UN DRAME ALGERIENMme Bovo, <strong>de</strong>vant se rendre à Sétif pour rejoindre <strong>de</strong>s parents,M. Coste ayant à visiter un chantier à Tamentout, offrit une place àses amis dans son automobile. On laisserait Mme Bovo à Sétif etl'on rentrerait à Djidjelli le jour même.Le 9 <strong>ma</strong>i à 7 heures du <strong>ma</strong>tin, prenaient place dans la voiture <strong>de</strong>l'Ingénieur, avec MM Coste et Bovo, Mme Coste et Mme Bovo,accompagnée <strong>de</strong> sa fillette, âgée <strong>de</strong> 3 ans.Le voyage avait commencé très agréablement, dans la fraîcheur<strong>ma</strong>tinale propre au printemps. La forêt proche avait été viteabordée et les 26 kilomètres <strong>de</strong> côte qui séparent Djidjelli <strong>de</strong>Texenna étaient franchis rapi<strong>de</strong>ment.M. Coste conduisait. Il connaissait déjà à fond la routesinueuse, plongeant dans les oueds profonds, remontant vers lescols et les crêtes. L'auto atteignit très vite le col <strong>de</strong> Tamentout. Ons'arrêta pour permettre à l'Ingénieur <strong>de</strong> visiter son chantier <strong>de</strong>cylindrage. Le chef <strong>de</strong> chantier, européen, ne signala aucun fait <strong>de</strong>nature à inspirer une inquiétu<strong>de</strong> aux voyageurs, qui continuèrent,en toute sécurité, leur déplacement vers Sétif.A une quinzaine <strong>de</strong> kilomètres avant d'arriver à Chevreul, c'estàdireà michemin entre ce centre et Tamentout, les difficultéscommencèrent. En cet endroit se tient un <strong>ma</strong>rché important et uncol « réputé dangereux », fît observer M. Bovo à ses amis.Précisément, se trouvaient là, en un groupe important, <strong>de</strong>s jeunesindigènes qui attaquèrent la voiture à coups <strong>de</strong> cailloux. Lesagresseurs visaient bien, comme tous les habitants du bled.MM Coste et Bovo n'avaient sur eux aucune arme. Ils ne pouvaientfaire qu'une chose : accélérer la vitesse donnée à la <strong>ma</strong>chine.M. Coste eut bientôt la figure ensanglantée. Il avait été atteint à latête. Il se crispa sur son volant et son accélérateur. Mais tout le66UN DRAME ALGERIENlong <strong>de</strong> la route, se trouvaient <strong>de</strong>s groupes hostiles. La situations'aggravait. Des coups <strong>de</strong> feu claquaient. Les femmescommençaient à s'affoler.Tout à coup, M. Bovo s'écrie : « Je suis touché ! » <strong>Un</strong>e balle, eneffet, avait traversé la carrosserie, à l'arrière et avait pénétré dansses chairs, vers les reins.On file. On espère arriver à Chevreul, où l'on sera à l'abri.On traverse <strong>de</strong>s attroupements qui encadrent la route. Il était 10heures du <strong>ma</strong>tin environ. On avait atteint le point kilométrique 87du chemin 5. Ici Mme Coste ne se souvient plus bien <strong>de</strong> ce quis'est passé. Elle ne peut préciser. Cependant elle se rappelle — ilpouvait être dix heures ou dix heures et <strong>de</strong>mie — que la voitures'arrêta tout à coup, à un tournant assez prononcé du chemin. Ellene peut continuer. Devant elle, en effet, séparés par une distanced'environ dix mètres, sont <strong>de</strong>ux barrages énormes <strong>de</strong> pierres, <strong>de</strong>moellons et <strong>de</strong> galets que l'on ne peut franchir.Des indigènes accourent. Ils sont armés. L'irréparable vas'accomplir. Les voyageurs se consultent. Ils ont bien sur eux, entout, <strong>de</strong> 15 à 20.000 francs. On va les offrir aux bandits. M. Costeveut <strong>de</strong>scendre <strong>de</strong> l'auto, dans l'intention, sans doute, <strong>de</strong>parlementer. Il s'effondre. Il a été abattu par un coup <strong>de</strong> feu. Lafusilla<strong>de</strong> est générale. Mme et M. Bovo sont atteints dans lavoiture. Ils ne donnent plus signe <strong>de</strong> vie.De plus en plus affolée, Mme Coste se jette sur l'enfant, leprend dans ses bras, sort <strong>de</strong> l'auto en poussant <strong>de</strong>s cris stri<strong>de</strong>nts.Elle a vu, à 400 mètres environ <strong>de</strong> la route, le mur du cimetière <strong>de</strong>Chevreul. Elle se dirige <strong>de</strong> ce côté, toujours en criant <strong>de</strong> toutes sesforces et en prononçant <strong>de</strong>s paroles inintelligibles, au moins pourles insurgés, qui, la prenant sans doute pour une femme frappée <strong>de</strong>folie, la laissent passer. On sait le respect superstitieux qu'inspirent67
UN DRAME ALGERIENaux indigènes les déments.La <strong>ma</strong>lheureuse femme, emportant l'enfant <strong>de</strong> son amie,continue sa course, en criant <strong>de</strong>s phrases sans suite, traduisantévi<strong>de</strong>mment son horreur, son épouvante <strong>de</strong>vant le <strong>drame</strong> auquelelle vient d'assister.Elle se souvient qu'une femme kabyle l'a abordée et l'aentraînée avec elle. Elle suivait, telle une auto<strong>ma</strong>te, inconsciente à<strong>de</strong>mi, ne réalisant pas, traduisant sa douleur par <strong>de</strong>s crises, oùsombraient sa souffrance et son égarement.Des <strong>ma</strong>nifestants la rattrapent, s'emparent d'elle. Elle crie ! Ellecrie ! Elle sent le froid d'une lame <strong>de</strong> couteau sur sa gorge. Ellecrie toujours. Ils n'osent pas achever leur geste homici<strong>de</strong>.Elle est ramenée vers l'auto. Vision fugitive, rapi<strong>de</strong> : elle sesouvient avoir vu, à l'arrière <strong>de</strong>s barrages, un vieillard à gran<strong>de</strong>barbe blanche, recouvert d'une gandoura im<strong>ma</strong>culée, qui, muet,impassible, les bras croisés sur sa poitrine, regar<strong>de</strong> se dérouler lesévénements.On la pousse vers l'auto. Des hommes lui disent :— Regar<strong>de</strong>les bien ! Ils sont morts ! Quant à toi et ta fille,partez vers la campagne. Vous êtes <strong>ma</strong>intenant <strong>de</strong>s mouquères !...Sa compagne berbère la conduit dans un gourbi. Elle y trouveun indigène qui s'empresse, la rassure,— Tu ne crains plus rien, <strong>ma</strong>intenant. Je reste avec toi.A la tombée <strong>de</strong> la nuit, après avoir insisté pour qu'elle prenneun peu <strong>de</strong> nourriture, il la fait sortir du gourbi et la dirige vers unecrête qui paraît se trouver au nordouest <strong>de</strong> Chevreul et domine levillage. L'homme porte l'enfant, il est toujours prévenant. Quel butpoursuitil en l'éloignant ainsi ?Elle passe la nuit dans un gourbi. Le <strong>ma</strong>tin, il lui explique quela troupe est arrivée, qu'il faut fuir les bombar<strong>de</strong>ments. Ils vont68UN DRAME ALGERIENpartir pour Texenna. Elle <strong>ma</strong>rche, toute la journée du jeudi. Elle n'aplus <strong>de</strong> souliers. Elle les a usés à toutes les aspérités <strong>de</strong>s sentiers.Elle supplie qu'on la ramène à Chevreul. Elle ne sait plus, elle aparcouru 40, 50, 60 kilomètres dans les_ montagnes, lorsqu'elleatteint le village, le vendredi 11 <strong>ma</strong>i, au début <strong>de</strong> l'aprèsmidi. <strong>Un</strong>eauto militaire est arrivée. Elle amène un officier, un parent !La gendarmerie, à Chevreul, veut arrêter l'indigène quiaccompagne la <strong>ma</strong>lheureuse veuve. Elle proteste : « C'est monsauveur ! »Et l'indigène disparaît. On ne l'a plus retrouvé. Mais il estconnu. C'est un ven<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> billets <strong>de</strong> loteries, opérant a SaintArnaud et dans la région. Les enquêtes ouvertes auraient fait pesersur lui <strong>de</strong> graves accusations. Atil voulu se réhabiliter en sauvantune femme française ? Poursuivaitil d'autres fins ?Mme Coste a pu enfin rejoindre Sétif par une auto militaire.Que sont <strong>de</strong>venus les <strong>ma</strong>rtyrs abattus près <strong>de</strong>s barrages, à 1.500mètres <strong>de</strong> Chevreul ?On a pu relever les cadavres, quarantehuit heures après. Deuxjours <strong>de</strong> soleil les avaient mis en triste état. Mme Coste les avaitvus encore revêtus <strong>de</strong> leurs habillements. On les a retrouvés nus.Les bandits les avaient complètement dépouillés ! Ils avaient faitdavantage encore ! Les constats médicaux, signés par leDr Mazzuca attestent les mutilations dont ils ont été l'objet. Par unsentiment <strong>de</strong> pu<strong>de</strong>ur respectueuse nous ne pouvons tout dire.Signalons cependant :— Que le cadavre <strong>de</strong> M. Bovo, âgé <strong>de</strong> 38 ans, « présentaitplusieurs plaies à la tête, produites par objets contondants etd'autres occasionnés par <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu. Le haut du visage étaitcomplètement défiguré ».69
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