UN DRAME ALGERIENmises au service d'une plume alerte et d'un réel talent, poursatisfaire un public toujours curieux <strong>de</strong> mystères et <strong>de</strong> légen<strong>de</strong>s.Pour le château Dussaix, le 9 <strong>ma</strong>i 1945 <strong>ma</strong>rque, désor<strong>ma</strong>is, unedate. La légen<strong>de</strong>, fruit d'une i<strong>ma</strong>gination fécon<strong>de</strong>, a fait place àl'Histoire. Le <strong>drame</strong> mystérieux a pris une forme nouvelle. Dudo<strong>ma</strong>ine <strong>de</strong> la fantaisie littéraire, il est passé dans le do<strong>ma</strong>ine <strong>de</strong> laréalité tragique. Il est <strong>de</strong>venu le théâtre d'un <strong>drame</strong> collectifparticipant à un grand <strong>drame</strong> national.La belle <strong>ma</strong>ison familiale a, en effet, abrité et sauvé ce jourlà500 personnes menacées par une vague <strong>de</strong> fond qui <strong>de</strong>vait fairedisparaître tout un centre <strong>de</strong> colonisation <strong>algérien</strong>ne.Nous avons dit comment s'était passée, à Kerrata, la <strong>ma</strong>tinée du8 <strong>ma</strong>i. Nous avons parlé <strong>de</strong> la fête <strong>de</strong> la Victoire, du départprécipité <strong>de</strong> l'Administrateur Rousseau et <strong>de</strong> son adjoint Bancel, <strong>de</strong>l'arrivée du car agressé, <strong>de</strong> l'inquiétu<strong>de</strong> généralisée chez lesFrançais du pays. L'Administrateur local, M. Rambaud, étaithésitant ; il se sentait dépassé par les événements. Il craignait <strong>de</strong>provoquer l'affolement en prenant <strong>de</strong>s mesures énergiques. Ils sepromettait <strong>de</strong> faire sonner la cloche <strong>de</strong> l'église, en cas <strong>de</strong> danger...La cloche n'a pas sonné... La surprise s'est produite en coup <strong>de</strong>tonnerre.Cependant, M. Rambaud avait désigné la <strong>ma</strong>ison Dussaixcomme lieu <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>zvous possible. Il en a fait son quartiergénéral, son poste <strong>de</strong> com<strong>ma</strong>n<strong>de</strong>ment. On y a reçu tous ceux qui seprésentaient. Mais beaucoup, on l'a vu, étaient restés au village,pour <strong>de</strong>s raisons diverses, soit par <strong>de</strong>voir professionnel(M. Lardillier, les gendarmes), soit parce qu'ils ont connu trop tardla gravité <strong>de</strong> la situation (les pensionnaires <strong>de</strong> l'hôtel Dieudonné).Le mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> colonisation, le Dr Rou<strong>ma</strong>ingas, était à <strong>Alger</strong>,en permission. Le conseiller général, M. Fournier, à <strong>Alger</strong>86UN DRAME ALGERIENégalement, en session <strong>de</strong>s délégations financières. Mais unmembre <strong>de</strong> la famille Dussaix, l'ai<strong>de</strong><strong>ma</strong>jor Pierre Fontanille, setrouvait au château. L'Administrateur fit appel à son concours poursoigner les blessés probables. Il accepta avec empressement.Ajoutons qu'il sut prendre brillamment sa place parmi lesdéfenseurs du centre <strong>de</strong> colonisation.Dès 18 heures, la <strong>ma</strong>ison Dussaix compte beaucoup <strong>de</strong>réfugiés. 17 fusils Gras et une caisse <strong>de</strong> 1.800 cartouches sont misà leur disposition. L'Administrateur prie M. Lardillier, Receveur<strong>de</strong>s Postes, <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r le contact avec Sétif et <strong>de</strong> rester à son bureau.On sait <strong>de</strong> quelle façon, digne d'éloges, M. Lardillier, secondé parsa compagne, sut faire, intégralement, son <strong>de</strong>voir.La nuit vient, sans amener <strong>de</strong> changement dans la situation.MM Boutin, Goetz et Fontanille prennent les initiatives dictées parles circonstances. Les meurtrières du château sont dégagées.Chaque porte est protégée par le feu croisé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux créneaux. Leconstructeur <strong>de</strong> l'immeuble avait tout prévu...Chaque meurtrière est <strong>de</strong>sservie par un homme armé. On a faitmonter du moulin, tout proche, <strong>de</strong>s sacs <strong>de</strong> semoule, afin <strong>de</strong>consoli<strong>de</strong>r les points faibles. Au pied du grand escalier intérieurqui <strong>de</strong>ssert les étages et aboutit au grand hall central du rez<strong>de</strong>chaussée,on installe, avec ces sacs, une série <strong>de</strong> blockauss, <strong>de</strong>façon à pouvoir défendre l'entrée, en cas où elle serait forcée.Les grilles du château ont été garnies <strong>de</strong> barbelés. Dans lesgarages, on a enlevé les phares et les accus <strong>de</strong> tous les véhicules,afin d'avoir <strong>de</strong> l'éclairage, même, si, le moulin étant pris,l'électricité venait à <strong>ma</strong>nquer. <strong>Un</strong> armement individuel, mo<strong>de</strong>ste<strong>ma</strong>is précieux, complète un peu les fusils Gras. On a <strong>de</strong>s fusils <strong>de</strong>chasse, <strong>de</strong>s carabines, <strong>de</strong>s revolvers et <strong>de</strong>s bouteilles <strong>de</strong> dynamite.On a même un parabellum et une cinquantaine <strong>de</strong> balles ! On asurtout un bon moral. On est décidé à se défendre. Mais on songe87
UN DRAME ALGERIENaux nombreux Français qui n'ont pu rejoindre...M. Goetz, l'ingénieur électricien du barrage, qui est l'un <strong>de</strong>sbons ani<strong>ma</strong>teurs <strong>de</strong> la résistance, installe, aux angles <strong>de</strong>l'immeuble, <strong>de</strong> gros phares, pour répondre à une attaque <strong>de</strong> nuit.<strong>Un</strong>e salle <strong>de</strong> pansements <strong>de</strong> fortune est aménagée par M.Fontanille, grâce aux fournitures et produits remis par MmeRou<strong>ma</strong>ingas et sa fille, qui <strong>de</strong>vaient, plus tard, être d'un précieuxsecours auprès <strong>de</strong>s blessés.Le 9 <strong>ma</strong>i, vers une heure du <strong>ma</strong>tin, M. Boutin, directeur dubarrage, fait <strong>de</strong>scendre tout son personnel au château. Les gar<strong>de</strong>schampêtres et les gendarmes, très dévoués, font <strong>de</strong>s ron<strong>de</strong>sincessantes. Toutes les <strong>de</strong>miheures, par la poste, on <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssecours. Sétif a prévenu que c'est Bougie qui est chargée <strong>de</strong>débloquer Kerrata. On n'a su que plus tard que la route <strong>de</strong> Bougieavait été coupée par <strong>de</strong> gros blocs for<strong>ma</strong>nt barrages.De 3 à 5 heures, la population afflue à la <strong>ma</strong>ison Dussaix. A 5heures, la ligne téléphonique est définitivement coupée, danstoutes les directions. L'Administrateur envoie, à 6 heures, uncamion à la boulangerie. A 6 h. 30 il avait fait un voyage. Ilretourne au village, situé à 200 mètres du château.A 6 h. 45, on entend un coup <strong>de</strong> feu. Le boulanger Grammontest tombé, victime du <strong>de</strong>voir... Au même moment, arrive lecamion, chargé <strong>de</strong> 99 personnes.Le château est bloqué. On voit <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s d'indigènes monterpar la route <strong>de</strong>s gorges. Il n'y a plus à hésiter ; on ouvre sur eux unfeu nourri. Ils s'égaillent.On entend bientôt plusieurs explosions au village. On ne peutsavoir à quoi elles sont dues. On voit <strong>de</strong>s colonnes <strong>de</strong> fumées'élever du côté <strong>de</strong> la Justice <strong>de</strong> paix, <strong>de</strong> la Poste et non loin <strong>de</strong> lagendarmerie.Dans la <strong>ma</strong>tinée, il y a quelques tentatives <strong>de</strong> « <strong>de</strong>scente » surle château, par groupes isolés. On s'attend à une offensive en règle,88UN DRAME ALGERIENgénéralisée, lorsque les émeutiers auront terminé leur sinistrebesogne au village. On se prépare, On voudrait même réagir,porter secours à ceux qui se battent encore, làbas. M. Fontanillese fait l'interprète d'un sentiment partagé par beaucoup : il proposeà l'Administrateur l'organisation d'une sortie. Ce <strong>de</strong>rnier s'y oppose<strong>de</strong> façon formelle.On arrive ainsi à 14 heures. 500 personnes sont réunies auchâteau, y compris <strong>de</strong>s prisonniers italiens qui <strong>ma</strong>nifestentouvertement leur volonté <strong>de</strong> participer à la défense.L'inquiétu<strong>de</strong> est gran<strong>de</strong>. Les secours n'arrivent pas. Que sepassetil au village, que <strong>de</strong>viennent la région, les centres, lesfermes isolées? Le mouvement a l'air d'être général. L'angoisseétreint tous les cœurs.14h. 45... <strong>Un</strong>e mitrailleuse crépite... C'est la fuite <strong>de</strong>s insurgés.C'est la délivrance...Plusieurs défenseurs du château se précipitent vers le village.Parmi eux, le jeune ai<strong>de</strong><strong>ma</strong>jor. Il va où le <strong>de</strong>voir l'appelle. Queln'est pas son étonnement, en sortant <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison Dussaix, <strong>de</strong> voirarriver une voiture militaire anglaise, ayant à son bord <strong>de</strong>uxofficiers <strong>de</strong> <strong>ma</strong>rine anglais. L'un avait les insignes <strong>de</strong>l'« Intelligence Service ». M. Fontanille s'avance vers eux et leur<strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong> d'où ils venaient et comment ils avaient pu parvenirjusqu'à Kerrata. Ils répon<strong>de</strong>nt qu'ils venaient <strong>de</strong> visiter les ruines<strong>de</strong> Djemila (1).M. Fontanille se rend alors au village avec une auto <strong>de</strong> laSociété Dussaix, Mme Fontanille l'accompagne.(1) Renseignements pris par l'auteur : Au moment du <strong>drame</strong>, <strong>de</strong>ux officiers anglais ont bienvisité les ruines <strong>de</strong> Djemila. Il s'agit sans doute <strong>de</strong>s officiers étrangers dont le passage a été signalépar une patrouille surveillant la route <strong>de</strong> Bougie, près du cap Aokas, le 11 <strong>ma</strong>i. Ce seraient alors <strong>de</strong>sofficiers anglais et non américains ?Des détails complémentaires recueillis nous permettent d'ajouter que ces officiers ont couchéau Château Dussaix, sur l'invitation qui leur en était faite. On craignait, en effet, que la route <strong>de</strong>sgorges soit encore bloquée. Ils ont quitté Kerrata le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in <strong>ma</strong>tin, après l'arrivée <strong>de</strong>s secoursvenant <strong>de</strong> Bougie.89
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