillent les Européens. Ils observent leurs réactionset semblent même noter ceux qui se mettent à la disposition <strong>de</strong>l'autorité civile pour <strong>ma</strong>intenir l'ordre public. Aucune offre <strong>de</strong>collaboration ou d'apaisement <strong>de</strong>s esprits n'est enregistrée dans lemilieu syndicaliste musul<strong>ma</strong>n. L'arrogance et les commentairessont à leur comble.175
UN DRAME ALGERIEN« L'insurrection paraît pourtant imminente à l'intérieur <strong>de</strong> laville. De l'extérieur, nous arrivent <strong>de</strong>s nouvelles alar<strong>ma</strong>ntes : lesattroupements sont nombreux autour <strong>de</strong> la ville, <strong>de</strong>s Français ontété assassinés. Les lignes téléphoniques et les voies ferrées sontcoupées, les routes barrées et les ponts sautés, la guerre sainte estdéclenchée. Le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> chaque Français est clair, il faut lutter.Tous les travailleurs français sont présents à leurs postes <strong>de</strong>combat. Les travailleurs musul<strong>ma</strong>ns, par contre, sont sourds etmuets.« <strong>Un</strong> jour plein d'angoisse s'écoule. Les combats continuentautour <strong>de</strong> la ville avec la même violence. La ville est encerclée.Aucune preuve <strong>de</strong> loyalisme, n'est faite par <strong>de</strong>s syndicalistesmusul<strong>ma</strong>ns. Les arrestations commencent, le milieu syndicalisteest fortement touché par ces mesures ; les cheminots ont la plusgran<strong>de</strong> place, viennent ensuite les services civils <strong>de</strong> la guerre, lesPonts et Chaussées, les ouvriers agricoles ; les chefs <strong>de</strong>l'insurrection sont presque tous <strong>de</strong>s syndicalistes et les plus lettréset évolués <strong>de</strong> ce milieu. Les troupes <strong>de</strong> choc comprennentévi<strong>de</strong>mment les <strong>ma</strong>sses frustes et parmi cellesci certains membres<strong>de</strong>s différents syndicats. La trahison est totale ou presque.« Le 4e jour <strong>de</strong> l'insurrection, une dizaine <strong>de</strong> syndicalistesviennent se faire inscrire comme loyalistes. Sans commentaire.Cependant, il est à constater que les syndicats du personnel <strong>de</strong>stransports routiers, <strong>de</strong>s employés communaux <strong>de</strong> l'oued Cherf et<strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> ont fait preuve d'un bon état d'esprit, notamment leca<strong>ma</strong>ra<strong>de</strong> Mokhnachi, secrétaire du syndicat <strong>de</strong>s employéscommunaux <strong>de</strong> l'oued Cherf.« Il est a re<strong>ma</strong>rquer également que certains ouvriers agricolesmusul<strong>ma</strong>ns non syndiqués ont sauvé leurs patrons ou se sont jointsà eux pour assurer leur défense. »176UN DRAME ALGERIEN« 3° Après l'insurrection. — Le milieu syndicaliste musul<strong>ma</strong>nreste sur sa position. La guerre n'est pas terminée et l'hostilité estsour<strong>de</strong>. La peur semble <strong>ma</strong>intenant s'être emparée <strong>de</strong> certainséléments trompés par les meneurs <strong>ma</strong>is cette peur n'est pas,comme on serait tenté <strong>de</strong> le supposer, le commencement <strong>de</strong> lasagesse. Les conciliabules par petits groupes continuent, lesinscriptions sur les murs continuent, sur l'urinoir <strong>de</strong> la gareégalement. « Vous pouvez détruire l'Algérie, vous ne détruirez pasl'islamisme » ; croix gammées sur différents murs <strong>de</strong> la ville, etc.« Le problème reste entier. Le nationalisme vit encore. Quesera l'avenir ? Les événements sont encore trop récents pourconclure. Cependant, il est à penser que les musul<strong>ma</strong>ns nousobservent et nous jugent, en ce moment, à nos actes et à la foi quenous avons dans le triomphe <strong>de</strong> l'esprit français dans ce pays. Ilfaut donc que sur tous les terrains et notamment sur celui dusyndicalisme, la vérité, toute la vérité reprenne ses droits afin ques'affirme, dans l'union, un idéal corporatif nouveau débarrassé <strong>de</strong>toute dé<strong>ma</strong>gogie et duquel seront extirpés tous les miasmes <strong>de</strong> laguerre sainte antifrançaise et tous les nationalistes qui, dans l'étatactuel, ont détruit, à Guel<strong>ma</strong> et dans la région, le sens et l'espritmême du syndicalisme. »CONSIDERATIONS GENERALES« L'insurrection sanglante n'a, du point <strong>de</strong> vue syndicalisme,aucun rapport avec la légen<strong>de</strong> d'un complot faciste, et il n'existe,d'autre part, aucune corrélation entre les insurgés et les« <strong>ma</strong>rcheurs <strong>de</strong> la faim » ou les foules conscientes pleines <strong>de</strong> foiqui partaient à la conquête d'un avenir meilleur tant économiqueque politique et social. Les insurgés, armés <strong>de</strong> fusils, <strong>de</strong> haches, <strong>de</strong>serpes et <strong>de</strong> pioches, fanatisés par une longue campagne177
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