UN DRAME ALGERIEN— Que le cadavre <strong>de</strong> Mme Bovo, née Jauffret Blanche, âgée <strong>de</strong>37 ans, « présentait l'abdomen complètement ouvert : A la nuqueon découvrait un coup <strong>de</strong> feu. Le sein droit était entièrementsectionné ».— Que le cadavre <strong>de</strong> M. Coste, selon le témoignage d'uncollègue (1) qui avait tenu à lui rendre les <strong>de</strong>rniers <strong>de</strong>voirs,« présentait cinq ou six blessures dans les <strong>de</strong>ux seins. Les jouesétaient tailladées. Dans la paroi postérieure du crâne, était un trou<strong>de</strong> 40 centimètres carrés. L'occipital était entièrementdéfoncé (2) ».Ces détails témoignent <strong>de</strong> l'acharnement apporté par lesagresseurs dans l'accomplissement <strong>de</strong> leurs crimes. Nous nedonnons pas <strong>de</strong> précisions, plus affreuses encore, concernant MmeBovo.Les trois corps ont été provisoirement inhumés dans un petitbois <strong>de</strong> frênes, près <strong>de</strong> la gendarmerie <strong>de</strong> Chevreul. On n'a putrouver à Chevreul le bois nécessaire à la confection <strong>de</strong>s cercueils.On a pu transporter les cadavres, le 18 <strong>ma</strong>i à Batna, où ils ont reçuleur définitive sépulture, le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in, samedi, au milieu d'uneaffluence <strong>de</strong> Français, accourus pour dire leur émotion et leurlégitime indignation, pour apporter aussi aux <strong>ma</strong>lheureux parents,plongés dans l'affliction, le témoignage <strong>de</strong> leur affection profon<strong>de</strong>et <strong>de</strong> leur tristesse solidaire.A la suite <strong>de</strong> l'enquête ouverte à Chevreul, dixsept arrestationsont été opérées. Des aveux ont été recueillis (3).(1) M. Mejean, ingénieur T.P.E. à Sétif, <strong>de</strong>venu <strong>ma</strong>ire <strong>de</strong> cette ville.(2) Les figures <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux hommes étaient méconnaissables au point que, pour les reconnaître, ona dû tenir compte <strong>de</strong>s cheveux grisonnants <strong>de</strong> l'un d'eux, nous a dit un parent <strong>de</strong> M. Bovo.(3) Le 29 décembre 1945, le Tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine ayant à connaître <strong>de</strong> l'affaire,a prononcé cinq condamnations à mort, non suivies d'exécution, à notre connaissance : MozaliMohamed, Benyaya Lakhdar, Aridi Ahmed, Boukrissa Boudje<strong>ma</strong>a et Benhamid, ce <strong>de</strong>rnier parcontu<strong>ma</strong>ce. Dixsept inculpés avaient comparu, <strong>de</strong>ux ont été acquittés. Des peines <strong>de</strong> sept ans <strong>de</strong>travaux forcés à dixhuit mois <strong>de</strong> prison ont été distribuées.70UN DRAME ALGERIENA KERRATALe centre <strong>de</strong> Kerrata appartient à la commune mixte <strong>de</strong>Takitount. Joli village, abondamment <strong>de</strong>sservi en eau, perdu dansla verdure, placé dans le plus beau site qui soit, à l'entrée <strong>de</strong>sgorges imposantes du Chabet El Akra, à 59 kilomètres <strong>de</strong> Bougieet à 54 kilomètres <strong>de</strong> Sétif.A la sortie du village, vers Bougie, on pénètre dans les gorges,entre une église élégante, construite par un Français qui faisaithonneur à la France et qui fut le chef vénéré d'une famillecomptant actuellement plus <strong>de</strong> 300 membres et exerçant sonactivité sur toutes les campagnes <strong>de</strong> l'hinterland nord <strong>de</strong> Sétif,nous avons nommé le regretté M. Eugène Dussaix, décédé endécembre 1937.A gauche <strong>de</strong> la route, face à l'église, est la <strong>ma</strong>ison familiale <strong>de</strong>sDussaix, construction <strong>ma</strong>ssive qui va servir <strong>de</strong> refuge à lapopulation <strong>de</strong> Kerrata et protéger 600 personnes contre la fureur<strong>de</strong> dix mille émeutiers. brusquement déchaînés.71
UN DRAME ALGERIENDe toute la région, à la première alerte, on était accouru pour semettre à l'abri <strong>de</strong>s murs soli<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s fenêtres barreaudées duchâteau Dussaix.Tous, hélas ! n'avaient pu rejoindre. Comme ailleurs, l'attaqueavait été brusquée, selon la formule <strong>de</strong> l'historien, qui disait qu'enAfrique du Nord « l'émeute se présente toujours comme uneexplosion ».La journée <strong>de</strong> 8 <strong>ma</strong>i avait facilité, du reste, le rassemblement<strong>de</strong>s Français. Le <strong>ma</strong>tin, M. Rousseau, administrateur en chef <strong>de</strong> lacommune mixte <strong>de</strong> Takitount, était venu, nous l'avons dit, prési<strong>de</strong>rune cérémonie, célébrant la victoire <strong>de</strong>s Alliés en Europe.L'Alle<strong>ma</strong>gne était définitivement vaincue. L'allégresse étaitgénérale. <strong>Un</strong> cauche<strong>ma</strong>r prenait fin, pour la France et les Nations<strong>Un</strong>ies dans la défense <strong>de</strong> la civilisation.Mais un <strong>ma</strong>laise général avait fait place bientôt à la joiecollective. Le <strong>ma</strong>rdi était précisément le jour du <strong>ma</strong>rché <strong>de</strong>Kerrata. Et les <strong>ma</strong>rchés sont les points <strong>de</strong> résonance <strong>de</strong> tous lesbruits du <strong>de</strong>hors. Ils les reçoivent et les retransmettent avec <strong>de</strong>stransfor<strong>ma</strong>tions s'adaptant à l'atmosphère du milieu.Dans la <strong>ma</strong>tinée, rien ne transpira dans le villages chez lesFrançais, <strong>de</strong>s événements tragiques qui venaient <strong>de</strong> se déroulerdans les rues <strong>de</strong> Sétif. Mais tous les indigènes étaient au courant,et les déductions apportaient aux affir<strong>ma</strong>tions recueillies lesexagérations les plus édifiantes. On parlait <strong>de</strong> nombreux morts, oncitait un nom : celui du <strong>ma</strong>ire <strong>de</strong> Sétif.Ce n'est qu'à 11 h. 30, par un coup <strong>de</strong> téléphone reçu à la Posteque l'on apprit la menace dont toute la région était l'objet. M.Rousseau, Administrateur, se hâta <strong>de</strong> rejoindre son poste, àPérigotville. Il ne <strong>de</strong>vait pas y arriver.Vers 15 heures, le car Deschanel, venant <strong>de</strong> Sétif et allant versBougie, apporte, enfin, <strong>de</strong>s nouvelles. Ce car avait été attaqué en72UN DRAME ALGERIENroute. La plupart <strong>de</strong> ses vitres étaient brisées. Les voyageurs,échappés <strong>de</strong> justesse à l'agression, étaient encore vibrants <strong>de</strong>l'émotion ressentie. Ils apportaient, du reste, <strong>de</strong>s précisions sur le<strong>drame</strong> qui avait jeté le <strong>de</strong>uil dans la petite cité. Sans apporter lerécit complet du soulèvement du <strong>ma</strong>tin, ils donnaient cependant<strong>de</strong>s détails qui ne permettaient pas <strong>de</strong> douter <strong>de</strong> la gravité <strong>de</strong>sévénements.Dans la soirée, on apprenait l'attaque <strong>de</strong> la Poste <strong>de</strong>sAmouchas. Les nouvelles arrivaient par bribes, confir<strong>ma</strong>nt ledanger, augmentant les appréhensions.Il n'apparaît cependant pas qu'à ce moment on ait eu à Kerratale sentiment exact <strong>de</strong> la situation. On a constaté, après coup, quel'alerte n'avait pas été généralisée dans la population française. Etcela semble avoir permis au <strong>drame</strong> <strong>de</strong> prendre une extension quiaurait pu être limitée, tout au moins.Dans le courant <strong>de</strong> l'aprèsmidi, après le passage du car, onobservait, dans les rues, <strong>de</strong>s mouvements insolites parmi lapopulation indigène. On sut, plus tard, que la boutique d'unforgeron, Chabane Messaoud, était un lieu <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>zvous oùs'élaborait l'organisation <strong>de</strong>s événements qui <strong>de</strong>vaient avoir lieu lelen<strong>de</strong><strong>ma</strong>in. On y parlait <strong>de</strong> guerre sainte, d'extermination <strong>de</strong>sroumis. On préparait l'ambiance nécessaire à la continuation du<strong>drame</strong> dont Sétif venait d'écrire la préface.Cependant, la <strong>ma</strong>ison Dussaix ouvrit largement ses portes àtoutes les familles qui désiraient s'y réfugier. On campe, au mieux,dans les immenses couloirs et les vastes appartements. La familleDussaix remplit au <strong>ma</strong>ximum son <strong>de</strong>voir d'hospitalité.La nuit passe, sans inci<strong>de</strong>nt apparemment fâcheux. Mais lemercredi, à l'aube, on entend <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu. Ils viennent <strong>de</strong> ladirection du village, où sont restés quelques habitants, notammentles locataires <strong>de</strong> l'immeuble <strong>de</strong> la Poste, la famille du Juge, les73
- Page 1 and 2: UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIEN
- Page 3 and 4: UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIENE
- Page 6 and 7: UN DRAME ALGERIENEt grâce à une p
- Page 8 and 9: UN DRAME ALGERIENLE DRAME DE SETIFC
- Page 11 and 12: UN DRAME ALGERIENIl est rejoint par
- Page 13 and 14: UN DRAME ALGERIEN« Ce fut d'abord
- Page 15 and 16: UN DRAME ALGERIENdu maire de Sétif
- Page 17 and 18: UN DRAME ALGERIENM. Justin Fages fi
- Page 19 and 20: UN DRAME ALGERIENdeux conseillers i
- Page 21 and 22: UN DRAME ALGERIENL'enfant terroris
- Page 23 and 24: UN DRAME ALGERIENL'arrivée à Pér
- Page 25 and 26: UN DRAME ALGERIEN« Guerfi Mohamed
- Page 27 and 28: UN DRAME ALGERIENA CHEVREULL'embran
- Page 29 and 30: UN DRAME ALGERIENbande, laquelle se
- Page 31 and 32: UN DRAME ALGERIENDevant les promess
- Page 33 and 34: UN DRAME ALGERIEN— Le 13 novembre
- Page 35: UN DRAME ALGERIENaux indigènes les
- Page 39 and 40: UN DRAME ALGERIENrisquant la mort p
- Page 41 and 42: UN DRAME ALGERIENtoutes parts. Beau
- Page 43 and 44: UN DRAME ALGERIENOn verra plus loin
- Page 45 and 46: UN DRAME ALGERIENaux nombreux Fran
- Page 47 and 48: UN DRAME ALGERIENNous citons :« Le
- Page 49 and 50: UN DRAME ALGERIENsont acquittés ou
- Page 51 and 52: UN DRAME ALGERIENlégionnaires sont
- Page 53 and 54: UN DRAME ALGERIENsont distribuées
- Page 55 and 56: UN DRAME ALGERIENOn recueille un ma
- Page 57 and 58: UN DRAME ALGERIENintervenue avec ra
- Page 59 and 60: UN DRAME ALGERIENson adjoint, M. Ho
- Page 61 and 62: UN DRAME ALGERIENmurs, abritezvou
- Page 63 and 64: UN DRAME ALGERIENIl était bon, pen
- Page 65 and 66: UN DRAME ALGERIENmaison du directeu
- Page 67 and 68: UN DRAME ALGERIENchargé de la surv
- Page 69 and 70: UN DRAME ALGERIENPas pour longtemps
- Page 71 and 72: UN DRAME ALGERIENLa date de livrais
- Page 73 and 74: UN DRAME ALGERIENcontinuateurs. Ils
- Page 75 and 76: UN DRAME ALGERIENL'émeute était d
- Page 77 and 78: UN DRAME ALGERIEN« Je me rendais,
- Page 79 and 80: UN DRAME ALGERIENA ELMILIASituée
- Page 81 and 82: UN DRAME ALGERIENl'hostilité des i
- Page 83 and 84: UN DRAME ALGERIENsurgissant des fro
- Page 85 and 86: UN DRAME ALGERIENprêts à tout, de
- Page 87 and 88:
UN DRAME ALGERIENflagrants, l'opini
- Page 89 and 90:
UN DRAME ALGERIEN« L'insurrection
- Page 91 and 92:
UN DRAME ALGERIENgrandeur, renaîtr
- Page 93 and 94:
UN DRAME ALGERIENles appelant par l
- Page 95 and 96:
UN DRAME ALGERIENamis, par les visi
- Page 97 and 98:
UN DRAME ALGERIENCe n'est qu'à 18
- Page 99 and 100:
UN DRAME ALGERIENLes émeutiers arr
- Page 101 and 102:
UN DRAME ALGERIENTout à coup, on e
- Page 103 and 104:
UN DRAME ALGERIENCeci n'est pas du
- Page 105 and 106:
UN DRAME ALGERIENHeureusement, pers
- Page 107 and 108:
UN DRAME ALGERIENils étaient juch
- Page 109 and 110:
UN DRAME ALGERIENà poignarder sa f
- Page 111 and 112:
UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIENP
- Page 113 and 114:
UN DRAME ALGERIENUne première liai
- Page 115 and 116:
UN DRAME ALGERIENA KELLERMANNLe 5 m
- Page 117 and 118:
UN DRAME ALGERIENLe 1er mai, un dé
- Page 119 and 120:
UN DRAME ALGERIEN1945, le garde for
- Page 121 and 122:
UN DRAME ALGERIEN« Il est pénible
- Page 123 and 124:
UN DRAME ALGERIENrapidement tourné
- Page 125 and 126:
UN DRAME ALGERIENCela se traduisait
- Page 127 and 128:
UN DRAME ALGERIEN— La misère ne
- Page 129 and 130:
UN DRAME ALGERIENdans une région e
- Page 131 and 132:
UN DRAME ALGERIENcéréales. Elle a
- Page 133 and 134:
UN DRAME ALGERIENcondamnations envi
- Page 135 and 136:
UN DRAME ALGERIENLeur œuvre, ils o
- Page 137 and 138:
UN DRAME ALGERIENles mesures qui pr
- Page 139 and 140:
UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIENd
- Page 141 and 142:
UN DRAME ALGERIENMais, étant en co
- Page 143 and 144:
UN DRAME ALGERIENAu sujet du blé,
- Page 145 and 146:
UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIENT