Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

Un drame algérien - Alger de ma jeunesse Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

10.07.2015 Views

UN DRAME ALGERIENA la maison forestière d'Aïn­Settah habitaient deux gardesforestiers : M. Devèze et M. Morelli. Nous avons vu queM. Morelli avait trouvé la mort aux côtés du brigadier Dupont.M. Devèze était lui­même sorti, le matin, pour se diriger vers lemarché des Béni Medjaled. Blessé par des coups de feu, il essayaitde se replier vers son domicile, mais il ne tardait pas à tomber,pour ne plus se relever.Mme Devèze, menacée à son tour, se décida à se réfugier chezun garde indigène voisin, nommé Serhane, qui avait déjà donnél'hospitalité à un prisonnier italien, occupé par l'administration —agent dont le rôle n'a pas été bien défini.Le corps de Mme Devèze a été retrouvé, six jours plus tard, enétat complet de nudité, dans le bois à 400 mètres de la maisonforestière. On verra plus loin les détails profondémentémotionnants de la mort qui a été réservée à cette malheureuseFrançaise.A propos d'Ain Settah, nous avons parlé d'un prisonnier italien.Ce prisonnier avait été mis à la disposition de l'autorité forestièreet se nommait Magri Guiseppe. Il avait complètement disparu. Cen'est qu'en juillet, trois mois après le drame, que des recoupementspermirent de retrouver le corps de Magri. Ce dernier avait bien étéassassiné, comme les forestiers d'Aïn Settah.Dans la matinée du 9 mai, il avait été attaqué en forêt, près d'ElArba, par la première bande d'émeutiers circulant dans la région.Assez grièvement blessé à coups de bâtons, il réussissait,cependant, à s'enfuir et à se réfugier chez le garde forestierindigène, Serhane, pendant que la cabane qui lui servait decampement était mise à sac par ses agresseurs.Dans l'après­midi, Magri quittait la maison du garde, dansl'intention de gagner Djidjelli pour y recevoir des soins. Enarrivant au douar Menar, commune mixte de Fedj M'Zala, il était150UN DRAME ALGERIENarrêté par une deuxième bande et frappé à nouveau. Pour ne pasfaire supporter à la mechta voisine la responsabilité d'unassassinat, les agresseurs le laissèrent ensuite continuer sonchemin, tout en le suivant de loin. Le malheureux ne pouvait leuréchapper. Arrivé au lieu dit : Chabet Hadjar Touila, il était denouveau rejoint et sauvagement agressé à coups de hachette, decouteaux, de bâton et de pierres. Finalement, il avait la gorgetranchée.Le corps fut alors dissimulé dans un trou d'eau, sur les lieux ducrime. Le 2 juillet, les assassins venaient le reprendre et letransportaient au lieu dit : Dar Sidi Ahmed, dans le but de lesoustraire aux recherches. Ce transfert fut dénoncé, et la victimeenfin découverte.L'instruction de l'affaire, fut longue. Deux bandes séparéesavaient participé à la première et à la seconde agression. LeTribunal militaire fut saisi, à Constantine, le 13 décembre. Ilrenvoya les dossiers pour complément d'enquête.L'année 1945 s'est écoulée sans que la justice ait été appelée àse prononcer.***Un document dont nous avons pu voir tout récemment le textenous permet de donner une idée de la cruauté et du cynismeapportés par les émeutiers dans leur action criminelle.Par ce document, nous avons eu connaissance de la dépositionde l'assassin de Mme Devèze, la malheureuse femme du gardeforestier, tuée à Ain Settah. Cet assassin se nomme BoudriaAyache ben Hanachi. Il habite le douar Menar, de Fedj M'Zala. Il a20 ans. Il dépose simplement « avec le sourire », nous dit notrecorrespondant, « interrompant son récit pour, fumer sa cigarette. »151

UN DRAME ALGERIEN« Je me rendais, dit­il, au marché d'El Arba (Béni Medjaled)quand je rencontrai le nommé Fouzer, qui me dit : « La guerresainte est déclarée, les Français sont battus partout ; c'est lemoment de les exterminer. »« Je retournais prendre mon fusil, chargé de chevrotines et, avecenviron 40 indigènes, suivant le même sentier, je me dirigeais versla maison forestière d'Ain Settah. Une Française, Mme Devèze,était encore là, réfugiée chez le garde indigène; le mari avait ététué, deux heures auparavant, près du marché ; le brigadier Dupontet le garde Morelli massacrés le matin, au cours d'une tournée.« Un des nôtres pénétrait alors dans la demeure du gardeindigène et en ressortait, tenant par la main Mme Devèze. Elleparaissait terrifiée.« Elle fut menée au coin d'un bois et là, l'un après l'autre,chacun de nous la violait, sans qu'elle puisse opposer la moindredéfense. Comme j'étais le plus jeune, je passais le dernier. Je la fismettre à genoux et la violais par derrière, puis je prenais mon fusilet le déchargeais dans le dos de cette femme. Comme elle n'étaitque blessée, deux autres camarades l'ont achevée.« Nous nous sommes emparés de tous ses vêtements et l'avonslaissée nue dans le bois où les soldats sont venus relever soncadavre, cinq jours après. »Notre correspondant ajoute : « Cette déclaration est contrôlable.L'Administrateur, la gendarmerie et la sûreté l'ont transmise auxchefs compétents. Ils ne pourront que la confirmer, s'il en estbesoin. »Arrêtons­nous, un instant, devant le document dont nousvenons de donner le texte. L'horreur des faits qu'il relate, mise àpart, momentanément, il projette un jet de lumière sur l'espritcollectif qui anime la masse indigène dans la plupart de nosrégions algériennes. Il constitue un procès­verbal de constat dontla valeur ne peut être niée.152UN DRAME ALGERIENUn jeune homme va au marché. Il accomplit un acte courant,ordinaire de la vie des paysans dans nos campagnes. Il est calme. Ilest inoffensif, il ne pense pas à mal.Un coreligionnaire le croise, l'arrête et lui dit : « La guerresainte, El Djihad, est déclarée ! »Sans hésitation, il revient sur ses pas, il va s'armer, se mêle àune foule qui, comme lui, est prête à tous les gestes homicides. Ilpart, décidé, vers l'orgie et le carnage auxquels il était loin depenser le matin en se levant. Il devient criminel, il devientbourreau. Arrêté, il ne songe même pas à atténuer sa culpabilité. Ilraconte avec calme tous les détails du drame dont il a été à la foisl'un des témoins et l'un des auteurs. Il trouve cela naturel, logique.Il n'attend pas des félicitations, on sent que, dans son for intérieur,il se les donne à lui­même.Ajoutons que si on lui avait, après sa déposition, présenté unplacet affirmant son loyalisme, il l'aurait approuvé, de sa signatureou de son empreinte digitale, avec la même sérénité qui venait dele guider dans ses déclarations.Et cet exemple est la démonstration d'un état d'âme collectif.Avec regret nous pouvons ajouter que, de cet état d'âme noussommes responsables, car il n'a pu se maintenir dans les cœurs,s'affermir, se généraliser que parce que nous sommes restésindifférents à la politique sournoise, à la propagande nocive quel'on peut dénoncer, avec raison sans aucun doute, comme venantde très loin, mais dont les fourriers ont été, dans la plupart des caset la plupart des régions, ceux que nous avons élevés parl'instruction, ou la faveur, à des situations sociales qu'ils n'auraientpu atteindre sans nous (1).(1) La mort de Mme Devèze a donné lieu, le 4 janvier 1946, a deux condamnations à mort parcontumace : Merouche Boudjemaa et Ayache Boudria dans une audience où comparaissaientquarante­trois inculpés. Arrêté à nouveau Boudria, a vu sa peine transformée on condamnation auxtravaux forcés à temps, en raison, nous a­t­on dit, de son jeune âge...153

UN DRAME ALGERIENA la <strong>ma</strong>ison forestière d'Aïn­Settah habitaient <strong>de</strong>ux gar<strong>de</strong>sforestiers : M. Devèze et M. Morelli. Nous avons vu queM. Morelli avait trouvé la mort aux côtés du brigadier Dupont.M. Devèze était lui­même sorti, le <strong>ma</strong>tin, pour se diriger vers le<strong>ma</strong>rché <strong>de</strong>s Béni Medjaled. Blessé par <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu, il essayait<strong>de</strong> se replier vers son domicile, <strong>ma</strong>is il ne tardait pas à tomber,pour ne plus se relever.Mme Devèze, menacée à son tour, se décida à se réfugier chezun gar<strong>de</strong> indigène voisin, nommé Serhane, qui avait déjà donnél'hospitalité à un prisonnier italien, occupé par l'administration —agent dont le rôle n'a pas été bien défini.Le corps <strong>de</strong> Mme Devèze a été retrouvé, six jours plus tard, enétat complet <strong>de</strong> nudité, dans le bois à 400 mètres <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>isonforestière. On verra plus loin les détails profondémentémotionnants <strong>de</strong> la mort qui a été réservée à cette <strong>ma</strong>lheureuseFrançaise.A propos d'Ain Settah, nous avons parlé d'un prisonnier italien.Ce prisonnier avait été mis à la disposition <strong>de</strong> l'autorité forestièreet se nom<strong>ma</strong>it Magri Guiseppe. Il avait complètement disparu. Cen'est qu'en juillet, trois mois après le <strong>drame</strong>, que <strong>de</strong>s recoupementspermirent <strong>de</strong> retrouver le corps <strong>de</strong> Magri. Ce <strong>de</strong>rnier avait bien étéassassiné, comme les forestiers d'Aïn Settah.Dans la <strong>ma</strong>tinée du 9 <strong>ma</strong>i, il avait été attaqué en forêt, près d'ElArba, par la première ban<strong>de</strong> d'émeutiers circulant dans la région.Assez grièvement blessé à coups <strong>de</strong> bâtons, il réussissait,cependant, à s'enfuir et à se réfugier chez le gar<strong>de</strong> forestierindigène, Serhane, pendant que la cabane qui lui servait <strong>de</strong>campement était mise à sac par ses agresseurs.Dans l'après­midi, Magri quittait la <strong>ma</strong>ison du gar<strong>de</strong>, dansl'intention <strong>de</strong> gagner Djidjelli pour y recevoir <strong>de</strong>s soins. Enarrivant au douar Menar, commune mixte <strong>de</strong> Fedj M'Zala, il était150UN DRAME ALGERIENarrêté par une <strong>de</strong>uxième ban<strong>de</strong> et frappé à nouveau. Pour ne pasfaire supporter à la mechta voisine la responsabilité d'unassassinat, les agresseurs le laissèrent ensuite continuer sonchemin, tout en le suivant <strong>de</strong> loin. Le <strong>ma</strong>lheureux ne pouvait leuréchapper. Arrivé au lieu dit : Chabet Hadjar Touila, il était <strong>de</strong>nouveau rejoint et sauvagement agressé à coups <strong>de</strong> hachette, <strong>de</strong>couteaux, <strong>de</strong> bâton et <strong>de</strong> pierres. Finalement, il avait la gorgetranchée.Le corps fut alors dissimulé dans un trou d'eau, sur les lieux ducrime. Le 2 juillet, les assassins venaient le reprendre et letransportaient au lieu dit : Dar Sidi Ahmed, dans le but <strong>de</strong> lesoustraire aux recherches. Ce transfert fut dénoncé, et la victimeenfin découverte.L'instruction <strong>de</strong> l'affaire, fut longue. Deux ban<strong>de</strong>s séparéesavaient participé à la première et à la secon<strong>de</strong> agression. LeTribunal militaire fut saisi, à Constantine, le 13 décembre. Ilrenvoya les dossiers pour complément d'enquête.L'année 1945 s'est écoulée sans que la justice ait été appelée àse prononcer.***<strong>Un</strong> document dont nous avons pu voir tout récemment le textenous permet <strong>de</strong> donner une idée <strong>de</strong> la cruauté et du cynismeapportés par les émeutiers dans leur action criminelle.Par ce document, nous avons eu connaissance <strong>de</strong> la déposition<strong>de</strong> l'assassin <strong>de</strong> Mme Devèze, la <strong>ma</strong>lheureuse femme du gar<strong>de</strong>forestier, tuée à Ain Settah. Cet assassin se nomme BoudriaAyache ben Hanachi. Il habite le douar Menar, <strong>de</strong> Fedj M'Zala. Il a20 ans. Il dépose simplement « avec le sourire », nous dit notrecorrespondant, « interrompant son récit pour, fumer sa cigarette. »151

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