Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

Un drame algérien - Alger de ma jeunesse Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

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UN DRAME ALGERIENLe garde champêtre Murschler reçoit deux coups de fusil.Aussitôt on entend des cris et des you­you de femmes.Il ne restait aux habitants qu'une ressource : se barricader chezeux et se défendre.L'adjoint spécial est obligé d'user de son autorité pour obtenirdu facteur­receveur indigène, qui n'était pas à son bureau, qu'ilalerte les autorités de Saint­Arnaud.Le pillage et l'attaque des maisons s'exercèrent avec uneviolence extraordinaire. Les portes, les fenêtres résonnaient sousles coups de masses et de haches, le feu attaquait les habitations.M. Fages Basile, père de quatre enfants, tint tête dans samaison, avec sa femme et un fils, à une émeute de trente banditsdont un tiers était armé de fusils. L'incendie de l'immeuble lesobligea à se réfugier dans la cuisine. Ils allaient y être brûlés vifs.Ils percèrent le plafond gagnèrent la toiture et se réfugièrent dansune écurie voisine.M. Fages n'avait qu'un fusil de chasse. Découvert dans l'écurie,il continua à défendre sa famille. Il abattit deux insurgés, ce quiportait à trois le chiffe des agresseurs abattus. Il se battait encorealors qu'il avait reçu une balle à la cuisse. La résistance opposée àses agresseurs par M. Fages mérite d'être citée en exemple parmiles plus beaux faits d'armes de la semaine tragique vécue dans ledépartement de Constantine. Le duel inégal a duré quatre heures,durant lesquelles le colon traqué a dû faire preuve d'une grandeténacité et d'une admirable présence d'esprit.Disons de suite qu'après un traitement de vingt jours dans uneclinique de Sétif, M. Fages est heureusement entré enconvalescence. Sa famille et lui doivent la vie à l'énergie qu'il amise à la défendre.Un autre fait mérite d'être rapporté, à propos de Sillègue.30UN DRAME ALGERIENLe 9 au matin, le lieutenant Rossi se transportait à 10kilomètres du village, avec trois Sénégalais, au lieu Le dit : LaPlâtrière. Une section allait suivre. Les trois militaires, leur chef etle propriétaire de La Plâtrière furent aussitôt attaqués par uncontingent de rebelles. L'alerte fut chaude. Un combat rapide eutlieu auquel mit fin l'arrivée opportune du renfort attendu.M. Troussel, adjoint­administrateur, est à citer également pourson attitude courageuse. Il est venu apporter du secours. Il n'a pupénétrer dans le village, mais il a fort inquiété les agresseurs etdiminué, par ce fait, leur ardeur.La gendarmerie de Saint­Arnaud et une compagnie deSénégalais délivrèrent les colons de Sillègue, vers une heuretrente, dans la nuit du 8 au 9 mai.On trouva trois Français morts et affreusement mutilés : Mmeet M. Murschler, garde champêtre, et M. Beiguet, chef cantonnier.Ces victimes avaient été massacrées lâchement et sans pitié.Des femmes avaient été violées et laissées en vie, six maisonsavaient été complètement pillées. Deux complètement détruitespar l'incendie à l'aide d'essence et de pétrole.Dès l'arrivée des secours, la situation a été rétablie. Desarrestations ont été opérées, mais il a fallu trois ou quatre jours depatrouilles pour ramener le calme et un peu de confiance dans levillage.La conduite des troupes, nous dit un colon qui fut le témoinoculaire du drame, a été admirable, sans distinction d'origine,parmi les combattants, y compris, les gendarmes. Chacun dessauveteurs mérite des remerciements et des éloges. Tous ont misfin, de la façon la plus heureuse, à l'horrible tuerie qui menaçait defaire disparaître tous les Français de Sillègue.Cependant, dans une lettre datée du 29 septembre 1945,31

UN DRAME ALGERIENM. Justin Fages fils nous traduit une inquiétude qui rappelle lasituation du village en fin avril et début de mai.A cette époque, les Français de Sillègue avaient exprimé àplusieurs reprises leurs craintes à l'autorité locale, représentée parl'Administrateur, au sujet de rumeurs annonçant un soulèvement.Les intéressés n'avaient reçu que des réponses vagues et aucunemesure, même élémentaire, n'avait été prise.Au lendemain du drame, malgré les deuils enregistrés, malgréla gravité de l'épreuve subie, la confiance renaissait. « Cet espoirn'a été que passager. » On se reprend, à la suite de constatationsdont la portée ne saurait échapper à ceux qui ont vécu les heurestragiques, à douter de nouveau de la possibilité de rester dans lepays. « Les rumeurs mauvaises se font entendre encore et lescolons s'inquiètent à nouveau. Les trois quarts prennent leursdispositions pour quitter le centre, sans espoir de retour. Cet exodese poursuivra jusqu'au bout si des mesures de sauvegarde ne sontpas prises à brève échéance. Seule, la fermeté, mise au service dela justice, peut assurer et maintenir l'ordre, nous dit notrecorrespondant. Sans autorité et sans discipline respectées par tous,nous serons obligés de quitter les lieux, jusqu'au dernier. »Puissent ces lignes paraître à temps pour provoquer l'alarmenécessaire et empêcher l'exode annoncée de s'accomplir (1).Une correspondance de Sillègue nous a apporté la relation de lamort des époux Murschler et de M. Beiguet, chef cantonnier.Murschler, garde champêtre, se trouvait à cent mètres(1) Nous avons donné les raisons des retards apportés dans la parution de ce récit : leshésitations et les refus des imprimeurs algériens, se sentant menacés par des mesures pouvant êtreprises, en dehors de toute équité.32UN DRAME ALGERIENdevant son habitation, lorsqu'il fut brusquement assailli à coups depierres et de fusil. Non gravement blessé, il eut la force de seréfugier chez lui, en compagnie de sa femme et de ses troisenfants, après avoir fermé le portail de la cour.Sa maison fut rapidement entourée par les émeutiers, qui luidemandaient de livrer son revolver et ses cartouches s'il voulaitavoir la vie sauve. Il s'y refusa. Mais sa femme, affolée, ouvrit unefenêtre et livra le revolver. A ce moment des coups de feuéclatèrent, abattant le garde et son épouse. En même temps, lesinsurgés escaladaient le portail, l'ouvraient et pénétraient dansl'appartement. Ils achevaient les victimes à coups de fusil et leurécrasèrent la tête avec des pierres. Mme Murschler eut le crânedéfoncé. Cette scène horrible se passait devant les enfants atterrés.Les pauvres petits orphelins sont âgés de 8, 10 et 12 ans.M. Beiguet, chef cantonnier, a été surpris également à unecentaine de mètres de son habitation. Un indigène, son voisin,pressentant le danger, l'exhorta à rentrer chez lui, au plus tôt.Naïvement, M. Beiguet répondit :« Oh ! moi, je n'ai pas peur, je n'ai fait de mal à personne, aucontraire. Et puis, je suis pauvre, que peuvent­ils me prendre ! Ilss'attaqueront plutôt aux colons qui sont aisés, mais pas à moi ! »Deux minutes après, il était abattu par une balle en plein front.Il tomba foudroyé. Un deuxième assaillant, armé d'un sabre, luiouvrait la mâchoire « de part et d'autre ». Il y eut attroupement.Mme Beiguet accourut. Elle supplia deux indigènes, ouvriers duchantier de son mari, de transporter le corps dans son habitation.Deux des assassins s'interposèrent, en disant : « Laissez­le pourrirlà, ce chien de Français ! »...Beiguet et Murschler étaient estimés de tous, ajoute notrecorrespondant. Ils étaient braves, généreux et charitables.33

UN DRAME ALGERIENM. Justin Fages fils nous traduit une inquiétu<strong>de</strong> qui rappelle lasituation du village en fin avril et début <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i.A cette époque, les Français <strong>de</strong> Sillègue avaient exprimé àplusieurs reprises leurs craintes à l'autorité locale, représentée parl'Administrateur, au sujet <strong>de</strong> rumeurs annonçant un soulèvement.Les intéressés n'avaient reçu que <strong>de</strong>s réponses vagues et aucunemesure, même élémentaire, n'avait été prise.Au len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in du <strong>drame</strong>, <strong>ma</strong>lgré les <strong>de</strong>uils enregistrés, <strong>ma</strong>lgréla gravité <strong>de</strong> l'épreuve subie, la confiance renaissait. « Cet espoirn'a été que passager. » On se reprend, à la suite <strong>de</strong> constatationsdont la portée ne saurait échapper à ceux qui ont vécu les heurestragiques, à douter <strong>de</strong> nouveau <strong>de</strong> la possibilité <strong>de</strong> rester dans lepays. « Les rumeurs <strong>ma</strong>uvaises se font entendre encore et lescolons s'inquiètent à nouveau. Les trois quarts prennent leursdispositions pour quitter le centre, sans espoir <strong>de</strong> retour. Cet exo<strong>de</strong>se poursuivra jusqu'au bout si <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong> ne sontpas prises à brève échéance. Seule, la fermeté, mise au service <strong>de</strong>la justice, peut assurer et <strong>ma</strong>intenir l'ordre, nous dit notrecorrespondant. Sans autorité et sans discipline respectées par tous,nous serons obligés <strong>de</strong> quitter les lieux, jusqu'au <strong>de</strong>rnier. »Puissent ces lignes paraître à temps pour provoquer l'alarmenécessaire et empêcher l'exo<strong>de</strong> annoncée <strong>de</strong> s'accomplir (1).<strong>Un</strong>e correspondance <strong>de</strong> Sillègue nous a apporté la relation <strong>de</strong> lamort <strong>de</strong>s époux Murschler et <strong>de</strong> M. Beiguet, chef cantonnier.Murschler, gar<strong>de</strong> champêtre, se trouvait à cent mètres(1) Nous avons donné les raisons <strong>de</strong>s retards apportés dans la parution <strong>de</strong> ce récit : leshésitations et les refus <strong>de</strong>s imprimeurs <strong>algérien</strong>s, se sentant menacés par <strong>de</strong>s mesures pouvant êtreprises, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> toute équité.32UN DRAME ALGERIEN<strong>de</strong>vant son habitation, lorsqu'il fut brusquement assailli à coups <strong>de</strong>pierres et <strong>de</strong> fusil. Non gravement blessé, il eut la force <strong>de</strong> seréfugier chez lui, en compagnie <strong>de</strong> sa femme et <strong>de</strong> ses troisenfants, après avoir fermé le portail <strong>de</strong> la cour.Sa <strong>ma</strong>ison fut rapi<strong>de</strong>ment entourée par les émeutiers, qui lui<strong>de</strong><strong>ma</strong>ndaient <strong>de</strong> livrer son revolver et ses cartouches s'il voulaitavoir la vie sauve. Il s'y refusa. Mais sa femme, affolée, ouvrit unefenêtre et livra le revolver. A ce moment <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feuéclatèrent, abattant le gar<strong>de</strong> et son épouse. En même temps, lesinsurgés escaladaient le portail, l'ouvraient et pénétraient dansl'appartement. Ils achevaient les victimes à coups <strong>de</strong> fusil et leurécrasèrent la tête avec <strong>de</strong>s pierres. Mme Murschler eut le crânedéfoncé. Cette scène horrible se passait <strong>de</strong>vant les enfants atterrés.Les pauvres petits orphelins sont âgés <strong>de</strong> 8, 10 et 12 ans.M. Beiguet, chef cantonnier, a été surpris également à unecentaine <strong>de</strong> mètres <strong>de</strong> son habitation. <strong>Un</strong> indigène, son voisin,pressentant le danger, l'exhorta à rentrer chez lui, au plus tôt.Naïvement, M. Beiguet répondit :« Oh ! moi, je n'ai pas peur, je n'ai fait <strong>de</strong> <strong>ma</strong>l à personne, aucontraire. Et puis, je suis pauvre, que peuvent­ils me prendre ! Ilss'attaqueront plutôt aux colons qui sont aisés, <strong>ma</strong>is pas à moi ! »Deux minutes après, il était abattu par une balle en plein front.Il tomba foudroyé. <strong>Un</strong> <strong>de</strong>uxième assaillant, armé d'un sabre, luiouvrait la mâchoire « <strong>de</strong> part et d'autre ». Il y eut attroupement.Mme Beiguet accourut. Elle supplia <strong>de</strong>ux indigènes, ouvriers duchantier <strong>de</strong> son <strong>ma</strong>ri, <strong>de</strong> transporter le corps dans son habitation.Deux <strong>de</strong>s assassins s'interposèrent, en disant : « Laissez­le pourrirlà, ce chien <strong>de</strong> Français ! »...Beiguet et Murschler étaient estimés <strong>de</strong> tous, ajoute notrecorrespondant. Ils étaient braves, généreux et charitables.33

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