UN DRAME ALGERIENNous pouvons citer une Commune mixte du département <strong>de</strong>Constantine, dont la superficie est <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 138.000 hectares(l/30e <strong>de</strong> la surface <strong>de</strong> la France, ou trois fois celles dudépartement <strong>de</strong> la Seine).La population <strong>de</strong> cette commune est <strong>de</strong> 110.000 habitants, dontun millier <strong>de</strong> Français, répartis sur 1.000 kilomètres carrés <strong>de</strong>territoire. La profession agricole y est représentée par 3.000 chefsd'exploitations indigènes cultivant 30.000 hectares, et 45 colonsfrançais d'origine cultivant 6.000 hectares, en blé principalement.Rappelons ici que la même région faisait partie <strong>de</strong> l'antiqueNumidie, qui alimentait par l'Annone, en blé dur, la gran<strong>de</strong>métropole ro<strong>ma</strong>ine.En Algérie, comme en France, a été appliquée uneréglementation <strong>de</strong>stinée à assurer la subsistance locale ainsi queles ensemencements, le surplus <strong>de</strong>vant participer aux envois à fairepour venir en ai<strong>de</strong> à la Mère patrie.Dans la commune qui nous intéresse, nous pouvons donner <strong>de</strong>schiffres sur les résultats obtenus par cette opération <strong>de</strong> réquisitionlégale, pendant trois campagnes agricoles récentes. Ces chiffresdémontrent la résistance opposée par les milieux autochtones à lacollecte à laquelle ils étaient soumis obligatoirement par la loi.En 1944, les Français d'origine ont livré 16.139 quintaux, lesindigènes 5.475, soit, pour ces <strong>de</strong>rniers, 55 kilos par hectare.L'année représentait une petite moyenne comme récolte.En 1945, année moyenne, les colons ont livré 22.000 quintaux,les indigènes 400 quintaux.En 1946, la récolte a été abondante. L'administration, sollicitéepar la Métropole, s'est efforcée <strong>de</strong> faire pression dans les douarspour obtenir enfin un résultat moins décevant que les annéesprécé<strong>de</strong>ntes. Les résultats suivants ont été obtenus après une activepropagan<strong>de</strong> auprès <strong>de</strong>s chefs locaux, Caïds et Ouakafs : 62.000284UN DRAME ALGERIENquintaux ont été versés par les colons français, 23.000 par lesindigènes, soit 76 kilos <strong>de</strong> blé par hectare pour ces <strong>de</strong>rniers.Ajoutons que 113 procèsverbaux ont été dressés à l'encontred'indigènes qui n'avaient même pas fait <strong>de</strong> déclaration <strong>de</strong> récolte.Mais ces constats n'ont pas été suivis <strong>de</strong> sanctions.La commune dont nous parlons compte, sur la partie nord <strong>de</strong>son territoire, <strong>de</strong> nombreux petits exploitants d'oliviers. Pas unlitre d'huile n'a été recueilli chez les récoltants qui ont, presquetous, bénéficié du ravitaillement familial en huile, organisé parl'administration.Aucun démenti ne peut être opposé aux affir<strong>ma</strong>tions quiprécè<strong>de</strong>nt, même lorsque nous dirons que dans 95 % <strong>de</strong>scommunes <strong>algérien</strong>nes une situation i<strong>de</strong>ntique s'est présentée.Que sont <strong>de</strong>venues les céréales et l'huile qui ont échappé auxréquisitions administratives ? Elles sont passées au <strong>ma</strong>rché noir, oùl'on a vu le prix du blé atteindre jusqu'à 7.000 francs la charge <strong>de</strong>144 kilos.Ce <strong>ma</strong>rché noir s'est enrichi d'autres <strong>de</strong>nrées fournies grâce àune carence presque totale <strong>de</strong> l'autorité.Tout Algérien, habitant le pays, même <strong>de</strong>puis peu <strong>de</strong> temps, saitqu'avant la guerre, les indigènes ne consom<strong>ma</strong>ient que peu <strong>de</strong>sucre et <strong>de</strong> café, bien moins encore <strong>de</strong> chocolat. La première<strong>de</strong>nrée n'était utilisée que par le chef <strong>de</strong> certaines familles, c'estàdirepar une personne sur 20, au grand <strong>ma</strong>ximum. Or, leravitaillement n'a voulu exclure personne <strong>de</strong> ses distributionsmensuelles. Et c'est ainsi que le <strong>ma</strong>rché a été rapi<strong>de</strong>ment sursaturé<strong>de</strong> produits non consommés en milieu indigène, <strong>ma</strong>is trèsutilisables sur le <strong>ma</strong>rché voisin dit « parallèle ». L'abondance dusucre a été telle que dans certaines régions, la <strong>ma</strong>rchandise estofferte, au prix officiel, sur les <strong>de</strong>ux <strong>ma</strong>rchés, avec ou sans bons <strong>de</strong>ravitaillement.285
UN DRAME ALGERIENAu sujet du blé, une constatation édifiante s'est produite aucours <strong>de</strong> l'hiver 19461947. En janvier 1947, les Sociétés indigènes<strong>de</strong> prévoyance (S.I.P.) avaient fermé leurs portes, faute <strong>de</strong> ven<strong>de</strong>urs<strong>de</strong> céréales. Mais la saison pluvieuse avait été particulièrementabondante en précipitations. Beaucoup <strong>de</strong> blé atteint par l'eaumenaçait <strong>de</strong> s'avarier : grosse émotion dans les campagnes. Onvida les silos inondés. Sur le <strong>ma</strong>rché clan<strong>de</strong>stin l'offre dépassa la<strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>. Les pris baissèrent bien au<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> ceux fixés par lataxation officielle. L'Administration généreuse vint au secours <strong>de</strong>ceux qui, volontairement, s'étaient mis en <strong>ma</strong>rge <strong>de</strong> la loi. Elleouvrit à nouveau les portes <strong>de</strong> ses <strong>ma</strong>gasins et acheta le blé auxprix <strong>de</strong> la taxe. Et elle fut mise à même <strong>de</strong> constater que les stocksreprésentant le trop plein du <strong>ma</strong>rché noir contenaient <strong>de</strong>s blésdatant <strong>de</strong> plus d'un an...Le <strong>ma</strong>rché parallèle du blé reprit rapi<strong>de</strong>ment son activité. Etpendant que s'exercent les mesures <strong>de</strong> restriction frappant lapopulation européenne, les boulangeries officielles distribuent laration <strong>de</strong> 200 grammes <strong>de</strong> pain bis obtenu par <strong>de</strong>s mélanges <strong>de</strong>farines basses, tandis que dans les rues étroites <strong>de</strong> chaque« médina » du Maroc, ou <strong>de</strong>s villes d'Algérie et <strong>de</strong> Tunisie, se vendcouramment le bon pain blanc <strong>de</strong> semoule offert aux acheteursfortunés.Seraton taxé d'exagération en disant :— que toutes les statistiques qui ont été données par l'autoritésur les récoltes dites <strong>de</strong> guerre ne peuvent être exactes et que l'onse trouve, en Algérie, dans l'impossibilité <strong>de</strong> dire dans quellesproportions le ravitaillement est assuré par les stocks existants ;— que le <strong>ma</strong>rché noir a été encouragé gran<strong>de</strong>ment, sinon créépar l'action administrative obéissant, par<strong>de</strong>ssus tout, à unsentiment : la peur <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts pouvant provoquer <strong>de</strong>s286UN DRAME ALGERIENtroubles, en présence <strong>de</strong>squels on serait obligé <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>smesures énergiques ;— que notre Métropole a souffert et souffre encore du <strong>ma</strong>nque<strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> rations qui, mensuellement, viennent alimenter le<strong>ma</strong>rché noir <strong>de</strong> l'Afrique du Nord?Ce que nous avons dit du blé, du café, du sucre, du chocolatpeut se dire aussi du lait, du savon, <strong>de</strong>s étoffes, <strong>de</strong>s allumettes, etc.<strong>Un</strong>e décision dictée par un bon sentiment a fait bénéficier lesmères indigènes et les nourrissons <strong>de</strong> rations <strong>de</strong> lait frais oucon<strong>de</strong>nsé. Ce lait a bien été livré, <strong>ma</strong>is l'on constate que 98 % dumontant <strong>de</strong>s bons passent au <strong>ma</strong>rché noir et constituent unvéritable traitement mensuel pour <strong>de</strong> nombreuses familles, audétriment <strong>de</strong>s enfants, privés, par leurs parents, <strong>de</strong> leurs rations <strong>de</strong>croissance.<strong>Un</strong>e autre considération a été l'un <strong>de</strong>s facteurs qui nous ontdécidé à publier ces pages, apportant <strong>de</strong>s détails inédits à un <strong>drame</strong>qui appartient à l'Histoire <strong>de</strong> notre Afrique du Nord.Pourraiton nier <strong>de</strong> bonne foi que ce <strong>drame</strong> est la conséquencedirecte d'une politique <strong>de</strong> faiblesse, appliquée <strong>de</strong>puis troplongtemps dans nos rapports avec quelques agitateurs <strong>de</strong>vant leursituation à la France, dont, cependant, ils se déclarent, dans lapresse, les assemblées et les réunions publiques, les ennemisirréconciliables ?Cette politique, que rien ne saurait expliquer et que rienn'excuse, continue à se pratiquer, <strong>ma</strong>lgré les leçons sévères reçuespar nous dans le passé. Elle nous mène droit à <strong>de</strong> nouveauxtroubles que la situation mondiale actuelle peut rendrecatastrophiques.Le conflit européen ouvert en 1914 n'est pas terminé. Ladémonstration se fait, chaque jour, <strong>de</strong> préparatifs annonçantd'ultimes combats entre <strong>de</strong>ux civilisations très opposées dans leurs287
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