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Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

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UN DRAME ALGERIEN« Je me rendais, dit­il, au <strong>ma</strong>rché d'El Arba (Béni Medjaled)quand je rencontrai le nommé Fouzer, qui me dit : « La guerresainte est déclarée, les Français sont battus partout ; c'est lemoment <strong>de</strong> les exterminer. »« Je retournais prendre mon fusil, chargé <strong>de</strong> chevrotines et, avecenviron 40 indigènes, suivant le même sentier, je me dirigeais versla <strong>ma</strong>ison forestière d'Ain Settah. <strong>Un</strong>e Française, Mme Devèze,était encore là, réfugiée chez le gar<strong>de</strong> indigène; le <strong>ma</strong>ri avait ététué, <strong>de</strong>ux heures auparavant, près du <strong>ma</strong>rché ; le brigadier Dupontet le gar<strong>de</strong> Morelli <strong>ma</strong>ssacrés le <strong>ma</strong>tin, au cours d'une tournée.« <strong>Un</strong> <strong>de</strong>s nôtres pénétrait alors dans la <strong>de</strong>meure du gar<strong>de</strong>indigène et en ressortait, tenant par la <strong>ma</strong>in Mme Devèze. Elleparaissait terrifiée.« Elle fut menée au coin d'un bois et là, l'un après l'autre,chacun <strong>de</strong> nous la violait, sans qu'elle puisse opposer la moindredéfense. Comme j'étais le plus jeune, je passais le <strong>de</strong>rnier. Je la fismettre à genoux et la violais par <strong>de</strong>rrière, puis je prenais mon fusilet le déchargeais dans le dos <strong>de</strong> cette femme. Comme elle n'étaitque blessée, <strong>de</strong>ux autres ca<strong>ma</strong>ra<strong>de</strong>s l'ont achevée.« Nous nous sommes emparés <strong>de</strong> tous ses vêtements et l'avonslaissée nue dans le bois où les soldats sont venus relever soncadavre, cinq jours après. »Notre correspondant ajoute : « Cette déclaration est contrôlable.L'Administrateur, la gendarmerie et la sûreté l'ont transmise auxchefs compétents. Ils ne pourront que la confirmer, s'il en estbesoin. »Arrêtons­nous, un instant, <strong>de</strong>vant le document dont nousvenons <strong>de</strong> donner le texte. L'horreur <strong>de</strong>s faits qu'il relate, mise àpart, momentanément, il projette un jet <strong>de</strong> lumière sur l'espritcollectif qui anime la <strong>ma</strong>sse indigène dans la plupart <strong>de</strong> nosrégions <strong>algérien</strong>nes. Il constitue un procès­verbal <strong>de</strong> constat dontla valeur ne peut être niée.152UN DRAME ALGERIEN<strong>Un</strong> jeune homme va au <strong>ma</strong>rché. Il accomplit un acte courant,ordinaire <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong>s paysans dans nos campagnes. Il est calme. Ilest inoffensif, il ne pense pas à <strong>ma</strong>l.<strong>Un</strong> coreligionnaire le croise, l'arrête et lui dit : « La guerresainte, El Djihad, est déclarée ! »Sans hésitation, il revient sur ses pas, il va s'armer, se mêle àune foule qui, comme lui, est prête à tous les gestes homici<strong>de</strong>s. Ilpart, décidé, vers l'orgie et le carnage auxquels il était loin <strong>de</strong>penser le <strong>ma</strong>tin en se levant. Il <strong>de</strong>vient criminel, il <strong>de</strong>vientbourreau. Arrêté, il ne songe même pas à atténuer sa culpabilité. Ilraconte avec calme tous les détails du <strong>drame</strong> dont il a été à la foisl'un <strong>de</strong>s témoins et l'un <strong>de</strong>s auteurs. Il trouve cela naturel, logique.Il n'attend pas <strong>de</strong>s félicitations, on sent que, dans son for intérieur,il se les donne à lui­même.Ajoutons que si on lui avait, après sa déposition, présenté unplacet affir<strong>ma</strong>nt son loyalisme, il l'aurait approuvé, <strong>de</strong> sa signatureou <strong>de</strong> son empreinte digitale, avec la même sérénité qui venait <strong>de</strong>le gui<strong>de</strong>r dans ses déclarations.Et cet exemple est la démonstration d'un état d'âme collectif.Avec regret nous pouvons ajouter que, <strong>de</strong> cet état d'âme noussommes responsables, car il n'a pu se <strong>ma</strong>intenir dans les cœurs,s'affermir, se généraliser que parce que nous sommes restésindifférents à la politique sournoise, à la propagan<strong>de</strong> nocive quel'on peut dénoncer, avec raison sans aucun doute, comme venant<strong>de</strong> très loin, <strong>ma</strong>is dont les fourriers ont été, dans la plupart <strong>de</strong>s caset la plupart <strong>de</strong>s régions, ceux que nous avons élevés parl'instruction, ou la faveur, à <strong>de</strong>s situations sociales qu'ils n'auraientpu atteindre sans nous (1).(1) La mort <strong>de</strong> Mme Devèze a donné lieu, le 4 janvier 1946, a <strong>de</strong>ux condamnations à mort parcontu<strong>ma</strong>ce : Merouche Boudje<strong>ma</strong>a et Ayache Boudria dans une audience où comparaissaientquarante­trois inculpés. Arrêté à nouveau Boudria, a vu sa peine transformée on condamnation auxtravaux forcés à temps, en raison, nous a­t­on dit, <strong>de</strong> son jeune âge...153

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