UN DRAME ALGERIENqui séparent Cap Aokas <strong>de</strong> Bougie ; le succès d'une pareilleentreprise est douteux. Mais le danger est pressant. On accepte,Salhi Saïd affronte l'obstacle.La nuit approche. Les heures passent, rapi<strong>de</strong>s, dans une actionintensive <strong>de</strong> défense collective.On signale bientôt l'attaque d'un camion. M. Hosteins part enreconnaissance, avec cinq hommes, constate que la route <strong>de</strong>Bougie est barrée près d'une ferme indigène, par un groseucalyptus ; que les fils téléphoniques sont sectionnés au mêmeendroit. L'Administrateur rentre à 19 heures au bordj, avec uncouple qui a été arrêté par les émeutiers, puis relâché : une femmefrançaise <strong>ma</strong>riée à un indigène et leur enfant. Le <strong>ma</strong>ri a excipé <strong>de</strong>sa qualité <strong>de</strong> musul<strong>ma</strong>n, on lui a rendu la liberté...Le lieutenant Aubertier, qui patrouille à l'extérieur, est rappelé.On fait replier tous les Européens occupant encore les fermes,ainsi que les personnes logeant à l'hôtel du Cap, situé en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>l'agglomération.On constate <strong>de</strong>s résistances :M. Aubertier Henri, conseiller municipal, refuse d'abandonnersa ferme. Il se fait fort d'organiser sa défense avec son personnel.On saura, plus tard, qu'il n'a pas été inquiété. Les émeutiers ontsans doute pensé qu'il s'était replié au bordj. Ou la crânerie dont ila fait preuve leur en atelle imposé ?M. et Mme Piras, restaurateurs, veulent également rester chezeux. Ils habitent la petite agglomération <strong>de</strong>s falaises, à environ 7kilomètres <strong>de</strong> Souk El Tonine, en direction <strong>de</strong> Mansouria. Dans lanuit du 10 au 11 <strong>ma</strong>i, ils ont été attaqués. M. Piras a été tué. Safemme a été blessée à la fesse droite par <strong>de</strong>ux coups <strong>de</strong> feu. Elles'était sauvée. Après le <strong>drame</strong>, elle a été rétablie par un séjour <strong>de</strong><strong>de</strong>ux se<strong>ma</strong>ines dans une clinique. Elle est <strong>de</strong>puis, partie au Maroc.Pendant plusieurs jours on a été inquiet à Cap Aokas, sur le sort106UN DRAME ALGERIENdu brigadier Leca, qui n'avait pas obtempéré à l'invitation <strong>de</strong> repliqui lui avait été adressée.Il avait rejoint Bougie par ses propres moyens.Des falaises, n'ont pas voulu rejoindre : Mme et M. Vergnau,Mme et M. Samson. Les grottes <strong>de</strong>s falaises leur procurèrent,heureusement, un abri qui aurait bien pu être insuffisant. On estsans nouvelles <strong>de</strong> Mme et M. Lambert, gar<strong>de</strong> forestier, qui ont étéprévenus du danger.A 20 heures, on était très près <strong>de</strong> la chute du jour, on entend <strong>de</strong>savions. On leur fait du bordj, <strong>de</strong>s signaux. Les grands oiseauxcirculent et mitraillent, dans les environs, les attroupements qu'ilspeuvent apercevoir. Cela décongestionne les <strong>ma</strong>isons assiégées.Puis on perçoit une canonna<strong>de</strong>. C'est un aviso qui dégage, parun tir précis, le village et le réduit défensif.C'est là, sans aucun doute, le résultat <strong>de</strong> la tentative du braveinfirmier, dont on n'a pas <strong>de</strong> nouvelles.La nuit arrive. On est plus rassuré. Mais les patrouillescirculent, dans l'obscurité. Il faut éviter une surprise. On se rendcompte que les assaillants ont reculé. Ils sont <strong>ma</strong>intenant à 7 ou800 mètres du bordj. On entend quelques coups <strong>de</strong> feu.Le bureau <strong>de</strong> poste a été évacué. A minuit les émeutiers serapprochent ; on en voit à 50 mètres <strong>de</strong>s murs du réduit défensif.On se prépare à toute éventualité.Le reste <strong>de</strong> la nuit est calme. On ne peut plus causer, autéléphone, avec Mansouria.La journée du 11 <strong>ma</strong>i est consacrée à <strong>de</strong> nombreusespatrouilles, dirigées par M. Hosteins. On éloigne les rebelles. Onrétablit <strong>de</strong>s liaisons téléphoniques grâce à <strong>de</strong>s monteurs <strong>de</strong>s P.T.T.qui ont dû abandonner leur camionnette sur la route. <strong>Un</strong> car aégalement été laissé en hâte par 30 fusiliers<strong>ma</strong>rins, arrivés laveille au soir. Il <strong>ma</strong>nque <strong>de</strong>ux ca<strong>ma</strong>ra<strong>de</strong>s. On part à leur recherche.107
UN DRAME ALGERIENOn recueille un <strong>ma</strong>rin qui a pu échapper en simulant la mort. Ilest nu. On lui a enlevé ses effets d'habillement. On trouve, dans lecar brûlé, un cadavre carbonisé : le <strong>de</strong>uxième soldat disparu...On échange <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu avec <strong>de</strong>s petits groupes <strong>de</strong>rebelles. Des tirs efficaces sont exécutés par la <strong>ma</strong>rine. On signale<strong>de</strong>s morts chez les insurgés.Au large, s'avance le « Chasseur 94 ». Il ne peut abor<strong>de</strong>r. Maisun homme saute à la mer et, à la nage, apporte un message dusouspréfet, c'est le courageux Salhi, tout ému et justement fier <strong>de</strong>son exploit.Il est accueilli en ami. On prépare la réponse. Le lieutenantAubertier et Salhi Saïd vont la porter au bateau assurant la liaison.Mais, à michemin, la barque chavire ! Elle coule ! Ses passagersseuls surnagent. Salhi se dirige vers le navire et remet la lettre quiindique les points à bombar<strong>de</strong>r pour atteindre les rebelles. Les tirsqui suivent sont bientôt d'une précision re<strong>ma</strong>rquable (1).Mais dès le <strong>ma</strong>tin, on reçoit <strong>de</strong> tristes nouvelles, laconfir<strong>ma</strong>tion <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> l'hôtelier Piras : puis celle <strong>de</strong>l'assassinat <strong>de</strong> Mme et M. Lambert, qui ont voulu rester à leur<strong>ma</strong>ison forestière <strong>de</strong> Tamsout. On sait également, vers 19 heures,que la population <strong>de</strong> Mansouria s'est réfugiée dans l'île qui faitface au groupement <strong>de</strong>s habitations.<strong>Un</strong> fait curieux, dans le duel tragique qui met aux prises les<strong>de</strong>ux camps ennemis, c'est la transmission rapi<strong>de</strong> du récit <strong>de</strong>sévénements intéressant chaque parti. Il y a <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> liaisonbénévoles qui fréquentent et renseignent les belligérants : lapoignée <strong>de</strong> Français qui se défend avec énergie, d'une part, et la(1) Le 15 août 1947, les journaux ont publié timi<strong>de</strong>ment en une locale : " Oued Marsa " que " lamédaille d'argent, <strong>de</strong> courage et <strong>de</strong> dévouement, vient d'être conférée à l'infirmier <strong>de</strong> l'hôpitalauxiliaire, M. Salhi Saïd ". Le communiqué officiel n'a pas osé dire la belle action accomplie par levaillant indigène, récompensé mo<strong>de</strong>stement... plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans après.108UN DRAME ALGERIENfoule <strong>de</strong> milliers d'émeutiers qui se rue à l'assaut du bordj encerclé,d'autre part. Transmettre c'est savoir, et savoir, c'est être enintelligence avec l'ennemi. Notre logique <strong>de</strong> roumis est imbattablesur ce point. Or, du côté français, on enregistre les nouvellesexactes qui arrivent ; on ne s'émeut pas <strong>de</strong>s complicités qu'ellesdénoncent. On connaît la solidarité qui unit les musul<strong>ma</strong>ns par<strong>de</strong>ssustoutes les barrières et toutes les barrica<strong>de</strong>s. L'habitatafricain a créé, chez les Français, une philosophie que nedéconcerte aucune constatation. Aton, du reste, le temps <strong>de</strong> selivrer à <strong>de</strong>s appréciations ? On se bat. On ne pense qu'à cela,...Les communications téléphoniques rétablies par M. Hosteins etles dévoués collaborateurs <strong>de</strong>s P.T.T. sont bientôt coupées ànouveau. Et l'on n'a plus <strong>de</strong> fil pour assurer les réparations.L'isolement s'affirme <strong>de</strong> plus en plus. Les patrouilles continuent àaccomplir leur tâche <strong>de</strong> reconnaissance et <strong>de</strong> refoulement partiel<strong>de</strong>s agresseurs.On apprend, à 20 heures, que <strong>de</strong>ux officiers américains ont étérencontrés sur la route, où ils circulaient librement, dans unevoiture « américaine » venant, disaientils, <strong>de</strong> SoukAhras. Ilsavaient donc traversé, <strong>de</strong> bout en bout, toutes les régionsinsurgées (1)...Quelques coups <strong>de</strong> feu, dans la nuit. L'aube arrive. Le bordj n'apas été attaqué.Dans la journée, on avait vu, avec étonnement, arriver sur laroute, en tournée d'inspection, le colonel Bourdila, <strong>de</strong> Sétif. Ilavait, dans son auto, son chauffeur et <strong>de</strong>ux hommes armés. Pointeaudacieuse que ce chef, continuant la tradition africaine, trouvaittrès naturelle...(1) Ce sont sans doute les officiers anglais rencontrés à Kerrata aussitôt après la libérationdu village. Cette circulation d'officiers alliés dans les régions sinistrées n'a pas <strong>ma</strong>nqué <strong>de</strong> donnerlieu à <strong>de</strong> nombreux commentaires.109
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