UN DRAME ALGERIENà la gendarmerie. De partout, les familles se hâtent. Lesretardataires essuient <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu. Les révoltés ont, en effet,envahi le village. La gendarmerie ne tar<strong>de</strong> pas à être cernée. A7 heures, on estime le nombre <strong>de</strong>s émeutiers à un millier. Ils sontbientôt 3.000 accourus à la curée. Avec eux, <strong>de</strong>s femmes. Parmiles assiégés, on compte douze hommes armés, gendarmes compris.Douze hommes qui ont en face d'eux <strong>de</strong>s adversaires munisd'armes auto<strong>ma</strong>tiques. On entend distinctement le claquementrythmé <strong>de</strong>s mitraillettes parmi les coups <strong>de</strong> fusils <strong>de</strong>s assaillants,qui sont au courant <strong>de</strong>s usages <strong>de</strong> la guerre, qui ont tout prévu,même un long siège : on s'aperçoit bientôt que le courantélectrique du centre est supprimé, puis que la conduite d'eau,alimentant la briga<strong>de</strong>, est coupée.Douze hommes contre trois mille s'augmentant à chaque instant<strong>de</strong> contingents nouveaux !On accepte l'enjeu. On se battra. N'y atil pas <strong>de</strong>s femmes et<strong>de</strong>s enfants à défendre ?Les coups <strong>de</strong> feu éclatent partout, autour du réduit défensif, oùse joue le sort <strong>de</strong> quelques Français arrachés brusquement à leurlabeur journalier. On répond, en économisant le plus possible lesmunitions. On cherche à ne tirer qu'à coup sûr.<strong>Un</strong>e heure passe, puis <strong>de</strong>ux. A 10 h. 20, on entend le bruitd'avions survolant le village. Ce sont <strong>de</strong>s avions <strong>de</strong> chasse. On sehâte. On fait <strong>de</strong>s signaux avec <strong>de</strong>s drapeaux que l'on agite, <strong>de</strong>sdraps <strong>de</strong> lit déployés. Les appareils passent... Ontils compris ?Vontils chercher du secours?L'inci<strong>de</strong>nt a provoqué un arrêt brusque <strong>de</strong> la fusilla<strong>de</strong> chez lesassiégeants. Elle reprend lorsque s'éloignent les patrouilles <strong>de</strong> l'air.<strong>Un</strong> ordre est, sans doute, donné, car tout à coup une centained'assaillants forcent l'entrée <strong>de</strong> la caserne. Ils réussisent à envahirle vestibule. Le moment est angoissant. Les enfants, les femmes,54UN DRAME ALGERIENont été placés au premier étage. Rapi<strong>de</strong>ment, tiraillant dans lesescaliers pour arrêter le flot qui risque <strong>de</strong> les submerger, lesdéfenseurs vont rejoindre leurs familles. Vaton avoir un corps àcorps ? Les agresseurs hésitent, puis se retirent. L'assaut a échoué.Mais les émeutiers reviennent. Ils attaquent les communs, lesécuries <strong>de</strong> la gendarmerie. Il y a là du fourrage. Ils versent <strong>de</strong>l'essence, du pétrole, du <strong>ma</strong>zout. Ils allument ce carburant, Lesconstructions disparaissent bientôt dans un nuage <strong>de</strong> fuméeopaque.Dans le bâtiment principal, on continue à se battre. On essuie<strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu, toute la nuit. Dans les moments d'accalmie, onentend <strong>de</strong>s cris dans le village. Il y a là, dans les <strong>ma</strong>isons isolées,<strong>de</strong>s <strong>ma</strong>lheureux qui n'ont pas eu le temps <strong>de</strong> rejoindre le fortin,<strong>de</strong>rnière espérance <strong>de</strong>s défenseurs. On perçoit les youyou <strong>de</strong>sfemmes excitant les assaillants dans leur œuvre meurtrière et <strong>de</strong><strong>de</strong>struction. Des coups <strong>de</strong> feu alternent avec les coups <strong>de</strong> <strong>ma</strong>ssesqui, au loin, un peu atténués par la distance, résonnent sur lesportes ou les volets clos. L'horreur du <strong>drame</strong> qui se <strong>de</strong>vineaugmente encore l'énergie <strong>de</strong>s défenseurs <strong>de</strong> la gendarmerie. Debrusques éclairements d'incendies disent l'intensité <strong>de</strong> l'assaut.<strong>Un</strong> jeune Français, Louis Boissonna<strong>de</strong>, donne un <strong>ma</strong>gnifiqueexemple d'énergie, au milieu <strong>de</strong>s combattants du fortin. Il est<strong>ma</strong>la<strong>de</strong>, épuisé, il se raidit dans la douleur, il se bat, ses coupsportent, précis, ajustés avec patience. Tout à coup, il s'abat. Il n'estpas blessé. Il est terrassé, en pleine action. La mort fait son œuvre.Pendant ce temps, que se passaitil exactement dans le village ?On le sut plus tard. Citons cet extrait <strong>de</strong> la presse (1) :« Leur attaque brisée, les indigènes, laissant la briga<strong>de</strong>incendiée, lançaient sur le village une grosse partie <strong>de</strong> leur sinistre(1) Dépêche <strong>de</strong> Constantine, 5 juin 1945.55
UN DRAME ALGERIENban<strong>de</strong>, laquelle se livrait au pillage <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>isons françaises et lesincendiait ensuite. Pour activer la combustion, les insurgésdéchaînés, brisaient les meubles et les jetaient dans le feu.« Afin <strong>de</strong> <strong>ma</strong>nifester la joie générale <strong>de</strong>s émeutiers, <strong>de</strong>vant cetteterrible vision, à chaque <strong>de</strong>struction d'habitation, un pitre se livraità <strong>de</strong>s démonstrations, accompagné <strong>de</strong>s tamstams et les femmespoussaient <strong>de</strong> retentissants youyou. C'était la gran<strong>de</strong> fête poureux.« La chapelle ne fut pas, non plus, épargnée. Après avoirdémoli la porte à coups <strong>de</strong> pioche, la meute déchaînée détériora lesprieDieu, décapita les statuettes <strong>de</strong>s Saints, arracha le Christ etsaccagea l'autel.« Seule, la <strong>ma</strong>ison <strong>de</strong> M. Monserret Albert fut respectée. Ils enferont leur quartier général, après, toutefois, l'avoir pillée et briséle mobilier. Les docks <strong>de</strong> la S.I.P. furent également saccagés.« Que dire <strong>de</strong> cette <strong>ma</strong>lheureuse femme <strong>de</strong> 83 ans, qui, <strong>ma</strong>lgréson âge et son état mental, fut violée par la même ban<strong>de</strong> ? Sa fille,âgée <strong>de</strong> 48 ans, subit le même sort (1) !« On frémit à la pensée <strong>de</strong> ce qui se serait passé si cesévénements avaient eu lieu à l'époque où familles et enfantsestivaient en ces lieux, car n'oublions pas que Chevreul était<strong>de</strong>venu un centre d'estivage, avec AïnSettah, la colonie <strong>de</strong>vacances <strong>de</strong> la <strong>jeunesse</strong>, où <strong>de</strong>s centaines d'enfants se rendaientchaque année.« Il n'est pas <strong>de</strong> mots pour traduire <strong>de</strong> telles horreurs. Plaise àceux qui en ont les pouvoirs que justice soit faite, une justiceimplacable, en rapport avec l'énormité <strong>de</strong> ces crimes et forfaits. »(1) Par respect pour les victimes et leurs familles, nous n'insistons pas sur les violencessubies par <strong>de</strong> <strong>ma</strong>lheureuses femmes. Des détails horrifiants pourraient être cités. Disons, sans lanommer, que l'une d'elles, assaillie dans son domicile, dut subir les outrages <strong>de</strong> tous les agresseursqui entraient. « J'ai compté jusqu'à cent, disaitelle en sanglotant, puis, je n'ai plus compté. »Beaucoup exigeaient après l'avoir violentée, qu'elle se levât pour leur faire du café...56UN DRAME ALGERIENRevenons <strong>ma</strong>intenant à la gendarmerie. « La fusilla<strong>de</strong>, qui necessa durant la nuit, s'intensifia le 10. Vers 8 heures, un nouveaumot d'ordre d'attaque est lancé. L'énergique riposte <strong>de</strong>s Européensl'arrête net, ceuxci, tirant par salves, occasionnant <strong>de</strong> fortes pertesaux assaillants.« Les criminels, en possession <strong>de</strong> dynamite, détonateurs etmèches, s'apprêtent à faire sauter la gendarmerie (1).« La Provi<strong>de</strong>nce n'abandonne pas les braves et les hommesrésolus. Au moment où tout semblait perdu pour ces héroïquesdéfenseurs, <strong>de</strong>s mitraillettes crépitent : c'est l'arrivée <strong>de</strong> la colonne<strong>de</strong> protection qui met en déroute les assaillants, qu'on ne sait plusexactement qualifier,..« Privés d'eau (2) du jeudi <strong>ma</strong>tin au vendredi <strong>ma</strong>tin, 10 h.20, lesdéfenseurs eurent recours aux fonds d'abreuvoir et <strong>de</strong> chasses <strong>de</strong>W.C. pour pouvoir donner un peu à boire aux enfants et auxfemmes. »Le même numéro du journal constantinois, la Dépêche, relate, àpropos <strong>de</strong> Chevreul <strong>de</strong>s faits qui doivent être mentionnés ici.Nous avons dit que le 9 <strong>ma</strong>i, à 6 heures du <strong>ma</strong>tin, la patrouille,dirigée par le <strong>ma</strong>réchal <strong>de</strong>s logis Poilane autour <strong>de</strong> Chevreul, avaitatteint la <strong>ma</strong>ison cantonnière, située à plusieurs centaines <strong>de</strong>mètres <strong>de</strong> l'agglomération principale. Le chef cantonnier Marchaln'était pas chez lui...« Ce fonctionnaire, qui, inquiet, n'était pas rentré chez lui laveille — ce, grâce à quoi il est encore en vie — resta couché dansles blés, déjà assez hauts, d'un champ éloigné, durant trentesix(1) Ces explosifs provenaient d'une exploitation minière pillée par les bandits, la plâtrière <strong>de</strong>Sillègue, appartenant à M. Marchetti.(2) Et nous pouvons ajouter : privés <strong>de</strong> nourriture.57
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